CONTACTS - Association des écoles lasalliennes

Transcription

CONTACTS - Association des écoles lasalliennes
ASSOCIATION DES ECOLES LASALLIENNES
Belgique-België
P.P.- P.B.
5590 CINEY
BC 34347
Frères des Ecoles Chrétiennes Belgique-Sud
Foi – Service – Communauté
N° d’agrément : P000524
CONTACTS
Bulletin de liaison des établissements d’enseignement secondaire
eme
N° 122 2
Trimestre 2013
La transition Secondaire-Supérieur
Saisir l’insaisissable
Imprimé à taxe réduite – Déposé au guichet
Les pédagogies coopératives
Périodique Trimestriel
Editeur responsable : Jean-Louis VOLVERT
Avenue d’Huart 156 – 5590 CINEY
www.association-ecoles-lasalliennes.be
Association des Ecoles
Lasalliennes
Association des Ecoles Lasalliennes
www.association-ecoles-lasalliennes.be
Sommaire « Contacts » 122
Message du Supérieur Général des Frères des Ecoles Chrétiennes
« Nous entrons pour apprendre, nous partons pour servir »
p. 4
Les éditos
N’oublions pas les bons profs
Sur un chemin d’intériorité …
p. 7
p. 9
Pédagogie et pastorale
Réussir dans l’enseignement supérieur, un privilège trop rare
p. 10
C’est arrivé près de chez vous
e-Twinning
Cellules bien-être à l’école
Une journée pédagogique sur l’estime de soi
La poésie s’invite à l’école
Martin Gray à Ciney
p.
p.
p.
p.
p.
14
16
19
21
24
Lasal-liens
Des intuitions fondatrices bien actuelles
Chercher à saisir l’insaisissable
Eveiller à l’intériorité
Assemblée Internationale de la Mission Lasallienne
p.
p.
p.
p.
25
28
31
35
Enseignement catholique
Pratiques d’école et d’équité
Assemblée Générale de l’Association des Ecoles Congréganistes
Les pédagogies coopératives
p. 36
p. 38
p. 40
Tout le monde en parle
Les centres de technologies avancées
p. 44
Grand angle sur l’enseignement supérieur
Développer le métier : le collectif dans l’individuel ?
p. 47
Plaisir de lire
Plaisir d’enseigner : la quête du Graal
Le dialogue à la portée de tous ou presque
CONTACTS n° 121 – 1er trimestre 2013
p. 49
p. 50
Bulletin de liaison des Etablissements
d’Enseignement secondaire
CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013
Bulletin de liaison des Etablissements
d’Enseignement secondaire
Message du Supérieur Général
des Frères des Ecoles Chrétiennes
NOUS ENTRONS POUR APPRENDRE, NOUS PARTONS POUR SERVIR.
C’est avec un grand plaisir que j’ai accepté
l’invitation de M. Jean-Louis Volvert d’adresser
quelques paroles à tous les membres de nos
communautés éducatives lasalliennes du
District de Belgique-Sud que j’ai eu la
possibilité de visiter les premiers jours du mois
de novembre dernier, mais qu’en raison des
vacances scolaires je n’ai pas pu rencontrer
personnellement.
Avant tout, je veux leur manifester ma
profonde reconnaissance pour tout ce qu’ils
font en faveur des enfants et des jeunes à
travers le ministère de l’éducation chrétienne.
Et en deuxième lieu, je leur envoie quelques
réflexions que j’ai eu le temps de laisser mûrir
en moi ces dernières années pendant
lesquelles j’ai eu la chance de connaître la
mission lasallienne en plus de 80 pays de tous
les continents.
Quand nos élèves entrent dans une école
lasallienne, c’est certes pour apprendre. Il
semble inutile de le dire. La question inévitable
qui se pose cependant reste : « pour apprendre
quoi ? ». La réponse est : pour servir. Comme le
disait si bien, il y a pas mal d’années, le Père
Arrupe, ancien Supérieur Général des Jésuites,
une institution catholique d’éducation ne peut
pas avoir d’autre but. « Aujourd’hui, notre
objectif principal dans l’éducation, disait-il, doit
être de former des hommes et des femmes pour
les autres … des gens qui ne pourront pas
concevoir l’amour de Dieu sans y inclure
l’amour pour le plus petit de leurs semblables ;
des hommes et des femmes entièrement
convaincus qu’un amour pour Dieu qui ne se
traduit pas en justice pour les autres est une
comédie. Ce type d’éducation va directement à
contre-courant de la tendance éducative qui
prévaut dans le monde entier ». (Pedro Arrupe
SJ)
Aujourd’hui dans beaucoup de pays,
l’éducation en général connaît une crise
profonde. Un peu partout, des phénomènes
inquiétants de violence juvénile se produisent
au sein de nombreux établissements scolaires.
Se préoccuper uniquement de l’enseignement
4
CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013
Bulletin de liaison des Etablissements
d’Enseignement secondaire
de l’informatique et de l’anglais est
certainement nécessaire mais reste nettement
insuffisant. En tant qu’écoles lasalliennes, nous
ne pouvons pas tomber dans le piège qui
consisterait à n’orienter l’éducation que sur
des critères de marché. Nos critères éducatifs
doivent, avant tout, être fondés sur l’Évangile
et ses valeurs comme l’amour, le don de soi, le
pardon, la fraternité et le service.
Le processus éducatif lasallien doit
favoriser la participation et la démocratie.
Dès ses débuts, le Fondateur, dans La
Conduite des Écoles, a encouragé une
éducation active par la répartition des
rôles et des responsabilités. Il s’agit
d’éduquer en privilégiant davantage la
communication horizontale que la
contrainte et le paternalisme.
Nous pourrions synthétiser le service rendu par
une école lasallienne en citant quelques unes
des lignes de force de ses processus éducatifs.
Aujourd’hui, on parle beaucoup, un peu
partout, du caractère propre d’une école
lasallienne, c’est-à-dire de ce qui la distingue
des autres. Voici ce que je pense :
Le processus éducatif lasallien se
développe dans la créativité, en mettant
moins l’accent sur la répétition et en se
souvenant que le plus important est que
l’élève arrive à donner une réponse
personnelle et originale.
Le processus éducatif lasallien est centré
sur la personne de chaque élève afin que
chacun soit traité en accord avec son être
individuel, unique et irremplaçable et que
l’attention se porte intégralement et
personnellement sur chacun des jeunes.
Le processus éducatif lasallien est enraciné
dans la réalité en vue de répondre aux
caractéristiques,
aux besoins,
aux
aspirations et aux valeurs culturelles de
chaque peuple. Mais il ne s’agit pas
seulement de reconnaître une réalité, il
s’agit aussi de lui apporter les instruments
qui la transforment et l’ouvrent au
dialogue interculturel.
Le processus éducatif lasallien valorise
profondément la qualité des relations et
favorise le travail en commun et celui des
diverses communautés : communauté
éducative, communauté de foi … La
fraternité est une de ses notes spécifiques.
Chaque lasallien doit se sentir frère ou
sœur sans frontières au cœur toujours
ouvert.
Le processus éducatif lasallien est
caractérisé par le sérieux de l’enseignement comme le dit l’un des documents les
plus importants de notre congré-gation.
« Il importe tout d’abord que, quels que
soient leur nature et leur ni-veau, les
écoles des Frères se caractérisent par la
qualité et le sérieux de la formation, dans
un souci d’hon-nêteté professionnelle et de
service des jeunes et de la cité ».
(Déclaration 45, 2)
Le processus éducatif lasallien forme pour
la vie et en vue d’un travail socialement
productif. Le pragmatisme a été dès le
début une de ses caractéristiques puisqu’il
s’agissait de répondre aux besoins
concrets des jeunes. Il est fondamental
aujourd’hui d’aider à intégrer travail
intellectuel et travail manuel, théorie et
pratique ; d’éduquer pour la vie afin de
donner à chacun les outils qui lui
permettront d’être un agent du
développement
personnel
et
communautaire et de promotion sociale.
Le processus éducatif lasallien forme à
l’engagement en faveur de l’écologie et de
5
CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013
Bulletin de liaison des Etablissements
d’Enseignement secondaire
la défense de l’environnement par la prise
de conscience que la terre est le seul
moyen pour l’homme de se réaliser,
d’aimer son prochain, de rencontrer Dieu
et que notre commune responsabilité est
de laisser un monde habitable à ceux qui
viendront après nous.
que les élèves vivent leur foi de manière
authentique dans la pratique de la charité,
qu’ils se préparent à créer des relations
plus justes entre les peuples, qu’ils
s’engagent dans l’action en faveur de la
justice et de la paix et qu’ils s’intéressent à
la globalisation de la solidarité.
Le processus éducatif lasallien fait
clairement le choix du service éducatif des
pauvres en veillant à ce que nos
établissements
leur
soient
accessibles et qu’ils s’y trouvent à
l’aise. Je pense ici au système de
bourses mis en place par
plusieurs de nos unions d’anciens
élèves qui rendent possible
l’accès à l’école d’un nombre
significatif de jeunes dans le
besoin.
La mission lasallienne nous invite aujourd’hui à
servir les enfants, en défendant leurs droits ;
les jeunes, en les aidant à trouver
un sens à leur vie ; les pauvres et
les exclus, en soutenant leur
participation active aux profits de la
mondialisation ; le monde, en
créant des liens de fraternité ; la
paix, en devenant des artisans de
paix dans un monde divisé ; l’unité
de la famille humaine, par
l’œcuménisme et le dialogue
interreligieux.
Ces
appels
constituent toujours, me semble-t-il, un défi
pour tous les membres de la Famille
Lasallienne. Je pense que c’est ce que laisse
entendre également le thème de beaucoup de
nos écoles à travers le monde : « Nous entrons
pour apprendre, nous partons pour servir ».
Le processus éducatif lasallien favorise la
croissance de la foi par la catéchèse
explicite, les groupes de vie chrétienne, et
dans le cas d’élèves appartenant à
d’autres religions, par le dialogue
œcuménique et interreligieux. Dans les
deux cas, l’éducation lasallienne vise à ce
Frère Álvaro Rodríguez Echeverría
Supérieur Général
6
CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013
Bulletin de liaison des Etablissements
d’Enseignement secondaire
N’oublions pas les bons profs
Madame, vous êtes une prof de merde !
Quand enseigner devient un enfer. Avezvous entendu parler de ce livre au titre tonitruant ? Un bestseller, qui plus est ! Et
de Tombeau pour le collège de Mara
Goyet ? Des livres comme il en existe
beaucoup et qui décrivent un métier devenu impossible.
Il ne serait pas raisonnable de nier les difficultés du métier de prof aujourd’hui,
mais ce climat de pessimisme ambiant ne
me parait pas refléter la réalité. En allant
à la rencontre des enseignants des écoles
lasalliennes et en écoutant les accompagnateurs de proximité décrire la passion
du métier de beaucoup d’enseignants, je
me suis mis à rêver d’une ode aux enseignants. Ceux-ci ne sont-ils pas des héros
oubliés ? Ne peut-on donc plus s’épanouir,
trouver du bonheur à l’école, même dans
un contexte difficile ?
On décrit parfois la « bonne école » mais
je pense qu’on devrait consacrer une
réflexion aux « bons profs » sans tomber
évidemment dans le manichéisme ou
l’idéalisation.
Le bon prof, n’est-ce pas d’abord celui qui
marque positivement ? Combien d’entre
nous ont un souvenir marquant de
quelqu’un qui a influencé un choix
d’études, qui a donné confiance en soi, qui
a donné un témoignage positif ?
En interrogeant des personnes connues,
Nicolas Mascret, ancien enseignant dans
des établissements difficiles de la banlieue
de Marseille et actuellement maître de
conférences à l’IUFM (Aix-Marseille Université), livre dans son dernier livre1 un
hommage appuyé aux profs.
« Il était passionné », « il expliquait
bien », « il était humain », « il avait de
l’autorité », « il avait de l’humour », « il
faisait des projets », « il prenait des
risques », « il avait le souci de tous », « il
était exigeant », « il était à l’écoute », « il
m’a donné envie d’être prof », « il m’a
permis de trouver ma voie », « il m’a fait
grandir », « il nous emportait », « il se
remettait en cause ». Quoi donc ? Les
bons
profs
n’existeraient
plus
aujourd’hui ? Pourquoi cet imparfait ?
Dans son livre, Nicolas Mascret livre le
témoignage de personnes aussi variées
que Marcel Ruffo, Jean-Jacques Goldman,
Patrick Poivre d’Arvor, Boris Cyrulnik ou
Philippe Meirieu. Ils ont tous en tête des
personnes qui ont éveillé en eux le désir
de s’élever, de se révéler à soi-même et
les ont marqués pour la vie. Pour J.-J.
Goldman, un bon prof n’est pas « forcément gentil », il est « juste, droit et disponible ».
Pour
Jean-François
Kahn,
chaque prof, en fonction de ce qu’il est, de
sa personnalité, de son talent, de ses qualités, doit inventer sa façon d’être un bon
prof ». Pour Boris Cyrulnik, le bon prof est
un éducateur plus qu’un instructeur, c’est
celui qui déclenche une émotion, qui parle
banalement, qui bavarde avec l’enfant, qui
déclenche des émotions relationnelles
chez l’enfant, le motive et peut- à ce moment-là, transmettre des connaissances.
Pour pas mal de chercheurs en éducation,
l’effet maître existe. Il est parfois plus fort
que l’effet école. Ce n’est pas vrai que les
bons profs ne se trouvent que dans les
bonnes écoles. L’école ne peut espérer
combler toutes les inégalités sociales
mais, dans toutes les écoles, le bon prof
cherche à faire de chaque élève un apprenant. Il l’incite à s’investir en profondeur
et à mobiliser son énergie dans la durée.
La décision appartient en dernier recours à
l’élève, mais le bon prof a une influence
bénéfique.
Le « bon prof » fait écho aux questions de
motivation. Pour Mascret, il est celui qui
n’impose pas un apprentissage, qui
encourage à l’autonomie sans être
permissif, qui veille à développer l’estime
de soi. Quand un élève est persuadé qu’il
7
CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013
va rater, il ne s’investira pas et trouvera
des stratégies pour protéger le peu
d’estime qu’il a de lui-même. Il est important de débuter tout apprentissage par
une expérience réussie, car la réussite appelle la réussite. Elle servira de tremplin à
des apprentissages plus complexes, seuls
d’ailleurs à même d’apporter une réelle
satisfaction à l’élève : celle d’avoir surmonté des obstacles.
Il n’y a pas de définition scientifique du
« bon prof », mais chacun n’est-il pas un
bon prof à sa manière ? Pour Mascret, le
bon prof est un enseignant brillant et qui a
les yeux qui brillent. Il maîtrise sa matière, réactualise ses connaissances et les
organise de façon à se mettre à la portée
de ses élèves, en considérant chacun
comme un être singulier. Confiant en
l’éducabilité de tout jeune, il aime son
métier, sans pour autant être parfait. Il
connait aussi, à certains moments, des revers, mais il ne se décourage pas. Car les
Bulletin de liaison des Etablissements
d’Enseignement secondaire
bons profs laissent, chacun à sa manière,
des traces indélébiles dans la mémoire de
certains de leurs élèves … une raison suffisante, quand on parle de l’école, de ne
pas les oublier.
Comme l’affirme aussi Sylvain Connac au
sujet des pratiques coopératives en classe
(voir autre article dans ce numéro de
Contacts), la pédagogie nait des jeunes en
marge auxquels il faut s’adapter. Le bon
prof est pour moi celui qui fait changer les
choses ici et maintenant. Il aide l’élève à
cheminer vers une quête universelle du
bonheur axé sur l’estime de soi.
En ce troisième trimestre, je souhaite que
chaque prof soit « un bon prof » et que
chacun l’aide à l’être. Le prof aussi a
besoin d’une bonne estime de soi. Qu’on
lui laisse une marge de manœuvre
suffisante pour l’être !
N’oublions pas les bons profs …
JL Volvert
1
Nicolas Mascret, N’oublions pas les bons profs, Anne Carrière, 2012
8
CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013
Bulletin de liaison des Etablissements
d’Enseignement secondaire
Sur un chemin d'intériorité ...
D'où venons-nous ? Où allons-nous ?
Deux questions cruciales, inextricablement
liées à notre condition d'homme ...
Deux questions qui s'inscrivent dans un
contexte interpellant, plein de doutes et
de questionnements : comment trouver
un enchantement à vivre dans une société
qui continue à pousser à la surconsommation, une société qui presse et
stresse les individus, souvent contraints à
un activisme forcené par souci de la
performance, une société qui exclut ceux
qui n'y arrivent pas ou plus.
Et quelle est aujourd'hui la mission de
l'école catholique et de nos écoles
lasalliennes, plus particulièrement ? Nous
voici dans une situation paradoxale. Les
écoles libres connaissent un succès
grandissant, mais s'interrogent : comment
y faire vivre l'Evangile face à la multiplicité
des convictions, face à des commandes
parentales peu soucieuses de l'intérêt
collectif, face à des élèves parfois
démotivés qui ne comprennent plus ce
qu'ils font là ?
La question du sens nous traverse avec
acuité.
Elle a été au cœur des débats du dernier
Congrès de l'Enseignement Catholique et
des deux journées vécues en novembre
lors du Conseil de la Mission éducative
lasallienne ... Car elle est aussi au cœur
de la vision de l'homme que, sur les traces
du Christ, nous cherchons à promouvoir :
un homme debout, relié, dans le même
mouvement, à ses semblables et à la
transcendance ...
Notre siècle en crise est, en fait, riche
d'espérance : il nous invite à redécouvrir
l'audace de notre fondateur et à
réactualiser sans cesse notre projet
éducatif, en partant des besoins de ces
jeunes qui nous sont confiés, pour
articuler de façon originale le pédagogique,
l'éducatif et la spiritualité.
Deux moments forts en ce début d'année
2013 ont enraciné cette conviction dans
un terreau fertile : une journée de
ressourcement à Grand-Bigard chez nos
amis lasalliens flamands et une passée
avec des représentants de différentes
écoles congréganistes. Deux moments
forts dont vous trouverez des échos dans
ce numéro et qui augurent un beau retour
de printemps.
C'est dans notre vécu au quotidien dans
nos classes, c'est dans l'esprit que nous
insufflons dans notre école, dans le
sentiment
d'appartenance
que
nous
faisons naître, dans l'ancrage que nous
donnons aux jeunes et aux adultes qui
l'habitent, que se vit l'intériorité ... loin
des images d'Epinal.
Laissons ainsi cheminer en nous cette
phrase du peintre français Arcabas :
« Pour moi, le sacré est partout présent
dans la mesure où tout est l'œuvre du
créateur »
Anne Oger
Conseillère en pastorale
9
CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013
Bulletin de liaison des Etablissements
d’Enseignement secondaire
Pédagogie et pastorale
« Réussir dans l'enseignement supérieur, un privilège trop rare? »
Un article du journal « Le Soir » titrait récemment : « Ça flingue en 1ère Bac ». Un titrechoc ! Tout semble indiquer que, malgré toutes les initiatives louables prises dans
l'enseignement secondaire (par exemple pour aider à l'orientation), la transition entre
l'enseignement secondaire et supérieur reste problématique. D'où l'intérêt d'en faire la
thématique centrale de notre trimestrielle du 20 février 2013.
C'est Ghislain
Carlier,
responsable de
l'agrégation en
éducation
physique et
président de la
commission des
programmes
d'agrégation de
l'UCL, qui est
venu nous
apporter son
éclairage sur la
question :
confronté aux
réalités changeantes de
l’enseignement
supérieur, il a
toujours
cherché à
garder un
regard avisé sur
la réussite des étudiants.
Sa popularité dépasse d’ailleurs largement
le milieu louvaniste où il travaille depuis
de longues années (il est, par exemple,
aussi vice-président du CECAFOC). Son
exposé
s'inspire
largement
d'une
recherche effectuée sous la direction de
Philippe Parmentier1, mais aussi de ses
expériences personnelles et de ses
convictions.
L'accès à l'université : des données
objectives
Le taux de réussite des primo-inscrits
dans une université francophone reste
bas : en 2009-2010, il était de 37,4 %, un
taux assez proche de celui obtenu dans les
hautes écoles. Et les filles s'en tirent
mieux que les garçons. Il n'empêche que
de nombreuses inégalités subsistent,
inégalités liées tant au parcours scolaire,
qu'au milieu social d'origine. Certes,
l'université s'est démocratisée, mais si
99 % des élèves de l'enseignement
général y accèdent, ils ne représentent
plus, pour l'enseignement professionnel,
que 13 %.
Vous l'aurez compris, la réussite à
l'université ne dépend pas seulement du
jeune
lui-même :
le
niveau
socioéconomique, les filières d'études, mais
aussi le soin apporté au choix de
l'orientation jouent un rôle déterminant
avant même son entrée. Sur quoi, alors,
a-t-il prise durant le cursus ? La présence
régulière au cours, le recours à tous les
moyens offerts en matière d'apprentissage, la capacité à s'autoréguler,
l'estime de soi acquise par l'accumulation
de petites réussites et la volonté de
s'accrocher sont de grands atouts.
« Bologne »: une première évaluation
Pour rappel, il est aujourd'hui permis en
1ère Bac de passer trois fois les examens
de la session de janvier, le report des
notes de 10 et 11/20 est possible d'une
session
à
l'autre,
l'étudiant
peut
également accéder à l'année supérieure en
n'ayant réussi que 48 crédits sur 60, mais
il devra alors assumer 72 crédits cette
année-là, un cadeau empoisonné selon G.
Carlier ... Bon à savoir : les syllabus sont
gratuits pour les boursiers, s'ils les
demandent.
L'obligation
d'établir
un
cahier
des
10
CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013
charges, de donner en début d'année un
plan du cours, de préciser les modalités
d'examen, mais aussi de lister les acquis
d'apprentissage (ce que l'étudiant doit
posséder et qui est objectivable) tendent à
limiter l'arbitraire. C'est une grande
avancée ... à condition que l'équipe
pédagogique agisse en réelle coordination.
