Christine Demen Meier - Laboratoire d`Economie et de Gestion (LEG)
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Christine Demen Meier - Laboratoire d`Economie et de Gestion (LEG)
Le tourisme en Suisse Romande : Essai de définition Christine Demen Meier Doctorant à l’Université de Caen Sous la direction du Professeur Luc Boyer Christine.demen- [email protected] Enseignante Marketing, Ecole hôtelière de Lausanne Le tourisme en Suisse Romande : Essai de définition Résumé De nombreuses définitions ont été élaborées au cours des siècles puisque le terme « touring » apparaît en Angleterre dès 1811 et n’a cessé depuis d’être traité par d’éminents spécialistes. Marc Boyer (2003) se penche sur l’épistémologie du tourisme et il affirme que bien souvent ces définitions n’ont été construites qu’autour de paradigme nominaliste. Les chercheurs doivent affronter un véritable problème et challenge car le tourisme est sous-t héorisé. Si le sociologue Urry (1990, 1994) se penche sur le sujet il admet que les recherches pour comprendre la sociologie des loisirs sont plus importantes que sur celle du tourisme. Pourtant des chercheurs ont créé des modèles conceptuels mais sans grand succès. Le problème pour définir le tourisme vient principalement de la multidisciplinarité du tourisme. Williams (2004) affirme que le tourisme est devenu une discipline en lui-même. D’après Marc Boyer (2003) l’épistémologie du tourisme doit être « orientée par sa philosophie, son histoire et son eschatologie ». Mais est-il nécessaire d'uniformiser les théories à l'intérieur d'un supra paradigme pour valider le statut de discipline du tourisme ? Pour Tribe (1997) la multidisciplinarité du tourisme est une « vertu » . D’après Williams (2004) chaque concept pose un problème pour sa définition. Qu’est ce qu’un touriste? Le tourisme est il une industrie ? Mc Kercher (1999) propose d’appliquer au tourisme, qu’il considère comme un système vivant, la théorie du chaos. Boyer (2003), suggère d’utiliser le « Paradigme culturaliste ». L’Ecole québécoise de l’université de Montréal (Bodson et Stafford, 1988, Stafford, 1988) dans leur approche de la téorologie, ou science du tourisme préconisent aux chercheurs de chercher à raffiner des paradigmes qui orienteront leurs travaux. Si les québécois (Bodson et Stafford, 1988) ont intégré les sciences économiques dans leurs recherches sur le tourisme, les différents niveaux d’opération macro et micro économique nécessitent des instruments d’analyse adaptés aux spécificités du tourisme. Pourquoi ne pas considérer le tourisme comme un marché (approche humaniste et économique) et ne pas essayer de le définir en utilisant les données essentielles nécessaires à le décrire comme proposés par différents auteurs. Cette communication sera suivie d’une étude sur l’identification des paramètres d’un marché les mieux adaptés pour définir le marché du tourisme en Suisse romande. __________________________________________________________________________ Tourism in French-speaking Switzerland : __________________________________________________________________________ Abstract For centuries, many definitions of tourism have been elaborated. Since the term "touring" was introduced in England in 1811, it has not ceased to be treated by eminent specialists. Marc Boyer (2003) considers the epistemology of tourism and he states that quite often definitions have only been built around nominal paradigms. Researchers have to face a real problem and challenge, as not many theories of tourism have been developed .The sociologist Urry (1994, 1990) worked on the subject, and admits that research aimed at understanding the sociology of leisure has been more frequently carried out than research concerning tourism. However, some researchers have created conceptual models, but without much success. The problem in defining tourism comes mainly from the multidisciplinary character of this subject.. Williams (2004) affirms that tourism has become a discipline in itself. According to Marc Boyer (2003), the epistemology of tourism must "be directed by its philosophy, its history and its es chatology ". For Dann and Cohen (1991), the problems involved in unifying theories in order to define the discipline comes from the diversity of possible perspectives in tourism. But is it really necessary to standardize theories into one “super-paradigm” in order to validate the statute of tourism as a discipline? For Tribe (1997), the multidisciplinary nature of tourism is a virtue. According to Williams (2004) each concept poses a problem as regards its definition. What is a tourist? Is tourism an industry? McKercher (1999) proposes applying to tourism, which he considers as a living system, the principle of the theory of chaos. Boyer (2003), suggests the use of the " culturalist paradigm". In its approach to teorology, the Quebec School of the University of Montreal (Bodson and Stafford, 1988, Stafford, 1988) recommend the researchers to refine the paradigms which will direct their work. If the Quebeckers (Bodson and Stafford, 1988) have integrated economic science into their research on tourism, the various levels of macro- and micro- economics require the use of instruments of analysis which are adapted to the specific characteristics of tourism. Why not consider tourism as a market (the humanistic and economic approach) and not try to define it by using the “necessary data” as proposed by various authors? This paper will be followed by a study concerning the identification of the market parameters best adapted to defining the tourism market in French-speaking Switzerland. 