autorité parentale et protection de l`ado en souffrance - Santé

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autorité parentale et protection de l`ado en souffrance - Santé
Conduites suicidaires, autorité et loi à l’adolescence
Forum de prévention du suicide
Brest, 9 novembre 2006
Agnès Louis-Pécha
AUTORITE PARENTALE ET PROTECTION DE L’ADOLESCENT EN SOUFFRANCE PSYCHIQUE :
APPROCHE JURIDIQUE
La plaquette de présentation de cette journée énonce que la recherche par l’adolescent
de nouvelles limites, leur mise à l’épreuve par des transgressions, pouvant aller jusqu’aux
conduites de risque et aux comportements autodestructeurs, interrogent la qualité des cadres
psychologiques, relationnels, sociaux proposés.
J’ajouterais que la recherche de limites par l’adolescent interroge aussi la qualité des
cadres juridiques proposés, cadres qui doivent contribuer à structurer le contenant dans lequel
le jeune pourra, en relative sécurité, tester ces nouvelles limites.
La loi doit, bien évidemment, garantir une cohérence de la prise en charge de
l’adolescent en souffrance, tout en s’adaptant aux nouvelles réalités sociales et aux
perceptions évolutives de ce que peut vivre sans danger un adolescent.
L’incohérence, comme l’injustice, sont des péchés capitaux aux yeux des adolescents,
péchés qui peuvent discréditer à jamais leur auteur, la loi en ce qui nous concerne. Une loi qui
« n’assure pas », qui « n’a pas le respect », n’est pas respectable, et ne sera donc pas
respectée…
L’une des structures contenantes essentielles pour un enfant ou un adolescent mineur
est l’autorité parentale.
M. Huon me disait, alors que nous préparions cette journée, combien il était important
pour les jeunes en difficultés rencontrés dans sa pratique professionnelle, que la loi
reconnaisse la place de leurs parents et en prenne soin.
1
Pour permettre aux parents d’exercer correctement leur rôle, protecteur et
progressivement émancipateur à la fois, l’autorité parentale elle-même doit être protégée,
réaffirmée, soutenue.
Pourtant, cette autorité peine de plus en plus à imposer sa légitimité. De multiples
facteurs, notamment sociaux et économiques, expliquent cette difficulté, mais le droit luimême peut, à travers quelques signaux ambigus, contribuer à fragiliser la place des parents
(I).
Par ailleurs, en cas de carence parentale, l’autorité publique doit soutenir, voire
suppléer les parents dans l’exercice de leur fonction éducative. La même exigence de
cohérence et de justice détermine la façon dont les jeunes vont percevoir les moyens mis en
œuvre par la collectivité pour les protéger.
Or, les dispositifs juridiques existants manquent terriblement de lisibilité et de
souplesse à la fois, parfois même de cohérence, au point qu’une réforme de fond de la
protection de l’enfance est aujourd’hui en chantier (II).
I/ LA FRAGILISATION DE L’AUTORITE PARENTALE
L’autorité parentale est définie par la loi comme « un ensemble de droits et de devoirs
ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant », appartenant aux parents pour « le protéger dans sa
sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement
dans le respect dû à sa personne. »1
Perçue à l’origine comme une prérogative de puissance paternelle, l’autorité parentale
est désormais considérée comme un droit-fonction, qui n’est reconnu aux parents que dans
l’intérêt de leur enfant. L’intérêt de l’enfant : Le grand mot est lâché…
Comment et par qui est déterminé cet intérêt ? La question est d’autant plus difficile
que, dans notre société pluriculturelle, il y a de moins en moins de consensus sur la façon dont
on peut assurer le développement harmonieux d’un enfant.
Tout notre dispositif est fondé sur une présomption selon laquelle ce sont les parents
eux-mêmes qui sont les mieux placés pour déterminer et défendre l’intérêt de leur enfant, tout
au moins tant que certaines limites ne sont pas franchies.
1
art. 371-1 c. civ.
2
La loi doit donc protéger les familles contre la tentation d’immixtions injustifiées et
doit donner aux parents les moyens d’exercer leur autorité.
Pourtant, les situations de mise à l’écart des parents se multiplient sans être toujours
justifiées (A).
Par ailleurs, on sait que notre société s’efforce de promouvoir les « droits de
l’enfant », dans le souci, on ne peut plus louable, de protéger le plus efficacement possible ses
intérêts.
On peut pourtant se demander si la technique choisie, la reconnaissance de droits, ne
porte pas atteinte à l’autorité parentale. L’autorité peut-elle subir sans dommage ce discours ?
(B).
A/ DES ATTEINTES PARFOIS INJUSTIFIEES AUX PREROGATIVES PARENTALES
Les parents sont parfois trop légèrement, voire injustement (péché capital !) mis à
l’écart de la protection de leur enfant, soit qu’un tiers se trouve investi de leurs pouvoirs, soit
que leur enfant se voit reconnaître une autonomie anticipée.
1) La mise à l’écart des parents au profit d’un autre représentant
Lorsque les parents exercent l’autorité parentale, le franchissement de frontière
justifiant l’intervention des tiers est normalement l’existence d’un danger pour l’enfant, qui
autorise l’intervention du médecin ou du juge des enfants.
Le médecin : depuis la loi du 4 mars 2002, « dans le cas où le refus de soins par les
parents risque d’entraîner des conséquences graves pour la santé du mineur, le médecin
délivre les soins indispensables »2. Le médecin n’a donc plus besoin, dans ce cas, de solliciter
du juge une mesure d’assistance éducative pour intervenir contre le gré des parents.
Le juge des enfants : le danger est la condition de l’assistance éducative, qui, comme
son nom l’indique, tend à soutenir les parents dans leur fonction et non pas à les en priver.
2
art. L. 1111-4, al. 6, CSP
3
D’ailleurs, l’assistance ne prive les parents que des prérogatives d’autorité inconciliables avec
la mesure3. En cas de placement, par exemple, les parents conservent en principe le pouvoir
de prendre les décisions concernant leur enfant (scolarité, santé, religion…). Seules les
prérogatives de surveillance et d’éducation quotidiennes leur sont retirées.
