Les écoles de journalisme, une nouvelle norme
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Les écoles de journalisme, une nouvelle norme
Université Nancy 2 Faculté des Lettres & Sciences Humaines UFR Lettres Mémoire de stage pour l'obtention de la Licence Professionnelle « Journalisme Spécialisé » LES ECOLES DE JOURNALISME, UNE NOUVELLE NORME DANS UNE PROFESSION EN PLEINE MUTATION ECONOMIQUE ET TECHNOLOGIQUE Présenté par : BAZZARA Aurélie Organisme ou entreprise d’accueil du stagiaire Fréquence Fac, Nancy Période de stage du 13 février au 6 mai 2012 Tuteur professionnel Tutrice universitaire Pol Laurent Claude Proeschel Année Universitaire 2011-2012 1 Page Remerciements En préambule de ce mémoire de stage, je tiens tout particulièrement à remercier mon maître de stage M. Pol Laurent pour son accueil chaleureux, sa bonne humeur et son sens de la formation, ainsi que M. Thomas Braun de m'avoir acceptée en tant que stagiaire au sein de Fréquence Fac. La confiance qu'ils m'ont accordée fut très motivante et cette expérience très formatrice. Je leur suis aussi reconnaissante de m'avoir laissée travailler en autonomie. Je remercie également la rédaction de France Bleu Sud Lorraine : M. Franck Rabaud-Weill, M. Laurent Watrin, M. Denis Souilla, M. Mohand Chibani et Mme. Nathalie Broutin, tous journalistes, pour leur disponibilité, leur aide et leurs conseils dans le cadre de mes réalisations. Je n'oublie pas M. Nicolas Sourisce, M. Sylviano Marchione, Mme Nicole Gauthier et M. Dimitri Rahmelow ; des professionnels du milieu journalistique, avec qui j'ai travaillé pour élaborer ce mémoire. Ainsi que M. Mickaël Frison, étudiant à l'institut de journalisme de Bordeaux Aquitaine. D'une façon plus générale, je remercie l'ensemble de l'équipe de Fréquence Fac et l'équipe de France Bleu Sud Lorraine pour l'intérêt qu'ils m'ont porté tout au long de mon stage et pour les compétences qu'ils ont pu m'apporter. Je remercie de même, ma tutrice de stage Mme. Claude Proeschel, pour son encadrement pendant toute la durée de ce stage. Merci à tous et à toutes pour votre soutien 2 Page Sommaire Introduction .......................................................................................................4 I. FRANCE BLEU SUD LORRAINE ET FREQUENCE FAC, DEUX IDENTITES MAIS DEUX RADIOS PARENTES...........................................6 1. FREQUENCE FAC, LA WEB RADIO ETUDIANTE ...................................6 1.L'histoire de Fréquence Fac, une identité, des objectifs, un lien privilégié avec France Bleu Sud Lorraine ..............................................6 2.Le budget et la programmation ...........................................................9 3.Un avenir incertain pour Fréquence Fac ...........................................10 2. FRANCE BLEU SUD LORRAINE, UNE RADIO DE PROXIMITE............10 1.L'histoire de France Bleu Sud Lorraine, une identité, des objectifs ..10 2.L'organisation et le budget ................................................................11 II. JOURNALISTE : UNE PROFESSION EN MOUVEMENT, UNE FORMATION NOUVELLE ...........................................................................12 1. LES ECOLES DE JOURNALISME EN FRANCE ....................................12 1.Journaliste, la construction d'une profession, la nécessité d'une formation ...............................................................................................13 2.Une offre de formation actuellement conséquente.............................14 2. LA FORMATION, UN GAGE DE QUALITE POUR LES EMPLOYEURS. .16 ...................................................................................................................17 1.Des mutations économiques et technologiques importantes : le « pluri-média », le journalisme de l'offre et des supports élargis .........17 2.Les écoles de journalisme s'adaptent aux nouvelles exigences de la profession : mobilité, polyvalence et expérience ..................................20 3. LES ECOLES DE JOURNALISME, UN GAGE DE QUALITE POUR LA PROFESSION ............................................................................................28 1.La menace de la montée du journalisme amateur..............................28 2.Des enseignements en école qui conservent les valeurs du métier....29 III. LA FORMATION EN ECOLE DE JOURNALISME, UNE NOUVELLE NORME EFFICACE ?....................................................................................31 1. LE JOURNALISME, UNE PROFESSION TOUJOURS OUVERTE ET DIVERSIFIEE ? ..........................................................................................32 1.Des écoles de journalisme reconnues très sélectives.........................32 2.Une vulgarisation et un appauvrissement de l'information ...............34 2. RISQUE DE BANALISATION DU DIPLOME ........................................35 1.Le journalisme, un corps journalistique ? ..........................................35 2.L'exemple du Studio école de France, une école non reconnue .......37 3.Le débat est engagé : faut-il instaurer un diplôme obligatoire ? ......38 Conclusion ........................................................................................................41 Bibliographie ......................................................................................................43 Annexes...............................................................................................................44 3 Page Introduction Ce stage, d'une durée de quatre mois environ (du 13 février 2012 au 5 mai 2012), a consisté à participer activement à la vie d'un média radiophonique, Fréquence Fac, diffusé uniquement sur Internet, en bénéficiant pleinement du statut de reporter. Etudiante en licence professionnelle de journalisme spécialisé à l'Université de Lorraine, j'ai eu la chance de réaliser un stage dans un média dans le but de parfaire mes connaissances dans le domaine de la radio. L'enseignement dispensé au sein de mon cursus universitaire m'a permis de développer au mieux mon savoir en matière de journalisme radiophonique. Cette démarche n'a fait qu'encourager mon projet professionnel. C'est pourquoi, il me paraissait primordial de trouver une entreprise qui me proposait de mettre à son service mes compétences journalistiques afin de participer à la vie du média tout en m'apportant un enseignement de terrain. Ainsi, j'ai postulé à Fréquence Fac, qui me permettait de choisir un statut particulier (présentateur, animateur, journaliste, reporter, chroniqueur) en me faisant également découvrir l'intégralité de la vie d'une radio que ce soit l'animation, la présentation et la technique. J'ai trouvé judicieux de proposer mes services en tant que stagiaire à un média qui cohabite avec une radio locale du réseau France Bleu. En effet, j'ai trouvé que c'était un moyen efficace de faire ses premiers pas dans le métier en se créant un carnet d'adresses ainsi que des contacts en vue d'une future carrière. De plus, une nouvelle locale du réseau France Bleu va voir prochainement le jour, le groupe sera donc en période de recrutement. Pendant cette période de stage, je me suis familiarisée avec un ensemble de savoir-faires et de techniques mais aussi avec un véritable travail en rédaction. Ceci m'a permis de réaliser des reportages sur tous types de sujets dans des conditions optimales. 4 Page La vie au sein de la rédaction de Fréquence Fac et de France Bleu Sud Lorraine ainsi que le travail sur le terrain m'a amené à rencontrer de nombreux journalistes. Si quelques journalistes font fonctionner ce que l'on nomme le « piston » ou encore utilisent Fréquence Fac comme tremplin professionnel, je me suis rendu compte qu'il semblerait que le passage par une école de journalisme soit une nouvelle norme dans la formation des jeunes journalistes. En effet, tous les nouveaux journalistes au sein de la rédaction locale sont issus d'une école de journalisme. Alors que certains journalistes titulaires se sont formés « sur le tas ». Je proposerai donc dans ce mémoire d'éclaircir ce point : pourquoi la formation en école de journalisme semble être une nouvelle norme pour devenir journaliste ? Dans une première partie, je présenterai la structure d'accueil ainsi que la radio France Bleu Sud Lorraine. Dans une seconde partie, j'établirai un lien entre l'explosion des centres de formation en France et la profession journalistique en pleine mutation. Dans une dernière partie, j'évoquerai les conséquences de ce changement, à savoir la nécessité d'un diplôme pour franchir les portes d'une rédaction dans l'hexagone. 5 Page I. FRANCE BLEU SUD LORRAINE ET FREQUENCE FAC, DEUX IDENTITES MAIS DEUX RADIOS PARENTES 1. FREQUENCE FAC, LA WEB RADIO ETUDIANTE Fréquence Fac existe sous le même nom et conserve le même concept depuis quinze ans environ. Située dans les mêmes locaux que France Bleu Sud Lorraine, je me devais donc de présenter également cette radio de proximité qui m'a épaulée durant ma période de stage. Pour bien comprendre ce que sont les projets et l'esprit des deux radios nancéiennes, il convient de replacer brièvement leurs histoires dans celle de la bande FM et au sein de l'histoire de la webradio. 1. L'histoire de Fréquence Fac, une identité, des objectifs, un lien privilégié avec France Bleu Sud Lorraine Un monopole d’État a été établi sur les stations de radio en 1945, au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Le service public devait désormais cohabiter, tant bien que mal, avec cinq réseaux commerciaux privés et puissants. Toutes les autres radios ont adopté le statut de radios dites pirates et ont essayé de briser ce monopole. Il a fallu attendre l'année 1981 et l'arrivée de François Mitterrand au pouvoir pour libéraliser les ondes. Ce fut la naissance des radios libres. Mohand Chibani est le fondateur de Fréquence Fac en 1993. Jeune étudiant en communication à la faculté de Lettres et Sciences Humaines de Nancy, il a décidé de créer une radio étudiante. Il voulait donner naissance à un support de diffusion dont le but était de réunir la masse d'information qui se condensait au sein de l'Université. Dédiée aux étudiants, elle a su se pérenniser dans un contexte pourtant difficile. D'abord diffusée d'une cave située dans un quartier du Haut-du-Lièvre à Nancy, elle s'est associée la même année à Radio Graffiti, une radio associative nancéienne, en 1993. Forte de cette expérience, 6 Page Fréquence Fac a acquis une certaine notoriété dans le milieu étudiant tout en souhaitant se professionnaliser d'avantage. La rédaction a signé une convention de partenariat avec France Bleu Sud Lorraine en 1995. Par ailleurs, la radio étudiante s'est dotée d'un statut juridique en 2000 : Fréquence Fac l'association. Fréquence Fac a donc signé dès sa création le slogan « la radio faite par des étudiants pour des étudiants ». Le ton est donné. Son contenu a essentiellement pour but de toucher un public cible de jeunes. A en voir les sujets d'actualités traités dans le journal, il ne s'agit que d'informations sur le monde estudiantin ou pouvant toucher un public universitaire. Par conséquent, les membres de la radio ont une connaissance pointue sur le milieu scolaire, à tel point que les membres de la rédaction de France Bleu Sud Lorraine viennent s'éclairer auprès des « Fréqfac » lorsqu'ils doivent traiter des sujets étudiants. Depuis une quinzaine d'année, on peut considérer que le paysage radiophonique français est rasséréné, mais le support radio a connu une période de trouble, notamment dû à des rachats en nombre et des alliances forcées. En 2007, le CSA a lancé un vaste plan de réattribution des fréquences dans le but de rationaliser le paysage radiophonique français. Radio France a subi de nombreux doublons de fréquences. Bien que le paysage radiophonique français tente aujourd'hui de se structurer sur les ondes, il est en revanche totalement dissipé sur Internet par le biais des webradios. Fréquence Fac reflète bien l'avancée dans