2 1. Introduction Cette communication s'inscrit dans le cadre d’une thèse en préparation et constitue la première étape, dans un domaine curieusement peu déchiffré en gestion, la définition du tourisme comme marché. La recherche de la définition conceptuelle et holistique du tourisme étant le premier objectif de mon étude, je me suis de suite heurtée à la multitude de définitions et d’appréhension du phénomène touristique. Leiper (1979) souligne le peu d'intérêt de la part des académiques jusqu'à ce jour. Il rappelle les deux camps d’enseignement identifiés par Buck (1978) qui sont la gestion d’entreprise et le développement économique s’affrontant pour définir le tourisme ainsi que les organisations gouvernementales. Il dégage trois approches "economique'', "technique ","holistique ". Par la suite, Leiper (1993) identifie trois niveaux de définitions : la notion populaire, le niveau heuristique, qui donne naissance au niveau académique, puis le niveau technique (bases légales et administratives). Dans la même ligne Boyer (2003), affirme : « le tourisme est perçu comme objet d’estimations statistiques : c’est un ensemble de consommation de biens et de services liés aux déplacement des personnes qualifiées de touristes.». Il met en exergue que l’essai de définitions conceptuelles est très tardif alors qu’en 1937 déjà, les statisticiens de la SDN 1 établissent la différence entre voyages et excursions : « Touriste : toute personne qui voyageant pour son agrément, s’éloigne pendant plus de 24h et moins d’un an de son domicile habituel ; les déplacements de moins de 24h étant des excursions». Un inventaire des définitions doit être établi afin de poursuivre la recherche de définition du tourisme la mieux adaptée au tourisme de Suisse Romande. 2. Définitions 2.1 Définitions techniques et économiques Pour faire suite aux définitions des statisticiens et pour permettre la mesure du phénomène touristique, l’AIEST 2 , en 1954, a complété cette définition avec une notion de déplacement (Spatt, 1975): « Le tourisme est l’ensemble des relations et des phénomènes résultant du déplacement et du séjour de personnes étrangères à la localité…. ». Puis en 1963 (I.U.O.T.O, 1963) 3 , la Conférence des nations unies a identifié officiellement deux catégories de visiteurs « les touristes et les Excursionnistes » (Seydoux, 1983). Cette classification a été reprise par les organismes supranationaux O.M.T4 ou OCDE5 et par les Etats, d’où une certaine cacophonie. Comme exemple citons la Commission consultative fédérale pour le tourisme à Berne qui retient en 1979 la définition suivante : « Le tourisme est l’ensemble des relations et des phénomènes qui résultent du voyage et du séjour des personnes, le lieu de séjour n’étant ni le lieu de travail ni le domicile principal permanent. » La France, quant à elle, en 1950, fait une distinction entre les vacances et les autres séjours. Jusqu’en 1994 l’INSEE 6 a utilisé cette distinction mais en 1994-95 la SOFRES 7 (enquête annuelle) se base sur les concepts de visiteurs. Il n'y a plus de distinction entre l'été et l'hiver ni selon la durée du séjour, ce qui produit une impossibilité de comparaison avec avant 1994. Autre exemple, l’Australian Department of Tourism & Recreation (Australian, 1975) donne également sa définition "Tourism is an identifiable nationally important industry. The indus try involves a wide cross section of component activities including the provision of transportation accommodation, recreation, food, and related services”. En 1977 la définition de Ansett Airlines ajoute une notion de voyageurs 1 Société des nations Association internationale des experts scientifiques du tourisme 3 International Union of tourism Organizations 4 Organisation Mondiale du Tourisme 5 Organisation for Economic Co-operation and Development 6 Institut national de la statistique et des études économiques 7 Institut d’études marketing et d’opinion créée en France en 1963, à l'initiative de Pierre WEILL, son Président actuel 2 3 "domestique et outremer ''et une notion de raisons de voyages "travel for all purposes'' (Leiper, 1979). « L’erreur est à la base : s’être préoccupé du comment ? (Comment compter les touristes) avant d’avoir dit pourquo i ? » (Boyer, 2003). 