Mars 1941 Pierre Dac contre le Trait d`Union
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Mars 1941 Pierre Dac contre le Trait d`Union
Mars 1941 6 – La bataille de l’information Pierre Dac contre le Trait d’Union 1er mars Radio-Paris ment… Alger – Pierre Dac lance ce soir sur les ondes de Radio Alger une ritournelle que toute la France, avec le sourire, fredonnera bientôt sur l’air de la Cucaracha : « Radio Paris ment, Radio Paris ment, Radio Paris est allemand (bis) ». Malgré la qualité de sa programmation, qu’Alger est bien forcé d’admettre, dans le domaine des variétés, du théâtre parlé et de la musique, jamais le premier des programmes radiophoniques de la Collaboration ne s’en relèvera tout à fait.1 5 mars Du bon usage de l’auto-censure Alger – Jean Zay réunit au ministère de l’Information les directeurs et les rédacteurs en chef des journaux et magazines publiés en AFN avec le chef du 6e Bureau au GQG et à ce titre responsable des problèmes de presse et de censure. Le capitaine Rémy Roure, chargé de la rédaction du communiqué quotidien et que l’on sait proche du ministre de la Défense, le général de Gaulle, assiste à la réunion. Il s’agit explicitement de trouver les bases d’un gentlemen’s agreement qui permette de concilier les exigences de la liberté d’informer, composante fondamentale des combats que les démocraties mènent contre les dictatures, avec la préservation des secrets militaires et les nécessités de la guerre. Les leçons de 14-18, oubliées en septembre 1939 du fait des inhibitions du haut commandement et de l’inconscience de Jean Giraudoux, sont cette fois prises en compte par tous, dans un esprit de bonne volonté de part et d’autre qui en surprend plus d’un. On pourrait croire que Jules Romain, apôtre de l’unanimisme, a fait des adeptes à Alger. En moins de quatre heures, outre une pause café, on se met d’accord sur quatre principes. 1) La Presse, écrite ou radiophonique, peut aborder tous les sujets, à l’exception de ceux que les directives biquotidiennes du ministère de l’Information proscrivent précisément. 2) Havas Libre peut diffuser, dans certains cas, des dépêches portant sur des sujets prohibés, afin de fournir un éclairage à ses abonnés. Ces dépêches-là porteront, au début et à la fin, la mention “Embargo absolu - Reproduction interdite”. Tout manquement sera sanctionné, avant même l’intervention de la Justice, par un emprisonnement automatique de trois mois, 50 000 francs d’amende et une interdiction de paraître de deux mois au moins. « Je serai sans pitié » a prévenu Jean Zay. 3) Les journaux et la radio s’engagent à ne pas diffuser de précisions qui pourraient aider l’ennemi dans ses opérations. Ils ne citeront jamais le numéro des unités engagées, ni selon quel dispositif. Exemple: on écrira ou on dira des chasseurs alpins, non les chasseurs alpins du 7e bataillon qui fait partie de la 3e demi-brigade. Autre exemple : les troupes du général X, non la division d’infanterie marocaine que commande le général X. On respectera un schéma analogue pour les événements navals et/ou aériens. 1 Certaines sources, y compris une interview tardive de Dac lui-même, affirment que la ritournelle ne fut lancée que le 1er avril (date oblige). En fait, de nombreux témoignages (dont le fameux Journal de Jacques Lelong) attestent de sa circulation dès le mois de mars. 4) Outre le sacro-saint Communiqué, le GQG organisera à intervalles réguliers des points de presse ouverts aux journalistes français, alliés et “sympathisants”2. Les règles énumérées cidessus s’appliqueront à tous. L’avenir démontrera que cette charte, inspirée de l’exemple britannique, contribuera à asseoir la crédibilité des journaux et de la radio de la France Combattante sur l’autre rive de la Méditerranée. En sens inverse, les études d’opinion réalisées pour le gouvernement de Pierre Laval démontreront que le public de la Métropole n’accorde pas foi aux informations de ses journaux et de ses radios. 