Le danger peut être un danger pour la sécurité, la santé ou la moralité de l’enfant, ou
résulter d’une situation où les conditions de son éducation sont gravement compromises4. Le
projet de réforme de la protection de l’enfance prévoit d’y ajouter le cas où les conditions du
développement de l’enfant sont gravement compromises.
Hors danger, l’intervention des tiers est donc normalement exclue, sauf si elle est
sollicitée ou acceptée par les parents eux-mêmes : les parents doivent rester maîtres à bord,
même si l’on peut estimer que l’éducation, les choix, les décisions prises pour l’enfant ne sont
pas les meilleures, donc les plus conformes à son intérêt.
Les tribunaux rappellent régulièrement que toute situation jugée non-conforme à
l’intérêt de l’enfant ne constitue pas nécessairement un danger et ne justifie pas
nécessairement une intervention judiciaire.
Cette approche, contestée par certains5, qui voudraient que la notion d’intérêt de
l’enfant se substitue à celle de danger pour justifier une intervention, évite sans doute de
s’enliser dans une appréciation impossible de ce qu’est l’intérêt de l’enfant, notion bien plus
difficile à caractériser et potentiellement plus liberticide et totalitaire que celle de danger.
On peut en prendre pour illustration une affaire jugée par la Cour d’appel de Riom en
20056 : un juge des enfants avait ordonné le placement à l’ASE de huit frères et sœurs, âgés
de un à treize ans, issus d’une mère appartenant à la communauté des gens du voyage, mais
sédentarisée, et d’un père ouvrier agricole.
3
art. 375-7 c. civ.
4
art. 375 c. civ.
5
Notamment, M. Berger, Ces enfants qu’on sacrifie au nom de la protection de l’enfance, Dunod,
2005 ; L’échec de la protection de l’enfance, Dunod, 2è éd., 2004.
6
Cour d’appel de Riom, 29 mars 2005, Actualité juridique Famille, mai 2005, p. 192, note H.
Gratadour.
4
Le juge des enfants avait fondé sa décision sur la précarité des conditions de vie des
mineurs, leurs problèmes majeurs d’hygiène et leurs difficultés scolaires, sur le
fonctionnement excessivement fusionnel de la famille et le comportement violent, à
connotation sexuelle, de l’aîné des enfants.
Les parents ont fait appel et sollicité la mainlevée des placements en faisant valoir que
la situation aurait dû être examinée de manière individuelle pour chaque enfant.
La cour d’appel estime qu’il n’y a pas lieu à assistance éducative, sauf pour l’aîné et le
second, tous deux gravement déséquilibrés.
C’est la motivation de l’arrêt qui est remarquable, par le souci des magistrats de
définir des critères du danger :
« Attendu que pour être constitutive d’un danger au sens de l’article 375 du code civil,
une situation de fait doit être notablement plus dégradée que celle d’autres enfants issus du
même milieu à la même époque ; qu’autrement dit, le juge des enfants apprécie le danger en
valeur relative, par référence à la culture ambiante, aux moyens matériels dont dispose la
famille, à l’histoire même du groupe familial et des individus qui le composent ;
Attendu qu’en l’espèce, le diagnostic de danger a été posé par des approches
standardisées, notamment enquêtes et examens psychologiques, parfaitement valables pour
les sédentaires de tradition, notamment urbains, mais moins pertinents pour la famille S. ;
que l’hygiène ou la réussite scolaire ou encore l’osmose familiale n’ont pas les mêmes bornes
ici que dans la plupart des autres familles ; que si la loi ne peut pas nuancer à ce point ses
prévisions, il appartient aux juges et aux praticiens du social d’adapter la norme au contexte,
tout en évitant des appréciations discriminatoires, qu’elles soient positives ou négatives. »
Cette décision exprime très clairement la difficulté : comment apprécier le danger de
façon relative sans pour autant tomber dans la discrimination qui priverait les enfants des
milieux les plus démunis de la protection ? Reste que la directive est très nette : L’intérêt de
l’enfant à être élevé par ses parents dans son milieu, selon leurs choix ou leur culture, domine
tant que l’enfant n’est pas en péril. On peut penser que l’intérêt de la collectivité à ce que ne
se développe pas un contrôle social généralisé aussi.
Or, il est de plus en plus fréquent que des parents exerçant en principe l’autorité
parentale soient privés de certaines de leurs prérogatives sans qu’un danger soit caractérisé.
C’est d’abord le cas chaque fois que des mesures judicaires d’assistance éducative sont
prises sans qu’il y ait de réel danger : la crainte (d’un préjudice pour l’enfant, mais aussi de
5
poursuites pour les professionnels) peut conduire à des signalements intempestifs, qui euxmêmes aboutissent parfois à des mesures d’assistance éducative injustifiées.
Mais il est vrai qu’on se heurte ici à l’extrême difficulté d’apprécier l’existence d’un
danger et qu’il peut paraître préférable, au nom du principe de précaution, d’intervenir à
mauvais escient plutôt que de prendre le risque de « passer à côté ».
Je voudrais mettre plutôt l’accent sur des situations où la loi elle-même organise une
dérive en écartant de façon injustifiée les parents.
J’en prendrai deux exemples :
*
L’intervention de plus en plus envahissante de l’administrateur ad hoc,
représentant ponctuellement les intérêts du mineur dans un procès ou un acte juridique, à la
place des parents.
Initialement, l’administrateur n’avait vocation à intervenir qu’en cas d’opposition
d’intérêts entre le mineur et ses représentants7, par exemple dans l’hypothèse d’une action
opposant le mineur à un parent. Il est désormais prévu, plus largement, qu’il puisse intervenir
lorsque l’enfant est victime d’une infraction pénale volontaire et que ses parents assurent
insuffisamment sa protection8.
En pratique, on constate une tendance à la désignation systématique d’un
administrateur ad hoc en cas d’infraction commise par un proche de l’enfant, comme si les
parents étaient systématiquement considérés comme incapables, alors, d’assurer correctement
la défense de leur enfant.
Comment l’enfant perçoit-il cette situation ? Ne risque-t-elle pas de discréditer
l’autorité du parent aux yeux de son enfant ?
