senegal commentaires relatifs au projet de loi modifiant le code penal
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senegal commentaires relatifs au projet de loi modifiant le code penal
LCHR Lawyers Committee for Human Rights HRW Human Rights Watch SENEGAL MISE EN OEUVRE DU STATUT DE LA COUR PENALE INTERNATIONALE COMMENTAIRES RELATIFS AU PROJET DE LOI MODIFIANT LE CODE PENAL Introduction : En guise de brève introduction, on peut soumettre à la discussion la nécessité d’avoir deux projets de loi distincts et se demander s’il ne serait pas préférable d’avoir recours à un projet de loi unique portant amendement du code pénal et du code procédure pénale. A ce sujet, il ne semble pas qu’il existe un modèle législatif en la matière. Certains Etats ont adopté le système de textes séparés et distincts pour leur législation de mise en œuvre du Statut de Rome. C’est le cas de la Belgique, de la France et de Suisse. De nombreux autres Etats ont préféré regrouper dans un texte unique toutes les adaptations législatives nécessaires à la mise en œuvre. L’Afrique du Sud, le Canada, la Nouvelle Zélande, la R.D. du Congo, etc. sont dans cette catégorie. En l’absence d’un modèle unique, ce sont les considérations d’ordre pratique qui doivent dicter l’option à prendre par le Sénégal. Une première considération serait de déterminer quelle formule répond mieux aux exigences pratiques de l’Assemblée Nationale et garantit une plus rapide discussion et adoption par les parlementaires ? C’est cette formule qui serait alors préférable. Une autre considération qui, elle, militerait en faveur d’un projet de loi unique, découle de la nécessité de privilégier un texte unique afin de fournir une source regroupant l’intégralité des dispositions de mise en œuvre du Statut de Rome aux praticiens du droit. Bien entendu, tout un chacun aura la possibilité de passer en revue les nouveaux titres du code pénal, du code de procédure pénale et du code de justice militaire mais il pourrait être parfois souhaitable de pouvoir consulter un texte unique où figure l’ensemble des mesures applicables en la matière. Ceci faciliterait notamment le travail du bureau du Ministère de la Justice chargé des relations avec la CPI ainsi que celui du Procureur Général près la Cour d’Appel de Dakar chargé, quant à lui, de l’exécution des demandes d’entraide judiciaire. Ces commentaires portent sur les définitions des crimes, les principes généraux du droit pénal et la détermination des peines. A. DEFINITION DES CRIMES Génocide: La définition proposée dans le projet (nouvel article 431-1 du code pénal) semble conforme à l’article 6 du Statut. Elle va même plus loin que la définition du Statut puisqu’elle ne se limite pas aux actes commis contre un groupe « national, ethnique, racial ou religieux » et prend en compte les actes commis contre un « groupe déterminé à partir de tout autre critère ». Cette innovation ne contredit pas le Statut de Rome et doit, au contraire, être salué pour son caractère progressif1. Quelques modifications mineures doivent être notées : - au niveau du chapeau : il faut ajouter l’élément « comme tel » après « autre critère » parce que ce qu’il s’agit de vouloir détruire dans le crime de génocide c’est un groupe « comme tel ». Toujours dans le chapeau, remplacer « un groupe » (entre « religieux » et « déterminé ») par la conjonction « ou ». - « homicide volontaire » remplace « meurtres de membres du groupe » : Techniquement il n’y a pas de différence entre ces deux termes puisque l’article 280 du code pénal sénégalais définit le « meurtre » comme « l’homicide commis volontairement ». Le code pénal préfère néanmoins le terme ‘meurtre’ comme le fait le Statut de Rome, et il semblerait souhaitable, uniquement par souci de cohésion formelle, de recommander l’usage de ‘meurtre’ au lieu de ‘homicide volontaire’. Il faut par contre préciser qu’il s’agit bien de meurtres de membres du groupe dont on cherche la destruction. La phrase serait donc : « Meurtre de membres du groupe » - « Atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe » remplace « Atteinte grave à l’intégrité physique ou psychique ». Sur ces deux points, il apparaît nécessaire que soit ajoutée la notion d’actes commis contre le groupe au niveau même des éléments constitutifs. La substitution de « psychique » à « mental » ne pose pas de difficulté majeure mais compte tenu du fait que le Statut de Rome, comme d’autres instruments internationaux2, utilise le terme « mental » et non celui de « psychique », il semblerait plus cohérent de conserver la même formulation, ce d’autant plus que le Statut lui-même utilise dans d’autres dispositions le terme « mental3 ». Il ne s’agit pas seulement d’une question de cohésion terminologique : « mental » est plus général que « psychique » en ce sens que tout ce qui est psychique est mental, mais le mental n’est pas que psychique ; il va bien au-delà. 1 Le droit français a par ailleurs adopté la même approche puisque l’article 211-1 du code pénal définit le génocide en apportant la précision suivante: “ou d’un groupe déterminé à partir de tout autre critère arbitraire”. 