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LA VENTE PAR LOTS OU « VENTE A LA DECOUPE »
DROIT IMMOBILIER
La vente par lots, ou vente à l’unité, plus communément appelée « vente à la découpe », par
opposition à la vente d’un immeuble entier, dite « vente en bloc », consiste pour un propriétaire
d’immeuble entier à diviser juridiquement tout ou partie de celui-ci aux termes d’un état descriptif de
division-règlement de copropriété en vue de vendre, appartement par appartement, les lots issus de
la division.
Cette pratique est le plus souvent utilisée par les institutionnels (banques, compagnies
d’assurance, mutuelles…) ou marchands de biens afin de rentabiliser au mieux leur parc immobilier.
Alors que certains locataires y voient une opportunité de devenir propriétaires de leur
logement à moindre coût, d’autres dont la situation financière ne leur permet pas de se porter
acquéreur de leur logement, y voient un mode de spéculation immobilière les contraignant à acheter
ou à partir à la fin de leur bail, ce qui, compte tenu des difficultés de relogement, suscite de vives
critiques.
La vente « à la découpe » qui a déjà défrayé la chronique dans les années 1997-1998
donnant lieu à la signature des accords collectifs du 9 juin 1998 puis à ceux du 16 mars 2005, revient
aujourd’hui sur le devant de la scène.
En effet, après l’abandon de la proposition de loi « visant à lutter contre la pratique de la
vente à la découpe » en instituant un permis de mise en copropriété, notre nouvelle Ministre du
Logement, Madame Cécile Duflot, promet pour le printemps prochain une réforme des ventes « à la
découpe » estimant « nécessaire d’encadrer, par modification législative, la possibilité de mettre en
copropriété et de congé-vente par le bailleur ».
En attendant ce nouveau texte, il semble opportun de faire un rapide point sur l’actualité,
notamment jurisprudentielle, de la vente par lots.
Les accords collectifs du 9 juin 1998 puis ceux du 16 mars 2005, sont venus régir les ventes
par lots, dès lors que celles-ci portent de plus de dix logements dans un même immeuble d’habitation.
Les accords collectifs imposent en effet au vendeur, une procédure stricte de mise en vente, fondée
sur un souci d’information et de protection des locataires en place.
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Avant d’énumérer brièvement les différentes étapes de la mise en vente imposées par les
accords collectifs, rappelons que ces derniers se distinguent de la loi du 13 juin 2006 dite « Loi
Aurillac » notamment en ce que celle-ci, même si elle confère un droit de préemption aux locataires
lorsque le nouveau bailleur ne prend pas l’engagement de proroger les baux en cours au jour de la
vente pour une durée de six années, ne régit que la vente en une seule fois d’un immeuble entier
comportant plus de dix logements, aussi appelée « vente en bloc ».
Les accords collectifs imposent aux vendeurs par lots d’un immeuble comportant plus de dix
logements, sauf lorsqu’il s’agit d’organismes d’habitation à loyer modéré, de personnes physiques ou
de sociétés civiles immobilières constituées exclusivement entre parents et alliés jusqu’au quatrième
degré inclus, le respect d’une procédure dont les principales étapes sont les suivantes :
-
la délivrance d’une information au maire de la commune ainsi qu’à l’association de locataires,
s’il en existe une, et ce dès qu’il a pris la décision de mettre en vente l’immeuble,
-
la tenue d’une réunion d’information des locataires, au cours de laquelle le vendeur ou son
mandataire doit notamment porter à la connaissance des locataires les phases importantes de
l’opération de vente et les droits respectifs des locataires et propriétaires, les conditions de
crédit du moment, les prix moyens au mètre carré,
les avantages notamment de prix,
accordés aux locataires en fonction de leur ancienneté dans les lieux et la durée restant à
courir de leur bail, les possibilités de relogement, les dispositifs légaux et réglementaires
destinés à protéger les locataires âgés ou à faibles ressources.
-
La production de diagnostics et bilans techniques portant sur les éléments essentiels du bâti,
les équipements communs et de sécurité susceptibles d’entraîner des dépenses importantes
pour les futurs copropriétaires dans les années qui suivront la vente. Il s’agit en particulier du
clos, du couvert, de l’isolation thermique, des conduites et canalisations collectives, des
équipements de chauffage collectif, des ascenseurs, de la sécurité en matière d’incendie. A ne
pas confondre toutefois avec le diagnostic visé par l’article L111-6-2 du code de la
construction et de l’habitation avec lequel ils peuvent se cumuler.