*
Le recours à la tutelle – tant sur la personne que les biens de l’enfant – dans des
cas où les parents pourraient exercer leur autorité et sans que l’existence d’un danger soit
nécessairement caractérisée : En cas de séparation des parents, le juge aux affaires familiales
peut confier l’enfant à un tiers, « à titre exceptionnel et si l’intérêt de l’enfant l’exige »9.
7
art. 388-2 et 389-3 c. civ.
8
art. 706-50 CPP
9
art. 373-3, al. 2, c. civ.
6
La loi10 prévoit que les parents continuent alors en principe à exercer leur autorité
parentale, le tiers n’exerçant que les actes usuels relatifs à la surveillance et à l’éducation.
Mais le texte ajoute que le juge aux affaires familiales peut décider que la personne à laquelle
l’enfant est confié devra requérir l’ouverture d’une tutelle. Bien entendu, cette tutelle aura
pour effet de priver les parents de pratiquement toutes leurs prérogatives.
L’incohérence (péché capital !) est évidente : alors que, sur le terrain de l’assistance
éducative, seule une situation de danger permet l’intervention d’un tiers, et que cette
intervention ne met pas fin à l’exercice de l’autorité parentale – les parents sont seulement
privés des prérogatives inconciliables avec la mesure – le JAF peut ici, d’abord confier
l’enfant à un tiers (placement ?), sans que la loi précise dans quelles conditions autrement que
par la formule « à titre exceptionnel et si l’intérêt de l’enfant l’exige » – condition dont on a
vu qu’elle ne se confond pas avec l’existence d’un danger –, ensuite provoquer l’ouverture
d’une tutelle.
Le recours à ce procédé peut être tentant pour le JAF. La tutelle est, en effet, une
institution moins stigmatisante, car elle tend normalement à pallier une incapacité objective
des parents à exercer leur autorité (décès, impossibilité d’exprimer une volonté en raison
d’une absence ou d’une maladie, par exemple).
Mais tout se passe comme si on voulait protéger l’enfant sans constater préalablement
le danger, la défaillance parentale ou le désintérêt, comme on doit le faire dans les procédures
d’assistance éducative, de délégation forcée d’autorité parentale, de retrait ou de constat
judiciaire d’abandon.
Même si les JAF n’en abusent guère, on fait ici, avec l’autorisation du législateur, un
usage détourné de la tutelle, qui présente des effets pervers graves (péchés capitaux
d’injustice et d’incohérence à la fois !) : pour les enfants, car on prive leurs parents de leurs
prérogatives sans que jamais les carences parentales aient été dites par le juge ; pour les
parents, car on les prive des garanties procédurales auxquelles ils ont normalement droit dans
le cadre du débat judiciaire à l’issue duquel sont constatées – ou non – carences, désintérêt ou
danger.
2) Le recul de l’incapacité du mineur
10
art. 373-4 c. civ.
7
L’autorité parentale est fondée sur le constat de l’inaptitude de l’enfant à assurer luimême la défense de ses intérêts. Mais l’enfant d’aujourd’hui, et plus encore l’adolescent,
revendique (ou les adultes revendiquent pour lui…) un rôle actif dans la conduite de sa vie et
la détermination de son intérêt.
Quelle place faut-il accorder à la volonté personnelle de l’enfant ? Comment l’articuler
avec la fonction protectrice des adultes, notamment des parents ?
Le droit français, emporté par les conventions internationales, notamment la
Convention internationale sur les droits de l’enfant, dite convention de New-York, donne une
place de plus en plus importante à l’expression de la volonté de l’enfant.
Une nouvelle conception de l’exercice de l’autorité parentale est inscrite dans le code
civil : Les parents doivent associer l’enfant aux décisions qui le concernent, selon son âge et
son degré de maturité11.
Cette obligation d’associer le mineur aux décisions qui le concernent se vérifie
notamment en matière médicale : La loi impose de l’informer, d’une façon adaptée à son
degré de maturité12, et de rechercher systématiquement son consentement13. Il est donc exclu
d’intervenir sans aucune concertation avec l’enfant ou l’adolescent. Le texte n’impose
cependant pas d’obtenir le consentement : en fin de compte, en cas de besoin, son refus de
soin est donc juridiquement surmontable (reste à savoir s’il l’est médicalement…).
Mais la loi va parfois plus loin encore, notamment en matière de santé : elle autorise
parfois le mineur à se passer purement et simplement de la protection parentale.
Depuis 2001, on reconnaît le droit d’accès d’une mineure à l’IVG sans consentement
parental si la jeune fille s’oppose à l’information de ses parents ou si les parents refusent
d’autoriser l’intervention14.
Plus largement, le code de la santé publique permet, depuis la loi du 4 mars 2002, de
soigner un mineur qui souhaite que ses parents ne soient pas informés de son état de santé15 :
la demande de secret permet au médecin de procurer les soins indispensables pour
sauvegarder la santé du mineur, sans consentement, ni même information parentale (le
médecin doit tout de même tenter d’abord de convaincre l’enfant ou l’adolescent d’accepter
11
art. 371-1, al. 3, c. civ.
12
art. L. 1111-2, al. 5 CSP
13
art. L. 1111-4, al. 5, CSP
14
art. L. 2212-7 CSP
15
art. L. 1111-5, al. 1, CSP
8
l’information de ses parents). L’enfant peut également interdire à ses parents l’accès à son
dossier médical16. Aucun âge minimum n’est prévu. Il est, certes, exigé que le mineur soit
alors accompagné par une personne majeure de son choix, mais aucune garantie n’est prévue
quant à l’aptitude de cette personne à guider et soutenir efficacement l’adolescent.
Cette dérogation considérable au principe de la protection parentale, adoptée sur
demande du conseil national du SIDA et justifiée par la crainte de voir un mineur préférer
l’absence de soins à la révélation à ses parents de son état de santé, risque de porter atteinte à
la crédibilité de l’autorité parentale : Comment les parents peuvent-ils assumer leur fonction
de protection et la faire respecter si la loi elle-même les prive de leurs prérogatives, dans des
hypothèses où il n’est absolument pas question de défaillance de leur part et alors que leur
enfant est dans une situation de particulière fragilité ?