2 Voire, inter alia, l’article 1 de la Convention contre la torture et autres peines pou traitements cruels, inhumains ou dégradants. L’article 4 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples utilise le terme “intégrité physique et morale”. 3 Voire les définitions du crime contre l’humanité et du crime de guerre Substituer ‘psychique’ à ‘mental’ revient ainsi à restreindre le champ de cet élément de génocide par rapport au Statut de Rome. Il faut donc garder « mental ». Ensuite ajouter « de membres du groupe » pour les mêmes raisons que ci-dessus concernant ‘meurtre’. - « Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence de nature à entraîner sa destruction totale ou partielle » : remplacer « de nature à » par « devant » comme dans le Statut de Rome. Les conditions d’existence en question ne doivent pas être simplement ‘de nature à’ entraîner la destruction ; elles doivent avoir pour conséquence de causer cette destruction. Il n’apparaît pas justifié de modifier cet élément dans la mesure où la définition retenue dans le Statut de Rome reflète le droit international coutumier4. - « Transfert forcé d’enfant du groupe à un autre » : ajouter « groupe » après « autre » Crimes contre l’humanité : La définition proposée dans le projet (nouvel article 431-2 du code pénal) diffère assez sensiblement du Statut de Rome pour des raisons qui tiennent plus à une réorganisation et un regroupement des actes constitutifs qu’à une modification substantielle de l’article 7 du Statut de Rome. A cet égard, ces modifications ne semblent pas avoir de raison d’être et il serait judicieux de se contenter de reprendre la définition de l’article 7 du Statut de Rome pour ne pas créer de confusion. Il y a aussi dans le chapeau deux autres différences majeures (et une mineure) : (1) Les actes criminels doivent avoir été commis « dans le cadre » d’une attaque généralisée ou systématique contre la population civile. Mais le projet exige que ces actes soient commis simplement « à l’occasion » d’une telle attaque, ce qui, évidemment, est fondamentalement différent. Un crime commis dans le cadre d’une attaque renvoie à l’idée que le crime participe d’une telle attaque, qu’il en fait partie5. Par contre, ‘à l’occasion’ peut bien décrire le fait qu’une personne profite simplement du désordre créé par le climat d’attaque contre la population pour commettre un crime isolé qui n’a rien à voir avec cette attaque. Des bandits qui 4 On retrouve notamment la même définition dans l’article II de la Convention sur le Génocide et dans les Statuts des deux tribunaux pénaux internationaux ad hoc, ainsi que dans leur jurisprudence. 5 Il faut démontrer un lien suffisant entre l’attaque et l’acte. L’acte peut d’ailleurs dans certains cas constituer l’attaque elle-même, par exemple dans le cas d’un meurtre massif de civils. Le degré requis du lien entre l’acte ou les actes d’un suspect et l’attaque n’est pas défini par le Statut : il s’agit d’une question de fait qui devra être déterminée dans chaque cas d’espèce en fonction des circonstances en présence. La jurisprudence des tribunaux ad hoc fournit cependant des éléments qui peuvent permettre de démontrer ce lien, notamment la nature des événements et les circonstances entourant l’acte du suspect, la proximité temporelle et géographique entre les actes du suspect et l’attaque, la nature et l’étendue de la connaissance de l’attaque par le suspect au moment de la perpétration des faits etc. Voire dans ce sens : l’arrêt Akayesu (jugement ICTR-96-4 du 2/9/1998), para. 579 ; le rapport de Monsieur Doudou Thiam, Rapporteur spécial de la Commission du Droit International, document UN Doc. A/CN.4/466, Annuaire de la Commission du droit international 2 (1986) ; ainsi que la jurisprudence du TPIY sur le lien entre les actes commis et l’existence d’un conflit armé, dont l’arrêt Tadic, paras. 