CONTACTS - Association des écoles lasalliennes
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CONTACTS - Association des écoles lasalliennes
ASSOCIATION DES ECOLES LASALLIENNES Belgique-België P.P.- P.B. 5590 CINEY BC 34347 Frères des Ecoles Chrétiennes Belgique-Sud Foi – Service – Communauté N° d’agrément : P000524 CONTACTS Bulletin de liaison des établissements d’enseignement secondaire eme N° 122 2 Trimestre 2013 La transition Secondaire-Supérieur Saisir l’insaisissable Imprimé à taxe réduite – Déposé au guichet Les pédagogies coopératives Périodique Trimestriel Editeur responsable : Jean-Louis VOLVERT Avenue d’Huart 156 – 5590 CINEY www.association-ecoles-lasalliennes.be Association des Ecoles Lasalliennes Association des Ecoles Lasalliennes www.association-ecoles-lasalliennes.be Sommaire « Contacts » 122 Message du Supérieur Général des Frères des Ecoles Chrétiennes « Nous entrons pour apprendre, nous partons pour servir » p. 4 Les éditos N’oublions pas les bons profs Sur un chemin d’intériorité … p. 7 p. 9 Pédagogie et pastorale Réussir dans l’enseignement supérieur, un privilège trop rare p. 10 C’est arrivé près de chez vous e-Twinning Cellules bien-être à l’école Une journée pédagogique sur l’estime de soi La poésie s’invite à l’école Martin Gray à Ciney p. p. p. p. p. 14 16 19 21 24 Lasal-liens Des intuitions fondatrices bien actuelles Chercher à saisir l’insaisissable Eveiller à l’intériorité Assemblée Internationale de la Mission Lasallienne p. p. p. p. 25 28 31 35 Enseignement catholique Pratiques d’école et d’équité Assemblée Générale de l’Association des Ecoles Congréganistes Les pédagogies coopératives p. 36 p. 38 p. 40 Tout le monde en parle Les centres de technologies avancées p. 44 Grand angle sur l’enseignement supérieur Développer le métier : le collectif dans l’individuel ? p. 47 Plaisir de lire Plaisir d’enseigner : la quête du Graal Le dialogue à la portée de tous ou presque CONTACTS n° 121 – 1er trimestre 2013 p. 49 p. 50 Bulletin de liaison des Etablissements d’Enseignement secondaire CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013 Bulletin de liaison des Etablissements d’Enseignement secondaire Message du Supérieur Général des Frères des Ecoles Chrétiennes NOUS ENTRONS POUR APPRENDRE, NOUS PARTONS POUR SERVIR. C’est avec un grand plaisir que j’ai accepté l’invitation de M. Jean-Louis Volvert d’adresser quelques paroles à tous les membres de nos communautés éducatives lasalliennes du District de Belgique-Sud que j’ai eu la possibilité de visiter les premiers jours du mois de novembre dernier, mais qu’en raison des vacances scolaires je n’ai pas pu rencontrer personnellement. Avant tout, je veux leur manifester ma profonde reconnaissance pour tout ce qu’ils font en faveur des enfants et des jeunes à travers le ministère de l’éducation chrétienne. Et en deuxième lieu, je leur envoie quelques réflexions que j’ai eu le temps de laisser mûrir en moi ces dernières années pendant lesquelles j’ai eu la chance de connaître la mission lasallienne en plus de 80 pays de tous les continents. Quand nos élèves entrent dans une école lasallienne, c’est certes pour apprendre. Il semble inutile de le dire. La question inévitable qui se pose cependant reste : « pour apprendre quoi ? ». La réponse est : pour servir. Comme le disait si bien, il y a pas mal d’années, le Père Arrupe, ancien Supérieur Général des Jésuites, une institution catholique d’éducation ne peut pas avoir d’autre but. « Aujourd’hui, notre objectif principal dans l’éducation, disait-il, doit être de former des hommes et des femmes pour les autres … des gens qui ne pourront pas concevoir l’amour de Dieu sans y inclure l’amour pour le plus petit de leurs semblables ; des hommes et des femmes entièrement convaincus qu’un amour pour Dieu qui ne se traduit pas en justice pour les autres est une comédie. Ce type d’éducation va directement à contre-courant de la tendance éducative qui prévaut dans le monde entier ». (Pedro Arrupe SJ) Aujourd’hui dans beaucoup de pays, l’éducation en général connaît une crise profonde. Un peu partout, des phénomènes inquiétants de violence juvénile se produisent au sein de nombreux établissements scolaires. Se préoccuper uniquement de l’enseignement 4 CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013 Bulletin de liaison des Etablissements d’Enseignement secondaire de l’informatique et de l’anglais est certainement nécessaire mais reste nettement insuffisant. En tant qu’écoles lasalliennes, nous ne pouvons pas tomber dans le piège qui consisterait à n’orienter l’éducation que sur des critères de marché. Nos critères éducatifs doivent, avant tout, être fondés sur l’Évangile et ses valeurs comme l’amour, le don de soi, le pardon, la fraternité et le service. Le processus éducatif lasallien doit favoriser la participation et la démocratie. Dès ses débuts, le Fondateur, dans La Conduite des Écoles, a encouragé une éducation active par la répartition des rôles et des responsabilités. Il s’agit d’éduquer en privilégiant davantage la communication horizontale que la contrainte et le paternalisme. Nous pourrions synthétiser le service rendu par une école lasallienne en citant quelques unes des lignes de force de ses processus éducatifs. Aujourd’hui, on parle beaucoup, un peu partout, du caractère propre d’une école lasallienne, c’est-à-dire de ce qui la distingue des autres. Voici ce que je pense : Le processus éducatif lasallien se développe dans la créativité, en mettant moins l’accent sur la répétition et en se souvenant que le plus important est que l’élève arrive à donner une réponse personnelle et originale. Le processus éducatif lasallien est centré sur la personne de chaque élève afin que chacun soit traité en accord avec son être individuel, unique et irremplaçable et que l’attention se porte intégralement et personnellement sur chacun des jeunes. Le processus éducatif lasallien est enraciné dans la réalité en vue de répondre aux caractéristiques, aux besoins, aux aspirations et aux valeurs culturelles de chaque peuple. Mais il ne s’agit pas seulement de reconnaître une réalité, il s’agit aussi de lui apporter les instruments qui la transforment et l’ouvrent au dialogue interculturel. Le processus éducatif lasallien valorise profondément la qualité des relations et favorise le travail en commun et celui des diverses communautés : communauté éducative, communauté de foi … La fraternité est une de ses notes spécifiques. Chaque lasallien doit se sentir frère ou sœur sans frontières au cœur toujours ouvert. Le processus éducatif lasallien est caractérisé par le sérieux de l’enseignement comme le dit l’un des documents les plus importants de notre congré-gation. « Il importe tout d’abord que, quels que soient leur nature et leur ni-veau, les écoles des Frères se caractérisent par la qualité et le sérieux de la formation, dans un souci d’hon-nêteté professionnelle et de service des jeunes et de la cité ». (Déclaration 45, 2) Le processus éducatif lasallien forme pour la vie et en vue d’un travail socialement productif. Le pragmatisme a été dès le début une de ses caractéristiques puisqu’il s’agissait de répondre aux besoins concrets des jeunes. Il est fondamental aujourd’hui d’aider à intégrer travail intellectuel et travail manuel, théorie et pratique ; d’éduquer pour la vie afin de donner à chacun les outils qui lui permettront d’être un agent du développement personnel et communautaire et de promotion sociale. Le processus éducatif lasallien forme à l’engagement en faveur de l’écologie et de 5 CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013 Bulletin de liaison des Etablissements d’Enseignement secondaire la défense de l’environnement par la prise de conscience que la terre est le seul moyen pour l’homme de se réaliser, d’aimer son prochain, de rencontrer Dieu et que notre commune responsabilité est de laisser un monde habitable à ceux qui viendront après nous. que les élèves vivent leur foi de manière authentique dans la pratique de la charité, qu’ils se préparent à créer des relations plus justes entre les peuples, qu’ils s’engagent dans l’action en faveur de la justice et de la paix et qu’ils s’intéressent à la globalisation de la solidarité. Le processus éducatif lasallien fait clairement le choix du service éducatif des pauvres en veillant à ce que nos établissements leur soient accessibles et qu’ils s’y trouvent à l’aise. Je pense ici au système de bourses mis en place par plusieurs de nos unions d’anciens élèves qui rendent possible l’accès à l’école d’un nombre significatif de jeunes dans le besoin. La mission lasallienne nous invite aujourd’hui à servir les enfants, en défendant leurs droits ; les jeunes, en les aidant à trouver un sens à leur vie ; les pauvres et les exclus, en soutenant leur participation active aux profits de la mondialisation ; le monde, en créant des liens de fraternité ; la paix, en devenant des artisans de paix dans un monde divisé ; l’unité de la famille humaine, par l’œcuménisme et le dialogue interreligieux. Ces appels constituent toujours, me semble-t-il, un défi pour tous les membres de la Famille Lasallienne. Je pense que c’est ce que laisse entendre également le thème de beaucoup de nos écoles à travers le monde : « Nous entrons pour apprendre, nous partons pour servir ». Le processus éducatif lasallien favorise la croissance de la foi par la catéchèse explicite, les groupes de vie chrétienne, et dans le cas d’élèves appartenant à d’autres religions, par le dialogue œcuménique et interreligieux. Dans les deux cas, l’éducation lasallienne vise à ce Frère Álvaro Rodríguez Echeverría Supérieur Général 6 CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013 Bulletin de liaison des Etablissements d’Enseignement secondaire N’oublions pas les bons profs Madame, vous êtes une prof de merde ! Quand enseigner devient un enfer. Avezvous entendu parler de ce livre au titre tonitruant ? Un bestseller, qui plus est ! Et de Tombeau pour le collège de Mara Goyet ? Des livres comme il en existe beaucoup et qui décrivent un métier devenu impossible. Il ne serait pas raisonnable de nier les difficultés du métier de prof aujourd’hui, mais ce climat de pessimisme ambiant ne me parait pas refléter la réalité. En allant à la rencontre des enseignants des écoles lasalliennes et en écoutant les accompagnateurs de proximité décrire la passion du métier de beaucoup d’enseignants, je me suis mis à rêver d’une ode aux enseignants. Ceux-ci ne sont-ils pas des héros oubliés ? Ne peut-on donc plus s’épanouir, trouver du bonheur à l’école, même dans un contexte difficile ? On décrit parfois la « bonne école » mais je pense qu’on devrait consacrer une réflexion aux « bons profs » sans tomber évidemment dans le manichéisme ou l’idéalisation. Le bon prof, n’est-ce pas d’abord celui qui marque positivement ? Combien d’entre nous ont un souvenir marquant de quelqu’un qui a influencé un choix d’études, qui a donné confiance en soi, qui a donné un témoignage positif ? En interrogeant des personnes connues, Nicolas Mascret, ancien enseignant dans des établissements difficiles de la banlieue de Marseille et actuellement maître de conférences à l’IUFM (Aix-Marseille Université), livre dans son dernier livre1 un hommage appuyé aux profs. « Il était passionné », « il expliquait bien », « il était humain », « il avait de l’autorité », « il avait de l’humour », « il faisait des projets », « il prenait des risques », « il avait le souci de tous », « il était exigeant », « il était à l’écoute », « il m’a donné envie d’être prof », « il m’a permis de trouver ma voie », « il m’a fait grandir », « il nous emportait », « il se remettait en cause ». Quoi donc ? Les bons profs n’existeraient plus aujourd’hui ? Pourquoi cet imparfait ? Dans son livre, Nicolas Mascret livre le témoignage de personnes aussi variées que Marcel Ruffo, Jean-Jacques Goldman, Patrick Poivre d’Arvor, Boris Cyrulnik ou Philippe Meirieu. Ils ont tous en tête des personnes qui ont éveillé en eux le désir de s’élever, de se révéler à soi-même et les ont marqués pour la vie. Pour J.-J. Goldman, un bon prof n’est pas « forcément gentil », il est « juste, droit et disponible ». Pour Jean-François Kahn, chaque prof, en fonction de ce qu’il est, de sa personnalité, de son talent, de ses qualités, doit inventer sa façon d’être un bon prof ». Pour Boris Cyrulnik, le bon prof est un éducateur plus qu’un instructeur, c’est celui qui déclenche une émotion, qui parle banalement, qui bavarde avec l’enfant, qui déclenche des émotions relationnelles chez l’enfant, le motive et peut- à ce moment-là, transmettre des connaissances. Pour pas mal de chercheurs en éducation, l’effet maître existe. Il est parfois plus fort que l’effet école. Ce n’est pas vrai que les bons profs ne se trouvent que dans les bonnes écoles. L’école ne peut espérer combler toutes les inégalités sociales mais, dans toutes les écoles, le bon prof cherche à faire de chaque élève un apprenant. Il l’incite à s’investir en profondeur et à mobiliser son énergie dans la durée. La décision appartient en dernier recours à l’élève, mais le bon prof a une influence bénéfique. Le « bon prof » fait écho aux questions de motivation. Pour Mascret, il est celui qui n’impose pas un apprentissage, qui encourage à l’autonomie sans être permissif, qui veille à développer l’estime de soi. Quand un élève est persuadé qu’il 7 CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013 va rater, il ne s’investira pas et trouvera des stratégies pour protéger le peu d’estime qu’il a de lui-même. Il est important de débuter tout apprentissage par une expérience réussie, car la réussite appelle la réussite. Elle servira de tremplin à des apprentissages plus complexes, seuls d’ailleurs à même d’apporter une réelle satisfaction à l’élève : celle d’avoir surmonté des obstacles. Il n’y a pas de définition scientifique du « bon prof », mais chacun n’est-il pas un bon prof à sa manière ? Pour Mascret, le bon prof est un enseignant brillant et qui a les yeux qui brillent. Il maîtrise sa matière, réactualise ses connaissances et les organise de façon à se mettre à la portée de ses élèves, en considérant chacun comme un être singulier. Confiant en l’éducabilité de tout jeune, il aime son métier, sans pour autant être parfait. Il connait aussi, à certains moments, des revers, mais il ne se décourage pas. Car les Bulletin de liaison des Etablissements d’Enseignement secondaire bons profs laissent, chacun à sa manière, des traces indélébiles dans la mémoire de certains de leurs élèves … une raison suffisante, quand on parle de l’école, de ne pas les oublier. Comme l’affirme aussi Sylvain Connac au sujet des pratiques coopératives en classe (voir autre article dans ce numéro de Contacts), la pédagogie nait des jeunes en marge auxquels il faut s’adapter. Le bon prof est pour moi celui qui fait changer les choses ici et maintenant. Il aide l’élève à cheminer vers une quête universelle du bonheur axé sur l’estime de soi. En ce troisième trimestre, je souhaite que chaque prof soit « un bon prof » et que chacun l’aide à l’être. Le prof aussi a besoin d’une bonne estime de soi. Qu’on lui laisse une marge de manœuvre suffisante pour l’être ! N’oublions pas les bons profs … JL Volvert 1 Nicolas Mascret, N’oublions pas les bons profs, Anne Carrière, 2012 8 CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013 Bulletin de liaison des Etablissements d’Enseignement secondaire Sur un chemin d'intériorité ... D'où venons-nous ? Où allons-nous ? Deux questions cruciales, inextricablement liées à notre condition d'homme ... Deux questions qui s'inscrivent dans un contexte interpellant, plein de doutes et de questionnements : comment trouver un enchantement à vivre dans une société qui continue à pousser à la surconsommation, une société qui presse et stresse les individus, souvent contraints à un activisme forcené par souci de la performance, une société qui exclut ceux qui n'y arrivent pas ou plus. Et quelle est aujourd'hui la mission de l'école catholique et de nos écoles lasalliennes, plus particulièrement ? Nous voici dans une situation paradoxale. Les écoles libres connaissent un succès grandissant, mais s'interrogent : comment y faire vivre l'Evangile face à la multiplicité des convictions, face à des commandes parentales peu soucieuses de l'intérêt collectif, face à des élèves parfois démotivés qui ne comprennent plus ce qu'ils font là ? La question du sens nous traverse avec acuité. Elle a été au cœur des débats du dernier Congrès de l'Enseignement Catholique et des deux journées vécues en novembre lors du Conseil de la Mission éducative lasallienne ... Car elle est aussi au cœur de la vision de l'homme que, sur les traces du Christ, nous cherchons à promouvoir : un homme debout, relié, dans le même mouvement, à ses semblables et à la transcendance ... Notre siècle en crise est, en fait, riche d'espérance : il nous invite à redécouvrir l'audace de notre fondateur et à réactualiser sans cesse notre projet éducatif, en partant des besoins de ces jeunes qui nous sont confiés, pour articuler de façon originale le pédagogique, l'éducatif et la spiritualité. Deux moments forts en ce début d'année 2013 ont enraciné cette conviction dans un terreau fertile : une journée de ressourcement à Grand-Bigard chez nos amis lasalliens flamands et une passée avec des représentants de différentes écoles congréganistes. Deux moments forts dont vous trouverez des échos dans ce numéro et qui augurent un beau retour de printemps. C'est dans notre vécu au quotidien dans nos classes, c'est dans l'esprit que nous insufflons dans notre école, dans le sentiment d'appartenance que nous faisons naître, dans l'ancrage que nous donnons aux jeunes et aux adultes qui l'habitent, que se vit l'intériorité ... loin des images d'Epinal. Laissons ainsi cheminer en nous cette phrase du peintre français Arcabas : « Pour moi, le sacré est partout présent dans la mesure où tout est l'œuvre du créateur » Anne Oger Conseillère en pastorale 9 CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013 Bulletin de liaison des Etablissements d’Enseignement secondaire Pédagogie et pastorale « Réussir dans l'enseignement supérieur, un privilège trop rare? » Un article du journal « Le Soir » titrait récemment : « Ça flingue en 1ère Bac ». Un titrechoc ! Tout semble indiquer que, malgré toutes les initiatives louables prises dans l'enseignement secondaire (par exemple pour aider à l'orientation), la transition entre l'enseignement secondaire et supérieur reste problématique. D'où l'intérêt d'en faire la thématique centrale de notre trimestrielle du 20 février 2013. C'est Ghislain Carlier, responsable de l'agrégation en éducation physique et président de la commission des programmes d'agrégation de l'UCL, qui est venu nous apporter son éclairage sur la question : confronté aux réalités changeantes de l’enseignement supérieur, il a toujours cherché à garder un regard avisé sur la réussite des étudiants. Sa popularité dépasse d’ailleurs largement le milieu louvaniste où il travaille depuis de longues années (il est, par exemple, aussi vice-président du CECAFOC). Son exposé s'inspire largement d'une recherche effectuée sous la direction de Philippe Parmentier1, mais aussi de ses expériences personnelles et de ses convictions. L'accès à l'université : des données objectives Le taux de réussite des primo-inscrits dans une université francophone reste bas : en 2009-2010, il était de 37,4 %, un taux assez proche de celui obtenu dans les hautes écoles. Et les filles s'en tirent mieux que les garçons. Il n'empêche que de nombreuses inégalités subsistent, inégalités liées tant au parcours scolaire, qu'au milieu social d'origine. Certes, l'université s'est démocratisée, mais si 99 % des élèves de l'enseignement général y accèdent, ils ne représentent plus, pour l'enseignement professionnel, que 13 %. Vous l'aurez compris, la réussite à l'université ne dépend pas seulement du jeune lui-même : le niveau socioéconomique, les filières d'études, mais aussi le soin apporté au choix de l'orientation jouent un rôle déterminant avant même son entrée. Sur quoi, alors, a-t-il prise durant le cursus ? La présence régulière au cours, le recours à tous les moyens offerts en matière d'apprentissage, la capacité à s'autoréguler, l'estime de soi acquise par l'accumulation de petites réussites et la volonté de s'accrocher sont de grands atouts. « Bologne »: une première évaluation Pour rappel, il est aujourd'hui permis en 1ère Bac de passer trois fois les examens de la session de janvier, le report des notes de 10 et 11/20 est possible d'une session à l'autre, l'étudiant peut également accéder à l'année supérieure en n'ayant réussi que 48 crédits sur 60, mais il devra alors assumer 72 crédits cette année-là, un cadeau empoisonné selon G. Carlier ... Bon à savoir : les syllabus sont gratuits pour les boursiers, s'ils les demandent. L'obligation d'établir un cahier des 10 CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013 charges, de donner en début d'année un plan du cours, de préciser les modalités d'examen, mais aussi de lister les acquis d'apprentissage (ce que l'étudiant doit posséder