Des nouveaux programmes ont aussi vu le
jour depuis 10 ans et les filières classiques
se sont démultipliées, afin de mieux
rencontrer les motivations des étudiants.
Les professeurs d'université face à
leurs étudiants
Certains redoutent de devoir donner cours
en 1ère Bac devant des auditoires
surchargés; de plus, l'investissement leur
paraît peu rentable, puisque quasi 2
étudiants sur 3 ne seront plus là l'année
suivante. D'autres, par contre, apprécient
d'avoir face à eux un public malléable,
curieux, à l'écoute. Ce qu'ils demandent ?
Des étudiants présents, attentifs, actifs et
réactifs, ce qui est possible même dans
ces conditions. Mais tous estiment qu'il est
difficile de concilier l'enseignement en 1ère
Bac avec les autres missions qui leur sont
imposées (comme celles liées à la
recherche,
à
la
formation
des
doctorants ...) et qui doivent répondre aux
exigences internationales. L'étudiant ne
peut donc s'attendre à ce que le « prof »
lui soit totalement dévoué.
De plus, le recours à une pédagogie
magistrale s'impose quasiment, avec
l'utilisation de diaporamas. Cela change la
donne et ne facilite pas la réussite :
augmentation exponentielle des matières,
difficulté de confronter les dires de
l’enseignant avec le syllabus virtuel,
tentation de renoncer à venir au cours
pour se contenter de visionner les
diaporamas sur l’i-campus … A cela, il faut
encore ajouter la disparition des examens
oraux durant les premières années et la
multiplication des questionnaires à choix
multiples avec indices de certitude,
profondément déstabilisateurs. Ainsi, la
défense d’un travail de fin d’études en fin
de rhéto est-elle un apprentissage très
éloigné de celui des QCM, apprentissage
qui ne se révèlera utile qu’en fin de
parcours. Les tests en cours d’année vont
aussi se raréfier. Même si les « Passeports
Bulletin de liaison des Etablissements
d’Enseignement secondaire
pour le Bac » (voir plus loin) proposent
des épreuves virtuelles pour que l’étudiant
puisse mesurer ses acquis, cela ne
remplace pas le dialogue pédagogique
élève-enseignant.
Les
professeurs
d’université
sont
cependant soumis à des contraintes qui
sont favorables aux étudiants. Ainsi, les
copies d’examens sont consultables sur
rendez-vous, chacun est en droit d’obtenir
des explications sur ses notes. De plus, en
fin d’année, les jeunes évaluent tant leurs
enseignants que les programmes, ce à
quoi les nouveaux professeurs sont
sensibles. Chacun d’entre eux a également
dû élaborer, à l’embauche, un « projet
académique individuel concerté (PAIC) »,
pris en compte pour le contrat définitif et
pour les promotions. En ce qui concerne
plus spécifiquement la pédagogie, un
certificat d’aptitudes pédagogiques est
obligatoire
dans
les
hautes
écoles
(CAPAES) et l’UCL organise des modules
de formation pour les nouveaux chargés
de cours, ainsi que des échanges de
bonnes pratiques.
Apprendre le métier d’étudiant
C’est s’y préparer
-
-
-
-
-
Réfléchir à une réelle orientation
positive :
s’informer,
à
travers
différents canaux, sur les études
supérieures, ne pas seulement repérer
dans les programmes les cours à
éviter, dialoguer avec les enseignants
du secondaire
Améliorer ses scores dans les cours en
lien avec ceux choisis dans le
supérieur
Perfectionner la maîtrise de la langue
française parlée et écrite : enrichir,
diversifier le vocabulaire, apprendre à
nuancer, savoir que chaque discipline
a son langage académique
Se coltiner à l’abstraction (concepts,
symboles, formules) et distinguer les
connaissances vraiment utiles de
celles qui ne sont qu’« ornementales »
Participer aux cours ouverts de
Toussaint et de Carnaval, ainsi qu’aux
cours d’été
11
CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013
En 1ère bac
-
-
-
-
-
-
-
-
-
Pour identifier les prérequis (des
connaissances ou compétences cruciales,
mesurables
et
« enseignables »), pour évaluer le degré de
maîtrise, voire pour se corriger,
recourir aux « Passeports pour le
bac », un outil d’accompagnement
bien utile.
Un exemple : « Lire et comprendre un
texte universitaire ». Les résultats
obtenus en début de parcours sont
faibles (en moyenne, 10,6/20) : si la
compréhension
générale
(thème,
thèse …) est partiellement acquise, ce
n’est
pas
le
cas
pour
la
compréhension
en
détail,
les
articulations logiques et le lexique.
Savoir vivre en grand amphi : acquérir
des comportements de bonne civilité
(fermer son GSM, ne pas jouer en
ligne, entrer et sortir quand on
veut …), bien se situer pour écouter
(ne pas craindre de s’installer dans le
bas de l’auditoire)
Oser dire « Je ne comprends pas », à
soi-même, à son voisin, voire au
professeur (après le cours, par
exemple), réfléchir à des stratégies à
mettre en place, acheter et potasser
« Question(s) de méthode »
S’inscrire sur son bureau virtuel, afin
de participer aux examens, aux
travaux pratiques …
Organiser la logistique au quotidien,
mais aussi durant les blocus, tout en
apprenant
à
couper
le
cordon
ombilical
Se construire une identité, celle
attribuée par les parents et les
copains, mais aussi celle que l’on
désire pour soi et endosser le costume
de sa discipline et de son statut : un
sentiment d’appartenance est un gage
de réussite
Tisser un réseau social : avoir des
amis sur lesquels on peut s’appuyer
pour étudier, trouver du sens, se
détendre, s’engager …
Identifier et éprouver du plaisir à être
étudiant :
reconnaître
l’excellence
d’un professeur, d’un programme, se
sentir privilégié, être passionné par
une matière, se confronter à des
défis, s’auto-encourager quand les
résultats sont positifs …
Bulletin de liaison des Etablissements
d’Enseignement secondaire
-
Trouver des îlots de plaisir dans un
océan de stress et d’incertitude :
comprendre un échec, chercher à
rebondir (la résilience, selon Boris
Cyrulnik), décider d’une stratégie,
penser au besoin à une réorientation,
en faisant éventuellement appel à des
professionnels (Service d’aide, Univers
santé à l’UCL …).
Des pistes de réflexion et d’action
Après ces propos très denses, Ghislain
Carlier a proposé un temps d’échange
précédé d’une réflexion en petits groupes
sur base de deux questions. Vous
trouverez ci-dessous une brève synthèse.
Que faire dans
secondaire ?
-
-
-
ma
pratique
du
Construire
une
orientation
plus
structurée et plus régulière
Parler vrai à l’élève, au niveau de ses
capacités, même si on risque de se
tromper
Mettre l’accent sur la maîtrise de la
langue française dans tous les cours
Prendre conscience que les objectifs
de l’enseignement secondaire sont
souvent flous : attribuer le CESS ou
préparer au supérieur ? Tout est fait
au niveau politique pour séparer les
deux …
Développer l’abstraction
Apprendre
à
hiérarchiser
les
connaissances vu leur accumulation
exponentielle,
développer
l’esprit
critique et l’esprit de synthèse
Sur quoi interpeller l’enseignement
supérieur ?
-
-
Mieux
informer
l’enseignement
secondaire
sur
les
besoins
à
rencontrer, mais être aussi plus à
l’écoute de ce qui se fait sur le terrain
durant les humanités : ne pas
culpabiliser, ni snober les enseignants
du secondaire
Mieux
informer
et
former
les
enseignants du supérieur
Collaborer davantage par secteur, non
seulement sur la formation continuée,
mais
aussi
pour
élaborer
les
programmes.
12
CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013
Bulletin de liaison des Etablissements
d’Enseignement secondaire
Et l’Enseignement Supérieur Artistique (ESA) ?
Xavier Dochy, diplômé en éducation
physique,
comme
Ghislain
Carlier,
directeur pendant 5 ans d’une école
secondaire et aujourd’hui directeur de
l’ESA à Tournai, est venu nous le présenter
brièvement.
Un
regard
sur
le
paysage
l’enseignement supérieur
de
Si les Universités totalisent 80.000
étudiants, un chiffre comparable à celui
des Hautes Ecoles, l’ESA, lui, en compte
7.000. Un autre type d’enseignement
supérieur souvent négligé : la promotion
sociale, pourtant en plein essor.
Qu’est-ce que l’ESA et quel est son
mode de fonctionnement ?
Depuis les années 1999-2000, L’ESA
englobe 5 domaines très différents : la
musique (les Conservatoires …), le théâtre
et les arts de la parole, mais aussi les arts
de diffusion, les arts plastiques et visuels
et … la danse. Le mode de financement
est commun : il ne dépend pas d’une
enveloppe fermée, mais est très proche de
celui
de
l’Enseignement
secondaire
(subsides par élève), ce qui freine la
création de postes et l’acquisition de
supports techniques.
enseignants et des artistes, d’où des
échanges très riches et très créatifs avec
leurs étudiants. Ces derniers doivent
d’abord passer une épreuve d’admission,
pour vérifier si leur projet est en
adéquation avec celui de l’établissement.
En effet, la liberté académique de chaque
école est importante et le surpeuplement
est à éviter, car l’enseignement est plus
individualisé.
Qu’en est-il de la réussite ?
L’étudiant qui réussit est celui qui est
motivé et qui s’accroche : il doit concilier
le travail intellectuel et les travaux
pratiques, soit y consacrer 30 à 32h/sem.
Les soirées sont souvent utilisées pour
travailler ensemble sur un même projet,
ce qui crée une dynamique collective très
positive. L’on comprend aisément qu’il
n’est pas souhaitable de passer d’une
année à l’autre avec des crédits résiduels :
ce serait ingérable.
Sur les 600 candidats qui se présentent au
départ, 300 seront admis (un sur deux se
fourvoie), 150 passeront en 2ème année et
80 en 3ème, ce qui fait question, même si
ces statistiques doivent encore être
affinées.
Être
bien
orienté,
bien
s’organiser et bien gérer sa liberté sont
des gages de réussite.
Quelques particularités
Les professeurs à l’ESA sont tous des
1
Anne Oger
« Recherches et actions en faveur de la réussite en première année universitaire. Vingt ans de collaboration
dans la Commission « Réussite » du Conseil interuniversitaire de la Communauté française », sous la direction
de Philippe Parmentier, CIUF, Bruxelles, 2011
13
CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013
Bulletin de liaison des Etablissements
d’Enseignement secondaire
C’est arrivé près de chez vous
Communauté Educative Saint Jean-Baptiste Tamines
eTwinning
Qu’est-ce que « eTwinning » ? Ce sont des échanges à distance à l’aide des technologies
de l’information et de la communication (TIC) entre une classe d’ici et une classe d’un ou
plusieurs autres pays de l’Europe). Depuis de nombreuses années, des jumelages à
distance peuvent s’opérer de manière souple, à n’importe quel moment de l’année, pour
n’importe quelle durée et s’adapter à toutes les matières et centres d’intérêt. Des prix
d’une valeur de 1 000 à 1 250 euros en achat de matériel multimédia ou informatique
sont accordés à des écoles lauréates. Des séminaires eTwinning européens sont
organisés régulièrement sur candidature. C’est à un séminaire semblable que deux
enseignantes de la CESJB de Tamines ont participé. Elles vous racontent leur aventure.
Un séminaire eTwinning à Ankara
Ces 1 et 2 juin
2012,
nous
sommes toutes les 2 parties
en
formation
eTwinning
à
Ankara. Pour
rappel, l'eTwinning permet des échanges
virtuels au sein de la Communauté
Européenne. 33 pays font maintenant
partie du projet. Il ne s'agit pas
uniquement
d'échanges
linguistiques !
Certains projets se font en français, soit
avec la France ou le Luxembourg, soit
avec des élèves apprenant le français dans
d'autres pays.
Les échanges se font par emails,
vidéoconférences, création de blogs ou
n'importe quels moyens TIC. L'eTwinning
bénéficie d'une plateforme permettant de
mettre en place les projets rapidement et
de manière sécurisée.
Il est donc tout à fait possible de lancer un
projet en mathématiques, en histoire ou
en littérature, même sans connaissance
approfondie d'une langue étrangère par
les élèves. Nous avons ainsi rencontré 2
professeurs de la région de Limoges, qui
cherchaient des partenaires pour lancer un
projet en histoire et géographie en
français.
Personnellement, nous revenons avec 2
projets pour l'année 2012-2013:
Caroline
Je
vais
commencer un
projet intitulé
« Les
écosystèmes
dans
notre
pays ».
Ma
principale
partenaire Burcu est turque et enseigne
dans une école en immersion. Le projet se
déroulera en 3 étapes et durera toute
l'année scolaire 2012-2013. Après une
partie de présentation, nous découvrirons
l'écosystème de nos partenaires et
finalement chacun mettra en relation les
animaux présents dans nos régions en
créant les réseaux alimentaires propres à
chaque région. Une autre partenaire
turque se joindra peut-être à notre projet
et une enseignante française propose
d'intégrer ses élèves plus âgés dans la
dernière phase du projet.
14
CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013
Géraldine
Le projet s’intitule « Dropping cultural
boxes around Europe ». J’aurai la chance
de développer ce projet avec trois
partenaires (un par pays participant au
séminaire, en dehors de la Belgique) :
Esra (Turquie), Ausra (Allemagne) et
Carole (France). Nous enseignons toutes
les quatre l’anglais à des élèves se
trouvant dans la tranche d’âge 10-15 ans.
Bulletin de liaison des Etablissements
d’Enseignement secondaire
Le projet se déroulera en 4 phases (plus
ou moins une activité tous les deux mois)
durant l’année scolaire 2012-2013. Les
différentes activités d’échange seront bien
sûr choisies en fonction des thèmes
abordés en classe et intégreront des
aspects culturels de chaque pays.
Caroline Castille
professeurs
et
Géraldine
Meyer,
Des ateliers de développement professionnel et séminaires de contact sont destinés aux
enseignants du fondamental et du secondaire qui souhaitent découvrir les ressources du
portail européen eTwinning, trouver des partenaires d’échanges et améliorer leurs
compétences en termes de construction de projets collaboratifs européens à l’aide des
TIC.
Si vous êtes intéressés, contacter :
-
[email protected]
[email protected]
Voir le document explicatif sur http://www.enseignement.be/etwinning
15
CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013
Bulletin de liaison des Etablissements
d’Enseignement secondaire
Cellules bien-être à l’école
Il y a deux ans, la Fédération Wallonie lançait un appel à projets destiné à encourager la
mise en place de cellules bien-être en école. De nombreux établissements ont répondu
favorablement, dont le Collège Saint-Guibert à Gembloux. D’autres, dont écoles l’Institut
saint-Joseph de Ciney, mènent depuis longtemps des activités en vue d’améliorer le bienêtre des jeunes. Les deux articles rédigés par des enseignantes de ces écoles expliquent
ce qui s’y vit. Ils illustrent la volonté des écoles d’avoir une politique construite autour du
bien-être.
Les activités de l'Espace Parole
au Collège Saint Guibert de Gembloux
Il y a trois ans et suite à une réflexion
menée lors d'une journée pédagogique,
plusieurs professeurs ont décidé de créer
un espace d'écoute et de réflexion à
destination des élèves appelé « Espace
Parole ». Le point de départ de ce projet
était la prise de conscience du mal-être
que vivent certains de nos jeunes et du
sentiment de solitude qui peut en
découler ... Le but premier de l'Espace
Parole était donc de constituer une équipe
de professeurs disponibles pour écouter et
soutenir les élèves qui en ressentiraient le
besoin. Une boîte aux lettres avait été
disposée dans l'école, afin de leur
permettre
de
prendre
rendez-vous
anonymement avec l'un des membres de
l'Espace.
Afin de prévenir les problèmes de
moquerie ou d'exclusion dans les classes,
il a aussi été décidé de remettre sur pied
les retraites qui étaient jadis organisées
pour les élèves de troisième année.
Renommées « journées bienêtre », cellesci prennent place sur trois jours début
octobre,
afin
d'accueillir
dans
les
meilleures conditions toutes les classes de
troisième et de leur permettre de faire
connaissance
en
début
d'année.
Délocalisées en dehors de l'école, elles
offrent
également
une
parenthèse
salutaire dans le rythme scolaire effréné.
Parallèlement à ce projet, des enquêtes de
bien-être ont été réalisées par les
directeurs des trois degrés via les
délégués de classe, afin de mettre en
exergue les besoins des élèves. Outre les
considérations purement pratiques qui ne
devaient manquer de ressortir, il est
apparu
que
certains
élèves,
principalement
au
premier
degré,
évoquaient la difficulté de trouver une
occupation au calme pendant le temps de
midi. La chapelle de l'école, guère occupée
jusque-là, a donc été réaménagée en un
local de calme et de ressourcement
baptisé « La Source ». Cet aménagement
a pu se faire grâce au partenariat avec la
Communauté Française dans le cadre de
son projet « Cellules bien-être » pour
lequel un budget de 2 000 € nous a été
octroyé. Depuis l'an passé, ce local est
accessible deux temps de midi par
semaine pour les élèves du premier degré.
La règle d'or y est le silence, à peine
interrompu par une musique relaxante
passée
en
fond
sonore.
Sous
la
surveillance d'un professeur bénévole, les
élèves peuvent y lire, y colorier des
mandalas, ou tout simplement s'y reposer
16
CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013
sur de nombreux coussins qui meublent la
pièce. Depuis cette année, un collègue du
troisième degré investit la Source un jour
par semaine, afin de travailler la
méditation et la gestion du stress avec les
élèves de rhéto qui le souhaitent ... La
Bulletin de liaison des Etablissements
d’Enseignement secondaire
Source est également accessible à tout
professeur souhaitant prendre du recul
avec sa classe et entamer un travail de
réflexion
à
l'abri
des
contraintes
scolaires ...
Coralie Verraghenne pour l'Espace Parole
L’école, un lieu d’action et de réflexion pour le bien-être des élèves
Institut Saint-Joseph Ciney
Dans notre école, le bien-être des élèves
est une valeur essentielle. En effet, pour
bien travailler, il est important que le
jeune se sente bien dans sa tête, mais
aussi dans son corps. Pour préparer ces
jeunes à être les adultes de demain, nous
devons aussi leur apprendre à effectuer
des choix à propos de qui est bon ou pas
pour eux en termes de relations,
développement, santé … C’est dans cette
optique que, depuis plusieurs années,
l’équipe du premier degré de notre école
travaille sur deux thèmes : les dangers du
tabac et l’importance d’une alimentation
équilibrée.
Pourquoi cibler le premier degré ?
Simplement
parce
que
toutes
les
recherches montrent qu’il faut agir tôt si
on veut être efficace et que certains
chiffres sont assez éloquents : âge de la
première cigarette vers 11-12 ans,
surpoids pour 1 enfant sur 5 en Belgique.
De plus, au premier degré, les jeunes sont
encore très réceptifs aux activités que l’on
peut leur proposer.
Je
vais
maintenant
vous
décrire
brièvement
les
activités
que
nous
réalisons avec nos élèves. Mais avant de
découvrir celles-ci, il est important que
vous gardiez en tête que, dans toutes ces
activités, nous ne jugeons jamais un
comportement (ceci n’est pas bien, tu
devrais faire cela …), car c’est le rôle des
parents, mais que nous incitons les jeunes
à réfléchir, à se poser des questions sur ce
qui est bon pour eux et peut-être ainsi les
amener à modifier d’eux-mêmes certains
comportements.
Les dangers du tabac :
Notre action se déroule pendant les deux
années du premier degré et est commune
avec les autres écoles de notre ville.
Toutes les écoles, de tous les réseaux et
de tous les types d’enseignement,
travaillent ensemble sur ce projet. Dans
chaque école, une équipe de professeurs
mène
le
projet
et
rencontre
les
professeurs des autres écoles pour mettre
en commun les actions qui seront menées
au cours de l’année avec le soutien des
directions.
En première, chaque année, vers le mois
de novembre, les élèves vont écouter une
conférence donnée par le professeur
Ninane, chef de service de pneumologie à
l'hôpital Saint-Pierre à Bruxelles, qui, à
l’aide d’un montage PowerPoint, explique
aux jeunes, non seulement les dangers,
mais aussi la manipulation qu'orchestrent
les lobbies du tabac. Avant cette
conférence, les enfants ont préparé avec
un professeur une série de questions qu’ils
pourront poser après la conférence. Cet
échange de questions-réponses est un
moment
important
où
souvent
ils
découvrent
que
les
fumeurs
sont
manipulés, piégés par des industriels
(produits pour augmenter la dépendance,
publicité …) et cela se révèle souvent plus
efficace que de leur parler des dangers à
long terme, car, à cet âge, on se sent
souvent plus fort que la maladie.
Ensuite, en décembre, toutes les classes
de 1ère (par groupes de 3 ou 4) travaillent
sur la création d’une affiche à propos des
dangers du tabac (illustration + slogan).
Une affiche par classe est ensuite
sélectionnée par des professeurs, tandis
que les autres sont exposées dans les
différents bâtiments de l’école du premier
au troisième degré, les « petits » étant
très fiers de découvrir leurs œuvres dans
les locaux des plus grands. Celles qui ont
été sélectionnées dans les différentes
écoles sont exposées dans un lieu public
où elles font l’objet d’un concours. Une
affiche
par
école
se
voit
alors
récompensée.
17
CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013
En deuxième année, tous les deux ans,
une
demi-journée
inter-écoles
est
organisée. Différentes activités sont alors
organisées, elles peuvent être sportives,
manuelles,
intellectuelles.
