La Tribune Origine

Transcription

La Tribune Origine
Origine de l'homme, origine des langues : retrospective et
perspectives
Jean Paul Demoule (Université de Paris I), Pierre Encrevé (EHESS), Bernard Laks
(Université de Paris Ouest) 1
1. Retrospective et perspectives
La réapparition d'un courant moderne de recherche concernant l'origine des langues et
leur évolution est un phénomène assez récent dans l'histoire scientifique contemporaine. On
pourrait en situer la source dans les travaux typologiques de Greenberg et leur reprise par
Ruhlen (Greenberg 1963, 1966, 1971, 1987, 2002, Greenberg et Ruhlen 1992) ainsi que dans
le croisement de ces taxinomies linguistiques avec les travaux de typologie génétique et de
génétique des populations initiés au début du siècle par Dobzhansky (1937) et développés
plus récemment par Cavalli-Sforza (1997, Cavalli-Sforza et al. 1992, 1994). Il s'agit bien
d'une résurgence car on sait que cette problématique de recherche fut dominante tout au long
du 19ème siècle, offrant avec les Jungrammatikers ses résultats scientifiques les plus
accomplis. A la fin du 19ème siècle, la Grammaire Historique et Comparée, et plus largement
la linguistique diachronique, devaient pourtant s'écrouler rapidement comme paradigmes
scientifiques dominants sous les coups conjugués des critiques internes et des courants
synchroniques structuralistes naissants qui proposaient d'en dépasser les principales apories.
Il est alors significatif que la réapparition de cette problématique se fasse en toute fin
du 20ème siècle sur des bases épistémologiques assez peu différentes, la génétique des
populations et un darwinisme linguistique assez classique, mais sans qu'aucun bilan critique,
positif et négatif, ne soit proposé de ce qui fût l'une des entreprises intellectuelles majeures du
siècle précédent et qui reste, par ses principaux résultats, au cœur de notre compréhension des
dynamiques linguistiques. Ceci revient à souligner l'immaturité méthodologique et
conceptuelle de ce nouveau paradigme anthropolinguistique qui se pense volontiers comme
marqué par le surgissement pur d'un questionnement interdisciplinaire et qui, à la manière des
intellectuels uniquement spéculatifs critiqués par Mannheim (1929) se voudrait 'sans attaches
ni racines'.
On trouvera l'un des signes de cette faiblesse méthodologique et historique dans le
rituel qui consiste à ouvrir toute publication récente consacrée à l'origine des langues par le
rappel de la fameuse interdiction d’en débattre qui figurait dans les statuts initiaux de la
Société de Linguistique de Paris en 1866. Peu importe que de nombreux travaux d'histoire et
d'épistémologie des sciences du langage aient depuis longtemps montré ce qui se jouait à
l'époque au plan politique et idéologique dans les sociétés savantes en concurrence
(Bergounioux 1994, 1996, 2002). Le rituel demeure comme une mise en scène doloriste de ce
nouveau courant interdisciplinaire. Pourtant cette fameuse interdiction, loin de prétendre faire
obstacle par obscurantisme au libre exercice de la pensée scientifique, comme cela est sous
1 Cet article est issu des travaux préliminaires que nous avions menés en vue de la publication de Laks et alii (2006). Nous
les reprenons ici dans une version française sensiblement modifiée. Nous dédions cet article à la mémoire de Serge Cleuziou,
membre de notre groupe de travail, ami trop tôt disparu.
1
entendu aujourd'hui, visait en fait le courant créationniste tenant, dans la mouvance
catholique, d’une origine divine du langage. L’interdiction toute politique donc fut d’ailleurs
rapidement levée. Et s’il fut peu question, dans les décennies suivantes, de l’origine du
langage au cours des réunions et dans les publications de l’honorable Société, c’est sans doute
que les raisons en étaient autres. La Grammaire Historique et Comparée, science allemande à
l’origine, prenait peu à peu pied en France. Le comparatisme se forgeait dans sa mouvance
une méthodologie linguistique rigoureuse tenant pour purement spéculative toute tentative de
dépasser l'horizon historique des attestations écrites, c'est-à-dire la barrière -5000 ans. En
préface à sa traduction de Bopp (1889), Michel Bréal fustige ainsi ces spéculations inutiles,
sans méthode et sans fondements, sur l’origine des langues et du langage, leur opposant la
rigueur du savant allemand. Bientôt, Saussure viendra prendre le relais (Saussure 1922, 1995,
2001, 2002) et la primauté du synchronique sur le diachronique règnera désormais pour
longtemps sur la jeune linguistique qui aura dès 1922, elle aussi, son association
internationale pour laquelle l'origine du langage n'est plus une question scientifique
constituée 2. Pour autant, on ne peut nier que la question des origines, en général, fût une des
grandes questions du 19ème siècle et il importe, pour éclairer sa résurgence sur la scène
contemporaine, d'en éclairer le phylum.
2. La fascination des origines : les grands récits originels
Jusqu’à l’orée du siècle suivant, tout le 19ème siècle, fut celui de la fascination des
origines et celui de la fabrication des grands récits originels. Au fur et à mesure que
s’accroissaient les découvertes de la préhistoire, de la paléontologie, de l’ethnologie, mais
aussi de la psychologie et de la biologie naissantes, et tandis que la lecture littérale de la Bible
perdait progressivement de son autorité, la question de l'origine de l'homme s'imposait sur la
scène intellectuelle. Ainsi, trouvant sa source dans les Lumières et les spéculations de
Rousseau (1755) ou de Condorcet (1793) sur l’origine des sociétés, voire du langage, Morgan
réunit dès 1877 les témoignages d'explorateurs, de soldats et de missionnaires portant sur des
centaines de sociétés dites « sauvages » et construit la première classification des systèmes de
parenté, fondant ainsi l’évolutionnisme ethnologique. Marx et Engels s’en inspireront
directement (Engels 1884). Les progrès rapides de la préhistoire permettent à Lubbock,
proche de Darwin, de dresser un premier tableau assez général (Lubbock 1871), tandis que
Tylor publie ses vastes fresques sur l'histoire de l'humanité et les cultures primitives (Tylor
1865, 1871). Avec le siècle nouveau, l’évolutionnisme spéculatif se développe puissamment,
marqué par les importants travaux de Westermarck (1906) ou d'Atkinson (Lang et Atkinson
1903) dont Freud s'inspirera directement lorsqu'il entreprendra de construire son propre récit
des origines (Freud 1913, 1939) 3. Ainsi, sur fond d'une puissante fascination pour la question
des origines, tout le 19ème et le début du 20ème siècle sont-ils marqués par les très nombreux
récits originels tour à tour proposés. Il n'est pas indifférent de souligner que les sciences
humaines et les sciences sociales contemporaines y trouveront leur véritable source. C'est en
définitive Darwin (Cf. en particulier Darwin 1859, 1871) et le darwinisme qui structureront ce
puissant champ de pensée et en constitueront le paradigme de référence 4.
2 Saussure écrit ainsi " La question de l’origine des langues n’a pas l’importance qu’on lui donne. Cette question n’existe
même pas. (Question de la source du Rhône : puérile !)" Cf. les sources manuscrites publiées par Bouquet et Engler :
Saussure (2001).
