Discours de Gérard Saint-Paul prononcé à Sofia, le 30.05.2011
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Discours de Gérard Saint-Paul prononcé à Sofia, le 30.05.2011
Liberté de la presse et de l’information : champs d’application et déontologie en France et dans les pays voisins à l’Ouest de l’Europe Gérard Saint-Paul Fondation Robert Schuman Sofia, le 30 mai 2011 Monsieur le Ministre Monsieur l’Ambassadeur Mesdames et Messieurs Chers confrères journalistes La Fondation Robert Schuman présidée par JeanDominique Guiliani que j’ai l’honneur de représenter a une expertise en matière de vie de la Presse européenne, en relation avec les différentes institutions de la Communauté, en relation très étroite aussi avec des experts de haut niveau et des professionnels expérimentés. Faut-il rappeler un exemple parmi d’autres : ce séminaire de septembre 2010 sur l’analyse des standards européens de la presse et l’expérience monténégrine, en partenariat avec la Konrad Adenauer Stiftung et le Centre pour la Démocratie et les Droits humains. Avant toutes choses, permettez moi de me présenter plus complètement devant vous en retraçant brièvement mon parcours professionnel, pour éclairer ce que je vais vous dire, et non en guête de notoriété. 1 Journaliste Grand Reporter, auteur indépendant, Directeur Général en charge de l’Information et des Programmes de France 24, Cofondateur de la chaîne. Administrateur du CFJ, Centre de Formation des Journalistes Chargé de cours à Sciences-Po Paris Directeur de l’Information d’ARTE, la chaîne francoallemande de télévision Directeur de la Rédaction LCP-AN (La Chaîne Parlementaire – Assemblée Nationale) Directeur de l’Information et de la Rédaction de RMC Correspondant pour la Cinq ainsi que pour les journaux le Point, le Quotidien de Paris, Challenges et Europe1 en Allemagne et Pays de l’EST à Berlin Directeur de l’Information Nationale de FR3 Correspondant permanent de TF1 (6 ans) aux EtatsUnis Chef du Service Etranger de TF1, Présentateur en alternance des journaux télévisés de 13h et 20h Grand Reporter Correspondant permanent de France2 et France-Inter à Bonn (RFA) Pardon pour cette énumération mais tout cela est pour vous dire qu’entre autres étapes, mon expérience de correspondant à Berlin au moment de la chute du mur et de la réunification allemande sera je l’espère utile pour étayer mon propos puisque j’étais alors véritablement en immersion totale dans ce processus de transition entre la RDA et son assimilation à l’ensemble de la République fédérale d’Allemagne, 2 presse et publications journalistiques comprises : un changement à vue radical où les habitudes et attitudes éditoriales liées au passé alors récent ont pesé de tout leur poids. Je me propose de revenir aux sources et aux grands principes de la liberté de la presse – avec sa grandeur, ses servitudes et limites en gardant à l’esprit que nous faisons un métier dangereux, pour preuve nos deux camarades de France Télévisions retenus en otage en Afghanistan. En exergue de mon intervention, je ne veux pas les oublier. Mon collègue du Bureau européen de RSF, Reporters sans frontières, qui fait un travail fantastique vous en parlera mieux que moi. D’autre part, dans un genre totalement différent, l’actualité – celle de New York et je n’en parlerai pas sur le fond – met en lumière, une lumière très crue, les problèmes déontologiques de la presse en France et suscite même une polémique avec nos confrères américains. Mais d’abord le retour aux sources. Elles sont à la fois anciennes et extraordinairement actuelles. La liberté de la presse est l’un des principes fondamentaux des systèmes démocratiques qui reposent sur la liberté d’opinion, la liberté mentale et d’expression. Ainsi l’article 11 de la Déclaration françaises des droits de l’homme et du citoyen de 1789 dispose : » La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre à l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi. » Il nous apprend que le droit le 3 plus précieux de l’homme est la libre communication des pensées et des opinions. La liberté