En
voici
quelques exemples : test bip, sketches sur
les dangers du tabac, mots croisés,
création de fanions, petites expériences …
Chaque classe accompagnée par deux
professeurs se rend, selon un circuit
établi, dans les différentes écoles pour y
réaliser une activité. En fin de matinée ou
d’après-midi, tous les élèves convergent
vers un lieu de rassemblement où une
activité finale est proposée (spectacle,
lancer de ballon, réalisation d’un panneau
géant …). Cette demi-journée demande
beaucoup d’énergie, car il faut déterminer
les activités dans chaque école, établir le
planning de passage dans les différentes
écoles, trouver l’activité finale et, pendant
celle-ci, mobiliser un grand nombre de
professeurs. Mais tout ce travail est
récompensé par la motivation des élèves
et les échanges qui ont lieu. On apprend à
se connaître, à s’ouvrir aux différences.
L’importance de l’alimentation
équilibrée
Pour ce thème, une matinée est organisée
avec les élèves de première année. Elle
comprend deux temps : un petit-déjeuner
et la découverte d’une activité sportive,
manuelle …
Le petit-déjeuner
L’objectif est de faire découvrir qu’un petit
déjeuner ne se résume pas à un bol de
céréales ou une tartine de choco. En effet,
en tant que professeur de sciences, je suis
chaque année interpellée par le nombre
d’enfants qui ne déjeune pas pour
diverses raisons, mais qui, en plus, ne
prenne même pas une boisson.
Lors de ce petit-déjeuner, les enfants
mangent dans leur classe avec leur
titulaire. Au milieu du couloir, un buffet
est dressé par des professeurs bénévoles.
Sur les tables, on trouve diverses sortes
de pains, des confitures, des produits
laitiers (yogourt, fromage, lait), des fruits,
des jus de fruits, de l’eau, du miel, du
muesli … Chacun choisit les aliments qui
Bulletin de liaison des Etablissements
d’Enseignement secondaire
composeront son petit-déjeuner équilibré.
Pour l’aider dans ses choix, la pyramide
alimentaire a été vue au cours de sciences
et, lors de ce cours, les notions d’équilibre
alimentaire, de diversité ont été abordées.
Des professeurs mis derrière le buffet
conseillent aussi, incitent les élèves à
goûter des aliments qu’ils ne prennent pas
d’habitude et évitent trop de gaspillage
(Es-tu certain que tu sauras tout manger ?
Ne viendrais-tu pas te resservir, si tu as
encore faim ?), car, lors d’un buffet
certains peuvent avoir leurs yeux plus
gros que leur ventre …
Après ce petit-déjeuner en classe qui a
permis au titulaire de discuter avec ses
élèves des habitudes alimentaires de
ceux-ci et du petit-déjeuner qui leur a été
proposé, arrive le moment de la deuxième
activité. Quinze jours avant, chaque élève
a dû choisir 3 activités découvertes dans
une liste qui lui a été soumise. Le nombre
de propositions dépend du nombre
d’élèves en première (une activité
comporte plus ou moins 10 participants).
Des professeurs répartissent ensuite tous
les élèves dans une activité en tenant
compte de leur choix (ceci n’est pas
évident, car certaines activités sont
toujours plus attractives). Lors de cette
répartition, ils essayent aussi que les
enfants d’une même classe soient dans le
plus
d’animations
différentes.
Voici
quelques activités possibles : initiation à
un type de danse, au yoga, à un art
martial, à la cuisine, au chant, à de
l’artisanat, au cirque, à la découverte de la
nature …
Ces
activités
d’initiation
présentent divers objectifs : découvrir
quelque chose de nouveau, prendre
conscience de son corps, de ses capacités,
établir
des
relations
avec
d’autres
élèves … Prendre simplement du plaisir à
être à l’école.
Comme
vous
pouvez
l’imaginer
l’élaboration
de
cette
demi-journée
demande aussi beaucoup d’énergie, de
temps, car il faut déterminer les quantités
d’aliments à acheter, préparer le buffet,
répartir les élèves dans les animations,
trouver des personnes pour les animer,
veiller à respecter un certain budget …
Françoise Leclercq
Professeur de sciences
18
CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013
Bulletin de liaison des Etablissements
d’Enseignement secondaire
Une journée pédagogique sur l’estime de soi
Institut du Sacré-Cœur Frameries
L’estime de soi, une thématique que nous avions abordée déjà en 2010 lors d’une de nos
trimestrielles. L’intervention de Bruno Humbeeck nous avait galvanisés … Depuis, la balle
a bien rebondi. Il a été question de l’estime de soi lors d’une Université d’été du SeGEC,
mais aussi lors d’un atelier que nous avons pris en charge lors du dernier Congrès de
l’Enseignement Catholique. Diverses écoles lasalliennes ont fait également appel à
B. Humbeeck pour une de leurs journées pédagogiques. C’était le cas de l’Institut du
Sacré-Cœur de Frameries le 22 février dernier …
Avant qu’il ne prenne la parole, il m’avait
été demandé de refaire des liens avec le
Projet Educatif Lasallien. Une piqûre de
rappel jugée salutaire ! Poser un regard
positif sur l’élève, plus particulièrement
sur celui qui est en difficulté, c’est un enjeu majeur dans cette école confrontée à
un public très défavorisé. Renforcer
l’estime de soi des enseignants, les aider à
s’appuyer sur une véritable communauté
éducative, c’est vital, pour qu’ils trouvent
du sens à leur métier.
Quant à Bruno Humbeeck, il a la capacité
de captiver son auditoire. Malgré ses
grandes connaissances dans des domaines
variés, il n’étale pas sa science, mais il
ancre ses idées dans des expériences, il
manie l’art du récit, il a le sens de
l’anecdote qui résonne avec notre propre
vécu.
Voici quelques-uns des grands axes abordés dans son exposé
Les trois postures de l’enseignant
La relation avec les parents
Ce sont les trois pointes d’un triangle par
où il passe sans arrêt.
Il transmet des savoirs : s’il se contente
d’agir ainsi, il rencontrera des élèves
qui « feront le fou ou le mort ». Et s’il
est très expert en sa matière, sera-t-il
à même de comprendre pourquoi un
jeune ne comprend pas ? Certes, il est
important de mobiliser ses élèves en
étant motivé, mais cela ne suffit pas.
Il veut stimuler les apprentissages.
Mais apprendre par soi-même désoriente parfois très fort des élèves : ils
ne savent pas comment procéder.
Il se considère comme un éducateur.
Elle est indispensable, même si elle est
parfois conflictuelle, car l’enseignant
n’éduque pas seul. En famille, on enseigne
des savoirs et des valeurs implicites. Si les
règles de l’école vont à l’encontre du vécu
familial, il ne faut pas y renoncer pour
autant, mais les expliciter, préciser
qu’elles sont tributaires de ce lieu particulier, sans disqualifier le milieu d’origine. Il
plaide ainsi pour que les parents puissent
rencontrer les enseignants en dehors
d’une période d’évaluation, pour qu’ils racontent une anecdote concernant leur enfant et se sentent entendus.
19
CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013
L’importance de développer l’intelligence collective et émotionnelle
B. Humbeeck a développé ses idées en
partant d’un cas de harcèlement sur une
cour de récréation, harcèlement, selon lui,
davantage présent dans l’enseignement
secondaire (car, dans l’enseignement primaire, se manifeste surtout du rejet).
L’estime de soi y est mise en jeu. La solution ne peut être que collective, car le
problème est complexe. Ainsi, l’on peut
diviser la cour en trois parties : l’une pour
jouer avec un ballon, la seconde pour
jouer autrement et la troisième où il est
interdit de courir. Cloisonner l’espace
permet déjà de mieux canaliser la violence
potentielle, liée souvent à une réaction de
l’adolescent qui craint d’être inexistant ou
insignifiant. Il est donc nécessaire, non de
brimer ses émotions, mais de lui apprendre à les transformer de façon
socialement acceptable. Il propose par
exemple de pratiquer régulièrement en
classe le jeu des émoticônes : chacun
choisit celui qui lui paraît adapté à ce qu’il
Bulletin de liaison des Etablissements
d’Enseignement secondaire
ressent et s’exprime en je ; l’enseignant
donne la parole à tous les élèves. C’est,
selon
l’intervenant,
une
façon
de
développer un sentiment d’empathie chez
les
jeunes
et
de
modifier
le
fonctionnement du groupe : les problèmes
sont identifiés et des solutions sont
recherchées. La classe devient ainsi un
lieu de parole et de démocratie.
« Je m’intéresse à toi »
Une attitude capitale de l’enseignant pour
renforcer l’estime de soi chez l’élève ! Il
ne s’agit pas de le comprendre, ni de
l’aimer, mais d’être vigilant et bienveillant.
Pourquoi ne pas lui dire : « Je ne comprends pas ta culture » ? Cet aveu est
préférable à faire semblant ou à jouer à
l’envahisseur. L’enseignant repèrera également ceux qui n’osent pas agir, ce dans
quoi ils sont forts, les espaces dans lesquels ils existent. Un pas pour avancer
dans l’estime de soi qui se fonde sur la
connaissance de soi, mais aussi sur
l’image de soi et l’amour de soi.
Et voici quelques réponses aux questions soulevées par les enseignants
Comment valoriser un ado qui ne le
veut pas ?
Sa position est compliquée : il recherche
l’originalité et, en même temps, la conformité par rapport à un groupe. La valorisation peut se faire à l’un de ces deux niveaux. S’il n’a pas fait d’effort pour arriver
à un bon résultat, il risque également de
se disqualifier, car, selon lui, à l’école, il
faut travailler pour réussir …
Quand un élève « se croit nul »,
l’interroger en classe peut être une atteinte à l’estime de soi. Au lieu de lui présenter une épreuve comme facile, il est
préférable de l’aider en lançant le travail
par des questions de mise en route. Enfin,
l’enseignant ne doit pas oublier qu’un
jeune issu d’un milieu social défavorisé
n’ose pas toucher aux mots, aux textes,
parce qu’il se sent disqualifié.
« Je ne sais jamais si je fais bien »
Que faire quand un ado se croit nul et
avoue « qu’avec le prof, ça ne passe
pas » ?
La personnalité ne joue que pour 2 %
dans les performances des élèves, ce qui
compte, par contre, pour 40 %, c’est la
pédagogie utilisée. B. Humbeeck critique
les filières de relégation de notre système
scolaire, ainsi que la focalisation excessive
sur l’université qui devient un objectif en
soi. Il estime aussi que la réussite à l’école
ne devrait pas seulement se mesurer en
performances : ce qui compte surtout,
c’est de garder le plaisir d’apprendre.
On ne peut former sans déformer. « La
pédagogie parfaite formerait des abrutis ».
Ce qui est important, c’est de réfléchir sur
soi, sur ses pratiques, et de partir du
postulat que tout jeune est éducable. Il
s’agit d’améliorer sa « capabilité », sa
possibilité de faire des choix, en utilisant
une pédagogie qui prend son temps. Ne
nous culpabilisons pas, en nous focalisant
sur les enquêtes PISA. Certes, la Finlande
obtient de très bons résultats, mais c’est
aussi dans ce pays que le taux de suicide
est le plus élevé.
Anne Oger
20
CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013
Bulletin de liaison des Etablissements
d’Enseignement secondaire
Institut Saint-Joseph/Ciney
La poésie s'invite à l'école
La poésie, inscrite dans les programmes
de français, est généralement très
largement abordée en 5ème année. Une
matière parfois difficile à faire passer. Ce
qu'on en retient traditionnellement? Des
mots comme « rimes », « sonnets »,
« alexandrins ». Mais qu'en est-il de la
poésie actuelle? Et quels sont ces drôles
de zèbres qui, aujourd'hui encore, se
disent poètes?
A l'Institut Saint-Joseph de Ciney, Patricia
Foulon, enseignante dans l'enseignement
général et Claude Donnay, professeur dans
le qualifiant et poète lui-même, avaient
fait ce pari risqué, mais gagné : confronter
septante jeunes (deux classes EG et une
classe de TQ infographie) à quatre poètes
bien de chez nous : Christian Libens1,
chargé de la Promotion des Lettres à la
Communauté
française,
auteur
très
polyvalent qui a publié environ 30
ouvrages, Philippe Leuckx, qui est aussi
enseignant et critique, Jean Loubry,
également comédien et metteur en scène,
et Marc Dugardin, retraité et poète à plein
temps. Sans compter Claude qui avait
accepté aussi d'aller au feu.
Les élèves avaient pu découvrir, en
préalable, quelques fragments de leurs
œuvres. Après avoir assisté à une
présentation succincte des écrivains, ils
ont pu côtoyer de plus près leurs deux
poètes préférés dans des ateliers, avant
de les entendre tous lire quelques uns de
leurs textes.
J'ai moi-même accompagné ces jeunes
pour mieux connaître Philippe Leuckx et
Christian Libens ...
Anne Oger
Rencontre avec Philippe Leuckx
Pour nourrir les échanges, des questions
avaient été préparées, mais, lors du
premier atelier, elles n'ont servi qu'à
lancer le dialogue ... Très vite, d'autres ont
surgi, posées d'ailleurs surtout par ... des
garçons. En voici quelques-unes ...
« Qu'est-ce
qui
vous
pousse
à
écrire? »
P. Leuckx avouera avoir commencé à
écrire vers 10 ans, puis de façon plus
systématique vers 17 ans. Il était alors
interne, c'était un loisir, mais aussi une
nécessité de laisser venir des sensations,
des émotions, de les vivre. Il s'est aussi
beaucoup nourri de la lecture des autres, il
s'en est imprégné. Aujourd'hui encore, ses
sources d'inspiration sont généralement
visuelles l’observation d'un tableau, un
film, mais aussi le fait de marcher dans la
campagne ou en ville ... Un événement
malheureux est également très inspirant :
dans ce cas, l'écriture libère du chagrin. Il
se définit comme un poète du quotidien et
la poésie, pour lui, est de l'ordre de
l'intime.
« Quels sont vos thèmes préférés?
Pourquoi est-il souvent question de la
solitude? »
Déjà pour écrire, le poète se met en
retrait. Et la vie est pleine de séparations,
tantôt brèves, tantôt plus graves. Et P.
Leuckx d'évoquer les voyages où l'on est
souvent en solitude par rapport à ce qu'on
découvre. Ainsi, il a écrit un recueil sur
Rome : seul, dans la grande ville, il y
évoque des rencontres au fil des jours ...
La perte de ses parents lui a aussi mieux
fait comprendre le côté éphémère des
réalités. Le deuil, les souvenirs, mais aussi
la paternité, sont des thèmes auxquels on
21
CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013
Bulletin de liaison des Etablissements
d’Enseignement secondaire
ne peut échapper.
mois, ce qui lui paraît trop contraignant.
« Quelle structure de poème aimezvous? A quel courant appartenezvous? »
P. Leuckx aime se donner des contraintes :
des contraintes de thème, de suivi entre
les poèmes, mais aussi de structures de
style. Cependant, l'on ne peut les dissocier
de l'inspiration. Parfois, un vers, un motclé s'imposent comme une évidence ;
parfois, il s'assied et s'impose d'écrire. Il
part de quelques mots et essaye de
composer, en évitant les clichés. Il cherche
à éviter tant les banalités du langage que
l'hermétisme. Certains poèmes vont couler
de source, d'autres seront écartés et
rangés dans un tiroir : il retravaille très
peu ses textes ... Il ne s'inscrit dans aucun
courant,
car
le
symbolisme,
par
exemple, regroupe de
façon
factice
des
écrivains très différents
comme
Verlaine
et
Mallarmé. Mais il a subi
des influences, comme
celles de Supervielle ou
de Francis Carco.
« Etes-vous fier d'être édité? »
Il faut rester humble. Ce n'est qu'à partir
de 1993, alors qu'il avait presque quarante
ans, qu'il a pensé à faire éditer ses textes.
Le premier recueil est paru en 1994 ; il
s'intitulait « Ombreuse solitude ». Ce ne
sont jamais, en Belgique, que des petits
tirages : ils ne permettent pas au poète de
vivre de sa plume. Dans d'autres pays,
comme en Europe du Nord ou en Pologne,
la poésie a davantage les faveurs du
public : un premier recueil peut être édité
à 5 000 exemplaires.
« Comment apprendre à écrire? »
Aux USA, il existe de véritables écoles
pour apprendre le fonctionnement de
l'écriture
journalistique
ou romanesque. Chez
nous,
il
existe
des
« ateliers
d'écriture ».
Mais si l'écriture est une
nécessité,
s'apprend-telle?
« Comment choisir le
titre d'un recueil? »
Le titre peut être la
Christian Libens et Philippe Leuckx
« Est-ce
que
cela
reprise d'un vers ou
vous prend beaucoup de temps pour
d'une partie de vers. Ainsi, un des recueils
écrire? »
est intitulé « Rome, rumeur nomade », un
C'est très variable. Un de ses recueils
titre qui lui plaisait, car il a beaucoup
« une espèce de tourment? » comprenant
marché dans cette ville et il aimait la
44 quatrains a été écrit en quelques jours.
tonalité du « m ». Par contre, le titre « Au
Si l'auteur préfère le poème au roman,
faubourg de la vie » a été refusé par
c'est parce que ce dernier réclame 4-5
l'éditeur qui le trouvait trop réaliste et lui
heures de travail par jour pendant 5-6
a préféré « Ombreuse solitude ».
Rencontre avec Christian Libens
Quelques extraits choisis ...
La poésie?
Des mots mis sur du ressenti, sur des
émotions.
Des mots pour dire l'indicible.
Elle peut avoir beaucoup d'échos et de
musiques différentes.
Elle peut être présente dans un SMS, une
chanson, un spectacle.
Ses premiers poèmes?
Pour avouer son amour à une jeune fille,
alors qu'il est timide.
Comme Apollinaire, même s'il n'est pas
Apollinaire.
Soudain, les poèmes des autres, qu'il
trouvait ennuyeux, se mettent à vibrer ...
Des poèmes en wallon?
C'est un clin d'œil aux fantômes de ses
grands-parents, d'origine modeste.
C'est une langue du terroir qu'il a plaisir à
parler, même s'il ne rencontre plus guère
d'interlocuteurs.
22
CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013
Bulletin de liaison des Etablissements
d’Enseignement secondaire
Petite pause poétique
Il est si peu de temps à vivre retiré en soi-même
Si peu d'espace pour que la lumière fuse sans bruit
Si peu d'amis arrivés à vous tenir la main sans fondre
Et vous êtes déjà mort derrière un voile de gaze dure
Philippe Leuckx, « une espèce de tourment? », l'arbre
à paroles, 1998
A François Jacqmin
Les poupées sont des petites filles
Qui ont refusé de respirer;
Alors elles rêvent, rêvent
Les yeux ouverts sur le tendre du temps
Christian Libens
Il n'est de bonheur
Qui ne s'abreuve de mélancolie
Ne réveille pas l'enfant qui dort
Demain se chargera bien
De lui tailler un habit
*
Le soir recule les portes
Dans le gris des pierres
La lumière se replie
Dans la flamme d'une bougie
S'assoupit dans les braises de l'âtre
Une main s'attarde, hésite, renonce
Et dans l'ombre qui sourd des murs
La souffrance parfois s'étiole
*
Un vent gris brun avait sauté le mur
Du jardin où le platane rouillait
Marc Dugardin et quelques élèves
Téméraire un rouge-gorge tenait en haleine
Un ciel de cire et
Dans la faille du jour naissant
Il restait juste de quoi glisser
La main d'un enfant
Claude Donnay, « retour sur printemps »,
Le Coudrier, 2010
1
Si vous voulez recevoir un écrivain dans votre classe, sans qu'il ne vous en coûte rien, contactez Christian
Libens : [email protected]
23
CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013
Bulletin de liaison des Etablissements
d’Enseignement secondaire
Martin Gray à Ciney
Ce mardi 27 novembre 2012, la ville de
Ciney et sa région accueillaient Martin
Gray au hall de Ciney Expo. Une salle
comble attendait ce résistant de Varsovie
et de vifs applaudissements et marques de
sympathie ont accueilli son entrée. Le
bourgmestre de la ville a prononcé
quelques mots en guise d’introduction
présentant son invité comme « une
grande
conscience
contemporaine »
rappelant, ensuite, son parcours dans le
ghetto de Varsovie, puis le malheureux
incendie qui dévora toute sa famille dans
le sud de la France. Le bourgmestre a
terminé son introduction par une allusion
à l’illustre livre rédigé par Martin Gray
« Au nom de tous les miens ».
réussite selon Martin Gray équivaut à
trouver cette paix, cette tranquillité. Pour
lui, celle-ci a été atteinte en écrivant des
livres, en partageant ses secrets. Mais ce
sentiment de bonheur est difficile à garder
dans notre société d’abondance, affirme
Gray. Il enchaîne en prenant pour
exemple des jeunes qui n’ont aucun sens
à donner à leur vie et pour qui la société
ne ferait rien. Il tient à ce que chacun
comprenne sa vie et le but qu’il veut se
fixer.
Pour
cela,
il
est
important
d’apprendre à se connaître et donc de se
raconter sa propre vie, de comprendre les
relations qui nous unissent aux autres,
mais aussi à la nature.
Il conclut son exposé par un lien avec la
souffrance vécue par certains. Lui aussi a
La soirée s’est poursuivie par une
énormément souffert, mais il poursuit en
conférence, une pause, puis une séance
conseillant vivement que chacun puise
de questions-réponses.
dans ses forces pour retrouver le courage
Pour débuter sa conférence, Martin Gray a
et l’espoir, et par conséquent cette
insisté sur le fait qu’il était là, non pas en
réussite indispensable.
tant qu’orateur, mais en tant qu’homme
Après la pause, Martin Gray, accompagné
qui essaye d’apporter des solutions, de
cette fois de deux jeunes élèves, s’est
trouver le bonheur et d’éviter le quotidien.
installé sur l’estrade pour répondre aux
Il rappelle ainsi le périple de sa vie, en
questions du public. Cette séquence n’a
commençant par le ghetto de Varsovie
pas été de tout repos, car les questions
évoquant la misère, la barbarie qu’il a
provenaient à la fois en direct du public et
côtoyées tout comme le courage, la
d’un panier dans lequel des personnes
solidarité et l’amitié. Il raconte brièvement
avaient déposé leur question écrite sur un
son temps dans l’armée rouge et son désir
carton.
de rejoindre sa grand-mère vivant à NewPuisse cet homme, malgré son grand
York.