3 Les influences directes de ces travaux sur la sociologie naissante, et singulièrement sur Durkheim, sont également
importantes comme le montre le compte-rendu que donne Durkheim des travaux d'Atkinson (Durkheim 1903)
4Sur ce point Cf. le monumental dictionnaire du darwinisme de Tort (1996)
2
Dans le même temps, la Grammaire Historique et Comparée des langues indoeuropéennes continuait d’élaborer ses méthodes rigoureuses, qui allaient culminer avec
l’école néo-grammairienne des Jungrammatikers et son concept de lois phonétiques 5. Ce
courant rejetait à nouveau, et de façon explicite, toute spéculation sur la possible réalité
historique de ce que l'on reconstituait alors comme proto-indo-européen. Comme le souligne
avec force Meillet (1926) dans la logique structuraliste, le proto-indo-européen n'est rien
d'autre qu'un "système de correspondances 6". La question de l’origine et de l’incarnation
historique de ces langues perdurait pourtant, notamment dans le travail de Rask, co-fondateur
avec Bopp de la Grammaire Historique et Comparée. S'inspirant de la botanique et de la
méthodologie de Linné il proposait une classification des langues qui interrogeait la
coïncidence entre races et langues. Une convergence profonde entre racialisme, puis racisme,
et linguistique se fait ainsi jour qui se déploiera jusqu'au nazisme et à la seconde guerre
mondiale 7. A la suite de Rask, l'entreprise de naturalisation des taxinomies linguistiques est
reprise par Schleicher qui, lui-même botaniste, formalise finalement le Stammbaum et
interprète le simple "système de correspondances" comme un arbre désormais purement
généalogique, à la manière dont Darwin transformait, au même moment, le simple arbre
classificatoire botanique et zoologique de Linné en taxinomie généalogique permettant de
penser le temps et la dérive historique (i.e. the genetic drift). Dans ces approches, le temps
historique est désormais saisi comme un temps généalogique et les dynamiques culturelles et
sociales disparaissent de l'horizon scientifique, occultées par la transmission des gènes, les
lignages, le sang et l'identité ethnique.
L'entreprise de naturalisation de la langue, et donc de la linguistique, ouverte par le
Romantisme trouve ainsi son aboutissement. Le théoricien du Stammbaum (Schleicher 1861),
qui proclamait qu'il avait été darwinien bien avant Darwin, est particulièrement explicite
quant aux enjeux de cette naturalisation du linguistique. Dans sa lettre ouverte à Ernst Häckel,
zoologue, introducteur et diffuseur de Darwin en Allemagne, il écrit ainsi : "Les langues sont
des organismes naturels qui apparaissent sans être déterminés par la volonté humaine,
croissent et se développent selon des lois précises, puis vieillissent et meurent ; pour elles
aussi vaut cette série de manifestations que l'on comprend usuellement sous le nom de "vie".
La glottique, science du langage, est par conséquent une science naturelle ; sa méthode est
globalement et généralement celle des autres sciences naturelles" (Schleicher 1863, 7).
En passant de la taxinomie à la généalogie, de la langue à la race, cette naturalisation
du linguistique fait nécessairement retour sur l'archéologie et ses reconstructions, dès lors
conçues elles aussi dans un cadre réaliste. On en prendra pour seul exemple le célèbre
dictionnaire des antiquités indo-européennes, dans lequel Otto Schrader précise, en linguiste,
que la notion d’indo-européen (e.g. "indo-germanisch") est en elle-même "une notion avant
tout linguistique" mais poursuit son texte par une reconstruction détaillée de la civilisation
5 Pour un exposé méthodologique synthétique Cf. par exemple Vendryes (1923)
6 "Comme ils n'opèrent aussi en général que sur les langues communes reconstituées par hypothèse, les linguistes qui
reconstituent l'indo-européen se trouvent à un degré supérieur condamnés à un travail purement schématique. L'indoeuropéen des linguistes n'a aucune réalité concrète : ce n'est comme on l'a dit qu'un "système de correspondances". Il suit de
là que le plus savant connaisseur de l'indo-européen serait incapable d'exprimer dans cette langue une phrase aussi simple que
le "cheval court" ou "la maison est grande" Vendryes (1923, 330)
7 On pense par exemple aux travaux d'un des fondateurs de la phonétique, Van Ginneken, dont l'implication dans le nazisme
militant a été récemment portée au jour (Bonnot et Boë 2001). Sur le racisme phonétique cf. par exemple Van Ginneken
(1932, 1935)
3
matérielle et spirituelle des Indo-européens primitifs (Schrader 1901). Il en situe déjà le
berceau originel dans les steppes pontiques 8.
Il y a donc un paradoxe de la linguistique du 19ème siècle. La question de l’origine,
théoriquement et méthodologiquement déconstruite y est rejetée, ou du moins tenue hors
champ scientifique par les comparatistes les plus rigoureux. Pourtant, la naturalisation
darwienne et l'ensemble des métaphores qu'elle produit n'ont cessé de faire retour. Dans la
lignée du Romantisme, un réalisme spontané, faisant fond sur un scientisme génétique, n’a
cessé pendant tout le 19ème siècle de penser le peuple et la langue, la race et l'idiome, la lignée
et le patrimoine linguistique, l'histoire et le sang, les gènes et la culture. Le siècle a ainsi été
celui de la construction des grands récits originels, réactivant sans cesse, bien que la question
fut scientifiquement forclose, la question obsédante de l'origine.
3. Races et langues
L’année 1859 où Charles Darwin publiait son Origine des espèces était aussi celle de
la fondation de la Société d’Anthropologie de Paris. Créée par Paul Broca, elle réunissait de
nombreux médecins positivistes et s’intéressait, en séances comme dans son bulletin, aux
questions d’anthropologie physique, d’ethnologie et de préhistoire. Ces trois disciplines ne
deviendront véritablement autonomes qu’à la fin du 19ème siècle 9 et leur confusion s'observe
dans toutes les sociétés savantes en Europe à cette époque. Comme précisé dans ses statuts, la
question centrale qui occupait la Société était donc "l’étude scientifique des races humaines".
Cette étude impliquait logiquement celle de l’origine et du mode de diffusion des langues,
spécialement indo-européennes. Deux courants s'opposaient. Le courant français, emmené par
Broca lui-même, était hostile à la thèse défendue par une partie des savants allemands de
l’époque. Il combattait l’idée originelle d’une invasion indo-européenne accomplie par une
"race" blonde dolichocéphale. Pour les savants français, les français des origines étaient
manifestement brachycéphales et bruns. Ils auraient été locuteurs d'un indo-européen originel
ou bien auraient adopté cette langue par diffusion au contact de peuples divers. Pour étudier
scientifiquement les races humaines et en dresser une taxinomie, l'anthropologie disposait à
cette époque d'un instrument de mesure et d'une théorie classificatoire : la craniologie.
La seconde moitié du 19ème siècle fut en effet l’âge d’or de cette science des crânes,
fondement d'une science des races 10. Dès le siècle des Lumières la question raciale s'était
imposée. Reprenant la méthode de Linné, Blumenbach propose dans sa thèse doctorale de
1775 une première classification qui devait devenir mondialement célèbre (Blumenbach
1781). Petrus Camper la complète par un "indice facial" resté lui aussi célèbre (cf. Meijer
1999). En 1842, Anders Retzius ajoute un "indice céphalique" qui conduit à opposer races
brachy- et dolichocéphales 11, indice dont on connaît la postérité. Ainsi, tout au long du 19ème
siècle, la craniologie ne cesse de gagner en complexité et le nombre de races ne cesse de se
diviser, jusqu'aux grandes classifications de Ripley (1899) ou de Deniker (1900) 12.
8 L’ouvrage restera sans doute sans équivalent, dans son ambition, pendant un siècle, jusqu’à Mallory et Adams (1997) qui
d'ailleurs situent également le berceau indo-européen originel dans les steppes pontiques.
9Un exemple en est fourni par la création de la Société Préhistorique Française en 1903.
10Pour une étude historique récente Cf. Eigen et Larrimore (2006)
11On notera au passage qu'une des contestations les plus connues de la pertinence de cet indice céphalique est précisément
due à Franz Boas, anthropologue et linguiste, fondateur de la linguistique américaine. Son étude de la craniologie des
générations d'émigrants aux Etats-Unis (1912-1913) est reprise dans Boas (1940). C'est le même Boas qui dénonçait dès 1934
l'aryanisme nazi (Cf. Boas et ali. 1934)
12Pour une étude socio-historique de la raciologie Cf. Mucchielli (1997)
4
Toutefois, en réaction anticléricale, et contre le récit biblique des origines, les
médecins libres-penseurs qui constituent à cette époque le gros des troupes de l’anthropologie
physique défendent encore une polygénèse des races humaines qui implique une polygénèse
des langues. Cette opposition virulente au catholicisme s'exprime aussi, on l’a déjà dit, par le
fameux interdit de la Société de Linguistique de Paris.