le paysage radiophonique. D'abord diffusée une heure par jour sur les ondes de Radio Graffiti, puis sur les ondes de France Bleu Sud Lorraine, la radio étudiante a ensuite été touchée par le « Plan Bleu » lancé par Radio France en 2009. L'objectif était de mettre une certaine cohérence et d’harmoniser la programmation des stations locales. Fréquence Fac a été exclue des ondes bleues et a opéré un basculement forcé sur le web. Désormais, l'émission étudiante est diffusée du lundi au vendredi sur le site internet Frequencefac.com et sur la diffusion en continu de France Bleu Sud Lorraine de dix-neuf heures à vingt heures. Désormais, la webradio étudiante a deux objectifs principaux : ne pas perdre d'argent et assurer la pérennité de l'image de la radio. Ceux-ci passent premièrement par l'audience. Entre cent cinquante et deux cents auditeurs 7 Page écoutent Fréquence Fac par jour. Autre donnée : la diffusion en continu a été suivie plus de dix mille fois en l'espace de six mois. Ici, il s'agit d'audience « cumulée-vieille », laquelle est indépendante de la durée d'écoute. On peut faire remarquer que le média réunissait mille auditeurs quotidiennement lorsque l'émission était diffusée en FM. On constate l'impact du basculement de la FM sur la toile sur le nombre d'écoute. La pérennité du média est deuxièmement assurée par le nombre de bénévoles. Ceux-ci sont en charge de donner une image positive du média. Ils assurent également le contenu en le diversifiant, ce qui donne du crédit au média auprès de l'auditeur. A l'origine, cinq bénévoles fabriquaient le contenu de l'émission. Aujourd'hui, la rédaction compte une trentaine de bénévoles chaque année. L'équipe régulière se compose tout juste d'une dizaine de personnes ; un nombre insuffisant pour le rayonnement du média. Aujourd'hui, la rédaction de Fréquence Fac se situe toujours dans les locaux de France Bleu Sud Lorraine. Les membres de l'équipe ont accès à un studio d'enregistrement, aux matériels et logiciels tels que la cabine d'enregistrement (nommée dans le milieu « KB »), Openmédia et RadioAssit. Elle bénéficie aussi des services d'un technicien du groupe Radio France. Outre le fait d'offrir le confort nécessaire afin d'optimiser la réalisation des émissions quotidiennes, la locale du service public se sert de la radio étudiante comme d'un vivier. En effet, de nombreux bénévoles sont devenus « des Bleus ». Les jeunes journalistes et animateurs en herbe sont écoutés par la rédaction et repérés par la suite. Preuve de ce basculement, France Bleu Sud Lorraine compte quatre anciens « Freqfac » parmi ses neuf animateurs. On peut citer Véronique Lorre, Sarah Polacci ou encore Vincent Loriol. Il en va de même du coté des journalistes. Nathalie Broutin, Mohand Chibani ou encore Marine Scherer sont des anciens de la radio étudiante qui ont intégré les rangs de la locale du réseau France Bleu en Lorraine. Fort d'une première expérience au sein de Fréquence Fac, d'autres prennent leur envol en dehors des studios bleus. Par exemple, Benjamin Mathieu est actuellement attaché de production à France Info, Virginie Demange est passée par les rédactions de M6, la Voix du Nord, Image PLUS et l'Est Républicain et actuellement journaliste pour France 3, Nicolas Bredard est actuellement journaliste reporter d'images à Vosges 8 Page Télévision ou encore Amandine Scherer qui est passée par le Journal du cinéma, l'Hebdo du cinéma, M6, France 5 et est co-fondatrice du Petit Journal de Yann Barthès sur Canal +. Par conséquent, Fréquence Fac représente une école formatrice au métier de journaliste ou d'animateur sur le support radiophonique. Preuve de ce vivier, des lettres d'anciens « Fréqfac » sont affichées aux murs du bureau de la webradio. 2. Le budget et la programmation Le budget annuel de la radio étudiante est d'environ trente mille euros par an, dont la majeure partie est absorbée par le salaire des deux employés de la rédaction, Thomas Braun (directeur des programmes) et Pol Laurent (rédacteur en chef). La totalité du budget provient de sommes d'argent provenant de l'Université de Lorraine, du CROUS (centre régional des œuvres universitaires et scolaires) et des collectivités territoriales. Les dépenses sont quasiment des frais fixes tel que les droits distribués à la SACEM. Le budget prend également en compte des frais occasionnels ; notamment le renouvellement du matériel (les enregistreurs ou les ordinateurs), les frais de communication (impression d'affiches, création de stylos et de clés USB) ou encore les frais de déplacements. Par exemple, lors de mon stage, la radio a eu l'occasion de réaliser un reportage sur la finale culinaire du CROUS à Paris ou bien sur une action de l'Unicef au Bénin en Afrique. Les coûts de diffusion sont moindres puisqu'il s'agit d'une diffusion exclusivement sur la toile. L'équilibre financier de la radio est respecté. Fréquence Fac a aussi de nombreux partenariats qui sont établis en termes d'échange de visibilité. La radio étudiante assure une promotion en échange d'informations ou alors de cadeaux à faire gagner aux auditeurs. On peut citer l'Autre Canal, l'ensemble Poirel, la Manufacture, les Trinitaires à Metz, le Label LN, le bureau régional de la vie étudiante, la Fédération des Etudiants Nancéiens, les lieux de sorties (L'envers Club, le Réseaux, le Lazer Maxx …), Metz Métropole, la MGEL (qui assure les frais de la radio étudiante lors d'une campagne d'affichage) ou encore Wifi Lorraine (qui héberge les podcasts des émissions). 9 Page 3. Un avenir incertain pour Fréquence Fac Forte d'une expérience de quinze années environ, Fréquence Fac a pris la décision de quitter les locaux de France Bleu Sud Lorraine le 22 juin prochain pour prendre son envol. Deux facteurs ont encouragé cette décision. Lors du basculement de la FM à la diffusion sur internet, la radio étudiante a perdu bon nombre de ses auditeurs. De plus, les locaux sont excessivement coûteux pour Fréquence Fac qui n'a qu'un petit budget bloquant ainsi des initiatives permettant de redorer l'image de la radio en perte de vitesse. Pour cela, trois projets sont actuellement en cours de réflexion : devenir le média officiel de l'Université de Lorraine, conserver son indépendance envers l'entité universitaire et organiser une diffusion web « non stop » ou alors signer un nouveau partenariat avec une autre radio afin d'être à nouveau diffusée sur la bande FM. Il va s'agir pour le média de retrouver sa place sur les bandes FM ou sur la Radio Numérique Terrestre qui va être mise en place prochainement. 2. FRANCE BLEU SUD LORRAINE, UNE RADIO DE PROXIMITE 1. L'histoire de France Bleu Sud Lorraine, une identité, des objectifs Le groupe Radio France a obtenu l'autorisation de créer trois radios locales en 1980 : Fréquence Nord, Radio Mayenne, et Melun FM. Par la suite, vingt-neuf autres radios de proximité ont vu le jour à partir des radios gérées par France 3 comme c'est la cas de France Bleu Sud Lorraine, qui était donc une radio privée avant de faire partie du premier groupe radiophonique français public. Elle s'est tout d'abord appelée Radio Nancy, puis Radio Lorraine, Radio Lorraine-Champagne, Radio Nord-Est, Radio France Nancy avant de trouver son nom actuel. La rédaction se situe au 21-23 boulevard du Recteur Senn à Nancy. France Bleu Sud Lorraine est une radio faisant partie du réseau France Bleu qui représente quarante-trois radios locales françaises, bientôt quarantequatre. Par conséquent, elle fait partie du groupe Radio France, le plus grand groupe radiophonique français public. La directrice actuelle du réseau France Bleu est Anne Brucy et le directeur de France Bleu Sud Lorraine est Marc 10 Page Scherer. En septembre 2000, le réseau France Bleu a lancé le « Plan Bleu » afin de mettre de l'ordre dans les programmations et d'harmoniser les quarante-trois locales. Le réseau France Bleu a deux objectifs principaux. Il s'efforce d'allier exigence culturelle et respect du grand public tout en étant un relais d'information. Ainsi, on peut citer les missions expliquées sur le site de Radio France (faisant partie intégrante du groupe Radio France, ces missions valent également pour le Réseau France Bleu) : « Pour l’accomplissement de toutes ces missions, le cahier des missions et des charges fixé par décret définit, conformément à l’article 48 de la loi du 30 septembre 1986, les obligations de Radio France, notamment celles liées à sa mission éducative, culturelle et sociale, à la lutte contre les discriminations par le biais d’une programmation reflétant la diversité de la société française, ainsi qu’aux impératifs de la défense nationale, de la sécurité publique et de la communication gouvernementale en temps de crise. Le cahier des charges précise également les caractéristiques et l’identité des lignes éditoriales de chacune des chaînes de Radio France ainsi que les modalités de programmation des émissions publicitaires : il prévoit notamment la part maximale de publicité autorisée ». Depuis 2000, les radios du réseau bleu affichent le slogan « l'info vue d'ici » qui signe pleinement son identité répondant ainsi parfaitement au public cible à savoir les trente-cinq ans et plus et actifs. La radio affiche la volonté d'être proche de ses auditeurs, reprenant ainsi son rôle de compagnon du quotidien. 2. L'organisation et le budget Pour assurer un contenu diversifié, France Bleu Sud Lorraine dispose d'une rédaction grande et intergénérationnelle. Elle compte huit journalistes permanents et de nombreux CDD 1 et pigistes. De plus, la rédaction comprend neuf animateurs et, tout comme du coté des journalistes, il y a des animateurs en CDD. Des chroniqueurs viennent également assurer le contenu sur la bande FM. Le budget de France Bleu Sud Lorraine a été adopté en décembre par les 1 Contrat à durée déterminée 11 Page dirigeants du groupe Radio France pour l'année 2012. Le groupe du service public redistribue un montant de 668,1 millions d'euros à toutes les radios du groupe. Le budget est en progression de 2,4% par rapport à l'année 2011. Par ailleurs, il permet de poursuivre « le développement du maillage territorial pour le réseau France Bleu avec la préparation de l’ouverture d’une quarantequatrième station à Saint Etienne ». Tout comme Fréquence Fac, France Bleu Sud Lorraine a de nombreux partenariats qui se réalisent en termes d'échange de visibilité. Concernant l'écoute, le réseau France Bleu a réalisé une audience cumulée record de 7,1%, soit près de quatre millions d'auditeurs quotidiens selon le dernier sondage Médiamétrie réalisé en décembre dernier. Les radios bleues voient augmenter leur écoute de trois cent mille auditeurs en plus par rapport à l'année passée. Elle prend ainsi la seconde place des radios généralistes, entre Europe 1 et France Inter. Preuve en est que la radio de proximité a encore de beaux jours devant elle2. II. JOURNALISTE : UNE PROFESSION EN MOUVEMENT, UNE FORMATION NOUVELLE 1. LES ECOLES DE JOURNALISME EN FRANCE L'apparition d'une formation journalistique va de pair avec l'émergence du métier de journaliste. En effet, la question d'un apprentissage spécifique se pose à une période de l'histoire où la profession s'érige, à partir du 19e siècle. A partir de ce constat, les acteurs du champ journalistique pensent à un indispensable apprentissage en école d'un métier comme les autres. Bien plus tard, le sociologue Jean-Marie Charon ajoutera que la formation journalistique serait la clé pour se distinguer parmi d'autres métiers intellectuels. L'enseignement nécessite un lieu ad hoc. Par conséquent, il est nécessaire de retracer un bref historique de l'émergence du métier de journaliste afin de comprendre le développement de l'instruction de cette profession en France. 