Les Saints de la Cathédrale de Monreale en Sicile. Iconographie
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Les Saints de la Cathédrale de Monreale en Sicile. Iconographie
Sélection d’ouvrages présentés en hommage lors des séances 2013 de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. J’ai l’honneur de déposer sur le bureau de l’Académie l’ouvrage de Mme Sulamith Brodbeck intitulé Les Saints de la Cathédrale de Monreale en Sicile. Iconographie, hagiographie et pouvoir royal à la fin du XIIe siècle, publié en décembre 2010 dans la Collection de l’École Française de Rome, n° 432, comprenant 771 pages et de très nombreuses figures et illustrations, dont beaucoup en couleurs, qui facilitent grandement l’utilisation de ce livre. Cet ouvrage, qui est la publication d’une thèse de doctorat dirigée par Mme Catherine Jolivet-Lévy (Université de Paris-I, Hautes Études), renouvelle en grande partie l’interprétation traditionnelle de l’iconographie de Monreale. Prenant appui sur un corpus très détaillé des 174 saints représentés dans cette église (p. 283-769) et identifiés par une inscription latine, cet ouvrage s’interroge sur le message iconographique de cette église somptueuse, initiative du roi Guillaume II (1166-1189), cathédrale royale et monastique, vouée à devenir un mausolée dynastique, « le plus vaste édifice décoré en mosaïques de l’Occident médiéval ». Rejetant la « byzantinisation » excessive de certaines recherches antérieures, Mme Brodbeck essaie d’interpréter ce magnifique décor à la lumière des ambitions de son royal donateur. L’étude du programme hagiographique, unique et cohérent, va lui fournir plusieurs clefs (qu’elle appelle « de grandes lignes directrices ») menant à une interprétation nouvelle des images et de leur fonction dans l’espace. La première partie présente à grands traits la cathédrale et son décor hagiographique. Tout d’abord, l’église et le monastère, sa fondation par Guillaume II et son appel pour peupler le monastère aux moines de Cava di Tirreni en 1776, fondée par un disciple d’Odilon de Cluny et maître spirituel de Didier du Mont-Cassin, Alfier (dont le neveu séjourne aussi quelque temps à Cluny). Puis, Mme Brodbeck décrit brièvement l’ensemble du programme hagiographique et ses particularités par rapport à la Martorana, la Chapelle Palatine et Cefalu (p. 27-46). L’auteur insiste sur l’importance des saints « d’origine française », sur celle des saints locaux, c’est à dire « originaires de Sicile et d’Italie » et sur celle, nouvelle, des saints bénédictins. Elle a pour contrepartie la suppression de saints byzantins. La seconde partie, Monreale au cœur de la Méditerranée, fait ressortir la spécificité de cette cathédrale par rapport aux autres mosaïques siciliennes en raison des choix politiques et ecclésiaux du souverain. La politique extérieure de Guillaume II est marquée par le traité de la Paix de Venise de 1177 qui manifeste une « entente » entre le Saint-Siège, l’empire germanique et la couronne sicilienne. Le choix et l’emplacement de certains saints (saintes patronnes de Rome dans le transept sud, sainte Odile de Hohenbourg dans le bas-côté Nord) peuvent se lire en correspondance avec ce traité. La représentation de Thomas Becket dans l’abside de Monreale, alors qu’en 1177 est célébré le mariage entre Guillaume II et Jeanne d’Angleterre, est une allusion forte à l’alliance avec les Plantagenet pour qui Thomas Becket, après sa www.aibl.fr 1 Sélection d’ouvrages présentés en hommage lors des séances 2013 de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. canonisation, cesse d’être l’ennemi pour gagner le statut de protecteur de la monarchie anglaise. En même temps, si les mosaïques manifestent l’attraction qu’éprouvent les souverains siciliens envers l’art de Byzance, une certaine rancune à l’égard du pouvoir byzantin se fait jour depuis la rupture humiliante des fiançailles du roi et de Marie, fille de l’Empereur Manuel Ier Comnène, en 1172. Celle-ci semble se traduire à Monreale dans la disposition du trône du roi qui l’amène à tourner le dos aux saints byzantins dans l’abside pour regarder les saints occidentaux placés dans la partie Sud de l’abside. Si le rituel et le mode de gouvernement imitent ceux de l’Empire byzantin, si l’on note même un renforcement des liens artistiques, l’imitation de ces traditions byzantines et la présence de hauts dignitaires grecs dans les sphères du pouvoir semblent correspondre plutôt à un souci politique d’appropriation en attendant une conquête territoriale, qui échoue en 1185 avec la défaite normande à Dimitritsa. Dans une troisième partie, intitulée Monreale, symbole de la christianisation et du pouvoir local, Mme Brodbeck se propose de montrer que l’iconographie de cette église, célèbre un siècle d’ancrage normand sur l’île, succédant à deux siècles de domination arabe. Elle met l’accent sur la christianisation et la latinisation de l’île. Les abords de l’abside sont réservés aux premiers