C’est dans ce contexte idéologiquement clivé que le linguiste italien Alfredo
Trombetti entreprend la tâche de faire coïncider races et langues à partir d’un modèle
monogénétique (Trombetti 1905). Il situe dans l’Himalaya cette fois l’origine de l’humanité
toute entière et, à l’aide de cartes en couleur, retrace l’ensemble des migrations humaines qui
permirent la dispersion simultanée des langues et des races sur l’ensemble de la planète.
Malgré l'importance de l’information mobilisée, la synthèse de Trombetti qui entrecroise
grands récits évolutionnistes, hypothèses concernant l’origine des langues et craniométrie
recevra assez peu d’écho. Dès cette époque, chacune de ces perspectives scientifiques connaît
en effet un début de stérilisation qui conduira progressivement à les abandonner.
Il en est ainsi de la craniométrie qui, à force de multiplier les indices et les classes,
voyait son objet même se dissoudre. En proposant jusqu’à 5000 mesures différentes sur un
même crâne, la notion de type s'évanouissait. Plus le nombre de mesures augmentait, plus la
typologie raciale vacillait. Déjà Boas avait montré que la forme des crânes n'était pas stable
de génération à génération et que les pratiques alimentaires aidant, on pouvait passer d'un type
craniologique à un autre (Cf. supra note 10). Au début du 20ème siècle la craniologie et la
linguistique raciale sont en perte de vitesse sévère, d'abord dans le monde intellectuel anglosaxon puis en Allemagne, où Felix von Luschan 13 par exemple tranche définitivement
"Toutes les tentatives pour découper l'humanité en groupes artificiels en se fondant sur la
couleur de la peau, la longueur ou la largeur du crâne ou le type des cheveux etc., se sont
totalement fourvoyées" (Luschan 1922). Pour autant, la craniométrie ne disparaît pas
totalement. Marginalisée, elle survivra par exemple en France avec Henri Vallois et ses
élèves, jusque dans les années 1970 14. Mais elle ne constitue plus la théorie scientifique et la
méthode taxinomique qu'elle avait été au 19ème siècle. Pour les grands savants libéraux
qu'étaient Broca en France ou Virchow en Allemagne ce fut un instrument scientifique de
lutte contre l'obscurantisme clérical. Dès la fin du 19ème siècle elle se marginalise en devenant
l'un des arguments majeurs des grandes constructions idéologiques racistes et antisémites qui
fleurissent sur le terreau nationaliste. Son recyclage par le nazisme finira de la déconsidérer
avec tous travaux prétendument scientifiques à finalité raciale.
4. De la diachronie à la synchronie
Le tournant du 20ème siècle se marque d'une rupture fondamentale : les modèles
évolutionnistes et les dynamiques historiques saisies comme schèmes explicatifs s'effacent au
profit d'une vision synthétique et synchronique. La notion de système structuré et organisé
dont Mendeleiev avait illustré la fécondité dans son tableau périodique des éléments
chimiques en 1869 (cf. Kolodkine 1963) propose un nouveau paradigme qui trouve à
13 Felix von Luschan est à cette époque l'un des leaders de la discipline, ancien élève de Broca, il est Professeur
d'anthropologie à l'Université de Berlin
14 On se souvient que Fodor (1983) ouvre son analyse chomskyenne de la modularité de l'esprit par un exposé de la théorie
des facultés de Gall adossé à une craniologie assez tempérée.
5
s'appliquer dans tous les domaines de la connaissance. Cette pensée de "la totalité vue en
synchronie" débouche sur le concept de structure dont Sériot (1999) a montré qu'il était au
cœur de la pensée avant-gardiste, russe en particulier. La rupture vers la description et
l'analyse synchroniques mettent au premier plan la notion de système et de solidarité
structurale. Les sciences humaines en général, et les sciences sociales en particulier,
trouveront dans le concept de système conçu comme une structure structurée prédisposée à
fonctionner comme une structure structurante, pour paraphraser Bourdieu (1972), le schème
explicatif dont elles avaient besoin pour remplacer celui de la causalité historique. Dans cette
mise au jour des sciences sociales comme sciences des systèmes et des structures, dans cette
reconstruction des humanités dans un cadre structuraliste, la linguistique joue un rôle central.
On sait que Saussure attribuait à Whitney la réorientation dont est issue la linguistique
moderne. En soulignant avec force que la langue est une institution sociale, Whitney (1867)
reliait fermement l'analyse des langues à celle des systèmes sociaux et culturels. La
conception saussurienne du contrat social et du consensus sémiolinguistique fait ainsi
directement écho à la sociologie durkhémienne, et sa définition de la linguistique nouvelle
comme "la science qui étudie la vie des signes au sein de la vie sociale"(Saussure 1922, 34)
rattache définitivement la science du langage aux sciences anthropologiques et sociales.
Cet abandon du paradigme évolutionniste et historique était rendu possible par la
nouvelle valeur explicative que prenait la systématique dès lors qu'elle s'adossait à la notion
de structure. Dès l'origine de sa recherche, Saussure (1878) avait illustré avec un brio
exceptionnel la valeur explicative, et même heuristique, de la notion de système et de
structure relationnelle abstraite. On sait que le structuralisme, d'abord phonologique puis
linguistique, est justement issu d'une relecture post mortem de ces travaux et de la vulgate
qu'en ont donnée ses élèves en 1916. Dans les années vingt et trente, le Cercle Linguistique de
Prague devait ainsi contribuer à construire et diffuser une pensée structuraliste qui de proche
en proche gagnait toutes les sciences sociales. Les nombreuses relations intellectuelles que
Jakobson entretenait avec les jeunes penseurs de presque tous les secteurs des sciences
humaines en constituaient le creuset et l’approche synchronique des linguistes s’étendait peu à
peu aux autres sciences. Ethnologues et anthropologues abandonnent ainsi les grandes
fresques évolutionnistes rédigées à partir de témoignages écrits au profit de description
précises issues de travaux de terrain. (Cf. par exemple Boas et Stocking 1974, Haddon et
Hingston 1934, Radcliffe-Brown 1958), et c’est désormais à partir de descriptions
fonctionnelles concrètes que s'élaborent les modèles 15. Dans l'immédiat après-guerre, c'est en
finalement Levi-Strauss qui marque avec éclat l'avènement du structuralisme anthropologique
(Levi-Strauss 1947) en même temps qu'il signifie que le structuralisme, paradigme
linguistique au départ, est bien devenu le protocole explicatif de l'ensemble du mouvement
intellectuel et qu'il organisera la recherche internationale en sciences humaines de 1950 à
1970 au moins 16.
La rupture saussurienne dont le structuralisme, et avec lui la linguistique moderne,
sont issus est donc clairement une rupture avec une pensée toute entière préoccupée
d'évolution de changement et de lignage. Saussure rompt explicitement avec une forme
particulière de darwinisme linguistique illustrée par l'organicisme de Schleicher 17. Dans ses
15 On pense au fonctionnalisme de Malinowski (1922)
16 Pour une histoire du structuralisme Cf. par exemple Dosse (1991, 1993)
17 On sait que le Cours de Linguistique Générale tel que mis en forme par Bally et Séchehaye se termine précisément par une
critique explicite de Schleicher : "Tout en reconnaissant que Schleicher faisait violence à la réalité en voyant dans la langue
une chose organique qui porte en elle-même sa loi d'évolution, nous continuons, sans nous en douter, à vouloir en faire une
chose organique dans un autre sens, en supposant que le "génie" d'une race ou d'un groupe ethnique tend à ramener sans
cesse la langue dans certaines voies déterminées" (Saussure 1922, 305)
6
notes, il lui répond indirectement : "Non la langue n'est pas un organisme, elle n'est pas une
végétation qui existe indépendamment de l'homme, elle n'a pas une vie à elle entraînant une
naissance et une mort. Tout est faux dans la phrase que j'ai lue : la langue n'est pas un être
organisé, elle ne meurt pas d'elle même, elle ne dépérit pas d'elle même, elle ne croît pas, en
ce sens qu'elle n'a pas plus une enfance qu'un âge mûr ou une vieillesse et enfin elle ne naît
pas. […] Jamais on a signalé sur le globe la naissance d'une langue nouvelle. […] On dira que
nier dans ce sens qu'aucune langue soit née c'est jouer sur les mots, et qu'il suffit de définir ce
qu'on entend par naissance pour ne pouvoir nier la naissance ou le développement progressif
d'une langue comme l'allemand, le français. Je réponds que dans ce cas on joue sur un autre
mot qui est le mot langue ; en réalité la langue n'est pas un être défini et délimité dans le
temps ; on distingue la langue française et la langue latine, l'allemand moderne et le germain
d'Arminius […] et alors on admet que l'un commence et que l'autre finit quelque part, ce qui
est arbitraire. […] Toutes les langues se parlant à la même époque sont de même âge ; en ce
sens qu'elles remontent à un passé égal. […] si l'on veut c'est l'origine du langage "(Saussure
2001, 120-121). Certes, la rupture saussurienne et le structuralisme n'emportent pas tout avec
eux et la grammaire comparée subsiste, mais vidée de substance théorique et de contenu
modélisateur. Elle devient ainsi pratiquement intellectuellement invisible et on oublie sait peu
par exemple que Meillet est à l'origine, à la fin des années trente, de l'hypothèse du
nostratique que l'on verra resurgir avec éclat quelques trente ans plus tard 18.