2 Voir Annexe 1 12 Page 1. Journaliste, la construction d'une profession, la nécessité d'une formation Aujourd'hui, l'évidence est de mise : être journaliste est un métier. Mais la profession ne s'est pas érigée dès les premières publications occasionnelles 3 apparues aux environs du 15e siècle, rédigées par des hommes de lettres. Il a fallu attendre les années 1830 pour observer une montée en puissance du métier et une émergence de nombreux patrons de presse emblématiques tels que Emile de Girardin, Hypolite de Villemessant (le fondateur du Figaro) ou encore Moïse Millaud (le créateur du Petit Journal). D'ailleurs, le mot « journaliste », n’apparaît sous la plume de Pierre Bayle 4 en Hollande qu'en 1684 en préface des ses Nouvelles de la République des Lettres et ne sera utilisé en France qu'en 1870. Au fil du temps, des problématiques salariales apparaissent, amenant les journalistes à rompre avec l'idéal de lettres. Des associations gardiennes des valeurs et des droits sociaux en sont l'illustration, tel que l'Association des professionnels Parisiens (1884) suivies de nombreuses autres. L'autre étape marquante dans l'émergence de cette profession est la création du Syndicat National des Journalistes en 1918. Il a pour ambition de défendre la discipline professionnelle notamment en négociant les conditions de travail, les congés ou encore les salaires. Il milite aussi pour obtenir une reconnaissance législative d'un statut de journaliste. C'est en 1935 que la loi établissant le statut de journaliste est érigée, dite loi Brachard et Cressard. Suivi par la Commission de la Carte d'identité des Journalistes Professionnels, créée par la loi du 29 mars 1935, qui affirme l'identité du journaliste en délivrant une carte d'identité de journaliste professionnel. Par ailleurs, des textes régissant la profession sont édités : la Charte de 1881, la Charte des devoirs professionnels des journalistes français élaborée par le SNJ, la Déclaration des devoirs et des droits des journalistes dite la Charte de Munich conçue en 1971 ainsi que toutes les conventions internes spécifiques aux adhérents d'un média comme par exemple 3 Les publications occasionnelles sont de petits ouvrages rapidement imprimés tels que des bulletins d'informations, des canards ou des libellés. 4 Pierre Bayle est un philosophe et écrivain français. Il a créé et rédigé le périodique français Les Nouvelles de la République des Lettres qui rencontre un franc succès en Europe. 13 Page la Charte de Radio France. Face à cette montée en puissance de la reconnaissance du métier de journaliste, la question d'une formation se pose à l'époque clé de l'affirmation de l'identité du journaliste, c'est-à-dire au 19e siècle. Inversement, l'éducation va permettre d'affirmer le métier de journaliste. Un projet d'enseignement professionnel est alors pensé afin d'inculquer les techniques, les savoir-faire et les qualités morales nécessaires pour être journaliste. En 1899, la première école de journalisme voit le jour sous l'impulsion de Jeanne Weil 5. Une idée novatrice puisque c'est la première fois qu'une formation spécifique pour les journalistes peut être dispensée. A sa création, l'école suscite la moquerie et l'indifférence car, selon les acteurs de la profession, le journalisme n'est pas une discipline qui s'apprend dans une école. Les journalistes pensent que l'apprentissage se fait essentiellement sur le terrain, se faisant alors adeptes du proverbe : « c'est en forgeant que l'on devient forgeron » ! Une dualité de point de vue encore en vigueur actuellement. In fine, le champ journalistique présente la particularité de ne pas avoir de droit d'entrée sous condition de diplôme. Il est donc important de préciser qu'aucun diplôme n'est exigé pour exercer la profession de journaliste dans les pays qui promeuvent la liberté de la presse comme la France. Pourtant, les offres de formations explosent depuis quelques années dans l'hexagone. 2. Une offre de formation actuellement conséquente Selon sa dernière publication en date du mois de juillet 2007, l'Observatoire des Métiers de l'Audiovisuel6 recensait en France plus de soixante-neuf formations, qu'elles soient publiques ou privées, préparant au métier de journaliste. Parmi ces offres d'instruction diversifiées, il est néanmoins important de préciser qu'une dualité existe entre des écoles reconnues par la profession et d’autres centres de formation non reconnus. 5 Jeanne Weill, romancière, est plus connue sous le nom de plume Dick May. 6 L'Observatoire Prospectif des Qualifications et des Métiers de l'Audiovisuel est sous tutelle de la Commission Paritaire Nationale pour l’Emploi et la Formation de l’audiovisuel. 14 Page En 1976, les représentants des organisations professionnelles de journalistes mettent en place pour la première fois un contrôle des écoles de journalisme à l'occasion de la signature de la Convention Collective Nationale de Travail des Journalistes7. Elles s'engagent à donner leur concours à deux écoles : le Centre de Formation des Journalistes à Paris qui a vu le jour en 1946 et l'ESJ de Lille créé en 1924. Une cinquantaine d'années plus tard, ces deux écoles ont été rejointes par onze autres. Il y a des établissements publics : le CELSA Paris, le Centre Universitaire d'Enseignement du Journalisme de Strasbourg, l'Ecole de Journalisme et de Communication de Marseille, l'Ecole de Journalisme de Grenoble, l'Institut Français de Presse de Paris, l'Institut de Journalisme Bordeaux Aquitaine à Bordeaux, l'IUT de Lannion et l'IUT de Tours. Ils peuvent également être privés : le Centre de Formation des Journalistes de Paris, l'Ecole de Journalisme de Toulouse, l'Ecole Supérieure de Journalisme de Lille, l'Institut Pratique de Journalisme de Paris. L'Ecole de journalisme de Sciences Po Paris a un statut à part. Parallèlement, il existe aussi bon nombre de formations non reconnues par la profession. Il y a des centres Parisiens : l'Institut du monde anglophone à l'Université de la Sorbonne nouvelle, l'Institut européen de journalisme, l'Eurodio Studio Ecole de France, l'Institut supérieur de formation au journalisme, le Centre de formation et de perfectionnement des journalistes. Mais il existe aussi bon nombre de centres de formations en Province : l'Institut d'études politiques à Grenoble, l'Institut d'études politiques à l'Université de Rennes, l'IUT de Nice, l'Ecole de journalisme Nouvelles de Nice ou encore les nombreuses licence dites info-com. Même si le diplôme n'est pas un sésame obligatoire pour entrer dans la profession de journaliste, on constate tout de même une présence croissante des diplômés issus d'écoles de journalisme possédant le fameux label dans les médias les plus prestigieux. En 2010, plus de 15,6% des journalistes encartés ont suivi une formation reconnue8. Un chiffre en constante augmentation puisqu'ils étaient 12% en 2000. Une tendance reflétée dans la rédaction de France Bleu Sud Lorraine. Les journalistes titularisés (Franck Rabaud-Weill, 7 Signée par toutes les fédérations d'employeurs et tous les syndicats de journalistes, la convention collective s'applique à la totalité des journalistes titulaires de la carte de presse. C'est une pièce essentielle du statut de journaliste professionnel. 8 Voir annexe 2 15 Page Laurent Watrin, Nathalie Broutin) sont issus d'une école de journalisme ou alors, se sont former sur le tas comme Mohand Chibani. Mais les nouveaux journalistes en poste tels que Denis Souilla ou Marine Scherrer sont issus d'une école de journalisme. Sans exception. De plus, la formation serait, pour bon nombre de jeunes, le recours idéal pour accéder à leur rêve : être journaliste. Une attractivité des organismes prouvée par le nombre de postulants aux concours d'entrée des écoles de journalisme possédant le fameux label. Ainsi, les treize centres de formation reconnus ont accueilli près de 8 000 candidats en 2011 pour n'en retenir qu'environ 480. C'est pourquoi, certains n'hésitent pas à passer plusieurs fois ces concours pour augmenter leurs chances d'admission dans une de ces écoles car elles réservent une double garantie. Tout d'abord, celle de recevoir une formation indéfectible car les critères de reconnaissance sont acérés et exigeants. D'autre part, une meilleure insertion professionnelle est assurée par ces centres d'apprentissage du métier grâce à leurs réseaux, leurs partenaires et leur renommée. Quelles sont leurs qualités auprès du monde professionnel qui peuvent favoriser l'embauche ? Pourquoi sont-elles en train de devenir une nouvelle norme dans la profession ? 2. LA FORMATION, UN GAGE DE QUALITE POUR LES EMPLOYEURS Le constat est univoque : le champ médiatique est en pleine mutation économique et technologique. Ces modifications ont bouleversé l'organisation des entreprises médiatiques. Preuve est que l'expression « journalisme de marché », comme le nomment certains chercheurs anglo-saxons9, devient de plus en plus fréquente. Ces changements se caractérisent principalement par une importance accordée à la logique de profit. Cela est causé, en partie, à l'arrivé des managers et des gestionnaires dans les rédactions. C'est pourquoi, le maître-mot est désormais l'efficacité, ce qui fait des entreprises médiatiques des entreprises comme les autres. Les écoles de journalisme ont saisi la tendance globale et s'imposent grâce à leurs programmes d'enseignement comme un gage de qualité pour les employeurs qui sont à la recherche de 9 On peut citer les analystes J. McManus et du coté français, l'analyste Michel Mathien. 16 Page toujours plus de rentabilité. 1. Des mutations économiques et technologiques importantes : le « pluri-média », le journalisme de l'offre et des supports élargis Avant d'analyser les causes qui propulsent les écoles de journalisme en un passage recommandé pour exercer la profession de journaliste, il est nécessaire de se reporter aux chiffres d'audiences réalisés par l'ensemble des supports médiatiques. Ils permettent de faire état d'une tendance forte : les audiences et les diffusions médiatiques sont en baisse constante, sinon stagnantes. Selon le 22e Observatoire de la Presse 10, publié en mars 2012, l'évolution de la diffusion des supports papiers est alarmante. Evolution de la presse quotidienne Entre 2010 et 2011, la vente de support de presse quotidienne a reculé de 2,04% (la presse quotidienne nationale enregistre une diminution de 1,36% et la presse quotidienne régionale décline, elle aussi, de 2,28%). La tendance est moins marquée sur le support radio, qui réalise une audience cumulée de 82,1% en mars 2012 (elle était de 82,4% à la même période en 2011) selon le dernier sondage réalisé par l'institut Médiamétrie. En revanche, l'audience de la télévision a augmenté : en moyenne, un individu a regardé la télévision trois heures et vingt-huit minutes en mars 2012 (elle était de 3h19 à la même période de l'année précédente), selon le dernier sondage publié par l'institut 10 Chaque année, il dresse un panorama complet de la diffusion de la presse française à partir des données de diffusion et de fréquentation de plus de 2000 titres et sites adhérents à l’Office de Justification de la Diffusion, organisme de référence en matière de certification de la diffusion des Médias numériques en France. 