de la presse est considérée par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) comme une composante de la liberté d’expression (article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme). Par ailleurs, la protection des sources journalistiques est considérée comme « l’une des pierres angulaires de la liberté de la presse ». Je souhaite aussi vous livrer quelques extraits de la charte générale que nous donnons à nos étudiants en journalisme à Science Po où j’enseigne. Charte générale Ecole de journalisme de Sciences Po « Tout étudiant de l’Ecole de Journalisme de Sciences Po : ‐ est responsable de ses écrits, même anonymes ‐ publie des informations dont l’origine est connue et les accompagne d’une mise en contexte ‐ respecte la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même ‐ tient la calomnie, les accusations sans preuve, la déformation des faits, le mensonge, pour de graves fautes professionnelles ‐ respecte la vie privée des personnes ‐ ne perçoit pas d’argent dans un service public ou une entre prise privée où sa qualité de journaliste, ses influences et ses relations seraient susceptibles d’être exploitées ‐ ne signe pas de son nom des articles de réclame commerciale ou financière et n’accepte aucune consigne, directe ou indirecte, des annonceurs ‐ ‐ 4 ‐ garde le secret professionnel et ne divulgue pas la source des informations obtenues confidentiellement ‐ ne confond pas son rôle avec celui du policier, etc etc » Mais bien évidemment, il y a la théorie et la pratique. Le journalisme est un métier qui comporte des gestes, une praxis, une attitude. Là où cela se complique, c’est qu’il n’existe pas de loi écrite du journalisme, pas de petit livre que l’on traînerait dans ses poches de reporter à côté de son carnet de notes. Non, nous n’avons qu’un corpus de valeurs que nous portons en nous, plus ou moins bien selon les personnalités et leur profil, en général globalement partagé par la profession, aussi selon les circonstances et comme chacun le sait, c’est dans les détails que se cache le diable ! Le Journalisme est l’un des plus beaux métiers du monde, mais cela dépend de comment on le fait et de ce que l’on met dedans. L’objectivité n’existe pas, seule prédominent l’honnêteté et la conscience professionnelle. Ici permettez moi une parenthèse, importante, capitale qui est pour nous tous comme une mise en garde : nous ne serons pas des donneurs de leçon, ni de l’Ouest vers l’Est, ni inversement. Des leçons, nous en prenons tous les jours. Nous débattons de la façon de traiter l’actualité en permanence. Nous-mêmes à l’Ouest de l’Europe, nous avons mis du temps à conquérir notre liberté de la presse. Et encore, cette conquête n’est jamais achevée. Si la liberté de la presse en France et dans nos pays voisins directs est en principe entière – (elle est celle 5 de ceux qui font la presse, les journaux, la radio, la télévision, le web), la liberté de l’information (– je fais un distinguo entre les deux) – pose le problème des marges de manœuvre vis-à-vis notamment de l’actionnaire qu’il soit privé ou d’état. L’investigation si elle est bien conduite peut aller aussi loin que possible en tentant de contourner les obstacles, La publication, la révélation pose cette lancinante question : « jusqu’où peut on aller ou ne pas aller » Autorisez moi une anecdote personnelle : lorsque jeune journaliste j’avais eu à rendre compte en tant que correspondant permanent à Bonn du Prix Nobel de la Paix décerné au chancelier Willy Brandt, j’avais été semble-t-il trop positif - même si à mon sens je n’avais rapporté que des faits en particulier l’agenouillement de Varsovie et j’étais présent – le chef de l’Etat français en avait apparemment pris ombrage et je m’étais courtoisement mais fermement fait rappeler à l’ordre. J’ai connu l’époque heureusement révolue depuis longtemps où la ligne téléphonique directe du ministre de l’information atterrissait sur le bureau du rédacteur en chef qui écoutait- on faisait sembler d’écouter- les conseils voire les consignes pour établir le conducteur, le schéma