N’y a-t-il pas une certaine forme d’incohérence (nouveau péché capital !) à permettre
au protégé d’écarter la protection parentale lorsqu’il en a le plus besoin ?
B/ L’ARTICULATION
ENTRE LA PROTECTION PARENTALE ET LES DROITS DE
L’ENFANT
On ne cesse aujourd’hui, sous l’impulsion des conventions internationales et de la
philosophie des droits de l’homme, d’évoquer les droits de l’enfant, et d’en consacrer de
nouveaux : droit à des relations avec ses deux parents17, avec ses ascendants18, ses frères et
sœurs19… ; droit de s’exprimer sur les questions qui le concernent20 ; droit au respect de sa
liberté de pensée, de conscience et de religion21…
Il faut s’interroger sur la portée exacte du propos : l’affirmation de droits de l’enfant
n’a de sens que s’il lui est reconnu, corrélativement, le droit d’agir en justice pour les
défendre, y compris, au besoin, contre ses parents, en étant alors représenté par un
administrateur ad hoc.
Ce qui supposerait qu’il puisse être partie dans les actions relatives à l’autorité
parentale.
16
art. R. 1111-6 CSP
17
art. 9-3 CIDE
18
art. 371-4 c. civ.
19
art. 371-5 c. civ.
20
art. 12 CIDE
21
art. 14 CIDE
9
Il devrait, par exemple, au nom de son droit à entretenir des relations avec ses deux
parents, pouvoir saisir le juge pour se voir accorder un droit de visite plus étendu chez le
parent avec lequel il ne réside pas, ou pour obtenir une résidence alternée. Il devrait, au nom
du droit à des relations avec ses ascendants, pouvoir saisir le juge pour obtenir un droit de
visite chez un grand-parent. Ou, au nom de son droit au respect de sa liberté de conscience et
de religion, pouvoir agir en contestation du choix d’un établissement confessionnel pour sa
scolarité…
Jusqu’à présent, le droit de saisir le juge sur les questions d’autorité parentale ne lui est
reconnu qu’en cas de danger : l’enfant peut saisir le juge pour demander une assistance
éducative22 et s’il est doté d’un discernement suffisant, il peut même agir seul, sans
représentation, ni de ses parents, ni d’un administrateur ad hoc. Ici encore, c’est le danger qui
justifie la dérogation aux principes.
En revanche, en l’état actuel des choses, l’enfant ne peut être partie dans les autres
procédures concernant l’autorité parentale (modalités d’exercice, retrait, délégation…).
Il ne peut pas prendre l’initiative de saisir le juge pour contester la façon dont ses
parents exercent leur autorité, pour leur reprocher, par exemple, de ne pas l’associer aux
décisions, ou pour remettre en cause le choix de sa résidence ou les modalités du droit de
visite en cas de séparation des parents.
Il ne peut pas faire appel des décisions rendues en la matière, ni en demander la
modification en cas d’élément nouveau par la suite.
Il peut seulement être entendu dans les procédures engagées par l’un de ses parents ou
par le ministère public23, c'est-à-dire y exprimer son point de vue s’il le souhaite et s’il a un
discernement suffisant. Et, en l’état de la loi, le juge peut refuser cette audition par décision
motivée, ce qui est une restriction mal comprise par les enfants concernés, contraire aux
exigences de la convention de New-York et qui devrait disparaître avec la réforme de la
22
art. 375 c. civ.
23
art. 388-1 c. civ.
10
protection de l’enfance24. En tout état de cause, être entendu ne signifie pas être partie à la
procédure.
Les droits de l’enfant sont donc des droits curieux, que leur titulaire ne peut pas
défendre, pas même par l’intermédiaire d’un représentant ad hoc, dans les relations avec ceux
qui sont les plus susceptibles d’y porter atteinte – à savoir les parents – , sauf danger.
Cela ne signifie pas que ces droits restent totalement lettre morte : ils seront pris en
considération par le juge lorsqu’il devra statuer sur demande d’un parent ou du ministère
public. Par exemple, le juge appelé à régler les conséquences de la séparation des parents
prendra en compte le droit de l’enfant à avoir des relations avec ses deux parents. Mais
l’enfant n’a aucun pouvoir d’initiative en la matière.
En fait, le droit français reste au milieu du gué : il hésite à franchir le pas que la notion
de droit subjectif implique normalement, il hésite à ouvrir la porte du prétoire à des actions
d’un enfant contre ses parents à propos de leur autorité. Il hésite à entrer dans une vision de la
famille qui serait conçue comme une simple juxtaposition, voire une confrontation de droits
subjectifs concurrents. Il risque pourtant d’y être contraint, l’affirmation de droits qu’on ne
peut défendre relevant d’une incohérence évidente : Comment les adolescents peuvent-ils
comprendre une loi qui leur annonce qu’ils ont des droits, mais qui leur refuse la possibilité de
les faire respecter ?
On sent bien, en fait, que cette logique de reconnaissance de droits est difficilement
compatible avec le rôle de protection reconnu aux parents : à trop aborder les relations
familiales sous l’angle des droits individuels, on risque de sacrifier le lien qui unit ces
personnes, qui doit, lui aussi, être protégé. Ne raisonner qu’en termes de droits de l’enfant,
n’est-ce pas faire passer une forme de discours subliminal du type « Dans un monde du
chacun pour soi, il faut armer l’enfant de droits pour lui permettre de défendre ses intérêts,
que la protection parentale ne suffit pas à garantir » ? N’est-ce pas, finalement, le faire aller
au combat au lieu de le protéger ?
24
Le projet de loi prévoit une obligation pour le juge d’entendre l’enfant doté de discernement qui le
demande. Le juge ne pourra confier l’audition à une autre personne que si l’intérêt de l’enfant l’exige (alors
qu’aujourd’hui, le juge peut librement déléguer l’audition à une personne de son choix).
11
II/ LA CONFUSION DU DISPOSITIF DE PROTECTION DE L’ENFANCE
La protection de l’enfant en danger relève en France de deux dispositifs dont
l’articulation n’est, pour le moment, pas très claire : la protection administrative, qui relève de
l’aide sociale à l’enfance, service du conseil général, et la protection judiciaire, confiée au
juge des enfants.