17 Page Médiamétrie. Par conséquent, ils sont de plus en plus sous la houlette des logiques financières et concurrentes pour contrer cette crise d'audience que traversent actuellement les médias français. Pour pallier à cette situation inquiétante, les acteurs du champ médiatique avaient fait le choix de se protéger en se regroupant. Selon le journaliste Claude Bellanger, cette convergence n'est donc pas un phénomène nouveau puisqu'elle prend naissance pendant l'entre-deux guerres, à une époque où la radio fait son apparition. Par la suite, le lancement des nouvelles technologies intensifie davantage cette concentration. Dans ce contexte, le chercheur au CNRS (le centre national de la recherche scientifique) Jean-Marie Charon remarque que les groupes de presse ont progressivement élargi leur offre en s'emparant de l'audiovisuel (l'édition musicale, la vidéo, le Net et l'Internet). Ainsi, le terme de « stratégie multi-média », qui fait son apparition dans les années 1980, est progressivement remplacé par celui de « pluri-média ». Actuellement, 80% du marché médiatique se partage entre quelques groupes de communication possédant une large palette d'activités couvrant les médias et autres domaines les dotant d'une puissance financière incomparable. Ainsi, on peut citer Bertelsmann, le groupe allemand le plus influent en Europe (RTL, M6, Géo, Ça m’intéresse, Femme actuelle, Capital ou encore Voici) ou encore le groupe français Lagardère (Elle, Première, le Journal de Mickey, Ici Paris, Europe 1, Virgin Radio, Mezzo, Virgin 17 ou encore Gulli). Cette nouvelle forme d'organisation médiatique affecte directement les conditions de travail des journalistes qui sont soumis aux impératifs de rentabilité imposés par les dirigeants. Pour preuve, le marketing fait son apparition dans le domaine de l'information. Les médias ont, d'une part, recours à un style d'écriture particulier pour toucher un public dit « cible ». Michel Mathien, professeur de Sciences de l'information et de la communication à l'Université de Strasbourg, évoque l'idée d'un journalisme de l'offre. Pour Franck Rabaud-Weill, rédacteur en chef de France Bleu Sud Lorraine, « les radios sont fonction de ce que les gens viennent chercher sur telle ou telle radio. C'est une des chances du groupe Radio France puisqu'il 18 Page offre une palette extrêmement large qui va du mouv', radio pour un public jeune, à France Inter en passant par France Info et bien sûr par le réseau France Bleu. Cela permet de couvrir un spectre très large au niveau du public ». France Bleu Sud Lorraine a pour cible les personnes de 35 ans et plus, toujours actives. C'est pourquoi, la radio traite de l'information de proximité c'est-à-dire qu'une information nationale sera déclinée sous l'angle régional. Le ton employé par les journalistes à l'antenne est donc serein, les mots sont très articulés et l'on cherche à capter l'auditeur en utilisant souvent une question en début de sujet ou encore utilisant le pronom « vous » pour expliquer des faits. Par exemple : « vous l'avez sûrement vu ou entendu ... ». A l'inverse, Fréquence Fac utilise un ton très dynamique et presque familier pour toucher un public étudiant. Les formats, d'autre part, ont évolué pour satisfaire un public considéré par les patrons de presse comme des consommateurs d'informations rapides. Ils sont désormais très courts. « Il y a une quinzaine d'années, j'ai connu des locales où l'on faisait des débats et des magazines hebdomadaires. On se prenait plus de temps pour évoquer certain sujets de fond. Aujourd'hui, faute de place, il y a des sujets que l'on n'aborde plus du tout comme les sciences et la recherche. Par exemple, France Bleu a évolué vers du format très très court en terme d'information » affirme Laurent Watrin, journaliste à la locale. Le but de la fréquence est d'apporter un maximum d'informations à un public actif qui écoute le plus souvent la radio lors de trajets en voiture. Enfin, dernière mutation, les entreprises médiatiques ont également recours à un élargissement de leurs compétences originelles, le « cross média » ou de « média global », pour obvier la situation inquiétante qui touche actuellement les médias. Le but du « média global » est de toucher davantage de publics différents grâce à une offre de supports élargie. C'est le cas par exemple du groupe Radio France qui possède plusieurs fréquences totalement différentes et qui visent donc des publics différents. Ainsi, France inter et France mouv' n'ont pas le même public d'audience. De plus, l’avènement de l'offre sur internet a poussé les médias dits traditionnels à devenir des « cross média ». On n'écoute plus seulement France Info mais on peut la regarder car 19 Page l'interview de la matinale est disponible en vidéo sur le site Internet de la station. Il en va de même pour RTL, qui diffuse sur son site internet les vidéos des matinales et qui publie également des photographies. 2. Les écoles de journalisme s'adaptent aux nouvelles exigences de la profession : mobilité, polyvalence et expérience Ces changements dans les médias impulsés par des nouveaux impératifs commerciaux changent totalement la configuration des organes d'information et impactent sur leur organisation. Ainsi, selon le professeur André-Jean Tudesq11, la figure du journaliste mobile, polyvalent et opérationnel est l'une des illustrations de ces mutations économiques et technologiques. Les écoles de journalisme ont bien compris ces nouvelles exigences et ont, en réaction, adapté leurs programmes dans le but de délivrer de futurs journalistes aguerris et adaptés aux nouvelles normes en œuvre dans la profession journalistique. Le nouveau credo des écoles de journalisme possédant le fameux label serait : « puisqu'il faut savoir tout faire, il faut être formé à tout ». En somme, les rédactions en recherche d'un journaliste polyvalent et immédiatement opérationnel ne peuvent plus hésiter entre un diplômé et un jeune voulant se former sur le tas. Par comparaison, Nicole Gauthier, directrice du CUEJ affirme qu'« avant, il y avait des journalistes spécialisés dans la radio ou la télévision avec des passerelles possibles qui pouvaient se faire entre les différents supports. Mais aujourd'hui, quel que soit le support auquel l'élève se destine, il doit avoir une connaissance minimale du multi-média ». Actuellement, la polyvalence entre différents supports médiatiques, que sont la presse écrite, la radio, la télévision ou encore le Web, est une des qualités également requises dans la profession. Selon l'Observatoire français des Médias 12, les journalistes travaillent sur plusieurs supports médiatiques au cours de leurs carrières, soit en passant 11 André-Jean Tudesq est un spécialiste des médias français et africains. Il a été professeur à l'Université de Bordeaux. 12 Il s'agit d'une association loi de 1901 liée au mouvement altermondialiste. L'observatoire français des médias estime que les médias n'assurent plus leur rôle de contre-pouvoir. 20 Page d'un média à l'autre, soit en y travaillant simultanément. Ainsi, les journalistes de Fréquence Fac doivent à la fois appréhender le support radio mais aussi la photographie, la vidéo et l'Internet. Il est essentiel de maîtriser ces supports pour évoluer au sein de la radio locale nancéienne, comme j'ai pu le constater durant le stage. Le terme de « journaliste multi-média » prenant tout son sens. Pour illustrer cette nouvelle tendance, des étudiants de l'ESJ Lille ont réalisé une vidéo intitulée « le journaliste du 21e siècle » dans laquelle on y aperçoit un jeune journaliste, téléphone vissé à l'oreille, lourdement équipé d'une caméra, d'un trépied, de plusieurs enregistreurs et micros, d'un ordinateur portable, de cahiers de note et enfin, de stylos. La voix off indique que ce pigiste doit réalise quatre à cinq reportages par jour sur des sujets d'actualité totalement divers et variés. Le commentaire final indique que l'hommeorchestre a suivi « une formation multi-qualifiante à l'ESJ Lille ». Traitée avec humour, la tendance de fond est bien là, à savoir qu'un journaliste doit savoir maîtriser tous les supports existants et savoir tout faire. Ce nouveau besoin a eu un impact considérable sur les programmes des écoles de journalisme reconnues. En effet, les étudiants de première année suivent une formation d'environ 180 heures sur chaque support médiatique dans tous les centres de formation labellisés. Le parcours de Mickaël Frison, étudiant en deuxième année à l'IJBA illustre cette polyvalence. « En première année, j'ai touché à tout. J'ai fait énormément de web, par exemple. J'ai aussi eu des cours de télévision et de radio. Et puis, j'ai eu des cours de presse écrite, base du métier de journalisme. Donc oui je suis polyvalent ». D'ailleurs, la reconnaissance d'une école illustre également ce nouveau besoin de polyvalence. La Commission nationale paritaire de l'emploi des journalistes 13 ne la livre que si l'école forme, à minimum, trois supports médiatiques : la télévision, la radio et la presse écrite. Cependant, une formation sur tous les types de support est longue, coûteuse et pas nécessairement utile. Aujourd'hui, un journaliste de télévision consacre la majeure partie de son temps à faire de la télévision. Ainsi, plus que la polyvalence « multi-média », les écoles de journalisme reconnues ont opté pour la spécialisation. Autrement dit, les étudiants qui touchent à tous les supports 13 La Commission est un lieu de réflexion et de décision réunissant les syndicats de journalistes et les patrons des médias 21 Page médiatiques en première année sont obligés de choisir une spécialité en deuxième année et ce jusqu'à la fin de leur formation. Les étudiants sont donc formés de manière pointue à un support tout en étant capables de faire de la presse écrite ou encore de l'agence de presse. Denis Souilla, ancien élève de l'IFP14 et journaliste du réseau France Bleu atteste que, grâce à son parcours, la maîtrise d'un support, comme la radio par exemple, est indispensable. « On demande de faire de la présentation, monter un son, un reportage comme un enrobé, un tout sonore avec le mixage, d'être apte à faire du direct dans les studios ou sur le terrain et réaliser une interview. La polyvalence sur le média radio est essentielle, cela fait partie des critères de recrutement ». J'ai pu constaté cette polyvalence lors de mon stage. Je devais savoir chercher et obtenir de l'information, hiérarchiser les faits, réaliser une enquête de terrain, un reportage mais aussi rédiger différents types de papiers tels qu'un papier magazine ou encore un papier d'enquête, faire du montage, présenter un flash d'information et un journal mais aussi approfondir un sujet pour le mettre en ligne. On peut néanmoins ajouter que cette tendance à la spécialisation reste l'idée conductrice des écoles de journalisme reconnues, et ce, malgré l'importance accordée actuellement au multimédia. Selon Nicolas Sourisce, directeur de la filière agréée de journalisme à l'IUT de Tours, les écoles de journalisme ont toujours pour « idée de former des futurs journalistes spécialisés sur un support dit traditionnel. Aucun des étudiants ne fait que du multimédia. L'idée derrière ce choix est que le marché de l'emploi va intégrer des jeunes journalistes spécialisés sur un support et à qui on va demander, en plus, de faire du multimédia ». Afin de faciliter davantage l'insertion professionnelle et la conformité des jeunes journalistes à ce qu’attendent les patrons de presse, les centres de formation labellisés ont, aussi, un autre modus operandi particulier. Force est de constater qu'ils abolissent progressivement la frontière entre les entreprises et les écoles, tout en renforçant l'idée d'être opérationnel à la sortie du cursus scolaire. Les écoles de journalisme labellisées se rapprochent du monde du travail, tout 14 IFP est l'institut français de la presse, école de journalisme parisienne 22 Page d'abord, en ajustant leurs cours aux exigences de celui-ci. Les programmes se calibrent finement aux tendances effectives du marché de l'emploi. Le choix des écoles avait été très clair : tant que les rédactions ne recruteraient pas un type de journaliste (radio, télévision, agence de presse ou fraîchement le Web), la formation ne sera pas orientée vers une pratique à part entière et intensive d'un genre de journalisme. Ainsi, Nicolas Sourisce affirme qu'il « est très à l'écoute de la réalité du marché du travail car le but du jeu est de former des élèves correctement pour qu'ils puissent intégrer une entreprise de presse. Il serait complètement absurde de former uniquement une promotion au journalisme multimédia car on sait très bien qu'il n'y aurait pas suffisamment de postes ». On peut aussi citer, à titre d'exemple, le CUEJ à Strasbourg, l'IJBA de Bordeaux et le CFJ à Paris qui ont mis en place une filière