du journal télévisé. Dans ce passage concernant la déontologie, j’apporte cependant une nuance et elle est de taille, l’autocensure. Et bien qu’en perte de vitesse, elle existe encore, même si les rédactions ne sont pas des casernes. Dans ce contexte - tant pis si je suis un peu concretpermettez moi aussi d’aborder la question de la technique. Elle va de nos jours extrêmement vite. Elle permet la quasi immédiateté de l’image. Exemple : un reporter est aujourd’hui équipé d’un matériel ultra sophistiqué , un mini ordinateur pour effectuer son 6 montage, une mini-caméra, un mini satellite qu’il peut sortir de son sac à dos et déployer sur le toit de son hotel ou au milieu de la brousse et il est à l’antenne, sans filet. Cette fulgurante rapidité – sans parler du direct en vigueur sur les chaînes d’information en continu a un avantage et un inconvénient. L’avantage est celui de la spontanéité : impossible de trafiquer un reportage. L’inconvénient est celui du manque de recul. Tout un chacun aujourd’hui peut s’improviser journaliste même avec son téléphone portable et son twitter. On l’a bien vu et comment lors du printemps arabe. Mais attention aussi aux manipulations possibles. Au journaliste professionnel - car c’est un métier que nous faisons - de modérer ces témoignages, et de recouper les différentes informations dont il dispose. Pour mémoire il y a le droit imprescriptible de protéger ses sources, de prendre des risques personnels – physiques ou intellectuels – à condition de n’en pas faire prendre à autrui. Surtout le journaliste doit séparer les faits et les commentaires. Un reporter n’est pas un éditorialiste ou un columnist comme le disent nos amis anglo-saxons qui d’ailleurs pratiquent cette règle. On n’éditorialise pas un récit ou un reportage : celui-ci doit parler de lui-même. Pour illustrer et comparer avec mesure ce développement je vais revenir en arrière, en « flash back », à Berlin, lorsque les deux presses celle de l’Ouest et celle de l’Est ont du bon gré mal gré se rejoindre, avant de se fondre. J’ai vu la DDR, la RDA disparaître sous mes yeux, peu à peu engloutie par la grande sœur, l’Allemagne 7 fédérale après la chute du mur. J’ai vu la « Bild Zeitung » remplacer « Neues Deutschland » dans les kiosques de l’Est. Nos confrères de l’Est- ceux qui ont pu rester dans la profession- n’avaient plus le miroir du parti, le SED. Pour autant, dans mon souvenir, ils sont restés dignes pour la plupart d’entre eux.Mais ils étaient confrontés à une étrangeté : l’opinion. Nous avons souvent discuté, échangé, controversé dans nos rencontres. Peu à peu un certain mimétisme s’est installé, et la puissance de la presse ouest allemande a fait le reste. Une autre culture s’était forgée en Allemagne de l’Est qui souvent ne voulait pas voir bradée d’un seul coup son identité. Or la presse- même sujette à caution- fait partie de l’ADN d’un pays. Et la nostalgie, aujourd’hui encore, n’a pas complètement disparu, tout en devenant de plus en plus résiduelle. Le problème du vécu passé(- écrit, lu, vu, écouté-) est à la fois culturel et générationnel. En Allemagne ce ne fut pas tout à fait bloc contre bloc, en raison de la proximité géographique et d’une certaine porosité entre les deux parties du pays Revenons maintenant à l’actualité la plus récente et la plus brûlante en France et aux Etats-Unis. C’est d’ailleurs ce qui nous permettra de risquer une conclusion toute provisoire : il n’est pas de bloc éditorial « occidental». Le monde, y compris celui de la presse, n’est plus binaire-bipolaire mais bien multipolaire, avec pour le moins des nuances et ceci est un euphémisme. Pour avoir été longtemps correspondant aux Etats-Unis (6 ans pour TF1), j’ai pu constater les différences d’approche entre l’Europe et l’Amérique en matière de presse. En France en ce moment, de part et d’autre de l’Atlantique, la bataille éditoriale fait rage. Résumé : faut-il arrêter l’investigation de presse à la porte de la chambre à 8 coucher ? Faut-il pratiquer l’omerta (reproche américain) lorsqu’il s’agit de la vie privée de nos