-
l’envoi d’une lettre d’information individuelle contenant une information personnalisée
notamment quant au prix de vente et la décote éventuellement consentie,
-
Le respect d’un délai de trois mois entre la réception de cette lettre d’information individuelle
et l’envoi des offres de vente visées par l’article 10 de la loi du 31 décembre 1975,
-
Le cas échéant la délivrance d’un congé avec offre de vente conformément aux dispositions
de l’article 15-II de la loi du 6 juillet 1989.
-
Une prorogation de plein droit des baux à raison d’un mois par année d’ancienneté, dans la
limite de trente mois, pour les locataires en place depuis plus de six années,
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-
Un renouvellement de plein droit, sous certaines conditions, des baux consentis aux
personnes âgées de plus de soixante-dix ans à l’expiration de leur bail, aux personnes
gravement malades ou invalides,
-
Une obligation de relogement des personnes à faibles revenus.
Au regard des contraintes que les accords collectifs imposent aux vendeurs d’immeuble par lots et
des conséquences financières en résultant pour ces derniers, doctrine et praticiens se sont posés bon
nombre de questions quant au champ d’application desdits accords, et notamment quant aux
caractéristiques des locaux à prendre en compte pour le calcul du seuil des dix logements, quant au
délai de mise en vente de ces logements et quant à la notion même d’immeuble.
Les juges ont, au fil des années, lever ces incertitudes.
Une question demeurait toutefois, donnant lieu à des controverses doctrinales et à des pratiques
divergentes, celle du caractère obligatoire des accords collectifs dès lors que le vendeur n’entendait
délivrer aucun congé pour vente.
A s’en tenir au sens strict des accords du 16 mars 2005 d’ailleurs intitulés « Congés pour vente
par lots aux locataires dans les ensembles immobilier d’habitation », ainsi qu’à l’esprit ayant animé les
rédacteurs de ces textes, les accords collectifs ne devaient trouver à s’appliquer que lorsque le
propriétaire envisageait de délivrer au moins un congé pour vendre. Cette théorie était renforcée par
les dispositions de l’article 6 des accords qui sanctionnent le non-respect des mesures visant à
protéger les locataires en place, par la nullité du congé pour vente.
C’est d’ailleurs la position retenue par le Tribunal d’Instance de Paris du 16ème arrondissement,
dans un arrêt des 2 février et 6 avril 2010, qui avait déclaré inapplicables de plein droit les accords
collectifs des 9 juin 1998 et 16 mars 2005, en l’absence de congé-vente, précisant que « ces accords
ont pour objectif de protéger les locataires qui, à la suite d’un congé-vente sont susceptibles de
quitter les lieux à défaut d’acquisition » (TI Paris, 16ème ch. 2 février 2010, n° 11-09-001110 et
jugement rectificatif : TI, 16ème ch., 6 avril 2010 n° 11-10-000258)
La doctrine était également sur ce point quasi unanime (C. Fénardon, JCPN 2007, n° 1134, JCPN
n°20, n° 1194, C. Bosgiraud, JCPN 2003, n° 1559, Ph. Pelletier Defrénois n° 04/04, p. 265)
La jurisprudence s’était, jusqu’ici, révélée en la matière très incertaine voire contradictoire.
Ainsi la 6ème chambre de la Cour d’appel de Paris avait-t-elle décidé dans un arrêt du 15 mars 2005
que l’accord collectif ne concernait pas exclusivement la mise en œuvre des congés pour vente
délivrés en application de la loi du 6 juillet 1989 mais également la mise en œuvre des offres de vente
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notifiées en application de l’article 10 de la loi du 31 décembre 1975 (CA Paris, 6ème ch., 15 mars
2005, JurisData n° 2005-266153 – Loyers et copr. 2005, comm. 134).
