DD, les vins blancs du Médoc, Duad`s, 9xii13
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DD, les vins blancs du Médoc, Duad`s, 9xii13
Les soirées-dégustations du Duad’s Club Cette soirée a été organisée par Beverly Reny et Roseli de Coninck Les Vins Blancs du Médoc présentés par Denis Dubourdieu 9 décembre 2013 Institut des Sciences de la Vigne et du Vin (ISVV) L’affiche était improbable : réunir des bouteilles de vins blancs ayant pour seul point commun d’être nés et élevés en presqu’île du Médoc, territoire mondialement connu pour la qualité de ses… rouges. Pour aggraver notre cas, c’est à Denis Dubourdieu himself que nous avions fait appel pour commenter ce défilé de flacons médocains. Nos vifs remerciements vont aux deux parties. Aux châteaux, pour leur générosité et leur témérité, car ils étaient présents ce soir et risquaient, en cas de faiblesse, la critique voire la foudre dubourdienne. Au patron de l’ISVV, notre ancien professeur, qui a su dépasser le gros rhume d’un soir pour « parler sans habiller les dents », comme on dit du côté de Yamanashi ; et nous livrer quelques aphorismes bien trempés (ils sont en italiques) autour d’experts commentaires. En écoutant le maestro disserter, beaucoup rajeunissaient. La grande salle de dégustation était pleine à craquer, les oreilles se dressaient bien tendues, les mouches suspendaient leur vol. Nous avons dépassé les 90 participants, record absolu. L’œil malicieux, la pochette bien en place, un col roulé noir pour protéger une voix éraillée, Denis Dubourdieu pose son sujet : « Cette dégustation est intéressante. Pour la composition de cette horizontale et pour moi, qui n’ai pas l’occasion de goûter ces bouteilles. Les vins blancs du Médoc sont des curiosités, on ne considère généralement pas cet ensemble avec l’approche que l’on tiendrait pour une appellation. Ce sont des produits dérivés : aucun de ces vins n’aurait jamais émergé si le frère rouge de la propriété n’était pas très connu et, en général, très cher. » Les vins proposés à la dégustation Tous sont des blancs de 2012, appellation Bordeaux. Ils sont vinifiés au château qui leur donne leur nom, mais avec des raisins provenant généralement d’un terroir autre que celui qui fait la réputation du grand frère rouge. « Il faudrait d’ailleurs être bien ignare et ne pas connaître le b.a.-ba d’un terroir de blanc, précise notre conférencier, pour essayer de le mettre sur une grave à stress hydrique marqué qui ferait un excellent cabernet-sauvignon. Ce serait mettre un ours blanc en Algérie… Seuls les placages calcaires et argilo-calcaires, il y en a dans le Médoc, permettent de faire du blanc qui exprime un terroir de blanc. » Dans l’ordre de la dégustation : * Cos d’Estournel * Blanc de Lynch-Bages * Aile d’Argent (Mouton Rothschild) * Les Arums de Lagrange * Château Talbot, Caillou Blanc * Le Blanc du Château Prieuré-Lichine * le vin intrus-surprise de la soirée * Pavillon Blanc du Château Margaux Certains de ces vins sont produits depuis les années soixante voire avant, d’autres sont plus récents. Le choix du millésime 2012 relève « d’une prudence avisée des organisateurs, l’évolution des vins blancs dans le temps n’étant pas toujours à la hauteur des espérances des producteurs. » Des caractéristiques du vin blanc « On ne boit pas du rouge ni du Sauternes parce qu’on a soif. Le vin blanc, encore plus que le rosé, se distingue par son aptitude à étancher la soif. Grâce à un pH naturellement bas. C’est le cas des grands vins blancs. Quand le pH est abaissé par ajout d’acide tartrique, l’effet sur nos papilles gustatives est moins flatteur. La deuxième qualité du vin blanc par rapport au rouge est d’avoir une plus grande diversité d’arômes. D’une certaine manière, le vin blanc n’est qu’arôme, car il a moins de corps qu’un rouge. Un vin blanc qui est aromatique et étanche la soif sera un bon vin blanc. Pour faire un grand vin blanc, il faut franchir un cap supplémentaire : la disposition au vieillissement. Il faut que le public soit capable de s’en régaler mieux, vieux que jeune, et qu’il accepte de le payer plus cher, vieux que jeune. » Savoir bien vieillir, le défi est redoutable pour tous les vins. Mais, « pour les blancs, c’est la face Nord de l’Everest. Nous