hommes et de nos femmes politiques ? N’avons – nous pas tendance à masquer ou à taire ce que nous savons sur le pouvoir au nom d’une certaine connivence entre politiques et journalistes ? Si nous disions tout - et il y en a à dire et à écrire- ferions nous sauter la République ? Autant de questions qui en posent encore une autre, plus fondamentale ? Les journalistes s’en tiennent-ils d’abord aux faits et n’ont-ils pas tendance à « éditorialiser » à longueur du plateau dans des émissions très répétitives, et qui- en plus- se copient les unes les autres ? Permettez-moi de vous faire part de quelques extraits d’une tribune dans le Journal Le Monde écrite par mon confrère Christophe Deloire, directeur du CFJ, Centre de formation des journalistes, dont je suis administrateur. « Pour parler de la vie politique, les médias français alignent traditionnellement une cohorte d’éditorialistes, rebaptisés depuis peu « commentateurs », là ou les Anglo-Saxons, avec tous leurs défauts, préfèrent lancer leurs enquêteurs pour livrer au public un maximum de révélations. Or de la soif de vérité factuelle les démocraties ne se portent jamais mal. Certains citoyens considèrent non sans raisons, que certains d’entre nous (pas la plupart, mais certains parmi les plus influents) tentent d’imposer leurs vues plutôt que de nous informer et finissent par constituer une classe à prétention dominante. Une sorte de classe politique bis libérée des difficultés de l’action mais jamais privée de parole. Une classe médiatique qui n’agit pas (rôle des politiques), ne cherche pas la 9 vérité (rôle des journalistes), mais ratiocine. Faut-il laisser aux humoristes le monopole de la révélation ? » Ceci montre que nous-mêmes ne sommes pas en reste et savons faire entre Français notre autocritique ou notre examen de conscience professionnelle : la presse française a tendance au mimétisme et à la répétition. Ce sont toujours les mêmes éditorialistes très ubiquistes qui nous gratifient de leurs jugements péremptoires (il y a un mot pour dire cela en allemand « die Besserwisser « ceux qui savent mieux que les autres) Mais je ne souhaite pas Mesdames et Messieurs conclure sur une note pessimiste et il convient d’élever le débat, de le maintenir à une bonne altitude. Nous avons identifié les pièges à éviter. La course de vitesse lancée par le net, le web, Facebook etc etc nous obligent à revoir nos classiques : la donne a changé. Nous ne sommes plus dans une course de fond, mais dans un sprint fatigant. La concurrence nous contraint parfois à des dérives que nous n’aimons pas. Nous avons des think tank, des Fondations, la Francophonie, la Fondation Robert Schuman que je représente, la Cour des Droits de l’homme etc etc dont l’apport réflexif est utile et nécessaire. Car il nous faut parfois poser le stylo, la caméra, le micro et l’appareil photo, sortir la tête du guidon de notre bicyclette médiatique lancée à tombeau ouvert. Les experts et les personnalités qualifiées, dans leur sagesse, et lorsqu’ils ne transforment pas en censeurs 10 nous apportent un regard précieux et encore une fois indispensable : celui du recul. Et dans nos champs d’application de cette réflexion, il nous faut reparler d’Europe, qui est un gage de compréhension mutuelle. Par exemple, on connait mieux, dans la conscience collective en France, les Américains que les Bulgares – eh bien cela changera. Question de temps, et de contacts de haut niveau comme celui d’aujourd’hui à Sofia. Faisons toujours plus ample connaissance. Je crois qu’il faut faire parler les institutions européennes, mais aussi le terrain et les gens. Le reportage en somme, il n’ya que cela de vrai. Pour arriver à ce but, faudrait-il un ordre des journalistes comme il existe un ordre des médecins ? Pas sûr qu’il nous faille des garde-fous ou gardechiourme. En tous cas l’Europe est une communauté de destin irréversible malgré les dangers qu’elle peut traverser. Je vous remercie pour la qualité de votre attention. Et n’oublions pas nos otages en Afghanistan Gérard Saint-Paul (Version prononcée et condensée) 11