TGI Paris 11.12.2012, CFDT, CFT et CFE-CGC c

Transcription

TGI Paris 11.12.2012, CFDT, CFT et CFE-CGC c
TRIBUNAL
D E GRANDE
INSTANCE
DE PARIS

1/4 social
N° RG :
12/10413
N° MINUTE :
PAIEMENT
JUGEMENT
rendu le 11 décembre 2012
A. L.
Assignation du :
16 juillet 2012
1
DEMANDERESSES
Fédération Générale des Mines et de la Métallurgie CFDT
47/49 Avenue Simon Bolivar
75019 PARIS
Fédération des Travailleurs de la Métallurgie CGT
263 rue de Paris
93514 MONTREUIL CEDEX
Fédération de la Métallurgie CFE-CGC
33 avenue de la République
75011 PARIS
représentées par Me Béatrice BURSZTEIN de la SCP LEGRAND
BURSZTEIN BEZIZ AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, avocat
postulant, vestiaire #P0469, Me Laurent BEZIZ de la SCP LBBa,
avocat au barreau de RENNES, avocat plaidant
DÉFENDERESSES
Société ALCATEL LUCENT FRANCE
3 avenue Octave Gréard
75007 PARIS
Expéditions
exécutoires
délivrées le:
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DECISION DU 11 DECEMBRE 2012
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N°
Société ALCATEL LUCENT
3 avenue Octave Gréard
75007 PARIS
représentées par Me Catherine DAVICO-HOARAU de la SCP
COBLENCE ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire
#P0053
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Madame Anne LACQUEMANT, Vice-Président
Président de la formation
Madame Florence BUTIN, Vice-Président
Madame Cécile SORIANO, Juge
Assesseurs
assistées de Elisabeth AUBERT, Greffier
DÉBATS
A l’audience du 23 octobre 2012 tenue en audience publique devant
Madame LACQUEMANT et Madame BUTIN, magistrats rapporteurs,
qui, sans opposition des avocats, ont tenu l’audience, et, après avoir
entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au tribunal,
conformément aux dispositions de l’article 786 du code de procédure
civile
JUGEMENT
Prononcé en audience publique
Contradictoire
En premier ressort
__________________
A la suite d’une assignation délivrée à jour fixe le 16 juillet 2012 à la
société Alcatel Lucent et à la société Alcatel Lucent France, la
Fédération Générale des Mines et de la Métallurgie CFDT, la
Fédération des Travailleurs de la Métallurgie CGT et la Fédération
de la Métallurgie CFE-CGC, aux termes de leurs dernières
conclusions notifiées par la voie électronique le 15 octobre 2012,
demandent au tribunal, au visa des articles L. 242-8 et L. 2242-3 du
code du travail, de :
- dire et juger qu’en décidant unilatéralement dès le 31 janvier 2012 de
n’accorder aucune augmentation de salaire au titre de l’année 2012
autre que celles imposées dans certains pays par la loi ou les accords
collectifs et en annonçant cette décision aux salariés de la société
Alcatel Lucent France notamment, alors que la négociation annuelle
obligatoire sur les salaires effectifs était en cours au sein de la société
Alcatel Lucent France, les sociétés Alcatel Lucent et Alcatel Lucent
France ont méconnu l’obligation de loyauté dans la négociation définie
à l’article L. 2242-3 du code du travail,
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- condamner solidairement les sociétés Alcatel Lucent France et Alcatel
Lucent à verser à chaque organisation syndicale requérante la somme
de 100.000 euros à titre de dommages et intérêts,
- ordonner, à titre de réparation complémentaire, la publication du
dispositif du jugement sollicité, aux frais exclusifs et solidaires des
sociétés Alcatel Lucent et Alcatel Lucent France, au sein de deux
publications de presse au choix des syndicats requérants,
- assortir le jugement de l’exécution provisoire,
- condamner solidairement les sociétés Alcatel Lucent et Alcatel Lucent
France à verser à chacun des syndicats requérants la somme de
3.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de
procédure civile.
Les organisations syndicales exposent à l’appui de leurs demandes
qu’alors que la négociation collective annuelle obligatoire sur les
thèmes définis à l’article L. 2242-8 et suivants du code du travail et en
particulier sur les salaires effectifs, avait été engagée le 19 janvier 2012
au sein de la société Alcatel Lucent France, filiale de la société Alcatel
Lucent, et qu’une seconde réunion devait se tenir le 14 février 2012 à
la suite de l’annonce des résultats annuels du groupe, la direction des
ressources humaines du groupe a annoncé à l’ensemble des salariés du
groupe la décision de n’accorder aucune augmentation de salaires au
titre de l’année 2012 à l’exception de celles imposées dans certains pays
par la loi ou les accords collectifs.
Elles soutiennent que l’employeur a manqué au principe de la loyauté
des négociations et a enfreint les dispositions de l’article L. 2243-3 du
code du travail, faisant valoir que la décision du groupe doit être
considérée comme une décision de l’employeur des salariés de la
société Alcatel Lucent France.