n’avons pas à Bordeaux la réputation de faire du vin blanc dont on se régale après quelques années de bouteille.» « Enfin, pour faire un grand vin blanc, il y faut également la nuit froide du climat continental. La douceur de l’Estuaire ne prédispose pas à une alternance forte entre le jour et la nuit. » Le millésime 2012 Une année plutôt facile pour les blancs. Etat sanitaire parfait. Le printemps avait été affreux, mais l’été plutôt correct. La pluie n’est arrivée que tardivement. Les vendanges de blancs ont été de rêve : nuits froides, journées ensoleillées, pas de pourriture. On avait tout le temps pour travailler correctement. La dégustation « J’ai choisi de vous présenter ces vins, du Nord au Sud » (du Médoc), de Saint-Estèphe à Margaux. Avec un intrus que « m’ont refilé les organisatrices », dont on essaiera de deviner l’origine et les raisons de sa présence. Les responsables des propriétés des vins présentés ont efficacement complété les commentaires de Denis Dubourdieu en nous détaillant les caractéristiques et conditions d’exploitation de leurs blancs. Cos d’Estournel blanc Produit depuis 2005. 10 000 bouteilles pour le premier vin, 15 000 avec le second. Sols graveleux, sur des bases argile et calcaire. Encépagement à 77% en sauvignon, 23% en sémillon. Vignoble de vieux carbernet-sauvignon surgreffés en blanc sur des racines de 30 ans. Fermentation en barriques neuves, un an et deux ans. 50 à 60 euros chez le caviste. Les blancs du Médoc étant « déclassés » en appellation Bordeaux, on peut les produire sur le terroir de son choix, dans la région. Le Cos blanc est exploité à 25 kms au nord de Saint-Estèphe. - Le nez : « très fin, joli fumé. Le risque pour un vin blanc, c’est le début du commencement de la trace de l’oxydation, qui marque le début du vieillissement. Ici, je ne le trouve pas, le nez est encore réducteur. L’intensité est moyenne, mais c’est assez complexe. Notes bien maîtrisées. Odeurs de fougère, de fenaison (dans le bon sens du terme), de thé de Chine (commentaire dans le commentaire : « les Chinois trouveront cela idiot, car il y a 3000 thés en Chine »), un peu citronné, bergamote. C’est assez délicat. » En réponse à un commentaire évoquant la minéralité du vin dégusté : « le mot minéral est un vaste fourretout, on ne peut qu’être de votre avis et on ne pourra rien vous reprocher ». - La bouche : « douceur à l’attaque, moelleuse, sensuelle ; évolution savoureuse vers un côté tourbé, comme dans un bon whisky. Finale assez longue. Curieusement, le boisé n’est pas évident au nez, mais, en bouche, on sent que le vin est - bien - tenu par le bois. Le cran au-dessus, c’est quand le vin tient le bois. » « On n’attend pas Bordeaux sur ses vins blancs. C’est un avantage, nous dit le professeur, car cela permet de suivre son style sans trop de considérations pour le goût supposé du consommateur. D’autant que les millésimes bordelais sont plutôt réguliers en blanc : « 2010, 2011, 2012, 2013, on s’en est sortis à peu près de la même façon en vins blancs secs alors que, pour les rouges, il y a de grands écarts. » Blanc de Lynch-Bages Produit à Saint-Sauveur en Médoc. Les 6 hectares de vignes salvatoriennes s’étendent à l’ouest de Pauillac, en retrait de l’estuaire de la Gironde ; nous ne sommes donc plus sur les croupes de graves qui font le bonheur des rouges, mais sur un sol plus argileux avec un socle de calcaire. La proximité de la forêt landaise apporte une fraîcheur supplémentaire. Premier millésime en 1990. Encépagement : 40% de sauvignon, 40% de sémillon, 20% de muscadelle. Pour le millésime 2012, l’assemblage est de 60% pour le sauvignon avec, respectivement, 27% et 13% pour les deux autres cépages. Plusieurs tries successives, car la muscadelle est très sensible au botrytis. 1/3 fermenté en cuve, 2/3 en barrique dont 50% de barriques neuves ; fermentation à basse température. 20 à 30 000 bouteilles. 