Par ailleurs, elle repose sur des textes qui, pour certains, renvoient à la notion de
danger, pour d’autres, à la notion de maltraitance.
Les professionnels comme les particuliers, confrontés à des situations qui mériteraient
d’être portées à la connaissance des autorités, sont donc parfois désemparés, ne sachant pas
dans quel cas il faut intervenir et à quelle porte il faut s’adresser pour informer d’une situation
préoccupante concernant un mineur.
Pour les professionnels, l’incertitude concerne aussi l’articulation de leur obligation au
secret professionnel et de leur obligation de signalement.
Ces incertitudes nuisent à l’efficacité et à la crédibilité de la protection de l’enfance,
qui fait l’objet d’un projet de réforme déjà adopté en première lecture par le Sénat le 21 juin
2006.
La clarification doit porter sur la répartition des compétences entre les services de
l’ASE et la justice (A). Elle doit aussi porter sur le signalement des informations
préoccupantes concernant un mineur (B).
La question de la cohérence de la prise en charge mériterait aussi d’être évoquée, mais
il n’est pas possible de tout développer …
A/ LA
CLARIFICATION DES CRITERES DE PRISE EN CHARGE ADMINISTRATIVE ET
JUDICIAIRE
Remarquons d’abord que le juge des enfants est évidemment compétent, au pénal, en
cas de délinquance du mineur. Il peut prendre à ce titre des mesures éducatives.
Hors situation de délinquance, on présente souvent la répartition des compétences
entre ASE et juge des enfants en affirmant que la protection administrative serait une
12
protection préventive, qui interviendrait en cas de risque, pour prévenir un danger par une
aide à la famille, alors que la protection judiciaire interviendrait en cas de danger avéré.
Cette approche aboutit à une multiplication inquiétante des procédures judiciaires, tout
à fait préjudiciable à l’efficacité de la protection.25
On l’a vu, la condition de l’intervention du juge des enfants au titre de l’assistance
éducative est effectivement l’existence d’un danger pour la sécurité, la santé ou la moralité
d’un mineur, ou le fait que les conditions de son éducation sont gravement compromises.
Le danger n’implique pas nécessairement qu’il y ait maltraitances, c’est à dire
violences physiques ou psychologiques, négligences graves, abandon... C’est une notion plus
large qui inclut, par exemple, les risques liés à une très grande précarité sociale, à un grave
conflit familial, à une maladie grave d’un parent ou aux pratiques autodestructrices du mineur.
Encore faut-il que le danger s’accompagne d’une carence familiale : on ne voit pas
quel serait l’intérêt d’une intervention protectrice si les parents eux-mêmes assurent au mieux
la protection de leur enfant. On pense, par exemple, au cas d’un mineur se mettant lui-même
en danger, mais bénéficiant du soutien vigilant de ses parents.
En assistance éducative, le juge peut imposer des mesures de protection (AEMO,
placement), même s’il doit s’efforcer d’obtenir l’adhésion de la famille26.
Reste à savoir si le constat d’un danger, voire même de maltraitances avérées, appelle
nécessairement une intervention du juge de l’assistance éducative, comme semblent le penser
de nombreux professionnels de l’enfance27, ou si la protection ne peut pas être confiée au seul
conseil général.
Le conseil général, via essentiellement28 son service d’aide sociale à l’enfance, est, en
effet, lui aussi investi d’une mission de protection de l’enfance. L’ASE peut prendre des
25
Aujourd’hui, 75 % des mesures, tant à domicile que de placement, sont des mesures judicaires, 25 %
seulement des mesures administratives. Source : Rapport de l’Observatoire National de l’Enfance en Danger,
sept. 2005, http://oned.gouv.fr/Rapport-ONED.pdf
26
art. 375-1 al. 2 c. civ.
27
confortés en ce sens par des circulaires, notamment celles du ministère de l’éducation nationale,
prescrivant une saisine systématique de l’autorité judiciaire en cas de soupçons de maltraitance.
28
mais pas exclusivement : le service de PMI et le service d’action sociale sont associés à la mission de
prévention et de protection des mineurs contre les maltraitances : art. L. 226-1 CASF.
13
mesures d’aide éducative à domicile (AED), ou d’accueil temporaire de l’enfant. Ces mesures
supposent, et c’est ce qui différencie fondamentalement le dispositif administratif du
dispositif judiciaire, un accord de la famille.
Le code de l’action sociale et des familles29 donne d’abord mission à l’ASE
d’intervenir pour aider les mineurs et leurs familles à surmonter les difficultés sociales
susceptibles de compromettre gravement l’équilibre de l’enfant.
Par ailleurs, la loi du 10 juillet 1989 a affirmé explicitement la responsabilité du
conseil général en matière de prévention et de protection des mineurs victimes de mauvais
traitements30. Elle lui impose de mettre en place un dispositif de recueil des informations
relatives aux mineurs maltraités et de répondre aux situations d’urgence31.
Enfin, la loi32 prévoit dans quels cas le président du Conseil général doit aviser
l’autorité judiciaire des mauvais traitements ou présomptions de mauvais traitements infligés
à un mineur. Ce texte pose le principe de la subsidiarité de l’intervention judiciaire par rapport
à l’intervention administrative : c’est seulement si la famille refuse de coopérer ou s’il est
impossible d’évaluer la situation que le président du Conseil général doit saisir le procureur.
Alors même que les mauvais traitements seraient établis, ou qu’il y aurait urgence, si la
famille collabore aux mesures de protection proposées par l’ASE, le juge des enfants n’a pas
lieu d’être saisi : le conseil général suffit.
Et l’obligation pesant sur toute personne, sous peine de sanction pénale, de dénoncer
les privations, mauvais traitements et atteintes sexuelles sur mineurs de quinze ans, vise
l’information des autorités judiciaires ou administratives33.
De même, la mise en place d’une protection administrative est normalement suffisante
pour éviter l’infraction de non assistance à personne en péril34.
Les seules réserves résultent, d’une part, de l’obligation pesant sur les fonctionnaires
et les autorités constituées d’informer le parquet lorsqu’ils ont eu connaissance d’un crime ou
29
art. L. 221-1 1° CASF
30
art. L. 221-1, 5° CASF
31
art. L. 226-3 CASF
32
art. L. 226-4 CASF
33
art. 434-3 C. pén. Le texte prévoit une exception pour les personnes astreintes au secret professionnel,
sauf dans les cas où la loi impose la révélation.