âge, partager encore longtemps sa
Il continue en parlant d’amour. L’amour au
sagesse, sa vision du monde, de
sens large, l’amour aux multiples facettes.
l’humanité à un nombreux public, jeune
Pas celui vu dans l’érotisme, ni dans les
ou moins jeune, à Ciney ou ailleurs,
cours à l’école d’éducation sexuelle.
partout dans le monde. Son message est
Vient, par après, la notion de réussite. La
universel.
Louise Juvent
Professeur de religion à l’Institut Saint-Joseph de Ciney
24
CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013
Bulletin de liaison des Etablissements
d’Enseignement secondaire
Lasal-liens
Conseil de la Mission Lasallienne en Belgique-Sud
16 et 17 novembre 2013
Les Actes du colloque sont parvenus à chaque participant. Le site de l’AEL vous permet
de retrouver les interventions principales. Frère André-Pierre Gauthier nous rappelle
combien les intuitions de Jean-Baptiste de La Salle sont toujours pertinentes aujourd’hui.
Des intuitions fondatrices bien actuelles
L’aventure de la Mission éducative lasallienne a commencé voici plus de trois
siècles, dans les années 1680, alors que le
château de Versailles se met à briller de
toutes ses fêtes. Nous, les contemporains du
livre numérique et de la commande vocale,
nous voici projetés dans un monde et une
époque qui nous sont étrangers et familiers.
Suffisamment familiers pour nous en
reconnaître des héritiers – la « question
scolaire », comme aujourd’hui, y était
décisive –, et suffisamment étrangers – la
plume d’oie et le catéchisme quotidien ont
disparu des salles de classe – pour sentir
que nous devons, afin de maintenir fécond
l’héritage, exercer un droit et, plus encore,
un
devoir
d’interprétation.
Partenaires
lasalliens, réunis à Ciney, telle est votre
responsabilité. Si nous nous arrêtons sur la
fondation de la tradition éducative des
Frères des écoles chrétiennes, ce n’est pas
seulement pour en connaître l’histoire, c’est
surtout pour en saisir l’esprit. C’est cet esprit
de fondation, autrement dit les motivations
et les décisions de Jean-Baptiste de La Salle
et des premiers Frères, qu’il faut retrouver
et accueillir, pour écrire, à la première
personne, c’est-à-dire au « nous » de votre
communauté, un chapitre qui pourrait
s’intituler : « Au XXIe siècle, éduquer en
frères, dans des écoles offertes à tous, au
nom de l’Évangile ».
Que Jean-Baptiste de la Salle, un prêtre
récemment ordonné, chanoine et docteur en
théologie, issu du milieu bourgeois de la
riche ville de Reims, en charge, de surcroît,
après la mort de ses parents, d’une
nombreuse
fratrie,
s’engage
dans
la
scolarisation des garçons pauvres, cela peut
surprendre. Cependant, le souci de leur
éducation et de leur instruction chrétienne,
en ce XVIIe siècle finissant, est largement
porté par les élites catholiques. Ce qui peut
surprendre davantage, ce sont les choix
décisifs auxquels cet engagement l’a
conduit, progressivement. Des choix qui, en
le mettant à distance de son milieu d’origine
et de ses légitimes ambitions et en
réorientant sa vocation sacerdotale, lui ont
fait inventer un nouveau style d’écoles, en
lui faisant élaborer une nouvelle forme
d’engagement pour tenir ces écoles, pensées
dorénavant en fonction des besoins des
jeunes et des maîtres.
À son époque, l’éducation des garçons
pauvres, plus que celle des filles, est
négligée ou peu efficace ; elle est difficile et
décourage les meilleures bonnes volontés. Et
aussi, tout autant que les enfants, ceux qui
sont négligés et méprisés, ce sont les
maîtres
d’école,
abandonnés
à
leur
incompétence. Et si des voix murmurent que
leur métier est grand aux yeux de Dieu,
personne n’a encore su leur donner des
signes tangibles de sa valeur et de sa
dignité. La tradition éducative qui se dessine
alors constitue une réponse à ce double
besoin, des jeunes et des maîtres. Une
réponse généreuse, une réponse du cœur,
certes, mais surtout, une réponse nourrie de
confiance, d’intelligence et de foi, une
réponse mûrie par la relecture de leurs
premières
expériences
scolaires,
par
l’élaboration patiente de projets et par
25
CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013
l’apprentissage du débat respectueux de
l’avis de chacun. S’inscrire dans cette
tradition nous invite à partager les questions
et la démarche fondatrices.
Faisons quelques minutes un saut dans
l’histoire et projetons-nous sous le roi Louis
XIV, dans un pays qui commence à
connaître des évolutions économiques,
sociales et religieuses essentielles. Dans
cette France encore très rurale, les villes et
l’économie urbaine connaissent un essor
important et offrent des emplois de plus en
plus qualifiés, nécessitant la maîtrise de la
lecture, mais aussi celle de l’écriture, cette
compétence si ardue à acquérir. Dans cette
France catholique, ou plutôt teintée de
catholicisme,
que
gagnent
les
idées
véhiculées par les protestants et des
philosophes,
les
prêtres
peinent
à
évangéliser et à fidéliser les pauvres gens.
Leurs propos et leur mode de vie sont trop
éloignés de leurs attentes et de leur
quotidien. Dans cette France engagée dans
un projet de scolarisation de grande ampleur
– il s’agit d’éradiquer le protestantisme,
d’asseoir définitivement le catholicisme et de
moraliser les comportements potentiellement rebelles de la jeunesse –, dans cette
France, donc, que le roi et les évêques
veulent « envoyer à l’école », ce n’est pas la
charité qui manque, mais la capacité,
l’audace même, d’imaginer des moyens
inédits : une école autre avec des maîtres
différents, qui sachent accueillir l’étrangeté
de ces pauvres, dont on commence pourtant
à percevoir toutes les richesses qu’une
éducation adaptée pourrait révéler. On
attend une médiation nouvelle – ce seront
les « écoles chrétiennes » de Jean-Baptiste
de La Salle –, et d’autres médiateurs, et ce
seront ces maîtres qu’il appellera « Frères ».
Le prêtre qui permet cette évolution investit
un nouvel espace, l’école, et un ministère
nouveau, l’éducation.
Des écoles, des écoles chrétiennes et des
écoles chrétiennes pour les pauvres, il y en
a, dans les années 1680, sur tout le
territoire. Il y en a, mais pas assez, et
surtout, elles ne donnent pas satisfaction,
car elles n’arrivent pas à fidéliser enfants et
adultes. L’intuition de Jean-Baptiste de La
Salle part de cette difficulté. Ses initiatives
sont autant de ruptures qui vont le mettre
en constante difficulté avec les pouvoirs
civils et ecclésiastiques, et aussi, au sein de
son Institut naissant, avec certains maîtres.
À compter de 1680, ce sont presque 40 ans
de combats et de doutes qui assurent la
Bulletin de liaison des Etablissements
d’Enseignement secondaire
lente maturation de ce projet promis à
devenir pérenne. À sa mort, en 1719, il ne
laisse qu’une petite vingtaine d’écoles, qui
sont porteuses d’une conception neuve des
jeunes, des maîtres d’école et de l’école ellemême.
Une nouvelle conception de l’école. Pour
fidéliser les jeunes, elle doit montrer son
efficacité et son utilité, car un garçon en
classe, ce sont des bras en moins à la
maison. Pour cela, Jean-Baptiste de La Salle
innove, sur trois plans principaux. D’abord,
la classe, semblable à celle que nous
connaissons : un local dédié, un groupe
d’élèves rendus attentifs par la compétence
du maître et des outils pédagogiques
adaptés. Et tout cet investissement, pour
qui ? Pour des pauvres ! Jean-Baptiste de La
Salle en emprunte l’idée aux collèges
jésuites, dont l’accès était réservé aux
familles aisées, et la met à la disposition
d’une classe sociale sans classe(s). Les
écoles lasalliennes pratiquent l’enseignement
simultané. Un maître qui enseigne les
enfants l’un après l’autre, dans un lieu
quelconque – une salle du presbytère ou
chez lui –, sans autre pédagogie bien
souvent que la violence, c’en est fini ! Il
s’agit d’assurer à chaque enfant et à chaque
famille une meilleure rentabilité du temps
scolaire, et grâce au regroupement des
élèves, de s’entraîner au partage des
responsabilités, à l’entraide mutuelle, et
d’acquérir
les
règles
du
savoir-vivre
ensemble
et
du
savoir
étudier
personnellement en apprenant à faire silence
et à se concentrer. Rien de cela n’existe
vraiment dans les semblants d’écoles que les
pauvres fréquentent. Ce choix suppose que
les
maîtres
reçoivent
une
formation
pédagogique et didactique. Le fondateur a
compris qu’être maître ou élève, cela
s’apprend. Un jeune n’est pas naturellement
un élève, ni un adulte, naturellement un
enseignant. Ensuite, l’apprentissage de la
lecture se fait en français et non plus en
latin. Outre son intérêt pratique, cette
décision opère une révolution. Si, en effet, le
français est la langue de la vie quotidienne
et des activités profanes, le latin est celle de
l’Église. Valoriser le français, c’est affirmer
que l’école des pauvres n’a pas pour seule
finalité de faire des chrétiens, mais aussi, et
d’abord, des hommes capables de s’intégrer
dans la société grâce au savoir-faire du
métier et au savoir-être que procurent les
règles de civilité. Hier comme aujourd’hui,
sans cela, un jeune ne peut pas bâtir
d’existence digne. Enfin, l’école cesse d’être
26
CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013
un ghetto de pauvres. Ceux-ci, pour
s’inscrire dans les écoles gratuites, devraient
montrer un certificat qui attestait le manque
de ressources des parents. Jean-Baptiste de
La Salle ne peut se résoudre à cette
stigmatisation. Il veut ses écoles gratuites
pour tous, ce qui occasionnera un combat
sans fin avec ceux que l’on appelle les
« maîtres écrivains » et qui gagnaient leur
vie en enseignant.
Une nouvelle conception du maître
d’école. Les plus lucides l’ont compris avant
même Jean-Baptiste de La Salle : si l’on
veut des maîtres compétents et de bonne
moralité, il vaut mieux privilégier des prêtres
ou des séminaristes, puisque, en plus, les
maîtres laïcs finissent toujours par délaisser
l’école pour un emploi mieux rémunéré. Mais
quelque chose manquerait-il aux clercs pour
que Jean-Baptiste de La Salle ne conduise
pas les maîtres de ses écoles vers le
sacerdoce ? Outre leur difficulté à adapter
leur enseignement aux élèves, la mission
scolaire reste pour nombre d’entre eux
seconde, voire secondaire par rapport au
ministère sacerdotal. Jean-Baptiste de La
Salle comprend que le service éducatif des
pauvres
réclame
des
maîtres
voués
entièrement à cette tâche, et que, compte
tenu de son importance, c’est Dieu lui-même
qui les appelle. Ce métier devient alors un
authentique ministère. Il n’est ni secondaire
ni même second. De là, sa dignité, s’il est
vécu comme un engagement de toute la
personne. D’où la proposition de la vie en
communauté. Les Frères ne sont pas des
religieux qui ensuite, se décident à faire la
classe. Ce sont des maîtres d’écoles qui,
pour répondre de tout leur être à cet appel
de Dieu, s’engagent à vie, ensemble, par
fidélité aux jeunes et les uns envers les
autres. Comment témoigner d’une réponse
fidèle à Dieu, sans manifester cette fidélité
dans le quotidien d’une vie ?
Une nouvelle conception des jeunes.
Cette nouvelle conception des maîtres et des
écoles repose sur un nouveau regard porté
sur les jeunes. Ce qui change vraiment tout,
c’est que ces maîtres soient des Frères,
frères entre eux et frères aînés des jeunes.
Le frère à l’école, c’est l’homme d’une
présence, qui le rend attentif à tous les
aspects de la vie de ses élèves, à leur
présent et à leur avenir. Le credo lasallien
tient en cette conviction : un enfant est
capable de, et même « capable de tout »,
Bulletin de liaison des Etablissements
d’Enseignement secondaire
pour peu, comme dit le Fondateur, qu’il
sache lire et écrire. Encore faut-il qu’il se
trouve dans un contexte qui favorise ses
acquisitions. L’espace scolaire devient l’objet
de toutes les attentions. Jean-Baptiste de La
Salle conçoit un lieu protégé de l’intrusion
inopinée des parents ou de la curiosité des
passants. Le silence s’impose au maître
comme à ses élèves : il faut favoriser la
concentration de ceux qui ne connaissent
souvent que les bruits de la rue et les cris à
la maison. Les enfants sont responsabilisés :
l’un garde la clé de l’école pour l’ouvrir
chaque matin, l’autre assure la prière, un
troisième visite un camarade absent…
L’absentéisme est, de fait, le fléau extérieur,
comme la violence peut être un fléau
intérieur ; la violence des jeunes entre eux
et celle des maîtres envers eux, mais aussi
celle
qu’entraîne
le
mépris
ou
les
remontrances incessantes. Les écoles de
Jean-Baptiste de La Salle combattent l’un et
l’autre, l’absentéisme et la violence. Il
consacre de nombreux écrits à réguler les
sanctions, et précisément la correction
physique, auxquelles le maître pense
pouvoir légitimement recourir. Dans ce cas
extrême, tout un rituel punitif veille à
évacuer chez lui toute colère et toute
brutalité subite. L’enfant est un être de
raison, écrit Jean-Baptiste de La Salle. Il n’y
a pas lieu de le corriger comme un animal.
On peut dire que pour lui et ses premiers
Frères toute l’aventure éducative consiste à
changer son regard sur les jeunes, à
accepter d’intégrer à l’acte éducatif les
fragilités des jeunes, et à rendre l’école
accueillante aux jeunes les plus fragiles. Elle
consiste aussi à considérer l’éducation
comme une œuvre collective, assurée par
une communauté d’hommes rassemblés par
cette mission commune. Elle consiste enfin à
penser que Dieu est présent dans les
attentions et les bienveillances quotidiennes
qui se vivent à l’école : quand, sous la
conduite du maître et sûr de son affection,
l’enfant apprend à tailler sa plume d’oie, à
réciter ses prières ou à partager un peu de
son repas de midi et de son savoir avec
moins favorisé que lui. En continuant de
nous mettre patiemment à l’école de JeanBaptiste de La Salle et des premiers Frères,
ensemble, nous allons poursuivre cette
aventure. Il ne s’agit pas, maintenant, de
tout prévoir de l’avenir de la mission
lasallienne, mais simplement, et c’est décisif,
de le permettre.
Fr André-Pierre Gauthier
Visiteur Adjoint France
27
CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013
Bulletin de liaison des Etablissements
d’Enseignement secondaire
Journée de ressourcement à Grand-Bigard
Chercher à saisir l'insaisissable ...
L’intériorité…
Ce mot a-t-il encore un sens dans ce monde qui est le nôtre ?
Ce monde où l’on court à cœur et à corps perdu contre le temps,
Ce monde trop souvent désenchanté,
Où il est de bon ton de posséder et de s’éclater…
Ce mot…cela ne vaut-il pas la peine de le dépoussiérer,
De le débarrasser de sa gangue pour redécouvrir ses trésors cachés ?
Car il n’invite pas seulement à se recueillir et à prier,
Mais à toucher au cœur de notre humanité.
Pourquoi ne pas en (re)faire l’expérience ?
Pourquoi ne pas y faire goûter ces jeunes ?
Pourquoi ne pas les accompagner sur ce sentier de traverse,
Dont ils paraissent ne pas trop vouloir, mais qui les attire cependant ?
L’intériorité…
Un lieu pour prendre nos distances par rapport à nous-mêmes et au monde,
Pour nous décentrer et nous détacher de ce qui nous entrave.
Un appel à déchiffrer sans cesse le sens de nos actes, de notre histoire,
Une boussole à même d’orienter nos choix.
Mais aussi une plongée mystérieuse au cœur de soi,
Pour découvrir notre fragilité et la beauté de notre condition d’homme.
Non pas un repli, mais une pulsation vers autrui qui nous fait exister.
Une source intérieure,
Qui nous met en contact avec un au-delà de nous, apaisant et pacifiant.
Un chemin à parcourir,
Sur les traces de Jésus, sur celles de Jean-Baptiste de La Salle,
Pour nous rapprocher de nous-mêmes, des autres, de l’Autre,
Qui nous fait être chaque jour un peu plus.
Une conversion, une ouverture vers la spiritualité
Qui éveille notre capacité à nous émerveiller,
Portés par un élan qui nous dépasse.
Anne Oger
4 mars 2013 ... un jour noir sur les routes
autour de la capitale ... Nous sommes
cependant 28, directeurs et enseignants
(membres de la commission pastorale et
personnes relais en école), à nous rendre à
Grand-Bigard, en territoire flamand. Sans
compter Monsieur Etienne Michel, Directeur
général du SeGEC, qui a choisi de venir
partager quelques heures avec nous, ce qui
nous fait grand plaisir. Nos amis du VLP
(Vlaams
Lasalliaans
Perspectief)
nous
attendent, en effet, au Centre de La Salle, pour
y vivre un temps de ressourcement. Comment
aujourd'hui développer l'intériorité à l'école,
28
CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013
alors que priment souvent le matériel, le
fonctionnel, la culture de l'immédiateté ? De
quoi ont besoin les jeunes pour se rendre
conscients à eux-mêmes ? Comment ouvrir à
une transcendance ? Dans quel espace sacral ?
A Grand-Bigard, l'ancienne chapelle a été
complètement
reconvertie :
le
projet
architectural, porté par le Frère Herman
Lombaerts, a mûri plusieurs années avant de
se concrétiser et d'être finalisé le 25 octobre
2011. Car, selon cet ancien professeur de la
KUL, nous avons à repenser Dieu et à
interroger nos représentations. Il a accepté,
avec An Debremme, conseillère en pastorale
pour les écoles lasalliennes flamandes, d'être
notre guide. Au travers de quelques diapos, An
nous
montre
d'abord
des
chapelles
transformées en hôtel, en restaurant, en
magasins ... en temples de consommation.
Souvent aussi, dans nos écoles, elles ont été
affectées à d'autres fins, beaucoup plus
pragmatiques. Puis, nous nous dirigeons vers
la chapelle.
Avant d'y entrer, nous pénétrons dans un sas
baignant dans une lumière tamisée. De part et
d'autre, des bancs et, en dessous, des casiers
en bois. Nous sommes invités à nous
déchausser, une pratique courante chez les
bouddhistes, une sorte de mise à nu. Puis,
nous voici marchant dans le sable, déstabilisés,
comme sur une plage ou comme dans un
désert, dans une pièce close : des panneaux
Bulletin de liaison des Etablissements
d’Enseignement secondaire
clairs, un jeu de lignes rouges qui se croisent,
avec, parfois au centre, comme une croix ...
Des cylindres en bois de différents gabarits,
semblent posés là de façon aléatoire ; ils sont
facilement déplaçables et chacun s'assied où il
veut. Au plafond, la lumière semble venir de
nulle part. Elle émane aussi, sans que la source
ne soit visible, d'une suspension totalement
décentrée. Mais où est Dieu en ce lieu vide,
monumental ? Nous sommes sortis des
sentiers balisés ...
Après quelques minutes de silence, le Frère
Lombaerts nous invite à livrer notre ressenti :
certains disent leur malaise, d'autres évoquent
la tentation du Christ, le chemin de croix, les
Apôtres marchant dans le désert ... Lui-même
parle : ce qui est important, c'est la recherche,
l'exploration, l'expérience vécue ... Il se dirige
ensuite vers des panneaux qu'il ouvre : le
premier offre une échappée sur le parc et le
soleil printanier nous inonde de sa lumière,
d'autres sur des vitraux : Sainte Wivine, qui
vécut en ce lieu au 12ème siècle avec d'autres
femmes dans le silence d'une abbaye, JeanBaptiste de La Salle ... Chaque vitrail, ainsi
isolé des autres, nous invite à aller au-delà de
la représentation. Et entre le passé et le
présent se trouve un entre-deux qui nous
renvoie à nous-mêmes, mais aussi vers les
autres. Un troisième panneau laisse entrevoir
une surface rouge, symbolisant la profondeur
du sacré qu'on ne peut capter.
On ne visite pas cette chapelle, elle n'est pas
fonctionnelle, mais elle est celle de l'éclosion :
on y vit une expérience, on est touché, on en
sort transformé. On peut y suivre le fil rouge
de sa vie, on peut y planifier un projet. Le lieu
est vierge, ouvert à différents scénarios ...
C'est à nous à construire, comme nous y invite
notre projet éducatif ...
L'après-midi commence par des témoignages.
A Wavre, à Bruxelles à Saint Jean-Baptiste de
29
CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013
La Salle, à Gembloux au Collège Saint-Guibert,
les anciennes chapelles se sont métamorphosées en salle de gymnastique ou en bureau.
Mais le désir de recréer un lieu refuge, un lieu
de paix, un lieu sacral est devenu impérieux ...