et qui est objectivable) tendent à limiter l'arbitraire. C'est une grande avancée ... à condition que l'équipe pédagogique agisse en réelle coordination. Des nouveaux programmes ont aussi vu le jour depuis 10 ans et les filières classiques se sont démultipliées, afin de mieux rencontrer les motivations des étudiants. Les professeurs d'université face à leurs étudiants Certains redoutent de devoir donner cours en 1ère Bac devant des auditoires surchargés; de plus, l'investissement leur paraît peu rentable, puisque quasi 2 étudiants sur 3 ne seront plus là l'année suivante. D'autres, par contre, apprécient d'avoir face à eux un public malléable, curieux, à l'écoute. Ce qu'ils demandent ? Des étudiants présents, attentifs, actifs et réactifs, ce qui est possible même dans ces conditions. Mais tous estiment qu'il est difficile de concilier l'enseignement en 1ère Bac avec les autres missions qui leur sont imposées (comme celles liées à la recherche, à la formation des doctorants ...) et qui doivent répondre aux exigences internationales. L'étudiant ne peut donc s'attendre à ce que le « prof » lui soit totalement dévoué. De plus, le recours à une pédagogie magistrale s'impose quasiment, avec l'utilisation de diaporamas. Cela change la donne et ne facilite pas la réussite : augmentation exponentielle des matières, difficulté de confronter les dires de l’enseignant avec le syllabus virtuel, tentation de renoncer à venir au cours pour se contenter de visionner les diaporamas sur l’i-campus … A cela, il faut encore ajouter la disparition des examens oraux durant les premières années et la multiplication des questionnaires à choix multiples avec indices de certitude, profondément déstabilisateurs. Ainsi, la défense d’un travail de fin d’études en fin de rhéto est-elle un apprentissage très éloigné de celui des QCM, apprentissage qui ne se révèlera utile qu’en fin de parcours. Les tests en cours d’année vont aussi se raréfier. Même si les « Passeports Bulletin de liaison des Etablissements d’Enseignement secondaire pour le Bac » (voir plus loin) proposent des épreuves virtuelles pour que l’étudiant puisse mesurer ses acquis, cela ne remplace pas le dialogue pédagogique élève-enseignant. Les professeurs d’université sont cependant soumis à des contraintes qui sont favorables aux étudiants. Ainsi, les copies d’examens sont consultables sur rendez-vous, chacun est en droit d’obtenir des explications sur ses notes. De plus, en fin d’année, les jeunes évaluent tant leurs enseignants que les programmes, ce à quoi les nouveaux professeurs sont sensibles. Chacun d’entre eux a également dû élaborer, à l’embauche, un « projet académique individuel concerté (PAIC) », pris en compte pour le contrat définitif et pour les promotions. En ce qui concerne plus spécifiquement la pédagogie, un certificat d’aptitudes pédagogiques est obligatoire dans les hautes écoles (CAPAES) et l’UCL organise des modules de formation pour les nouveaux chargés de cours, ainsi que des échanges de bonnes pratiques. Apprendre le métier d’étudiant C’est s’y préparer - - - - - Réfléchir à une réelle orientation positive : s’informer, à travers différents canaux, sur les études supérieures, ne pas seulement repérer dans les programmes les cours à éviter, dialoguer avec les enseignants du secondaire Améliorer ses scores dans les cours en lien avec ceux choisis dans le supérieur Perfectionner la maîtrise de la langue française parlée et écrite : enrichir, diversifier le vocabulaire, apprendre à nuancer, savoir que chaque discipline a son langage académique Se coltiner à l’abstraction (concepts, symboles, formules) et distinguer les connaissances vraiment utiles de celles qui ne sont qu’« ornementales » Participer aux cours ouverts de Toussaint et de Carnaval, ainsi qu’aux cours d’été 11 CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013 En 1ère bac - - - - - - - - - Pour identifier les prérequis (des connaissances ou compétences cruciales, mesurables et « enseignables »), pour évaluer le degré de maîtrise, voire pour se corriger, recourir aux « Passeports pour le bac », un outil d’accompagnement bien utile. Un exemple : « Lire et comprendre un texte universitaire ». Les résultats obtenus en début de parcours sont faibles (en moyenne, 10,6/20) : si la compréhension générale (thème, thèse …) est partiellement acquise, ce n’est pas le cas pour la compréhension en détail, les articulations logiques et le lexique. Savoir vivre en grand amphi : acquérir des comportements de bonne civilité (fermer son GSM, ne pas jouer en ligne, entrer et sortir quand on veut …), bien se situer pour écouter (ne pas craindre de s’installer dans le bas de l’auditoire) Oser dire « Je ne comprends pas », à soi-même, à son voisin, voire au professeur (après le cours, par exemple), réfléchir à des stratégies à mettre en place, acheter et potasser « Question(s) de méthode » S’inscrire sur son bureau virtuel, afin de participer aux examens, aux travaux pratiques … Organiser la logistique au quotidien, mais aussi durant les blocus, tout en apprenant à couper le cordon ombilical Se construire une identité, celle attribuée par les parents et les copains, mais aussi celle que l’on désire pour soi et endosser le costume de sa discipline et de son statut : un sentiment d’appartenance est un gage de réussite Tisser un réseau social : avoir des amis sur lesquels on peut s’appuyer pour étudier, trouver du sens, se détendre, s’engager … Identifier et éprouver du plaisir à être étudiant : reconnaître l’excellence d’un professeur, d’un programme, se sentir privilégié, être passionné par une matière, se confronter à des défis, s’auto-encourager quand les résultats sont positifs … Bulletin de liaison des Etablissements d’Enseignement secondaire - Trouver des îlots de plaisir dans un océan de stress et d’incertitude : comprendre un échec, chercher à rebondir (la résilience, selon Boris Cyrulnik), décider d’une stratégie, penser au besoin à une réorientation, en faisant éventuellement appel à des professionnels (Service d’aide, Univers santé à l’UCL …). Des pistes de réflexion et d’action Après ces propos très denses, Ghislain Carlier a proposé un temps d’échange précédé d’une réflexion en petits groupes sur base de deux questions. Vous trouverez ci-dessous une brève synthèse. Que faire dans secondaire ? - - - ma pratique du Construire une orientation plus structurée et plus régulière Parler vrai à l’élève, au niveau de ses capacités, même si on risque de se tromper Mettre l’accent sur la maîtrise de la langue française dans tous les cours Prendre conscience que les objectifs de l’enseignement secondaire sont souvent flous : attribuer le CESS ou préparer au supérieur ? Tout est fait au niveau politique pour séparer les deux … Développer l’abstraction Apprendre à hiérarchiser les connaissances vu leur accumulation exponentielle, développer l’esprit critique et l’esprit de synthèse Sur quoi interpeller l’enseignement supérieur ? - - Mieux informer l’enseignement secondaire sur les besoins à rencontrer, mais être aussi plus à l’écoute de ce qui se fait sur le terrain durant les humanités : ne pas culpabiliser, ni snober les enseignants du secondaire Mieux informer et former les enseignants du supérieur Collaborer davantage par secteur, non seulement sur la formation continuée, mais aussi pour élaborer les programmes. 12 CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013 Bulletin de liaison des Etablissements d’Enseignement secondaire Et l’Enseignement Supérieur Artistique (ESA) ? Xavier Dochy, diplômé en éducation physique, comme Ghislain Carlier, directeur pendant 5 ans d’une école secondaire et aujourd’hui directeur de l’ESA à Tournai, est venu nous le présenter brièvement. Un regard sur le paysage l’enseignement supérieur de Si les Universités totalisent 80.000 étudiants, un chiffre comparable à celui des Hautes Ecoles, l’ESA, lui, en compte 7.000. Un autre type d’enseignement supérieur souvent négligé : la promotion sociale, pourtant en plein essor. Qu’est-ce que l’ESA et quel est son mode de fonctionnement ? Depuis les années 1999-2000, L’ESA englobe 5 domaines très différents : la musique (les Conservatoires …), le théâtre et les arts de la parole, mais aussi les arts de diffusion, les arts plastiques et visuels et … la danse. Le mode de financement est commun : il ne dépend pas d’une enveloppe fermée, mais est très proche de celui de l’Enseignement secondaire (subsides par élève), ce qui freine la création de postes et l’acquisition de supports techniques. enseignants et des artistes, d’où des échanges très riches et très créatifs avec leurs étudiants. Ces derniers doivent d’abord passer une épreuve d’admission, pour vérifier si leur projet est en adéquation avec celui de l’établissement. En effet, la liberté académique de chaque école est importante et le surpeuplement est à éviter, car l’enseignement est plus individualisé. Qu’en est-il de la réussite ? L’étudiant qui réussit est celui qui est motivé et qui s’accroche : il doit concilier le travail intellectuel et les travaux pratiques, soit y consacrer 30 à 32h/sem. Les soirées sont souvent utilisées pour travailler ensemble sur un même projet, ce qui crée une dynamique collective très positive. L’on comprend aisément qu’il n’est pas souhaitable de passer d’une année à l’autre avec des crédits résiduels : ce serait ingérable. Sur les 600 candidats qui se présentent au départ, 300 seront admis (un sur deux se fourvoie), 150 passeront en 2ème année et 80 en 3ème, ce qui fait question, même si ces statistiques doivent encore être affinées. Être bien orienté, bien s’organiser et bien gérer sa liberté sont des gages de réussite. Quelques particularités Les professeurs à l’ESA sont tous des 1 Anne Oger « Recherches et actions en faveur de la réussite en première année universitaire. Vingt ans de collaboration dans la Commission « Réussite » du Conseil interuniversitaire de la Communauté française », sous la direction de Philippe Parmentier, CIUF, Bruxelles, 2011 13 CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013 Bulletin de liaison des Etablissements d’Enseignement secondaire C’est arrivé près de chez vous Communauté Educative Saint Jean-Baptiste Tamines eTwinning Qu’est-ce que « eTwinning » ? Ce sont des échanges à distance à l’aide des technologies de l’information et de la communication (TIC) entre une classe d’ici et une classe d’un ou plusieurs autres pays de l’Europe). Depuis de nombreuses années, des jumelages à distance peuvent s’opérer de manière souple, à n’importe quel moment de l’année, pour n’importe quelle durée et s’adapter à toutes les matières et centres d’intérêt. Des prix d’une valeur de 1 000 à 1 250 euros en achat de matériel multimédia ou informatique sont accordés à des écoles lauréates. Des séminaires eTwinning européens sont organisés régulièrement sur candidature. C’est à un séminaire semblable que deux enseignantes de la CESJB de Tamines ont participé. Elles vous racontent leur aventure. Un séminaire eTwinning à Ankara Ces 1 et 2 juin 2012, nous sommes toutes les 2 parties en formation eTwinning à Ankara. Pour rappel, l'eTwinning permet des échanges virtuels au sein de la Communauté Européenne. 33 pays font maintenant partie du projet. Il ne s'agit pas uniquement d'échanges linguistiques ! Certains projets se font en français, soit avec la France ou le Luxembourg, soit avec des élèves apprenant le français dans d'autres pays. Les échanges se font par emails, vidéoconférences, création de blogs ou n'importe quels moyens TIC. L'eTwinning bénéficie d'une plateforme permettant de mettre en place les projets rapidement et de manière sécurisée. Il est donc tout à fait possible de lancer un projet en mathématiques, en histoire ou en littérature, même sans connaissance approfondie d'une langue étrangère par les élèves. Nous avons ainsi rencontré 2 professeurs de la région de Limoges, qui cherchaient des partenaires pour lancer un projet en histoire et géographie en français. Personnellement, nous revenons avec 2 projets pour l'année 2012-2013: Caroline Je vais commencer un projet intitulé « Les écosystèmes dans notre pays ». Ma principale partenaire Burcu est turque et enseigne dans une école en immersion. Le projet se déroulera en 3 étapes et durera toute l'année scolaire 2012-2013. Après une partie de présentation, nous découvrirons l'écosystème de nos partenaires et finalement chacun mettra en relation les animaux présents dans nos régions en créant les réseaux alimentaires propres à chaque région. Une autre partenaire turque se joindra peut-être à notre projet et une enseignante française propose d'intégrer ses élèves plus âgés dans la dernière phase du projet. 14 CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013 Géraldine Le projet s’intitule « Dropping cultural boxes around Europe ». J’aurai la chance de développer ce projet avec trois partenaires (un par pays participant au séminaire, en dehors de la Belgique) : Esra (Turquie), Ausra (Allemagne) et Carole (France). Nous enseignons toutes les quatre l’anglais à des élèves se trouvant dans la tranche d’âge 10-15 ans. Bulletin de liaison des Etablissements d’Enseignement secondaire Le projet se déroulera en 4 phases (plus ou moins une activité tous les deux mois) durant l’année scolaire 2012-2013. Les différentes activités d’échange seront bien sûr choisies en fonction des thèmes abordés en classe et intégreront des aspects culturels de chaque pays. Caroline Castille professeurs et Géraldine Meyer, Des ateliers de développement professionnel et séminaires de contact sont destinés aux enseignants du fondamental et du secondaire qui souhaitent découvrir les ressources du portail européen eTwinning, trouver des partenaires d’échanges et améliorer leurs compétences en termes de construction de projets collaboratifs européens à l’aide des TIC. Si vous êtes intéressés, contacter : - [email protected] [email protected] Voir le document explicatif sur http://www.enseignement.be/etwinning 15 CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013 Bulletin de liaison des Etablissements d’Enseignement secondaire Cellules bien-être à l’école Il y a deux ans, la Fédération Wallonie lançait un appel à projets destiné à encourager la mise en place de cellules bien-être en école. De nombreux établissements ont répondu favorablement, dont le Collège Saint-Guibert à Gembloux. D’autres, dont écoles l’Institut saint-Joseph de Ciney, mènent depuis longtemps des activités en vue d’améliorer le bienêtre des jeunes. Les deux articles rédigés par des enseignantes de ces écoles expliquent ce qui s’y vit. Ils illustrent la volonté des écoles d’avoir une politique construite autour du bien-être. Les activités de l'Espace Parole au Collège Saint Guibert de Gembloux Il y a trois ans et suite à une réflexion menée lors d'une journée pédagogique, plusieurs professeurs ont décidé de créer un espace d'écoute et de réflexion à destination des élèves appelé « Espace Parole ». Le point de départ de ce projet était la prise de conscience du mal-être que vivent certains de nos jeunes et du sentiment de solitude qui peut en découler ... Le but premier de l'Espace Parole était donc de constituer une équipe de professeurs disponibles pour écouter et soutenir les élèves qui en ressentiraient le besoin. Une boîte aux lettres avait été disposée dans l'école, afin de leur permettre de prendre rendez-vous anonymement avec l'un des membres de l'Espace. Afin de prévenir les problèmes de moquerie ou d'exclusion dans les classes, il a aussi été décidé de remettre sur pied les retraites qui étaient jadis organisées pour les élèves de troisième année. Renommées « journées bienêtre », cellesci prennent place sur trois jours début octobre, afin d'accueillir dans les meilleures conditions toutes les classes de troisième et de leur permettre de faire connaissance en début d'année. Délocalisées en dehors de l'école, elles offrent également une parenthèse salutaire dans le rythme scolaire effréné. Parallèlement à ce projet, des enquêtes de bien-être ont été réalisées par les directeurs des trois degrés via les délégués de classe, afin de mettre en exergue les besoins des élèves. Outre les considérations purement pratiques qui ne devaient manquer de ressortir, il est apparu que certains élèves, principalement au premier degré, évoquaient la difficulté de trouver une occupation au calme pendant le temps de midi. La chapelle de l'école, guère occupée jusque-là, a donc été réaménagée en un local de calme et de ressourcement baptisé « La Source ». Cet aménagement a pu se faire grâce au partenariat avec la Communauté Française dans le cadre de son projet « Cellules bien-être » pour lequel un budget de 2 000 € nous a été octroyé. Depuis l'an passé, ce local est accessible deux temps de midi par semaine pour les élèves du premier degré. La règle d'or y est le silence, à peine interrompu par une musique relaxante passée en fond sonore. Sous la surveillance d'un professeur bénévole, les élèves peuvent y lire, y colorier des mandalas, ou tout simplement s'y reposer 16 CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013 sur de nombreux coussins qui meublent la pièce. Depuis cette année, un collègue du troisième degré investit la Source un jour par semaine, afin de travailler la méditation et la gestion du stress avec les élèves de rhéto qui le souhaitent ... La Bulletin de liaison des Etablissements d’Enseignement secondaire Source est également accessible à tout professeur souhaitant prendre du recul avec sa classe et entamer un travail de réflexion à l'abri des contraintes scolaires ... Coralie Verraghenne pour l'Espace Parole L’école, un lieu d’action et de réflexion pour le bien-être des élèves Institut Saint-Joseph Ciney Dans notre école, le bien-être des élèves est une valeur essentielle. En effet, pour bien travailler, il est important que le jeune se sente bien dans sa tête, mais aussi dans son corps. Pour préparer ces jeunes à être les adultes de demain, nous devons aussi leur apprendre à effectuer des choix à propos de qui est bon ou pas pour eux en termes de relations, développement, santé … C’est dans cette optique que, depuis plusieurs années, l’équipe du premier degré de notre école travaille sur deux thèmes : les dangers du tabac et l’importance d’une alimentation équilibrée. Pourquoi cibler le premier degré ? Simplement parce que toutes les recherches montrent qu’il faut agir tôt si on veut être efficace et que certains chiffres sont assez éloquents : âge de la première cigarette vers 11-12 ans, surpoids pour 1 enfant sur 5 en Belgique. De plus, au premier degré, les jeunes sont encore très réceptifs aux activités que l’on peut leur proposer. Je vais maintenant vous décrire brièvement les activités que nous réalisons avec nos élèves. Mais avant de découvrir celles-ci, il est important que vous gardiez en tête que, dans toutes ces activités, nous ne jugeons jamais un comportement (ceci n’est pas bien, tu devrais faire cela …), car c’est le rôle des parents, mais que nous incitons les jeunes à réfléchir, à se poser des questions sur ce qui est bon pour eux et peut-être ainsi les amener à modifier d’eux-mêmes certains comportements. Les dangers du tabac : Notre action se déroule pendant les deux années du premier degré et est commune avec les autres écoles de notre ville. Toutes les écoles, de tous les réseaux et de tous les types d’enseignement, travaillent ensemble sur ce projet. Dans chaque école, une équipe de professeurs mène le projet et rencontre les professeurs des autres écoles pour mettre en commun les actions qui seront menées au cours de l’année avec le soutien des directions. En première, chaque année, vers le mois de novembre, les élèves vont écouter une conférence donnée par le professeur Ninane, chef de service de pneumologie à l'hôpital Saint-Pierre à Bruxelles, qui, à l’aide d’un montage PowerPoint, explique aux jeunes, non seulement les dangers, mais aussi la manipulation qu'orchestrent les lobbies du tabac. Avant cette conférence, les enfants ont préparé avec un professeur une série de questions qu’ils pourront poser après la conférence. Cet échange de questions-réponses est un moment important où souvent ils découvrent que les fumeurs sont manipulés, piégés par des industriels (produits pour augmenter la dépendance, publicité …) et cela se révèle souvent plus efficace que de leur parler des dangers à long terme, car, à cet âge, on se sent souvent plus fort que la maladie. Ensuite, en décembre, toutes les classes de 1ère (par groupes de 3 ou 4) travaillent sur la création d’une affiche à propos des dangers du tabac (illustration + slogan). Une affiche par classe est ensuite sélectionnée par des professeurs, tandis que les autres sont exposées dans les différents bâtiments de l’école du premier au troisième degré, les « petits » étant très fiers de découvrir leurs œuvres dans les locaux des plus grands. Celles qui ont été sélectionnées dans les différentes écoles sont exposées dans un lieu public où elles font l’objet d’un concours. Une affiche par école se voit alors récompensée. 