Cour de cassation de Belgique Arrêt

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Cour de cassation de Belgique Arrêt
18 SEPTEMBRE 2015
C.14.0488.F/1
Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° C.14.0488.F
M.-J. S.,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître François T’Kint, avocat à la Cour de cassation, dont le
cabinet est établi à Charleroi, rue de l’Athénée, 9, où il est fait élection de
domicile,
contre
M. P.,
défenderesse en cassation,
représentée par Maître Michèle Grégoire, avocat à la Cour de cassation, dont le
cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Régence, 4, où il est fait élection de
domicile.
18 SEPTEMBRE 2015
I.
C.14.0488.F/2
La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 11 février 2014
par la cour d’appel de Liège.
Le 13 mai 2015, l’avocat général Jean-François Leclercq a déposé des
conclusions au greffe.
Le président de section Albert Fettweis a fait rapport et l’avocat général
Jean-François Leclercq a été entendu en ses conclusions.
II.
Le moyen de cassation
La demanderesse présente un moyen libellé dans les termes suivants :
Dispositions légales violées
Articles 1319, 1320, 1322 et 1347 du Code civil
Décisions et motifs critiqués
Après avoir constaté qu’aux termes d’un compromis de vente, la
défenderesse a vendu à la demanderesse un immeuble situé à …, que le prix
convenu était de 55.000 euros payable à la signature de l’acte authentique, que
le compromis « ne fait pas état du paiement d’un acompte. Les parties
reconnaissent cependant qu’un acompte de 23.000 euros a été payé le 5 juin
2007 ; 3.000 euros aurai(en)t été adressés à l’agent immobilier », que l’acte
authentique ne sera pas passé, que, par courrier du 18 mai 2010, le conseil de
la demanderesse a proposé à la défenderesse « de résilier amiablement la
vente et de rembourser la somme de 23.000 euros à sa cliente au motif que la
venderesse avait caché le fait que les constructions érigées sur le terrain vendu
l’avaient été au mépris des prescriptions urbanistiques », qu’aucune suite ne
paraît avoir été réservée à cette demande, que, par citation du 9 juin 2011, la
demanderesse a demandé « résolution de la vente intervenue entre parties » et
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demandait également condamnation de la défenderesse « à lui rembourser la
somme de 23.000 euros versée à titre d’acompte outre les intérêts et la somme
de 5.000 euros au titre de dommages et intérêts », que cette demande a été
contestée par la défenderesse, laquelle, par voie reconventionnelle, a demandé
de son côté résolution de la vente mais aux torts et griefs de la demanderesse
ainsi que le paiement d’une indemnité équivalente à 10 p.c. du prix de vente,
soit la somme de 7.800 euros, que le tribunal de première instance de Namur,
saisi des demandes, a, selon les termes de l’arrêt, « constaté que la vente a été
résiliée de commun accord et a constaté qu’il était donc impossible de
résoudre le contrat de vente. Il a fait droit à la demande de remboursement de
la somme de 23.000 euros versée au titre d’acompte par (la demanderesse) »,
sur appel de la défenderesse, l’arrêt attaqué confirme le jugement du premier
juge « en ce qu’il a dit la convention de vente résiliée de commun accord par
les parties », que, s’agissant de la demande de la demanderesse de
remboursement de la somme de 23.000 euros, étant le paiement de l’acompte,
il la déboute.
L’arrêt se fonde sur les motifs suivants :
« 1. (La demanderesse) poursuit la résolution de la vente aux torts et
griefs de (la défenderesse) au motif que la parcelle de terrain vendue n’est pas
conforme aux stipulations contractuelles car la caravane et le chalet qui s’y
trouvent ont été érigés au mépris des prescriptions urbanistiques.
(La défenderesse) mentionne quant à elle que (la demanderesse) a
renoncé à l’achat dès lors qu’elle n’avait pas obtenu le crédit pour payer le
solde du prix de la vente. Elle excipe d’un document aux termes duquel (la
demanderesse) indique ‘je soussignée (la demanderesse), renonce à l’achat du
terrain sis rue … à …, propriété de (la défenderesse)’ (…).
Comme le premier juge le mentionne pertinemment, l’absence de
réception de l’acte notarié dans les quatre mois du compromis de vente et de
poursuite de sanction voire l’absence de réaction de (la défenderesse) durant
plusieurs années démontre(nt) que le contrat a été résilié de commun accord et
non pas unilatéralement par (la demanderesse).
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Les demandes parallèles des parties en résolution de la vente ne sont
donc pas fondées. Les demandes accessoires en dommages et intérêts sont
donc également dénuées de fondement.
2. S’agissant de la demande de remboursement de 23.000 euros, versés
au titre d’acompte, (la défenderesse) affirme avoir remis cette somme de main
à main à (la demanderesse).