6 à 8 mois d’élevage en barrique, sur lies. 30 à 40 euros chez le caviste. « Teinte jaune pâle, un peu platiné. Je préfère le jaune bourguignon à nuance verte, même si je suis incapable de dire comment on obtient l’une ou l’autre de ces nuances. Ce vin est marqué par la façon dont il a été fait, à température relativement basse dans le bois. En particulier par les odeurs, encore très fermentaires (esters). Boisé maîtrisé. Odeur agréable, mais plus marquée par un procédé que par une origine de terroir ou de cépages. Je vous renvoie à la préface du Portrait de Dorian Gray de Wilde : révéler l’art et dissimuler l’artiste, tel est le but de l’art. » « La difficulté à laquelle nous sommes confrontés : nous n’avons pas une idée-modèle des vins blancs du Médoc. Ce soir, nous ne dégustons pas, au sens où l’on compare un vin avec d’autres modèles de sa catégorie que nous avons en mémoire. Je vous commente des vins sans savoir à quoi me référer, même si j’essaie de prendre au plus proche, dans les Graves et en Pessac-Léognan, car on ne peut pas entièrement se départir d’une attente. Ce soir, nous découvrons. » « Une catégorie de vin n’existe pas en elle-même, elle existe par les amateurs de cette catégorie. Cela s’appelle un espace sensoriel. Prenons l’exemple des vins de Chablis : on définit son espace sensoriel avec un jury à qui on propose un ensemble composé de vins de Chablis et d’autres, qui n’en sont pas. Chaque dégustateur est invité à donner la note maximale à la bouteille qui, pour lui, se rapproche le plus de ce qu’il considère comme un excellent Chablis. Et inversement. Un espace sensoriel existe - pas dans le verre !, dans la tête des amateurs – quand il ressort que le meilleur exemple de vin de Chablis est toujours un vin de Chablis. On s’intéresse, ici à l’ISVV, à définir les espaces sensoriels des catégories des vins que l’on étudie ; c’est un préalable à l’analyse des vins eux-mêmes. En matière de dégustation, cela nous donne un modèle de comparaison pour l’appellation. Ce soir, d’une certaine façon, nous construisons l’espace sensoriel des vins blancs du Médoc comme Monsieur Jourdain faisait de la prose. » « Commercialement, tous ces vins blancs vivent tranquilles, se vendent bien et cher, sous le protectorat de la marque du grand vin rouge qui, lui, est exposé aux grands vents de la concurrence. Une situation très confortable,mais pas stimulante. » Aile d’Argent (Mouton Rothschild) 63% de sauvignon et 37% de sémillon. 15% du volume subit la fermentation malolactique. Produit depuis la fin des années quatre-vingt. « Aile d’Argent est une marque très forte. Jolie couleur, assez dorée. Le vin est aussi un peu marqué par la façon dont le vin a été fait. La fermentation malolactique type le vin par le procédé, dans le sens où elle ajoute sa marque supplémentaire, mais ne permet pas de dévoiler dans le terroir ou le cépage un quelque chose que la fermentation alcoolique n’aurait pas révélé ». Le vin est savoureux, mais, avec un pH probablement élevé, il peut sembler un peu mou. Les Arums de Lagrange Vignes et vinification à Saint-Julien. Produit depuis 1996. Vignes de 28 ans. Encépagement : 60% sauvignon, gris et blanc (le gris est majoritaire), 30% sémillon, 10% muscadelle. Elevage 100% barrique, neuves et usagées. 4 hectares, 25 000 bouteilles. Entièrement commercialisé par le négoce bordelais, vendu caviste entre 17 et 18 euros. « On retrouve le blanc platine de la robe, avec un nez très net, assez frais, d’intensité moyenne. Des odeurs un peu fermentaires. Le nez n’est pas réducteur, à boire dans les prochaines années. Ce vin a un côté très bien fait, il n’y a pas la moindre erreur de vinification, toutes les pièces du costume sont là, mais, comme pour la majorité des vins blancs de Bordeaux, il manque de transporter le dégustateur ». De l’amertume : « En luttant contre l’amertume d’un vin blanc, on en améliore toujours la qualité. Et lutter contre l’amertume du vin blanc, c’est lutter contre l’amertume du raisin blanc. Cela passe par le statut azoté de la vigne, de manière à ce qu’il y ait assez de vigueur pour que la pellicule ne soit pas tanique et suffisamment d’azote dans le raisin pour que les précurseurs d’arômes y soient en quantité suffisante. » Château Talbot, Caillou Blanc Un vin blanc produit depuis les années soixante-dix. Très typé. Il jouit d’une longue expérience en vinification de blanc. Vendu environ 20 euros. « Jolie couleur, jaune avec un petit reflet vert. Je suis admiratif de ce reflet vert, propre aux beaux Bourgogne. En bouche, le vin est stimulant, punchy. Ce vin