17 CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013 En deuxième année, tous les deux ans, une demi-journée inter-écoles est organisée. Différentes activités sont alors organisées, elles peuvent être sportives, manuelles, intellectuelles. En voici quelques exemples : test bip, sketches sur les dangers du tabac, mots croisés, création de fanions, petites expériences … Chaque classe accompagnée par deux professeurs se rend, selon un circuit établi, dans les différentes écoles pour y réaliser une activité. En fin de matinée ou d’après-midi, tous les élèves convergent vers un lieu de rassemblement où une activité finale est proposée (spectacle, lancer de ballon, réalisation d’un panneau géant …). Cette demi-journée demande beaucoup d’énergie, car il faut déterminer les activités dans chaque école, établir le planning de passage dans les différentes écoles, trouver l’activité finale et, pendant celle-ci, mobiliser un grand nombre de professeurs. Mais tout ce travail est récompensé par la motivation des élèves et les échanges qui ont lieu. On apprend à se connaître, à s’ouvrir aux différences. L’importance de l’alimentation équilibrée Pour ce thème, une matinée est organisée avec les élèves de première année. Elle comprend deux temps : un petit-déjeuner et la découverte d’une activité sportive, manuelle … Le petit-déjeuner L’objectif est de faire découvrir qu’un petit déjeuner ne se résume pas à un bol de céréales ou une tartine de choco. En effet, en tant que professeur de sciences, je suis chaque année interpellée par le nombre d’enfants qui ne déjeune pas pour diverses raisons, mais qui, en plus, ne prenne même pas une boisson. Lors de ce petit-déjeuner, les enfants mangent dans leur classe avec leur titulaire. Au milieu du couloir, un buffet est dressé par des professeurs bénévoles. Sur les tables, on trouve diverses sortes de pains, des confitures, des produits laitiers (yogourt, fromage, lait), des fruits, des jus de fruits, de l’eau, du miel, du muesli … Chacun choisit les aliments qui Bulletin de liaison des Etablissements d’Enseignement secondaire composeront son petit-déjeuner équilibré. Pour l’aider dans ses choix, la pyramide alimentaire a été vue au cours de sciences et, lors de ce cours, les notions d’équilibre alimentaire, de diversité ont été abordées. Des professeurs mis derrière le buffet conseillent aussi, incitent les élèves à goûter des aliments qu’ils ne prennent pas d’habitude et évitent trop de gaspillage (Es-tu certain que tu sauras tout manger ? Ne viendrais-tu pas te resservir, si tu as encore faim ?), car, lors d’un buffet certains peuvent avoir leurs yeux plus gros que leur ventre … Après ce petit-déjeuner en classe qui a permis au titulaire de discuter avec ses élèves des habitudes alimentaires de ceux-ci et du petit-déjeuner qui leur a été proposé, arrive le moment de la deuxième activité. Quinze jours avant, chaque élève a dû choisir 3 activités découvertes dans une liste qui lui a été soumise. Le nombre de propositions dépend du nombre d’élèves en première (une activité comporte plus ou moins 10 participants). Des professeurs répartissent ensuite tous les élèves dans une activité en tenant compte de leur choix (ceci n’est pas évident, car certaines activités sont toujours plus attractives). Lors de cette répartition, ils essayent aussi que les enfants d’une même classe soient dans le plus d’animations différentes. Voici quelques activités possibles : initiation à un type de danse, au yoga, à un art martial, à la cuisine, au chant, à de l’artisanat, au cirque, à la découverte de la nature … Ces activités d’initiation présentent divers objectifs : découvrir quelque chose de nouveau, prendre conscience de son corps, de ses capacités, établir des relations avec d’autres élèves … Prendre simplement du plaisir à être à l’école. Comme vous pouvez l’imaginer l’élaboration de cette demi-journée demande aussi beaucoup d’énergie, de temps, car il faut déterminer les quantités d’aliments à acheter, préparer le buffet, répartir les élèves dans les animations, trouver des personnes pour les animer, veiller à respecter un certain budget … Françoise Leclercq Professeur de sciences 18 CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013 Bulletin de liaison des Etablissements d’Enseignement secondaire Une journée pédagogique sur l’estime de soi Institut du Sacré-Cœur Frameries L’estime de soi, une thématique que nous avions abordée déjà en 2010 lors d’une de nos trimestrielles. L’intervention de Bruno Humbeeck nous avait galvanisés … Depuis, la balle a bien rebondi. Il a été question de l’estime de soi lors d’une Université d’été du SeGEC, mais aussi lors d’un atelier que nous avons pris en charge lors du dernier Congrès de l’Enseignement Catholique. Diverses écoles lasalliennes ont fait également appel à B. Humbeeck pour une de leurs journées pédagogiques. C’était le cas de l’Institut du Sacré-Cœur de Frameries le 22 février dernier … Avant qu’il ne prenne la parole, il m’avait été demandé de refaire des liens avec le Projet Educatif Lasallien. Une piqûre de rappel jugée salutaire ! Poser un regard positif sur l’élève, plus particulièrement sur celui qui est en difficulté, c’est un enjeu majeur dans cette école confrontée à un public très défavorisé. Renforcer l’estime de soi des enseignants, les aider à s’appuyer sur une véritable communauté éducative, c’est vital, pour qu’ils trouvent du sens à leur métier. Quant à Bruno Humbeeck, il a la capacité de captiver son auditoire. Malgré ses grandes connaissances dans des domaines variés, il n’étale pas sa science, mais il ancre ses idées dans des expériences, il manie l’art du récit, il a le sens de l’anecdote qui résonne avec notre propre vécu. Voici quelques-uns des grands axes abordés dans son exposé Les trois postures de l’enseignant La relation avec les parents Ce sont les trois pointes d’un triangle par où il passe sans arrêt. Il transmet des savoirs : s’il se contente d’agir ainsi, il rencontrera des élèves qui « feront le fou ou le mort ». Et s’il est très expert en sa matière, sera-t-il à même de comprendre pourquoi un jeune ne comprend pas ? Certes, il est important de mobiliser ses élèves en étant motivé, mais cela ne suffit pas. Il veut stimuler les apprentissages. Mais apprendre par soi-même désoriente parfois très fort des élèves : ils ne savent pas comment procéder. Il se considère comme un éducateur. Elle est indispensable, même si elle est parfois conflictuelle, car l’enseignant n’éduque pas seul. En famille, on enseigne des savoirs et des valeurs implicites. Si les règles de l’école vont à l’encontre du vécu familial, il ne faut pas y renoncer pour autant, mais les expliciter, préciser qu’elles sont tributaires de ce lieu particulier, sans disqualifier le milieu d’origine. Il plaide ainsi pour que les parents puissent rencontrer les enseignants en dehors d’une période d’évaluation, pour qu’ils racontent une anecdote concernant leur enfant et se sentent entendus. 19 CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013 L’importance de développer l’intelligence collective et émotionnelle B. Humbeeck a développé ses idées en partant d’un cas de harcèlement sur une cour de récréation, harcèlement, selon lui, davantage présent dans l’enseignement secondaire (car, dans l’enseignement primaire, se manifeste surtout du rejet). L’estime de soi y est mise en jeu. La solution ne peut être que collective, car le problème est complexe. Ainsi, l’on peut diviser la cour en trois parties : l’une pour jouer avec un ballon, la seconde pour jouer autrement et la troisième où il est interdit de courir. Cloisonner l’espace permet déjà de mieux canaliser la violence potentielle, liée souvent à une réaction de l’adolescent qui craint d’être inexistant ou insignifiant. Il est donc nécessaire, non de brimer ses émotions, mais de lui apprendre à les transformer de façon socialement acceptable. Il propose par exemple de pratiquer régulièrement en classe le jeu des émoticônes : chacun choisit celui qui lui paraît adapté à ce qu’il Bulletin de liaison des Etablissements d’Enseignement secondaire ressent et s’exprime en je ; l’enseignant donne la parole à tous les élèves. C’est, selon l’intervenant, une façon de développer un sentiment d’empathie chez les jeunes et de modifier le fonctionnement du groupe : les problèmes sont identifiés et des solutions sont recherchées. La classe devient ainsi un lieu de parole et de démocratie. « Je m’intéresse à toi » Une attitude capitale de l’enseignant pour renforcer l’estime de soi chez l’élève ! Il ne s’agit pas de le comprendre, ni de l’aimer, mais d’être vigilant et bienveillant. Pourquoi ne pas lui dire : « Je ne comprends pas ta culture » ? Cet aveu est préférable à faire semblant ou à jouer à l’envahisseur. L’enseignant repèrera également ceux qui n’osent pas agir, ce dans quoi ils sont forts, les espaces dans lesquels ils existent. Un pas pour avancer dans l’estime de soi qui se fonde sur la connaissance de soi, mais aussi sur l’image de soi et l’amour de soi. Et voici quelques réponses aux questions soulevées par les enseignants Comment valoriser un ado qui ne le veut pas ? Sa position est compliquée : il recherche l’originalité et, en même temps, la conformité par rapport à un groupe. La valorisation peut se faire à l’un de ces deux niveaux. S’il n’a pas fait d’effort pour arriver à un bon résultat, il risque également de se disqualifier, car, selon lui, à l’école, il faut travailler pour réussir … Quand un élève « se croit nul », l’interroger en classe peut être une atteinte à l’estime de soi. Au lieu de lui présenter une épreuve comme facile, il est préférable de l’aider en lançant le travail par des questions de mise en route. Enfin, l’enseignant ne doit pas oublier qu’un jeune issu d’un milieu social défavorisé n’ose pas toucher aux mots, aux textes, parce qu’il se sent disqualifié. « Je ne sais jamais si je fais bien » Que faire quand un ado se croit nul et avoue « qu’avec le prof, ça ne passe pas » ? La personnalité ne joue que pour 2 % dans les performances des élèves, ce qui compte, par contre, pour 40 %, c’est la pédagogie utilisée. B. Humbeeck critique les filières de relégation de notre système scolaire, ainsi que la focalisation excessive sur l’université qui devient un objectif en soi. Il estime aussi que la réussite à l’école ne devrait pas seulement se mesurer en performances : ce qui compte surtout, c’est de garder le plaisir d’apprendre. On ne peut former sans déformer. « La pédagogie parfaite formerait des abrutis ». Ce qui est important, c’est de réfléchir sur soi, sur ses pratiques, et de partir du postulat que tout jeune est éducable. Il s’agit d’améliorer sa « capabilité », sa possibilité de faire des choix, en utilisant une pédagogie qui prend son temps. Ne nous culpabilisons pas, en nous focalisant sur les enquêtes PISA. Certes, la Finlande obtient de très bons résultats, mais c’est aussi dans ce pays que le taux de suicide est le plus élevé. Anne Oger 20 CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013 Bulletin de liaison des Etablissements d’Enseignement secondaire Institut Saint-Joseph/Ciney La poésie s'invite à l'école La poésie, inscrite dans les programmes de français, est généralement très largement abordée en 5ème année. Une matière parfois difficile à faire passer. Ce qu'on en retient traditionnellement? Des mots comme « rimes », « sonnets », « alexandrins ». Mais qu'en est-il de la poésie actuelle? Et quels sont ces drôles de zèbres qui, aujourd'hui encore, se disent poètes? A l'Institut Saint-Joseph de Ciney, Patricia Foulon, enseignante dans l'enseignement général et Claude Donnay, professeur dans le qualifiant et poète lui-même, avaient fait ce pari risqué, mais gagné : confronter septante jeunes (deux classes EG et une classe de TQ infographie) à quatre poètes bien de chez nous : Christian Libens1, chargé de la Promotion des Lettres à la Communauté française, auteur très polyvalent qui a publié environ 30 ouvrages, Philippe Leuckx, qui est aussi enseignant et critique, Jean Loubry, également comédien et metteur en scène, et Marc Dugardin, retraité et poète à plein temps. Sans compter Claude qui avait accepté aussi d'aller au feu. Les élèves avaient pu découvrir, en préalable, quelques fragments de leurs œuvres. Après avoir assisté à une présentation succincte des écrivains, ils ont pu côtoyer de plus près leurs deux poètes préférés dans des ateliers, avant de les entendre tous lire quelques uns de leurs textes. J'ai moi-même accompagné ces jeunes pour mieux connaître Philippe Leuckx et Christian Libens ... Anne Oger Rencontre avec Philippe Leuckx Pour nourrir les échanges, des questions avaient été préparées, mais, lors du premier atelier, elles n'ont servi qu'à lancer le dialogue ... Très vite, d'autres ont surgi, posées d'ailleurs surtout par ... des garçons. En voici quelques-unes ... « Qu'est-ce qui vous pousse à écrire? » P. Leuckx avouera avoir commencé à écrire vers 10 ans, puis de façon plus systématique vers 17 ans. Il était alors interne, c'était un loisir, mais aussi une nécessité de laisser venir des sensations, des émotions, de les vivre. Il s'est aussi beaucoup nourri de la lecture des autres, il s'en est imprégné. Aujourd'hui encore, ses sources d'inspiration sont généralement visuelles l’observation d'un tableau, un film, mais aussi le fait de marcher dans la campagne ou en ville ... Un événement malheureux est également très inspirant : dans ce cas, l'écriture libère du chagrin. Il se définit comme un poète du quotidien et la poésie, pour lui, est de l'ordre de l'intime. « Quels sont vos thèmes préférés? Pourquoi est-il souvent question de la solitude? » Déjà pour écrire, le poète se met en retrait. Et la vie est pleine de séparations, tantôt brèves, tantôt plus graves. Et P. Leuckx d'évoquer les voyages où l'on est souvent en solitude par rapport à ce qu'on découvre. Ainsi, il a écrit un recueil sur Rome : seul, dans la grande ville, il y évoque des rencontres au fil des jours ... La perte de ses parents lui a aussi mieux fait comprendre le côté éphémère des réalités. Le deuil, les souvenirs, mais aussi la paternité, sont des thèmes auxquels on 21 CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013 Bulletin de liaison des Etablissements d’Enseignement secondaire ne peut échapper. mois, ce qui lui paraît trop contraignant. « Quelle structure de poème aimezvous? A quel courant appartenezvous? » P. Leuckx aime se donner des contraintes : des contraintes de thème, de suivi entre les poèmes, mais aussi de structures de style. Cependant, l'on ne peut les dissocier de l'inspiration. Parfois, un vers, un motclé s'imposent comme une évidence ; parfois, il s'assied et s'impose d'écrire. Il part de quelques mots et essaye de composer, en évitant les clichés. Il cherche à éviter tant les banalités du langage que l'hermétisme. Certains poèmes vont couler de source, d'autres seront écartés et rangés dans un tiroir : il retravaille très peu ses textes ... Il ne s'inscrit dans aucun courant, car le symbolisme, par exemple, regroupe de façon factice des écrivains très différents comme Verlaine et Mallarmé. Mais il a subi des influences, comme celles de Supervielle ou de Francis Carco. « Etes-vous fier d'être édité? » Il faut rester humble. Ce n'est qu'à partir de 1993, alors qu'il avait presque quarante ans, qu'il a pensé à faire éditer ses textes. Le premier recueil est paru en 1994 ; il s'intitulait « Ombreuse solitude ». Ce ne sont jamais, en Belgique, que des petits tirages : ils ne permettent pas au poète de vivre de sa plume. Dans d'autres pays, comme en Europe du Nord ou en Pologne, la poésie a davantage les faveurs du public : un premier recueil peut être édité à 5 000 exemplaires. « Comment apprendre à écrire? » Aux USA, il existe de véritables écoles pour apprendre le fonctionnement de l'écriture journalistique ou romanesque. Chez nous, il existe des « ateliers d'écriture ». Mais si l'écriture est une nécessité, s'apprend-telle? « Comment choisir le titre d'un recueil? » Le titre peut être la Christian Libens et Philippe Leuckx « Est-ce que cela reprise d'un vers ou vous prend beaucoup de temps pour d'une partie de vers. Ainsi, un des recueils écrire? » est intitulé « Rome, rumeur nomade », un C'est très variable. Un de ses recueils titre qui lui plaisait, car il a beaucoup « une espèce de tourment? » comprenant marché dans cette ville et il aimait la 44 quatrains a été écrit en quelques jours. tonalité du « m ». Par contre, le titre « Au Si l'auteur préfère le poème au roman, faubourg de la vie » a été refusé par c'est parce que ce dernier réclame 4-5 l'éditeur qui le trouvait trop réaliste et lui heures de travail par jour pendant 5-6 a préféré « Ombreuse solitude ». Rencontre avec Christian Libens Quelques extraits choisis ... La poésie? Des mots mis sur du ressenti, sur des émotions. Des mots pour dire l'indicible. Elle peut avoir beaucoup d'échos et de musiques différentes. Elle peut être présente dans un SMS, une chanson, un spectacle. Ses premiers poèmes? Pour avouer son amour à une jeune fille, alors qu'il est timide. Comme Apollinaire, même s'il n'est pas Apollinaire. Soudain, les poèmes des autres, qu'il trouvait ennuyeux, se mettent à vibrer ... Des poèmes en wallon? C'est un clin d'œil aux fantômes de ses grands-parents, d'origine modeste. C'est une langue du terroir qu'il a plaisir à parler, même s'il ne rencontre plus guère d'interlocuteurs. 22 CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013 Bulletin de liaison des Etablissements d’Enseignement secondaire Petite pause poétique Il est si peu de temps à vivre retiré en soi-même Si peu d'espace pour que la lumière fuse sans bruit Si peu d'amis arrivés à vous tenir la main sans fondre Et vous êtes déjà mort derrière un voile de gaze dure Philippe Leuckx, « une espèce de tourment? », l'arbre à paroles, 1998 A François Jacqmin Les poupées sont des petites filles Qui ont refusé de respirer; Alors elles rêvent, rêvent Les yeux ouverts sur le tendre du temps Christian Libens Il n'est de bonheur Qui ne s'abreuve de mélancolie Ne réveille pas l'enfant qui dort Demain se chargera bien De lui tailler un habit * Le soir recule les portes Dans le gris des pierres La lumière se replie Dans la flamme d'une bougie S'assoupit dans les braises de l'âtre Une main s'attarde, hésite, renonce Et dans l'ombre qui sourd des murs La souffrance parfois s'étiole * Un vent gris brun avait sauté le mur Du jardin où le platane rouillait Marc Dugardin et quelques élèves Téméraire un rouge-gorge tenait en haleine Un ciel de cire et Dans la faille du jour naissant Il restait juste de quoi glisser La main d'un enfant Claude Donnay, « retour sur printemps », Le Coudrier, 2010 1 Si vous voulez recevoir un écrivain dans votre classe, sans qu'il ne vous en coûte rien, contactez Christian Libens : [email protected] 23 CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013 Bulletin de liaison des Etablissements d’Enseignement secondaire Martin Gray à Ciney Ce mardi 27 novembre 2012, la ville de Ciney et sa région accueillaient Martin Gray au hall de Ciney Expo. Une salle comble attendait ce résistant de Varsovie et de vifs applaudissements et marques de sympathie ont accueilli son entrée. Le bourgmestre de la ville a prononcé quelques mots en guise d’introduction présentant son invité comme « une grande conscience contemporaine » rappelant, ensuite, son parcours dans le ghetto de Varsovie, puis le malheureux incendie qui dévora toute sa famille dans le sud de la France. Le bourgmestre a terminé son introduction par une allusion à l’illustre livre rédigé par Martin Gray « Au nom de tous les miens ». réussite selon Martin Gray équivaut à trouver cette paix, cette tranquillité. Pour lui, celle-ci a été atteinte en écrivant des livres, en partageant ses secrets. Mais ce sentiment de bonheur est difficile à garder dans notre société d’abondance, affirme Gray. Il enchaîne en prenant pour exemple des jeunes qui n’ont aucun sens à donner à leur vie et pour qui la société ne ferait rien. Il tient à ce que chacun comprenne sa vie et le but qu’il veut se fixer. Pour cela, il est important d’apprendre à se connaître et donc de se raconter sa propre vie, de comprendre les relations qui nous unissent aux autres, mais aussi à la nature. Il conclut son exposé par un lien avec la souffrance vécue par certains. Lui aussi a La soirée s’est poursuivie par une énormément souffert, mais il poursuit en conférence, une pause, puis une séance conseillant vivement que chacun puise de questions-réponses. dans ses forces pour retrouver le courage Pour débuter sa conférence, Martin Gray a et l’espoir, et par conséquent cette insisté sur le fait qu’il était là, non pas en réussite indispensable. tant qu’orateur, mais en tant qu’homme Après la pause, Martin Gray, accompagné qui essaye d’apporter des solutions, de cette fois de deux jeunes élèves, s’est trouver le bonheur et d’éviter le quotidien. installé sur l’estrade pour répondre aux Il rappelle ainsi le périple de sa vie, en questions du public. Cette séquence n’a commençant par le ghetto de Varsovie pas été de tout repos, car les questions évoquant la misère, la barbarie qu’il a provenaient à la fois en direct du public et côtoyées tout comme le courage, la d’un panier dans lequel des