Journalisme Reporter d'Image dans les années 1980, époque où la télévision connaît un essor considérable. Plus récemment, la floraison de la presse magazine ainsi que de la presse professionnelle teinte également les programmes d'enseignement des écoles de journalisme. L'ESJ Lille va plus loin puisque le centre de formation a ouvert une filière agricole au vue de l'importance accordée à cette thématique dans la presse. De la sorte, les programmes généraux contiennent des options de spécialisation comme la politique intérieure, l'international, les sports ou encore l'information de proximité ; des thématiques qui ont une grande importance dans les informations traitées de nos jours. Dernièrement, l'arrivée de la numérisation dans les rédactions ainsi que l'émergence des sites d'information en ligne montrent bien les ajustements possibles que peuvent faire les écoles de journalisme agréées pour s'adapter au marché du travail. Selon Franck Rabaud-Weill, rédacteur en chef de France Bleu Sud Lorraine, « il est évident que les formations doivent s'adapter aux nouvelles technologies car il est évident que cela fait partie de la réalité du métier du journaliste que d'appréhender ces outils ». En effet, lors de mon stage, j'ai remarqué que Twitter et Facebook sont au cœur de la rédaction nancéienne. J'ai dû obtenir des informations ou des compléments d'informations et les diffuser via ces réseaux sociaux. Nicolas Sourisce, ancien élève de l'IUT de Tours, constate cette évolution : « entre ce que moi j'ai pu apprendre il y a une vingtaine d’année et ce que l'on apprend aujourd'hui aux 23 Page futurs journalistes, il y a toute une partie qui n'existait pas à l'époque, c'est la partie multimédia et il faut absolument la mettre en avant dans nos enseignements ». En effet, au cours des 5 dernières années, le nombre d'heures de cours numériques a considérablement augmenté dans les programmes d'enseignement. Petit à petit, le numérique s'est même transformé en discipline pratique à part entière alors qu'il n'était considéré que comme une simple approche il y a quelques années. Comme pour la radio ou la télévision, des sessions de quelques jours sont consacrés à un enseignement pleinement numérique encadré par des journalistes de Rue89, du Monde.fr, Slate, 20mn.fr ou encore Médiapart. Le deuxième fait marquant dans l'abolition des frontières entre le marché du travail et les écoles de journalisme, est l'émergence de phases dites de préprofessionnalisation. Afin de renforcer le mythe du journaliste opérationnel immédiatement, les écoles de journalisme possédant le fameux sésame confrontent leurs étudiants à davantage de cours pratiques et d'expériences professionnelles. Cette professionnalisation croissante se fait, tout d'abord, au sein de l'école. En effet, les exercices pratiques sont fréquents et privilégiés. On peut citer à titre d'exemple les journaux écoles que doivent réaliser les étudiants dans des conditions dites « réelles », ou presque. Ces réalisations doivent permettre aux futurs journalistes d'acquérir des pratiques et de se familiariser avec le travail en rédaction. La promotion entière se transforme en rédaction le temps de la confection du journal pilote. « Il y a les reporters, les secrétaires de rédaction, les personnes qui font la mise en page. On est une équipe. En session radio de deuxième année, il y a même des conférences pour prendre connaissance des sujets. Puis on est dans de la mise en scène. Un reportage doit être fait en trois heures, il sera fait en trois heures et pas trois heures et cinq minutes » annonce Mickaël Frison, étudiant à l'IJBA. De même, l'IPJ, par exemple, a réalisé des journaux écoles à la manière du quotidien Le Parisien. Plus concrètement, l'IUT de Tours donne même la possibilité aux étudiants de faire de l'antenne grâce à un partenariat avec le réseau France Bleu et la station RTL. Les flashs d'information diffusés la nuit sur la première radio de France sont réalisés par les étudiants spécialisés en radio, de même que, tous les mercredis, les étudiants ont la possibilité de s'exprimer en direct, 24 Page pendant une heure, sur la fréquence de France Bleu Touraine. Plus loin, l'ESJ Lille, par exemple, enseigne une démarche dite commerciale. Il s'agit d'apprendre aux futurs journalistes à argumenter leurs propos dans une conférence de rédaction afin de réussir à vendre au mieux leurs sujets auprès des rédacteurs en chef. Cette professionnalisation progressive passe, ensuite, par l'obligation d'effectuer des stages en entreprise qui sont, comme l'affiche l'IJBA sur son site internet, « indispensables et formateurs ». En première année, les étudiants réalisent un stage en presse quotidienne régionale, et ce, durant les deux mois des vacances d'été ainsi que deux stages de deux semaines. En deuxième année, les étudiants réalisent des stages choisis en fonction de leurs spécialités à une fréquence identique. Mais cette multiplication de séquences pré-professionnelles n'a pas toujours été la norme dans les écoles de journalisme reconnues. Denis Souilla, journaliste à France Bleu Sud Lorraine et ancien étudiant à l'ESJ Paris, constate cette évolution : « les stages n'étaient pas obligatoires lorsque j'étais étudiant, j'avais tout intérêt à trouver des stages en parallèle de mes études car dans les entreprises on te demande d'avoir de l'expérience professionnelle ». Aujourd'hui, les écoles forcent les étudiants à franchir les portes d'une entreprise médiatique mais les étudiants, aussi, prennent l'initiative de ces opportunités. En effet, ils n'hésitent pas à multiplier davantage les stages en y sacrifiant leurs vacances dans le but d'être davantage opérationnel. Mickaël Frison, étudiant à l'IJBA a profité de ces opportunités : « j'ai effectué mon stage obligatoire à l'Est Républicain, puis il est bien vu de mettre des stages à toutes les vacances donc j'ai fait des stages à Europe 1, RTL et RMC. Il se trouve que j'en ai fait plus, j'ai été aussi dans les rédactions de Télé 7 jour et Radio Classique pendant que tous mes copains étaient en vacances. Les stages me permettent d'arriver mieux armé que tous ceux qui n'en n'ont pas fait, clairement. » Incontestablement, toutes ces phases de pré-professionnalisation sont possibles grâce à des réseaux qu'entretiennent les écoles avec les entreprises de presse. Pour former des journalistes conformes aux moules des employeurs, les écoles de journalisme collaborent avec les entreprises médiatiques. Mais cette forme d'échange est du « donnant-donnant ». En effet, les patrons de presse 25 Page coopèrent avec les centres de formation reconnus puisqu'ils répondent à leur demande. Et inversement, les entreprises de presse ont besoin de s'allier avec les écoles labellisées pour faire état de leur demande. Ainsi, l'école CELSA, par exemple, a même dédié un site internet à ces formes de réseaux. Les étudiants actuels et les anciens étudiants, aujourd'hui journalistes en entreprises, échangent sur cette plate-forme, à la manière d'un réseau social comptant près de 900 adhérents. Une véritable fourmilière interne. Ainsi, « les réseaux permettent aux étudiants de se créer leur premier réseau professionnel, à la fois grâce aux intervenants mais aussi grâce aux stages », selon Nicolas Sourisce. De plus, les critères d'embauche ont été modifiés puisque la nécessité d'un vivier semble se révéler indispensable pour intégrer une entreprise de presse. A tel point que les écoles sont devenues un « sous-marché » du travail conséquent pour bon nombre d'entreprises. Selon le directeur de la filière reconnue de journalisme à Tours, les employeurs font « leurs courses » dans les écoles : « on a une vingtaine d'étudiants qui effectuent un stage à Ouest France tous les ans, l'entreprise sait que notre formation est de qualité, ils ne sont pas déçus par les stagiaires. C'est ce que l'on nomme ici réseauter. ». Une démarche qui bat son plein. En effet, les écoles qui placent des étudiants à Radio France ont une bonne image de l'école. Autrement dit, c'est aussi bien vu pour le réseau de dire que son personnel a été formé par une école reconnue. Autre manière d'opérer ce pré-recrutement, certaines écoles agréées organisent un concours entre les jeunes journalistes des écoles qui débouchent, pour les lauréats, sur des CDD en fin d'études. Le concours des bourses en sont l'illustration. Ainsi, deux étudiants de chaque école concourent par exemple à Europe 1, RTL ou France Info. Les étudiants passent une journée dans les rédactions respectives et ils doivent réaliser un reportage et présenter un flash d'information. Pour Mickaël Frison, candidat à la bourse Europe 1, le concours est une occasion à ne pas louper : « je présente la bourse car j'ai très envie d'y travailler. C'est une aventure assez dingue car je vais passer une journée à la station et au bout du compte, il peut se passer quelque chose de formidable, un emploi, si je la gagne c'est extraordinaire ». In fine, la tendance à être à tout prix opérationnel se confirme également par le 26 Page nombre d'intervenants professionnels dans les centres de formation. Ils demandent aux étudiants de réaliser des productions totalement conformes à ce qu'attendent les patrons de presse. « Chaque intervenant nous répète à longueur d'année qu'il faut être opérationnel car les rédactions cherchent avant tout des journalistes opérationnels, c'est très important. Est-ce que je le suis ? Disons que je me sens opérationnel à 90% » ajoute Mickaël Frison. Son cursus lui a permis d'être formé par Yves Maugue (rédacteur en chef de France Bleu Gironde), Stéphane Place (correspondant à Europe 1 à Bordeaux), Annabelle Roger (journaliste politique à RMC), Jérôme Millagou (reporter sportif à RTL) ou encore Antoine Genton (journaliste à RFI). Les intervenants sont nombreux dans les treize écoles de journalisme reconnues par la profession. Une nécessité pour Nicolas Sourisce, directeur de la filière reconnue de journalisme à l'IUT de Tours : « il faut que nos étudiants sachent s'adapter à des lignes éditoriales différentes. Les patrons n'ont pas la même demande qu'ils soient à RTL, à France Info ou encore à Europe 1. C'est pourquoi on diversifie un maximum les intervenants professionnels ». Un fait que ne dément pas Dimitri Rahmelow, intervenant à l'ESJ Lille et journaliste : « je pense que ma manière d'être RTL influe sur la réalisation et l'angle des reportages. Sur RTL, on va faire parler plutôt la victime que l'avocat ou bien sur un fait divers, la famille parle plutôt que les victimes. Alors qu'à Europe 1, ce n'est pas la même construction. C'est surtout sur les reportages que l'on peut griffer la patte du média pour lequel l'intervenant travaille ». Franck Rabaud-Weill, rédacteur en chef de France Bleu Sud Lorraine affirme : « je dois reconnaître que mon expérience me fait dire que les jeunes journalistes qui sortent des écoles sont extrêmement opérationnels et efficaces. Pour moi, c'est une quasi nécessité aujourd'hui de faire une école de journalisme car le marché du travail est plus difficile à intégrer qu'il y a plusieurs années. Les critères de sélection aux recrutements reposent essentiellement sur la formation que ces jeunes journalistes ont pu suivre, et c'est vrai qu'aujourd'hui on s’intéresse d'abord aux jeunes journalistes qui ont suivi un cursus reconnu ». 27 Page 3. LES ECOLES DE JOURNALISME, UN GAGE DE QUALITE POUR LA PROFESSION La profession de journaliste a une spécificité bien particulière : elle n'est pas sanctionnée par un diplôme ouvrant les portes du journalisme. De ce fait le métier reste « ouvert » comme en témoigne le nombre de journalistes encartés, 84%, n'ayant pas suivi de formation reconnue. Ajouté à cela, on note l'émergence de la figure du journaliste amateur qui bouleverse totalement la profession et remet en cause le professionnel sur son propre terrain. C'est pourquoi, les écoles de journalisme reconnues s'imposent comme un gage de qualité. Elles tirent leur épingle du jeu notamment à travers des enseignements de qualité, à savoir la transmission d'un savoir-faire unique, l'amour de la langue française et des valeurs du métier ainsi qu'une sensibilité déontologique. 