A Bruxelles, la statue décrépite du fondateur a
été restaurée par des élèves de Saint-Luc
Tournai et l'ancien oratoire des Frères va être
transformé par l'art du vitrail de Bernard
Tirtiaux. Le but poursuivi ? En faire un lieu
ancré dans notre tradition, mais aussi ouvert à
d'autres cultures, puisque, dans cette école,
beaucoup d'élèves sont musulmans. A Wavre,
des élèves ont participé à l'aménagement d'un
espace et à l'élaboration d'une charte pour le
respecter. Il est accessible le vendredi pendant
le temps de midi. Après l'accident de Pécrot, au
cours duquel un jeune de l'école a perdu la vie,
des élèves sont venus y placer des petits mots,
des dessins ... A Gembloux aussi, « La
source » a facilité le travail de deuil suite au
suicide d'un étudiant. Ce qui n'était, au départ,
qu'un lieu zen, a connu une nouvelle vie depuis
deux ans : lieu de bien-être et d'écoute, il s'est
imposé aussi comme lieu de rencontres avec
les élèves en difficulté. A l'Institut Saint-Joseph,
par contre, le local transformé en chapelle n'est
guère utilisé. D'où beaucoup de questionnements : faut-il garder un lieu sacral ? Si oui,
où ? Comment en faire vraiment un lieu de
présence ? Et chacun n'est-il pas un temple ?
Eric Vanhuysse, professeur de mathématique
et de religion, commence chacun de ses cours
par un moment de silence et d'écoute, un
moment que les élèves réclament.
Puis vient le temps des ateliers. Comment
transposer ce que nous avons entendu et vécu
Bulletin de liaison des Etablissements
d’Enseignement secondaire
dans le quotidien de notre école ? Quelques
clefs pour « entrouvrir une porte » vers
l'intériorité :
• Mener une réflexion avec les enseignants
sensibilisés à cette problématique
• Associer les élèves à l'aménagement du lieu
• Penser à l'esthétique, créer un espace
créatif, attirant, et mystérieux
• Y introduire le calme
• Placer l'écoute et la parole au centre, afin
de dévoiler du sens
• Le lieu est peut-être encore plus accessible
si les signes religieux ne sont pas
directement visibles.
Nous revoici dans la chapelle. Le Frère
Lombaerts nous dévoile enfin la partie centrale,
le chœur ... Les beaux vitraux des années 20
évoquant la crucifixion en présence de Marie et
de Jean jettent des taches de couleur vive sur
le noir des murs. La vue sur l'autel est
partiellement obstruée par une énorme pierre
ronde, évoquant le mystère de la résurrection :
les femmes qui se rendaient au tombeau du
Christ le dimanche ont constaté que celle qui
bloquait l'entrée avait été déplacée et que la
tombe était vide. Leurs perceptions sur Jésus,
sur sa vie et ses actes changent alors
radicalement : d'un côté, elles sont confrontées
au vide, à la mort ; de l'autre, elles sont
appelées à voir au-delà, à croire dans un Christ,
présent tout en étant insaisissable. Un appel
aujourd'hui encore à discerner sa mystérieuse
présence, promesse d'une aube nouvelle,
ouverture vers un nouvel horizon ... dont le
monde, englué par les soucis du quotidien, a
tellement besoin.
Anne Oger
30
CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013
Bulletin de liaison des Etablissements
d’Enseignement secondaire
Eveiller à l’intériorité
Enseignement Catholique français / Actualités,
Hors-série, juillet 2012
Parler de l’intériorité, cela a-t-il encore un
sens dans ce monde désenchanté marqué
par la rationalité scientifique ? Oui, car ce
monde en profonde mutation est traversé
plus que jamais par des questions existentielles, des questions de sens.
C’est pourquoi en France, l’IFEAP (l’Institut
de Formation de l’Enseignement Agricole
Privé, dépendant de l’enseignement catholique français) a reçu la mission de se pencher sur la question suivante : « Comment
rendre possible une éducation à l’intériorité
dans nos écoles ? »
Des chercheurs, mais aussi des formateurs
et des gens de terrain, ont croisé leur
regard,
faisant
se
recouper
apports
théoriques et pratiques (26 expériences ont
ainsi été analysées). A la base de ce travail,
un constat : beaucoup d’enseignants sont
aujourd’hui désorientés par les jeunes qu’ils
ont en face d’eux (faible estime d’euxmêmes, difficultés pour donner du sens aux
apprentissages, transgression des règles de
la
vie
collective …)
Mais
aussi
des
convictions : ces jeunes ont besoin d’une
solidité intérieure pour tenir debout et la
formation intégrale de la personne est au
centre de l’enseignement catholique.
Eveiller à l’intériorité, ce n’est pas se limiter
à initier au recueillement ou à la prière, c’est
réaffirmer une vision de la personne humaine : la fragilité de l’homme l’amène à
s’interroger sur des questions existentielles
et universelles ; se découvrant en lien, il va
prendre conscience qu’il est redevable à autrui, mais aussi qu’il est en devenir : pour
grandir, assumer ses responsabilités face à
lui-même et à autrui, il va explorer ses ressources et apprendre à les mobiliser. La découverte de l’intériorité permet d’ouvrir un
dialogue qui met en relation avec soi et avec
autrui, une condition indispensable à
l’élaboration d’une vie intellectuelle, relationnelle et éthique riche.
Qu’est-ce que l’intériorité ?
Très vite, au début de son existence,
l’homme prend conscience de son individualité, du fait qu’il est distinct des autres, mais,
en les côtoyant et en s’ouvrant au monde, il
se confronte aussi rapidement à des limites,
à des obstacles. L’intériorité est ce lieu où il
se met à distance de lui-même et du
monde.
Chacun n’accède à l’intériorité, à la conscience de soi et du monde, que par la rencontre avec l’autre qui lui permet d’exister,
qui le reconnaît. Petit à petit, il découvre son
identité, mais celle-ci n’a jamais fini de se
construire, de se dévoiler. L’intériorité se révèle mystérieuse, c’est le cœur le plus
profond de la personne et le fondement
de sa dignité, « un trésor dont chacun est
dépositaire, mais non propriétaire » (Edith
Stein)
Parce que l’homme comprend qu’il est dépendant des autres et du monde, mais aussi
que sa quête de sens ne sera jamais achevée, il se rend compte qu’il n’est pas à
l’origine de lui-même. Ainsi, l’intériorité peut
lui apparaître comme une source intérieure que les chrétiens nomment Dieu, un
Dieu trinitaire (Père-Fils-Esprit).
L’intériorité est enfin une référence sur laquelle l’action va s’appuyer : en fonction
des buts que je poursuis dans ma vie, je vais
devoir faire des choix éclairés. L’intériorité
devient alors une boussole capable de
m’indiquer la bonne direction.
L‘intériorité offre deux dimensions : c’est un
espace profond, mais aussi une dynamique, un chemin, car elle est appelée à se
développer, tout au long d’une réflexion sur
les choix posés et les actions entreprises.
Elle se traduit par des signes extérieurs (une
forme de rayonnement), l’on n’y accède que
par la médiation du corps (sensation corporelle et utilisation du cerveau) et elle est reliée à l’extériorité, puisque la rencontre des
autres nous provoque à nous-mêmes : ainsi
31
CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013
se manifeste la cohérence et l’unité de la
personne.
Les sept piliers de l’intériorité, selon
Emmanuel Mounier
Selon lui, l’intériorité n’est pas un repli sur
soi, mais une « pulsation » vers autrui.
L’homme se définit comme un être de relation, qui a vocation d’aimer. Cela postule
une double unité, difficile à atteindre : l’unité
personnelle (le sens donné à sa vie) et
l’unité de l’humanité (le destin collectif).
D’où la nécessité d’un travail sur soi, d’une
« conversion intime » de l’intériorité.
•
•
•
•
•
•
•
L’importance du recueillement : un décentrement qui n’est pas naturel est nécessaire
pour se questionner, choisir, donner du sens
à ses actes
La découverte de « l’en soi » qui nous
donne notre singularité et qui reste mystérieux : la personne, plutôt qu’un être (mot
qui semble évoquer une réalité statique),
est « une présence active et sans fond »
L’expérience d’un sentiment complexe, voire
paradoxal : la joie de se ressourcer, de
trouver la paix intérieure, mais aussi l’envie
de goûter à une vie végétative, de se sentir
magiquement isolé et protégé
L’aventure, le risque d’être pris par un
« vertige des profondeurs », un peu comme
le spéléologue qui explore une grotte.
L’attitude de désappropriation : Mounier
prône qu’il est utile de savoir se détacher
des biens, même si l’avoir est nécessaire, et
de lutter contre l’égocentrisme
La vocation, l’appel à déchiffrer sans cesse
au quotidien le sens de ses actes, les choix
posés, son histoire
La relation dialectique entre l’intériorité et
l’extériorité. Aujourd’hui, le risque est grand
de « s’éclater », de se laisser trop prendre
par des sollicitations extérieures, mais se
réfugier dans l’intériorité comporte aussi
des risques : celui de trop s’occuper de soimême, alors que la nature, les autres, le
travail sont bénéfiques pour exister (exister, sortir de soi)
Les trois niveaux de l’intériorité, selon
le jésuite Claude Flipo
L’intériorité a besoin d’être éduquée : avoir
des repères, des limites, permet de développer la capacité de discernement. C’est pourquoi les adultes jouent un rôle essentiel pour
structurer la personne et l’aider à construire
un idéal, un projet de vie.
Trois dimensions, trois passages vers
l’intériorité :
•
L’intériorité psychique, c’est la capacité
d’entrer en soi-même, de mieux se connaître et de maîtriser ses pulsions. Elle
aidera le jeune à passer du savoir à la ré-
Bulletin de liaison des Etablissements
d’Enseignement secondaire
•
•
flexion : faire des liens, découvrir du sens,
s’exprimer en maîtrisant les concepts
L’intériorité morale, pour distinguer le bien
du mal : les jeunes comprendront que le
vivre ensemble ne peut se faire sans
interdits et que des valeurs les sous-tendent
L’intériorité spirituelle, liée aux questions de
sens. Elle pousse à la croissance de toutes
les
potentialités
humaines :
sens
esthétique, ouverture aux autres et à la
transcendance ... Elle permet aux jeunes de
passer des émotions aux sentiments
profonds. Il s’agit de « sentir les choses
intérieurement »
(Ignace
de
Loyola),
d’admirer, d’être émerveillé, de sortir de soi
en étant porté par un élan vers ce qui nous
dépasse. Pour entrer en relation avec les
autres comme avec Dieu.
Développer l’intériorité à l’école
Etant donné que l’intériorité est une notion
très complexe, les situations pour la développer sont variées, mais toutes concourent
à construire l’unité de la personne : pratique
du débat, expérience du silence, actions
humanitaires visant à la solidarité, relecture
d’une action ou d’un événement, écoute
d’autrui, rencontre de témoins, activités
scolaires, activités à dimension religieuse. En
fait, ce qui compte, c’est surtout le processus, la manière dont une activité est vécue
et accompagnée. Et l’on peut en distinguer
trois :
•
•
•
L’exploration de soi, la prise de conscience
et l’acceptation de soi, qui passe par la
rencontre et l’acceptation des autres et du
monde : la découverte de sa singularité, de
sa dignité, de sa dynamique, le fait de se
sentir
responsable,
la
recherche
de
réponses à des questions existentielles.
Un usage éclairé de sa liberté, pour orienter
l’engagement et l’action
Pour certains, un engagement dans une
démarche spirituelle, voire dans une pratique religieuse
Toute activité sera idéalement suivie d’une
évaluation : prise de recul et relecture …
Des effets repérables : le renforcement de la
confiance et de l’estime de soi, une plus
grande capacité relationnelle, l’émergence
chez certains de questions sur le sens de la
vie.
Des conditions
• Des adultes qui établissent un cadre clair,
•
•
mais sont bienveillants, des initiateurs et
des facilitateurs qui trouvent un chemin
entre guidance et effacement
La mise en évidence d’attitudes axées sur le
respect, la bienveillance et la tolérance
Un contexte qui sort de l’ordinaire, souvent
32
CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013
•
•
•
en rupture avec un quotidien bruyant,
encombré, superficiel
La nécessité d’une adhésion des élèves et
l’importance de les rendre acteurs
Un climat d’établissement : le rôle moteur
du chef d’établissement, les fréquentes
références au projet éducatif, une politique
d’écoute, une bonne gestion des espaces de
temps libres pour dégager des temps
d’accueil, des temps pour l’orientation, le
tutorat …, un accompagnement des élèves
lors
d’activités
culturelles
ou
socioéducatives
L’importance d’avoir en école un lieu de
silence
Bulletin de liaison des Etablissements
d’Enseignement secondaire
•
•
•
•
•
•
Des conseils
De façon générale, il s’agit de marquer des
pauses, pour donner du sens à ce qui se fait
en école.
•
•
•
Pratiquer une pédagogie de la relecture :
faire le point, laisser du temps et des
moments de silence pour que l’élève
s’interroge, discerne ce qu’il n’a pas compris
et exprime ce qu’il ressent … aux trois
niveaux d’intériorité déjà mentionnés
Faire prendre conscience du culte de
l’immédiateté dans lequel nous sommes, car
nous sommes sans cesse incités à rechercher un mieux-être « ici et maintenant » et développer plutôt le culte de
l’intériorité
o Aider les élèves à développer leur esprit
critique, à devenir des résistants par
rapport au milieu ambiant et les amener
sur le chemin de l’intériorité pour être
plus solides humainement.
o Former les enseignants eux-mêmes à
l’intériorité.
o Pour éviter la fatigue, le découragement
ou la plainte dans l’établissement, relire
toutes les expériences pédagogiques,
éducatives, religieuses … à la lumière du
projet éducatif
Oser voir avec les yeux du cœur
o Se débarrasser des fausses pudeurs pour
explorer des registres plus inhabituels
o En tant qu’adultes, proposer aux jeunes
des raisons de vivre et d’espérer : ne pas
se présenter comme des modèles, mais
comme des personnes en chemin
o Se situer comme témoin, être habité par
des convictions, par la foi en l’homme,
voire par la foi en Dieu
Des pratiques
•
•
La création en école d’une cellule d’écoute,
voire d’un sas de décompression
Des ateliers d’écriture partagés durant la
dernière heure du vendredi, par exemple :
écrire dans le silence sur des sujets variés
pour parler de soi, prendre du recul par
rapport à des événements douloureux, puis
•
•
partager avec les autres sans craindre de
jugement
Des activités artistiques pour commémorer
des fêtes religieuses pendant le temps de
midi
Des célébrations sur base volontaire, avec
des élèves qui s’investissent dans la
préparation
Des temps d’échange interreligieux
L’organisation de séances de relaxation,
pour faire l’expérience du silence, de
l’immobilité, pour apprendre à se détendre
et à se concentrer
Une annonce claire à l’inscription du projet
pédagogique et éducatif
L’organisation de temps de ressourcement
(journée ou soirées) pour le personnel
Un voyage avec les élèves dans un lieu fort
Une après-midi de réflexion élèves-profs sur
des
questions
existentielles,
avec
éventuellement la participation d’autres
témoins (par exemple, des moines),
l’importance de repas partagés
Le rôle de l’éducateur dans cet éveil à
l’intériorité
Il est là pour accompagner le jeune, afin
qu’il exploite toutes les potentialités qu’il a
en lui, pour créer des conditions favorables à
son
épanouissement.
Il
a
aussi
à
transmettre un héritage : des valeurs, une
histoire, des règles de vie …, autant de
repères nécessaires pour que le jeune se
construise. Cela postule que lui-même s’est
engagé sur un chemin d’intériorité, qu’il se
présente comme un pionnier. Pour le reste,
différentes
postures
sont
possibles :
entraîner le jeune par contagion, l’aider à
prendre du recul ou l’accompagner à la
manière d’un témoin.
Un
lien
avec
l’enseignement
par
compétences
La pédagogie par compétences implique
d’être dans une dynamique d’action. De
plus, de nombreuses compétences, parce
qu’elles postulent d’avoir intériorisé des valeurs, sont des portes vers l’intériorité : par
exemple, l’autonomie, l’initiative.
Un exemple de fiche d’activité pour
l’éveil de l’intériorité
Elle comprendra
•
•
•
•
•
•
le titre (par exemple, rencontre avec des
personnes en situation de handicap),
la nature de l’activité (débat, action humanitaire …),
le contexte dans lequel elle se situe,
le public-cible et les partenaires éventuels,
les buts et objectifs poursuivis,
un bilan (effets, difficultés rencontrées,
facteurs de réussite, points à améliorer)
33
CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013
•
ainsi qu’une synthèse montrant en quoi
l’activité a permis de développer l’intériorité
Enjeux et préconisations
Pour développer une solidité humaine des
élèves, toutes les dimensions de la personne
doivent être visées dans un processus
d’unification : le développement corporel,
psychique (la tête) et spirituel (le cœur).
L’intériorité et l’altérité sont complémentaires et sont à articuler. Par exemple, une
action de solidarité s’incarne sur des valeurs
intériorisées et ce sont elles aussi qui serviront à évaluer l’action entreprise.
Pour Paul Ricœur, une vie réussie tient
compte de la vie personnelle (avoir une
bonne estime de soi), relationnelle (avoir de
la sollicitude pour autrui) et sociétale (avoir
le sens de la justice). Ce sont ces trois apprentissages qui doivent guider les pratiques
de l’école.
Cela passe par la solidité et la cohérence de
la communauté éducative : elle visera la cohérence entre le dire et le faire et se référera fréquemment au projet éducatif qui
mentionnera explicitement le nécessaire développement de l’intériorité.
Et la pastorale ?
Deux registres, en matière de pastorale,
sont au moins à distinguer. Le projet éducatif d’un établissement catholique insiste sur
l’importance de proposer aux jeunes des
chemins
d’humanité
en
référence
à
l’Evangile. Dans ce cadre, la pastorale consiste moins à en parler qu’à en vivre et à
cultiver le sens de la proximité : « La pastorale, c’est d’abord entendre, écouter, voir,
et de moins en moins parler » (p. 34).
L’animation pastorale est, elle, beaucoup
plus explicite : il s’agit, toujours sur le mode
de la proposition, de penser, d’agir et de
célébrer la dimension évangélique du projet
éducatif, sans négliger le service de
l’humain, à tous les niveaux de la vie de
l’école.
L’intériorité est bien un enjeu pastoral, un
enjeu de foi, si l’on se réfère à deux acceptions de ce mot : la foi en la vie et la foi au
Bulletin de liaison des Etablissements
d’Enseignement secondaire
Christ. C’est d’abord une ressource indispensable pour aider le jeune à croire que la vie
vaut la peine d’être vécue, dans un contexte
difficile, un contexte de crise économique et
financière, de précarité … Il a également besoin de développer son intériorité pour un
mieux-être, lui à qui on fait miroiter que le
bonheur est dans le « tout et tout de suite ».
A ce niveau, il est bon de rappeler que Jésus
est un passeur de vie et que les Béatitudes
sont des paroles de bonheur … En quoi son
attitude fonde-t-elle notre regard en école
sur les jeunes ? Quelques exemples de postures éducatives inspirées par son exemple :
« S’émerveiller des progrès d’un élève, souligner la justesse d’une de ses paroles, goûter la richesse d’un moment vécu ensemble,
relire une expérience pour qu’elle prenne
sens, instaurer des temps et des espaces de
silence pour permettre une présence à soimême,
mobiliser
une
pédagogie
de
l’encouragement et de la réussite. » (p. 36)
Cultiver la foi en la vie n’engage pas nécessairement à croire dans le Christ : ce dernier
guérit d’ailleurs sans rien demander en
échange, sans manipulation, ni prosélytisme.
Devenir chrétien est donc un choix posé librement : il peut être suscité par la façon de
vivre de ceux qui ont foi dans le Christ, mais
aussi par une expérience personnelle de rencontre avec le Christ via les Ecritures.
Ouvrir les Evangiles garde alors tout son
sens. On peut les approcher à l’école sous
un angle culturel (pourquoi pas au travers
d’œuvres d’art ?), mais aussi spirituel : laisser résonner ces textes conduit à grandir sur
un chemin d’humanité, voire sur le chemin
du divin. Développer l’intériorité, c’est ainsi
nourrir des attitudes axées sur la foi (« Tu as
de la valeur »), l’espérance (« Tu peux évoluer positivement ») et la charité (« Tu peux
compter sur moi »)
L’enseignement catholique doit ainsi continuer à éduquer à l’intériorité pour garder du
sens.
Synthèse faite par Anne Oger
Le Hors-série « Eveiller à l’intériorité » peut être commandé au prix de 10 € l’exemplaire (hors frais
de port) à l’adresse suivante :
Sgec, Service publications, 277 rue Saint-Jacques – 75240 Paris Cedex 05 - Tél. 01 53 73 73 71
34
CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013
Bulletin de liaison des Etablissements
d’Enseignement secondaire
Assemblée Internationale de la Mission Lasallienne
Du 5 au 17 mai, l’Institut des Frères des
Ecoles
Chrétiennes
organisera
une
Assemblée Internationale de la Mission
Lasallienne (AIMEL). Cette Assemblée
aura lieu à la Casa Generalice à Rome.
Son thème sera : Une famille, une
mission. Lasalliens Associés pour le
Service Educatif des Pauvres
Dans cette Assemblée, trois mouvements
seront réalisés. On établira le contexte
(témoignages, rapports régionaux et
panels). On travaillera ensuite en sousgroupes en fonction des trois thématiques
abordées
(la
pédagogie
lasallienne,
évangélisation et pastorale, communauté
éducative). Dans le dernier temps, des
propositions
seront
formulées
qui
nourriront
notamment
le
prochain
Chapitre Général des Frères en 2014.
140 délégués viendront du monde entier.
Ils représentent les 5 régions lasalliennes.
La nôtre, la RELEM - pour Région
Lasallienne
Europe
Méditerranée
comprendra 37 délégués. Le District de
Belgique-Sud sera représenté par Anne
Oger, André Jacques et moi-même.
A l’heure actuelle, la RELEM a préparé un
rapport régional à partir des résolutions de
la précédente Assemblée en 2006 et des
enjeux et défis pour demain. Elle a
consulté les coordinateurs de la MEL dans
les différents districts lors de deux
réunions à Madrid, une en juin, la seconde
en février dernier. Elle associera les
directions des écoles lors du prochain
colloque d’ASSEDIL à Paderno del Grappa.