6 mars Parler aux prisonniers Paris – Pierre Laval, en sa qualité de ministre de l’Information, obtient le feu vert du Reich pour la diffusion auprès des prisonniers de guerre français du Trait d’union. Préparé depuis des mois par ses services, le Trait d’union devrait se présenter comme « le journal des exilés3, conçu et rédigé par des exilés, pour les exilés ». En réalité, il est entièrement réalisé par des fonctionnaires et des contractuels du ministère. Le projet de ce journal, tiré sur seize pages en format berlinois4, remonte en fait à octobre 1940. Mais Pierre Laval a dû négocier avec les services du Dr Goebbels, à qui rien de ce qui concerne la Presse n’est étranger, avec la Wilhelmstraße (qui a demandé, pour la forme, l’avis du Palais Chigi), avec l’OKW dont dépendent les oflags et les stalags, avec deux départements de la Commission d’Armistice de Wiesbaden, avec la Propaganda Staffel de Paris et, bien entendu, avec l’inévitable Otto Abetz. Du côté allemand, où l’on se méfie toujours du NEF, on redoutait des représailles de la part des autorités d’Alger. Interrogée par le Département politique de Berne5, la Rue Michelet s’est bornée à une protestation minimale. Elle a rappelé que le gouvernement français régulièrement constitué, et en aucun cas « l’autorité de fait », est seul responsable, aux yeux de la puissance protectrice et du CICR, aussi bien des prisonniers français en Allemagne (et en Italie) que des prisonniers allemands (et italiens) en Afrique du Nord. D’ailleurs, a fait valoir la diplomatie française, lorsqu’il s’est agi d’organiser, dès l’automne 1940, des échanges de prisonniers grands blessés ou malades, ce n’est qu’avec les autorités légitimes de la France que le Reich a dialogué, par le truchement de la Suisse et du CICR. Mais on a ajouté verbalement que le gouvernement, et avec lui tous les bons Français, animés du seul souci du bien-être physique et moral des détenus, ne s’opposeraient pas à la diffusion de « ce, hum, document » qui offrira « peut-être » un moyen d’apporter « quelques distractions » aux captifs. On n’a pas jugé nécessaire de révéler à Berlin, via Berne, que Radio-Alger diffusera chaque soir, sur ondes courtes, à partir du 15 mars, un bulletin spécial de trois quarts d’heure destiné aux camps de prisonniers : les rapports des Services spéciaux indiquent que des bricoleurs doués, réfractaires à la discipline prussienne ou bavaroise, sont parvenus, au péril de leur vie parfois (car la Gestapo n’a guère l’habitude de plaisanter en matière d’écoute des radios 2 La définition des sympathisants est, volontairement ou non, laissée dans le flou. Dans la pratique, elle s’applique exclusivement aux journalistes américains. Les représentants des autres pays neutres ont droit à des briefings distincts, plus édulcorés sans doute. 3 Le NEF emploie toujours cet euphémisme pour désigner les prisonniers de tous grades – et les internés. 4 Ce format, celui du Monde aujourd’hui, par exemple, est ainsi dénommé car il a été adopté pour la première fois par la Berliner Zeitung. Cette appellation ne doit rien à la politique de collaboration ! 