2.2 Définitions holistiques « Les définitions actuelles tombent dans le piège de l’énumération et de la définition de ce qu’est et n’est pas un touriste » (Boyer, 1999, Boyer, 2003). Depuis 1930 les pays cherchent à mesurer le tourisme en vue d'uniformisation des statistiques et de démarquer les "touristes ''des autres voyageurs. Aux Etats Unis, Dean Mac Cannell (1976) propage les idées de son prédécesseur Veblen (1899) et relève la méconnaissance de la quête de sens du tourisme. Mac Cannell décrit un mécanisme purement culturel, l’imitation, puisque le tourisme a diffusé par le bas à travers la mode (d’abord à la classe moyenne, puis à la masse dans les années 1960). Cette approche n'est pas connue en Europe avant 1970 et ceci explique que durant la première partie du XX ème siècle en Europe seule « une description du phénomène » prévaut. Les premières définitions du Littré (1872) et du Larousse (1874) éclairent la typologie du touriste : désoeuvré et ayant des habitudes de voyages dictées par les saisons. Saison des eaux, de la montagne, de la mer… Dans sa démarche heuristique, Boyer (Boyer, 1999, 2003, Lorcin, 1999) « recherche des faits qui ont compté, qui ont marqué dans le passé,qui sont porteurs d’avenir, ceux qui sont occultés dans une analyse préconçue » . Le tourisme est une création de l’histoire contrairement au loisir qu’il considère avec Dumazedier (1962) comme l’enfant de l’ère industrielle. « Il est un aspect paradoxal de la société industrielle. Son évolution socio-culturelle n’obéit pas aux tendances de la demande – on n’usera pas du langage mercatique réducteur – mais elle est faite de démarrages successifs, d’inventions paradoxales, de montée en force d’acteurs du tourisme et des régions réceptives ». D'ailleurs l’origine historique de la définition du mot « Tourisme » est, encore de nos jours, le point de départ d’ouvrages sur le tourisme (Boyer, 2003, Kerourio, 2004, Leiper, 1993, Williams, 2004). Le mot « tourisme » n’apparaît dans le Larousse qu’en 1877 : « Tourisme : goût, habitude de touriste ». En fait jusqu’en 1930 le tourisme est un art et de plus « il est né saisonnier » (Boyer, 2003). Le « grand Tour » des aristocrates anglais pour parfaire leur éducation XVIII siècle a permis à l’aristocratie angla ise de dominer l’aristocratie continentale par son ouverture culturelle, même si les Normands et les romantiques se sont moqués des touristes anglais au cours du XIXème. Force est de tenir compte de la dimension socio-culturelle ainsi que de son ancrage dans l’histoire des cultures, pour appréhender l’évolution du tourisme. Deux académiques suisses en 1942 Huntziger et Krapf (Burkart et Medlik, 1974) donnent leur definition: "The sum of the phenomena and relationships arising from the travel and stay of non residents, in so far as they do no t lead to permanent residence and are not connected to any earning activity ". Pour pallier le manqué de precision de cette definition, Jafari (1977) propose "Tourism is the study of man away from his usual habitat, of the industry which responds to his needs, and of the impacts that both he and the industry have on the host's socio-cultural, economic and physical environments ". Cette approche est jugée trop vague dans la définition du concept du « touriste » et trop étroite dans l’élément spatial (Leiper, 1979). Si McIntosh (1977) introduit la composante qualitative "Tourism can be define as The science, Art and Business of attracting and transporting visitors, accommodating them and graciously catering to their needs and wants”, son approche exclue des éléments essentiels comme l’élément humain, spatial, temporal identifiés par Wahab (1975). Le problème pour définir le tourisme vient principalement de la multidisciplinarité du tourisme et du manque d'intérêt porté au tourisme par ces disciplines (Allcock, 1988). En sociologie Urry (1990, 1994) se penche sur le sujet et admet que les recherches pour comprendre la sociologie des loisirs sont plus importantes que celles sur le tourisme. 4 2.3 Tourisme multi discipline ou discipline Plusieurs chercheurs argumentent que le tourisme est sous théorisé (Llewellyn et Kopachevsky, 1994) (Liburd, 2002). Il y a donc un véritable problème et challenge pour théoriser le tourisme "Under-theorised, eclectic and disparate" (Liburd, 2002). Dans son édition « Tourism » en quatre volume, Williams (2004) affirme tout d’abord que le tourisme est devenu une discipline en lui- même une "free -standing area". Cependant, Williams (2004) se contredit luimême quand il affirme que le tourisme est devenu un centre d'intérêt pour plusieurs disciplines académiques telles que :- Géographie - Sociologie et Anthropologie - Marketing - Economie Psychologie. D’ailleurs il n’y a toujours pas de concept faisant l'unanimité des chercheurs pour donner une définition de la discipline du tourisme. Britton (1991) critique l'approche géographique qui prévaut même si celle de Cazes (1992) donne un éclairage intéressant. Cela confirme que Boyer (2003), affirmant « Aucune discipline ne peut prétendre, seule, en faire une approche pertinente – quoi qu’en disent certains auteurs», appréhende judicieusement l’épistémologie du tourisme. Pour lui elle doit être « orientée