629-633. profitent du climat de terreur et de désordre créé par un régime dictatorial brutal pour commettre des crimes crapuleux pourraient être inculpés de crime contre l’humanité si l’on maintient le critère ‘à l’occasion de’, alors que sous le critère ‘dans le cadre de’ ils ne seraient responsables que de crimes ordinaires qu’ils auront commis et certainement pas de crimes contre l’humanité. La différence est donc considérable et milite en faveur du remplacement de ‘à l’occasion’ utilisé dans le projet par ‘dans le cadre’ utilisé dans le Statut de Rome6. (2) In fine du chapeau, il faut ajouter « et en connaissance de cette attaque » après ‘population civile’. Ce crime exige, en effet, non seulement que les actes énumérés soient commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique contre la population civile, mais en plus que la personne ait connaissance d’une telle attaque7. Le même commentaire fait ci-dessus à propos de ‘dans le cadre’ peut être réitéré ici. Pour que l’acte soit qualifié de crime contre l’humanité, le Statut de Rome exige que son auteur ait eu connaissance du fait que son acte faisait partie, ou qu’il ait voulu que son acte fasse partie, d’une attaque généralisée ou systématique contre une population civile. En l’absence de cet élément de connaissance, l’acte peut être poursuivi comme crime séparé (de meurtre, de torture, de disparition forcée, d’extermination, etc.) mais certainement pas comme crime contre l’humanité. (3) Enfin, on peut noter le choix du « toute » population civile au lieu d’ « une » population civile dans le chapeau. La distinction ne semble pas emporter de conséquences à première vue mais on peut s’interroger sur sa portée. Si elle n’a pas vocation à engendrer de conséquences, peut être vaudrait-il mieux maintenir la formulation du Statut. - L’ordre des actes constitutifs est modifié : Il semblerait assez logique de suivre l’ordre du Statut (ce qui facilitera également tout travail de comparaison à l’avenir). - « 1.Viol, esclavage sexuel, prostitution forcée, grossesse forcée, stérilisation forcée » : Une partie essentielle des éléments du Statut est laissée pour compte puisque la seconde partie de cet élément constitutif n’est pas repris : « et toute autre forme de 6 Il faut également noter qu’en anglais le terme retenu en la matière est « as part of » ce qui souligne davantage le fait que les actes doivent faire partie de l’attaque. 7 Voire les jugements rendus par le TPIR dans les affaires Le Procureur c. Clément Kayishema et Obed Ruzindana, ICTR-95-1-T, paras 133 et 134 et Le Procureur c. Georges A.N. Rutaganda, ICTR-96-3-T, paras. 70 et 71. violence sexuelle de gravité comparable ». En omettant cette seconde partie, le projet restreint le champ de définition des crimes qui se réalisent par violence sexuelle par rapport à la définition du Statut de Rome. - « 2. Homicide volontaire » : remplacer par « meurtre » pour les mêmes raisons que plus haut. - « 4. Déportation » : Le Statut assimile dans un même élément constitutif la « déportation et le transfert forcé de population » alors que le projet de loi ne prend pas en compte le transfert forcé de population, qui est pourtant un des crimes prévu par les Conventions de Genève en tant que crime de guerre et dont la reconnaissance en tant que crime contre l’humanité n’est nullement controversée8. Le transfert forcé de population devrait donc être ajouté. La déportation est définie comme le transfert de population d’un pays à un autre : elle requiert le franchissement d’une frontière et concerne souvent des étrangers qui sont ramenés de force vers leur pays d’origine, souvent après s’être vus confisqués leurs biens. Le transfert forcé de population vise quant à lui le transfert forcé de population d’un endroit à un autre d’un même Etat. Le Statut de Rome, suivant en cela les Conventions de Genève et le droit international coutumier, considère la déportation et le transfert forcé de population comme des actes constitutifs du crime contre l’humanité (et du crime de guerre)9. Il est donc nécessaire d’ajouter expressément le transfert forcé de population dans le projet afin que la définition du crime contre l’humanité soit en conformité avec le Statut de Rome et embrasse toutes les circonstances envisagées dans le Statut. - « 6. Réduction en esclavage ou pratique massive et systématique d’exécution sommaire, d’enlèvement de personnes suivi de leur disparition » : Il semble que cet élément du projet tente de couvrir les éléments « i) disparitions forcées » et « c) réduction en esclavage » du Statut. Cependant, la formulation du projet est fondamentalement différente et couvre d’autres actes comme les exécutions sommaires qui figurent déjà dans le Statut en tant qu’extermination ou meurtre. Il apparaît, encore une fois, plus judicieux de respecter le Statut en la matière afin de s’assurer que le droit interne et le Statut auront une portée similaire qui permettra de garantir la primauté des juridictions nationales. La rédaction de cet élément dans le projet aboutit à un résultat erroné sur la notion des crimes concernés pour trois raisons. 8 (1) Elle tend d’abord – notamment par l’emploi de la conjonction « ou » -- à faire croire que « réduction en esclavage » est proche ou similaire à « pratique massive et systématique d’exécution sommaire, d’enlèvement de personnes suivi de leur disparition » alors que cela n’est pas le cas. La réduction en esclavage n’a Les articles 49(6) et 147 de la Convention de Genève IV et 85(4) du Protocole additionnel I reflètent le droit international coutumier en la matière. 