5 Comme en 1914-1918, la Suisse a été reconnue dès 1939 par la France et par l’Allemagne comme “puissance protectrice”, au sens des Conventions de Genève, de leurs prisonniers de guerre respectifs. étrangères), à monter des récepteurs de TSF dans plus des deux tiers des oflags et près de la moitié des stalags. Pour Pierre Laval, qui espérait évidemment pouvoir convertir une partie des “exilés” à sa politique, l’opération lui a d’abord donné l’occasion de nouer Outre-Rhin, notamment avec l’Auswärtiges Amt (dénomination officielle de la Wilhelmstraße), des contacts qu’il veut croire fructueux. Son grand dessein – qu’il n’a confié qu’à son directeur de cabinet, Jean Jardin – vise à obtenir de Joachim von Ribbentrop et, au delà, d’Hitler lui-même, la possibilité de nommer et d’accréditer à Berlin, au lieu du malheureux Villelume qui n’a jamais pu quitter Paris, un ambassadeur du NEF qui ferait pendant à Abetz. En outre, une telle nomination ouvrirait de facto la voie à la désignation d’un haut représentant officiel à Rome : toujours le tropisme italien de Laval. Le tout, estime Laval, contribuerait à conférer à son pouvoir un brevet supplémentaire de légitimité, tant sur le plan national que dans le monde : il souffre d’être tenu pour quantité négligeable par Washington (qui n’a maintenu à Paris qu’un consul général adjoint) aussi bien que par le Saint-Siège, désormais représenté dans la capitale par un simple protonotaire apostolique, de nationalité française de surcroît, alors que le nonce en titre occupe à Alger sa fonction traditionnelle de doyen du Corps diplomatique. Il a déjà envisagé deux prétendants éventuels pour le poste de Berlin : Georges Scapini, glorieux mutilé de la Première Guerre (ce qui devrait plaire à Hitler, toujours sensible à l’aspect “ancien combattant”) et l’essayiste Jacques Benoist-Méchin, auteur d’une très remarquée Histoire de l’Armée allemande publiée à partir de 19366. 9 mars Journal lancé… Paris – La première édition du Trait d’union, prête depuis la mi-février, a été complétée et actualisée en hâte. Après avoir reçu le visa de la censure allemande, elle a été tirée sur les anciennes presses de L’Humanité. Deux cent mille exemplaires sont embarqués sur l’express régulier Paris-Berlin. Ils seront répartis dès le lendemain entre les camps par la Reichspost, qui a promis à ses collègues des PTT de faire diligence. Premiers servis, les stalags de la capitale du Reich et de sa banlieue recevront le Trait d’Union à partir du 11. 15 mars Journal coulé ! Alger – Intervention remarquée de Pierre Dac dans le premier bulletin spécial destiné aux prisonniers. L’humoriste se déchaîne : « On sait que je ne suis pas d’accord avec Pierre Laval. Mais, ce soir, je veux lui dire, à la fois, mes félicitations et mes remerciements. Je le félicite d’avoir eu une idée généreuse et je le remercie de penser au bien-être des captifs. Grâce à lui, deux cent mille paquets de torche-cul viennent d’être remis aux oflags et aux stalags. Et attention, j’ai fait un calcul. D’un seul exemplaire de son torchon, on devrait pouvoir tirer trois cent cinquante feuilles de PQ, soit, au total, soixante-dix millions de feuilles de papier de la Victoire, comme l’on disait durant l’Autre Guerre, livrées d’un seul coup à nos soldats malheureux par le soi-disant NEF ! Bravo et merci, monsieur Laval. Et, puisqu’un don en vaut un autre, je vous cède gratuitement le nom que je viens de trouver pour 6 Quelles que soient son opposition aux idées de Benoist-Méchin et la répugnance que ses mœurs lui inspirent, le général de Gaulle exigera que ce livre soit réimprimé à Alger, par les soins de l’éditeur Charlot, et distribué dans les écoles d’officiers des trois armes. ce qu’on ne peut quand même pas appeler un journal : “Le trait d’oignon”7. Faites-en bon usage. Allez, encore merci, et bonne nuit. » 16 mars Paris-Soir bouillonne Paris – Le tirage de Paris-Soir, publié sous l’œil des occupants qui ont nommé directeur un ancien garçon d’ascenseur alsacien, Pierre Schiessle (que sa rédaction a vite surnommé Pierre Scheise8), s’établissait à quelque 940 000 exemplaires par jour en novembre 1940 avec un taux de bouillon9 inférieur à 20 %. Faute de lecteurs, Paris-Soir, le