par sa philosophie (où est l’essence du phénomène ?), son histoire (quand, où, dans quelles conditions le tourisme est- il apparu ?) et son eschatologie (sa finalité) ». Lorcin (1999) dans ses commentaires dit «Marc Boyer a toujours mené le bon combat de défense d'un tourisme social… et culturel contre la tentatio n d'une gestion capitalistique". Pourtant quelques chercheurs ont créé des modèles conceptuels (Mathieson et Wall, 1982, Mill et Morrison, 1985, Pearce, 1989) (McKercher, 1999) (Liburd, 2002) mais sans grand succès. Bertalanffy (1972) a essayé de définir le système du tourisme comme « un set d’éléments ayant des relations entre eux et avec les environnements…une façon de voir les choses qui étaient trop observées ou vues dans le passé et dans un sens c'est une maxime méthodologique ». Gunn (1972), pour sa part, étudie cinq composantes: « (1) people - in a market area with desire and ability to participate ; (2) attractions…offer activities for user participation ; (3) services and facilities…for users/ support the activities; (4) transportation….moves people to and from the attraction destinations; and (5) information and direction….assists users in knowing, finding, enjoying”. Cependant l’erreur du système de Gunn est l’absence de l’étude spécifique sur l'intersection des environnements. Leiper (1979) arrive à la création de son système à cinq facettes opérant dans un très large environnement : physique, culturel, social économique, politique, interaction technologique. Tourists Tourist Generating Regions Departing Tourists Arriving and Returning Tourists Tourist Destination Regions Staying The broader environments: physical, cultural, Social, Economic, Political, technological Tourist industry Fig 1: The Tourism System, Leiper Neil 1979 5 Le manque de réussite de ces systèmes est due à la tendance de réduire le tourisme à ses principales composantes et de définir un modèle fonctionnel et linéaire liant les différents éléments. Ces modèles du système global du tourisme présentent un degré de simplicité exagéré, le degré de complexité étant beaucoup plus important puisque touchant entre autre, l'économie, la culture, le domaine social par les liens très nombreux entre hôtes et fournisseurs de services ainsi que produits. Moore, Cushman, Simmons (1995) défendent une approche post moderne qui est la notion que les disciplines possèdent nécessairement un niveau jugé essentiel d'intégrité théorique . Pour Tribe (1997) au contraire, la multidisciplinarité provoquée par le dynamisme et la diversité du tourisme « devient une vertu et non pas une faiblesse » Pour Dann et Cohen (1991) le problème d'unifier les théories pour théoriser la discipline tourisme vient de la diversité des perspectives possibles. Pour Tribe (1997) la cause est le manque de communication entre les disciplines. 2.4 Dissonance dans l’interprétation des concepts Pour appréhender la complexité du tourisme, il suffit de constater les discordances sur les définitions des concepts composant le tourisme. Gilbert (1990) résume le point de vue de plusieurs auteurs ''a single term that designate a variety of concepts ». Williams précise également que chaque concept pose un problème pour sa définition (Williams, 2004) comme par exemple le touriste, l’industrie ou même les loisirs. Qu’est ce qu’un touriste? La structure de la demande ne représente aucune homogénéité même si différentes typologies ont été établies par différents auteurs (Cathelat, 1991, Chadwick, 1987). Certains auteurs (Boyer, 2003, Cohen, 1979a, Cohen, 1979b) réfutent cette classification rigoureuse et l’unanimisme dont elle fait preuve, une personne pouvant être simultanément plusieurs types de touristes. Cela démontre que l’idiosyncrasie influençant le comportement des touristes doit être prise en considération. Autre concept majeur soulevant la discussion : Le Tourisme est- il une industrie ? Beaucoup de publications donnent pour acquis qu'il y a une industrie du tourisme. Pour Leiper (1979), l’industrialisation en elle- même ne présente que peu d’intérêt. Le degré d'industrialisation est par contre une dimension très importante depuis 1950 dans l'industrie du tourisme. Leiper parle de tendance à long terme car le degré d’industrialisation augmente et provoque de grand changements : Economique, social, culturel, technologique, entraînant de nouvelles formes de l'industrie. Cependant il reconnaît que le tourisme possède des facteurs particuliers limitant tout de même le degré d'industrialisation. En économie une industrie est décrétée par un produit homogène mais étant donnée une évolution vers des productions de produits hétérogènes, surtout dans le tertiaire, les entreprises peuvent être classées dans une industrie en les groupant selon la plus notable des caractéristiques communes (Nobbs, 1975). L’homogénéité du produit requise, devrait permettre d’exc lure le tourisme de la définition d’une industrie. Cependant certains auteurs se réfèrent à la définition du produit de Medlik et Middleton (1973): Le produit