34
art. 223-6 C. pén.
14
d’un délit dans l’exercice de leurs fonctions35, d’autre part, de l’obligation pour les personnes
investies d’une mission judiciaire d’informer le juge36.
La pratique actuelle est, en fait, assez éloignée de ce schéma : en l’état actuel des
textes, les professionnels ont tendance à adresser des signalements directement à l’autorité
judiciaire, pensant ainsi se garantir plus efficacement contre d’éventuelles poursuites pénales
pour non-dénonciation de mauvais traitements ou non assistance à personne en péril, et les
conseils généraux eux-mêmes ont tendance à transmettre au parquet des situations qu’ils
pourraient traiter par une protection administrative.
Cette pratique est préjudiciable à l’efficacité de la protection. Elle provoque un
encombrement catastrophique des cabinets des juges des enfants, les empêchant de traiter en
temps raisonnable les demandes d’assistance éducative fondées, car se heurtant à un refus de
coopération de la famille. Elle crée une méfiance des familles vis-à-vis des travailleurs
sociaux, perçus comme des délateurs alors que la famille acceptait de collaborer. Elle aboutit
à des classements sans aucune suite dans les cas où le danger n’est finalement pas établi, alors
qu’une intervention de l’ASE se justifiait pour apporter une aide à une famille en difficulté37.
35
art. 40 C. Proc. pén. Mais cette obligation vise à permettre la poursuite pénale des auteurs et non la
protection de la victime, et l’obligation n’est pas pénalement sanctionnée. Elle ne pourrait l’être que
disciplinairement.
36
cf. affaire Dr Chouraqui : Cass. crim. 8 oct. 1997. La Cour de cassation approuve la condamnation de
professionnels investis d’un mandat judiciaire pour la protection d’un enfant confié en assistance éducative, pour
non assistance à personne en danger et non dénonciation de sévices ou privations infligés à un enfant de moins
de quinze ans. Ces professionnels n’avaient pas immédiatement dénoncé un viol commis sur un enfant de sept
ans par un jeune de dix-huit ans, également confié au service, mais s’étaient contentés d’éloigner l’agresseur de
sa victime pour empêcher toute récidive. Ils se prévalaient du secret professionnel pour justifier un droit de ne
pas signaler. La Cour de cassation répond que « le secret professionnel imposé aux membres d’un service
éducatif sur la situation d’un mineur confié à celui-ci par le juge des enfants est inopposable à cette autorité
judiciaire, à laquelle ils sont tenus de rendre compte de son évolution et notamment de tous mauvais traitements,
en vertu des articles 375 et suivants du Code civil et de l’article 1199-1 du Code de procédure civile…/… ».
37
V. Rapport n° 393 (2005-2006) de M. André LARDEUX, fait au nom de la commission des affaires
sociales, déposé le 14 juin 2006, sur le projet de réforme de la protection de l’enfance :
http://www.senat.fr/rap/l05-393/l05-393.html
15
Par ailleurs, le point faible de l’actuelle législation définissant les missions de l’ASE,
est qu’elle ne vise que l’enfant maltraité, et non pas, plus largement, tout enfant en danger.
C’est le cas, notamment, du principe de subsidiarité de l’intervention judiciaire, de telle sorte
que, paradoxalement, lorsque la famille collabore, l’autorité administrative peut légitimement
ne pas signaler au juge des maltraitances non constitutives d’infractions pénales (principe de
subsidiarité), alors que l’ASE hésite à prendre elle-même en charge la protection en cas de
danger sans maltraitance.
Quel est donc le critère qui devrait guider la répartition des compétences entre autorité
administrative et autorité judiciaire ? Il faut, pour le découvrir, s’interroger sur ce qui justifie
fondamentalement l’intervention d’un juge.
L’intervention d’une autorité judiciaire se justifie en cas de litige, ou lorsqu’il est
nécessaire de porter atteinte à des droits ou à des libertés.
On retrouve les critères qui imposent au président du conseil général de saisir le
procureur : le refus de la famille de collaborer, ce qui impliquera que des mesures
attentatoires à ses droits lui soient imposées : seul un juge peut le faire ; ou l’impossibilité
d’évaluer la situation, ce qui imposera des mesures d’investigation attentatoires, elles aussi,
aux droits de la famille puisqu’il s’agit d’une immixtion contrainte dans sa vie privée, ce que
seul un juge peut ordonner.
Hors ces cas, la protection devrait rester purement administrative : il n’y a aucune
raison d’encombrer les cabinets déjà saturés des juges des enfants de tâches qu’une autorité
administrative peut accomplir, d’autant qu’elle dispose des moyens et des compétences pour
le faire, alors que le juge sera obligé de confier à des établissements ou des services des
missions d’investigation ou de protection.
C’est le sens du projet de réforme de la protection de l’enfance, qui substitue la notion
de danger à celle de maltraitance dans la définition des missions de l’ASE et réaffirme le
principe de subsidiarité de l’intervention judiciaire : l’ASE aura pour mission de protéger les
mineurs en danger ou qui risquent de l’être, le danger étant défini comme danger pour la
sécurité, la santé, la moralité d’un mineur, ou toute situation où les conditions de son
éducation ou de son développement sont compromises38.
38
on retrouve le critère qui fonde la compétence du juge des enfants.
16
Le président du conseil général ne devra aviser le procureur pour intervention du juge
des enfants que si39 :
1°) un mineur est en danger et les actions administratives de protection ne permettent
pas de remédier à la situation.
2°) un mineur est présumé être en situation de danger et il est impossible d’évaluer la
situation, ou la famille refuse manifestement l’intervention du service et l’ASE ou est dans
l’impossibilité de collaborer avec le service.
Le procureur saisi par le conseil général devra vérifier que ces conditions sont
remplies avant de saisir à son tour le juge des enfants.