plus lu de tous les quotidiens de la capitale avant 1939, ne tire déjà plus qu’à 550 000 exemplaires et le taux de bouillon, en calculant au plus juste, dépasse les 35 %. Ces chiffres provoquent l’inquiétude, si ce n’est la panique, de l’Oberleutnant Weber, en charge du département de la Presse à la Propaganda Staffel, qui redoute d’être rappelé à Berlin ou même d’être affecté à une unité combattante. Ils doivent bien sûr demeurer confidentiels, mais ils vont parvenir à Alger grâce à des journalistes et des étudiants qui préparent, sous le masque de leurs activités dans la presse de la Collaboration ou à la Sorbonne, le lancement d’une publication clandestine dont ils cherchent encore le nom. « Ces messieurs de Paris-Soir devraient demander à Goebbels de les subventionner, plaisantera Jean Zay. Nous, nous les aurions aidés. Ils ont raté le coche. » 17 mars Les Suisses voient clair Berne – Un communiqué du Département fédéral de Justice et Police annonce l’expulsion, pour “service de renseignements prohibé” – selon la formulation, mal traduite de l’allemand, de la législation helvétique – de Luc Teilhet, correspondant en Suisse d’Havas-OFI. Le dossier monté à son encontre par la police fédérale suisse (Bupo), chargée du contreespionnage, démontrait qu’il travaillait davantage pour le compte de l’Abwehr que pour Havas-OFI. Cette décision met fin à une fiction entretenue par les autorités suisses depuis l’automne 1940, qui attribuait à Teilhet la même appartenance professionnelle qu’aux cinq journalistes d’Havas Libre10. Avantage de la fable : elle permettait à la presse suisse d’être représentée sans souci de réciprocité aussi bien à Paris (notamment par un correspondant de la Neue Zürcher Zeitung et un du Tages Anzeiger, outre le Journal de Genève, la Gazette de Lausanne et le Nouvelliste du Valais) qu’à Alger, où près d’une vingtaine de correspondants helvétiques ont été accrédités par le ministère de l’Information, sur avis conforme des Affaires étrangères. 22 mars Des lampes pour Radio-Alger Boston – Chargement, avec plus de neuf semaines de retard sur les prévisions, des éléments de l’émetteur de Tipasa fabriqués par la General Electric à bord de deux cargos, le MS Marvin 7 Le témoignage de Jacques Perret, dans Le caporal épinglé, confirme que ce détournement de titre a fait florès. Schiessle : petit coup – Scheise : merde. 9 Le bouillon d’un journal ou d’un magazine désigne les exemplaires invendus. D’une publication qui ne se vend pas, on dira qu’elle bouillonne. 10 Luc Teilhet, journaliste de l’agence Havas depuis juin 1934, avait appartenu au francisme de Marcel Bucard. Lieutenant de réserve de l’Armée française, il trouvera la mort en 1943, en Russie, sous l’uniforme allemand. 8 L. Fishman et le MS Pride of Milwaukee. Selon la General Electric, les processus de fabrication des lampes des deux émetteurs – ondes longues et ondes courtes – se sont révélés bien plus complexes que prévu en raison de la présence d’un système original de refroidissement par eau intégré aux ampoules proprement dites et à leurs culots. Les deux navires, qui appartiennent à la Great Lakes and Ocean Shipping Co. implantée à Savannah, ont été nolisés par la Compagnie Générale Transatlantique aux termes d’un compromis conclu, très laborieusement, entre l’ambassade de France à Washington et le US Department of Commerce : puisqu’il ne s’agit pas d’armements à proprement parler, la clause Cash and Carry du Neutrality Act ne s’applique pas, mais dans la mesure où Casablanca, port de destination, se trouve dans l’une des zones de guerre définies par la Maison Blanche, les risques encourus par les cargos et leurs équipages doivent être pris en charge par la France. Le Marvin L. Fishman et le Pride of Milwaukee