5. Préhistoire et migrations
Au début du 20ème siècle, l’archéologie préhistorique suit un chemin comparable à
celui de la linguistique et des sciences sociales. La seconde moitié du 19ème siècle fût, avec
les découvertes de Boucher de Perthes (1860) l'époque de la mise en place des grandes
périodisations et des grandes civilisations. Ces cadres définis, les méthodes de fouilles et
d’analyse s’affinent. Les préhistoriens, de formation positiviste et naturaliste, s’occupent à
interpréter des trouvailles concrètes. Si la question des origines indo-européennes avait
occupé maintes séances de la Société d’Anthropologie de Paris, la nouvelle Société
Préhistorique Française n’en consacrera aucune à cette question. Dans sa préface Déchelette
(1910) qui propose l’une des premières synthèses mondiales, se contente ainsi d’écarter en
note "la controverse aryenne, problème essentiellement linguistique et dont la solution paraît
avoir été plutôt obscurcie qu'éclaircie par le concours de l'anthropologie et de l'archéologie.
L'unité de langage n'impliquant pas nécessairement une communauté d'origine, les peuples de
langue aryenne pouvaient appartenir à diverses races. [...] Ce problème occupe un de ces
carrefours de sciences qui deviennent aisément, à l'heure actuelle, un carrefour d'erreurs". Si
Gordon Childe, sans doute l’archéologue le plus marquant de la première moitié du 20ème
siècle, consacre son premier ouvrage à ce problème (Gordon Childe 1926), il le regrettera
bientôt et confessera avec un certain panache dans son testament intellectuel publié en 1958 :
"This was childish, not Childeish" !
18 S'intéressant à la possibilité de construire des regroupements généalogiques plus larges que la seule famille des langues
indo-européennes, il écrit ainsi dans l'édition de 1937 de Meillet (1903) : "on entrevoit seulement que toutes les langues des
peuples de race “blanche” seraient apparentées entre elles". Pedersen (1938) répond à cette suggestion en dégageant
l’hypothèse du nostratique pour regrouper, les langues indo-européennes avec les chamito-sémitiques, finno-ougriennes et
caucasiennes.
7
Au début du 20ème siècle, le seul pays où l’archéologie préhistorique maintient
ouverte la question des origines indo-européennes reste l’Allemagne. Professeur de
préhistoire à l'Université de Berlin, Gustav Kossinna, défendait que les Indo-Européens (e.g.
Indo-Germains) étaient apparus en Scandinavie au cours des derniers millénaires et, de là,
s’étaient répandus dans toute l’Europe et une partie de l’Asie en quatorze raids guerriers (e.g.
"Züge") successifs. Il défendait également, dans une formule parmi les plus célèbres de
l’histoire de l’archéologie, que "des provinces culturelles nettement délimitées sur le plan
archéologique coïncident à toutes les époques avec des peuples ou des tribus bien précis". Il
affirmait enfin qu’il y avait bien coïncidence entre les Indo-Européens originels et une race
blonde dolichocéphale. Celle-ci se serait progressivement abâtardie au contact des
populations méridionales et orientales conquises. Ce recoupement entre culture archéologique
(définie comme civilisation matérielle), peuple et race reposait clairement sur un modèle
biologique. Il était également permis par le concept d’État-nation qui, depuis la Révolution
française et le romantisme, s’était peu à peu imposé comme seul véritable sujet de l’histoire.
Kossinna n’était certes pas un archéologue marginal, et Déchelette aussi bien que
Childe ont rendu hommage à sa compétence scientifique, y compris pour ce qui concerne la
question indo-européenne, sans pour autant partager ses conclusions. Mort en 1931, il n’aura
pas été directement compromis avec le régime nazi, ce qui ne fût pas le cas de certains de ses
élèves. Mais on peut considérer qu’il fut de fait l’un de ses théoriciens. C’est cette lourde
responsabilité historique qui a conduit à l'écarter de l’histoire académique de l’archéologie au
moment où la légitimité scientifique de ses hypothèses sombrait définitivement. C’est aussi ce
qui a jeté le soupçon, en particulier dans les pays anglo-saxons, sur les théories
migrationnistes ou diffusionnistes. Pendant une bonne partie de la seconde moitié du 20ème
siècle, du point de vue archéologique, la question indo-européenne fut ainsi fortement
marginalisée. D'autre part, les données archéologiques qui continuaient à s’accumuler
démentaient formellement l’idée d’un foyer scandinave, aucun mouvement migratoire en
provenance de cette région n’étant attesté aux époques pré- et protohistoriques.
Moins idéologiquement culpabilisées, en Union Soviétique et dans les pays de son
orbite, les recherches sur les migrations et l’ethnogénèse ont continué après la seconde guerre
mondiale. La confirmation éventuelle des théories qui fixaient dans les steppes pontiques
russo-ukrainiennes les origines possibles des Indo-Européens primitifs (Schrader 1886, 1901)
en constituaient un puissant moteur. Au moment où les études indo-européanistes
retrouveront un écho, Gimbutas (1991, 1992) reformulera cette hypothèse sous le nom de
théorie de Kurgan 19.
6. Vers une nouvelle synthèse
A partir des années 1980, la situation des recherches concernant l'origine de l'homme
et des langues connaît un renouveau considérable. La fameuse question ostracisée par la
Société de Linguistique de Paris semble de nouveau d'actualité. De fait, l'horizon scientifique
contemporain s'est considérablement élargi. Une moisson de données nouvelles, l'apparition
19 Les recherches sur le nostratique s’étaient poursuivies en Union Soviétique, dans la tradition de l’encyclopédisme russe,
autour du linguiste Vladimir Illic-Svityc mort en 1966 à 32 ans, dont l’œuvre en russe, est principalement posthume. Ces
recherches furent conduites, jusqu’à la Chute du Mur de Berlin, dans un indéniable isolement international.
8
de techniques et de méthodes beaucoup plus précises et rigoureuses, de nouveaux croisements
théoriques interdisciplinaires font émerger une problématisation originale qui revendique
l'étiquette de "nouvelle synthèse". Il ne saurait être question ici d'analyser toutes les données,
les méthodes ou les rapprochements interdisciplinaires qui ont présidés à l'émergence de ce
qui se présente d'emblée comme un paradigme unificateur permettant de penser de façon
radicalement nouvelle la question de l'origine. Nous rappellerons seulement quelques données
saillantes.
A partir des années 1950, notre connaissance de l’antiquité humaine s'est
considérablement accrue. En Europe et en Asie, et surtout en Afrique, de très nombreuses
découvertes ont éclairé cette période. Elles permettent en particulier de détailler l’arbre
généalogique de l’humanité de façon beaucoup plus fine et de retracer une partie de ses plus
anciennes migrations. Ces données nouvelles n'ont pourtant pas permis de trancher le débat
concernant l’émergence de l’homme moderne (homo sapiens sapiens). Le modèle
monolocaliste dominant défend toujours l'hypothèse d’une apparition unique africaine. Il ainsi
continue de s'opposer à un modèle multi-régional qui admet, à chaque étape, des croisements
locaux entre la nouvelle forme sapiens sapiens et les évolutions régionales de la forme
antérieurement présente, homo erectus.