martyrs siciliens, souvent en connexion avec l’Afrique : Agathe et Euple, vénérés à Catane dès l’époque constantinienne, Placide martyrisé à Messine et surtout Marcien, évêque de Syracuse. L’île a longtemps eu une revendication d’apostolicité. Saint Paul aurait prêché dans l’île (Act. 28, 12) et Saint Pierre aurait envoyé en Sicile trois évêques, Pancrace, Marcien et Maxime qui auraient été les fondateurs des églises orientales (Taormine, Syracuse et Catane). En 314, au concile d’Arles, l’évêque de Syracuse représentait l’île. Dans la propagande normande, Monreale célèbre une nouvelle christianisation de l’île, parallèle à la première, car elle a été construite sur un territoire à majorité musulman. Autre aspect : le monachisme bénédiction semble triompher à travers les représentations de saint Martin et d’autres saints fondateurs de grands monastères. On y voit également les images des défenseurs du monachisme bénédictin, reconnaissables à leur tonsure, Boniface, le fondateur de Fulda, et Thomas Becket, évoqué plus haut. Ces abbayes de Sicile et d’Italie du Sud constituaient selon Mme Brodbeck un instrument de contrôle de latinisation, notamment les abbayes de Cava et de Monreale dont les possessions sont situées dans des terres très byzantines. Alors que Roger II favorisait les moines grecs, Guillaume II soutient le clergé latin. Monreale concrétise un ancrage dans le paysage local avec l’intégration dans le décor de trente-quatre saints locaux. Il s’agit d’amalgamer ces derniers qui représentent les régions du Mezzogiorno (Pouilles, Calabre, Sicile, Abruzzes, Campanie) aux saints « nordiques » et aux saints « universels ». La quatrième partie propose un nouveau regard sur la cathédrale de Monreale. Les images sont d’abord remises à leur place dans le décor et permettent de reconnaître différentes divisions internes et les personnes à qui elles sont réservées (roi, moines, fidèles, espace à fonction funéraire). L’espace royal se concentre dans la partie Est de l’édifice entre les transepts et la solea, se répartissant entre un axe royal et un espace funéraire qui occupe les compartiments latéraux du transept. Le père du roi est inhumé dans le transept Sud dans un sarcophage de porphyre remployé; Guillaume II se trouve www.aibl.fr 2 Sélection d’ouvrages présentés en hommage lors des séances 2013 de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. dans un sarcophage plus récent du XVIe siècle juste à l’est du précédent. La chapelle Nord est familiale (tombeaux de la reine Marguerite et de ses enfants Roger et Henri). L’abbé – archevêque avait deux sièges, l’un dans l’abside correspondant à sa fonction d’abbé, l’autre, en face du trône royal pour siéger en tant qu’archevêque. Dans la barrière de chancel, à l’extrémité Sud se trouvaient deux ambons adossés, l’un tourné vers l’Est, l’autre vers l’Ouest. Les moines siégeaient entre le chancel et la solea. Les nefs étaient réservées aux fidèles, la nef centrale aux hommes, les nefs latérales peut-être aux femmes. Les images visibles de chaque partie étaient adaptées à leur public suivant un jeu assez subtil et encore ouvert à des interprétations multiples. L’étude du programme hagiographique peut aider à mieux définir la datation des décors (abside principale et ses abords durant la décennie 1170, les bras du transept débordant vers les années 1180 avec comme date butoir 1183, date de la mort de Marguerite de Navarre, pour le transept Nord. Guillaume II est l’unique promoteur et commanditaire et figure comme tel dans les deux panneaux au-dessus du trône royal et du trône épiscopal. Parmi les familiares regis, citons Richard Palmer, prélat anglais, qui patronne un certain nombre de projets artistiques et crée notamment un scriptorium à Messine, mais aussi la reine Marguerite, l’abbé Thibaud et Alfan de Capoue. Sur l’origine des mosaïstes, Mme Brodbeck ne croit plus à leur origine « byzantine » mais penche plutôt vers des artisans connaissant ce qu’on appellera bien plus tard « la maniera greca », provenant de Sicile ou d’Italie méridionale. Mme Brodbeck définit le style de ces mosaïques comme un ensemble formé de canons byzantins reformulés, d’une composante campanienne assimilée et d’un style dit tardo-comnène, avec également quelques influences nordiques dans les médaillons des saintes femmes. On retrouverait dans ce nouveau langage pictural aux multiples composantes l’équivalent de la synthèse iconographique complexe que Mme Brodbek a analysée avec autant de finesse. Cet ouvrage fait preuve de très grandes qualités dans la maîtrise des sources écrites et de tout le champ bibliographique, ainsi que d’une excellente connaissance de l’art médiéval tant byzantin qu’occidental. Tout en reconnaissant la part d’un langage byzantinisant, il ouvre la voie à une meilleure prise en compte des données historiques européennes ainsi que de la composante locale dans les choix iconographiques et stylistiques. Jean-Pierre SODINI Le 17 mai 2013 www.aibl.fr 3