9 Voire notamment l’article 6(c) de la Charte du Tribunal de Nuremberg, l’article 5(c) de la Charte du Tribunal militaire de Tokyo, l’article 2(c) de la Convention contre l’Apartheid, l’article 5(d) du Statut du TPIY et l’article 3(d) du Statut du TPIR, l’article 49 de la IVème Convention de Genève, ainsi que les Principes directeurs relatifs aux personnes déplacées préparé par les Nations Unies (en particulier principes 5 à 8). absolument rien de commun, ni de proche, avec la pratique d’exécution sommaire, ni avec les disparitions forcées. Ces trois éléments du crime contre l’humanité ne doivent donc pas être présentés côte à côte comme le fait le projet. (2) Elle suggère ensuite que le meurtre (ou ‘exécution sommaire’) doit, pour caractériser le crime contre l’humanité, revêtir un caractère massif ou systématique. Mais cela ne correspond pas à la définition du Statut de Rome. Le qualificatif massif ou systématique du crime contre l’humanité caractérise l’attaque dans le cadre de laquelle chacun des actes est commis, et non pas ces actes individuellement. Autrement dit, un seul meurtre -- et pas nécessairement une pratique massive ou systématique de meurtres -- peut constituer un crime contre l’humanité si ce meurtre est commis dans le cadre d’une attaque qui, elle, doit être massive ou systématique. Le meurtre étant déjà mentionné, nous suggérons de supprimer cet élément d’exécution sommaire. (3) Enfin, cette rédaction pourrait faire croire que les disparitions forcées, pour qu’elles caractérisent le crime contre l’humanité, doivent avoir été précédées d’enlèvement des personnes. Mais une telle caractérisation est trop restrictive du champ des disparitions forcées telles qu’elles sont définies en droit international. Une disparition forcée peut caractériser un crime contre l’humanité même lorsqu’elle survient à la suite d’une arrestation régulière (voir les Eléments du crime). En conclusion, nous suggérons donc : • de supprimer l’élément ‘pratique massive ou systématique d’exécution sommaire’ • de mentionner ‘disparitions forcées’ en supprimant ‘enlèvement de personnes suivi de leur’ qui précède • et de mentionner séparément ‘réduction en esclavage’ et ‘disparitions forcées’. - « 7. Torture ou actes inhumains causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé physique et psychique inspirés par des motifs d’ordre politique, racial, national, ethnique, culturel, religieux ou sexiste » : Cet élément tente de réunir les éléments suivants du Statut : « f) torture », « h) Persécution de tout groupe ou de toute collectivité identifiable sur des motifs d’ordre politique, racial, national, ethnique, culturel, religieux ou sexiste (…) » et « k) autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé physique ou mentale ». Cependant, cette tentative de fusion de ces trois éléments n’apparaît pas réussie dans la mesure où elle ne rend pas compte du caractère spécifique de l’acte de persécution ni du fait que celui-ci peut être associé à n’importe lequel des actes constitutifs du Statut (et donc pas uniquement à la torture et aux actes inhumains). Enfin, il ne rend pas non plus compte de l’élément k de l’article 7 du Statut qui est un article résiduel visant à couvrir d’ « autres actes inhumains ». Le recours au terme psychique pose ici la même difficulté que dans la définition du génocide. - Autres éléments non inclus dans le projet : Semblent avoir été omis ou seulement partiellement pris en compte, les éléments suivants : emprisonnement ou autre forme de privation grave de liberté physique en violation des dispositions fondamentales du droit international (Art. 7(1)(e) du Statut) et autres actes inhumains (Art. 7(1)(k)) puisque le projet de loi couvre les « actes inhumains » mais pas les « autres actes inhumains de caractère analogue ». - Absence des définitions de l’alinéa 2 de l’article 7 du Statut: L’alinéa 2 de l’article 7 du Statut de Rome définit un certain nombre d’éléments comme l’extermination, la réduction en esclavage, la déportation ou le transfert forcé de population, la torture, la grossesse forcée, la persécution, l’apartheid, les disparitions forcées. Il pourrait être utile de reprendre ces définitions dans le code pénal sénégalais en particulier si ces actes n’y figurent pas à l’heure actuelle ou si la définition en vigueur est différente de celle du Statut. Un renvoi indicatif aux Eléments des crimes pourrait également être inclus pour garantir, dans la mesure du possible, que le juge national sera amené à prendre en compte ces éléments si un problème d’interprétation se pose au niveau national sur la définition des crimes. Crimes de guerre : CHAPEAU La modification du chapeau de l’article 