Les saisines directes de l’autorité judiciaire par d’autres personnes, particuliers ou
professionnels ne participant pas au service de protection de l’enfance, seront toujours
possibles, mais la réforme prévoit une centralisation des signalements et de leur évaluation
qui devrait limiter ce recours trop systématique au juge.
B/ LA
CLARIFICATION DES CONDITIONS ET DES MODALITES DE TRANSMISSION DE
L’INFORMATION SUR LES MINEURS EN DANGER
Depuis la loi de 1989 sur la protection des mineurs maltraités, un dispositif de recueil
d’informations sur les maltraitances doit être mise en place dans chaque département. Mais ce
dispositif ne s’est pas révélé à la hauteur des attentes, d’abord parce qu’il ne concerne que les
maltraitances et pas les situations de simple danger, ensuite parce que la loi n’a pas prévu de
moyens d’alimenter systématiquement cette cellule en informations.
La réforme envisage quelques innovations pour remédier à cette situation : elle met en
place une cellule de recueil, traitement et évaluation des informations préoccupantes
concernant un mineur en danger et elle veille à ce que cette cellule reçoive effectivement ces
informations préoccupantes en accentuant l’obligation de transmission pesant sur les
professionnels et en légalisant la pratique du secret partagé.
1°) Mise en place d’une cellule opérationnelle de recueil, d’évaluation et de
traitement des informations préoccupantes
39
projet de nouvel art. L 226-4 CASF
17
Le projet de réforme prévoit la mise en place d’une cellule de recueil, d’information et
de traitement des informations préoccupantes, qui sera la plaque tournante de l’entrée dans le
dispositif de protection de l’enfance, tant administratif que judiciaire.
Jusqu’à présent, le président du conseil général est seulement chargé de mettre en
place un dispositif de recueil d’informations relatives au mineur maltraité. A l’avenir, il
s’agira d’une cellule de recueil, mais aussi d’évaluation et de traitement des informations : la
décision de saisir ou non l’autorité judiciaire sera prise après ce travail d’évaluation40.
Par ailleurs, les informations recueillies seront toutes les informations préoccupantes
relatives aux mineurs en danger ou qui risquent de l’être, et non plus seulement les
informations concernant des soupçons de maltraitances. Cette cellule, clairement identifiable
par les professionnels et les particuliers, sera placée sous la responsabilité du président du
conseil général, qui deviendra le pivot de la protection.
Le texte précise ensuite les conditions de transmission de l’information par le
président du conseil général à l’autorité judiciaire41 (cf. supra).
Par ailleurs, pour assurer une cohérence de la prise en charge, le projet prévoit une
obligation d’information mutuelle entre conseil général et autorité judiciaire. Il prévoit
également que les professionnels qui informent directement le procureur seront tenus d’en
avertir le conseil général, ce qui permettra, s’il apparaît qu’une mesure judiciaire n’est pas
justifiée, de mettre en place une prise en charge administrative en cas de besoin.
Enfin, le projet améliore les dispositifs organisant le retour d’information sur les suites
données aux signalements.
40
Cf. projet de nouvel article L. 226-3 CASF : « Le président du conseil général est chargé du recueil,
du traitement et de l’évaluation, à tout moment et quelle qu’en soit l’origine, des informations préoccupantes
relatives aux mineurs en danger ou qui risquent de l’être. Le représentant de l’Etat et de l’autorité judiciaire lui
apportent leur concours.
Des protocoles sont établis à cette fin entre le président du conseil général, le représentant de l’Etat
dans le département et l’autorité judiciaire en vue de centraliser le recueil des informations préoccupantes au
sein d’une cellule opérationnelle de recueil, de traitement et d’évaluation de ces informations.
Après évaluation, les informations individuelles font, si nécessaire, l’objet d’un signalement à l’autorité
judiciaire.
Les services publics, ainsi que les établissements publics et privés susceptibles de connaître des
situations de mineurs en danger ou qui risquent de l’être, participent au dispositif départemental.»
41
projet de nouvel art. L. 226-4
18
2°) Extension de l’obligation de transmission des informations par les
professionnels
Les dispositifs prévus par la loi de 1989 pour autoriser ou imposer la transmission
d’information par les professionnels ne concernent expressément que les mineurs maltraités,
pas les mineurs en danger. La question de la transmission des informations concernant un
enfant en danger mais non maltraité n’est donc pas clairement réglée par la loi actuelle : estelle autorisée sans que le professionnel puisse se voir reprocher une violation du secret ? Estelle obligatoire ?
Le projet de réforme étend l’obligation de transmission des informations détenues par
les professionnels et assure leur centralisation42. Il s’agit de nourrir la cellule en informations,
de veiller à ce que les informations préoccupantes détenues par différents professionnels lui
soient effectivement transmises.
42
art. L. 221-6 CASF actuel : « Toute personne participant aux missions du service de l’aide sociale à
l’enfance est tenue au secret professionnel sous les peines et dans les conditions prévues par les articles 226-13
et 226-14 du code pénal.
Elle est tenue de transmettre sans délai au président du conseil général ou au responsables désigné par
lui toute information nécessaire pour déterminer les mesures dont les mineurs et leur famille peuvent bénéficier,
et notamment tout information sur les situations de mineurs susceptibles de relever du chapitre VI du présent
titre. »
Projet de nouvel article L. 226-2-1 CASF : « …/… les personnes qui mettent en œuvre la politique de
protection de l’enfance ../…, ainsi que celles qui lui apportent leur concours transmettent dans les meilleurs
délais au président du conseil général ou au responsable désigné par lui, …/…, toute information préoccupante
sur un mineur en danger ou risquant de l’être, au sens de l’article 375 du code civil.
Lorsque cette information est couverte par le secret professionnel, sa transmission est assurée dans le
respect des dispositions de l’article L. 221-6-1 [dispositions organisant les conditions du secret partagé : la
transmission au président du conseil général obéit donc aux mêmes règles que celles qui encadrent le secret
partagé, v. infra].
Cette transmission a pour but de permettre d’évaluer sa situation et de déterminer les actions de
protection et d’aide dont ce mineur et sa famille peuvent bénéficier.
Le père, la mère, toute autre personne exerçant l’autorité parentale ou le tuteur en sont préalablement
informés, selon les modalités adaptées, sauf si cette information est contraire à l’intérêt de l’enfant ».