Les découvertes paléontologiques ont également éclairé la morphologie des hommes
anciens. L'anatomie crânienne a notamment permis de construire des hypothèses concernant
leurs facultés cognitives et leur aptitude éventuelle au langage articulé. Même si cette
approche paléo-anatomique n'est pas sans rapports avec la craniologie et la phrénologie
anciennes 20, elle a été considérablement ressourcée par les apports des techniques de pointe
en imagerie cérébrale et en reconstruction par calcul de formes. Enfin, pour certains
gisements malheureusement encore trop rares, la possibilité d’extraire et d'étudier l’ADN
fossile a considérablement enrichi le débat généalogique, notamment pour ce qui concerne les
relations entre sapiens et Neandertal.
Plus récemment, les recherches sur l’ADN des populations actuelles et l'analyse du
génome humain ont ouvert une nouvelle approche. La reprise du modèle de la dérive
génétique proposé dès les années 1930 (Dobzhansky 1937) et la mise en évidence récente de
nouveaux marqueurs ont permis de dater les mutations anciennes. La classification
automatique en arbre génétique des populations échantillonnées et la projection
cartographique des fréquences géographiques de certains marqueurs ont alors induit un
développement spectaculaire de la génétique des populations (Cavalli-Sforza et al. 1994). Ce
nouveau champ disciplinaire, parfois très médiatisé 21, a ouvert de nouvelles pistes à la
réflexion. Sa fiabilité, supposée beaucoup plus forte que la collecte aléatoire d’ossements
fossiles réels, mais rares et fragmentés, n'est pas pour rien dans son succès international.
L’impossibilité de produire des classes humaines étanches et la réaffirmation de l’unité de
l’homme dans son origine africaine, popularisés par la génétique des populations a continué
de faire régresser le racisme à prétention scientifique hérité du 19ème siècle et à contribué à la
marginalisation de l’anthropologie physique classique. Aujourd'hui, le débat ne porte plus sur
les traits physiques visibles mais plutôt sur les gènes et le patrimoine génétique ce qui laisse
20 Pour une analyse critique des relations entre anatomie cérébrale moderne et phrénologie classique Cf. Terrazas et
McNaughton 2000
21 Considérez la couverture médiatique et le nombre de travaux de vulgarisation de l'hypothèse de l'Eve africaine par
exemple : Science magazine N° 8, October 1999, The southern African Eve.
9
cependant ouvertes les questions concernant la répartition géographique de ces traits et leur
interprétation historique.
En plus des découvertes paléontologiques, la préhistoire et la protohistoire ont
également fortement progressé dans la dernière période. Plusieurs milliers de chantiers de
fouille ont été ouverts dans le monde entier. Ils ont conduit à affiner notre compréhension de
l’évolution des cultures humaines, des migrations, et des grandes ruptures historiques et
préhistoriques (révolutions néolithiques, urbaines etc.) tout comme notre compréhension de
l’invention et de la diffusion des techniques. Toutefois, s'agissant de l’origine des IndoEuropéens primitifs, ces progrès importants n'ont pas permis de dégager un consensus,
même minimal, entre l'hypothèse localiste kurgamienne et celle de la colonisation néolithique.
Du moins les migrations liées à la diffusion de l’agriculture sont-elles de mieux en mieux
comprises et documentées même si l’apport respectif des populations indigènes de chasseurscueilleurs et de celui des colons agriculteurs continue de faire débat. C’est le cas pour le
peuplement de l’Europe. C'est aussi le cas pour le Japon où le rôle d’une migration massive
dans la mise en place et le développement de la riziculture humide (e.g. la culture de Yayoi)
tend actuellement à être fortement réévalué. Au total, on chiffre aujourd'hui à 10000 le
nombre de sociétés connues et recensées et à 6000 le nombre de langues documentées. La
disparition rapide de ces cultures et de ces langues, au rythme de plusieurs centaines par an,
marque dramatiquement la situation ethnologique et ethnolinguistique contemporaine 22.
Enfin, la situation scientifique contemporaine des problématiques concernant l'origine
de l'homme et l'origine des langues est également profondément marquée par l'évolution des
techniques de traitement et de modélisation de l'information ainsi que par l'évolution des
techniques computationnelles de représentation et de simulation. Des modèles complexes
comme ceux de la cladistique ou des simulations mettant en œuvre un très grand nombre de
paramètres sont aujourd'hui maitrisables grâce à l'évolution des techniques informatiques. On
en trouvera des illustrations dans Warnow et alii. (2005).
7. Les nouveaux paradigmes
Dans les sciences humaines et sociales qui avaient été si profondément influencées par
la perspective structuraliste, la fin du 20ème siècle et le début du 21ème sont marquées par des
réorientations paradigmatiques profondes. Les sciences du langage, qui avaient porté et mis
en forme le paradigme structuraliste, l'abandonnent presque totalement. Dès les années 1970
elles se situent à l'avant-garde du tournant vers les sciences cognitives qui va durablement
marquer la période (Gardner 1985). La Grammaire Générative, tout comme les courants
antagonistes généralement issus d'elle, se réorientent en mettant au premier plan l'analyse de
la faculté de langage et des celle des préconditions cognitives à l'apprentissage spontané des
langues naturelles (Chomsky 1968). Ce retour à une linguistique cartésienne (Chomsky 1966)
intégrée à une théorie de l'esprit (Fodor 1975) est marqué par un universalisme cognitif. La
Grammaire Générative vise en effet à porter au jour les mécanismes cognitifs généraux qui
sous-tendent la faculté de langage propre à l'espèce humaine. Elle postule que ces
mécanismes cognitifs, tout comme les préconditions nécessaires à l'apprentissage des langues,
sont génétiquement codées et font partie du génome humain. En se proposant de caractériser
explicitement la Grammaire Universelle conçue comme l'ensemble des fonctionnalités
22 Cf. Hagège (2000), Nettle et Romaine (2000)
10
cognitives, formelles et substantielles, sous-jacentes à l'ensemble des langues humaines
possibles, la Grammaire Générative se donne un programme de recherche clairement
universaliste et mentaliste (Chomsky 1995). Quelles que soient par ailleurs les divergences de
vue et l'âpreté des débats concernant la modularité de l'esprit humain et la séparation stricte
des modules cognitifs linguistiques postulée par la Grammaire Générative chomskyenne 23, ce
tournant cognitif des sciences du langage est très généralement partagé. Le débat récent entre
approches symboliques classiques et approches dynamiques subsymboliques connexionnistes
(Laks 1996) ne conduit pas à modifier ce diagnostic.
Le cognitivisme et l'universalisme partagés par les théories linguistiques les plus
actuelles induisent un renouveau certain des études comparatives et contrastives. C'est en effet
en comparant les structures et les fonctionnalités de langues très diverses que l'on peut
dégager des universaux linguistiques, dont on peut ensuite, éventuellement, interroger les
soubassements cognitifs et mentaux. Dans cette perspective contrastive, la typologie
linguistique et la construction de vastes taxinomies ont connu un redémarrage spectaculaire
principalement initié par les travaux de Greenberg (Greenberg 1963). Ces taxinomies ont
rapidement rencontré la généalogie linguistique. La reconstruction de vastes familles de
langues historiquement apparentées s'en est trouvée dynamisée (Greenberg 1971, 1987,
2002), offrant en retour aux recherches sur la diversité des langues, les universaux
linguistiques et la typologie un cadre renouvelé (Comrie 1981, Comrie et al. 2003). Ces
travaux généalogiques ont connu un écho interdisciplinaire certain, et c'est à partir de leur
croisement avec la génétique des populations (Cavalli-Sforza et al. 1994) que la question de
l'origine et de l'évolution des langues s'est trouvée ressourcée, ouvrant la voie au paradigme
de la nouvelle synthèse (Cavalli-Sforza 2000) 24. Il en est de même de question indoeuropéenne, longtemps laissée en jachère, et qui s'est trouvée elle aussi reprise dans le cadre
de reconstruction généalogique des super familles de langues (Greenberg 2002).