personnes solidarité et l’amitié. Il raconte brièvement avaient déposé leur question écrite sur un son temps dans l’armée rouge et son désir carton. de rejoindre sa grand-mère vivant à NewPuisse cet homme, malgré son grand York. âge, partager encore longtemps sa Il continue en parlant d’amour. L’amour au sagesse, sa vision du monde, de sens large, l’amour aux multiples facettes. l’humanité à un nombreux public, jeune Pas celui vu dans l’érotisme, ni dans les ou moins jeune, à Ciney ou ailleurs, cours à l’école d’éducation sexuelle. partout dans le monde. Son message est Vient, par après, la notion de réussite. La universel. Louise Juvent Professeur de religion à l’Institut Saint-Joseph de Ciney 24 CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013 Bulletin de liaison des Etablissements d’Enseignement secondaire Lasal-liens Conseil de la Mission Lasallienne en Belgique-Sud 16 et 17 novembre 2013 Les Actes du colloque sont parvenus à chaque participant. Le site de l’AEL vous permet de retrouver les interventions principales. Frère André-Pierre Gauthier nous rappelle combien les intuitions de Jean-Baptiste de La Salle sont toujours pertinentes aujourd’hui. Des intuitions fondatrices bien actuelles L’aventure de la Mission éducative lasallienne a commencé voici plus de trois siècles, dans les années 1680, alors que le château de Versailles se met à briller de toutes ses fêtes. Nous, les contemporains du livre numérique et de la commande vocale, nous voici projetés dans un monde et une époque qui nous sont étrangers et familiers. Suffisamment familiers pour nous en reconnaître des héritiers – la « question scolaire », comme aujourd’hui, y était décisive –, et suffisamment étrangers – la plume d’oie et le catéchisme quotidien ont disparu des salles de classe – pour sentir que nous devons, afin de maintenir fécond l’héritage, exercer un droit et, plus encore, un devoir d’interprétation. Partenaires lasalliens, réunis à Ciney, telle est votre responsabilité. Si nous nous arrêtons sur la fondation de la tradition éducative des Frères des écoles chrétiennes, ce n’est pas seulement pour en connaître l’histoire, c’est surtout pour en saisir l’esprit. C’est cet esprit de fondation, autrement dit les motivations et les décisions de Jean-Baptiste de La Salle et des premiers Frères, qu’il faut retrouver et accueillir, pour écrire, à la première personne, c’est-à-dire au « nous » de votre communauté, un chapitre qui pourrait s’intituler : « Au XXIe siècle, éduquer en frères, dans des écoles offertes à tous, au nom de l’Évangile ». Que Jean-Baptiste de la Salle, un prêtre récemment ordonné, chanoine et docteur en théologie, issu du milieu bourgeois de la riche ville de Reims, en charge, de surcroît, après la mort de ses parents, d’une nombreuse fratrie, s’engage dans la scolarisation des garçons pauvres, cela peut surprendre. Cependant, le souci de leur éducation et de leur instruction chrétienne, en ce XVIIe siècle finissant, est largement porté par les élites catholiques. Ce qui peut surprendre davantage, ce sont les choix décisifs auxquels cet engagement l’a conduit, progressivement. Des choix qui, en le mettant à distance de son milieu d’origine et de ses légitimes ambitions et en réorientant sa vocation sacerdotale, lui ont fait inventer un nouveau style d’écoles, en lui faisant élaborer une nouvelle forme d’engagement pour tenir ces écoles, pensées dorénavant en fonction des besoins des jeunes et des maîtres. À son époque, l’éducation des garçons pauvres, plus que celle des filles, est négligée ou peu efficace ; elle est difficile et décourage les meilleures bonnes volontés. Et aussi, tout autant que les enfants, ceux qui sont négligés et méprisés, ce sont les maîtres d’école, abandonnés à leur incompétence. Et si des voix murmurent que leur métier est grand aux yeux de Dieu, personne n’a encore su leur donner des signes tangibles de sa valeur et de sa dignité. La tradition éducative qui se dessine alors constitue une réponse à ce double besoin, des jeunes et des maîtres. Une réponse généreuse, une réponse du cœur, certes, mais surtout, une réponse nourrie de confiance, d’intelligence et de foi, une réponse mûrie par la relecture de leurs premières expériences scolaires, par l’élaboration patiente de projets et par 25 CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013 l’apprentissage du débat respectueux de l’avis de chacun. S’inscrire dans cette tradition nous invite à partager les questions et la démarche fondatrices. Faisons quelques minutes un saut dans l’histoire et projetons-nous sous le roi Louis XIV, dans un pays qui commence à connaître des évolutions économiques, sociales et religieuses essentielles. Dans cette France encore très rurale, les villes et l’économie urbaine connaissent un essor important et offrent des emplois de plus en plus qualifiés, nécessitant la maîtrise de la lecture, mais aussi celle de l’écriture, cette compétence si ardue à acquérir. Dans cette France catholique, ou plutôt teintée de catholicisme, que gagnent les idées véhiculées par les protestants et des philosophes, les prêtres peinent à évangéliser et à fidéliser les pauvres gens. Leurs propos et leur mode de vie sont trop éloignés de leurs attentes et de leur quotidien. Dans cette France engagée dans un projet de scolarisation de grande ampleur – il s’agit d’éradiquer le protestantisme, d’asseoir définitivement le catholicisme et de moraliser les comportements potentiellement rebelles de la jeunesse –, dans cette France, donc, que le roi et les évêques veulent « envoyer à l’école », ce n’est pas la charité qui manque, mais la capacité, l’audace même, d’imaginer des moyens inédits : une école autre avec des maîtres différents, qui sachent accueillir l’étrangeté de ces pauvres, dont on commence pourtant à percevoir toutes les richesses qu’une éducation adaptée pourrait révéler. On attend une médiation nouvelle – ce seront les « écoles chrétiennes » de Jean-Baptiste de La Salle –, et d’autres médiateurs, et ce seront ces maîtres qu’il appellera « Frères ». Le prêtre qui permet cette évolution investit un nouvel espace, l’école, et un ministère nouveau, l’éducation. Des écoles, des écoles chrétiennes et des écoles chrétiennes pour les pauvres, il y en a, dans les années 1680, sur tout le territoire. Il y en a, mais pas assez, et surtout, elles ne donnent pas satisfaction, car elles n’arrivent pas à fidéliser enfants et adultes. L’intuition de Jean-Baptiste de La Salle part de cette difficulté. Ses initiatives sont autant de ruptures qui vont le mettre en constante difficulté avec les pouvoirs civils et ecclésiastiques, et aussi, au sein de son Institut naissant, avec certains maîtres. À compter de 1680, ce sont presque 40 ans de combats et de doutes qui assurent la Bulletin de liaison des Etablissements d’Enseignement secondaire lente maturation de ce projet promis à devenir pérenne. À sa mort, en 1719, il ne laisse qu’une petite vingtaine d’écoles, qui sont porteuses d’une conception neuve des jeunes, des maîtres d’école et de l’école ellemême. Une nouvelle conception de l’école. Pour fidéliser les jeunes, elle doit montrer son efficacité et son utilité, car un garçon en classe, ce sont des bras en moins à la maison. Pour cela, Jean-Baptiste de La Salle innove, sur trois plans principaux. D’abord, la classe, semblable à celle que nous connaissons : un local dédié, un groupe d’élèves rendus attentifs par la compétence du maître et des outils pédagogiques adaptés. Et tout cet investissement, pour qui ? Pour des pauvres ! Jean-Baptiste de La Salle en emprunte l’idée aux collèges jésuites, dont l’accès était réservé aux familles aisées, et la met à la disposition d’une classe sociale sans classe(s). Les écoles lasalliennes pratiquent l’enseignement simultané. Un maître qui enseigne les enfants l’un après l’autre, dans un lieu quelconque – une salle du presbytère ou chez lui –, sans autre pédagogie bien souvent que la violence, c’en est fini ! Il s’agit d’assurer à chaque enfant et à chaque famille une meilleure rentabilité du temps scolaire, et grâce au regroupement des élèves, de s’entraîner au partage des responsabilités, à l’entraide mutuelle, et d’acquérir les règles du savoir-vivre ensemble et du savoir étudier personnellement en apprenant à faire silence et à se concentrer. Rien de cela n’existe vraiment dans les semblants d’écoles que les pauvres fréquentent. Ce choix suppose que les maîtres reçoivent une formation pédagogique et didactique. Le fondateur a compris qu’être maître ou élève, cela s’apprend. Un jeune n’est pas naturellement un élève, ni un adulte, naturellement un enseignant. Ensuite, l’apprentissage de la lecture se fait en français et non plus en latin. Outre son intérêt pratique, cette décision opère une révolution. Si, en effet, le français est la langue de la vie quotidienne et des activités profanes, le latin est celle de l’Église. Valoriser le français, c’est affirmer que l’école des pauvres n’a pas pour seule finalité de faire des chrétiens, mais aussi, et d’abord, des hommes capables de s’intégrer dans la société grâce au savoir-faire du métier et au savoir-être que procurent les règles de civilité. Hier comme aujourd’hui, sans cela, un jeune ne peut pas bâtir d’existence digne. Enfin, l’école cesse d’être 26 CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013 un ghetto de pauvres. Ceux-ci, pour s’inscrire dans les écoles gratuites, devraient montrer un certificat qui attestait le manque de ressources des parents. Jean-Baptiste de La Salle ne peut se résoudre à cette stigmatisation. Il veut ses écoles gratuites pour tous, ce qui occasionnera un combat sans fin avec ceux que l’on appelle les « maîtres écrivains » et qui gagnaient leur vie en enseignant. Une nouvelle conception du maître d’école. Les plus lucides l’ont compris avant même Jean-Baptiste de La Salle : si l’on veut des maîtres compétents et de bonne moralité, il vaut mieux privilégier des prêtres ou des séminaristes, puisque, en plus, les maîtres laïcs finissent toujours par délaisser l’école pour un emploi mieux rémunéré. Mais quelque chose manquerait-il aux clercs pour que Jean-Baptiste de La Salle ne conduise pas les maîtres de ses écoles vers le sacerdoce ? Outre leur difficulté à adapter leur enseignement aux élèves, la mission scolaire reste pour nombre d’entre eux seconde, voire secondaire par rapport au ministère sacerdotal. Jean-Baptiste de La Salle comprend que le service éducatif des pauvres réclame des maîtres voués entièrement à cette tâche, et que, compte tenu de son importance, c’est Dieu lui-même qui les appelle. Ce métier devient alors un authentique ministère. Il n’est ni secondaire ni même second. De là, sa dignité, s’il est vécu comme un engagement de toute la personne. D’où la proposition de la vie en communauté. Les Frères ne sont pas des religieux qui ensuite, se décident à faire la classe. Ce sont des maîtres d’écoles qui, pour répondre de tout leur être à cet appel de Dieu, s’engagent à vie, ensemble, par fidélité aux jeunes et les uns envers les autres. Comment témoigner d’une réponse fidèle à Dieu, sans manifester cette fidélité dans le quotidien d’une vie ? Une nouvelle conception des jeunes. Cette nouvelle conception des maîtres et des écoles repose sur un nouveau regard porté sur les jeunes. Ce qui change vraiment tout, c’est que ces maîtres soient des Frères, frères entre eux et frères aînés des jeunes. Le frère à l’école, c’est l’homme d’une présence, qui le rend attentif à tous les aspects de la vie de ses élèves, à leur présent et à leur avenir. Le credo lasallien tient en cette conviction : un enfant est capable de, et même « capable de tout », Bulletin de liaison des Etablissements d’Enseignement secondaire pour peu, comme dit le Fondateur, qu’il sache lire et écrire. Encore faut-il qu’il se trouve dans un contexte qui favorise ses acquisitions. L’espace scolaire devient l’objet de toutes les attentions. Jean-Baptiste de La Salle conçoit un lieu protégé de l’intrusion inopinée des parents ou de la curiosité des passants. Le silence s’impose au maître comme à ses élèves : il faut favoriser la concentration de ceux qui ne connaissent souvent que les bruits de la rue et les cris à la maison. Les enfants sont responsabilisés : l’un garde la clé de l’école pour l’ouvrir chaque matin, l’autre assure la prière, un troisième visite un camarade absent… L’absentéisme est, de fait, le fléau extérieur, comme la violence peut être un fléau intérieur ; la violence des jeunes entre eux et celle des maîtres envers eux, mais aussi celle qu’entraîne le mépris ou les remontrances incessantes. Les écoles de Jean-Baptiste de La Salle combattent l’un et l’autre, l’absentéisme et la violence. Il consacre de nombreux écrits à réguler les sanctions, et précisément la correction physique, auxquelles le maître pense pouvoir légitimement recourir. Dans ce cas extrême, tout un rituel punitif veille à évacuer chez lui toute colère et toute brutalité subite. L’enfant est un être de raison, écrit Jean-Baptiste de La Salle. Il n’y a pas lieu de le corriger comme un animal. On peut dire que pour lui et ses premiers Frères toute l’aventure éducative consiste à changer son regard sur les jeunes, à accepter d’intégrer à l’acte éducatif les fragilités des jeunes, et à rendre l’école accueillante aux jeunes les plus fragiles. Elle consiste aussi à considérer l’éducation comme une œuvre collective, assurée par une communauté d’hommes rassemblés par cette mission commune. Elle consiste enfin à penser que Dieu est présent dans les attentions et les bienveillances quotidiennes qui se vivent à l’école : quand, sous la conduite du maître et sûr de son affection, l’enfant apprend à tailler sa plume d’oie, à réciter ses prières ou à partager un peu de son repas de midi et de son savoir avec moins favorisé que lui. En continuant de nous mettre patiemment à l’école de JeanBaptiste de La Salle et des premiers Frères, ensemble, nous allons poursuivre cette aventure. Il ne s’agit pas, maintenant, de tout prévoir de l’avenir de la mission lasallienne, mais simplement, et c’est décisif, de le permettre. Fr André-Pierre Gauthier Visiteur Adjoint France 27 CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013 Bulletin de liaison des Etablissements d’Enseignement secondaire Journée de ressourcement à Grand-Bigard Chercher à saisir l'insaisissable ... L’intériorité… Ce mot a-t-il encore un sens dans ce monde qui est le nôtre ? Ce monde où l’on court à cœur et à corps perdu contre le temps, Ce monde trop souvent désenchanté, Où il est de bon ton de posséder et de s’éclater… Ce mot…cela ne vaut-il pas la peine de le dépoussiérer, De le débarrasser de sa gangue pour redécouvrir ses trésors cachés ? Car il n’invite pas seulement à se recueillir et à prier, Mais à toucher au cœur de notre humanité. Pourquoi ne pas en (re)faire l’expérience ? Pourquoi ne pas y faire goûter ces jeunes ? Pourquoi ne pas les accompagner sur ce sentier de traverse, Dont ils paraissent ne pas trop vouloir, mais qui les attire cependant ? L’intériorité… Un lieu pour prendre nos distances par rapport à nous-mêmes et au monde, Pour nous décentrer et nous détacher de ce qui nous entrave. Un appel à déchiffrer sans cesse le sens de nos actes, de notre histoire, Une boussole à même d’orienter nos choix. Mais aussi une plongée mystérieuse au cœur de soi, Pour découvrir notre fragilité et la beauté de notre condition d’homme. Non pas un repli, mais une pulsation vers autrui qui nous fait exister. Une source intérieure, Qui nous met en contact avec un au-delà de nous, apaisant et pacifiant. Un chemin à parcourir, Sur les traces de Jésus, sur celles de Jean-Baptiste de La Salle, Pour nous rapprocher de nous-mêmes, des autres, de l’Autre, Qui nous fait être chaque jour un peu plus. Une conversion, une ouverture vers la spiritualité Qui éveille notre capacité à nous émerveiller, Portés par un élan qui nous dépasse. Anne Oger 4 mars 2013 ... un jour noir sur les routes autour de la capitale ... Nous sommes cependant 28, directeurs et enseignants (membres de la commission pastorale et personnes relais en école), à nous rendre à Grand-Bigard, en territoire flamand. Sans compter Monsieur Etienne Michel, Directeur général du SeGEC, qui a choisi de venir partager quelques heures avec nous, ce qui nous fait grand plaisir. Nos amis du VLP (Vlaams Lasalliaans Perspectief) nous attendent, en effet, au Centre de La Salle, pour y vivre un temps de ressourcement. Comment aujourd'hui développer l'intériorité à l'école, 28 CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013 alors que priment souvent le matériel, le fonctionnel, la culture de l'immédiateté ? De quoi ont besoin les jeunes pour se rendre conscients à eux-mêmes ? Comment ouvrir à une transcendance ? Dans quel espace sacral ? A Grand-Bigard, l'ancienne chapelle a été complètement reconvertie : le projet architectural, porté par le Frère Herman Lombaerts, a mûri plusieurs années avant de se concrétiser et d'être finalisé le 25 octobre 2011. Car, selon cet ancien professeur de la KUL, nous avons à repenser Dieu et à interroger nos représentations. Il a accepté, avec An Debremme, conseillère en pastorale pour les écoles lasalliennes flamandes, d'être notre guide. Au travers de quelques diapos, An nous montre d'abord des chapelles transformées en hôtel, en restaurant, en magasins ... en temples de consommation. Souvent aussi, dans nos écoles, elles ont été affectées à d'autres fins, beaucoup plus pragmatiques. Puis, nous nous dirigeons vers la chapelle. Avant d'y entrer, nous pénétrons dans un sas baignant dans une lumière tamisée. De part et d'autre, des bancs et, en dessous, des casiers en bois. Nous sommes invités à nous déchausser, une pratique courante chez les bouddhistes, une sorte de mise à nu. Puis, nous voici marchant dans le sable, déstabilisés, comme sur une plage ou comme dans un désert, dans une pièce close : des panneaux Bulletin de liaison des Etablissements d’Enseignement secondaire clairs, un jeu de lignes rouges qui se croisent, avec, parfois au centre, comme une croix ... Des cylindres en bois de différents gabarits, semblent posés là de façon aléatoire ; ils sont facilement déplaçables et chacun s'assied où il veut. Au plafond, la lumière semble venir de nulle part. Elle émane aussi, sans que la source ne soit visible, d'une suspension totalement décentrée. Mais où est Dieu en ce lieu vide, monumental ? Nous sommes sortis des sentiers balisés ... Après quelques minutes de silence, le Frère Lombaerts nous invite à livrer notre ressenti : certains disent leur malaise, d'autres évoquent la tentation du Christ, le chemin de croix, les Apôtres marchant dans le désert ... Lui-même parle : ce qui est important, c'est la recherche, l'exploration, l'expérience vécue ... Il se dirige ensuite vers des panneaux qu'il ouvre : le premier offre une échappée sur le parc et le soleil printanier nous inonde de sa lumière, d'autres sur des vitraux : Sainte Wivine, qui vécut en ce lieu au 12ème siècle avec d'autres femmes dans le silence d'une abbaye, JeanBaptiste de La Salle ... Chaque vitrail, ainsi isolé des autres, nous invite à aller au-delà de la représentation. Et entre le passé et le présent se trouve un entre-deux qui nous renvoie à nous-mêmes, mais aussi vers les autres. Un troisième panneau laisse entrevoir une surface rouge, symbolisant la profondeur du sacré qu'on ne peut capter. On ne visite pas cette chapelle, elle n'est pas fonctionnelle, mais elle est celle de l'éclosion : on y vit une expérience, on est touché, on en sort transformé. On peut y suivre le fil rouge de sa vie, on peut y planifier un projet. Le lieu est vierge, ouvert à différents scénarios ... C'est à nous à construire, comme nous y invite notre projet éducatif ... L'après-midi commence par des témoignages. A Wavre, à Bruxelles à Saint Jean-Baptiste de 29 CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013 La Salle, à Gembloux au Collège Saint-Guibert, les anciennes chapelles se sont métamorphosées en salle de gymnastique ou en bureau. Mais le désir de recréer un lieu refuge, un lieu de paix, un lieu sacral est devenu impérieux ... A Bruxelles, la statue décrépite du fondateur a été restaurée par des élèves de Saint-Luc Tournai et l'ancien oratoire des Frères va être transformé par l'art du vitrail de Bernard Tirtiaux. Le but poursuivi ? En faire un lieu ancré dans notre tradition, mais aussi ouvert à d'autres cultures, puisque, dans cette école, beaucoup d'élèves sont musulmans. A Wavre, des élèves ont participé à l'aménagement d'un espace et à l'élaboration d'une charte pour le respecter. Il est accessible le vendredi pendant le temps de midi. Après l'accident de Pécrot, au cours duquel un jeune de l'école a perdu la vie, des élèves sont venus y placer des petits mots, des dessins ... A Gembloux aussi, « La source » a facilité le travail de deuil suite au suicide d'un étudiant. Ce qui n'était, au départ, qu'un lieu zen, a connu une nouvelle vie depuis deux ans : lieu de bien-être et d'écoute, il s'est imposé aussi comme lieu de rencontres avec les élèves en difficulté. A l'Institut Saint-Joseph, par contre, le local transformé en chapelle n'est guère