8 du Statut est la bienvenue. En effet, l’exigence supplémentaire du Statut qui veut que les crimes de guerre soient particulièrement digne de la compétence de la Cour quand ils s’inscrivent « dans un plan ou politique ou lorsqu’ils font partie d’une série de crimes analogues commis sur une grande échelle » apparaît restrictive au regard même du droit international. En effet, ni les statuts des tribunaux ad hoc, ni leur jurisprudence, ni les Conventions de Genève ne contiennent une telle exigence : celle-ci est donc le résultat des négociations diplomatiques ayant permis de rendre le Statut acceptable par certains Etats qui aujourd’hui n’y sont pas nécessairement partie. De nombreux Etats parties, au sein desquels l’Allemagne, ont, par ailleurs, choisi de ne pas reprendre cette formulation restrictive au niveau national et ont omis cet élément de la définition. ELEMENTS CONSTITUTIFS Alinéa (a) de l’article 431-3 : Chapeau : Le chapeau est en conformité avec le Statut mais ne mentionne cependant pas explicitement les infractions graves aux Conventions de Genève, contrairement au Statut, alors même que c’est l’objet de cet alinéa puisque les actes énumérés correspondent aux infractions graves aux Conventions de Genève. L’article 431-3 commence en effet par: “constitue un crime de guerre l’un quelconque des actes suivants », mais ce qui suit ne sont pas des actes, mais quatre catégories de crimes -- alinéas a), b), c) et e) – dont chacune énumère des actes spécifiques. La formulation de cette phrase est donc trompeuse. Nous recommandons de reproduire la formulation du Statut de Rome. Eléments : - - - - - « 1. Homicide volontaire » : Le Statut parle d’ «homicide intentionnel » alors que le projet prévoit « l’homicide volontaire » : s’agit il de la même chose ? Techniquement, non. En droit pénal, ‘intentionnel’ est différent de ‘volontaire’ en ce sens qu’il fait appel à un élément de dol spécial, différent du dol général que sous-entend le ‘volontairement’. Dans ce cas précis de l’homicide intentionnel, les Eléments des crimes notent, entre autres, que l’auteur doit avoir eu connaissance des circonstances de fait établissant dans le chef de la victime le statut de personne protégée par les Conventions de Genève. Il y a donc là un dol spécial justifiant l’usage de « homicide ‘intentionnel’ », plutôt que ‘volontaire’. « 2. Torture ou actes inhumains…. » : Le projet fusionne les éléments (ii) et (iii) de l’Art. 8(2)(a). Cette fusion ne semble pas rendre compte de manière satisfaisante de la spécificité des actes concernés et ne distinguent pas « la torture et les traitements inhumains » (i) « du fait de causer intentionnellement de grandes souffrances ou de porter gravement atteinte à l’intégrité physique ou à la santé » (ii) alors qu’il s’agit, en vertu du Statut, de deux éléments entièrement distincts. Par contre, l’extension aux atteintes à l’intégrité morale est la bienvenue (recours au terme « psychique » ici encore). « 3. Destruction et appropriation de biens » : Le projet modifie sensiblement le Statut en recourant aux termes « et exécution sur une grande échelle » au lieu de « et exécutées sur une grande échelle ». La modification n’apparaît pas justifiée et les termes du Statut devraient être respectés. « 4. Contraindre un prisonnier de guerre… » : Afin de garantir la clarté de cette disposition et sa conformité au Statut et aux Conventions de Genève, il faut préciser qu’il s’agit de contraindre ces personnes à servir dans les forces armées « d’une puissance ennemie ». La référence à « une puissance ennemie » fait ici défaut. « 5. Priver un prisonnier de guerre… » : Le Statut précise qu’il s’agit de priver « intentionnellement » un prisonnier de guerre ou une personne protégée de son droit d’être jugée régulièrement et impartialement. La notion d’intention fait ici défaut et devrait être ajoutée. Alinéa (b) de l’article 431-3 : - Entre (1) et (2) : l’alinéa (ii) de l’Art. 8(2)(b) du Statut semble avoir été omis « le fait de lancer des attaques délibérées contre la population civile en général ou contre des civils qui ne prennent pas directement part aux hostilités ». Cet alinéa devrait être inséré. - - - 10 3 : Le Statut parle d’ « avantage militaire concret et direct attendu » : le mot « concret » devrait donc être inséré. 13 : Cet alinéa fusionne les alinéas (xiv) et (xv) de l’Art. 8(2)(b) du Statut. Cependant, compte tenu de la différence entre les deux actes, on peut s’interroger sur le bien fondé de cette fusion qui n’apparaît pas autrement nécessaire. La fusion porte en effet d’une part sur le fait de « déclarer éteints, suspendus ou non recevables en justice des droits et actions » et d’autre part sur le fait de « contraindre des nationaux de la partie adverse a prendre part aux opérations de guerre dirigées contre leur pays ». 