n’est pas parfait - cela n’existe pas -, mais il me plaît bien, il est énergique et salivant. Ce n’est pas un grand vin, il y faudrait plus de complexité, mais c’est un bon vin, car il remplit son premier objectif : désaltérer, mettre l’eau à la bouche, donner envie de… vider la bouteille - à deux, sans forcer, avec quelques tapas. » « Un bon vin blanc n’est pas cravaté, ni compliqué. La simplicité est la signature de la beauté. Ce n’est pas facile à atteindre, cela consiste à trouver l’intervention moindre qui permet de faire ressortir un lien entre un goût et une origine. » Le Blanc du Château Prieuré-Lichine On est à Margaux, sur la commune d’Arsac (l’une des 5 de Margaux). Le vin existe depuis le début des années quatre-vingt-dix. Sacha Lichine souhaitait élargir sa gamme et avait isolé 1 hectare de terre plutôt sableuse avec un peu de grave en sous-sol pour y planter 60% de sauvignon blanc et 40% de sémillon. 3 000 bouteilles. Assemblage en ligne avec l’encépagement. Mise en bouteille rapide. Vendu 15 euros. « On est revenu à la couleur blanc platine. Perception acide, amplifiée par l’amertume ; alors que son acidité est moindre que celle d’un Champagne (la vinification champenoise est une chasse à l’amertume). » « Par recoupement, on commence à entrevoir l’espace sensoriel de nos blancs du Médoc : pas de grande autorité du sauvignon, avec le sémillon en partenaire discret voire silencieux. Rien ne domine, on note de petites astuces de vinification ou d’élevage (malo, fermentation à température basse, bois). Tous ces vins ont un point commun : ils sont bien faits, c’est net, pur, clair. On voit le niveau œnologique d’une région, par rapport à d’autres appellations en blanc où il y aurait six vins étincelants et deux bons pour l’évier. Cela dit, c’est très difficile de faire décoller l’avion ». L’insolite-intrus de la dégustation Des bouteilles masquées par des « chaussettes » noires circulent dans les travées. On reconnaît la silhouette d’un vin de Bordeaux. « Robe pâle, jolie couleur avec un peu de reflet vert. Nez net, assez intense, plutôt complexe ; on décolle un peu, on n’est plus dans le blanc BCBG. J’aime beaucoup cet arôme de noisette fraîche, qui est un attribut du grand vin blanc, et un côté fougère, déjà repéré avec le premier vin dégusté. Je suis surpris, en bien (le conférencier félicite les comploteuses qui ont insisté pour introduire ce cru dans la dégustation). Il n’y a pas de trucs ou d’astuces (est un petit vin celui dont on peut reconnaître la méthode œnologique de fabrication). Il y a une race, une sève, une puissance, on est ailleurs. Mais où, à Bordeaux ? » Réponse : à Pessac-Léognan, dans la grande région des Graves. Il s’agit de La Clarté de Haut-Brion 2012, le second vin commun de Haut-Brion blanc et de Mission Haut-Brion blanc. 61 ,5% de sémillon, 38,5% de sauvignon blanc. Appellation Pessac-Léognan. 12 à 15 000 bouteilles. « Le grand vin, ce n’est pas que du fruit ; il y a évidemment du fruit dans un grand vin, mais on y cherche quelque chose en plus. Le fruit seul, c’est pour les enfants qui sucent leur pouce.» Pavillon Blanc du Château Margaux Last but not least, nous terminons avec le blanc de Château Margaux. On fait du blanc au château depuis le début du vingtième siècle, la marque Pavillon blanc existant depuis 1920. 12 hectares, en mono-cépage de sauvignon blanc. Les vignes se trouvent sur la commune de Soussans. Départ fermentation en cuve, suivi de fermentation alcoolique en barrique. Pas de malo. Elevage sur lies, bâtonnage. 1/3 de barrique neuve. Mise en bouteille fin du printemps suivant. Environ 15 000 bouteilles (l’équivalent est écarté en vrac). Prix supérieur à 100 euros. « On revient à la couleur blanc platine. Le nez est clairement réducteur, c'est-à-dire fumé, pierreux, tabac blond, capable d’évoluer en bouquet. Expression fine et délicate du sauvignon. Le bouquet se développe, il prend un côté menthe fraîche et fougère. Je n’ai pas recraché mon verre (DD précise qu’il conseille la propriété). » Le tiercé gagnant de la dégustation : Pavillon Blanc, Talbot Caillou Blanc, Cos blanc (en dehors de considération de prix, très variables d’une bouteille à l’autre ; La Clarté HB étant hors-compétiton ) Jean-Luc Schilling