Si la plupart des travaux taxinomiques de généalogie linguistique ont spontanément
retrouvé le modèle du Stammbaum de Schleicher, l'étanchéité des familles postulées, la
rigidité des hiérarchies et des filiations que ce modèle arborescent impose ont été récemment
été mises en doute. Indépendamment des travaux taxinomiques et généalogiques en effet, la
linguistique du 20ème siècle a prêté une grande attention aux relations entre langues, cultures
et sociétés. Issue de la dialectologie, la sociolinguistique a mis au cœur de son investigation la
question du changement linguistique (Labov 1994, 2001) qui apparaît intimement liée à celle
de la variation, de l'hétérogénéité structurelle des dispositifs langagiers (Labov 1972) et de la
relation entre différenciation linguistique et différenciation sociale (Laks 1983). L'analyse des
contacts de langues (Weinreich 1953) comme celle de l'émergence des pidgins et des créoles
(Mufwene 2001) livre de nombreux résultats qui tous conduisent à mettre en doute la
catégorie de langue stable, homogène et invariante sur laquelle repose la reconstruction du
Stammbaum. Comme Schuchardt en avait déjà eu l'intuition au 19ème siècle (Schuchardt
1922, 1979), les langues n'apparaissent pas séparées par des barrières d'espèce, ce qui invalide
l'importation du modèle zoologique darwinien, mais sont au contraire l'objet de mélanges,
d'hybridations, de recouvrement, d'importations partielles, d'influences réciproques, de
mutations écologiquement conditionnées, de changements continus et graduels. En opposition
aux généalogies du Stammbaum apparaissent alors des modèles beaucoup plus complexes,
dynamiques et plastiques directement inspirés de la botanique et de l'écologie des systèmes
vivants. Adossée à des modélisations mathématiques puissantes, la cladistique tend ainsi à
23 Cf. Tomasello (1995) ou Jackendoff (2002) pour des approches critiques récentes de ces questions.
24 Comme nous l'avons déjà noté concernant les recherches sur l'origine de l'homme moderne (Cf. note 18), la vulgarisation
des travaux de généalogie linguistique portant sur l'origine des langues a connu un succès médiatique considérable Cf. par
exemple Ruhlen (1994)
11
modifier sensiblement le paysage généalogique et taxinomique contemporain (Nakleh et al.
2005).
Dans la dernière période, on note également une évolution parallèle dans l'ensemble
des sciences sociales où l'abandon du structuralisme et le tournant cognitif débouchent de la
même façon sur des modélisations de la complexité anthropologique très soucieuses de la
prise en compte des dynamiques culturelles et sociales. Au contact de l’archéologie
préhistorique, l’ethnologie et l'anthropologie sociale ont fait retour sur un évolutionnisme
longtemps déconsidéré (Sahlins et al. 1960). Le changement progressif vers des organisations
sociales de plus en plus complexes et de plus en plus inégalitaires (Service 1971a) a ainsi été
repensé dans le cadre d'un évolutionnisme culturel (Service 1971b). Les questions de la
parenté, du don, de la division du travail et plus généralement de la complexité sociale ont
également connu un ressourcement récent par le croisement interdisciplinaire de l'ethnologie,
de l'archéologie préhistorique, de l'éthologie et des sciences cognitives (Godelier 1986, 1999,
Testart 1982). Dans ces champs disciplinaires, le tournant cognitif et les nouvelles
interdisciplinarités qu'il a permis entre sciences de la culture, sciences du comportement,
sciences sociales et neurosciences a réactivé les questions liées à l'origine de l'homme. Même
si la question précise de l'origine des capacité cognitives et linguistiques propres à l'espèce
continue d'opposer les cartésiens partisans d'une rupture de continuité fondamentale de type
catastrophique aux constructivistes partisans d'une continuité phylogénétique (Piaget et al.
1980), les grands récits originels sont de nouveau d'actualité. Le concept d'exaptation (Gould
et Vrba 1982) permet ainsi, par exemple, de repenser les spécificités cognitives de sapiens
sapiens dans un cadre évolutionniste néodarwinien (Gould 2002) tandis que le croisement
entre primatologie, éthologie, ethnologie, sociologie et neurosciences permet à Dunbar de
formuler un nouveau scénario évolutif (Dunbar 1997) 25. Plus récemment encore, l'analyse du
génome humain et de certaines pathologies cognitives et linguistiques liées à une déficience
du gène foxp2 ont conduit des anthropologues à voir dans la mutation qui a introduit la forme
moderne de ce gène dans le patrimoine de sapiens sapiens le moment de la rupture génétique
initiale qui conditionne l'apparition de cette espèce (Klein et Blake 2002). Mais, si Hauser,
Chomsky et Fitch (2002) argumentent dans ce sens et plaident pour l'apparition ante origine
d'une capacité cognitive nouvelle la "Faculty of Language in a Narrow sense, FLN" 26,
Tomasello argumente exactement en sens inverse et, proposant une vaste fresque des
capacités cognitives linguistiques et non linguistiques de l'espèce tant du point de vue de leur
acquisition que de leur dynamique, démontre qu'elles s'ancrent dans le relationnel
socioculturel qui définit en propre l'espèce grégaire (Tomasello 2008).
La boucle est ainsi bouclée qui permet de penser l'universalité de l'homme et l'origine
de la faculté de langage soit à partir d'une biolinguistique génétique (Chomsky 2004), soit à
partir d'une sociolinguistique en prise avec l'ethnolinguistique et l'anthropologie culturelle
moderne. Dans le premier cas, l'approche reste cartésienne et n'inscrit pas la faculté de
langage dans un cadre évolutionniste mais dans une statique discontinuiste, c'est-à-dire
créationniste, dans le second, l'approche est fondamentalement évolutionniste ancrant la
spécificité de l'homme et de la faculté de langage dans la diversité et l'universalité des
organisations sociales et culturelles à la manière d'un pseudo gène socioculturel (Dawkins
2007). Darwin et le débat évolutionniste sont décidément bien loin d'être dépassés.
25 On sait que Dunbar s'est rendu célèbre par l'établissement d'une corrélation numérique pertinente : le nombre de Dunbar
(Dunbar 1993). Il correspond à "the cognitive limit to the number of individuals with whom any one person can maintain
stable relationships […] this limit is a direct function of relative neocortex size, and that this in turn limits group size".
26 La FNL se distingue de la faculté de langage qui est familière aux linguistes, la Faculty of Language in a Broad sense
FLB, en ceci qu'elle apparaît avant même l'humanisation et les langues et en constitue la condition de possibilité. Elle met
essentiellement en œuvre la récursivité structurale.
12
13
Bibliographie
BERGOUNIOUX GABRIEL. 1994. Aux origines de la linguistique française. Paris: Pocket.
BERGOUNIOUX GABRIEL. 1996. Aux origines de la Société de Linguistique de Paris (1864-1876). Bulletin de la
Société de Linguistique de Paris, XCI, 1.1-36.
BERGOUNIOUX GABRIEL. 2002. La sélection des langues : darwinisme et linguistique. Langages, 146.7-19.
BLUMENBACH JOHANN FRIEDRICH 1781. De generis humani varietate nativa liber. Goettingae : Apud viduam
Abr. Vandenhoek.
BOAS FRANZ. 1940. Race, language and culture. New York: The free press.
BOAS FRANZ, FISHBERG MAURICE, HUNTINGTON ELLSWORTH and KOHLER MAX J. 1934. Aryan and Semite;
with particular reference to Nazi racial dogmas. Addresses delivered before the Judaeans and the Jewish
academy of arts and sciences, March 4th, 1934, in New York City. Cincinnati: Pub. B'nai B'rith.
BOAS FRANZ and STOCKING GEORGE W. 1974. The shaping of American anthropology, 1883-1911; a Franz
Boas reader. New York: Basic Books.