15 : Cet alinéa fusionne également deux alinéas du Statut (xvii et xviii) ce qui ne pose pas de problème. Entre 21 et 22 : L’alinéa xxvi de l’Art. 8(2)(b) du Statut semble avoir été omis et devrait être inséré à ce niveau : « Le fait d’affamer délibérément des civils, comme méthode de guerre, en les privant de biens indispensables à leur survie, notamment en empêchant l’arrivée des secours prévus par les Conventions de Genève. » 22 : Cette disposition doit être particulièrement saluée pour son caractère progressif puisqu’elle va au-delà du Statut de Rome et prend en compte les dispositions du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, que le Sénégal a signé le 8 septembre 2002, en augmentant la limite d’âge pour la conscription ou l’enrôlement d’enfants de 15 à 18 ans. Elle permet une meilleure protection juridique des enfants dans les conflits armés10. Le Statut de Rome considère que l’enrôlement ou la conscription d’enfants de moins de quinze ans constitue un crime de guerre. Le droit international coutumier considérait jusqu’à très récemment que l’interdiction visait strictement toute personne âgée de moins de 15 ans mais laissait une certaine marge de manoeuvre aux Etats en ce qui concerne les personnes âgées de 15 à 18 ans. L’article 38 de la Convention sur les droits de l’enfant prévoit notamment que: “1. Les Etats parties s'engagent à respecter et à faire respecter les règles du droit humanitaire international qui leur sont applicables en cas de conflit armé et dont la protection s'étend aux enfants. 2. Les Etats parties prennent toutes les mesures possibles dans la pratique pour veiller à ce que les personnes n'ayant pas atteint l'âge de quinze ans ne participent pas directement aux hostilités. 3. Les Etats Parties s'abstiennent d'enrôler dans leurs forces armées toute personne n'ayant pas atteint l'âge de quinze ans. Lorsqu'ils incorporent des personnes de plus de quinze ans mais de moins de dix-huit ans, les Etats parties s'efforcent d'enrôler en priorité les plus âgées. (…).” Les articles 77(2) du Protocole additionnel I et 4(3)(c) du Protocole II aux Conventions de Genève vont dans le même sens. De plus, seule la participation directe aux hostilités des moins de 15 ans et leur enrôlement étaient couverts par ces dispositions, à défaut de la participation indirecte. Le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, adopté le 25 mai 2002, et signé par le Sénégal le 8 septembre 2002, renforce la protection des enfants dans les conflits armés. Les Etats parties s’engagent notamment à prendre toutes les mesures pour que les membres de leurs forces armées de moins de 18 ans ne participent pas directement aux hostilités (Art. 1). L’enrôlement obligatoire des moins de 18 ans dans les forces armées est interdit (Art. 2) et les Etats Parties sont tenus de relever l’âge de l’enrôlement volontaire au-delà de l’âge minimum de 15 ans (art. 3). Il faut également signaler l’article 22 de la Charte africaine sur les droits et le bien être de l’enfant de 1990 (entrée en vigueur le 29 novembre 1999 –Document de l’OUA CAB/LEG/24.9/49). Pour plus d’information, voire le site du CICR (« protection juridique des enfants dans les conflits armés »), le site de l’UNICEF (« Convention relative aux droits de l’enfant et Protocole facultatif concernant le relèvement de l’âge minimal d’enrôlement dans les forces armées ») ainsi que le chapitre 3 de l’ouvrage publié par No Peace Without Justice et UNICEF Innocenti Research Center, International Criminal Justice and Children, septembre 2002. Alinéa (c) de l’article 431-3 : - Chapeau : Il sera nécessaire de penser à corriger la faute de frappe à l’avant dernière ligne du chapeau et de remplacer « malade » par « maladie ». Deux autres erreurs de frappe dans le chapeau : (1) il s’agit bien des conventions de 1949 (et non pas 1945) ; (2) ajouter « à savoir » entre ‘1949’ et ‘l’un quelconque des actes ci-dessous… » En l’absence de la conjonction ‘à savoir’, la rédaction du projet fait faussement apparaître les violations graves de l’article 3 commun…comme une chose et les actes énumérés en dessous du chapeau comme une tout autre chose. - 1. Les termes de cet alinéa diffèrent quelque peu de ceux de l’alinéa i) de l’Art. 8(2)(c) mais ils semblent couvrir les mêmes actes. Il serait cependant souhaitable, pour éviter toute confusion, soit de reprendre les termes du Statut, soit de préciser «l’homicide volontaire sous toutes ses formes, les atteintes à l’intégrité physique sous toutes leurs formes notamment les mutilations, les traitements cruels et la torture ». Alinéa (d) de l’article 431-3 : il s’agit bien de l’alinéa (c) et non pas de l’alinéa (b) qui s’applique aux conflits armés ne présentant pas un caractère international. Alinéa (e) de l’article 431-3 : - 11. Faute de frappe : « d’une autre