La 3ème chambre de la même Cour d’Appel a ensuite dans un arrêt du 25 juin 2009 décidé qu’en
l’absence de congé-vente, les règles spéciales relatives à l’information et à la protection des locataires
ne s’appliquaient pas, avant d’affirmer le contraire dans un arrêt du 4 novembre 2010. (CA Paris, Pôle
4, 3ème ch., 25 juin 2009, n° 07/05818, Administrer mars 2010, p. 30.)
Dans ce dernier arrêt, la Cour d’Appel de Paris affirmait que : «les accords collectifs du 9 juin
1998 rendus obligatoires par le décret du 22 juillet 1999 sont applicables même si seule une offre de
vente sur le fondement de l’article 10 de la loi du 31 décembre 1975 a été notifiée. En effet la
référence relative aux congés pour vente qui figure dans l’intitulé de l’accord n’en restreint pas la
portée à ces seuls congés, car dans son préambule, il stipule que : « les organisations participant à la
négociation demandent que l’accord soir étendu à tous les bailleurs mettant en vente plus de dix
logements » En conséquence l’accord ne concerne pas seulement la mise en œuvre des congés pour
vendre délivrés dans le cadre de l’application de la loi du 6 juillet 1989, mais également la mise en
œuvre des offres de vente notifiées en vertu de l’article 10 de la loi du 31 décembre 1975 ».
La pratique notariale se devait donc d’être prudente et de conseiller au vendeur de plus de dix
logements dans un même immeuble qui n’entendait pas délivrer de congé pour vente, d’appliquer
strictement la procédure de mise en vente prévue par les accords collectifs.
Maître Philippe Pelletier (Defrénois 2011 n° 39207, p. 433) préconise dans cette situation
d’appliquer les accords collectifs sans toutefois y faire référence, et ce afin de ne pas se placer
volontairement et explicitement dans le champ d’application desdits accords.
Cette solution éviterait ainsi, selon lui, au vendeur de s’imposer des contraintes auxquelles il ne
devrait pas être soumis, notamment en ce qui concerne l’établissement des diagnostics techniques de
l’immeuble et pour lesquels les juges font preuve d’une exigence redoutable.
La 3ème chambre civile de la Cour de Cassation vient par un arrêt du 5 septembre 2012 ( Cass.,
3ème civ., 5 sept. 2012, n° 11-17630, Flash Defrénois n° 38, 2012) d’affirmer « que les accords
collectifs du 9 juin 1998 rendus obligatoires par le décret du 22 juillet 1999 ne concernait pas
seulement la mise en œuvre des congés pour vendre, mais également la mise en œuvre des offres de
vente » et que par conséquent, les locataires ayant reçu une offre de vente sur le fondement de
l’article 10 de la loi du 31 décembre 1975 étaient fondés à se prévaloir des informations prévues par
les accords, en l’occurrence l’implication de l’association de locataires dans les modalités
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d’établissement des diagnostics techniques, sans pour autant exiger que ceux-ci n’aient reçu de congé
pour vente.
La 3ème chambre civile de la Cour de Cassation semble donc poser le principe de l’application des
accords collectifs de location alors même qu’aucun congé pour vente n’est délivré.
Certains se basent toutefois sur l’existence, en l’espèce, de congés pour vente délivrés à d’autres
locataires de l’immeuble et sur le fait que le vendeur se soit volontairement soumis aux accords
collectifs pour émettre des doutes quant à la portée générale de cette décision.
Il n’en reste pas moins, qu’au regard de cet arrêt, devront désormais être associés à la procédure
de mise en vente prévue par les accords collectifs, toutes personnes susceptibles de se prévaloir d’une
offre de vente prévue par l’article 10 de la loi du 31 décembre 1975 modifiée, sans qu’il y ait lieu de
rechercher si celles-ci pourraient ou non se voir délivrer un congé pour vente conformément aux
dispositions de l’article 15 II de la loi du 6 juillet 1989. Il convient donc d’assimilés aux locataires
concernés par les accords, les locataires titulaires d’un bail régi par la loi du 1 er septembre 1948, les
occupants de bonne foi au sens de l’article 4 de ladite loi, des titulaires de contrat de location
meublée, etc.
La portée de cet arrêt étant encore incertaine, on ne peut qu’espérer que la réforme annoncée
par notre Ministre du Logement vienne rapidement clarifier la situation.
Nathalie ATHIMON
Groupe Immobilier
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