Il faut constater que (la demanderesse) a rédigé le document
susmentionné précisant renoncer à l’achat litigieux sans aucunement faire
référence au remboursement de l’acompte de 23.000 euros, ce qui peut
s’analyser comme un commencement de preuve par écrit quant à la position de
(la défenderesse) selon laquelle elle a effectivement remboursé cette somme. À
cet élément, il faut ajouter que (la défenderesse) établit le retrait d’une somme
de 20.000 euros sur son compte bancaire le 3 septembre 2007. À cela s’ajoute
encore le silence de (la demanderesse) durant plus de trois ans et l’attestation
d’une dame D. laquelle atteste avoir assisté à la remise de la somme en liquide
(…).
Le commencement de preuve par écrit est donc corroboré par des
présomptions suffisamment précises et concordantes que pour conclure au
paiement par (la défenderesse) des 23.000 euros actuellement réclamés par (la
demanderesse) ».
Griefs
Première branche
Toutes « choses » excédant la somme de 375 euros doivent être
constatées par écrit.
Et il en est ainsi d’un paiement.
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Toutefois, par dérogation, la preuve peut en être reçue par témoins ou
présomptions « lorsqu’il existe un commencement de preuve par écrit ».
Le commencement de preuve par écrit est un « acte par écrit qui est
émané de celui contre lequel la demande est formée (…) et qui rend
vraisemblable le fait allégué », conformément à l’article 1347 du Code civil.
Et, si le caractère vraisemblable du fait est de l’appréciation du juge du
fond, encore la Cour de cassation est-elle autorisée à vérifier si, de ses
constatations, le juge n’a pas méconnu la notion légale de vraisemblance et,
par conséquent, violé l’article 1347 du Code civil.
L’arrêt reproduit le texte du document – non daté – signé par la
demanderesse et qu’il considère comme étant un « commencement de preuve
par écrit », visé au texte légal cité, rendant vraisemblable le remboursement de
l’acompte litigieux – ce qui autorise la preuve par témoins et présomptions
dont la cour d’appel considèrera qu’elle est acquise.
Toutefois, d’une part, l’arrêt se fonde, pour considérer que l’écrit rend
vraisemblable le remboursement de l’acompte, non sur le document en tant que
tel mais sur ce qu’il ne contient pas : la demanderesse l’a rédigé « sans
aucunement faire référence au remboursement de l’acompte de 23.000 euros ».
En tant que tel, l’écrit ne saurait donc rendre vraisemblable le remboursement.
Il contient au mieux une « présomption » de remboursement – ce qui est
différent et ne rencontre pas l’exigence de l’article 1347 du Code civil (si ce
texte admet la preuve par présomptions, c’est à la condition précisément
qu’existe en tout cas un commencement de preuve par écrit).
D’autre part, il résulte des constatations de l’arrêt que la défenderesse
a considéré, au contraire, que cet écrit faisait montre de l’attitude fautive de la
demanderesse. La défenderesse a fait état de ce document pour faire échec à la
demande de résolution de la vente formée par la demanderesse pour le motif
relevé (la défenderesse « n’avait pas obtenu le crédit pour payer le solde du
prix ») et soutenir en conséquence que la demanderesse avait, d’initiative,
renoncé à l’achat et ce fautivement.
Et la défenderesse avait en effet soutenu en conclusions :
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« On ne peut, sans violer la foi due à la pièce 4 du dossier, prétendre
que les parties ont convenu d’une résiliation amiable et encore moins que la
[défenderesse] aurait fautivement rompu la convention signée le 6 juin 2007.
Cette pièce 4 constitue un acte unilatéral irrévocable de rupture du
contrat. Il ne contient aucune motivation, aucun grief à l’encontre de la
(défenderesse). Il s’agit donc d’une rupture sans motif qui est nécessairement
fautive dans le chef de (la demanderesse).
Il convient de réformer la décision dont appel et de dire pour droit que
la résolution est le fait de (la demanderesse) qui doit en répondre. Il convient
de faire application de l’article 9 du compromis et de faire droit à la demande
reconventionnelle de la (défenderesse) [c’est-à-dire la condamnation de la
demanderesse au paiement d’une somme égale à 10 p.c. du prix de vente, à
titre de pénalité] ».
Dès lors que la défenderesse tenait cet écrit pour une rupture fautive du
contrat et, en conséquence, demandait condamnation de la demanderesse au
paiement de dommages et intérêts, il ne peut être soutenu qu’un tel écrit rende
vraisemblable le remboursement immédiat et spontané de l’acompte par la
défenderesse – lequel serait en totale contradiction avec le grief formulé par la
défenderesse.