est un amalgame de plusieurs composantes. Mais Kaiser et Helber (1978) affirment que « le tourisme est en réalité une collection d'industries, entreprises, ressources et attractions…. Bien que le tourisme assume des proportions économiques importantes, une industrie, au sens littéral du terme, qui n'a jamais été matérialisée ». Pour Boyer (2003) il s’agit d’un « Contresens : le tourisme est un secteur de services ; il ne transforme pas des matières premières qui seraient l’eau, l’air, la neige ; il ne transporte pas de produits. Le touriste consommateur vient à lui». De plus, pour les infrastructures, l’appellation « l’industrie touristique » lui semble inappropriée car il s’agit d’une production d’un « produit intangible », en fait un service. Il faut également considérer la fragmentation des producteurs, ainsi que des activités associées (Tremblay, 1998). Même Leiper (1993) s’interroge sur les limites de « l’industrialisation du tourisme » puisqu’il pose la question : « Comment séparer la partie industrielle de la partie non industrielle du tourisme? ». Une autre facette de la problématique de l’industrie, et qui prend toute son importance pour la restauration, est celui de l'identification des structures de production. En effet 6 « Il y a donc abus de langage à placer parmi les métiers du tourisme la totalité du secteur HO RE CA 8 ,… comme le font les statistiques officielles, ou même la totalité des agences de voyages, qui font la majeure part de leur chiffre d’affaires dans la billetterie »(Boyer, 2003). Papadopolis (1986) observe également que les locaux achètent également les produits offerts aux touristes. Cazes (1992) dans l’identification du système fonctionnel du tourisme analyse le système commercial en « négligeant » les acteurs locaux qui pour lui ne sont pas pour la plupart « directement promoteurs ou gestionnaires de tourisme ». Leiper (1993) relève cette difficulté pour identifier les frontières du segment tourisme à l'intérieur du marché du voyage « Travel Market » car les « services and facilities » sont utilisés conjointement par les touristes et les autres voyageurs ainsi que les locaux. Pour lui, Il faudrait spécifier le nombre d’industries connectées avec le tourisme pour éviter les confusions. En effet ne devraient être considérées comme dépenses liées au tourisme (désir de mesurer les dépenses touristiques) que les dépenses des touristes. Cela est difficile dans les entreprises qui fournissent et servent à la fois des touristes ainsi qu’en majorité les locaux ou voyageurs (non touristes) comme les services publics, les boutiques, beaucoup de restaurants, spectacles etc… (Leiper, 1993). Une différence entre le tourisme et les loisirs faite par certains chercheurs (Boyer, 1999, Williams, 2003) est judicieuse puisque beaucoup d’ éléments concernent aussi bien le tourisme que les loisirs(Cazes, 1992). Cazes (1992) a conçu un schéma pour identifier les divergences entre ces deux concepts et mettre en exergue deux « variables discriminantes » essentielles : le déplacement et la durée. Fig 2: Schéma simplifié des temps et des catégories principales d’activités de loisir-tourisme , Georges Cazes 1992 Temps de vie Temps de travail Temps libéré Temps contraint Lieu fixe Temps libre Loisir Au domicile Déplacement Voyage Tourisme d’affaires A l’extérieur Réunions, missions, etc. Loisir touristique Quotidien Excursionniste Pratiques diverses (éducation, travail, militantisme, animation, Santé, pèlerinage, cure, visite familles, etc. Loisir Non touristique Hebdomadaire/ week-end Saisonnier Court séjour vacances Cette confusion de concept entre tourisme, loisir(s) et « recreation » provoque en partie la cacophonie et le manque de clarté de la définition du tourisme (Boyer, 2003).Mais est- il 8 Hôtels, Restaurants, Cafés 7 nécessaire d'uniformiser les théories à l'intérieur d'un supra paradigme pour valider le statut de discipline du tourisme ? 2.5 Théorie du Chaos et paradigme Murphy (1985) a créé une analogie pour expliquer le fonctionnement du tourisme et appliquer sa théorie au développement et la compréhension de la relation client fournisseur. Cazes (1992) souligne « la diversité et la complexité internes de l’ « objet tourisme », car « c’est évoquer à la fois des mouvements et des moyens techniques, des itinérances et des sédentarisations, de l’agrément, des modes et des obligations, des institutions, des entreprises et des transactions commerciales, des espaces parcourus et d’autres investis jusqu’à la saturation, des hommes et des conduites multiples ». Il suggère une « juxtaposition de divers éléments pour une identification du tourisme, approché comme un paramètre». Ces éléments sont : - les activités, - les fonctions thérapeutiques du loisir et du tourisme [pour lesquelles J. Dumazedier, dans « Vers une civilisation de loisir », identifie trois fonctions libératrices, les 3 D (Boyer, 2003) le délassement qui délivre de la fatigue, la distraction qui délivre de l’ennui, le développement qui délivre de la médiocrité de la vie