Quelques
directions
de
nos
écoles
fondamentales
et
secondaires
y
participeront,
accompagnées
de
notre
représentant
pour
BelgiqueSud
au
CA
d’ASSEDIL, Marc
Verkoyen.
Contacts
vous
relatera
cette
Assemblée lors
de son prochain
numéro. Si le
sujet
vous
intéresse,
consulter
le
site
www.lasalle.org.
Jean-Louis Volvert
35
CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013
Bulletin de liaison des Etablissements
d’Enseignement secondaire
Enseignement catholique
Journée d’études du SeGEC 18 mars 2013
Pratiques d’écoles et équité
Lors du Congrès de l’Enseignement
qui est apparu comme des « bonnes praCatholique d’octobre dernier, Benoit De
tiques qui marchent ».
Waele,
collaborateur
au
Service Etudes du SeGEC, a
Benoit De Waele a mis en
présenté lors d’un atelier le
parallèle l’évolution de la
fruit d’une recherche intitulée
recherche
mettant
en
« Pratiques
d’écoles
et
évidence une série de
équité ». Le constat à la base
moteurs d’efficacité
en
de cette étude : certaines
regard des quatre axes qui
Photo Bernard Delcroix
écoles qui scolarisent un public
ont émané des propos
particulièrement défavorisé produisent
tenus par les directions de ces écoles. Je
des résultats aux évaluations externes
vous recommande la lecture complète de
particulièrement
encourageants.
Le
l’enquête dont je vous donne les grands
SeGEC – s’inscrivant dans la foulée de
points2 :
travaux menés lors des universités d’été
de 2009 et 2010 – a décidé de consacrer
- Le mode de direction : des directions
sa journée d’études annuelle à la présend’école qui sont convaincues de pouvoir
tation de l’enquête par son auteur et à diagir et sont fières de de ce que l’on fait
verses interventions d’acteurs de terrain
en école sont un plus en vue de
en lien avec l’échec scolaire, ainsi qu’à dil’objectif de l’équité scolaire. Pouvoir se
verses directions tant de l’enseignement
remettre en question, assumer son rôle
fondamental que de l’enseignement
et sa position, mobiliser autour d’un défi
secondaire.
d’établissement, anticiper sans se précipiter, communiquer, s’appuyer sur des
Au cœur de cette journée, selon le propos
réseaux de compétences, trouver des
de Guy Selderslagh, Directeur du service
solutions plutôt que des problèmes, en
d’Etudes, la construction de l’égalité des
ayant une approche volontariste, en
chances, le souci de s’intéresser au sort
exploitant les marges d’autonomie et en
des vaincus et des plus faibles. Une prépensant hors du temps scolaire : telles
occupation du SeGEC que François Dubet
semblent être des constantes d’une
exprime aussi en disant que l’école,
action en vue de l’objectif.
seule, ne peut produire une société juste,
- L’approche pédagogique : Prendre
mais qu’elle peut agir pour diminuer les
l’enfant là où il est et l’emmener le plus
inégalités de départ1.
loin possible … Une formule qui résume
les soucis d’amélioration de l’équité
Qu’est-ce qui fait que des écoles en encascolaire. Celle-ci passe par l’établissedrement différencié, à classe égale d’inment d’un bon diagnostic, sans préjudice socio-économique (ISE), amènent
gés, de vraies exigences par rapport
proportionnellement plus d’élèves vers
aux résultats et par rapport au travail
des niveaux de compétence attendus ?
personnel quotidien, la proposition de
Pour le mesurer, le Service d’Etudes a
moyens de progresser.
passé à la loupe les résultats des épreu- Le fonctionnement de l’équipe péves externes non certificatives en lecture
dagogique : il est important d’exiger
et en mathématiques. Une douzaine
un engagement professionnel de ses
d’écoles fondamentales et secondaires
collaborateurs, de développer la conont été identifiées comme affichant ces
fiance, de soutenir l’engagement pro« bons résultats » dont il est question
fessionnel et développer toute forme de
plus haut. Les directions de ces écoles
coordination pédagogique, de veiller à la
ont été rencontrées et ont mentionné ce
cohérence et la continuité pédagogique
36
CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013
au sein de l’établissement, de multiplier
les
occasions
de
partage
entre
enseignants
- Le climat scolaire : un travail constant
est à faire auprès des élèves, des
parents et des équipes éducatives pour
rappeler les règles. Celles-ci doivent
Bulletin de liaison des Etablissements
d’Enseignement secondaire
être cohérentes. Accueil et respect sont
les meilleurs garants de la sérénité au
sein de la classe. Le calme propice aux
apprentissages est souvent assuré par
des symboles et des rituels. Les
activités hors classe favorisent la
réussite.
Bernard Servais, Directeur du DOA de St
Des contacts fréquents avec les parents
Michel Verviers, un établissont
gérés
par
les
sement scolarisant plus de
éducateurs. La direction ren50 % d’élèves étrangers, un
contre elle-même les parents
intervenant de cette journée
des élèves en difficulté en
d’études, tente avec son
janvier et en mai. Au niveau
équipe éducative de trouver
du
travail
d’équipe,
des pistes susceptibles de
éducateurs, PMS et direction
renforcer la motivation des
ont une rencontre hebdomaPhoto Bernard Delcroix
élèves de son établissement.
daire. Le Comité de Pilotage
Il cite un projet consistant à emmener les
a mis en place une réunion trimestrielle.
élèves du DOA à la découverte d’activités
Et des équipes disciplinaires agissent en
techniques dans un autre établissement
tant que leviers institutionnels.
de la ville, l’Institut Don Bosco, la création
de sections sportives (football, basketLa direction estime qu’il convient d’être
ball, tennis de table), une refonte
proactif. Elle apprécie les réseaux de pairs
d’activités complémentaires axées pour
et tout partage d’expérience. Sa conclucertaines sur les sports et la technologie
sion porte sur l’intérêt de l’autonomie des
dans les domaines de la menuiserie, de la
écoles. Car profiter des marges de mamaçonnerie, de la mécanique et de
nœuvre que laissent les décrets est
l’électricité. De la remédiation en français
indispensable.
et en mathématiques est intégrée à la
grille horaire, tandis qu’une étude dirigée
Bernard Servais insiste : sans chacun des
et des rattrapages sont organisés pour
membres de la communauté éducative,
aider les élèves qui ne seraient pas dans
une politique d’école ne peut être menée.
les meilleures conditions d’apprentissage à
Il rend hommage à toutes celles et ceux
la maison.
qui œuvrent au quotidien avec inventivité
et avec ce regard aimant décrit aussi
En termes de pilotage, un suivi individuaavec empathie par le Directeur du
lisé des élèves et des rencontres personDépartement Pédagogique de Malonne
nalisées sont favorisés. Une médiatrice à
(HENALLUX), Jean Donckers.
mi-temps intervient en cas de difficulté.
J.-L. Volvert
1
2
François Dubet, http://enseignement.catholique.be/segec/index.php?id=917
Benoit De Waele, Pratiques d’écoles et d’équité, Services d’études SeGEC, 2013. Le document est disponible sur le site
enseignement-catholique.be dans Actualité.
37
CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013
Bulletin de liaison des Etablissements
d’Enseignement secondaire
Assemblée générale de l'Association des Ecoles Congréganistes
(ASSOEC)
« Ce qui est fragile
résiste mieux aux
secousses. »
Cette
phrase
prononcée
par
Sœur
MarieCatherine
Petiau,
Présidente
de
la
COREB (Conférence
des Religieuses et
Religieux en Belgique), en ouverture à
la journée, lui donne
de
suite
une
orientation optimiste,
en accord avec cette froide, mais ensoleillée,
journée printanière.
Elle fait croître la joie qui est déjà dans les
cœurs. Car les rencontres de l'ASSOEC
ressemblent de plus en plus à de grandes
réunions de famille. Cette fois, 40 membres
issus de 13 congrégations sont présents ;
elles se retrouvent avec plaisir et accueillent
fraternellement une nouvelle congrégation,
celle des Ursulines de l'Union Romaine, une
congrégation que nous allons apprendre à
connaître. Présente dans différents pays
européens, elle n'est liée qu'à une seule
école en Belgique. Située à Mons, elle
accueille 2 400 élèves.
Que de chemin parcouru depuis les
premières réunions et depuis la naissance de
l'ASSOEC en juin 2011, que d'avancées pour
apprendre à travailler ensemble : après un
temps d'intériorité, Jean-Louis Volvert,
Président de l’Association
des Ecoles
Congréganistes, refait un bref historique,
rappelle les objectifs et le travail réalisé par
le Bureau et propose des pistes de réflexion.
Ensuite, la parole est donnée à deux
intervenantes françaises. Tout d'abord, Mme
Christiane Durand, membre de l'Observatoire de pédagogie de l'Enseignement
Catholique et collaboratrice de Yves Mariani,
venu l'an dernier parler de la transmission
des charismes, va captiver son auditoire par
ses propos éclairants, bien structurés et
enracinés dans le concret.
Christiane Durand
Elle souligne en premier lieu un paradoxe :
la crise de la transmission, mais, en même
temps, un engouement pour l'histoire, la
généalogie, les richesses du patrimoine ...
Elle y perçoit un intérêt manifeste pour des
questions de sens : d'où venons-nous ?
Qu'avons-nous reçu ?
Elle va ensuite aborder plus spécifiquement
les atouts et les freins liés à la transmission
des charismes des congrégations. Aujourd'hui, tout passe par le témoignage et non
par
les
théories
conceptuelles :
nos
fondateurs ont été des témoins, mais
comment faire pour qu'ils le soient encore ?
Une piste : emmener les élèves là où ils ont
vécu, pour qu'ils s'imprègnent et deviennent
peut-être eux-mêmes leurs ambassadeurs.
Ce qui est porteur dans le contexte actuel,
c'est aussi la grande liberté des fondateurs
par rapport au pouvoir et aux institutions
existantes, pour répondre aux besoins de
leur temps. Enfin, il existe deux autres
conditions favorables à la transmission : la
nécessaire articulation entre le dire et le
faire, entre une conviction qui donne sens,
une parole et une action, pour être crédible,
mais également l'importance de créer un
sentiment d'appartenance.
38
CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013
Cependant, tout n'est pas gagné : sauronsnous être audacieux comme les fondateurs
de nos congrégations et aller à contrecourant d'une société qui prône la sécurité ?
Arriverons-nous à nous affranchir par rapport aux normes qu'elle véhicule ? Et qu'en
sera-t-il au niveau du langage que nous
utiliserons ? Nous sommes à l'ère de la
communication : il ne suffit pas d'avoir des
écrits nourrissants, encore faut-il les faire
passer ! Pour rejoindre un public large, il est
indispensable de multiplier les canaux de
communication et de ne pas négliger
l'animation, la proximité relationnelle étant
indispensable. Faire évoluer notre manière
de parler, c'est là un grand défi. Tant de
mots auxquels nous sommes habitués
risquent d'être mal compris ... Nous avons à
être vigilants : parmi ceux à qui nous nous
adressons, certains sont très éloignés du
monde religieux : comment les toucher, sans
négliger « les sympathisants bienveillants »
et les initiés ? N'oublions pas non plus,
comme nous l'a rappelé le Pape François,
que, sans la joie et la beauté, la vérité
devient impitoyable.
Bulletin de liaison des Etablissements
d’Enseignement secondaire
notamment sur la tutelle, une notion
complexe, difficile à clarifier en quelques
lignes. Pour éviter les jugements hâtifs et les
clichés, disons simplement que le mot ne
doit pas être associé au mot « surveillance »
mais plutôt au mot « tuteur ». Il s'agit
d'accompagner la croissance et la vie des
communautés éducatives. Ainsi les visites de
tutelle, qui ont lieu tous les 3, 4 ans dans
chaque établissement et qui durent plusieurs
jours, ne sont pas des visites d'inspection,
mais des moments d'échanges constructifs
avec tous les membres de la communauté
éducative, y compris avec les parents.
L'après-midi a été consacrée à des ateliers.
Les petits groupes avaient été constitués de
façon à ce qu'au moins trois congrégations
puissent échanger sur les propos tenus en
matinée par les deux invitées françaises,
mais aussi sur leur projet éducatif respectif.
Il était prévu une alternance entre des
temps de réflexion individuelle et collective.
Durant la présentation des projets éducatifs,
chacun a d'abord été très à l'écoute de
l'autre, puis a exprimé ce qui l'avait frappé.
Ainsi, saviez-vous que des congrégations
comme celle des Ursulines
Après cet exposé interpelde
l'Union
Romaine
lant, Sœur Nadia Aidjian,
n'avaient pas été liées au
membre de l’Union des
départ
à
la
fondation
Réseaux Congréganistes de
d'écoles ? L’objectif premier
l’Enseignement
Catholique
était de répondre aux
(URCEC) créée en 2006 en
besoins des femmes, très
France, a pris la parole.
négligées dans la société du
Cette
salésienne,
très
17ème siècle, et d'initier un
engagée
dans
l'enseignement et dans sa
esprit ... En fin de journée,
congrégation nous présente
chaque groupe a présenté
brièvement l'URCEC.
en plénum une synthèse
Aujourd'hui 109 congrégareprenant trois éléments
Sœur Nadia Aidjian
tions sont en charge de
communs et un accent
664.000 élèves. L’URCEC est composé de
différent de chacune des congrégations. Une
religieuses/ religieux et de non religieux.
occasion à nouveau de mieux percevoir ce
Ces principales missions sont les suivantes :
qui nous rassemble, mais aussi de s'enrichir
créer des liens et communiquer, accomde nos différences ...
pagner les établissements et les chefs
d'établissement, former aux charismes, en
En conclusion, je vous livre une réflexion
être les garants tout en les actualisant et
formulée par Mme Christiane Durand qui a
représenter les congrégations dans les
attiré mon attention : « L'émancipation, un
différentes instances de l'Enseignement
mot-clef à creuser ... Il s'articule à tous les
Catholique français. Il s'est ainsi créé un
niveaux, qu'il soit individuel, social ou
sentiment d'appartenance qui donne force et
spirituel » ... Et ces mots capables, selon
confiance.
moi, de donner sens à nos actes : « La
bonne distance, c'est aussi la tendresse ».
Ce réseau est très structuré et axé
Anne Oger
39
CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013
Bulletin de liaison des Etablissements
d’Enseignement secondaire
Les pédagogies coopératives - Sylvain Connac
Le 7 mars dernier, j’ai eu la chance d’être invité par la direction des Aumôniers du Travail
de Boussu à une formation donnée sur les pédagogies coopératives. L’école fêtait les
25 ans de classes ateliers au sein du premier degré qu’on n’appelait pas encore
différencié. A l’origine du projet, l’insertion sociale du jeune, l’amélioration des relations
professeurs/élèves et professeurs/parents, la réconciliation du jeune et de ses parents
avec le monde de l’école et avec des structures plus traditionnelles au-delà du premier
degré. Dans des espaces larges, les élèves coopèrent et sont encadrés par des
professeurs de plusieurs disciplines qui coopèrent en même temps. Une soixantaine
d’élèves répartis en trois classes de 1DIF et trois classes de 2DIF sont aidés par 14
enseignants de diverses disciplines qui ont négocié leur horaire ensemble. Les élèves
travaillent par champ disciplinaire et généralement par plan de travail et travaux
individuels à réaliser sur deux semaines. Ils se déplacent et les enseignants sont à leur
disposition. De nombreux supports pédagogiques sont présents, en ce compris un TBI.
En cette matinée du 7 mars, quelque 150 personnes ont pu découvrir ces classes ateliers
et sentir comment elles se passaient concrètement. Parmi elles, des enseignantes du
Sacré Cœur de Frameries.
Dès notre arrivée, nous avons perçu cet esprit familial, ce lieu de vie dédié aux apprentissages, ce
cadre fonctionnel de travail ouvert aux échanges.
Le coin lecture, la cuisine, le TBI (Tableau Blanc Interactif), les PC, … définissent les espaces où
circule une équipe éducative à l'écoute des besoins des élèves.
L'organisation mise en place depuis 25 ans est réellement au service de la coopération.
Les élèves progressent ainsi au rythme de leurs apprentissages.
Un modèle qui ne manquera pas d'inspirer le corps enseignant.
Nous quittons donc cette “classe atelier” des idées plein la tête.
Eve Balthazart et Jessica Nocera,
Professeures au premier degré différencié à l'Institut du Sacré-Coeur de Frameries
« J'ai trouvé cette conférence extrêmement intéressante d'autant que Sylvain Connac a mis en
pratique la pédagogie coopérative. Il a synthétisé une réflexion théorique et une application
concrète. Ce type de pédagogie pousse à la réflexion et replace les valeurs humaines au cœur de
l'école. Il faudra lire son livre pour mettre en œuvre la coopération et probablement l'adapter à
notre public adolescent. »
Aline Crombez
Professeure à l’Institut Saint-Luc de Ramegnies-Chin
« Quel bel enthousiasme, quel positivisme que celui de Monsieur Connac. Nous avons besoin de ces
idées nouvelles, de ces pistes pour amener nos élèves si pas à la réussite scolaire, au moins à un
épanouissement humain et social. Je pense que la pédagogie coopérative, par le biais de la
responsabilisation de l'élève et par l'aspect "solidarité" qu'elle met en évidence, est une des
manières de veiller à l'ouverture sociale de nos élèves. Le fait de les valoriser dans différentes
disciplines et de pouvoir leur faire partager leurs compétences avec d'autres, peut indiquer et faire
comprendre qu'en chaque être humain se trouvent des éléments à mettre en avant ... Ma seule
réserve est de dire que, comme chaque fois qu'on innove au sein d'une école, il faut trouver les
énergies et bousculer un peu les habitudes ... Peut-être est-ce cela le plus gros défi ...Quoi qu'il en
soit, ce genre de pédagogie peut tout à fait, dans un premier temps, être appliquée à des petits
groupes avant d'avoir "un effet yaourt" comme le dit si bien Monsieur Connac ... Exploitons les
énergies positives ... cela ne peut qu'apporter de l'enthousiasme à tous !!!!"
France Goossens
Institut Saint-Luc de Ramegnies-Chin
Lors de l’après-midi organisée par le
SEDESS du Diocèse de Tournai et
CECAFOC, Sylvain Connac, Professeur des
écoles, comme on dit en France, qui a
enseigné dans une classe élémentaire de
1997 à 2010 et qui est aujourd’hui chargé
de cours en Sciences de l’Education à
l’Université Paul Valéry de Montpellier, a
esquissé quelques pratiques coopératives.
40
CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013
Sylvain Connac interpelle tout d’abord son
auditoire : combien de minutes un élève
se concentre-t-il lors d’une heure de cours
de 50 minutes ? Réponse : entre 30
secondes et 18 minutes !!!!
Il a été prouvé que le niveau de
concentration et de performance scolaire
augmente si de la coopération s’installe
entre élèves. Mais de quoi parle-t-on au
juste quand on parle de coopération ?
Bulletin de liaison des Etablissements
d’Enseignement secondaire
Un élève n’est pas reconnu expert comme
cela.
Coopérer, c’est « agir avec ». Toute
situation scolaire permet la coopération
qui regroupe aide, entraide et tutorat. La
coopération
concerne
des
situations
d’échanges où des individus ont la
possibilité de produire ou d’apprendre en
s’aidant mutuellement ou en s’entraidant.
Coopérer, ce n’est pas collaborer ou
« travailler avec ». On peut « agir avec »
sans « travailler avec ».
Une relation coopérative
Aide, entraide, tutorat, coopération
Aider, c’est accepter de donner un peu de
son temps pour répondre d’une façon
compétente à une demande d’un élève qui
en a manifesté le besoin
S’entraider, c’est décider de s’associer
pour dépasser l’obstacle qu’on rencontre
individuellement. A plusieurs, on est plus
fort. L’union fait la force !
Le tutorat a un caractère organisé, prévu,
contractualisé. Un élève reconnu expert
accepte, pour un temps donné et avec un
objectif précis, d’accompagner un de ses
camarades pour qu’il devienne autonome.
Une relation coopérative est symétrique
quand les élèves sont en relation de
parité. Elle est asymétrique quand l’un est
plus expert que l’autre (c’est le cas de la
relation prof-élèves).
Avec l’aide, on se situe dans une situation
asymétrique informelle. Dans l’entraide,
on est dans une situation symétrique
informelle. Dans le tutorat, on est dans
une situation asymétrique formelle. Et la
coopération ? On est … partout, vous
l’avez deviné. Elle recouvre l’ensemble des
pratiques.
Un cas typique de relation coopérative
symétrique formelle est le travail de
groupe où on réunit des élèves sur le
mode de l’hétérogénéité. Une production
de groupe où - soit dit en passant – on ne
peut évaluer les apprentissages. Ainsi se
sont souvent les meilleurs élèves qui
profitent des travaux de groupes. Cela
renforce l’élitisme.
41
CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013
Quels effets de la coopération sur les
apprentissages ?
Sylvain Connac en pointe au moins deux.
Tout d’abord un effet « vicariant » : en
d’autres mots, la coopération renforce
l’apprentissage « par imitation », on
« reproduit », on est « perméable » à
l’expérience.
Ensuite un effet coopératif : dans une
situation tutorielle, celui qui se fait aider
obtient une info qu’il n’avait pas pour
réaliser la tâche. Celui qui explique est
celui qui apprend le plus. Il a l’activité
intellectuelle la plus dense. Comme le prof
qui, dans la classe, apprend le plus dans la
relation pédagogique avec l’élève. On
apprend
donc
en
devenant
« un
enseignant par les pairs ».
Préparer les élèves à la coopération ?
Dans un apprentissage, deux personnes
font un pas l’un vers l’autre. Il y a celui
qui aide et celui qui est aidé.