feront d’abord route vers New York. Ils s’y intègreront à un convoi de dix-sept navires, plus leur escorte, tous destinés à l’Afrique du Nord, qui doivent appareiller le 30 mars. Chassez le naturel… Alger – Jean Zay adresse, à titre confidentiel, une sévère mise en garde à la direction d’Alger républicain, quotidien proche du Parti communiste, dont la reparution avait été tolérée à l’automne 1940 dans un souci d’union nationale. « Quel que soit mon attachement, et celui du Gouvernement, à la liberté d’opinion et d’expression, écrit le ministre de l’Information, je ne saurais accepter qu’un organe de presse paraissant sur le territoire nord-africain de la Patrie donne le moindre écho à des propos de tonalité défaitiste ou paraisse approuver l’attitude des alliés objectifs de l’Axe. Si tel était le cas, malgré tout, je n’hésiterais pas à prendre les sanctions les plus graves à l’encontre de ceux qui se seraient rendu coupables de pareils agissements. » Cet avertissement sans frais, qui s’abstient avec soin de mentionner l’Union Soviétique ou l’Internationale communiste en termes explicites, a été provoqué par un rapport que les Renseignements généraux ont transmis le 21 à Georges Mandel et à Jean Zay. Selon son auteur, demeuré anonyme conformément à la règle, les éléments du PC d’Algérie demeurés inféodés à la ligne de Moscou auraient reçu du Komintern consigne d’éliminer, physiquement si besoin, leurs camarades « patriotes », ou réputés tels, dirigeant le journal et d’en prendre le contrôle. Cette consigne aurait été transmise par un émissaire en cours d’identification11. L’information a été jugée d’autant plus vraisemblable par les deux ministres que l’on avait cru, depuis deux ou trois semaines, déceler un infléchissement dans les éditoriaux du quotidien – que ni Havas, ni la radio nationale, ne citaient plus désormais dans leurs revues de presse depuis quatre jours, à la demande, déjà, de Jean Zay. V comme victoire Alger – La radio française reprend à son tour le symbole du “V” lancé par les Belges, par la voix de Jacques Duchêne : « Songez donc, un V, ça se trace tout seul. On marche sur le trottoir le long des murs en rentrant chez soi avec un bout de craie ou un bout de fusain dans la main et on laisse derrière soi une traînée de V et personne ne vous a vu les tracer. Un grand V dans le dos d’une capote bien tracé à la craie, une capote qui pend dans le vestibule, ça fait très bien, surtout si la capote est allemande. La peinture d’une automobile allemande arrêtée dans un coin où il n’y a pas beaucoup de monde, il ne faut pas beaucoup de temps 11 Le consulat général de Suède, dûment informé par le ministre de l’Intérieur, n’élèvera aucune protestation lorsqu’une décision de Georges Mandel, en date du 4 avril 1941, conduira à l’expulsion sous vingt-quatre heures, à destination de Tétouan, du chef comptable de la filiale algéroise de la société Arthur Spangberg (matériel naval et industriel, Stockholm), doté d’un passeport suédois au nom d’Arne Gulbrandsson mais originaire, en réalité, de Carélie soviétique où il est né Taono Vehasinnen. pour y couper un V au couteau. Il y a beaucoup de mots allemands qui commencent par V. Il y a le mot Verboten, un cercle autour du V de Verboten, c’est agréable à voir. » Dès le lendemain, les V envahissent Paris et pullulent sur tous les murs de France ! C’est par milliers que les préfectures de province comptent les V qui surgissent de partout, finissant par inquiéter la Propagande allemande et embarrasser Laval et ses sbires. Bientôt les amendes pleuvent sur les municipalités trop fertiles en production incontrôlée de V. 23 mars Chronique littéraire Alger – Toujours chanceux, Bill Clifton, même quand il a des ennuis… Ce qui l’amène à passer provisoirement