quotidienne], - les fonctions sociales du tourisme, - le rôle social du tourisme, - l’identification du tourisme par la migration, - l’identification par le statut social ou le type de société, - l’identification par la distance parcourue, - les équipements touristiques. En effet maintenant beaucoup d’éléments sont pris en considération , depuis la planification du voyage jusqu’à la partie post voyage (photos, home cinéma, etc...) en incluant l’expérience (Williams, 2004). Dans cette ligne, Mc Kercher (1999), propose une alternative : la théorie du Chaos. Il identifie le tourisme comme un système vivant dans lequel beaucoup d'ingrédients contribuent à créer des richesses et des relations complexes et variées. Il oppose la complexité du tourisme à la simplification, la détermination et la linéarisation des modèles qui croient permettre la planification du tourisme par les intervenants majeurs. Il refuse la vision Newtonienne du tourisme: “The unpredictable and, therefore, uncontrollable nature of tourism and the failure of most organisations to plan effectively for the future is again indicative of a chaotic system”. Ce modèle chaotique a principalement pour but d’alimenter le débat intellectuel. Pour définir le tourisme, Boyer (2003), suggère d’utiliser le « Paradigme culturaliste : méthode d’approche des faits touristiques…..rattachés à l’histoire socio-culturelle». Un paradigme présente quatre fonctions : « Définir les concepts, déterminer les problèmes importants, trouver la meilleure méthodologie, définir le cadre d’interprétation des résultats obtenus » (Boyer, 2003). l’Ecole Québécoise de l’université de Montréal (Bodson et Stafford, 1988, Stafford, 1988), dans leur approche de la téorologie ou science du tourisme, utilisent également cette démarche. Selon leurs études, les chercheurs ne peuvent progresser qu'en élaborant et en raffinant des paradigmes qui orienteront leurs travaux. La définition retenu par Boyer : «Tourisme, ensemble des phénomènes résultant du voyage et de séjour temporaire de personnes hors de leur domicile quand ces déplacements tendent à satisfaire, dans le loisir, un besoin culturel de la civilisation industrielle » est fondée sur des constats : Le tourisme nécessite une approche spécifique « avec de fortes racines (l’Histoire), une immersion dans l’environnement socioculturel, et une sensibilité à la conjoncture. Quelle est la nature du tourisme ? Quelle est la meilleure méthodologie d’approche ? » . Le sens du mot culture pour Boyer (1999) est celui sociologique de « participation, échange, processus » qui fait de la « communication » une « démarche de culture ». « ….Ce faisant, Marc Boyer enregistre, peut-être inconsciemment, une dérive qui l'éloigne d'un idéal de jeunesse de participation militante à un effort de promotion socioculturelle des plus démunis, par le biais du tourisme social à la Dumazedier : désormais, il ne voit plus dans le tourisme qu'un processus de dominatio n, par le biais des médias, des classes dirigeantes sur les masses » (Lorcin, 1999). Sa vision est en partie infirmée par les conséquences sur le tourisme, du passage de la condition moderne à post moderne. La conséquence la plus 8 intéressante est l’évolution d’une approche de production de masse vers une production individualisée. Cela provoque plus de segmentation et de flexibilité avec une accentuation du sur mesure (Ioannides et Debbage, 1997, Urry, 1994). Cependant d’autres conséquences confirment sa vision comme, l’émergence de nouvelles forme de tourisme. Les attractions « traditional » diminuent progressivement d’intérêt au profit de nouvelles formes connues comme les « Mall », parcs à thèmes, sites industrialisés réhabilités (Rojek, 1998, Terkenli, 2002) . Mais en fait ce n’est qu’une survivance de « l’old tourism » et Ritzer (1996) parle de « McDonaldization thesis » en désaccord avec Urry (1994). La McDonaldization est synonyme de croissance, efficacité, prévisibilité, domination des centralisations et des technologies non humaines. Elle appuie la dérive identifiée par Boyer (Lorcin, 1999). Que veut dire « New Tourism » ou tourisme alternatif ? La réponse n’est pas plus simple que pour « l'old tourisme ». Beaucoup d'interprétations sont possibles comme : tourisme responsable, éthique, vert, écotourisme, doux, et le plus inconsistant « sustainable tourism ». Cela provoque de grandes discussions dans la littérature et quelques essais de conceptualisation du tourisme alternatif (Diamantis, 1999, Reynolds, 2001). Certains, comme Wheeler (1993) et Butler (1992), identifient les risques et les limites de cette forme de tourisme. Selon les recommandations des Québécois (Bodson et Stafford, 1988, Stafford, 1988) le choix d’un seul paradigme ne donne pas totalement satisfaction car « la sensibilité à la conjoncture » n’est pas suffisamment intégrée dans le paradigme culturaliste. Le paradigme économique devrait également être apprécié partiellement ou sous une forme adaptée à la spécificité du tourisme. Bodson et Stafford (1988) ont étudié la place de l'économie dans la recherche en tourisme et ont identifié que l’utilisation des sciences économiques, fiable par des facteurs méthodologiques, techniques et politiques pouvait être efficace dans trois types d'approches: descriptive, opérationnelle, explicative. Cependant pour surmonter les contraintes des différents niveaux d’opération (macro et microéconomique) il faudrait développer des instruments d’analyse plus adaptés au tourisme. De plus l’exclusion du « tourisme d’affaire » dans la définition basée sur le paradigme culturaliste pousse à explorer une association ou combinaison de paradigme. 