Sur le moyen d’irrecevabilité opposé aux demandes dirigées contre la
société Alcatel Lucent, les organisations syndicales indiquent que cette
dernière société, société de tête du groupe mondial Alcatel qui contrôle
notamment la société Alcatel Lucent France, a été assignée en raison de
sa participation personnelle à la faute invoquée, la circonstance selon
laquelle elle ne serait pas tenue de conduire les négociations annuelles
obligatoires au sein de sa filiale étant indifférente, qu’en arrêtant des
décisions relatives à la rémunération du personnel de l’ensemble du
groupe, et au cas d’espèce de la société Alcatel Lucent France, elle a
exercé l’une des prérogatives essentielles de l’employeur tenant à la
détermination des niveaux de rémunération des salariés, son immixtion
dans les relations sociales au sein de sa filiale étant établie et d’ailleurs
non contestée.
Aux termes de leurs dernières conclusions signifiées le
19 octobre 2012, les sociétés Alcatel Lucent France et Alcatel
Lucent soulèvent l’irrecevabilité des demandes formées à l’encontre de
cette dernière société au motif que les organisations syndicales n’ont ni
qualité ni intérêt à agir pour contester les conditions dans lesquelles se
sont déroulées les négociations auxquelles cette société n’était pas
partie.
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Sur le fond, elles s’opposent à la demande et soutiennent que les
prescriptions légales encadrant les négociations annuelles obligatoires
ont été respectées et qu’il n’existe nulle déloyauté à avoir annoncé
aux organisations syndicales dès le début des négociations, soit le
19 janvier 2012, qu’aucune augmentation ne pourrait être accordée
compte tenu de la situation économique de la société Alcatel Lucent
France et du groupe Alcatel et d’avoir maintenu cette position à l’issue
des négociations, que l’information des salariés faite par le groupe le
31 janvier 2012, soit après la première réunion de négociation
obligatoire du 19 janvier, selon laquelle il avait été décidé de limiter les
augmentations de salaire aux seuls pays où elles sont obligatoires de par
la loi ou les accords collectifs, n’affecte pas la loyauté de la négociation
en cours au sein de la société Alcatel Lucent France.
Subsidiairement, les défenderesses font valoir que le montant des
sommes réclamées à titre de dommages et intérêts n’est pas justifié, ni
davantage la demande de publication qui ne repose sur aucun
fondement.
A titre reconventionnel, elles sollicitent la condamnation de chaque
organisation syndicale demanderesse à leur verser à chacune la somme
de 3.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code
de procédure civile.
Pour un plus ample exposé de l’argumentation des parties, il est
renvoyé, en application des dispositions de l’article 455 du code de
procédure civile, à leurs dernières conclusions précitées.
MOTIFS
Attendu que les articles L. 2242-1 à L. 2242-4 du code du travail
définissent les modalités de la négociation obligatoire au sein des
entreprises où sont constituées une ou plusieurs sections syndicales
d’organisations représentatives, les articles L. 2242-5 et suivants
précisant les thèmes sur lesquels doivent porter les négociations
annuelles obligatoires ;
Attendu que l’article L. 2243-3 du travail dispose que “tant que la
négociation est en cours conformément aux dispositions de la présente
section, l’employeur ne peut dans les matières traitées, arrêter de
décisions unilatérales concernant la collectivité des salariés, sauf si
l’urgence le justifie” ;
Que ces dernières dispositions sont la traduction dans la loi d’un aspect
du principe de loyauté qui doit présider aux négociations collectives ;
Attendu qu’en l’espèce, la société Alcatel Lucent France a,
conformément aux dispositions de l’article L. 2242-1 du code du
travail, engagé pour l’année 2012 les négociations obligatoires sur les
thèmes définis aux articles L. 2242-5 à L. 2242-10, et notamment sur
les salaires effectifs, en convoquant l’ensemble des organisations
syndicales représentatives à la première réunion fixée le 19 janvier 2012
à l’occasion de laquelle il n’est pas contesté que les documents utiles
ont été remis aux syndicats ;
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Que la direction a annoncé dès cette réunion sa position sur la question
des salaires à savoir, selon les termes du procès-verbal : pas
d’augmentation de salaire sur 2012/gel des salaires, et ce en raison
d’un contexte difficile pour l’entreprise notamment sur la trésorerie,
d’une situation très fragile et d’une baisse des ventes en Europe ;
Que la direction des ressources humaines du groupe Alcatel Lucent a
annoncé le 31 janvier 2012 à l’ensemble des salariés du groupe, ce
compris les salariés de la société Alcatel Lucent France, que la décision
avait été prise par le comité exécutif de limiter les augmentations de
salaires aux seuls pays où elles sont obligatoires de par la loi ou les
accords collectifs (au minimum requis) ou dans certains cas très
exceptionnels ;
Que lors de la seconde réunion de négociation qui s’est tenue au sein
de la société Alcatel Lucent France 14 février 2012, l’employeur a