partie » devrait remplacer « d’un autre parti » - Après 12 : il faudrait préciser qu’il s’agit d’un alinéa (f). Autres crimes de droit international : L’article 431-5 du projet incorpore également les autres crimes de droit international non prévus par le Statut et notamment le droit humanitaire dît de « La Haye ». Cette disposition est la bienvenue car elle permettra la répression de l’ensemble des crimes de guerre prévus en vertu du droit international humanitaire. Elle vient donc compléter un des défauts du Statut de Rome et procéder à la mise en œuvre d’autres conventions de droit international humanitaire en droit sénégalais11. Deux remarques cependant : (1) Toutes les conventions mentionnées à l’article 431-5 sont destinées à la protection de personnes et biens en période de guerre. Il s’agit donc strictement des crimes de guerre. Une suggestion serait dès lors de modifier l’intitulé en parlant de « Autres crimes de guerre ». (2) D’autre part, la rédaction du chapeau de l’article 431-5 suggère que les activités visées sont criminalisées uniquement lorsqu’elles sont commises à l’occasion d’une guerre à laquelle le Sénégal est partie. Or il est important d’inclure les situations dans lesquelles des soldats sénégalais, par exemple, seraient engagés (par exemple comme 11 D’autres Etats parties comme le Canada, l’Argentine et les Pays Bas ont adopté une telle démarche. membre d’une force internationale) dans un conflit auquel le Sénégal n’est pas partie. C’est l’idée que le Sénégal doit être partie aux conventions énumérées qui doit être exprimée dans la nouvelle rédaction. En conséquence, le chapeau serait modifié comme suit : « Constitue un crime de guerre le fait de commettre une activité interdite par un des Conventions et Protocoles de droit international humanitaire ci-dessous auxquels le Sénégal est partie et destinés à la protection des blessés, des malades ou naufragés, au traitement des prisonniers de guerre, à la protection des personnes civiles ou des biens culturels en cas de conflit armé. » B. PRINCIPES GENERAUX DU DROIT 1. Imprescriptibilité : Pas de commentaire particulier. Déjà pris en compte à l’article 431-7 2. Personne responsable : Les dispositions des articles 45 et 46 du code pénal sont dans l’ensemble conformes à celles de l’article 25 du Statut de Rome. Deux changements importants sont néanmoins nécessaires: (a) il est important d’ériger l’incitation directe à commettre le génocide en un crime à part entière conformément à l’article 25(3)(e) du Statut de Rome afin qu’elle ne soit pas un simple mode de participation au crime au sens de l’article 46 du code pénal. Un article 431-8 peut ainsi être ajouté qui serait rédigé comme suit : « Par dérogation à l’article 46 alinéa 1er du présent Code, celui qui aura incité directement et publiquement autrui à commettre le génocide tel que défini à l’article 431-1 du présent Code sera puni comme auteur principal du crime d’incitation au génocide. » (b) Il faudrait ensuite harmoniser l’âge de la majorité pénale de l’article 52 du code pénal avec celle de l’article 26 du Statut de Rome pour éviter la situation paradoxale où une personne poursuivie devant la Cour pénale internationale pour un crime du Statut de Rome est considérée comme irresponsable en raison de son âge alors que la même personne encourt des condamnations pénales devant les juridictions sénégalaises pour les mêmes faits. 3. Responsabilité des chefs militaires et des supérieurs hiérarchiques : Ajouter un article 431-9 qui reprendrait, mutatis mutandis, l’article 28 du Statut de Rome : (i) en omettant la première phrase de l’article 28 du Statut de Rome, et (ii) en remplaçant systématiquement le membre de phrase ‘des crimes relevant de la compétence de la Cour’ par ‘des crimes définis dans le présent Chapitre’. 4. Ordre hiérarchique et commandement de la loi Ajouter un article 431-10 rédigé de la manière suivante : « Par dérogation à l’article 315 du présent Code, l’ordre de la loi et le commandement de l’autorité légitime n’exonèrent pas une personne de la responsabilité pour les crimes définis dans le présent chapitre, à moins que : i) cette personne n’ait eu l’obligation légale d’obéir aux ordres du supérieur en question ; ii) cette personne n’ait su que l’ordre était illégal ; iii) l’ordre n’ait pas été manifestement illégal. L’ordre de commettre un génocide ou un crime contre l’humanité est toujours manifestement illégal.» C. DETERMINATION DES PEINES L’article 431-6 se lit : « Les infractions aux articles 431-1 à 431-5 ci-dessus ayant entraîné la mort sont punies de la peine capitale. Dans tous les autres cas elles sont passibles d’une peine de travaux forcés à perpétuité ou à temps de 10 à 20 ans. » Le principe en matière de détermination des peines pour les crimes du Statut de Rome est la liberté