19
A l’avenir, la loi imposera à toutes personnes qui mettent en œuvre43 ou apportent leur
concours à la protection de l’enfance44 la transmission systématique de toute information
préoccupante.
Qu’entend-on par information préoccupante ? Selon le rapporteur de la commission
des affaires sociales du Sénat, il appartiendra à chaque professionnel d’opérer un tri en
confrontant les informations dont il dispose avec les objectifs de la politique de protection de
l’enfance : les informations à transmettre sont celles qui peuvent permettre de mieux analyser
la situation globale de l’enfant et de déterminer si et comment l’enfant doit faire l’objet d’une
mesure de protection45.
Les professionnels auront l’obligation d’informer préalablement les parents ou le
tuteur, sauf si cette démarche est contraire à l’intérêt de l’enfant, réserve qu’il appartient au
professionnel concerné d’apprécier lui-même.
Bien entendu, les professionnels qui révèlent les informations préoccupantes ainsi
obtenues n’encourent pas de sanction pour violation du secret professionnel, puisqu’ils sont
tenus de transmettre cette information46.
3°) Légalisation de la pratique du secret partagé
Pour permettre à la cellule de recueil des informations préoccupantes de fonctionner
efficacement, le projet consacre la possibilité de partage de l’information entre professionnels
soumis au secret professionnel.
43
ASE ou autorité judiciaire
44
services sociaux et de PMI du conseil général, administrations de l’Etat comme l’éducation nationale
ou la PJJ, communes via les CCAS, associations gestionnaires d’établissements ou de services accueillant des
enfants, personnels de santé, libéraux ou hospitaliers.
45
V. Rapport n° 393 (2005-2006) de M. André LARDEUX, fait au nom de la commission des affaires
sociales, déposé le 14 juin 2006, sur le projet de réforme de la protection de l’enfance :
http://www.senat.fr/rap/l05-393/l05-393.html
46
Art. 226-14 CP : Les sanctions de la violation du secret professionnel (art. 226-13 CP) ne sont pas
applicables dans les cas où la loi impose ou autorise la révélation du secret. En outre, elles ne sont pas
applicables à « celui qui informe les autorités judiciaires, médicales ou administratives de privations ou de
sévices, y compris lorsqu’il s’agit d’atteintes ou mutilations sexuelles, dont il a connaissance et qui ont été
infligés à un mineur ou à une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son
incapacité physique ou psychique. »
20
En l’état actuel des choses, le partage n’est théoriquement possible que de façon très
restreinte, entre professionnels de l’ASE, entre professionnels de l’ASE et président du
conseil général ou la personne déléguée, entre professionnels intervenant sur mission
judiciaire et le juge.
Même si la pratique d’autres partages était tolérée, notamment par les tribunaux, il
fallait consacrer clairement cette autorisation et mettre les professionnels concernés à l’abri de
poursuites pénales pour violation du secret professionnel.
Le partage d’informations sera donc légalisé, mais strictement encadré47 : il ne peut
intervenir qu’entre professionnels astreints au secret et concourant à la mission de protection
de l’enfance et il n’est possible que pour les informations nécessaires à l’évaluation de la
situation de l’enfant ou à la détermination des mesures appropriées pour assurer sa
protection : toutes les informations ne sont pas partageables, même entre professionnels tenus
au secret. Les parents, le tuteur et l’enfant lui-même doivent être informés préalablement, sauf
si l’intérêt de l’enfant s’y oppose.
Le pari de la réforme réside essentiellement dans la rationalisation de l’entrée dans le
dispositif de protection de l’enfance, dans l’espoir que la cellule opérationnelle
départementale deviendra le référent privilégié des professionnels et particuliers, qui
hésiteront moins à transmettre les informations nécessaires à une protection efficace de
l’enfance dès lors qu’une véritable évaluation pourra être menée par cette cellule en amont
d’une saisine du juge. Certains s’inquiètent pourtant déjà, sans doute à juste titre, de l’aptitude
des cellules départementales à traiter le nombre considérable d’informations qu’elles seront
amenées à recueillir. D’autres redoutent l’aggravation de l’obligation de signalement pesant
47
Projet de nouvel art. L. 226-2-2 CASF : « Par exception à l’article 226-13 du code pénal, les
personnes soumises au secret professionnel qui mettent en œuvre la politique de protection de l’enfance définie à
l’article L. 112-3 ou qui lui apportent leur concours sont autorisées à partager entre elles des informations à
caractère secret afin d’évaluer une situation individuelle, de déterminer et de mettre en œuvre les actions de
protection et d’aide dont les mineurs et leur famille peuvent bénéficier.
Le partage des informations relatives à une situation individuelle est strictement limité à ce qui est
nécessaire à l’accomplissement de la mission de protection de l’enfance.
Le père, la mère, tout autre personne exerçant l’autorité parentale, le tuteur, l’enfant en fonction de son
âge et de sa maturité, sont préalablement informés, selon des modalités adaptées, sauf si cette information est
contraire à l’intérêt de l’enfant. »
21
sur tous les professionnels et s’alarment de l’imprécision de la notion d’ « information
préoccupante relative à un mineur en danger ou qui risque de l’être ».
Ce projet de réforme, qui aborde bien d’autres points que ceux qui viennent d’être
évoqués48, a été élaboré en large concertation avec les organisations professionnelles
concernées, contrairement aux textes tendant à lutter contre la délinquance des mineurs. Il doit
encore être présenté à l’Assemblée nationale.
Trouvera-t-il le juste équilibre entre la nécessité de repérer les situations de danger
pour les mineurs et la discrétion, condition de la confiance, qu’impose l’efficacité de l’action
sociale ?
Trouvera-t-il le moyen de préserver, et même de conforter l’autorité parentale, vecteur
idéal du sentiment de sécurité des enfants en souffrance, tout en permettant à l’autorité
publique d’assumer sa responsabilité dans leur protection ?
48
De nombreuses dispositions tendent, en particulier, à améliorer la cohérence de la prise en charge des
mineurs et à échapper à l’alternative placement / action éducative à domicile qui a montré ses limites, en donnant
aux services une plus grande latitude pour trouver une solution personnalisée.
22