utilisé. D'où beaucoup de questionnements : faut-il garder un lieu sacral ? Si oui, où ? Comment en faire vraiment un lieu de présence ? Et chacun n'est-il pas un temple ? Eric Vanhuysse, professeur de mathématique et de religion, commence chacun de ses cours par un moment de silence et d'écoute, un moment que les élèves réclament. Puis vient le temps des ateliers. Comment transposer ce que nous avons entendu et vécu Bulletin de liaison des Etablissements d’Enseignement secondaire dans le quotidien de notre école ? Quelques clefs pour « entrouvrir une porte » vers l'intériorité : • Mener une réflexion avec les enseignants sensibilisés à cette problématique • Associer les élèves à l'aménagement du lieu • Penser à l'esthétique, créer un espace créatif, attirant, et mystérieux • Y introduire le calme • Placer l'écoute et la parole au centre, afin de dévoiler du sens • Le lieu est peut-être encore plus accessible si les signes religieux ne sont pas directement visibles. Nous revoici dans la chapelle. Le Frère Lombaerts nous dévoile enfin la partie centrale, le chœur ... Les beaux vitraux des années 20 évoquant la crucifixion en présence de Marie et de Jean jettent des taches de couleur vive sur le noir des murs. La vue sur l'autel est partiellement obstruée par une énorme pierre ronde, évoquant le mystère de la résurrection : les femmes qui se rendaient au tombeau du Christ le dimanche ont constaté que celle qui bloquait l'entrée avait été déplacée et que la tombe était vide. Leurs perceptions sur Jésus, sur sa vie et ses actes changent alors radicalement : d'un côté, elles sont confrontées au vide, à la mort ; de l'autre, elles sont appelées à voir au-delà, à croire dans un Christ, présent tout en étant insaisissable. Un appel aujourd'hui encore à discerner sa mystérieuse présence, promesse d'une aube nouvelle, ouverture vers un nouvel horizon ... dont le monde, englué par les soucis du quotidien, a tellement besoin. Anne Oger 30 CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013 Bulletin de liaison des Etablissements d’Enseignement secondaire Eveiller à l’intériorité Enseignement Catholique français / Actualités, Hors-série, juillet 2012 Parler de l’intériorité, cela a-t-il encore un sens dans ce monde désenchanté marqué par la rationalité scientifique ? Oui, car ce monde en profonde mutation est traversé plus que jamais par des questions existentielles, des questions de sens. C’est pourquoi en France, l’IFEAP (l’Institut de Formation de l’Enseignement Agricole Privé, dépendant de l’enseignement catholique français) a reçu la mission de se pencher sur la question suivante : « Comment rendre possible une éducation à l’intériorité dans nos écoles ? » Des chercheurs, mais aussi des formateurs et des gens de terrain, ont croisé leur regard, faisant se recouper apports théoriques et pratiques (26 expériences ont ainsi été analysées). A la base de ce travail, un constat : beaucoup d’enseignants sont aujourd’hui désorientés par les jeunes qu’ils ont en face d’eux (faible estime d’euxmêmes, difficultés pour donner du sens aux apprentissages, transgression des règles de la vie collective …) Mais aussi des convictions : ces jeunes ont besoin d’une solidité intérieure pour tenir debout et la formation intégrale de la personne est au centre de l’enseignement catholique. Eveiller à l’intériorité, ce n’est pas se limiter à initier au recueillement ou à la prière, c’est réaffirmer une vision de la personne humaine : la fragilité de l’homme l’amène à s’interroger sur des questions existentielles et universelles ; se découvrant en lien, il va prendre conscience qu’il est redevable à autrui, mais aussi qu’il est en devenir : pour grandir, assumer ses responsabilités face à lui-même et à autrui, il va explorer ses ressources et apprendre à les mobiliser. La découverte de l’intériorité permet d’ouvrir un dialogue qui met en relation avec soi et avec autrui, une condition indispensable à l’élaboration d’une vie intellectuelle, relationnelle et éthique riche. Qu’est-ce que l’intériorité ? Très vite, au début de son existence, l’homme prend conscience de son individualité, du fait qu’il est distinct des autres, mais, en les côtoyant et en s’ouvrant au monde, il se confronte aussi rapidement à des limites, à des obstacles. L’intériorité est ce lieu où il se met à distance de lui-même et du monde. Chacun n’accède à l’intériorité, à la conscience de soi et du monde, que par la rencontre avec l’autre qui lui permet d’exister, qui le reconnaît. Petit à petit, il découvre son identité, mais celle-ci n’a jamais fini de se construire, de se dévoiler. L’intériorité se révèle mystérieuse, c’est le cœur le plus profond de la personne et le fondement de sa dignité, « un trésor dont chacun est dépositaire, mais non propriétaire » (Edith Stein) Parce que l’homme comprend qu’il est dépendant des autres et du monde, mais aussi que sa quête de sens ne sera jamais achevée, il se rend compte qu’il n’est pas à l’origine de lui-même. Ainsi, l’intériorité peut lui apparaître comme une source intérieure que les chrétiens nomment Dieu, un Dieu trinitaire (Père-Fils-Esprit). L’intériorité est enfin une référence sur laquelle l’action va s’appuyer : en fonction des buts que je poursuis dans ma vie, je vais devoir faire des choix éclairés. L’intériorité devient alors une boussole capable de m’indiquer la bonne direction. L‘intériorité offre deux dimensions : c’est un espace profond, mais aussi une dynamique, un chemin, car elle est appelée à se développer, tout au long d’une réflexion sur les choix posés et les actions entreprises. Elle se traduit par des signes extérieurs (une forme de rayonnement), l’on n’y accède que par la médiation du corps (sensation corporelle et utilisation du cerveau) et elle est reliée à l’extériorité, puisque la rencontre des autres nous provoque à nous-mêmes : ainsi 31 CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013 se manifeste la cohérence et l’unité de la personne. Les sept piliers de l’intériorité, selon Emmanuel Mounier Selon lui, l’intériorité n’est pas un repli sur soi, mais une « pulsation » vers autrui. L’homme se définit comme un être de relation, qui a vocation d’aimer. Cela postule une double unité, difficile à atteindre : l’unité personnelle (le sens donné à sa vie) et l’unité de l’humanité (le destin collectif). D’où la nécessité d’un travail sur soi, d’une « conversion intime » de l’intériorité. • • • • • • • L’importance du recueillement : un décentrement qui n’est pas naturel est nécessaire pour se questionner, choisir, donner du sens à ses actes La découverte de « l’en soi » qui nous donne notre singularité et qui reste mystérieux : la personne, plutôt qu’un être (mot qui semble évoquer une réalité statique), est « une présence active et sans fond » L’expérience d’un sentiment complexe, voire paradoxal : la joie de se ressourcer, de trouver la paix intérieure, mais aussi l’envie de goûter à une vie végétative, de se sentir magiquement isolé et protégé L’aventure, le risque d’être pris par un « vertige des profondeurs », un peu comme le spéléologue qui explore une grotte. L’attitude de désappropriation : Mounier prône qu’il est utile de savoir se détacher des biens, même si l’avoir est nécessaire, et de lutter contre l’égocentrisme La vocation, l’appel à déchiffrer sans cesse au quotidien le sens de ses actes, les choix posés, son histoire La relation dialectique entre l’intériorité et l’extériorité. Aujourd’hui, le risque est grand de « s’éclater », de se laisser trop prendre par des sollicitations extérieures, mais se réfugier dans l’intériorité comporte aussi des risques : celui de trop s’occuper de soimême, alors que la nature, les autres, le travail sont bénéfiques pour exister (exister, sortir de soi) Les trois niveaux de l’intériorité, selon le jésuite Claude Flipo L’intériorité a besoin d’être éduquée : avoir des repères, des limites, permet de développer la capacité de discernement. C’est pourquoi les adultes jouent un rôle essentiel pour structurer la personne et l’aider à construire un idéal, un projet de vie. Trois dimensions, trois passages vers l’intériorité : • L’intériorité psychique, c’est la capacité d’entrer en soi-même, de mieux se connaître et de maîtriser ses pulsions. Elle aidera le jeune à passer du savoir à la ré- Bulletin de liaison des Etablissements d’Enseignement secondaire • • flexion : faire des liens, découvrir du sens, s’exprimer en maîtrisant les concepts L’intériorité morale, pour distinguer le bien du mal : les jeunes comprendront que le vivre ensemble ne peut se faire sans interdits et que des valeurs les sous-tendent L’intériorité spirituelle, liée aux questions de sens. Elle pousse à la croissance de toutes les potentialités humaines : sens esthétique, ouverture aux autres et à la transcendance ... Elle permet aux jeunes de passer des émotions aux sentiments profonds. Il s’agit de « sentir les choses intérieurement » (Ignace de Loyola), d’admirer, d’être émerveillé, de sortir de soi en étant porté par un élan vers ce qui nous dépasse. Pour entrer en relation avec les autres comme avec Dieu. Développer l’intériorité à l’école Etant donné que l’intériorité est une notion très complexe, les situations pour la développer sont variées, mais toutes concourent à construire l’unité de la personne : pratique du débat, expérience du silence, actions humanitaires visant à la solidarité, relecture d’une action ou d’un événement, écoute d’autrui, rencontre de témoins, activités scolaires, activités à dimension religieuse. En fait, ce qui compte, c’est surtout le processus, la manière dont une activité est vécue et accompagnée. Et l’on peut en distinguer trois : • • • L’exploration de soi, la prise de conscience et l’acceptation de soi, qui passe par la rencontre et l’acceptation des autres et du monde : la découverte de sa singularité, de sa dignité, de sa dynamique, le fait de se sentir responsable, la recherche de réponses à des questions existentielles. Un usage éclairé de sa liberté, pour orienter l’engagement et l’action Pour certains, un engagement dans une démarche spirituelle, voire dans une pratique religieuse Toute activité sera idéalement suivie d’une évaluation : prise de recul et relecture … Des effets repérables : le renforcement de la confiance et de l’estime de soi, une plus grande capacité relationnelle, l’émergence chez certains de questions sur le sens de la vie. Des conditions • Des adultes qui établissent un cadre clair, • • mais sont bienveillants, des initiateurs et des facilitateurs qui trouvent un chemin entre guidance et effacement La mise en évidence d’attitudes axées sur le respect, la bienveillance et la tolérance Un contexte qui sort de l’ordinaire, souvent 32 CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013 • • • en rupture avec un quotidien bruyant, encombré, superficiel La nécessité d’une adhésion des élèves et l’importance de les rendre acteurs Un climat d’établissement : le rôle moteur du chef d’établissement, les fréquentes références au projet éducatif, une politique d’écoute, une bonne gestion des espaces de temps libres pour dégager des temps d’accueil, des temps pour l’orientation, le tutorat …, un accompagnement des élèves lors d’activités culturelles ou socioéducatives L’importance d’avoir en école un lieu de silence Bulletin de liaison des Etablissements d’Enseignement secondaire • • • • • • Des conseils De façon générale, il s’agit de marquer des pauses, pour donner du sens à ce qui se fait en école. • • • Pratiquer une pédagogie de la relecture : faire le point, laisser du temps et des moments de silence pour que l’élève s’interroge, discerne ce qu’il n’a pas compris et exprime ce qu’il ressent … aux trois niveaux d’intériorité déjà mentionnés Faire prendre conscience du culte de l’immédiateté dans lequel nous sommes, car nous sommes sans cesse incités à rechercher un mieux-être « ici et maintenant » et développer plutôt le culte de l’intériorité o Aider les élèves à développer leur esprit critique, à devenir des résistants par rapport au milieu ambiant et les amener sur le chemin de l’intériorité pour être plus solides humainement. o Former les enseignants eux-mêmes à l’intériorité. o Pour éviter la fatigue, le découragement ou la plainte dans l’établissement, relire toutes les expériences pédagogiques, éducatives, religieuses … à la lumière du projet éducatif Oser voir avec les yeux du cœur o Se débarrasser des fausses pudeurs pour explorer des registres plus inhabituels o En tant qu’adultes, proposer aux jeunes des raisons de vivre et d’espérer : ne pas se présenter comme des modèles, mais comme des personnes en chemin o Se situer comme témoin, être habité par des convictions, par la foi en l’homme, voire par la foi en Dieu Des pratiques • • La création en école d’une cellule d’écoute, voire d’un sas de décompression Des ateliers d’écriture partagés durant la dernière heure du vendredi, par exemple : écrire dans le silence sur des sujets variés pour parler de soi, prendre du recul par rapport à des événements douloureux, puis • • partager avec les autres sans craindre de jugement Des activités artistiques pour commémorer des fêtes religieuses pendant le temps de midi Des célébrations sur base volontaire, avec des élèves qui s’investissent dans la préparation Des temps d’échange interreligieux L’organisation de séances de relaxation, pour faire l’expérience du silence, de l’immobilité, pour apprendre à se détendre et à se concentrer Une annonce claire à l’inscription du projet pédagogique et éducatif L’organisation de temps de ressourcement (journée ou soirées) pour le personnel Un voyage avec les élèves dans un lieu fort Une après-midi de réflexion élèves-profs sur des questions existentielles, avec éventuellement la participation d’autres témoins (par exemple, des moines), l’importance de repas partagés Le rôle de l’éducateur dans cet éveil à l’intériorité Il est là pour accompagner le jeune, afin qu’il exploite toutes les potentialités qu’il a en lui, pour créer des conditions favorables à son épanouissement. Il a aussi à transmettre un héritage : des valeurs, une histoire, des règles de vie …, autant de repères nécessaires pour que le jeune se construise. Cela postule que lui-même s’est engagé sur un chemin d’intériorité, qu’il se présente comme un pionnier. Pour le reste, différentes postures sont possibles : entraîner le jeune par contagion, l’aider à prendre du recul ou l’accompagner à la manière d’un témoin. Un lien avec l’enseignement par compétences La pédagogie par compétences implique d’être dans une dynamique d’action. De plus, de nombreuses compétences, parce qu’elles postulent d’avoir intériorisé des valeurs, sont des portes vers l’intériorité : par exemple, l’autonomie, l’initiative. Un exemple de fiche d’activité pour l’éveil de l’intériorité Elle comprendra • • • • • • le titre (par exemple, rencontre avec des personnes en situation de handicap), la nature de l’activité (débat, action humanitaire …), le contexte dans lequel elle se situe, le public-cible et les partenaires éventuels, les buts et objectifs poursuivis, un bilan (effets, difficultés rencontrées, facteurs de réussite, points à améliorer) 33 CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013 • ainsi qu’une synthèse montrant en quoi l’activité a permis de développer l’intériorité Enjeux et préconisations Pour développer une solidité humaine des élèves, toutes les dimensions de la personne doivent être visées dans un processus d’unification : le développement corporel, psychique (la tête) et spirituel (le cœur). L’intériorité et l’altérité sont complémentaires et sont à articuler. Par exemple, une action de solidarité s’incarne sur des valeurs intériorisées et ce sont elles aussi qui serviront à évaluer l’action entreprise. Pour Paul Ricœur, une vie réussie tient compte de la vie personnelle (avoir une bonne estime de soi), relationnelle (avoir de la sollicitude pour autrui) et sociétale (avoir le sens de la justice). Ce sont ces trois apprentissages qui doivent guider les pratiques de l’école. Cela passe par la solidité et la cohérence de la communauté éducative : elle visera la cohérence entre le dire et le faire et se référera fréquemment au projet éducatif qui mentionnera explicitement le nécessaire développement de l’intériorité. Et la pastorale ? Deux registres, en matière de pastorale, sont au moins à distinguer. Le projet éducatif d’un établissement catholique insiste sur l’importance de proposer aux jeunes des chemins d’humanité en référence à l’Evangile. Dans ce cadre, la pastorale consiste moins à en parler qu’à en vivre et à cultiver le sens de la proximité : « La pastorale, c’est d’abord entendre, écouter, voir, et de moins en moins parler » (p. 34). L’animation pastorale est, elle, beaucoup plus explicite : il s’agit, toujours sur le mode de la proposition, de penser, d’agir et de célébrer la dimension évangélique du projet éducatif, sans négliger le service de l’humain, à tous les niveaux de la vie de l’école. L’intériorité est bien un enjeu pastoral, un enjeu de foi, si l’on se réfère à deux acceptions de ce mot : la foi en la vie et la foi au Bulletin de liaison des Etablissements d’Enseignement secondaire Christ. C’est d’abord une ressource indispensable pour aider le jeune à croire que la vie vaut la peine d’être vécue, dans un contexte difficile, un contexte de crise économique et financière, de précarité … Il a également besoin de développer son intériorité pour un mieux-être, lui à qui on fait miroiter que le bonheur est dans le « tout et tout de suite ». A ce niveau, il est bon de rappeler que Jésus est un passeur de vie et que les Béatitudes sont des paroles de bonheur … En quoi son attitude fonde-t-elle notre regard en école sur les jeunes ? Quelques exemples de postures éducatives inspirées par son exemple : « S’émerveiller des progrès d’un élève, souligner la justesse d’une de ses paroles, goûter la richesse d’un moment vécu ensemble, relire une expérience pour qu’elle prenne sens, instaurer des temps et des espaces de silence pour permettre une présence à soimême, mobiliser une pédagogie de l’encouragement et de la réussite. » (p. 36) Cultiver la foi en la vie n’engage pas nécessairement à croire dans le Christ : ce dernier guérit d’ailleurs sans rien demander en échange, sans manipulation, ni prosélytisme. Devenir chrétien est donc un choix posé librement : il peut être suscité par la façon de vivre de ceux qui ont foi dans le Christ, mais aussi par une expérience personnelle de rencontre avec le Christ via les Ecritures. Ouvrir les Evangiles garde alors tout son sens. On peut les approcher à l’école sous un angle culturel (pourquoi pas au travers d’œuvres d’art ?), mais aussi spirituel : laisser résonner ces textes conduit à grandir sur un chemin d’humanité, voire sur le chemin du divin. Développer l’intériorité, c’est ainsi nourrir des attitudes axées sur la foi (« Tu as de la valeur »), l’espérance (« Tu peux évoluer positivement ») et la charité (« Tu peux compter sur moi ») L’enseignement catholique doit ainsi continuer à éduquer à l’intériorité pour garder du sens. Synthèse faite par Anne Oger Le Hors-série « Eveiller à l’intériorité » peut être commandé au prix de 10 € l’exemplaire (hors frais de port) à l’adresse suivante : Sgec, Service publications, 277 rue Saint-Jacques – 75240 Paris Cedex 05 - Tél. 01 53 73 73 71 34 CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013 Bulletin de liaison des Etablissements d’Enseignement secondaire Assemblée Internationale de la Mission Lasallienne Du 5 au 17 mai, l’Institut des Frères des Ecoles Chrétiennes organisera une Assemblée Internationale de la Mission Lasallienne (AIMEL). Cette Assemblée aura lieu à la Casa Generalice à Rome. Son thème sera : Une famille, une mission. Lasalliens Associés pour le Service Educatif des Pauvres Dans cette Assemblée, trois mouvements seront réalisés. On établira le contexte (témoignages, rapports régionaux et panels). On travaillera ensuite en sousgroupes en fonction des trois thématiques abordées (la pédagogie lasallienne, évangélisation et pastorale, communauté éducative). Dans le dernier temps, des propositions seront formulées qui nourriront notamment le prochain Chapitre Général des Frères en 2014. 