Il s’ensuit qu’en déboutant la demanderesse de sa demande de
remboursement de l’acompte, au motif que la preuve de ce remboursement est
acquise, et en se fondant sur l’écrit litigieux pour admettre la preuve par
présomptions de ce remboursement, l’arrêt méconnaît la notion de
vraisemblance visée à l’article 1347 du Code civil et, en conséquence, viole
celui-ci.
Seconde branche
La défenderesse a soutenu dans ses conclusions :
« Si la (défenderesse) a reconnu avoir reçu 23.000 euros dont 3.000
euros ont servi à désintéresser l’agent immobilier, son aveu est indivisible et
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ne peut être dissocié de l’allégation concomitante qu’elle a restitué 20.000
euros à (la demanderesse).
Subsidiairement, la (défenderesse) démontre à suffisance avoir restitué
la somme de 20.000 euros à (la demanderesse) en produisant un retrait de
20.000 euros le 3 septembre 2007 en même temps que (la demanderesse) lui
remettait sa renonciation à acquérir le terrain litigieux.
Ces pièces constituent les écrits probants. À tout le moins constituentelles des commencements de preuve par écrit autorisant la (défenderesse) à
faire la preuve par toute voie de droit notamment par présomptions ».
Il se déduit de ce passage des conclusions de la défenderesse que celleci n’a pas soutenu avoir remboursé la totalité de l’acompte litigieux à la
demanderesse, soit la somme de 23.000 euros, mais, seulement, une partie de
cet acompte, soit la somme de 20.000 euros.
Il s’ensuit, d’une part, qu’en considérant que l’écrit dont question plus
haut rend vraisemblable le remboursement de la totalité de l’acompte, l’arrêt
méconnaît à nouveau, et pour cette raison supplémentaire, la notion de
vraisemblance visée à l’article 1347 du Code civil (violation de cette
disposition), d’autre part, en relevant que la défenderesse « affirme avoir
remis cette somme [23.000 euros] de main à main à (la demanderesse) »
méconnaît la foi due au passage reproduit des conclusions de la défenderesse
(violation des articles 1319, 1320 et 1322 du Code civil).
III.
La décision de la Cour
Quant à la première branche :
L’article
1347,
alinéa
2,
du
Code
civil
considère
comme
commencement de preuve par écrit tout acte par écrit qui est émané de celui
contre lequel la demande est formée, ou de celui qu’il représente, et qui rend
vraisemblable le fait allégué.
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Si le juge apprécie en fait si l’acte qui lui est soumis rend vraisemblable
le fait allégué et constitue, dès lors, un commencement de preuve par écrit, il
est au pouvoir de la Cour de vérifier si le juge n’a pas méconnu la notion légale
de vraisemblance.
Pour qu’un fait soit vraisemblable, il ne suffit pas qu’il paraisse
possible, il faut qu’il présente une apparence de véracité.
L’arrêt constate que la défenderesse produit un document aux termes
duquel la demanderesse indique « je soussignée […] renonce à l’achat du
terrain sis rue … à …, propriété de [la défenderesse] » et relève que la
demanderesse a ainsi précisé renoncer à l’achat litigieux « sans aucunement
faire référence au remboursement de l’acompte de 23.000 euros ».
Il considère, sur la base de ces énonciations, que ce document « peut
s’analyser comme un commencement de preuve par écrit quant à la position de
[la défenderesse] selon laquelle elle a effectivement remboursé cette somme ».
En déduisant la vraisemblance du remboursement par la défenderesse
de l’acompte de 23.000 euros de l’absence de mention de ce remboursement
dans l’écrit précité, l’arrêt méconnaît la notion de vraisemblance au sens de
l’article 1347, alinéa 2, du Code civil et viole, dès lors, cette disposition.
Le moyen, en cette branche, est fondé.
Sur les autres griefs :
Il n’y a pas lieu d’examiner la seconde branche qui ne saurait entraîner
une cassation plus étendue.
Par ces motifs,
La Cour
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Casse l’arrêt attaqué, sauf en tant qu’il reçoit l’appel et qu’il confirme le
jugement du premier juge en ce qu’il dit la convention de vente résiliée de
commun accord par les parties ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l’arrêt
partiellement cassé ;
Réserve les dépens pour qu’il soit statué sur ceux-ci par le juge du
fond ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, devant la cour d’appel de Mons.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où
siégeaient le président de section Albert Fettweis, les conseillers Didier
Batselé, Mireille Delange, Michel Lemal et Marie-Claire Ernotte, et prononcé
en audience publique du dix-huit septembre deux mille quinze par le président
de section Albert Fettweis, en présence de l’avocat général Jean-François
Leclercq, avec l’assistance du greffier Patricia De Wadripont.
P. De Wadripont
M.-Cl. Ernotte
M. Lemal
M. Delange
D. Batselé
A. Fettweis

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