Celui qui aide :
Il termine d’abord son travail et ne
s’interrompt pas trop longtemps
Il est d’accord pour apporter son aide
Il a bien compris ce qu’on lui demande
Il peut se servir de fiches outils et de
tous les documents de la classe
Il ne donne pas la réponse
Il ne se moque jamais
Il peut dire ce qu’il faut faire ou laisser
deviner …
Il doit ré-expliquer une consigne de
travail (cela prend d’ailleurs 50 % du
temps)
Celui qui se fait aider :
- Il essaye d’abord seul, sinon, il n’a
pas de questions, il faut avoir essayé
et raté quelque chose pour apprendre
- Il choisit celui qui peut l’aider
- Il ne le dérange pas dans son travail
- Il écoute celui qui aide
- Il met de la bonne volonté
- Il remercie celui qui l’a aidé
- Il peut décider d’arrêter de se faire
aider
Des outils pratiques
On ne s’improvise pas tuteur. Cela se fait
sur la base d’un « brevet de tuteur » (un
QCM où on doit démontrer qu’on souhaite
devenir tuteur et qu’on sait ce que cela
Bulletin de liaison des Etablissements
d’Enseignement secondaire
signifie). Un brevet peut être retiré à un
élève si, par exemple, un élève asservit un
autre.
Le tétra-aide est un outil qui sert à savoir
qui est disponible pour aider et qui ne l’est
pas.
Le passeport est un outil qui aide un
élève à dire qu’il a « besoin d’aide ». Une
aide qui peut être « urgente ».
Des conditions pour que les pratiques
coopératives s’installent
Il convient d’établir des règles de vie
précises auxquelles on ne peut déroger.
Dans la relation coopérative, chacun est
une ressource pour l’autre. Une charte de
vie est à créer. On ne peut parler fort dans
un groupe où on coopère.
Une formation d’une heure est prévue
relativement aux gestes coopératifs.
Il ne faut pas inclure de la coopération
dans les moments d’évaluation interne ou
externe. Il est prouvé scientifiquement par
des chercheurs en sciences de l’éducation
s’appuyant sur la technique du récit
d’élèves que, plus la relation pédagogique
est bonne, meilleurs sont les résultats aux
évaluations externes …
Et si un élève ne coopère pas ? Le laisser
libre, il comprendra ensuite la logique
pédagogique de la classe et finira par y
entrer !
Les élèves expliqueraient mieux que les
profs ? Une idée reçue, car les profs ont le
recul par rapport au savoir, mais les
élèves auraient au moins des capacités
égales à celles des enseignants qui ne
savent pas toujours expliquer autrement.
Les pratiques coopératives, la
panacée ?
Sylvain Connac conclut en insistant sur les
visées de l’enseignement coopératif en
lien avec les visées de l’enseignement
catholique. Il s’agit dans nos écoles d’avoir
un regard particulier pour les plus petits,
d’avoir un regard pédagogique formel pour
ceux qui ne comprennent pas tout de
suite. Les pratiques coopératives aussi à
développer un sentiment de responsabilité
collective, gage d’une future intégration
sociale réussie. Car la solidarité intègre le
souci de la précaution de l’autre.
« Mon voisin, même s’il est différent,
42
CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013
est au moins aussi important que moi.
Ses besoins, ses désirs sont aussi
prégnants que les miens »
Apprendre avec la coopération permet –
dit Sylvain Connac – de contribuer à
développer des progrès chez chaque
élève, de reconnaitre ses peines, de le
mener au bonheur. Selon le principe
d’éducabilité cher notamment à de
nombreux fondateurs de congrégations,
on ne désespère jamais des élèves. Et si
les élèves réussissent, ils ne décrochent
pas ou moins. En réussissant, ils
deviennent des ressources pour les autres,
en
se
trompant,
ils
s’entrainent
autrement …
Les pratiques coopératives n’ont pas
d’effet si elles se vivent pendant une
période de moins d’un an. Or, souvent, on
les pratique à l’intérieur d’un seul cours et
pendant une période limitée.
Elles nécessitent un corps professoral qui
se parle, qui est uni, qui est capable
d’écouter activement les élèves, de
pratiquer les encouragements petits et
successifs. Un corps professoral qui ne se
laisse pas déborder par le bruit en classe,
voire par la pagaille.
Le complexe du homard
Le homard mue à un moment de sa vie, il
se défait de sa carapace, il se retrouve
dans l’eau, il craint d’être mangé … L’ado,
Bulletin de liaison des Etablissements
d’Enseignement secondaire
quant à lui, sort de sa carapace (famille et
substituts de la famille), il entre dans un
monde hostile et il est vulnérable.
L’éducation est un point d’accroche pour
lui. L’ado se demande qui il est, quelle
image les autres ont de lui.
La
coopération
permet
aux
autres
d’exister dans la mue de l’adolescence.
Un âge requis pour les pratiques
coopératives ? Il n’y en a tout simplement
pas. De l’enseignement maternel à
l’enseignement supérieur, les pratiques
coopératives peuvent être utilisées par des
profs qui y croient et ont envie de vivre
leur métier avec leurs collègues en dehors
du « moi, je » …
Innover ?
Il y a vingt-cinq ans, les Aumôniers du
Travail
de
Boussu
cherchaient
de
nouveaux moyens pour faciliter l’accrochage scolaire et donner du sens aux
apprentissages. Selon une enseignante qui
était là au point de départ et le directeur,
Fabrice Glogowski, ils avaient le sentiment
d’innover.
Aujourd’hui
encore,
ces
pratiques
dites
innovantes
le
sont
toujours. Mais le rôle joué par les
congrégations enseignantes n’est-il pas
sans cesse de trouver ces réponses
adaptées aux jeunes et à la société de
demain ?
JL Volvert
Bibliographie
- CONNAC S. (2009), Apprendre avec les pédagogies coopératives – Démarches et outils pour la
classe, ESF Editeur, Issy-les-Moulineaux, 334 pages
- CONNAC S. (2012), La personnalisation des apprentissages, ESF Editeur, Issy-les-Moulineaux,
septembre 2012
- www.cahiers-pedagogiques.com/spip.php?article6383
43
CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013
Bulletin de liaison des Etablissements
d’Enseignement secondaire
Tout le monde en parle
Les Centres de technologies avancées
Deux écoles lasalliennes (l’Institut SaintLuc à Mons et l’Institut Saint-Joseph de
Ciney) ont saisi l’opportunité de se lancer
dans un Centre de Technologie Avancée
(CTA). Un CTA est – le rappelle une note
contenue dans un BI de la FESeC – une
infrastructure développée au sein de certaines écoles mettant à disposition des
élèves et des enseignants des établissements de tous les réseaux. Les CTA sont
accessibles aux demandeurs d’emploi et
aux travailleurs. Leur mission est de développer des situations performantes qui
correspondent aux profils de formation par
la CCPQ (Commission Communautaire des
Professions et Qualifications) et le SFMQ
(Service Francophone des Métiers et des
Qualifications).
La Fédération Wallonie-Bruxelles a décidé
de concentrer des moyens financiers, afin
de permettre à un nombre limité
d’établissements scolaires d’acquérir des
équipements de pointe au bénéfice de
l’ensemble des élèves. 31 écoles secondaires tous réseaux confondus ont reçu
des
moyens
financiers
importants
(840.000 euros) pour divers domaines.
L’Institut St Joseph de Ciney (équipements techniques du
bâtiment) et
l’Institut St Luc à Mons (nouvelles technologies écologiques des véhicules à deux
et quatre roues) ont déjà ouvert des modules de formation. Leur CTA sera inauguré très bientôt en présence de la Ministre Marie-Dominique Simonet.
Une table ronde vient de réunir Messieurs
Dumortier, Deleu et Dewaele, directeurs,
ainsi que les deux coordinateurs de CTA,
Messieurs Rudy Mathurin et Frédéric
Bimbi. Son objet était de mettre en avant
le secteur industriel qui – paradoxalement
dans un contexte de pénurie – a perdu des
élèves
depuis
quelques
années.
Il
s’agissait aussi d’aborder des problèmes
concrets de mise en place des formations,
de leur organisation jusqu’à leur évaluation. Bref de permettre à des pairs de
s’entraider en se connaissant mieux.
Des objectifs de départ
Soyons francs : chaque école a pensé
qu’adjoindre un CTA à son établissement
était une riche idée dans tous les sens du
terme. Pouvoir recevoir du matériel moderne, adapté, en lien avec des options
développées dans l’école ne pouvait être
qu’un plus et contribuer à la renommée
des options concernées et de l’école. A
Saint-Joseph, on avait des élèves en
chauffage/sanitaire, en domotique et en
climatisation, alors qu’à Saint-Luc, on
avait des options en lien avec la
mécanique automobile et avec la moto.
Suivre l’évolution de la technique dans ces
domaines-là peut s’avérer coûteux et
risqué à la vitesse où une évolution
d’aujourd’hui peut ne pas être celle du
lendemain.
On a aussi vu la motivation de l’élève et
celle des professeurs qui ne pouvaient que
s’améliorer en donnant sens et pertinence
aux apprentissages et en formant les
professionnels de demain capables de
s’adapter tout au long de leur carrière.
Les cahiers des charges sont toujours rebutants, mais on a eu la chance d’avoir
des directeurs fonceurs et visionnaires. Un
peu de chance aussi au vu de la situation
géographique des écoles et du choix des
domaines effectué au niveau des réseaux
et bien sûr, du Cabinet Ministériel en
charge du dossier en tenant compte des
nécessaires équilibres en tous ordres.
Des difficultés de départ
Tout a dû s’inventer localement, il a fallu
des volontaires motivés pour inventer la
44
CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013
Bulletin de liaison des Etablissements
d’Enseignement secondaire
route qui n’était que partiellement balisée.
Grâce à l’aide de la FESeC et en particulier
de Monsieur Bernard Denègre, des obstacles ont été franchis. Le premier a été
de dégager des espaces au sein de l’école.
Ici, un nouveau bâtiment, là, une maison
à rénover qui permet de se lancer. 4OO
mètres carrés ne se trouvent pas
facilement !
Choisir le matériel en fonction de ce qui
marche et se vend le plus et rester dans
l’enveloppe budgétaire était aussi un long
et difficile itinéraire. Faire connaitre le CTA
et faire venir les professeurs et les élèves
a fait l’objet d’interrogations : comment
faire savoir où le CTA se trouve et ce qu’il
offre, qui va venir, de quel réseau, de
quelles écoles, … Des interrogations
récurrentes. Il a fallu faire vite lorsqu’il
s’est agi d’acheter le matériel, alors qu’on
n’avait pas en tête toutes les possibilités
de formation.
Et déterminer
le
coordinateur
de CTA compétent,
volontaire et
spécialiste du
domaine a été
un premier pas, synonyme de réussite du
projet.
Un
coordinateur
qui
devait
accepter
des
tâches
d’accueil,
d’organisation et d’administration, cette
dernière étant très lourde, tant les contrôles de l’utilisation des deniers publics de
la FWB et de l’Europe sont importants.
Comme formateurs, il a fallu des
professeurs compétents et pédagogues.
Ils existaient.
Enfin, entre le cahier des charges et le
moment où le CTA reçoit le matériel,
s’écoule un temps très long.
lien avec le bio-ethanol. Les formations
viennent de commencer.
Sans pouvoir communiquer ici des statistiques complètes, notons que l’ISJ Ciney a
organisé l’an dernier 600 formations d’une
journée. Des professeurs sont venus et
des élèves. Leur attitude au travail,
l’encadrement actif des formateurs et des
professeurs accompagnants se sont avérés
une aide. Pas de vol de matériel, ni
d’endommagement conséquent de celui-ci,
pas de dépenses insupportables, et
surtout des apprentissages qu’il aurait été
impossible à une école d’organiser en
fonction du coût des machines et des
consommables.
Comment les écoles ont-elles décidé de
franchir le pas ? Il faut constater l’effet
d’accroche personnelle entre coordinateur,
formateurs et professeurs ou chefs
d’ateliers, ceux-ci étant souvent les premiers contacts.
A Ciney, des
écoles reviennent
d’une
année
à
l’autre. Elles
proviennent
surtout
du
réseau libre.
La crainte de la concurrence locale des
écoles est réelle. La meilleure preuve en
est que celles qui ont la même offre
d’enseignement viennent d’au-delà de
30 kms. La méconnaissance des réseaux
n’est pas levée : seules deux écoles
proviennent d’un autre réseau que le
réseau libre. Parmi les constats du début,
notons que certains professeurs se sont
emparés des documents tout faits des
formateurs et ne sont plus revenus par la
suite, leur école ayant investi dans un
matériel similaire.
Des premiers constats …
encourageants
A l’Institut St-Joseph, on a une plus
longue expérience : depuis 2008-09, trois
modules sur les quatre ont été ouverts :
sanitaire, climatisation et domotique (ce
sera bientôt le tour du chauffage). A
Saint-Luc Mons, on a commencé plus
récemment à équiper le garage de
voitures à moteur hybride diesel ou
essence + moteur électrique et de motos
avec hybridation. On pense à un labo
d’analyse des carburants et à ce qui est en
Des atouts
Diverses certifications professionnelles reconnues peuvent être obtenues dans un
CTA. On a aussi observé que certaines situations d’intégration sont travaillées in
situ au CTA par des écoles utilisatrices. Un
effet dont on ne mesurait pas la portée, il
y a deux ou trois ans. Des élèves (selon
un pourcentage accepté de fréquentation
du CTA) sont venus et ont acquis un plus
indéniable en termes d’apprentissage du
métier dans des conditions réelles.
On peut également chercher en CTA à
45
CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013
s’adapter à certaines demandes très
précises, Ce qui requiert de la volonté et
de la bienveillance de la part des
coordinateurs et formateurs.
La polyvalence des élèves formés peut
être renforcée : la participation à divers
modules dans le même domaine permet
d’aborder les différentes facettes du
métier.
Un Comité d’Accompagnement composé
de représentants des réseaux, du Cabinet,
de l’inspection, de centres de compétences
existe. Il apporte un regard de professionnel et assure les liaisons indispensables
avec les gens « de terrain ».
Quelques difficultés
Un paradoxe : le matériel à disposition est
up to date, parfois trop, car les
programmes, les profils et même la CPU
ne
suivent
pas.
Cela
amène
les
enseignants à jongler d’une façon réaliste
Bulletin de liaison des Etablissements
d’Enseignement secondaire
entre l’application du programme en cours
et l’avenir des exigences d’un métier.
De plus, se pose la question du logement
des élèves qui viennent de loin. Une
solution est possible mais la gestion des
élèves fait parfois peur.
En outre, si des équipements qui
permettent des formations de plusieurs
journées consécutives ou non, certains
types de matériel coûteux ne permettent
une exploitation que lors d’une demijournée : il faut alors combiner. Ce n’est
pas idéal.
Il y a aussi la gestion de l’inattendu : on
prévient au dernier moment qu’on ne
viendra pas, des professeurs d’options
sans lien direct avec les modules se présentent
à
des
formations
« enseignants » …
Il faut également trouver la manière de ne
pas déstabiliser un professeur devant sa
classe lorsqu’il fait face à un matériel
inconnu.
Et l’articulation entre CTA, d’une part et
Centres
de
Compétences
et
IPIEQ
(Instance de Pilotage Interréseaux de
l’Enseignement Qualifiant), d’autre part,
doit encore être travaillée.
Un dernier aspect surprenant : les élèves
des premiers degrés peuvent « visiter » le
CTA, mais rien n’est prévu dans le cadre
d’une activité, alors qu’ils aiment quitter
un
atelier en
possession
de leur
réalisation. Etonnant à l’heure où on prône
l’orientation positive du jeune !
Enfin, il n’est toujours pas évident de faire
connaitre le CTA. Ceci malgré les sites internet existants.
Le CTA de l’Institut St-Joseph Ciney ?
Consulter le site www.campustechnologiesavancees.be
Vous y verrez les secteurs concernés, les modules retenus, les 8 profils métiers concernés. La liste des équipements.
Pour tout contact : [email protected]
Inauguration officielle le 24 mai
Le CTA de l’Institut St-Luc Mons ?
Consulter le site www.saint-luc-mons.be
Pour tout contact : [email protected]
Inauguration officielle le 3 mai
Merci à tous les acteurs de ces deux CTA et formulons le vœu que l’enseignement dans
ces secteurs se développe par une motivation accrue des élèves.
Jean-Louis Volvert
46
CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013
Bulletin de liaison des Etablissements
d’Enseignement secondaire
Grand angle sur l’enseignement supérieur
Développer le métier : le collectif dans l’individuel ?
L’EDEF,
l’Ecole
d’éducation
et
de
formation, réunit quatre commissions de
programmes intervenant à l’UCL dans le
domaine
de
la
formation
et
de
l’enseignement (FOPA, AGRE, CAPAES,
Pédagogie Universitaire). Elle est le lieu où
se rencontrent les différents acteurs de
l’éducation, que celle-ci soit formelle ou
informelle, et qu’elle se réalise au sein du
système scolaire ou dans les autres
secteurs de la vie sociale (éducation
permanente,
insertion
professionnelle,
secteur public, entreprises).
Le samedi 19 janvier, dans le cadre des
10 ans du CAPAES (Certificat d’Aptitude
Pédagogique délivré par les Hautes Ecoles
et les Centres d’Enseignement Supérieur
de promotion sociale), l’accompagnement
de l’entrée dans les métiers de l’éducation
et de la formation a fait l’objet d’une
journée de travail et d’étude organisée par
l’EDEF. Trois séances thématiques ont
proposé de sensibiliser les responsables de
notre système éducatif à l’enjeu de la
réussite de l’insertion professionnelle des
enseignants novices : la mobilité sociale et
professionnelle des enseignants, des
dispositifs innovants pour accompagner la
construction de leur identité.
C’est la conférence inaugurale qui a
retenu mon attention. Cette conférence a
été introduite par Ghislain Carlier, en sa
qualité de responsable académique.
Yves Clot est titulaire d’une chaire en
psychologie
du
travail
à
CNAM
(Conservatoire National des Arts et
Métiers) à Paris. Dans son essai intitulé
« Le travail à cœur. Pour en finir avec les
risques psychosociaux. Collection cahiers
Libres, mai 2010 », il assemble les
données qui permettent de se rendre
compte que la négation des conflits autour
de la qualité du travail au sein de
l’entreprise
menace
le
collectif
et
empoisonne la vie des organisations. Le
plaisir du « travail bien fait » ne serait-il
pas la meilleure prévention contre le
stress ? Y aurait-il un bien-être sans
« bien faire » ? En France, on a beaucoup
parlé des suicides en série sur les lieux de
travail, de l’explosion des pathologies
professionnelles à la suite des pressions
managériales liées à la rentabilité. Y
aurait-il un lien avec
le monde de l’enseignement ?
Yves
Clot
se demande en préambule ce qu’est
l’activité du travail à l’heure où efficacité
et
santé
sont
reliées.
Dans
l’enseignement, l’activité a un objet :
l’activité de l’élève. Et il y a l’activité
d’autrui portant sur cet objet. Un conflit
entre les deux types d’activité est
possible. Ne pas se préoccuper de cela est
dangereux pour la santé. L’activité n’est
pas la simple réalisation de la tâche.
L’activité, c’est « comment je vais faire la
tâche ». La tâche n’anticipe pas l’activité
qui part à la conquête de celle-ci. Quand
on vit dans un milieu professionnel, on
s’adapte à son milieu, on ne recrée pas les
normes, mais on peut recréer son milieu
par son activité.
Selon Yves Clot, on est en bonne santé :
47
CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013
lorsque
l’on
peut
porter
la
responsabilité de ses actes
- lorsque l’on peut porter les choses à
l’existence (en dehors de soi)
- lorsque l’on peut créer entre les choses
des rapports qui ne leur viendraient pas
« sans moi »
Ce qui est capital pour la santé (dans
l’enseignement comme ailleurs), c’est
donc d’être à l’origine des choses. Lorsque
l’on
n’est
plus
qu’un
effet
de
l’organisation, on devient passif. Or, on
est de plus en plus placé dans des
situations où on ce qu’on voudrait faire est
impossible. On multiplie ces situations
impossibles et on ne fait plus un travail
qui est reconnu par autrui.
On peut être hyperactif sans effectivement
être actif. Paradoxalement, on peut être
dans des activités « rentrées » : par
exemple « aujourd’hui, je n’ai encore rien
fait ». On a le sentiment que l’on a rien
fait de ce qui est vital, que la qualité de
son travail s’en ressent. La bonne
fatigue (celle des efforts qui conduisent
au but) devient de plus en plus rare. Selon
Yves Clot, si on n’a plus envie de parler de
son travail le soir à la maison, autour du
repas de famille, méfiance, danger !!!! La
fatigue qu’on ressent le plus est celle de
tout ce qu’on ne fait pas, des activités non
réalisées qui, en quelque sorte, nous
« poursuivent » après le travail. D’où
obsessions, ruminations « professionnelles » qui empêchent de dormir. La
machine humaine est détraquée.
-
Pour Yves Clot, il faut distinguer entre le
réel et le réalisé. L’activité contrariée
n’est pas forcément une catastrophe. Le
négatif n’est pas une catastrophe. Ce qui
est difficile, c’est le travail sur le
développement de l’activité. Ce conflit de
l’activité est une source de création. On
est trop souvent dans les entreprises
(dans l’enseignement aussi) dans des
Bulletin de liaison des Etablissements
d’Enseignement secondaire
questions de procédure, mais celles-ci ne
sont pas la source de l’activité.
Je vous laisse faire le travail de
transposition
dans
votre
activité
d’enseignant ancien ou novice.
C’est grave, docteur ? Les enseignants
sont-ils
tous
malades ?