BONNOT JEAN-FRANÇOIS P. and BOË LOUIS-JEAN. 2001. Stéréotypes et théorie phonétique dans l’entre-deux
guerres : le poids des dominantes idéologiques sur les champs disciplinaires. Marges Linguistiques (On
line Journal), 6.
BOPP FRANZ. 1889. Grammaire comparée des langues indo-européennes- comprenant le sanscrit, le zend,
l'arménien. Introduction de Michel Bréal. Paris: Bibliothèque Nationale.
BOUCHER DE PERTHES JACQUES CRÈVECOEUR DE. 1860. De l'homme antédiluvien et de ses œuvres. Paris : JungTreuttel
BOURDIEU PIERRE. 1972. Esquisse d'une théorie de la pratique. Précédé de trois études d'ethnologie Kabyle.
Genève: Droz.
BOURDIEU PIERRE. 2001. Science de la science et réflexivité. Paris: Raisons d'agir.
CAVALLI-SFORZA LUIGI LUCA. 1997. Genes, peoples and languages. Proceedings of the National Academy of
Science, 94, 7719-24.
CAVALLI-SFORZA LUIGI LUCA. 2000. Genes, peoples, and languages. New York: North Point Press.
CAVALLI-SFORZA LUIGI LUCA, MINCH ERIC and MOUTAIN JOANNA. 1992. Coevolution of genes and languages
revisited. Proceedings of the National Academy of Science, 89, 5620-24.
CAVALLI-SFORZA LUIGI LUCA, MENOZZI PAOLO and PIAZZA ALBERTO. 1994. The History and Geography of
Human Genes. Princeton: Princeton University Press.
CHOMSKY NOAM. 1966. Cartesian linguistics: a chapter in the history of rationalist thought. New York,: Harper
& Row.
CHOMSKY NOAM. 1968. Language and mind. New York: Harcourt Brace & World.
CHOMSKY NOAM. 1995. The minimalist program. Cambridge, Mass.: The MIT Press.
Chomsky, Noam (2004): Biolinguistics and the Human Capacity (Talk delivered at MTA, Budapest, May 17,
2004).
COMRIE BERNARD. 1981. Language universals and linguistic typology : syntax and morphology. Chicago:
University of Chicago Press.
COMRIE BERNARD, MATTHEWS STEPHEN and POLINSKY MARIA. 2003. The atlas of languages : the origin and
development of languages throughout the world. New York: Facts On File.
DARWIN CHARLES. 1859. L'origine des espèces au moyen de la sélection naturelle ou la préservation des races
favorisées dans la lutte pour la vie. Traduction Edmond Barbier, Nouvelle édition Daniel Becquemont,
1992, Paris: Flammarion.
DARWIN CHARLES. 1871. La filiation de l'homme et la sélection liée au sexe: Nouvelle traduction Michel Prum
1999. Paris: Institut Charles Darwin International / Syllepse.
Dawkins, Richard (2007): Il était une fois nos ancêtres : une histoire de l'évolution, Paris: Robert Laffont
14
DÉCHELETTE JOSEPH. 1910. Manuel d'archéologie préhistorique, celtique et gallo-romaine. Paris: A. Pichard et
fils.
DENIKER JEAN. 1900. Les races et les peuples de la Terre. Paris: Reinwald.
DOBZHANSKY THEODOSIUS. 1937. Genetics and the origin of species. New York: Columbia University Press.
DOSSE FRANÇOIS. 1991. Histoire du structuralisme : le champ du signe. Paris: La découverte.
DOSSE FRANÇOIS. 1993. Histoire du structuralisme : le chant du cygne. Paris: La découverte.
DUNBAR ROBIN M. 1993. Coevolution of neocortical size, group size and language in humans. Behavioral and
Brain Sciences, 16, 681-735.
DUNBAR ROBIN M. 1997. Grooming, Gossip, and the Evolution of Language. Cambridge Mass.: Harvard
University Press.
DURKHEIM EMILE. 1903. Compte-rendu de Lang et Atkinson 1903. Folklore, 14, 421-25.
EIGEN SARA and LARRIMORE MARK J. 2006. The German invention of race. Albany: State University of New
York Press.
ENGELS FRIEDRICH. 1884. L'origine de la propriété privée de la famille et de l'état. Paris Editions Sociales 1948.
FODOR J. 1975. The Language of Thought. Cambridge: Harvard University Press.
FODOR J. 1983. The modularity of mind : an essay on faculty psychology. Cambridge: MIT press.
FREUD SIGMUND. 1913. Totem et Tabou. Paris : Payot
FREUD SIGMUND. 1939. Moïse et le monothéisme. Paris : Gallimard
GARDNER HOWARD 1985. The mind's new science : a history of the cognitive revolution. New York: Basic
Books.
GIMBUTAS MARIA ALSEIKAITĖ. 1992. Die Ethnogenese der europäischen Indogermanen. Innsbruck: Institut für
Sprachwissenschaft der Universität Innsbruck.
GIMBUTAS MARIJA ALSEIKAITĖ. 1991. The Civilization of the Goddess : The World of Old Europe. San
Francisco: Harper.
GINNEKEN JACOB, VAN. 1932. La tendance labiale de la race méditerranéenne et la tendance laryngale de la race
alpine Paper presented at 1st International Congres of Phonetic SCiences, Amsterdam,.
GINNEKEN JACOB, VAN. 1935. Ras en taal : Verhandelingen der Koninklijke Akademie van Wetenschappen te
Amsterdam, afd. letterkunde. Amsterdam: Noord-Hollandsche uitgevers maatschappij.
GODELIER MAURICE. 1986. The mental and the material : thought economy and society. London: Verso.
GODELIER MAURICE. 1999. The enigma of the gift. Chicago: University of Chicago Press.
GORDON CHILDE V. 1926. , The Aryans: A Study of Indo-European Origins. New York: Knopf.
GOULD STEPHEN JAY. 2002. The structure of evolutionary theory. Cambridge, Mass.: Belknap Press of Harvard
University Press.
GOULD STEPHEN JAY and VRBA ELIZABETH. 1982. Exaptation: A missing term in the science of form.
Paleobiology, VIII.4-15.
GREENBERG JOSEPH H. (ed.) 1963. Universals of Language. Cambridge Mass.: MIT Press.
GREENBERG JOSEPH H. 1966. Language universals, with special references to feature hierarchies: Janua
Linguarum Series Minor n°59. La Haye: Mouton.
GREENBERG JOSEPH H. 1971. The Indo-Pacific hypothesis. Current Trends in Linguistics, ed. by Thomas F.
Sebeok. La haye: Mouton.
GREENBERG JOSEPH H. 1987. Language in the Americas. Stanford: Stanford University Press.
GREENBERG JOSEPH H. 2002. Indo-European and Its Closest Relatives: The Eurasiatic Language Family.
Stanford: Stanford University Press.
GREENBERG JOSEPH H. et RUHLEN MERRIT. 1992. Linguistic origins of native americans. Scientific American.
94-99.
15
HADDON ALFRED C and HINGSTON QUIGGIN. 1934. History of anthropology. London: Watts & Co.
HAGÈGE CLAUDE. 2000. Halte à la mort des langues. Paris: Editions Odile Jacob.
JACKENDOFF RAY. 2002. Foundation of Language : Brain, Meaning, Grammar, Evolution. Oxford: Oxford
University Press.
JEAN-ANTOINE-NICOLAS DE CARITAT MARQUIS DE CONDORCET. 1793. Esquisse d'un tableau historique des
progrès de l'esprit humain. Paris.
KLEIN RICHARD G. and BLAKE EDGAR. 2002. The dawn of human culture. New York: Wiley.
KOLODKINE PAUL 1963. Mendéléiev et la loi périodique. Paris: Éditions Seghers.
LABOV WILLIAM. 1972. Sociolinguistic patterns. Philadelphia: University of Pennsylvania Press.
LABOV WILLIAM. 1994. Principles of Linguistic Change : Internal factors.vol. 1. Oxford: Blackwell.
LABOV WILLIAM. 2001. Principles of Linguistic Change : Social factors.vol. 2. Oxford: Blackwell.