du poste de correspondant de guerre au fauteuil de rubricard littéraire. « L’auteur de Vol de Nuit bientôt en tournée aux Etats-Unis – Décidément, ma cheville abîmée me faisait beaucoup souffrir. Je devais me faire soigner sérieusement avant de partir pour la Grèce, afin d’y voir le Parthénon… et le front albanais. Rentré à Alger, on me conseille de consulter à la Clinique Saint-Georges. Là, je suis pris en main par un chirurgien civil, qui diagnostique une vilaine entorse. Il me faut porter un plâtre pendant plusieurs semaines ! Allez courir sur le front d’Albanie avec ça ! Je pousse un gémissement à fendre l’âme. Le chirurgien, le Docteur Solal, se méprend. Compétent et sympathique, mais guère enclin à s’attendrir sur les malheurs d’un journaliste américain trop douillet, il grogne dans sa moustache : « Vous savez, dans le genre littéraire comme dans le genre blessure de guerre, nous avons bien plus important que vous, ici ! » Secret médical oblige, il n’en dit pas plus, mais, même avec une cheville plâtrée, c’est un jeu d’enfant d’obtenir ailleurs le renseignement que je désire. Le célèbre écrivain-pilote, Antoine de Saint-Exupéry, est hospitalisé ici après une mission d’où il est revenu grièvement blessé ! Il est maintenant hors de danger et accepte de m’accorder une interview. » Saint-Exupéry apprend à Clifton qu’à la demande de ses amis français et américains, il va terminer sa convalescence à New York. Il en profitera pour effectuer une tournée de conférences aux Etats-Unis et pour écrire un livre et même deux. « Le premier sera en quelque sorte la suite de Pilote de Guerre. Il évoquera cette expérience unique d’une guerre menée par tout un pays en exil, loin de sa terre. Le second sera très différent. Malgré la guerre, ou à cause d’elle, j’y tiens beaucoup ; c’est une sorte de conte pour enfants, mais que les adultes pourront lire aussi, j’espère, avec plaisir, s’ils n’ont pas oublié qu’ils ont un jour été des enfants. Je l’illustrerai de mes propres dessins. » Mais Saint-Exupéry reste un pilote. « Un jour, vous savez, nous reviendrons d’exil. Et ce jour-là, même si on prétend que j’ai dépassé la limite d’âge, je serai aux côtés de mes camarades du Groupe II/33. » 24 mars Petits arrangements Paris – Sous l’égide d’Otto Abetz et de Pierre Laval, l’Illustration et Signal concluent deux accords portant, l’un sur l’échange de photos, l’autre sur l’échange de textes. Cette entente, approuvée par Josef Goebbels, entrera en vigueur dès le 1er avril. Un dîner de gala est organisé le soir même à la Tour d’Argent pour célébrer l’amitié franco-allemande, autour d’un canard au sang arrosé d’un pommard “Les Chaponnières” de 1929. 30 mars Le choc des photos Etats-Unis – Au moment où les accords militaires franco-américains du 28 mars sont annoncés (sans entrer, bien entendu, dans les détails), une campagne est lancée dans les médias américains sur le thème des « atrocités allemandes en Corse ». Cette campagne repose largement sur les photos de Robert Capa prises après le bombardement massif de Bastia par la Luftwaffe le 1er mars, élevé (si l’on peut dire) au rang des bombardements de Guernica, Rotterdam et Coventry, ce qui est en vérité une sérieuse exagération. D’autres photographies montrent le général de Monsabert, blessé et sanglant, mais debout à son poste de commandement ; le lieutenant-colonel Philippe de Hautecloque (un nom bien plus romantique que Leclerc pour les Américains) au milieu de ses chars made in USA ; ou encore le colonel Kœnig et ses hommes de la Légion Etrangère parmi les restes calcinés de blindés allemands, dans la forêt de Bavella. Ces clichés sont largement diffusés dans les médias américains. Le New York Times les utilise notamment pour illustrer les articles de Bill Clifton.