reconnue dans ce domaine aux Etats parties. Ce principe est traduit à l’article 80 du Statut qui autorise les Etats à appliquer les peines « que prévoit leur droit interne » même lorsque ce droit interne « ne prévoit pas les peines prévues dans le présent chapitre » du Statut. En usant de cette liberté les Etats doivent évidemment faire attention à ne pas heurter d’autres principes de valeur égale ou supérieure, notamment des principes destinés à garantir une bonne administration de la justice ou à protéger les droits de la défense. Or, l’article 431-6 du projet soulève, à cet égard, des difficultés de plusieurs ordres qui ont déjà été identifiées et discutées par ailleurs12 et qui touchent précisément aux principes de la bonne administration de la justice et aux droits de la défense. D’un côté, une catégorie des peines du code pénal sénégalais parait trop sévères et trop radicales alors qu’une autre catégorie des peines paraissent trop légères pour ces crimes. La première de ces difficultés est liée à l’application de la peine capitale. Sans ouvrir le débat sur la légitimité de cette peine,13 il faut constater que son application soulève une difficulté majeure de la bonne administration de la justice, à savoir que pour les mêmes faits une personne encourt la peine capitale si elle comparait devant les juridictions 12 Lire, notamment, le document préparé par ONDH et LCHR, ‘‘La Cour pénale internationale et le Sénégal: directives pour la mise en oeuvre du statut de Rome au Sénégal” (Octobre 2001) et les discussions lors du séminaire tenu le même mois à Dakar sur le même sujet. 13 De nombreux pays, dont l’Afrique du Sud, le Mali et la RDC, ont récemment ouvert un débat public sur la légitimité de la peine capitale, qui a abouti dans le cas des deux premiers à l’abolition de cette peine. Le ministre des Droits humains de la RDC a récemment indiqué que son gouvernement réfléchissait sérieusement sur cette question. Au Sénégal, les participants à la conférence de Dakar sur la mise en œuvre du Statut de Rome ont constaté que la peine de mort est abolie de facto depuis plusieurs années ; ils ont ainsi recommandé « de saisir l’opportunité de la loi de mise en œuvre pour abolir de jure la peine de mort. » sénégalaises et au maximum la peine d’emprisonnement à perpétuité si elle comparait devant la Cour pénale internationale. Cette difficulté peut peser en cas de conflit de compétence envisagé aux articles 19 du Statut de Rome et ‘A10’ du projet de loi modifiant le Code de procédure pénale. Tout comme la peine de mort, celle des ‘travaux forcés’ – surtout à perpétuité -- pose à l’évidence un problème de leur caractère cruel, inhumain et dégradant. Il faudra considérer de débattre du mérite du maintien de cette peine dans l’arsenal criminel sénégalais en prenant en compte le fait que de nombreuses législations ont récemment aboli cette peine.14 La seconde difficulté est liée à l’échelle des peines dans le droit sénégalais en général. Après la mort et les travaux forcés à perpétuité, l’article 7 du CP cite les travaux forcés à temps et la détention criminelle, en indiquant que ces deux dernières peines ne peuvent excéder un maximum de 20 ans (articles 17 et 18 du CP). Le droit sénégalais ne connaît donc pas de peine de détention criminelle à perpétuité et le maximum auquel un juge puisse condamner à la prison à temps est de 20 ans. Si donc, comme cela semble être le parcours inévitable, le droit sénégalais évolue dans le sens de l’abolition prochaine de la peine capitale et des travaux forcés, le maximum auquel un auteur de crimes contre l’humanité, de crime de guerre ou de génocide pourra être condamné sera de 20 ans d’emprisonnement. Cette peine paraît trop légère pour le caractère particulièrement grave des crimes introduits dans le code pénal par ce projet de loi. C’est pourquoi les participants à la Conférence internationale de mise en œuvre du Statut de Rome au Sénégal (Octobre 2001), après avoir constaté « que les peines prévues pour les infractions de droit commun sont inadaptées aux crimes internationaux », ont recommandé « que les peines applicables aux crimes du Statut soient introduites dans le Code Pénal » sénégalais. Ils ont également recommandé « que ces peines reflètent la gravité des crimes, notamment au regard du principe de complémentarité, afin que l’Etat ne puisse pas se voir opposer par la Cour qu’il a voulu soustraire un individu à sa responsabilité pénale en vertu de l’article 17 du Statut. » Nous recommandons donc : • La modification des articles 7 et 18 du Code pénal dans le but (i) d’introduire la peine d’emprisonnement à perpétuité et (ii) d’étendre à 30 ans la durée maximum de la peine d’emprisonnement à temps ; • La modification, en conséquence, de l’article 431-5. 14 C’est le cas du nouveau Code pénal du Mali (article 4).