LAKS BERNARD. 1983. Langage et pratiques sociales : étude sociolinguistique d'un groupe d'adolescents. Actes
de la recherche en sciences sociales, 46, 73-97.
LAKS BERNARD. 1996. Langage et cognition : l'approche connexionniste. Paris: Hermès.
LAKS, BERNARD, CLEUZIOU SERGE, DEMOULE JEAN-PAUL et ENCREVE PIERRE (dirs.) (2006):
Origins and evolutions of languages : approaches, models , paradigms; Londres: Equinox,
LANG ANDREW and ATKINSON JOHN J. 1903. Social Origins. Primal Law. London: Longman.
LEVI-STRAUSS CLAUDE. 1947. Structures élémentaires de la parenté. New york: Mouton.
LUBBOCK SIR JOHN. 1871. The Origin of Civilisation and the primitive Condition of Man. New York: Appleton
and Co.
LUSCHAN FELIX VON. 1922. Völker, rassen, sprachen. Berlin: Welt-verlag.
MALINOWSKI BRONISLAW. 1922. Argonauts of the western Pacific; an account of native enterprise and adventure
in the archipelagoes of Melanesian New Guinea. London: G. Routledge & Sons.
MALLORY JAMES and ADAMS DOUGLAS. 1997. The Encyclopedia of Indo-European Culture London ; Chicago
Fitzroy Dearborn.
MANNHEIM KARL 1929. Idéologie et utopie : une introduction à la sociologie de la connaissance Paris: Marcel
Rivière.
MEIJER MIRIAM CLAUDE 1999. Race and aesthetics in the anthropology of Petrus Camper (1722-1789).
Amsterdam: Rodopi.
MEILLET ANTOINE. 1903. Introduction à l'étude comparative des langues indo-européennes. 8ème édition 1953.
Paris: Hachette.
MORGAN LEWIS H. 1877. Ancient Society, or Researches in the Lines of Human Progress from Savagery
through Barbarism to Civilization. London: MacMillan & Company.
MUCCHIELLI LAURENT. 1997. Sociologie versus anthropologie raciale. L'engagement des sociologues
durkheimiens dans le contexte "fin de siècle" (1885-1914). Gradhiva. Revue d'histoire et d'archives de
l'anthropologie, 21, 77-95.
MUFWENE SALIKOKO S. 2001. The Ecology of Language Evolution. Cambridge: Cambridge University Press.
NAKLEH, RINGE DONALD and WARNOW TANDY. 2005. Perfect Phylogenetic Network : a new methodology for
reconstructing the evolutionary history of languages. Language 81, 382-420.
NETTLE DANIEL and ROMAINE SUZANNE. 2000. Vanishing voices : the extinction of the world's languages. New
York: Oxford University Press.
PEDERSEN HOLGER. 1938. Hittitisch und die anderen indoeuropäischen Sprachen. København: Levin &
Munksgaard.
PIAGET JEAN, CHOMSKY NOAM and PIATTELLI-PALMARINI MASSIMO. 1980. Language and learning : the debate
between Jean Piaget and Noam Chomsky. Cambridge, Mass: Harvard University Press.
16
RADCLIFFE-BROWN A.R. 1958. Method in social anthropology; selected essays. Chicago: University of Chicago
Press.
RIPLEY WILLIAM Z. 1899. The Races of Europe: A Sociological Study. New York: D. Appleton and Co.
ROUSSEAU JEAN-JACQUES. 1755. Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes.
Genève.
RUHLEN MERRIT. 1994. The origin of language : tracing the evolution of the mother tongue. New York: Wiley.
SAHLINS MARSHALL DAVID, SERVICE ELMAN ROGERS and HARDING THOMAS G 1960. Evolution and culture.
Ann Arbor: University of Michigan Press.
SAUSSURE FERDINAND DE. 1878. Mémoire sur le système primitif des voyelles dans les langues indoeuropéennes. Leipzig: B.G. Teubner
SAUSSURE FERDINAND DE. 1922. Cours de linguistique générale. Paris : Payot
SAUSSURE FERDINAND DE. 1995. Phonétique : Il manoscritto di Harvard (Houghton Library bMS Fr 266(8):
Edité par Maria Pia Marchese. Universita degli studi di Firenze. Quaterni del dipartimento di
linguistica, studi 3. Florence: Unipress.
SAUSSURE FERDINAND DE. 2001. Ecrits de linguistique générale. Paris: Gallimard.
SAUSSURE FERDINAND DE. 2002. Théorie des sonantes. Il manoscritto du Genevra (BPU Ms fr 3955). Florence:
Universita degli studi di firenze. UNIPRESS.
SCHLEICHER AUGUST. 1861. Kompendium des vergleichenden Grammatik des indogermanischen Sprachen.
Weimar: Böhlau.
SCHLEICHER AUGUST. 1863. Die darwinsche Theorie und die Sprachwissenschaft. Offenes Sendschreiben an
Herrn Dr. Ernst Häckel Weimar: Böhlau.
SCHRADER OTTO. 1886. Linguistisch-historische forschungen zur handelsgeschichte und warenkunde. . Jena.
SCHRADER OTTO. 1901. Reallexikon der indogermanischen Altertumskunde. Gundzüge einer Kultur- und
Völkergeschichte Alteuropas.vol. Edition revue en 1917 et 1929 avec l’aide d’Alfons Nehring. Berlin,
Leipzig, : W. de Gruyter.
SCHUCHARDT HUGO. 1922. Hugo Schuchardt-Brevier . Ein vademekum der allgemeinen Sprachwissenschaft.
Halle: Max Niemeyer.
SCHUCHARDT HUGO. 1979. The Ethnography of variation. Selected writings on Pidgins and Creoles.
Arbor.
. Ann
SÉRIOT PATRICK. 1999. Structure et totalité. Paris: PUF.
SERVICE ELMAN ROGERS. 1971a. Primitive social organization: an evolutionary perspective. New York: Random
House.
SERVICE ELMAN ROGERS. 1971b. Cultural evolutionism: theory in practice. New York: Holt, Rinehart and
Winston.
TESTART ALAIN. 1982. Les chasseurs-cueilleurs, ou l'origine des inégalités. Paris: Société d'ethnographie.
TERRAZAS ALEJANDRO et MCNAUGHTON BRUCE L. 2000. Brain growth and the cognitive map. Proceedings of
the National Academy of Science, 97, 4414-16.
TOMASELLO MICHAEL. 1995. Language is Not an Instinct (Review of Pinker 1994). Cognitive Devlopment 13156.
Tomasello, Michael (2008): Origins of Human Cognition, Cambridge, Mass.: MIT Press
TORT PATRICK. 1996. Dictionnaire du darwinisme et de l'évolution. 3 vol. Paris: PUF.
TROMBETTI ALFREDO. 1905. L’unità d’origine del linguaggio. Bologne: Facsimile Bologne 1966 A. Forni.
TYLOR EDWARD B. 1865. Researches into the Early History of Mankind and the Development of Civilization. .
London.
TYLOR EDWARD B. 1871. Primitive Culture. New York.
17
Warnow, Tandy, Evans, Steven N., Ringe, Donald et Nakhleh, Luya (2005): A stochastic model of language
evolution that incorporates homoplasy and borrowing, in Phylogenetic Methods and the Prehistory of
Languages, Cambridge: Cambridge University Press,
VENDRYES JOSEPH. 1923. Le Langage : introduction linguistique à l'histoire. Paris: La renaissance du livre.
WEINREICH URIEL. 1953. Languages in contact : findings and problems. La Haye: Mouton.
WESTERMARCK EDVARD (ALEXANDER) 1906. The Origin and Development of the Moral Ideas London:
MacMillan.
WHITNEY WILLIAM DWIGHT. 1867. Language and the Study of Language. New York: Scribner.
18

Documents pareils

Présentation - DDL

Présentation  - DDL Hypothèse très controversée de John McWhorter – voir par exemple les réponses de Salikoko Mufwene (Collegium de Lyon 2011-2012) sur la nature sociale vs. linguistique de la notion de créole Selon D...

Plus en détail