confirmé la décision de maintenir sa décision de contenir la masse
salariale ainsi qu’il ressort des termes du projet de procès-verbal de
désaccord établi par la direction de la société Alcatel Lucent France ;
SAur la recevabilité
Attendu que les syndicats qui invoquent à l’appui d’une demande de
dommages et intérêts l’existence d’un comportement fautif de la
direction du groupe Alcatel Lucent à l’occasion des négociations
menées par la société Alcatel Lucent France, ont qualité et intérêt à agir
à l’encontre de la société Alcatel Lucent pour obtenir sa condamnation
au paiement de dommages et intérêts en réparation de l’atteinte alléguée
aux intérêts collectifs de la profession ;
Que la circonstance que les négociations en cause aient été engagées au
sein de la société Alcatel Lucent France et non au sein de la société
Alcatel Lucent est sans incidence sur la recevabilité de l’action dirigée
à l’encontre de cette dernière ;
Que le moyen d’irrecevabilité sera rejeté ;
Sur la demande de dommages et intérêts
Attendu qu’il n’est pas reproché à la direction de la société Alcatel
Lucent France, dans le cadre de la présente procédure, d’avoir indiqué
aux organisations syndicales le 19 janvier 2012, lors de la première
réunion de négociations, qu’il n’était pas envisageable d’augmenter les
salaires en 2012, ni de n’avoir pas accordé d’augmentation de salaire en
2012, mais d’avoir arrêté cette décision le 31 janvier 2012 en
l’annonçant aux salariés alors que les négociations étaient toujours en
cours ;
Attendu que la réalité de la décision unilatérale ainsi annoncée par la
direction des ressources humaines du groupe, dans les termes rappelés
précédemment, n’est pas contestée ;
Qu’il n’est pas davantage discuté que cette décision s’imposait à la
société Alcatel Lucent France ;
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Attendu que la décision de ne pas augmenter les salaires en 2012
arrêtée unilatéralement, en l’absence d’urgence caractérisée, par la
société Alcatel Lucent, qui s’est alors comportée comme un
coemployeur des salariés de la société Alcatel Lucent France, et
annoncée à l’ensemble des salariés par la direction du groupe alors que
des négociations étaient en cours sur ce thème au sein de cette dernière
société, constitue une violation des dispositions de l’article L. 2243-3
du code du travail précité ;
Que ce manquement aux dispositions légales qui ont vocation à assurer
l’expression du droit syndical a porté atteinte au principe de loyauté qui
doit prévaloir dans la conduite des négociations en cours et constitue
une faute engageant la responsabilité de la société Alcatel Lucent,
auteur de l’annonce de la décision alors qu’elle ne pouvait ignorer que
des négociations étaient engagées, ainsi que celle de la société Alcatel
Lucent France avec laquelle étaient menées les négociations et qui a fait
sienne cette décision ;
Attendu que la décision prise prématurément par l’employeur de ce que
les salaires seraient gelés alors que la question était supposée en
discussion, traduit une désinvolture certaine et un manque de
considération à l’égard des organisations syndicales et de l’action
qu’elles mènent dans l’intérêt des salariés à l’occasion des négociations
obligatoires, portant atteinte au crédit et à l’image de ces dernières et
leur causant ainsi un préjudice certain ;
Que ce préjudice sera justement réparé par l’octroi à chacune des
organisations syndicales demanderesses d’une somme de 8.000 euros
à titre de dommages et intérêts ;
Sur la publication du jugement
Attendu que la réparation complémentaire, sollicitée sous la forme
d’une publication du jugement par voie de presse, n’apparaît pas
justifiée ;
Que la demande formée de ce chef sera rejetée ;
Sur l’article 700 du code de procédure civile
Attendu que les sociétés Alcatel Lucent et Alcatel Lucent France qui
succombent doivent être condamnées in solidum aux dépens et à verser
à chacune des demanderesses la somme de 1.000 euros en application
des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
Sur l’exécution provisoire
Attendu que les circonstances de l’espèce ne justifient pas que soit
ordonnée l’exécution provisoire de la présente décision ;
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PAR CES MOTIFS
Statuant en audience publique, par jugement contradictoire et en
premier ressort,
Déclare les demandes recevables ;
Condamne in solidum la société Alcatel Lucent et la société Alcatel
Lucent France à verser à chacune des organisations syndicales
demanderesses la somme de 8.000 euros (huit mille euros) à titre de
dommages et intérêts ;
Rejette la demande tendant à la publication du jugement ;
Condamne in solidum la société Alcatel Lucent et la société Alcatel
Lucent France à verser à chacune des organisations syndicales
demanderesses la somme de 1.000 euros (mille euros) en application
des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
Dit n’y avoir lieu à exécution provisoire ;
Condamne in solidum la société Alcatel Lucent et la société Alcatel
Lucent France aux dépens.
Fait et jugé à Paris le 11 décembre 2012
Le Greffier
E. AUBERT
Le Président
A. LACQUEMANT
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