140 délégués viendront du monde entier. Ils représentent les 5 régions lasalliennes. La nôtre, la RELEM - pour Région Lasallienne Europe Méditerranée comprendra 37 délégués. Le District de Belgique-Sud sera représenté par Anne Oger, André Jacques et moi-même. A l’heure actuelle, la RELEM a préparé un rapport régional à partir des résolutions de la précédente Assemblée en 2006 et des enjeux et défis pour demain. Elle a consulté les coordinateurs de la MEL dans les différents districts lors de deux réunions à Madrid, une en juin, la seconde en février dernier. Elle associera les directions des écoles lors du prochain colloque d’ASSEDIL à Paderno del Grappa. Quelques directions de nos écoles fondamentales et secondaires y participeront, accompagnées de notre représentant pour BelgiqueSud au CA d’ASSEDIL, Marc Verkoyen. Contacts vous relatera cette Assemblée lors de son prochain numéro. Si le sujet vous intéresse, consulter le site www.lasalle.org. Jean-Louis Volvert 35 CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013 Bulletin de liaison des Etablissements d’Enseignement secondaire Enseignement catholique Journée d’études du SeGEC 18 mars 2013 Pratiques d’écoles et équité Lors du Congrès de l’Enseignement qui est apparu comme des « bonnes praCatholique d’octobre dernier, Benoit De tiques qui marchent ». Waele, collaborateur au Service Etudes du SeGEC, a Benoit De Waele a mis en présenté lors d’un atelier le parallèle l’évolution de la fruit d’une recherche intitulée recherche mettant en « Pratiques d’écoles et évidence une série de équité ». Le constat à la base moteurs d’efficacité en de cette étude : certaines regard des quatre axes qui Photo Bernard Delcroix écoles qui scolarisent un public ont émané des propos particulièrement défavorisé produisent tenus par les directions de ces écoles. Je des résultats aux évaluations externes vous recommande la lecture complète de particulièrement encourageants. Le l’enquête dont je vous donne les grands SeGEC – s’inscrivant dans la foulée de points2 : travaux menés lors des universités d’été de 2009 et 2010 – a décidé de consacrer - Le mode de direction : des directions sa journée d’études annuelle à la présend’école qui sont convaincues de pouvoir tation de l’enquête par son auteur et à diagir et sont fières de de ce que l’on fait verses interventions d’acteurs de terrain en école sont un plus en vue de en lien avec l’échec scolaire, ainsi qu’à dil’objectif de l’équité scolaire. Pouvoir se verses directions tant de l’enseignement remettre en question, assumer son rôle fondamental que de l’enseignement et sa position, mobiliser autour d’un défi secondaire. d’établissement, anticiper sans se précipiter, communiquer, s’appuyer sur des Au cœur de cette journée, selon le propos réseaux de compétences, trouver des de Guy Selderslagh, Directeur du service solutions plutôt que des problèmes, en d’Etudes, la construction de l’égalité des ayant une approche volontariste, en chances, le souci de s’intéresser au sort exploitant les marges d’autonomie et en des vaincus et des plus faibles. Une prépensant hors du temps scolaire : telles occupation du SeGEC que François Dubet semblent être des constantes d’une exprime aussi en disant que l’école, action en vue de l’objectif. seule, ne peut produire une société juste, - L’approche pédagogique : Prendre mais qu’elle peut agir pour diminuer les l’enfant là où il est et l’emmener le plus inégalités de départ1. loin possible … Une formule qui résume les soucis d’amélioration de l’équité Qu’est-ce qui fait que des écoles en encascolaire. Celle-ci passe par l’établissedrement différencié, à classe égale d’inment d’un bon diagnostic, sans préjudice socio-économique (ISE), amènent gés, de vraies exigences par rapport proportionnellement plus d’élèves vers aux résultats et par rapport au travail des niveaux de compétence attendus ? personnel quotidien, la proposition de Pour le mesurer, le Service d’Etudes a moyens de progresser. passé à la loupe les résultats des épreu- Le fonctionnement de l’équipe péves externes non certificatives en lecture dagogique : il est important d’exiger et en mathématiques. Une douzaine un engagement professionnel de ses d’écoles fondamentales et secondaires collaborateurs, de développer la conont été identifiées comme affichant ces fiance, de soutenir l’engagement pro« bons résultats » dont il est question fessionnel et développer toute forme de plus haut. Les directions de ces écoles coordination pédagogique, de veiller à la ont été rencontrées et ont mentionné ce cohérence et la continuité pédagogique 36 CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013 au sein de l’établissement, de multiplier les occasions de partage entre enseignants - Le climat scolaire : un travail constant est à faire auprès des élèves, des parents et des équipes éducatives pour rappeler les règles. Celles-ci doivent Bulletin de liaison des Etablissements d’Enseignement secondaire être cohérentes. Accueil et respect sont les meilleurs garants de la sérénité au sein de la classe. Le calme propice aux apprentissages est souvent assuré par des symboles et des rituels. Les activités hors classe favorisent la réussite. Bernard Servais, Directeur du DOA de St Des contacts fréquents avec les parents Michel Verviers, un établissont gérés par les sement scolarisant plus de éducateurs. La direction ren50 % d’élèves étrangers, un contre elle-même les parents intervenant de cette journée des élèves en difficulté en d’études, tente avec son janvier et en mai. Au niveau équipe éducative de trouver du travail d’équipe, des pistes susceptibles de éducateurs, PMS et direction renforcer la motivation des ont une rencontre hebdomaPhoto Bernard Delcroix élèves de son établissement. daire. Le Comité de Pilotage Il cite un projet consistant à emmener les a mis en place une réunion trimestrielle. élèves du DOA à la découverte d’activités Et des équipes disciplinaires agissent en techniques dans un autre établissement tant que leviers institutionnels. de la ville, l’Institut Don Bosco, la création de sections sportives (football, basketLa direction estime qu’il convient d’être ball, tennis de table), une refonte proactif. Elle apprécie les réseaux de pairs d’activités complémentaires axées pour et tout partage d’expérience. Sa conclucertaines sur les sports et la technologie sion porte sur l’intérêt de l’autonomie des dans les domaines de la menuiserie, de la écoles. Car profiter des marges de mamaçonnerie, de la mécanique et de nœuvre que laissent les décrets est l’électricité. De la remédiation en français indispensable. et en mathématiques est intégrée à la grille horaire, tandis qu’une étude dirigée Bernard Servais insiste : sans chacun des et des rattrapages sont organisés pour membres de la communauté éducative, aider les élèves qui ne seraient pas dans une politique d’école ne peut être menée. les meilleures conditions d’apprentissage à Il rend hommage à toutes celles et ceux la maison. qui œuvrent au quotidien avec inventivité et avec ce regard aimant décrit aussi En termes de pilotage, un suivi individuaavec empathie par le Directeur du lisé des élèves et des rencontres personDépartement Pédagogique de Malonne nalisées sont favorisés. Une médiatrice à (HENALLUX), Jean Donckers. mi-temps intervient en cas de difficulté. J.-L. Volvert 1 2 François Dubet, http://enseignement.catholique.be/segec/index.php?id=917 Benoit De Waele, Pratiques d’écoles et d’équité, Services d’études SeGEC, 2013. Le document est disponible sur le site enseignement-catholique.be dans Actualité. 37 CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013 Bulletin de liaison des Etablissements d’Enseignement secondaire Assemblée générale de l'Association des Ecoles Congréganistes (ASSOEC) « Ce qui est fragile résiste mieux aux secousses. » Cette phrase prononcée par Sœur MarieCatherine Petiau, Présidente de la COREB (Conférence des Religieuses et Religieux en Belgique), en ouverture à la journée, lui donne de suite une orientation optimiste, en accord avec cette froide, mais ensoleillée, journée printanière. Elle fait croître la joie qui est déjà dans les cœurs. Car les rencontres de l'ASSOEC ressemblent de plus en plus à de grandes réunions de famille. Cette fois, 40 membres issus de 13 congrégations sont présents ; elles se retrouvent avec plaisir et accueillent fraternellement une nouvelle congrégation, celle des Ursulines de l'Union Romaine, une congrégation que nous allons apprendre à connaître. Présente dans différents pays européens, elle n'est liée qu'à une seule école en Belgique. Située à Mons, elle accueille 2 400 élèves. Que de chemin parcouru depuis les premières réunions et depuis la naissance de l'ASSOEC en juin 2011, que d'avancées pour apprendre à travailler ensemble : après un temps d'intériorité, Jean-Louis Volvert, Président de l’Association des Ecoles Congréganistes, refait un bref historique, rappelle les objectifs et le travail réalisé par le Bureau et propose des pistes de réflexion. Ensuite, la parole est donnée à deux intervenantes françaises. Tout d'abord, Mme Christiane Durand, membre de l'Observatoire de pédagogie de l'Enseignement Catholique et collaboratrice de Yves Mariani, venu l'an dernier parler de la transmission des charismes, va captiver son auditoire par ses propos éclairants, bien structurés et enracinés dans le concret. Christiane Durand Elle souligne en premier lieu un paradoxe : la crise de la transmission, mais, en même temps, un engouement pour l'histoire, la généalogie, les richesses du patrimoine ... Elle y perçoit un intérêt manifeste pour des questions de sens : d'où venons-nous ? Qu'avons-nous reçu ? Elle va ensuite aborder plus spécifiquement les atouts et les freins liés à la transmission des charismes des congrégations. Aujourd'hui, tout passe par le témoignage et non par les théories conceptuelles : nos fondateurs ont été des témoins, mais comment faire pour qu'ils le soient encore ? Une piste : emmener les élèves là où ils ont vécu, pour qu'ils s'imprègnent et deviennent peut-être eux-mêmes leurs ambassadeurs. Ce qui est porteur dans le contexte actuel, c'est aussi la grande liberté des fondateurs par rapport au pouvoir et aux institutions existantes, pour répondre aux besoins de leur temps. Enfin, il existe deux autres conditions favorables à la transmission : la nécessaire articulation entre le dire et le faire, entre une conviction qui donne sens, une parole et une action, pour être crédible, mais également l'importance de créer un sentiment d'appartenance. 38 CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013 Cependant, tout n'est pas gagné : sauronsnous être audacieux comme les fondateurs de nos congrégations et aller à contrecourant d'une société qui prône la sécurité ? Arriverons-nous à nous affranchir par rapport aux normes qu'elle véhicule ? Et qu'en sera-t-il au niveau du langage que nous utiliserons ? Nous sommes à l'ère de la communication : il ne suffit pas d'avoir des écrits nourrissants, encore faut-il les faire passer ! Pour rejoindre un public large, il est indispensable de multiplier les canaux de communication et de ne pas négliger l'animation, la proximité relationnelle étant indispensable. Faire évoluer notre manière de parler, c'est là un grand défi. Tant de mots auxquels nous sommes habitués risquent d'être mal compris ... Nous avons à être vigilants : parmi ceux à qui nous nous adressons, certains sont très éloignés du monde religieux : comment les toucher, sans négliger « les sympathisants bienveillants » et les initiés ? N'oublions pas non plus, comme nous l'a rappelé le Pape François, que, sans la joie et la beauté, la vérité devient impitoyable. Bulletin de liaison des Etablissements d’Enseignement secondaire notamment sur la tutelle, une notion complexe, difficile à clarifier en quelques lignes. Pour éviter les jugements hâtifs et les clichés, disons simplement que le mot ne doit pas être associé au mot « surveillance » mais plutôt au mot « tuteur ». Il s'agit d'accompagner la croissance et la vie des communautés éducatives. Ainsi les visites de tutelle, qui ont lieu tous les 3, 4 ans dans chaque établissement et qui durent plusieurs jours, ne sont pas des visites d'inspection, mais des moments d'échanges constructifs avec tous les membres de la communauté éducative, y compris avec les parents. L'après-midi a été consacrée à des ateliers. Les petits groupes avaient été constitués de façon à ce qu'au moins trois congrégations puissent échanger sur les propos tenus en matinée par les deux invitées françaises, mais aussi sur leur projet éducatif respectif. Il était prévu une alternance entre des temps de réflexion individuelle et collective. Durant la présentation des projets éducatifs, chacun a d'abord été très à l'écoute de l'autre, puis a exprimé ce qui l'avait frappé. Ainsi, saviez-vous que des congrégations comme celle des Ursulines Après cet exposé interpelde l'Union Romaine lant, Sœur Nadia Aidjian, n'avaient pas été liées au membre de l’Union des départ à la fondation Réseaux Congréganistes de d'écoles ? L’objectif premier l’Enseignement Catholique était de répondre aux (URCEC) créée en 2006 en besoins des femmes, très France, a pris la parole. négligées dans la société du Cette salésienne, très 17ème siècle, et d'initier un engagée dans l'enseignement et dans sa esprit ... En fin de journée, congrégation nous présente chaque groupe a présenté brièvement l'URCEC. en plénum une synthèse Aujourd'hui 109 congrégareprenant trois éléments Sœur Nadia Aidjian tions sont en charge de communs et un accent 664.000 élèves. L’URCEC est composé de différent de chacune des congrégations. Une religieuses/ religieux et de non religieux. occasion à nouveau de mieux percevoir ce Ces principales missions sont les suivantes : qui nous rassemble, mais aussi de s'enrichir créer des liens et communiquer, accomde nos différences ... pagner les établissements et les chefs d'établissement, former aux charismes, en En conclusion, je vous livre une réflexion être les garants tout en les actualisant et formulée par Mme Christiane Durand qui a représenter les congrégations dans les attiré mon attention : « L'émancipation, un différentes instances de l'Enseignement mot-clef à creuser ... Il s'articule à tous les Catholique français. Il s'est ainsi créé un niveaux, qu'il soit individuel, social ou sentiment d'appartenance qui donne force et spirituel » ... Et ces mots capables, selon confiance. moi, de donner sens à nos actes : « La bonne distance, c'est aussi la tendresse ». Ce réseau est très structuré et axé Anne Oger 39 CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013 Bulletin de liaison des Etablissements d’Enseignement secondaire Les pédagogies coopératives - Sylvain Connac Le 7 mars dernier, j’ai eu la chance d’être invité par la direction des Aumôniers du Travail de Boussu à une formation donnée sur les pédagogies coopératives. L’école fêtait les 25 ans de classes ateliers au sein du premier degré qu’on n’appelait pas encore différencié. A l’origine du projet, l’insertion sociale du jeune, l’amélioration des relations professeurs/élèves et professeurs/parents, la réconciliation du jeune et de ses parents avec le monde de l’école et avec des structures plus traditionnelles au-delà du premier degré. Dans des espaces larges, les élèves coopèrent et sont encadrés par des professeurs de plusieurs disciplines qui coopèrent en même temps. Une soixantaine d’élèves répartis en trois classes de 1DIF et trois classes de 2DIF sont aidés par 14 enseignants de diverses disciplines qui ont négocié leur horaire ensemble. Les élèves travaillent par champ disciplinaire et généralement par plan de travail et travaux individuels à réaliser sur deux semaines. Ils se déplacent et les enseignants sont à leur disposition. De nombreux supports pédagogiques sont présents, en ce compris un TBI. En cette matinée du 7 mars, quelque 150 personnes ont pu découvrir ces classes ateliers et sentir comment elles se passaient concrètement. Parmi elles, des enseignantes du Sacré Cœur de Frameries. Dès notre arrivée, nous avons perçu cet esprit familial, ce lieu de vie dédié aux apprentissages, ce cadre fonctionnel de travail ouvert aux échanges. Le coin lecture, la cuisine, le TBI (Tableau Blanc Interactif), les PC, … définissent les espaces où circule une équipe éducative à l'écoute des besoins des élèves. L'organisation mise en place depuis 25 ans est réellement au service de la coopération. Les élèves progressent ainsi au rythme de leurs apprentissages. Un modèle qui ne manquera pas d'inspirer le corps enseignant. Nous quittons donc cette “classe atelier” des idées plein la tête. Eve Balthazart et Jessica Nocera, Professeures au premier degré différencié à l'Institut du Sacré-Coeur de Frameries « J'ai trouvé cette conférence extrêmement intéressante d'autant que Sylvain Connac a mis en pratique la pédagogie coopérative. Il a synthétisé une réflexion théorique et une application concrète. Ce type de pédagogie pousse à la réflexion et replace les valeurs humaines au cœur de l'école. Il faudra lire son livre pour mettre en œuvre la coopération et probablement l'adapter à notre public adolescent. » Aline Crombez Professeure à l’Institut Saint-Luc de Ramegnies-Chin « Quel bel enthousiasme, quel positivisme que celui de Monsieur Connac. Nous avons besoin de ces idées nouvelles, de ces pistes pour amener nos élèves si pas à la réussite scolaire, au moins à un épanouissement humain et social. Je pense que la pédagogie coopérative, par le biais de la responsabilisation de l'élève et par l'aspect "solidarité" qu'elle met en évidence, est une des manières de veiller à l'ouverture sociale de nos élèves. Le fait de les valoriser dans différentes disciplines et de pouvoir leur faire partager leurs compétences avec d'autres, peut indiquer et faire comprendre qu'en chaque être humain se trouvent des éléments à mettre en avant ... Ma seule réserve est de dire que, comme chaque fois qu'on innove au sein d'une école, il faut trouver les énergies et bousculer un peu les habitudes ... Peut-être est-ce cela le plus gros défi ...Quoi qu'il en soit, ce genre de pédagogie peut tout à fait, dans un premier temps, être appliquée à des petits groupes avant d'avoir "un effet yaourt" comme le dit si bien Monsieur Connac ... Exploitons les énergies positives ... cela ne peut qu'apporter de l'enthousiasme à tous !!!!" France Goossens Institut Saint-Luc de Ramegnies-Chin Lors de l’après-midi organisée par le SEDESS du Diocèse de Tournai et CECAFOC, Sylvain Connac, Professeur des écoles, comme on dit en France, qui a enseigné dans une classe élémentaire de 1997 à 2010 et qui est aujourd’hui chargé de cours en Sciences de l’Education à l’Université Paul Valéry de Montpellier, a esquissé quelques pratiques coopératives. 40 CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013 Sylvain Connac interpelle tout d’abord son auditoire : combien de minutes un élève se concentre-t-il lors d’une heure de cours de 50 minutes ? Réponse : entre 30 secondes et 18 minutes !!!! Il a été prouvé que le niveau de concentration et de performance scolaire augmente si de la coopération s’installe entre élèves. Mais de quoi parle-t-on au juste quand on parle de coopération ? Bulletin de liaison des Etablissements d’Enseignement secondaire Un élève n’est pas reconnu expert comme cela. Coopérer, c’est « agir avec ». Toute situation scolaire permet la coopération qui regroupe aide, entraide et tutorat. La coopération concerne des situations d’échanges où des individus ont la possibilité de produire ou d’apprendre en s’aidant mutuellement ou en s’entraidant. Coopérer, ce n’est pas collaborer ou « travailler avec ». On peut « agir avec » sans « travailler avec ». Une relation coopérative Aide, entraide, tutorat, coopération Aider, c’est accepter de donner un peu de son temps pour répondre d’une façon compétente à une demande d’un élève qui en a manifesté le besoin S’entraider, c’est décider de s’associer pour dépasser l’obstacle qu’on rencontre individuellement. A plusieurs, on est plus fort. L’union fait la force ! Le tutorat a un caractère organisé, prévu, contractualisé. Un élève reconnu expert accepte, pour un temps donné et avec un objectif précis, d’accompagner un de ses camarades pour qu’il devienne autonome. Une relation coopérative est symétrique quand les élèves sont en relation de parité. Elle est asymétrique quand l’un est plus expert que l’autre (c’est le cas de la relation prof-élèves). Avec l’aide, on se situe dans une situation asymétrique informelle. Dans l’entraide, on est dans une situation symétrique informelle. Dans le tutorat, on est dans une situation asymétrique formelle. Et la coopération ? On est … partout, vous l’avez deviné. Elle recouvre l’ensemble des pratiques. Un cas typique de relation coopérative symétrique formelle est le travail de groupe où on réunit des élèves sur le mode de l’hétérogénéité. Une production de groupe où - soit dit en passant – on ne peut évaluer les apprentissages. Ainsi se sont souvent les meilleurs élèves qui profitent des travaux de groupes. Cela renforce l’élitisme. 