1. La menace de la montée du journalisme amateur Le journalisme dit « participatif », « en réseau », « citoyen » ou encore « interactif » fait une entrée bouleversante dans le champ journalistique. Celui-ci se caractérise par une montée en puissance des « prosumers » comme les nomme le sociologue américain Alvin Toffler dès les années 1980, autrement dit, les consommateurs producteurs de contenus. Le sociologue anglais Andrew Abbott va plus loin en affirmant que le phénomène des journalistes amateurs est amplifié par l'économie des médias qui recourt de plus en plus massivement aux contenus de ce type et qui ont la particularité d'être bon marché. Cette pensée se vérifie davantage aujourd'hui, à une époque où la volonté de profit est d'autant plus forte. A titre d'exemple, les correspondants locaux, dont le statut est reconnu par la loi de 1999, fournissent une part conséquente du contenu rédactionnel dans la presse quotidienne régionale. Par la suite, le journalisme participatif explose avec l'arrivée d'Internet, puis des réseaux sociaux et du Web 2.0 au début des années 2000. Face à cette montée en puissance de ce nouveau journalisme, les médias traditionnels sont contraints de s'adapter. Des nouvelles rubriques à but 28 Page interactif sont mises en place, permettant de remplir des espaces rédactionnels à moindre coût. De même que le site internet informatif Rue89 est une illustration de cette nouvelle forme de journalisme. Le média se décrit volontiers comme un site d'information et de débat sur l'actualité, indépendant et participatif. Dans la même idée, des plate-formes peuvent recevoir des témoignages en vue d'une possible exploitation par les médias. On peut citer la communauté You du quotidien le Parisien ou encore la rubrique Témoin de la radio RTL. Des sites internet sont même conçus pour établir un lien entre les rédactions et les amateurs comme Agoravox. Ce site compte aujourd'hui près de 4 000 citoyens reporters représentés par des étudiants, des journalistes, des chercheurs, des doctorants ou encore des ingénieurs. Alors que certains saluent cette ouverture, la voyant avant tout comme un partage de savoir-faire, d'autres, en revanche, craignent une tendance de dé-professionnalisation de la profession. Cette nouveauté constitue un véritable défi pour la formation. C'est pourquoi, les écoles de journalisme reconnues représentent une valeur ajoutée pour la profession. 2. Des enseignements en école qui conservent les valeurs du métier Selon l'ancien rédacteur en chef du quotidien le Monde Louis Guéry, les qualités essentielles pour devenir « un bon journaliste » sont avant tout une curiosité, un sens de l'information et de l’art ainsi qu'une bonne culture générale, une parfaite maîtrise de la langue française et des connaissances de droit de la presse. Les professionnels de l'information s'accordent à dire que la qualité d'écriture et le style, la rigueur et le sérieux, l'ouverture d'esprit et la culture générale sont un bagage essentiel pour exercer la profession, selon une enquête réalisée par Remy Le Champion, maître de conférence à l'IFP. Un suspect ne doit pas être un coupable mais un présumé coupable, un coup de téléphone supplémentaire peut se révéler utile, l'attribution d'un propos se place après la première phrase de la citation … Or, des erreurs de langage ou pire, ce que les professionnels appellent « des dérapages » sont constatés actuellement dans les médias faute d'un enseignement solide. Une enquête réalisée par le Centre de formation professionnel technique et le cabinet 29 Page Deloitte et Touche15 fait état de chiffres alarmants dans l'exercice de la profession de journaliste. Des journalistes spécialisés dans le domaine économique ont été interrogés sur leur façon de travailler. Ainsi, 52,4% ne croisent pas les sources, 40,38% ne vérifient pas les chiffres fournis par les sources, 30% reprennent les communiqués sans en vérifier le contenu et 76,4% affirment ne pas connaître le droit du travail et des affaires. Une autre enquête réalisée par l'Observatoire des Pratiques et des Métiers de la presse sur des journalistes audiovisuels pointe également des tendances préoccupantes dans le journalisme. C'est pourquoi, les écoles de journalisme agréées se démarquent et misent sur un enseignement solide de ces bases et des valeurs indispensables. Comme l'exprime Johanna Siméant, membre du centre européen de sociologie et de science politique : « les établissements de formation sont des lieux essentiels d'intégration des normes du professionnalisme journalistique ». Les écoles de journalisme se missionnent donc de former de futurs journalistes qui doivent apporter des garanties, une analyse, un certain recul, un comportement éthique, une critique et décoder ce qui relève de la communication et de l'information dans un discours. Cela passe par une intention particulière portée sur ce que les professionnels et les enseignants nomment les fondamentaux, en d'autres termes, les bases d'un apprentissage visant à former des futurs journalistes compétents. La directrice du CUEJ, Nicole Gauthier pense qu'« il est important d'avoir des qualités journalistiques qui permettent d’expertiser le niveau et la qualité des informations. Les choses totalement fondamentales s'apprennent uniquement dans les écoles de journalisme ». Par exemple, l'IJBA dispense, durant deux années, des cours d'histoire de la presse et des médias, de droit de la presse, de sociologie des journalistes, d'épistémologie des sciences de l'information et de la communication, de géopolitique, de recherche documentaire (sources de recherche de l'information), d'économie des entreprises de presse, de techniques d'interview, de techniques du reportage et d'analyse de traitement de l'information. Selon le chercheur Marc Prensky, ces formes d'enseignement sont faites par le biais d'une transmission « verticale du savoir essentiellement née de l'expérience professionnelle du journaliste qui les dispensent ». Ainsi, 15 Leaders mondiaux de l'audit et des services professionnels. 30 Page « les digital natives » reçoivent leur formation par des « migrant natives ». Ainsi, Nicolas Sourisce, ancien élève de ce cursus, reconnaît : « lorsque j'étais étudiants, je n'avais pas autant de pratique, c'est indéniable ». Même si la pratique tend à prendre le pas sur la théorie, celle-ci reste néanmoins importante dans les cursus reconnus. Par exemple, le CUEJ concilie pratique et théorie au travers des exercices comme les séminaires sur des questions d'actualité européenne ou urbanistique : « cela donne lieu, en termes de réalisation, à des dossiers multimédias mais agrémentés de contenus à haute dose d'expertise sur ces questions. Cela se décline sur des formes pratiques et théoriques » affirme Nicole Gauthier, directrice de l'école. Par ailleurs, un accent particulier est mis sur l'enseignement de la déontologie16, le maître mot dans la formation journalistique. Elle permet d'effectuer un distinguo entre les journalistes professionnels et les amateurs, autrement dit, elle représente la frontière entre les « vrais » et les « faux » journalistes. Dans les écoles, cet enseignement passe par un exercice récurent : mettre l'élève dans des situations concrètes afin qu'ils prennent conscience de la matérialité du problème éthique. Nicole Gauthier va plus loin. « On a des productions écrites sur papiers et sur internet qui sont soumis aux règles de publication de la presse professionnelle. Les étudiants sont donc confrontés à des questionnements déontologiques. Cela se croise dans les écoles et pas ailleurs ; même si un étudiant fait son blog dans son coin il n'aura jamais ce type de confrontation ». III. LA FORMATION EN ECOLE DE JOURNALISME, UNE NOUVELLE NORME EFFICACE ? 1. LE JOURNALISME, UNE PROFESSION TOUJOURS OUVERTE ET DIVERSIFIEE ? 1. Des écoles de journalisme reconnues très sélectives 16 La déontologie est l’ensemble de principes et règles éthiques qui régit la profession, Elle est aussi illustrée par le Code déontologique. 31 Page Les écoles de journalisme offrent plus de garanties de travailler dans une entreprise de presse. Mais tous les jeunes désireux de vouloir devenir un jour journaliste ne peuvent pas suivre une de ces formations de prestige en raison du prix de celle-ci. Les places sont onéreuses et laissent donc cette voie d'accès à la profession portes closes. Le recrutement est, tout d'abord, payant. En effet, il faut débourser en moyenne cinquante euros de frais d'inscription pour avoir le droit de passer le concours, un coût variable en fonction des écoles. Par exemple, le montant s'élève à cinquante euros pour l'IJBA et le CUEJ ou encore deux-cent-cinquante euros pour l'ESJ Lille. Mais il faut également prendre en compte les frais annexes que sont le déplacement pour rejoindre le lieu où se passe le recrutement, c'est-à-dire directement dans les écoles de journalisme (les postulants viennent de toutes les régions de France et ont donc besoin de payer un transport) et le logement si besoin. Les formations reconnues sont, ensuite, payantes. Il faut débourser une somme d'argent importante pour s'assurer une année de cours, celle-ci également variable en fonction des écoles. Ainsi, une année à l'ESJ Paris coûte 5 300 ; il faut débourser 3 900 euros à l'année pour suivre une formation à l'ESJ Lille, ou encore 6 050 euros pour les deux années de Master de l'IJBA. Enfin, les étudiants doivent également assurer les frais de déplacement et d’hébergement à l'occasion des stages en entreprise qui se déroulent le plus souvent sur l'ensemble du territoire, voir même à l'étranger. Par ailleurs, les élèves ont rarement l'éventualité de travailler à coté de leurs études en raison de leur cursus très chargé et de la nécessité de rendre de nombreuses productions. Les étudiants ont peu de temps pour exercer un petit boulot régulier excepté quelques piges occasionnelles. Par conséquent, ces contraintes financières restent un obstacle majeur pour bon nombre de jeunes voulants concrétiser leur rêve. Ils préfèrent s'orienter vers un cursus non reconnu tel qu'une licence info-com, plus abordable mais moins prometteuse en termes d'embauche, où il faudrait faire d'autant plus ses preuves. Cet enthousiasme salarial envers les centres de formation labellisés a, pour seconde conséquence, d'uniformiser les profils de journalistes. Cette uniformisation passe principalement par les méthodes de sélection pour entrer dans ces fameux établissements qui encouragent un profil particulier de futur 32 Page journaliste. La faible diversité des étudiants est constatée au travers des chiffres publiés sur les sites internet des treize écoles de journalisme agréées. En premier lieu, on trouve les étudiants diplômés de science politique puis, en second lieu, d'une licence d'histoire, de droit et enfin de lettres. Les postulants issus d'une licence scientifique, par exemple, ne sont pas dans la meilleure posture pour subir les épreuves des concours d'entrée aux écoles de journalisme reconnues. Pour cause, dans son dernier rapport publié en 2010, la Commission sur la diversité des médias 17 déplore que les phases de sélection des divers centres de formation mettent l'accent sur la culture générale et font table rase sur les créations journalistiques tels que les journaux écoles ou encore des émissions de radio bénévoles. Ce constat renforce l'accusation faite envers les écoles de journalisme reconnues. Elles sont accusées de privilégier dans leur recrutement des profils de type « science politique » ainsi que de ne pas être assez ouvertes à la diversité sociale. Cela consisterait à perpétuer une caste de journalistes. Afin de lutter contre cette uniformisation des journalistes, vingt-et-une entreprises de presse ont signé la Charte pour le développement de la diversité et de la transparence des procédures de recrutement, impulsé par la commission sur la diversité des médias en mai 2010. Ainsi, de grands médias actent la nécessité d'ouvrir la profession à plus de diversité tels que l'Agence France Presse, la chaîne Canal Plus, les radios tels Europe 1, RTL et le groupe Radio France et des quotidiens tels que Le Monde, Le Figaro ou encore Libération. Cette démarche a des conséquences directes sur les conditions de recrutement des écoles de journalisme labellisées. A l'écoute des moindres volontés des entreprises de presse, elles tentent de faire des efforts pour, elles aussi, s'ouvrir à la diversité et ainsi, par échos, répondre à la demande sousjacente signée par les patrons de presse. Par exemple, l'Ecole supérieure de journalisme de Lille en partenariat avec le Bondy Blog lance une préparation aux concours gratuite ouverte aux boursiers. Toutefois, on remarque que ces méthodes restent insuffisantes au regard des profils actuels des étudiants suivant une formation dans une école reconnue. 