Comment
supportent-ils le stress ? Comment les
novices et les anciens vont-ils s’adapter
aux exigences sociétales et à celles,
corollaires, des institutions qui fixent la
norme ? Que fait-on dans nos écoles pour
que les enseignants soient en bonne ou en
meilleure santé ? Faut-il engager un
psychologue du travail dans chacune de
nos écoles ? Cela nous ramène à la
question du bien-être au travail. Il n’y a
pas que celui des élèves, mais aussi celui
des directions et des enseignants/
éducateurs.
Je pense qu’il est bon de se préoccuper en
école de garder la main sur ce qui fait que
des directions et des enseignants peuvent
encore être en bonne santé. Ceci à l’heure
où la retraite s’éloigne. Comment les
directions d’école et les enseignants
peuvent – ils garder une marge de
manœuvre et influer sur les trois
conditions de la bonne santé des
travailleurs
évoquées
par
Georges
Candillet ? Comment faire en sorte que
chacun puisse porter la responsabilité de
ses actes ? Comment veiller à ce que
chacun puisse porter des choses à
l’existence et créer des liens entre les
choses ? Comment accumuler de la bonne
fatigue ?
Un beau travail à faire collectivement. En
Conseil de Prévention et de Protection du
Travail ou lors d’une journée pédagogique.
Si on ne se préoccupe pas de cela, on
risque
de
se
détruire.
Vivre
en
communauté éducative passe par ce souci
de la santé de l’autre. Sans communauté
éducative en bonne santé, pas d’éducation
et d’instruction possible …
Jean-Louis Volvert
48
CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013
Bulletin de liaison des Etablissements
d’Enseignement secondaire
Plaisir de lire
Ghislain Carlier, « Plaisir d’enseigner : la quête du Graal ? »
Dans « Le plaisir », coordonné par Guy Haye, Edit. EP&S, Paris, 2011
Sans nier que le métier d’enseignant soit difficile,
pénible parfois, Ghislain Carlier, chargé de former
des étudiants en éducation physique à l’UCL,
cherche à y réhabiliter la notion de plaisir.
Il constate que ce dernier est bien présent chez
les futurs profs dans la représentation qu’ils se
font de leur métier. Parmi leurs attentes : l’envie
de communiquer leur passion, d’apprendre aux
élèves à apprendre, de réussir sur le terrain.
Pour les préparer au métier, il les amène très vite
à verbaliser des expériences positives, déjà
engrangées lors de la pratique de leur discipline,
une façon de se constituer une réserve dans
laquelle puiser plus tard. Puis la mise en situation
se fera par paliers successifs : les novices seront
d’abord chargés d’enseigner à leurs pairs, ils
devront s’adapter à ce public spécifique et déjà
maîtriser leur stress : le débat qui suivra
l’exercice sera riche d’enseignements … Des peurs
vont disparaître.
Plus tard, après les premiers cours donnés en
école, ils seront amenés à s’interroger : « Quels
sont les élèves qui m’ont donné du plaisir à
enseigner ? » Ils retiendront, beaucoup plus que
des aptitudes, des attitudes, des comportements … Petit à petit, ils vont ainsi découvrir
des sources de plaisir qu’ils chercheront à
amplifier. Ainsi, ce dernier peut survenir
accidentellement ou être prémédité : un stagiaire,
par exemple, avait créé la surprise chez ses
élèves, car ils connaissaient leur prénom dès le
premier cours ; il les avait mémorisés en lien avec
la photo de chacun … En fait, chaque futur
enseignant est appelé à trouver ses propres
leviers pour trouver du plaisir dans le métier.
Et, nous sommes dans une dynamique d’échanges
donner/recevoir. Ainsi, les professeurs plus
chevronnés qui serviront de parrains auront aussi
du plaisir à mesurer le chemin parcouru par le
stagiaire, à l’aider à résoudre des difficultés qu’ils
ont eux-mêmes connues, à découvrir d’autres
manières de faire … Ce plaisir participe à la
création d’une identité professionnelle sans cesse
en évolution. Et la formation continue la
renforcera.
Si des plaisirs sont générés par l’activité ellemême, d’autres facteurs peuvent y contribuer : se
sentir valorisé, exercer son métier dans de
bonnes conditions matérielles,
obtenir une juste rémunération.
Sans
compter
les
plaisirs
rencontrés dans le travail en
équipe, dans la gestion de
projets interdisciplinaires, mais
également dans le partage de
moments
d’émotions,
de
complicité,
lors
d’activités
parascolaires ...
Quant à l’élève, son plaisir est directement lié à la
motivation et il rejaillit sur l’enseignant, satisfait
d’avoir provoqué des effets de surprises, d’avoir
trouvé des situations découvertes inédites …
Ghislain Carlier termine en proposant une
typologie des enseignants liée au plaisir (p. 114116).
Vous en trouverez ci-dessous quelques éléments.
Les enseignants qui partagent du plaisir avec
leurs élèves sont …
• Ceux qui, dans un monde en perpétuelle
mutation, reconnaissent que les adolescents
ne sont pas seuls à changer
• Ceux qui repèrent les aspects positifs des
transformations de valeurs individuelles et
collectives
chez
leurs
élèves :
ils
s’y
intéressent, voire s’y initient
• Ceux qui sont curieux d’actualiser leur culture
• Ceux qui restent en bonne amitié avec l’école
• Ceux qui caractérisent avec finesse les types
d’élèves et les individus …
• Ceux qui responsabilisent leurs élèves en leur
confiant des rôles judicieux
• Ceux qui se sentent gratifiés par les retours
positifs des élèves et l’expriment
• Ceux qui construisent leur dialectique en
l’ancrant sur les besoins diversifiés des élèves
• Ceux qui considèrent que les motivations des
élèves ne sont pas déterminées une fois pour
toutes. Dès lors, ils s’ingénient à en susciter
de nouvelles
• Ceux qui captent les sourires, les expressions
de joie, d’enthousiasme et de bonne humeur
de leurs élèves. Ils les renforcent positivement
durant la pratique et lors des évaluations
• Ceux qui initient ou participent à des projets
interdisciplinaires …
• Ceux qui, dans la salle des professeurs,
tiennent un rôle positif au sein du « corps
enseignant » …
49
CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013
Bulletin de liaison des Etablissements
d’Enseignement secondaire
Le dialogue à la portée de tous … (ou presque)
Ce 23 janvier, le centre Interface de l’Université de Namur a
organisé une conférence donnée par Dennis Gira, spécialiste
du dialogue interreligieux et du bouddhisme.
Myriam Gesché, responsable du secteur religion, a accepté
que Contacts publie son excellente synthèse du livre de ce
dernier « Le dialogue à la portée de tous … (ou presque) »,
Editions Bayard, 2012. Un livre intéressant dans la mesure où
il propose cinq règles d’or pour « entrer en dialogue ».
Vous pouvez aussi écouter une interview de l’auteur par le
Service d’Etudes du SeGEC sur le site d’Entrées Libres.
Pratiquer le dialogue œcuménique,
interreligieux
et interconvictionnel
Cet outil est directement inspiré de l’excellent livre de GIRA, Dennis, Le dialogue à la
portée de tous … (ou presque), Editions Bayard, 2012.
Il présente des clés pour la pratique du dialogue. Elles peuvent s’appliquer tout autant au
dialogue interreligieux, interculturel, que philosophique ou interpersonnel. Ce n’est pas
un livre comme il en existe beaucoup sur les grandes questions relatives aux dialogues
interreligieux, sur les pièges à éviter et les fruits à espérer. C’est un livre sur l’art du
dialogue.
A partir de son expérience personnelle, de façon fine et avec beaucoup de justesse,
l’auteur a trouvé les mots qui éclairent nos expériences et nos savoirs intuitifs. Cet
ouvrage peut nous aider à perfectionner cet art dans la vie et dans la pratique
pédagogique.
Quelques préliminaires :
Entrer en dialogue, c’est être convaincu que les croyants des autres traditions ont
quelque chose d’important à dire sur le mystère qui fait vivre tous les êtres humains.
C’est être capable de montrer que la tradition chrétienne invite à cette ouverture et à
ce dialogue qui ne cherche pas à réduire l’autre à soi. Sinon, il vaut mieux se taire.
La capacité de vivre le dialogue dépend directement de la manière d’être, de la façon
de penser, de l’idée que l’on se fait de la vérité, de l’importance que l’on accorde à
l’expérience de l’autre.
« Un chrétien est appelé à aller toujours plus loin avec confiance, dans sa quête de la
vérité, avec la certitude qu’écouter vraiment les autres fait partie du processus
permettant de progresser sur ce chemin de devenir pleinement soi-même. » disait un
professeur qui a marqué Gira.
Le dialogue suppose une ascèse qui consiste à choisir perpétuellement l’essentiel.
Cette discipline donne la souplesse et la liberté qui font du dialogue une source de joie
et d’espérance.
Le sens du mot « dialogue ».
Il ne peut se réduire, ni à une négociation, ni à un débat, ni à une conversation, ni à
une rencontre, ni à la tolérance.
Le vrai dialogue, selon Gira qui reprend J.-Cl. Basset : « Echange de paroles et (une)
écoute réciproque engageant deux ou plusieurs personnes, à la fois différentes et
égales. »
50
CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013
Bulletin de liaison des Etablissements
d’Enseignement secondaire
Cinq « règles d’or » pour le dialogue
Règles
Explicitation
1. Ne pas chercher chez
les autres ce qui est
important pour nous
Ne pas filtrer tout ce que les autres
disent à travers le tamis de nos
manières de percevoir le monde. Ne
pas chercher ce que nous avons de
commun et qui nous rassure.
Nous laisser dépayser, prendre le
temps de situer les propos de l’autre
à l’intérieur de leur cohérence propre
qui leur donne sens.
Chaque tradition a généré son
langage propre. Les mots d’une
langue n’ont pas toujours
d’équivalent dans une autre. La
prudence est nécessaire et il faut
parfois prendre le temps de consulter
des spécialistes pour comprendre le
sens de certains mots.
La prudence est nécessaire même
dans une même langue pour éviter
les malentendus.
C’est ce qui donne sens et direction à
une trajectoire spirituelle, ce qui
donne sa cohérence interne à ce
parcours.
Si le principe organisateur n’est pas
clarifié, on verse dans le syncrétisme.
Si l’on fige le principe organisateur en
refusant de s’ouvrir à ce qui est
autre, on verse dans la crispation
identitaire fermée.
C’est découvrir presque de l’intérieur
l’essentiel de ce qui fait vivre notre
interlocuteur et non pas se fixer sur
les idées reçues souvent négatives ou
les sous-produits de sa tradition, ce
qui met l’interlocuteur sur la
défensive et empêche le dialogue.
Premier piège : éviter le dialogue
avec ceux qui sont radicalement
différents de nous et qu’on imagine
donc diamétralement opposés. Il
reste alors 3 options : les tolérer, les
exclure ou les corriger.
Deuxième piège : Nier ou éviter de
parler des différences radicales.
Alors, le dialogue n’a plus de sens, il
ne laisse plus la place aux véritables
interrogations.
Deux choses peuvent sembler
radicalement différentes vues sous un
angle et beaucoup moins sous un
autre angle qui permet de voir
qu’elles ne sont pas diamétralement
opposées.
2. Reconnaître les
limites des mots
3. Avoir un principe
organisateur
4. Juger la tradition de
l’autre par ses
sommets
5. Deux choses peuvent
être radicalement
différentes sans être
diamétralement
opposées
Illustrations en positif ou en
négatif
Ne pas chercher une grande
table haute dans une maison
traditionnelle japonaise.
Ne pas dire que le dalaï-lama est
le pape des bouddhistes.
Ne pas chercher dans le
bouddhisme une notion
équivalente à l’idée chrétienne
de Dieu.
Utiliser le mot réincarnation pour
traduire le mot samsara.
Ainsi, le zazen peut être une
pratique qui peut aider le
chrétien à approfondir sa foi. Il
ne s’agit plus alors d’une
pratique que l’on puisse qualifier
de « bouddhique » si le principe
organisateur est le christianisme.
Ne pas juger une religion à partir
de ses dérives intégristes. Ne
pas oublier ces dérives, mais ne
pas laisser le dialogue
s’encombrer de cela dans un
premier temps. Les juger du
point de vue du sommet.
L’enseignement bouddhique du
non-soi et la vision chrétienne de
la personne. Le mot « soi » ne
correspond pas au mot
« personne ». Elles sont
radicalement différentes mais
ont toutes deux quelque chose à
voir avec la libération par
rapport à un égocentrisme qui
enferme dans ses passions.
Cinq « ennemis » du dialogue
Ennemis
Explicitation
1. Le silence
Le refus ou la réticence à dire le fond
de sa pensée, à parler vrai. Il est à
distinguer du souci légitime de dire ce
qui est important au moment propice
et sans blesser.
Illustrations en positif ou en
négatif
Dans un échange entre
bouddhistes et chrétiens, un
bouddhiste exprime son
exaspération à force d’entendre
des chrétiens dire combien le
51
CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013
Bulletin de liaison des Etablissements
d’Enseignement secondaire
Le silence, quand il permet d’éviter la
rupture totale est cependant parfois
un ami de la rencontre.
2. La peur
3. La savoir
La peur d’être incapable de contribuer
au dialogue par incompétence, ou
peur de se perdre ou d’être infidèle à
ses convictions. Cette peur entraine
l’immobilisme et peut conduire à une
crispation identitaire intégriste.
Pour la dépasser, il est nécessaire de
connaître un minimum la cohérence
interne de sa tradition et de celle de
son interlocuteur sans toutefois
penser qu’il faille être un spécialiste.
Dire « je sais de quoi je parle » à
propos de la foi ou des idées de celui
(ou ceux) qui pense(nt) ou croi(en)t
autrement que soi met son (ses)
interlocuteur(s) dans une situation
insupportable. Cela enferme les
interlocuteurs. Le dialogue est alors
devenu impossible.
Le savoir que l’on a de sa propre
tradition est aussi relatif, c’est
pourquoi il y a un danger à vouloir
parler au nom de sa tradition en
supposant en avoir une connaissance
complète. « Il ne faut jamais oublier
en effet que connaître une tradition
de l’extérieur est une chose, et
qu’en faire l’expérience de
l’intérieur en est une autre. Or,
dans le dialogue, c’est la
connaissance intérieure qui prime. …
Il est donc bon que chacun soit très
conscient du lieu où il parle, et qu’il le
dise de manière très claire dès le
début du dialogue. » D. Gira
4. L’orgueil
Vouloir montrer la supériorité de
notre point de vue, de notre tradition.
L’estime excessive de sa propre
valeur s’allie souvent avec le mépris
des autres.
L’orgueil conduit au prosélytisme,
alors que le désir de partager une
expérience très positive avec
d’autres, s’il va de pair avec le
respect absolu de la conscience de
chacun, est enraciné dans l’amour.
5. Le mépris
Mauvaise opinion que l’on a de
quelqu’un. Méfiance à son égard.
bouddhisme a pu enrichir leur
vie spirituelle, mais en se taisant
à propos de ce que le
christianisme pouvait apporter
pour enrichir la vie spirituelle
des bouddhistes.
Mille situations où la peur
conduit au repli identitaire et où
à contrario, la confiance en soi
permet l’ouverture sereine au
dialogue.
Un catholique qui donne
l’impression qu’il parle au nom
du christianisme risque de
colorer la compréhension du
christianisme de son
interlocuteur par l’analyse que
font les catholiques de la foi
chrétienne.
En progressant, le dialogue
permettra d’expliquer la diversité
qui existe au sein de sa
tradition. Nuance, modestie,
capacité d’utiliser des termes
« parlants » permettent au
dialogue de réussir.
Des jeunes issus de
mouvements intégristes nourris
d’une identité forte fondée sur
des certitudes qui affirment « la
vérité de la foi chrétienne » ne
laissent aucune place au
dialogue avec les croyants des
autres religions. Là où les uns
disent qu’ils « croient », eux
disent qu’ils « savent ».
Quand on parle sans respect
pour l’interlocuteur, quand on
perd de vue l’immense mystère
qu’est la vérité, quand le
discours n’est ni précédé ni
accompagné d’une belle écoute.
Chaque fois que des personnes
parlent de leur interprétation de
la vérité comme si c’était la
vérité elle-même, et puis
l’imposent. Elles blessent et les
personnes et la vérité.
Quand on s’exclame « comme
c’est bizarre ! » et qu’on juge
alors que cela n’a plus d’intérêt
de poursuivre le dialogue. On
reste dans son propre cadre de
référence.
Dire « comme c’est différent »
est beaucoup plus respectueux
de l’autre. C’est reconnaître la
différence sans juger en fonction
de sa propre cohérence interne.
52
CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013
Bulletin de liaison des Etablissements
d’Enseignement secondaire
Le piège de la présentation à l’universalité (p. 197 à 201)
Le mépris nous guette lorsque nous sommes des inconditionnels de valeurs que nous
estimons et parfois déclarons universelles.
Les Chinois mettent en question l’universalité des droits de l’homme. Les Africains pour
qui les liens entre l’individu et sa communauté sont très étroits préfèrent parler des
« droits de l’homme et des peuples ».
Tant que nous refusons de comprendre pourquoi la moitié de la planète n’adhère pas à
des valeurs que nous imaginons universelles, le dialogue sera impossible.
Les valeurs dépendent de l’idée que nous nous faisons de l’homme à un moment donné
de l’histoire et dans un lieu particulier.
Aucune des valeurs que nous pensons universelles ne peut donc l’être réellement, sauf si
elle est le fruit d’un dialogue authentique.
Cinq « amis » du dialogue
Amis
1. Le respect
2. L’amitié
Explicitation
« Sentiment qui porte à traiter
quelqu’un ou quelque chose avec de
grands égards, à ne pas porter
atteinte à quelque chose. »
Larousse des noms communs.
La tolérance qui n’est qu’une
indifférence respectueuse vis-à-vis
des religions n’est pas le respect ami
du dialogue.
Ce respect implique la conviction que
l’autre a quelque chose à nous
apprendre et la curiosité pour le
découvrir.
Sentiment d’affection, de sympathie
qu’une personne éprouve pour une
autre ; relation qui en résulte. »
Larousse des noms communs.
3. L’humilité
Une humilité non pas négative
(sentiment de notre insuffisance),
mais qui met en relief à la fois le
potentiel et les limites qui sont
inscrites en chacun de nous.
4. La patience
La patience permet la persévérance
nécessaire pour réussir à dialoguer.
Elle est inséparable de l’espérance.
Elle s’enracine dans la confiance de
principe que nous mettons en chaque
être humain, confiance enracinée
dans notre foi en la dignité de la
personne humaine et son potentiel
extraordinaire.
La patience et l’espérance nous
sauveront. Cette conviction nous
permet de garder notre calme.
Elle est aussi inséparable de la
douceur, de la compassion, de
l’amour, de la bienveillance et de la
Illustrations
Un moine cambodgien rescapé de
la terreur khmère rouge et réfugié
au Japon est devenu une référence
pendant un colloque. Du respect
que les participants avaient pour
lui est née une très grande
admiration aussi bien pour sa
manière d’enseigner que sa
manière de vivre le bouddhisme.
Un dialogue profond a été possible
avec lui. C’était tout ce qui
l’intéressait lui aussi.
Trois chercheurs d’un laboratoire
sur le dialogue, après trois ans de
travail sur le dialogue comme
quête de la vérité, sont devenus
amis, ce qui a permis une spirale
vertueuse dans la compréhension
mutuelle.
Elle permet de reconnaître nos
erreurs et de nous réajuster, et de
laisser une place aux autres.
Elle nous empêche de confondre
notre connaissance de la vérité et
la vérité elle-même. Les plus
grands « savants » sont les plus
conscients des limites de leur
savoir.
Choisir de pratiquer la théologie
négative en excluant la théologie
positive ou l’inverse, c’est s’écarter
de l’humilité et du chemin du
dialogue.
53
CONTACTS n° 122 –2ÈME trimestre 2013
5. L’écoute
Bulletin de liaison des Etablissements
d’Enseignement secondaire
bonté.
Elle passe par la capacité de faire
silence. Cela s’apprend. Ce silence
doit accompagner l’écoute en
permanence.
Se mettre à l’écoute de ceux qui
n’écoutent pas ou ne veulent pas
dialoguer est le signe que les
ennemis du dialogue n’ont pas
d’emprise sur nous. Il faut le faire
avec lucidité, en étant conscient de
leur peur de perdre leur identité.
L’écoute doit être active, attentive au
dit, au non-dit, aux expressions du
corps et du visage.
« Nos dispositions intérieures sont plus importantes que l’acte de dialoguer. Elles créent
une façon de vivre et de se relier aux autres qui devient de plus en plus « dialogale » au
fur et à mesure que nous acquérons les bons réflexes. Ainsi, en nous livrant à cette
ascèse qui libère et qui va à l’essentiel, pourrons-nous devenir, petit à petit, des êtres de
dialogue. » D. Gira
Usage de cet outil dans les apprentissages :
Ces clés peuvent servir
De grille d’analyse d’un dialogue écrit, enregistré, filmé, évoqué (article, récit,
dialogue sur le net, émission radio ou TV, film, BD …) pour en comprendre les forces
ou les faiblesses, pour en éclairer les échecs ou les réussites.
De grille d’analyse d’une chanson, d’un texte littéraire, philosophique, biblique ou de
tout autre document, pour discerner s’il promeut le dialogue ou non.
De grille d’analyse d’un dialogue qui s’est engagé dans la classe, pour rectifier le tir ou
le faire évoluer dans une direction constructive.
De balises pour engager un dialogue dans la classe. Des jeux de rôles peuvent venir à
point, dans une étape intermédiaire, pour dissocier les personnes des idées qu’elles
expriment.
…
Myriam Gesché
54
Un service à rendre, ensemble, aux jeunes sur un
chemin de croissance …
Ensemble
et par association
Un projet à porter, ensemble, en association sur un
chemin de solidarité
Projet éducatif lasallien
Une mission à vivre, ensemble, sur un chemin de
fraternité selon l’Evangile