41 CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013 Quels effets de la coopération sur les apprentissages ? Sylvain Connac en pointe au moins deux. Tout d’abord un effet « vicariant » : en d’autres mots, la coopération renforce l’apprentissage « par imitation », on « reproduit », on est « perméable » à l’expérience. Ensuite un effet coopératif : dans une situation tutorielle, celui qui se fait aider obtient une info qu’il n’avait pas pour réaliser la tâche. Celui qui explique est celui qui apprend le plus. Il a l’activité intellectuelle la plus dense. Comme le prof qui, dans la classe, apprend le plus dans la relation pédagogique avec l’élève. On apprend donc en devenant « un enseignant par les pairs ». Préparer les élèves à la coopération ? Dans un apprentissage, deux personnes font un pas l’un vers l’autre. Il y a celui qui aide et celui qui est aidé. Celui qui aide : Il termine d’abord son travail et ne s’interrompt pas trop longtemps Il est d’accord pour apporter son aide Il a bien compris ce qu’on lui demande Il peut se servir de fiches outils et de tous les documents de la classe Il ne donne pas la réponse Il ne se moque jamais Il peut dire ce qu’il faut faire ou laisser deviner … Il doit ré-expliquer une consigne de travail (cela prend d’ailleurs 50 % du temps) Celui qui se fait aider : - Il essaye d’abord seul, sinon, il n’a pas de questions, il faut avoir essayé et raté quelque chose pour apprendre - Il choisit celui qui peut l’aider - Il ne le dérange pas dans son travail - Il écoute celui qui aide - Il met de la bonne volonté - Il remercie celui qui l’a aidé - Il peut décider d’arrêter de se faire aider Des outils pratiques On ne s’improvise pas tuteur. Cela se fait sur la base d’un « brevet de tuteur » (un QCM où on doit démontrer qu’on souhaite devenir tuteur et qu’on sait ce que cela Bulletin de liaison des Etablissements d’Enseignement secondaire signifie). Un brevet peut être retiré à un élève si, par exemple, un élève asservit un autre. Le tétra-aide est un outil qui sert à savoir qui est disponible pour aider et qui ne l’est pas. Le passeport est un outil qui aide un élève à dire qu’il a « besoin d’aide ». Une aide qui peut être « urgente ». Des conditions pour que les pratiques coopératives s’installent Il convient d’établir des règles de vie précises auxquelles on ne peut déroger. Dans la relation coopérative, chacun est une ressource pour l’autre. Une charte de vie est à créer. On ne peut parler fort dans un groupe où on coopère. Une formation d’une heure est prévue relativement aux gestes coopératifs. Il ne faut pas inclure de la coopération dans les moments d’évaluation interne ou externe. Il est prouvé scientifiquement par des chercheurs en sciences de l’éducation s’appuyant sur la technique du récit d’élèves que, plus la relation pédagogique est bonne, meilleurs sont les résultats aux évaluations externes … Et si un élève ne coopère pas ? Le laisser libre, il comprendra ensuite la logique pédagogique de la classe et finira par y entrer ! Les élèves expliqueraient mieux que les profs ? Une idée reçue, car les profs ont le recul par rapport au savoir, mais les élèves auraient au moins des capacités égales à celles des enseignants qui ne savent pas toujours expliquer autrement. Les pratiques coopératives, la panacée ? Sylvain Connac conclut en insistant sur les visées de l’enseignement coopératif en lien avec les visées de l’enseignement catholique. Il s’agit dans nos écoles d’avoir un regard particulier pour les plus petits, d’avoir un regard pédagogique formel pour ceux qui ne comprennent pas tout de suite. Les pratiques coopératives aussi à développer un sentiment de responsabilité collective, gage d’une future intégration sociale réussie. Car la solidarité intègre le souci de la précaution de l’autre. « Mon voisin, même s’il est différent, 42 CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013 est au moins aussi important que moi. Ses besoins, ses désirs sont aussi prégnants que les miens » Apprendre avec la coopération permet – dit Sylvain Connac – de contribuer à développer des progrès chez chaque élève, de reconnaitre ses peines, de le mener au bonheur. Selon le principe d’éducabilité cher notamment à de nombreux fondateurs de congrégations, on ne désespère jamais des élèves. Et si les élèves réussissent, ils ne décrochent pas ou moins. En réussissant, ils deviennent des ressources pour les autres, en se trompant, ils s’entrainent autrement … Les pratiques coopératives n’ont pas d’effet si elles se vivent pendant une période de moins d’un an. Or, souvent, on les pratique à l’intérieur d’un seul cours et pendant une période limitée. Elles nécessitent un corps professoral qui se parle, qui est uni, qui est capable d’écouter activement les élèves, de pratiquer les encouragements petits et successifs. Un corps professoral qui ne se laisse pas déborder par le bruit en classe, voire par la pagaille. Le complexe du homard Le homard mue à un moment de sa vie, il se défait de sa carapace, il se retrouve dans l’eau, il craint d’être mangé … L’ado, Bulletin de liaison des Etablissements d’Enseignement secondaire quant à lui, sort de sa carapace (famille et substituts de la famille), il entre dans un monde hostile et il est vulnérable. L’éducation est un point d’accroche pour lui. L’ado se demande qui il est, quelle image les autres ont de lui. La coopération permet aux autres d’exister dans la mue de l’adolescence. Un âge requis pour les pratiques coopératives ? Il n’y en a tout simplement pas. De l’enseignement maternel à l’enseignement supérieur, les pratiques coopératives peuvent être utilisées par des profs qui y croient et ont envie de vivre leur métier avec leurs collègues en dehors du « moi, je » … Innover ? Il y a vingt-cinq ans, les Aumôniers du Travail de Boussu cherchaient de nouveaux moyens pour faciliter l’accrochage scolaire et donner du sens aux apprentissages. Selon une enseignante qui était là au point de départ et le directeur, Fabrice Glogowski, ils avaient le sentiment d’innover. Aujourd’hui encore, ces pratiques dites innovantes le sont toujours. Mais le rôle joué par les congrégations enseignantes n’est-il pas sans cesse de trouver ces réponses adaptées aux jeunes et à la société de demain ? JL Volvert Bibliographie - CONNAC S. (2009), Apprendre avec les pédagogies coopératives – Démarches et outils pour la classe, ESF Editeur, Issy-les-Moulineaux, 334 pages - CONNAC S. (2012), La personnalisation des apprentissages, ESF Editeur, Issy-les-Moulineaux, septembre 2012 - www.cahiers-pedagogiques.com/spip.php?article6383 43 CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013 Bulletin de liaison des Etablissements d’Enseignement secondaire Tout le monde en parle Les Centres de technologies avancées Deux écoles lasalliennes (l’Institut SaintLuc à Mons et l’Institut Saint-Joseph de Ciney) ont saisi l’opportunité de se lancer dans un Centre de Technologie Avancée (CTA). Un CTA est – le rappelle une note contenue dans un BI de la FESeC – une infrastructure développée au sein de certaines écoles mettant à disposition des élèves et des enseignants des établissements de tous les réseaux. Les CTA sont accessibles aux demandeurs d’emploi et aux travailleurs. Leur mission est de développer des situations performantes qui correspondent aux profils de formation par la CCPQ (Commission Communautaire des Professions et Qualifications) et le SFMQ (Service Francophone des Métiers et des Qualifications). La Fédération Wallonie-Bruxelles a décidé de concentrer des moyens financiers, afin de permettre à un nombre limité d’établissements scolaires d’acquérir des équipements de pointe au bénéfice de l’ensemble des élèves. 31 écoles secondaires tous réseaux confondus ont reçu des moyens financiers importants (840.000 euros) pour divers domaines. L’Institut St Joseph de Ciney (équipements techniques du bâtiment) et l’Institut St Luc à Mons (nouvelles technologies écologiques des véhicules à deux et quatre roues) ont déjà ouvert des modules de formation. Leur CTA sera inauguré très bientôt en présence de la Ministre Marie-Dominique Simonet. Une table ronde vient de réunir Messieurs Dumortier, Deleu et Dewaele, directeurs, ainsi que les deux coordinateurs de CTA, Messieurs Rudy Mathurin et Frédéric Bimbi. Son objet était de mettre en avant le secteur industriel qui – paradoxalement dans un contexte de pénurie – a perdu des élèves depuis quelques années. Il s’agissait aussi d’aborder des problèmes concrets de mise en place des formations, de leur organisation jusqu’à leur évaluation. Bref de permettre à des pairs de s’entraider en se connaissant mieux. Des objectifs de départ Soyons francs : chaque école a pensé qu’adjoindre un CTA à son établissement était une riche idée dans tous les sens du terme. Pouvoir recevoir du matériel moderne, adapté, en lien avec des options développées dans l’école ne pouvait être qu’un plus et contribuer à la renommée des options concernées et de l’école. A Saint-Joseph, on avait des élèves en chauffage/sanitaire, en domotique et en climatisation, alors qu’à Saint-Luc, on avait des options en lien avec la mécanique automobile et avec la moto. Suivre l’évolution de la technique dans ces domaines-là peut s’avérer coûteux et risqué à la vitesse où une évolution d’aujourd’hui peut ne pas être celle du lendemain. On a aussi vu la motivation de l’élève et celle des professeurs qui ne pouvaient que s’améliorer en donnant sens et pertinence aux apprentissages et en formant les professionnels de demain capables de s’adapter tout au long de leur carrière. Les cahiers des charges sont toujours rebutants, mais on a eu la chance d’avoir des directeurs fonceurs et visionnaires. Un peu de chance aussi au vu de la situation géographique des écoles et du choix des domaines effectué au niveau des réseaux et bien sûr, du Cabinet Ministériel en charge du dossier en tenant compte des nécessaires équilibres en tous ordres. Des difficultés de départ Tout a dû s’inventer localement, il a fallu des volontaires motivés pour inventer la 44 CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013 Bulletin de liaison des Etablissements d’Enseignement secondaire route qui n’était que partiellement balisée. Grâce à l’aide de la FESeC et en particulier de Monsieur Bernard Denègre, des obstacles ont été franchis. Le premier a été de dégager des espaces au sein de l’école. Ici, un nouveau bâtiment, là, une maison à rénover qui permet de se lancer. 4OO mètres carrés ne se trouvent pas facilement ! Choisir le matériel en fonction de ce qui marche et se vend le plus et rester dans l’enveloppe budgétaire était aussi un long et difficile itinéraire. Faire connaitre le CTA et faire venir les professeurs et les élèves a fait l’objet d’interrogations : comment faire savoir où le CTA se trouve et ce qu’il offre, qui va venir, de quel réseau, de quelles écoles, … Des interrogations récurrentes. Il a fallu faire vite lorsqu’il s’est agi d’acheter le matériel, alors qu’on n’avait pas en tête toutes les possibilités de formation. Et déterminer le coordinateur de CTA compétent, volontaire et spécialiste du domaine a été un premier pas, synonyme de réussite du projet. Un coordinateur qui devait accepter des tâches d’accueil, d’organisation et d’administration, cette dernière étant très lourde, tant les contrôles de l’utilisation des deniers publics de la FWB et de l’Europe sont importants. Comme formateurs, il a fallu des professeurs compétents et pédagogues. Ils existaient. Enfin, entre le cahier des charges et le moment où le CTA reçoit le matériel, s’écoule un temps très long. lien avec le bio-ethanol. Les formations viennent de commencer. Sans pouvoir communiquer ici des statistiques complètes, notons que l’ISJ Ciney a organisé l’an dernier 600 formations d’une journée. Des professeurs sont venus et des élèves. Leur attitude au travail, l’encadrement actif des formateurs et des professeurs accompagnants se sont avérés une aide. Pas de vol de matériel, ni d’endommagement conséquent de celui-ci, pas de dépenses insupportables, et surtout des apprentissages qu’il aurait été impossible à une école d’organiser en fonction du coût des machines et des consommables. Comment les écoles ont-elles décidé de franchir le pas ? Il faut constater l’effet d’accroche personnelle entre coordinateur, formateurs et professeurs ou chefs d’ateliers, ceux-ci étant souvent les premiers contacts. A Ciney, des écoles reviennent d’une année à l’autre. Elles proviennent surtout du réseau libre. La crainte de la concurrence locale des écoles est réelle. La meilleure preuve en est que celles qui ont la même offre d’enseignement viennent d’au-delà de 30 kms. La méconnaissance des réseaux n’est pas levée : seules deux écoles proviennent d’un autre réseau que le réseau libre. Parmi les constats du début, notons que certains professeurs se sont emparés des documents tout faits des formateurs et ne sont plus revenus par la suite, leur école ayant investi dans un matériel similaire. Des premiers constats … encourageants A l’Institut St-Joseph, on a une plus longue expérience : depuis 2008-09, trois modules sur les quatre ont été ouverts : sanitaire, climatisation et domotique (ce sera bientôt le tour du chauffage). A Saint-Luc Mons, on a commencé plus récemment à équiper le garage de voitures à moteur hybride diesel ou essence + moteur électrique et de motos avec hybridation. On pense à un labo d’analyse des carburants et à ce qui est en Des atouts Diverses certifications professionnelles reconnues peuvent être obtenues dans un CTA. On a aussi observé que certaines situations d’intégration sont travaillées in situ au CTA par des écoles utilisatrices. Un effet dont on ne mesurait pas la portée, il y a deux ou trois ans. Des élèves (selon un pourcentage accepté de fréquentation du CTA) sont venus et ont acquis un plus indéniable en termes d’apprentissage du métier dans des conditions réelles. On peut également chercher en CTA à 45 CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013 s’adapter à certaines demandes très précises, Ce qui requiert de la volonté et de la bienveillance de la part des coordinateurs et formateurs. La polyvalence des élèves formés peut être renforcée : la participation à divers modules dans le même domaine permet d’aborder les différentes facettes du métier. Un Comité d’Accompagnement composé de représentants des réseaux, du Cabinet, de l’inspection, de centres de compétences existe. Il apporte un regard de professionnel et assure les liaisons indispensables avec les gens « de terrain ». Quelques difficultés Un paradoxe : le matériel à disposition est up to date, parfois trop, car les programmes, les profils et même la CPU ne suivent pas. Cela amène les enseignants à jongler d’une façon réaliste Bulletin de liaison des Etablissements d’Enseignement secondaire entre l’application du programme en cours et l’avenir des exigences d’un métier. De plus, se pose la question du logement des élèves qui viennent de loin. Une solution est possible mais la gestion des élèves fait parfois peur. En outre, si des équipements qui permettent des formations de plusieurs journées consécutives ou non, certains types de matériel coûteux ne permettent une exploitation que lors d’une demijournée : il faut alors combiner. Ce n’est pas idéal. Il y a aussi la gestion de l’inattendu : on prévient au dernier moment qu’on ne viendra pas, des professeurs d’options sans lien direct avec les modules se présentent à des formations « enseignants » … Il faut également trouver la manière de ne pas déstabiliser un professeur devant sa classe lorsqu’il fait face à un matériel inconnu. Et l’articulation entre CTA, d’une part et Centres de Compétences et IPIEQ (Instance de Pilotage Interréseaux de l’Enseignement Qualifiant), d’autre part, doit encore être travaillée. Un dernier aspect surprenant : les élèves des premiers degrés peuvent « visiter » le CTA, mais rien n’est prévu dans le cadre d’une activité, alors qu’ils aiment quitter un atelier en possession de leur réalisation. Etonnant à l’heure où on prône l’orientation positive du jeune ! Enfin, il n’est toujours pas évident de faire connaitre le CTA. Ceci malgré les sites internet existants. Le CTA de l’Institut St-Joseph Ciney ? Consulter le site www.campustechnologiesavancees.be Vous y verrez les secteurs concernés, les modules retenus, les 8 profils métiers concernés. La liste des équipements. Pour tout contact : [email protected] Inauguration officielle le 24 mai Le CTA de l’Institut St-Luc Mons ? Consulter le site www.saint-luc-mons.be Pour tout contact : [email protected] Inauguration officielle le 3 mai Merci à tous les acteurs de ces deux CTA et formulons le vœu que l’enseignement dans ces secteurs se développe par une motivation accrue des élèves. Jean-Louis Volvert 46 CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013 Bulletin de liaison des Etablissements d’Enseignement secondaire Grand angle sur l’enseignement supérieur Développer le métier : le collectif dans l’individuel ? L’EDEF, l’Ecole d’éducation et de formation, réunit quatre commissions de programmes intervenant à l’UCL dans le domaine de la formation et de l’enseignement (FOPA, AGRE, CAPAES, Pédagogie Universitaire). Elle est le lieu où se rencontrent les différents acteurs de l’éducation, que celle-ci soit formelle ou informelle, et qu’elle se réalise au sein du système scolaire ou dans les autres secteurs de la vie sociale (éducation permanente, insertion professionnelle, secteur public, entreprises). Le samedi 19 janvier, dans le cadre des 10 ans du CAPAES (Certificat d’Aptitude Pédagogique délivré par les Hautes Ecoles et les Centres d’Enseignement Supérieur de promotion sociale), l’accompagnement de l’entrée dans les métiers de l’éducation et de la formation a fait l’objet d’une journée de travail et d’étude organisée par l’EDEF. Trois séances thématiques ont proposé de sensibiliser les responsables de notre système éducatif à l’enjeu de la réussite de l’insertion professionnelle des enseignants novices : la mobilité sociale et professionnelle des enseignants, des dispositifs innovants pour accompagner la construction de leur identité. C’est la conférence inaugurale qui a retenu mon attention. Cette conférence a été introduite par Ghislain Carlier, en sa qualité de responsable académique. Yves Clot est titulaire d’une chaire en psychologie du travail à CNAM (Conservatoire National des Arts et Métiers) à Paris. Dans son essai intitulé « Le travail à cœur. Pour en finir avec les risques psychosociaux. Collection cahiers Libres, mai 2010 », il assemble les données qui permettent de se rendre compte que la négation des conflits autour de la qualité du travail au sein de l’entreprise menace le collectif et empoisonne la vie des organisations. Le plaisir du « travail bien fait » ne serait-il pas la meilleure prévention contre le stress ? Y aurait-il un bien-être sans « bien faire » ? En France, on a beaucoup parlé des suicides en série sur les lieux de travail, de l’explosion des pathologies professionnelles à la suite des pressions managériales liées à la rentabilité. Y aurait-il un lien avec le monde de l’enseignement ? Yves Clot se demande en préambule ce qu’est l’activité du travail à l’heure où efficacité et santé sont reliées. Dans l’enseignement, l’activité a un objet : l’activité de l’élève. Et il y a l’activité d’autrui portant sur cet objet. Un conflit entre les deux types d’activité est possible. Ne pas se préoccuper de cela est dangereux pour la santé. L’activité n’est pas la simple réalisation de la tâche. L’activité, c’est « comment je vais faire la tâche ». La tâche n’anticipe pas l’activité qui part à la conquête de celle-ci. Quand on vit dans un milieu professionnel, on s’adapte à son milieu, on ne recrée pas les normes, mais on peut recréer son milieu par son activité. Selon Yves Clot, on est en bonne santé : 47 CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013 lorsque l’on peut porter la responsabilité de ses actes - lorsque l’on peut porter les choses à l’existence (en dehors de soi) - lorsque l’on peut créer entre les choses des rapports qui ne leur viendraient pas « sans moi » Ce qui est capital pour la santé (dans l’enseignement comme ailleurs), c’est donc d’être à l’origine des choses. Lorsque l’on n’est plus qu’un effet de l’organisation, on devient passif. Or, on est de plus en plus placé dans des situations où on ce qu’on voudrait faire est impossible. On multiplie ces situations impossibles et on ne fait plus un travail qui est reconnu par autrui. On peut être hyperactif sans effectivement être actif. Paradoxalement, on peut être dans des activités « rentrées » : par exemple « aujourd’hui, je n’ai encore rien fait ». On a le sentiment que l’on a rien fait de ce qui est vital, que la qualité de son travail s’en ressent. La bonne fatigue (celle des efforts qui conduisent au but) devient de plus en plus rare. Selon Yves Clot, si on n’a plus envie de parler de son travail le soir à la maison, autour du repas de famille, méfiance, danger !!!! La fatigue qu’on ressent le plus est celle de tout ce qu’on ne fait pas, des activités non réalisées qui, en quelque sorte, nous « poursuivent » après le travail. D’où obsessions, ruminations « professionnelles » qui empêchent de dormir. La machine humaine est détraquée. - Pour Yves Clot, il faut distinguer entre le réel et le réalisé. L’activité contrariée n’est pas forcément une catastrophe. Le négatif n’est pas une catastrophe. Ce qui est difficile, c’est le travail sur le développement de l’activité. Ce conflit de l’activité est une source de création. On est trop souvent dans les entreprises (dans l’enseignement aussi) dans des Bulletin de liaison des Etablissements d’Enseignement secondaire questions de procédure, mais celles-ci ne sont pas la source de l’activité. Je vous laisse faire le travail de transposition dans votre activité d’enseignant ancien ou novice. C’est grave, docteur ? Les enseignants sont-ils tous malades ? Comment supportent-ils le stress ? Comment les novices et les anciens vont-ils s’adapter aux exigences sociétales et à celles, corollaires, des institutions qui fixent la norme ? Que fait-on