17 La Commission est un outil de mesure de la diversité visant à observer les situations d’inégalités et toutes les discriminations, de sexe, d’origine, de domicile, notamment les discriminations indirectes. 33 Page 2. Une vulgarisation et un appauvrissement de l'information L'apparition de la télévision a amené le sociologue Bourdieu à pointer une tendance encore actuelle dès 1996 : « une telle technologie permet donc d'ouvrir les esprits par un accroissement du niveau des connaissances de tout un chacun et par la confrontation de différentes sources d'information. Malheureusement dans les faits, cela se passe autrement : on observe plutôt une tendance à l'uniformisation et à l'appauvrissement de l'information ». Bourdieu affirmait déjà une sorte de soumission des entreprises de presse aux exigences du marché, créant une pression sur les journalistes, pour ensuite, au travers eux, exercer une emprise sur les différents champs de production de l'information qu’elle soit politique, juridique ou encore culturelle. Cette nouvelle mutation est apprise dès les écoles de journalisme. François Ruffin, ancien élève du Centre de Formation des Journalistes de Paris déclarait : « on vous demande de produire vite et beaucoup. Ces mécanismes qui dominent dans les rédactions, je les ai observés dès l'école ». Selon le journaliste, les écoles labellisées apprennent aux étudiants à avoir une vision purement « économiste » où l'entreprise de presse est reine. En d'autres termes, les futurs journalistes apprennent tout au long de leur cursus à penser l'information uniquement comme une marchandise. En effet, puisque les exigences du marché se traduisent principalement par une quête de l'Audimat, il faut attirer le public le plus large possible, celui-ci étant considéré comme un consommateur rapide d'informations diverses et variées. Ainsi, lors de mon stage, je remarque qu'il faut être sur tous les terrains pour toucher un maximum de public et surtout faire tout avant le concurrent. Par conséquent, le temps d'antenne est désormais amplement restreint. C'est pourquoi, dès les écoles de journalisme, la règle des trois « C » est le dogme de tout futur journaliste. Un règle également maîtresse lors de mon stage. Il s'agit de traiter un sujet de manière courte, concrète et concise. Ce nouveau principe se répercute principalement en termes de format, devenu court. Nicolas Sourisce, ancien élève de la filière reconnue de journalisme de l'IUT de Tours et actuellement directeur de celle-ci constate cette évolution : « quand j'étais étudiant, on nous demandait de réaliser des enrobés de deux minutes trente 34 Page parfois trois minutes. Aujourd'hui, on demande aux étudiants des formats de une minute quinze maximum. Il faut s'adapter à ce nouveau format devenu une exigence ». Cependant, ces formats courts ne permettent pas de traiter une information dans son intégralité. Les formats courts ne laissent pas le temps à la pensée de se poser et à la réflexion de s'élaborer. Ainsi, faute de place, de nombreux sujets ne sont même plus traités. Ainsi, Laurent Watrin, journaliste à France Bleu Sud lorraine affirme : « il est évident que sur certains sujets, on ne peut pas faire une minute quinze, cela n'a pas de sens. Par exemple, expliquer en quarante secondes voir une minute ce qu'est un pôle de recherche sur l'eau, qui en sont les acteurs et comment cela vient impacter dans la vie politique régionale, c'est très difficile. J'ai l'impression que l'on survole les sujets ». Par là, il faut beaucoup vulgariser l'information pour être compris dès la première écoute, une nécessité remarqué lors des premiers jours de stage. Selon Yves Bellefleur, journaliste, ces formats limités répondent au mieux au style de vie des consommateurs d'information, toujours plus pressés. Par conséquent, l'exigence de la diffusion d’une grande quantité d’informations et d’un temps d'antenne restreint est une contrainte qui constitue un frein à la diffusion d'une information complète. Cela aboutit à une perte de la valeur journalistique comme on a pu le constater par le passé, à travers notamment des grands journalistes qui ont signé des longs reportages dans des quotidiens tels que Joseph Kessel, reporter à France Soir. C'est un cercle vicieux qui s'opère entre les centres de formation, les entreprises de presse et les logiques économiques. 2. RISQUE DE BANALISATION DU DIPLOME 1. Le journalisme, un corps journalistique ? L'absence d'un diplôme obligatoire a toujours été défendue par les acteurs du champ journalistique car la profession est considérée comme ouverte. Autrement dit, l'exercice du métier de journaliste n'est pas sanctionné par un titre comme c'est le cas, par exemple, dans le corps judiciaire ou le corps médical. Mais la réflexion tend à évoluer. En effet, les mutations auxquelles sont enclins les entreprises médiatiques changent totalement la donne. Les 35 Page médias, devenus « marketing », encouragent les patrons de presse à embaucher des journalistes opérationnels et efficaces. De même, l'économie des médias pousse les dirigeants à devenir frileux à employer. C'est pourquoi, un jeune journaliste titulaire d'un diplôme d'un centre de formation labellisé sera plus avantagé pour trouver un emploi qu'un jeune journaliste sorti d'un cursus non reconnu. Un constat que fait Mohand Chibani, journaliste à France Bleu Sud Lorraine : « il m'a été plus difficile de faire valider mon expérience, de faire valoir mes diplômes de communication obtenus à la faculté de Lettres de Nancy. En passant par une école, je pense que les choses auraient été plus faciles. Mais aujourd'hui, une école est indispensable, voir obligatoire ». Dans la rédaction de France Bleu Sud Lorraine, la majorité des journalistes en poste depuis des années se sont formés dans une école de journalisme ou, pour un petit nombre, ont opté pour une « formation sur le tas ». Mais, les jeunes arrivants sont tous, sans exception, sortis d'une école de journalisme. Franck Rabaud-Weill estime que les écoles « sont de confiance ». Nicolas Sourisce, directeur de la filière reconnue de journalisme à l'IUT de Tours annonce « Il y a moins d'embauche dans le journalisme, du coup, un élève sorti du CUEJ, de l'ESJ Lille, ou encore de l'école de Marseille donne l'assurance à l'employeur que le futur journaliste a eu une formation solide et spécifique au métier et qu'il va d'entrée de jeu être capable de produire ». En effet, les employeurs veulent avant tout une main d’œuvre taillée aux normes de l’entreprise, un critère que les écoles de journalisme prennent en compte dans leurs cursus. De même, la recherche de stage illustre bien ce nouveau constat. Les entreprises de presse, notamment les plus prisées telles que les rédactions des quotidiens nationaux ou des radios nationales, privilégient clairement les étudiants en formation dans un cursus agréé. Autrement dit, les médias « ne fonctionnent qu'avec les personnes maquées en école ». Sans cette notification sur le curriculum vitae, les entreprises de presse ne se cachent pas de dire que la demande n'est même pas traitée. Parallèlement à ces formations de prestige, il existe une centaine d'autres cursus non reconnus par la Commission paritaire nationale de l'emploi des journalistes mais labellisés par le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche. Cependant, ces filières n'ont pas aussi bonne réputation que les 36 Page treize écoles reconnues. Cette différence est cultivée par les employeurs qui ne jurent que par les étudiants diplômés d'un cursus reconnu. Mais dans cette prolifération de formations, certains cursus sont tout aussi sérieux que les cursus labellisés. Ainsi, Nicolas Sourisce pointe la faiblesse des critères de la Commission paritaire nationale de l'emploi des journalistes : « une formation qui propose un contenu suffisamment sérieux en terme de formation, il n'y a aucune raison qu'elle ne soit pas reconnue. Aujourd'hui pour être reconnue en tant que cursus, il faut former aux trois médias : la presse écrite, la radio et la télévision. C'est-à-dire qu'une école qui forme uniquement à la radio, mais qui formerait très très bien à ce support, ne serait pas reconnue. Les critères de la CPNJ vont devoir, à mon sens, évoluer ». 2. L'exemple du Studio école de France, une école non reconnue Le Studio école de France a opté pour la formation spécifique radio, c'est-à-dire une polyvalence cultivée et optimale sur le support radio. En effet, le Studio école de France, localisé à Issy-Les-Moulineaux, forme des journalistes et des animateurs uniquement sur le support radio. La formation est agréée par le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche mais pas par la Commission paritaire nationale de l'emploi des journalistes. Selon Sylvianno Marchione, le directeur de cette école, la non-reconnaissance n'est pas un obstacle à devenir journaliste : « les écoles reconnues sont un petit monde. Cela n'empêche pas que des talents se découvrent dans des écoles non reconnues de la formation journalistique. Bon nombre de nos étudiants obtiennent des places dans de belles radios malgré le handicap de ne pas faire partie de ce noyau très privilégié d'écoles de journalisme ». Comme dans les treize écoles labellisées par la profession, le programme d'enseignement du Studio école de France dispense « les fondamentaux » au travers des cours de déontologie, de culture générale, de technique d'écriture, d'interview, d’enquête et du reportage. Afin de donner des cours dans les meilleures conditions, l'école recrute « de très bons intervenants pour transmettre les bases d'un bon journaliste ». La pratique est aussi similaire à celle dispensée en école reconnue. Le programme d'enseignement compte de 37 Page nombreuses heures de techniques de réalisations aboutissant à des productions radio telles que des émissions complètes. Similairement aux formations labellisées, les stages en entreprises sont valorisés. Le Studio école de France a donc tous les ingrédients pour former des journalistes comme dans les grandes écoles prestigieuses. Son unique « défaut » est de former uniquement sur le support radio, empêchant l’obtention de la reconnaissance par la profession. Mais, pour le directeur, dispenser uniquement des cours de radio est une force et permet aux étudiants d'exceller sur ce support voir d'être mieux formés que des étudiants qui se forment « succinctement » à tous les supports. « La radio c'est notre credo. Je ne veux pas me perdre à faire un peu de ci, un peu de ça, et un peu de cela » affirme Sylvianno Marchione. 