3. Du paradigme au marché L’étude des différentes définitions élaborées par les chercheurs ou organisations démontre que deux grandes catégories d’approches se dessinent : la première catégorie sera appelée « académique » et la deuxième « opérationnelle ». La catégorie académique a pour ambition la compréhension et la description du phénomène tandis que la catégorie opérationnelle a pour objectif principal une évaluation et planification normative. Ces deux catégories prises séparément sont lacunaires. Pourquoi ne pas essayer de construire des passerelles entre elles en créant une définition se référant à l’humanisme (Philosophie ayant pour centre de ses préoccupations non pas des idées abstraites mais l’homme concret). L’analogie avec le « marché » est intéressante à explorer car très souvent dans les publications des experts du tourisme la notion de marché est évoquée dans un contexte général. De plus la difficulté de rassembler sur une définition est aussi grande que sur le concept du tourisme (Brooks, 1995, Darmon, Laroche et Pétrof, 1996) alors que les disciplines concernées soient principalement limitées à la mercatique et à l’économie. Dans la septième édition du « Marketing Management », Kotler et Dubois (1992) donnent en exemple « le marché touristique en France » en identifiant différents niveaux de besoins et donc de marché. Ils précisent que « le terme de marché est souvent suivi d’un qualificatif qui le caractérise : le marché du touris me est un marché de besoin ». De la même façon, Boyd, Walker et Larréché (1995) identifie le marché comme « un ensemble composé: (a) d’individus et organisations (b) intéressés et désirant acheter un produit particulier afin d’obtenir des bénéfices qui satisferont un besoin et désir et (c) qui ont les ressources nécessaires pour engager cette transaction ». Leiper (1993) envisage le 9 tourisme comme un « segment du marché du voyage ». Il relève cette difficulté d’ identifier les frontières du segment tourisme à l'intérieur du marché du voyage. Mais dans ce cas là, d’après Sawhney (1999) il serait même possible de parler de « métamarché » du tourisme puisque le consommateur pense en terme d’activités (sur le plan cognitif) afin de satisfaire des besoins particuliers. Ces activités pouvant être « fournies » par des intervenants de différents secteurs. Selon Tarondeau et Huttin (2001) un marché est un « Ensemble d’acteurs participant directement ou indirectement à des activités engendrées par des échanges portant sur un produit ou service … Il se définit par un produit ou service...ou par un groupe de clients potentiel… ou par un territoire». Brooks (1995) a confirmé deux approches pour la définition du marché: (1) L’approche économique traditionnelle appelée “The natural market view” qui considère le marché comme le champs d’interactions cohérent, par l’échange de produits ou services, dans un champ géographique donné entre le fournisseur et le consommateur potentiel. (2) L’approche dénommée « enactment » qui tente de déterminer les frontières géographiques des entreprises, choisies par chaque manager de manière idiosyncrasique, suite aux décisions et expériences précédentes. Dans leur article Forlani et Parthasarathy (2003) après avoir établi un inventaire des définitions du marché, aboutissent à une synthèse des trois visions : « il s’agit de déterminer - d’un point de vue économique : les lieux de rencontre et les prétendants potentiels possibles. d’un point de vue marketing : avec qui les relations sont voulues et pourquoi elles pourraient être mise en concurrence - d’un point de vue promulgation (enactement) : ce que les dirigeants pensent est le plus important dans l’établissement d’une relation». Cependant aucune de ces perspectives ne leur semblent complètes et ils démontrent que l’impact du temps est primordial pour la composition et le développement d’un marché. Cette dimension temporelle est directement identifiée par le cycle de vie du produit et par le délai d’adoption des innovations. Déjà en 1966, Sissors (1986) avait décrit le marché sur la base de huit catégories de données, une fois établie l’identification par les acheteurs et la classification générique du produit, affinée parfois en sous-classes: (1) la taille du marché, (2) la localisation géographique des acheteurs, (3) la description démographique des acheteurs, (4) les caractéristiques socio psychologiques de l’acheteur, (5) les