dans nos écoles pour que les enseignants soient en bonne ou en meilleure santé ? Faut-il engager un psychologue du travail dans chacune de nos écoles ? Cela nous ramène à la question du bien-être au travail. Il n’y a pas que celui des élèves, mais aussi celui des directions et des enseignants/ éducateurs. Je pense qu’il est bon de se préoccuper en école de garder la main sur ce qui fait que des directions et des enseignants peuvent encore être en bonne santé. Ceci à l’heure où la retraite s’éloigne. Comment les directions d’école et les enseignants peuvent – ils garder une marge de manœuvre et influer sur les trois conditions de la bonne santé des travailleurs évoquées par Georges Candillet ? Comment faire en sorte que chacun puisse porter la responsabilité de ses actes ? Comment veiller à ce que chacun puisse porter des choses à l’existence et créer des liens entre les choses ? Comment accumuler de la bonne fatigue ? Un beau travail à faire collectivement. En Conseil de Prévention et de Protection du Travail ou lors d’une journée pédagogique. Si on ne se préoccupe pas de cela, on risque de se détruire. Vivre en communauté éducative passe par ce souci de la santé de l’autre. Sans communauté éducative en bonne santé, pas d’éducation et d’instruction possible … Jean-Louis Volvert 48 CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013 Bulletin de liaison des Etablissements d’Enseignement secondaire Plaisir de lire Ghislain Carlier, « Plaisir d’enseigner : la quête du Graal ? » Dans « Le plaisir », coordonné par Guy Haye, Edit. EP&S, Paris, 2011 Sans nier que le métier d’enseignant soit difficile, pénible parfois, Ghislain Carlier, chargé de former des étudiants en éducation physique à l’UCL, cherche à y réhabiliter la notion de plaisir. Il constate que ce dernier est bien présent chez les futurs profs dans la représentation qu’ils se font de leur métier. Parmi leurs attentes : l’envie de communiquer leur passion, d’apprendre aux élèves à apprendre, de réussir sur le terrain. Pour les préparer au métier, il les amène très vite à verbaliser des expériences positives, déjà engrangées lors de la pratique de leur discipline, une façon de se constituer une réserve dans laquelle puiser plus tard. Puis la mise en situation se fera par paliers successifs : les novices seront d’abord chargés d’enseigner à leurs pairs, ils devront s’adapter à ce public spécifique et déjà maîtriser leur stress : le débat qui suivra l’exercice sera riche d’enseignements … Des peurs vont disparaître. Plus tard, après les premiers cours donnés en école, ils seront amenés à s’interroger : « Quels sont les élèves qui m’ont donné du plaisir à enseigner ? » Ils retiendront, beaucoup plus que des aptitudes, des attitudes, des comportements … Petit à petit, ils vont ainsi découvrir des sources de plaisir qu’ils chercheront à amplifier. Ainsi, ce dernier peut survenir accidentellement ou être prémédité : un stagiaire, par exemple, avait créé la surprise chez ses élèves, car ils connaissaient leur prénom dès le premier cours ; il les avait mémorisés en lien avec la photo de chacun … En fait, chaque futur enseignant est appelé à trouver ses propres leviers pour trouver du plaisir dans le métier. Et, nous sommes dans une dynamique d’échanges donner/recevoir. Ainsi, les professeurs plus chevronnés qui serviront de parrains auront aussi du plaisir à mesurer le chemin parcouru par le stagiaire, à l’aider à résoudre des difficultés qu’ils ont eux-mêmes connues, à découvrir d’autres manières de faire … Ce plaisir participe à la création d’une identité professionnelle sans cesse en évolution. Et la formation continue la renforcera. Si des plaisirs sont générés par l’activité ellemême, d’autres facteurs peuvent y contribuer : se sentir valorisé, exercer son métier dans de bonnes conditions matérielles, obtenir une juste rémunération. Sans compter les plaisirs rencontrés dans le travail en équipe, dans la gestion de projets interdisciplinaires, mais également dans le partage de moments d’émotions, de complicité, lors d’activités parascolaires ... Quant à l’élève, son plaisir est directement lié à la motivation et il rejaillit sur l’enseignant, satisfait d’avoir provoqué des effets de surprises, d’avoir trouvé des situations découvertes inédites … Ghislain Carlier termine en proposant une typologie des enseignants liée au plaisir (p. 114116). Vous en trouverez ci-dessous quelques éléments. Les enseignants qui partagent du plaisir avec leurs élèves sont … • Ceux qui, dans un monde en perpétuelle mutation, reconnaissent que les adolescents ne sont pas seuls à changer • Ceux qui repèrent les aspects positifs des transformations de valeurs individuelles et collectives chez leurs élèves : ils s’y intéressent, voire s’y initient • Ceux qui sont curieux d’actualiser leur culture • Ceux qui restent en bonne amitié avec l’école • Ceux qui caractérisent avec finesse les types d’élèves et les individus … • Ceux qui responsabilisent leurs élèves en leur confiant des rôles judicieux • Ceux qui se sentent gratifiés par les retours positifs des élèves et l’expriment • Ceux qui construisent leur dialectique en l’ancrant sur les besoins diversifiés des élèves • Ceux qui considèrent que les motivations des élèves ne sont pas déterminées une fois pour toutes. Dès lors, ils s’ingénient à en susciter de nouvelles • Ceux qui captent les sourires, les expressions de joie, d’enthousiasme et de bonne humeur de leurs élèves. Ils les renforcent positivement durant la pratique et lors des évaluations • Ceux qui initient ou participent à des projets interdisciplinaires … • Ceux qui, dans la salle des professeurs, tiennent un rôle positif au sein du « corps enseignant » … 49 CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013 Bulletin de liaison des Etablissements d’Enseignement secondaire Le dialogue à la portée de tous … (ou presque) Ce 23 janvier, le centre Interface de l’Université de Namur a organisé une conférence donnée par Dennis Gira, spécialiste du dialogue interreligieux et du bouddhisme. Myriam Gesché, responsable du secteur religion, a accepté que Contacts publie son excellente synthèse du livre de ce dernier « Le dialogue à la portée de tous … (ou presque) », Editions Bayard, 2012. Un livre intéressant dans la mesure où il propose cinq règles d’or pour « entrer en dialogue ». Vous pouvez aussi écouter une interview de l’auteur par le Service d’Etudes du SeGEC sur le site d’Entrées Libres. Pratiquer le dialogue œcuménique, interreligieux et interconvictionnel Cet outil est directement inspiré de l’excellent livre de GIRA, Dennis, Le dialogue à la portée de tous … (ou presque), Editions Bayard, 2012. Il présente des clés pour la pratique du dialogue. Elles peuvent s’appliquer tout autant au dialogue interreligieux, interculturel, que philosophique ou interpersonnel. Ce n’est pas un livre comme il en existe beaucoup sur les grandes questions relatives aux dialogues interreligieux, sur les pièges à éviter et les fruits à espérer. C’est un livre sur l’art du dialogue. A partir de son expérience personnelle, de façon fine et avec beaucoup de justesse, l’auteur a trouvé les mots qui éclairent nos expériences et nos savoirs intuitifs. Cet ouvrage peut nous aider à perfectionner cet art dans la vie et dans la pratique pédagogique. Quelques préliminaires : Entrer en dialogue, c’est être convaincu que les croyants des autres traditions ont quelque chose d’important à dire sur le mystère qui fait vivre tous les êtres humains. C’est être capable de montrer que la tradition chrétienne invite à cette ouverture et à ce dialogue qui ne cherche pas à réduire l’autre à soi. Sinon, il vaut mieux se taire. La capacité de vivre le dialogue dépend directement de la manière d’être, de la façon de penser, de l’idée que l’on se fait de la vérité, de l’importance que l’on accorde à l’expérience de l’autre. « Un chrétien est appelé à aller toujours plus loin avec confiance, dans sa quête de la vérité, avec la certitude qu’écouter vraiment les autres fait partie du processus permettant de progresser sur ce chemin de devenir pleinement soi-même. » disait un professeur qui a marqué Gira. Le dialogue suppose une ascèse qui consiste à choisir perpétuellement l’essentiel. Cette discipline donne la souplesse et la liberté qui font du dialogue une source de joie et d’espérance. Le sens du mot « dialogue ». Il ne peut se réduire, ni à une négociation, ni à un débat, ni à une conversation, ni à une rencontre, ni à la tolérance. Le vrai dialogue, selon Gira qui reprend J.-Cl. Basset : « Echange de paroles et (une) écoute réciproque engageant deux ou plusieurs personnes, à la fois différentes et égales. » 50 CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013 Bulletin de liaison des Etablissements d’Enseignement secondaire Cinq « règles d’or » pour le dialogue Règles Explicitation 1. Ne pas chercher chez les autres ce qui est important pour nous Ne pas filtrer tout ce que les autres disent à travers le tamis de nos manières de percevoir le monde. Ne pas chercher ce que nous avons de commun et qui nous rassure. Nous laisser dépayser, prendre le temps de situer les propos de l’autre à l’intérieur de leur cohérence propre qui leur donne sens. Chaque tradition a généré son langage propre. Les mots d’une langue n’ont pas toujours d’équivalent dans une autre. La prudence est nécessaire et il faut parfois prendre le temps de consulter des spécialistes pour comprendre le sens de certains mots. La prudence est nécessaire même dans une même langue pour éviter les malentendus. C’est ce qui donne sens et direction à une trajectoire spirituelle, ce qui donne sa cohérence interne à ce parcours. Si le principe organisateur n’est pas clarifié, on verse dans le syncrétisme. Si l’on fige le principe organisateur en refusant de s’ouvrir à ce qui est autre, on verse dans la crispation identitaire fermée. C’est découvrir presque de l’intérieur l’essentiel de ce qui fait vivre notre interlocuteur et non pas se fixer sur les idées reçues souvent négatives ou les sous-produits de sa tradition, ce qui met l’interlocuteur sur la défensive et empêche le dialogue. Premier piège : éviter le dialogue avec ceux qui sont radicalement différents de nous et qu’on imagine donc diamétralement opposés. Il reste alors 3 options : les tolérer, les exclure ou les corriger. Deuxième piège : Nier ou éviter de parler des différences radicales. Alors, le dialogue n’a plus de sens, il ne laisse plus la place aux véritables interrogations. Deux choses peuvent sembler radicalement différentes vues sous un angle et beaucoup moins sous un autre angle qui permet de voir qu’elles ne sont pas diamétralement opposées. 2. Reconnaître les limites des mots 3. Avoir un principe organisateur 4. Juger la tradition de l’autre par ses sommets 5. Deux choses peuvent être radicalement différentes sans être diamétralement opposées Illustrations en positif ou en négatif Ne pas chercher une grande table haute dans une maison traditionnelle japonaise. Ne pas dire que le dalaï-lama est le pape des bouddhistes. Ne pas chercher dans le bouddhisme une notion équivalente à l’idée chrétienne de Dieu. Utiliser le mot réincarnation pour traduire le mot samsara. Ainsi, le zazen peut être une pratique qui peut aider le chrétien à approfondir sa foi. Il ne s’agit plus alors d’une pratique que l’on puisse qualifier de « bouddhique » si le principe organisateur est le christianisme. Ne pas juger une religion à partir de ses dérives intégristes. Ne pas oublier ces dérives, mais ne pas laisser le dialogue s’encombrer de cela dans un premier temps. Les juger du point de vue du sommet. L’enseignement bouddhique du non-soi et la vision chrétienne de la personne. Le mot « soi » ne correspond pas au mot « personne ». Elles sont radicalement différentes mais ont toutes deux quelque chose à voir avec la libération par rapport à un égocentrisme qui enferme dans ses passions. Cinq « ennemis » du dialogue Ennemis Explicitation 1. Le silence Le refus ou la réticence à dire le fond de sa pensée, à parler vrai. Il est à distinguer du souci légitime de dire ce qui est important au moment propice et sans blesser. Illustrations en positif ou en négatif Dans un échange entre bouddhistes et chrétiens, un bouddhiste exprime son exaspération à force d’entendre des chrétiens dire combien le 51 CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013 Bulletin de liaison des Etablissements d’Enseignement secondaire Le silence, quand il permet d’éviter la rupture totale est cependant parfois un ami de la rencontre. 2. La peur 3. La savoir La peur d’être incapable de contribuer au dialogue par incompétence, ou peur de se perdre ou d’être infidèle à ses convictions. Cette peur entraine l’immobilisme et peut conduire à une crispation identitaire intégriste. Pour la dépasser, il est nécessaire de connaître un minimum la cohérence interne de sa tradition et de celle de son interlocuteur sans toutefois penser qu’il faille être un spécialiste. Dire « je sais de quoi je parle » à propos de la foi ou des idées de celui (ou ceux) qui pense(nt) ou croi(en)t autrement que soi met son (ses) interlocuteur(s) dans une situation insupportable. Cela enferme les interlocuteurs. Le dialogue est alors devenu impossible. Le savoir que l’on a de sa propre tradition est aussi relatif, c’est pourquoi il y a un danger à vouloir parler au nom de sa tradition en supposant en avoir une connaissance complète. « Il ne faut jamais oublier en effet que connaître une tradition de l’extérieur est une chose, et qu’en faire l’expérience de l’intérieur en est une autre. Or, dans le dialogue, c’est la connaissance intérieure qui prime. … Il est donc bon que chacun soit très conscient du lieu où il parle, et qu’il le dise de manière très claire dès le début du dialogue. » D. Gira 4. L’orgueil Vouloir montrer la supériorité de notre point de vue, de notre tradition. L’estime excessive de sa propre valeur s’allie souvent avec le mépris des autres. L’orgueil conduit au prosélytisme, alors que le désir de partager une expérience très positive avec d’autres, s’il va de pair avec le respect absolu de la conscience de chacun, est enraciné dans l’amour. 5. Le mépris Mauvaise opinion que l’on a de quelqu’un. Méfiance à son égard. bouddhisme a pu enrichir leur vie spirituelle, mais en se taisant à propos de ce que le christianisme pouvait apporter pour enrichir la vie spirituelle des bouddhistes. Mille situations où la peur conduit au repli identitaire et où à contrario, la confiance en soi permet l’ouverture sereine au dialogue. Un catholique qui donne l’impression qu’il parle au nom du christianisme risque de colorer la compréhension du christianisme de son interlocuteur par l’analyse que font les catholiques de la foi chrétienne. En progressant, le dialogue permettra d’expliquer la diversité qui existe au sein de sa tradition. Nuance, modestie, capacité d’utiliser des termes « parlants » permettent au dialogue de réussir. Des jeunes issus de mouvements intégristes nourris d’une identité forte fondée sur des certitudes qui affirment « la vérité de la foi chrétienne » ne laissent aucune place au dialogue avec les croyants des autres religions. Là où les uns disent qu’ils « croient », eux disent qu’ils « savent ». Quand on parle sans respect pour l’interlocuteur, quand on perd de vue l’immense mystère qu’est la vérité, quand le discours n’est ni précédé ni accompagné d’une belle écoute. Chaque fois que des personnes parlent de leur interprétation de la vérité comme si c’était la vérité elle-même, et puis l’imposent. Elles blessent et les personnes et la vérité. Quand on s’exclame « comme c’est bizarre ! » et qu’on juge alors que cela n’a plus d’intérêt de poursuivre le dialogue. On reste dans son propre cadre de référence. Dire « comme c’est différent » est beaucoup plus respectueux de l’autre. C’est reconnaître la différence sans juger en fonction de sa propre cohérence interne. 52 CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013 Bulletin de liaison des Etablissements d’Enseignement secondaire Le piège de la présentation à l’universalité (p. 197 à 201) Le mépris nous guette lorsque nous sommes des inconditionnels de valeurs que nous estimons et parfois déclarons universelles. Les Chinois mettent en question l’universalité des droits de l’homme. Les Africains pour qui les liens entre l’individu et sa communauté sont très étroits préfèrent parler des « droits de l’homme et des peuples ». Tant que nous refusons de comprendre pourquoi la moitié de la planète n’adhère pas à des valeurs que nous imaginons universelles, le dialogue sera impossible. Les valeurs dépendent de l’idée que nous nous faisons de l’homme à un moment donné de l’histoire et dans un lieu particulier. Aucune des valeurs que nous pensons universelles ne peut donc l’être réellement, sauf si elle est le fruit d’un dialogue authentique. Cinq « amis » du dialogue Amis 1. Le respect 2. L’amitié Explicitation « Sentiment qui porte à traiter quelqu’un ou quelque chose avec de grands égards, à ne pas porter atteinte à quelque chose. » Larousse des noms communs. La tolérance qui n’est qu’une indifférence respectueuse vis-à-vis des religions n’est pas le respect ami du dialogue. Ce respect implique la conviction que l’autre a quelque chose à nous apprendre et la curiosité pour le découvrir. Sentiment d’affection, de sympathie qu’une personne éprouve pour une autre ; relation qui en résulte. » Larousse des noms communs. 3. L’humilité Une humilité non pas négative (sentiment de notre insuffisance), mais qui met en relief à la fois le potentiel et les limites qui sont inscrites en chacun de nous. 4. La patience La patience permet la persévérance nécessaire pour réussir à dialoguer. Elle est inséparable de l’espérance. Elle s’enracine dans la confiance de principe que nous mettons en chaque être humain, confiance enracinée dans notre foi en la dignité de la personne humaine et son potentiel extraordinaire. La patience et l’espérance nous sauveront. Cette conviction nous permet de garder notre calme. Elle est aussi inséparable de la douceur, de la compassion, de l’amour, de la bienveillance et de la Illustrations Un moine cambodgien rescapé de la terreur khmère rouge et réfugié au Japon est devenu une référence pendant un colloque. Du respect que les participants avaient pour lui est née une très grande admiration aussi bien pour sa manière d’enseigner que sa manière de vivre le bouddhisme. Un dialogue profond a été possible avec lui. C’était tout ce qui l’intéressait lui aussi. Trois chercheurs d’un laboratoire sur le dialogue, après trois ans de travail sur le dialogue comme quête de la vérité, sont devenus amis, ce qui a permis une spirale vertueuse dans la compréhension mutuelle. Elle permet de reconnaître nos erreurs et de nous réajuster, et de laisser une place aux autres. Elle nous empêche de confondre notre connaissance de la vérité et la vérité elle-même. Les plus grands « savants » sont les plus conscients des limites de leur savoir. Choisir de pratiquer la théologie négative en excluant la théologie positive ou l’inverse, c’est s’écarter de l’humilité et du chemin du dialogue. 53 CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013 5. L’écoute Bulletin de liaison des Etablissements d’Enseignement secondaire bonté. Elle passe par la capacité de faire silence. Cela s’apprend. Ce silence doit accompagner l’écoute en permanence. Se mettre à l’écoute de ceux qui n’écoutent pas ou ne veulent pas dialoguer est le signe que les ennemis du dialogue n’ont pas d’emprise sur nous. Il faut le faire avec lucidité, en étant conscient de leur peur de perdre leur identité. L’écoute doit être active, attentive au dit, au non-dit, aux expressions du corps et du visage. « Nos dispositions intérieures sont plus importantes que l’acte de dialoguer. Elles créent une façon de vivre et de se relier aux autres qui devient de plus en plus « dialogale » au fur et à mesure que nous acquérons les bons réflexes. Ainsi, en nous livrant à cette ascèse qui libère et qui va à l’essentiel, pourrons-nous devenir, petit à petit, des êtres de dialogue. » D. Gira Usage de cet outil dans les apprentissages : Ces clés peuvent servir De grille d’analyse d’un dialogue écrit, enregistré, filmé, évoqué (article, récit, dialogue sur le net, émission radio ou TV, film, BD …) pour en comprendre les forces ou les faiblesses, pour en éclairer les échecs ou les réussites. De grille d’analyse d’une chanson, d’un texte littéraire, philosophique, biblique ou de tout autre document, pour discerner s’il promeut le dialogue ou non. De grille d’analyse d’un dialogue qui s’est engagé dans la classe, pour rectifier le tir ou le faire évoluer dans une direction constructive. De balises pour engager un dialogue dans la classe. Des jeux de rôles peuvent venir à point, dans une étape intermédiaire, pour dissocier les personnes des idées qu’elles expriment. … Myriam Gesché 54 Un service à rendre, ensemble, aux jeunes sur un chemin de croissance … Ensemble et par association Un projet à porter, ensemble, en association sur un chemin de solidarité Projet éducatif lasallien Une mission à vivre, ensemble, sur un chemin de fraternité selon l’Evangile