3. Le débat est engagé : faut-il instaurer un diplôme obligatoire ? Alors que les acteurs de la profession revendiquent que l'accès à l'exercice du journalisme n'est pas sanctionné par un diplôme obligatoire, les critères d'embauche des nouveaux entrants, notamment l'importance d'un diplôme signé par une école reconnue, démontrent bien les limites de cette diversité. Autrement dit, l'accès à l'exercice de cette profession tend à se conditionner par un diplôme comme c'est le cas dans la profession au sein du corps médical ou artisanal. Le monde du journalisme ne serait plus aussi diversifié et ouvert qu'il le laisse entendre. Face à cette tendance synonyme de malaise dans la profession, des réflexions s'élaborent dont le but est de faire évoluer ce système éducatif vers plus de reconnaissance dans l'offre de formation. Même s'il existe aujourd'hui des centaines de formations au métier de journaliste, le système éducatif rencontre des difficultés à réguler ce qui relève de la formation journalistique ou bien de l'initiation au journalisme. C'est pourquoi, les treize écoles reconnues s'imposent comme une valeur sûre. Nicolas Sourisce, directeur de la filière reconnue de journalisme à l'IUT de Tours jette un pavé dans la marre et affirme qu'« il y a des formations qui se réclament du journalisme mais en réalité, elles reposent sur 30 ou 40 heures dans l'année sous forme de modules nommés journalisme, c'est très fumeux, il n'y a pas 38 Page grand-chose. Au contraire, il y a de bonnes formations mais non reconnues ». Fort de ce constat, le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche a récemment lancé un débat sur la formation journalistique impulsé par Patrick Pépin, ancien directeur de l'école supérieure de journalisme de Lille. Le but principal est de penser à la possibilité d'ouvrir davantage la reconnaissance à des cursus de la formation. Or, il existe actuellement « un fossé » entre ce que conçoit comme formation au journalisme, d'une part le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, et, d'autre part, les acteurs de la profession. C'est pourquoi, l'enjeu du débat est de savoir si les deux entités peuvent s'accorder sur « un référentiel commun » à toutes les formations existantes. En catimini, cette démarche projette de stopper cette nouvelle tendance, à savoir la nécessité d'être titulaire d'un diplôme reconnu pour entrer dans la profession. Par conséquent, les employeurs seront obligés de revoir leurs critères d'embauche et de reconnaître que des formations, outre les treize labellisées, peuvent être aussi efficaces et répondre à leurs exigences. La main mise des écoles de journalisme sur les patrons de presse serait donc remise en cause puisque ces réflexions peuvent aboutir à un élargissement du nombre de formations agréées. Actuellement, ce débat n'est toujours pas tranché. Mais des projets sont d'ores et déjà proposés pour éviter que la profession ne perde sa caractéristique propre à savoir que son exercice n'est pas sanctionné par un diplôme ce qui permet une richesse des profils au sein du corps journalistique. Ainsi, la Conférence nationale des métiers du journalisme 18 a publié en 2011 un projet de « référentiel commun ». Il a pour objectif de rapprocher les critères de reconnaissance des multiples formations existantes entre la Commission paritaire nationale de l'emploi des journalistes et les ministères en charge de la formation. En somme, il y a une volonté d'harmoniser les critères d'évaluation qui octroient la reconnaissance à un cursus. Il ne s'agit pas d'homogénéiser les formations mais de définir les points de convergence pour obtenir la qualité de reconnaissance. Selon l'initiateur Patrick Pépin 19 « l'objectif est de rendre plus 18 La Conférence nationale des métiers du journalisme (CNMJ) est une instance de dialogue et de proposition issue des Etats Généraux de la Presse Ecrite lancée par l’Elysée. Elle regroupe les 13 écoles de journalisme reconnues par la profession, des professionnels, les pouvoirs publics, des chercheurs et des personnalités qualifiées. 19 Journaliste à Radio France, trésorier et membre du comité exécutif de Reporters sans frontières 39 Page lisible le paysage et de distinguer les formations rigoureuses ». En d'autres termes, il s'agit d'une volonté d'établir des critères communs dont le but est de distinguer quelles sont les formations assez sérieuses pour être dignes d'être reconnues. Par conséquent, il se peut que le nombre de formations agréées s'étoffe. Cela s'effectuera par une mise en place d'un cahier des charges pour les formations aux métiers du journalisme. Ainsi, nombre de critères sont exigés, comme à titre d'exemple, avoir un cursus clairement distinct de la filière de communication, les étudiants doivent avoir accès à des journaux en ligne, la Commission paritaire nationale de l'emploi des journalistes doit être informée de l'emploi du temps des étudiants et du budget de paiement des heures financières ou encore les frais d'inscription et de scolarité qui doivent être accessibles au plus grand nombre. A ceci s'ajoute des grands axes d'enseignement comme l'anglais, la recherche et la collecte d'information ou encore les techniques de l'interview, d'enquête et de reportage ainsi que des cours de secrétariat de rédaction. Un autre projet vise à réguler cette nouvelle course au diplôme reconnu. En effet, l'élaboration d'un « passeport professionnel des journalistes » initié par la Conférence nationale des métiers du journalisme et la Commission paritaire nationale de l'emploi des journalistes marque une étape décisive. Il s'agit d'une formation de 15 jours, où les fondamentaux du journalisme, dont la déontologie, sont dispensés à des salariés non diplômés d'un cursus reconnu. Cet enseignement s'organise en cinq axes : la relation au public et l'objectif du média, la relation aux sources d'information, le recueil et l'exploitation des informations auprès des interlocuteurs, l'exploitation des données chiffrées et statistiques, et enfin le travail en équipe. Ce passeport vise à fournir, à tous les journalistes, le socle commun qu'ont établi les employeurs pour exercer correctement le métier. En outre, il permet d'acquérir les fondamentaux qui font « de bons journalistes », conformément aux exigences des patrons de presse. Cependant, l'ensemble des acteurs du champ journalistique et de la formation semblent avoir quelques difficultés à être en accord. Ne serait-ce que parce que le métier de journaliste n'est toujours pas totalement défini ? Le débat bat actuellement son plein. 40 Page Conclusion Le journaliste Pol Vandromme affirmait : « il paraît que le journalisme s'enseigne. On le dit, et il faut le croire, même si cette croyance offense le sens commun ». Depuis l’avènement de la profession de journaliste, la question de la formation a toujours été au cœur du métier. Actuellement, la formation semble être devenue le fameux sésame pour pouvoir exercer la profession de journaliste au sein d'une entreprise de presse. Les mutations économiques et technologiques auxquelles sont enclins les médias en sont la raison principale. Preuve est que les patrons de presse sont désireux de recruter des journalistes polyvalents et capables de produire selon les exigences d'un public cible. Des exigences qui sont inculquées aux futurs journalistes dans les écoles de journalisme. A leurs sortie de cursus, ils sont opérationnels, pré- professionnalisés et polyvalents, capables de produire de l'information comme le désire leurs employeurs. Les écoles de journalisme sont devenues un gage de qualité certain pour les employeurs. J'ai eu l'occasion de remarquer cette nouvelle tendance lors de mon stage au sein des locaux de France Bleu Sud Lorraine. En effet, la rédaction n'embauche que des journalistes sortis d'école car c'est un gage de qualité « incontestable ». Ainsi, même si un bénévole motivé et doué veut devenir journaliste, Fréquence Fac ne peut plus être un tremplin pour sa carrière comme ce fut le cas pour Mohand Chibani. Aujourd'hui, le meilleur moyen pour exercer le métier de journaliste est d'être formé dans une école de journalisme reconnue. Mais ce système montre ses limites. Cette nouvelle norme d'un diplôme appauvrit la profession et ses productions. La non-obligation d'un diplôme pour être journaliste permettait de compter des profils différents, voir atypiques, au sein des acteurs du journalisme, ce qui profitait à une information riche et diversifiée. Cependant, comme le corps médical ou le corps judiciaire, le journalisme devient une voie où les plus chanceux, c'est-à-dire les étudiants diplômés d'un cursus reconnu peuvent devenir les témoins de la société. En catimini, le diplôme s'impose comme une nouvelle norme. Les portes du champ 41 Page journalistique tendent à se fermer et les profils de journalistes ainsi que les informations à s'uniformiser. Ce malaise a été perçu par des autorités comme la Conférence Nationale des Métiers du journalisme qui tend à réguler l'offre de formation et à favoriser l'insertion professionnelle. Les réflexions sont actuellement en cours. 42 Page Bibliographie BADILLO Patrick-Yves, « Plus personne n’est journaliste ! », numéro spécial sur les médias et les nouveaux médias, N° 24, Octobre 2008, ISBN 978-220092420-1 BELLANGER Claude, Histoire générale de la presse française, Tome III, PUF, 1972 BOURDIEU Pierre, Sur la télévision, Essai poche, 1996 CHARON Jean-Marie, « Les Journalistes et leur qualification » rapport, Observatoire des pratiques et des métiers de la presse, Cfpj, 1997 et « Réflexions et propositions sur la déontologie de l'information », rapport à Madame la Ministre de la culture et de la communication, 1999 et Les groupes multimédias et l’information, Cahiers Français, 2007 GUILLOU Bernard, Les stratégies multimédias des groupes de communication, la Documentation Française, 1984 LETEINTURIER Christine, et MATHIEN Michel, Une profession fragilisée : les journalistes français face au marché de l’emploi, Quaderni numéro 73, 2010 MARCHETTI Dominique, RUELLAN Denis, Devenir journalistes. Sociologie de l'entrée dans le marché du travail, la Documentation Française, 2001 OBSERVATOIRE DES MÉTIERS DE LA PRESSE, Photographie de la profession des journalistes : étude des journalistes détenteurs de la carte de journaliste professionnel de 2000 à 2008 RUELLAN Denis et PÉLISSIER Nicolas, Les journalistes contre leur formation ?, Hermès, 2003 RUFFIN François, Les petits soldats du journalisme, Les Arènes, 2003 SIMÉANT Johanna, Déontologie et crédibilité : le réglage des relations professionnelles au CFJ, Politix,1992 TESSIER Marc, « La presse au défi du numérique », rapport pour le Ministre de la culture et de la communication, 2007 TRAVAUX DE LA CPNEJ et CNMJ, « Projet d'un passeport professionnel des journalistes », 2012 43 Page Annexes ORGANIGRAMME Université de Lorraine (poste vacant) Thomas Braun Directeur Pol Laurent Rédacteur en chef Jean-Luc Hess Président du groupe Radio France Alexandre Barbé, Ophélie Ostermann, Justine Flamme, Romain Frésu Bénévoles permanents 30 bénévoles occasionnels Aurélie Bazzara Stagiaire 44 Page ANNEXE 1 Audience réalisée en mars 2012, Médiamétrie ANNEXE 2 Proportion de journalistes encartés par type de formation, Observatoire des Métiers de la Presse 45 Page LES ECOLES DE JOURNALISME, UNE NOUVELLE NORME DANS UNE PROFESSION EN PLEINE MUTATION ECONOMIQUE ET TECHNOLOGIQUE MOTS-CLES : – Journalisme – Mutation – Formation – Fréquence Fac – France Bleu Sud Lorraine RESUME : Il faut penser le journalisme comme un monde mouvant, dans lequel le journaliste doit perpétuellement s'adapter. Les formations, elles aussi, évoluent constamment pour délivrer de futurs journalistes aguerris, prêts à fournir du contenu sur n'importe quel média, et ce, en conformité avec les attentes des entreprises de presse. La formation paraît, aujourd'hui, indispensable pour devenir un journaliste des temps modernes. ABSTRACT : Journalism can be seen as a changing world where the journalist always has to adapt. Trainings are constantly evolving too, in order to bring good journalism on any medium and to answer to media companies’ expectations. Nowadays, training seems to be necessary to become a good journalist. 46 Page