raisons de l’achat, (6) les acheteurs et les prescripteurs, (7) les moments des achats, (8) mode d’achat . Les huit caractéristiques pour lui sont en fait de deux natures : Les attributs physiques du marché et les composantes du comportement du consommateur. Cependant il suit la nouvelle tendance des années 1960 qui se dirige vers des marchés identifiés à travers les besoins des consommateurs plutôt qu’à travers les produits fussent- ils génériques comme il le préconise. En conséquence le concept de besoin est le premier élément à analyser afin d’identifier le marché du tourisme. De nombreux auteurs ont analysé les besoins des consommateurs car ils déterminent l’orientation de leur comportement. Une première sélection d’articles et ouvrages (Derbaix et Brée, 2000) dans le domaine de la psychologie et plus particulièrement sur le comportement du consommateur, montre l’ampleur et la complexité des recherches à effectuer. « Un besoin traduit un manque, un vide à combler, un équilibre à rétablir. A l’origine de chaque comportement on trouvera toujours, ….un ou plusieurs besoins. Statique par définition, les besoins donnent naissance, lorsqu’ils atteignent un certain degré d’insatisfaction, à un ensemble de forces dynamiques : les motivations, impulsions à agir vers un but déterminé». Les chercheurs en psychologie sociale, en sociologie ou anthropologie ont énoncé des typologies des besoins des consommateurs ainsi que leurs implications sur leurs comportement s. En 1938, Henry Murray le psychologue américain a réalisé une typologie de dix- huit besoins psychogéniques allant du besoin de domination au besoin d’intellection (Hanna, 1980). Puis Maslow (1943) a établi une hiérarchie des besoins suivant l’évolution de la satisfaction de chaque besoin, marche après marche. Bien que décriée pour son manque d’universalité, sa « pyramide » a été reprise par plusieurs auteurs. A l’instar d’Hanna (1980) qui s’en est inspiré pour énoncer une typologie reconnue par des chercheurs actuels comme Kapferer et Laurent (1986). Foxal (1995) quant à lui, défend l’application d’une perspective de 10 behaviorisme radical dans le domaine du comportement du consommateur. Cette partie n’est que « la mise en bouche » de la recherche à effectuer pour la délimitation des paramètres qui seront choisis pour l'identification du marche du tourisme. L'objectif de cette étape est de pouvoir construire un outil, qui permettra d'évaluer la pertinence des données puis d'identifier le marché du tourisme en Suisse Romande. La conclusion de ce travail sera une grille de définition du tourisme en Suisse romande qui amènera à la détermination de la place des différentes formes de restauration au sein du tourisme. 4. Conclusion Apres une exploration des définitions du tourisme, ainsi que des différents paradigmes, la conclusion petit être tirée que les chercheurs des sciences humaines se sont rarement posés la question de l'utilisation de leurs recherches par les entreprises et organisations actives dans le tourisme. Cette situation est principalement due à la complexité du tourisme, au manque d'intérêt des chercheurs pour les acteurs du tourisme et pour finir à la jeunesse épistémologique de ce domaine. C'est la raison pour laquelle les organisations locales et internationales utilisent toujours le paradigme normatif, même si il ne permet que des comparaisons partielles et peu vérifiables. Cependant dans un environnement économique très fort, le no rmatif rassure par ses modèles mathématiques et ses possibilités de prévisions. L’Ecole Québécoise de l'université de Montréal (Bodson et Stafford, 1988, Stafford, 1988) préconise aux chercheurs de progresser en élaborant et en raffinant des paradigmes. Boyer (2003) affirme que le tourisme nécessite une approche spécifique. Ils ont tous raison. Cependant, 1 'utilisation du seul paradigme culturaliste occulte partiellement le paradigme économique très important pour les acteurs du tourisme. « Quelle est la nature du tourisme ? Quelle est la meilleure methodo1ogie d'approche ? » Deux questions majeures. Aucune certitude mais une réponse possible se présente. Pourquoi ne pas intégrer la notion de l’environnement socioculturel et de la sensibilité à la conjoncture pour reprendre le paradigme culturaliste mais également, la notion d'impacts économiques? La théorie du chaos prônée par Mc Kercher (1999), a le mérite d'attirer l'attention également sur la notion du temps, avec l'anticipation et la flexibilité nécessaires aux intervenants. Considérer le tourisme comme un marché permettrait d'intégrer toutes ces dimensions dans la création d'une combinaison de paramètres qui permettraient de le délimiter et le définir. Ce travail n'est donc que l'exorde d'un traité sur l'analogie du tourisme et d'un marché en prévision de la compréhension de la place de la restauration dans le tourisme de Suisse Romande. 11 Allcock John B. (1988), "Tourism as a sacred journey", Loisir et Société, vol.11, pp.33-48. 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