une nouvelle vague de detaillants prend son élan

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une nouvelle vague de detaillants prend son élan
UNE NOUVELLE VAGUE
DE DETAILLANTS
PREND SON ÉLAN
augmenté l’année dernière. Nul ne peut se
faire d’illusions : les parts de marché
n’augmentent pas, et seuls les meilleurs de
ces nouveaux commerçants tiendront la
route. Mais on peut parler d’un tournant,
car les parts de marché des chaînes, qui
avaient explosé ces dernières années,
semblent se stabiliser. Le dynamisme des
ouvertures, réaménagements,
agrandissements de multimarques
pourrait alors signifier qu’un plancher
Les dynamiques détaillants strasbourgeois Michèle et Philippe Moulbarak,
a été atteint et que l’uniformisation
propriétaires de 5 boutiques Ultima (en haut et à droite), et Stéphanie Godin
du marché de la mode a peut-être
(boutique Cosy Cove), illustrent bien, par leur politique de fidélisation, de
trouvé un seuil de résistance. A suivre. communication, d’investissement, d’évolution permanente de l’offre, le renouveau
AGPA
Il y a comme un vent de renouveau sur le
détail multimarque français. Qualitatif
plutôt que quantitatif, celui-ci provient
d’une nouvelle génération de détaillants, à
l’œuvre dans beaucoup de grandes villes,
qui font affaire avec des marques en cours
de développement tout en se mettant en
quatre pour séduire et fidéliser une
clientèle très gâtée. On trouve même,
aujourd’hui, parmi ces professionnels
plutôt entreprenants, des transfuges des
chaînes, résolus à l’expansion en inventant
leur formule personnelle. Globalement, les
créations de magasins ont même
AGPA
AGPA
L’événement de la semaine
Un renouveau en marche.
en marche du détail multimarque.
Les ouvertures de multimarques
se font plus nombreuses
S
’ IL y a bien une nouvelle génération
de détaillants qui se remettent à ouvrir des magasins multimarques, l’ampleur du phénomène est encore limitée.
Bien que le mouvement soit réel, il ne permet pas encore de faire rebondir les parts
de marché des indépendants. C’est ce que
constate l’Institut français de la mode
(Ifm) à travers ses études. «Au mieux, la
part de marché du détail multimarque
d’habillement stagne», souligne Evelyne
Chaballier, directrice des études économiques et prospectives à l’Ifm. Et encore,
pour arriver à une telle conclusion, fusionne-t-elle les parts de marché (28,5%
au total, Journal du Textile n°1874, du
8 mai) des boutiques et des grands magasins qui, multimarques atypiques, progressent effectivement. Pour autant, Evelyne
Chaballier relève aussi une stagnation des
chaînes, à un peu plus de 30%. «On assiste
à un tournant», estime-t-elle.
Philippe Zeder, Pdg fondateur de
fashop.fr, n’est pas loin de partager cette
analyse, même s’il relève une petite baisse
du parc de points de vente multimarques.
Lancé au début des années 2000, Fashop
est une sorte de guide des magasins multimarques d’habillement à destination des
marques et des agents commerciaux. Son
état des lieux du détail indépendant en
France recense un peu plus de 30.000 com-
Répartition des indépendants multimarques
ouverts en 2005 par segment de marché
45%
40%
■ HOMME ■ FEMME
35%
30%
25%
20%
LA
POUSSÉE DU JEAN
Fashop analyse aussi les ouvertures par
type de produits. Le secteur jeans et
sportswear est le grand gagnant dans
l’homme, même s’il a baissé entre 2004 et
2005. Il atteignait 50% des ouvertures en
2004 et 43 % en 2005. Cette chute s’est
faite essentiellement au bénéfice des magasins de grande diffusion, passés de 15 à
23%. Le citywear-casual a régressé de 12 à
10%, les magasins vendant des articles
classiques et des grandes tailles, de 10 à
7%, et le luxe, de 5 à 4%. L’easywear, en
revanche, a augmenté de 4 à 7%, et la
mode pointue, de 5 à 6%.
Pour la femme, le secteur grande diffusion a tenu la tête l’an dernier, avec 24%
des ouvertures, contre 18% en 2004. Le
jean-sportswear a régressé de 24 à 21%.
Le citywear-casual a aussi régressé, de 14 à
13%. Le classique-grandes tailles a chuté
de 16 à 13%. L’easywear a gagné un point,
à 16%. Les ouvertures sur le marché de la
mode pointue ont régressé de 11 à 9%. En
revanche, le luxe est stable, à 2%.
JEAN-PAUL LEROY ●
La relation personnalisée
est cultivée à Strasbourg
15%
10%
5%
0%
Jeans+
Sportswear
Large
Distribution
(Grande diffusion)
Citywear
Casual
Classic +
Super Size
(Grandes tailles)
Easywear
(Mode diffusion)
Trendy Style
(Mode pointue)
Luxe-Chic
Source : Fashop France-Mai 2006
Les segments jeans et sportswear sont dominants dans les ouvertures des magasins masculins. Les nouvelles
boutiques référençant en tout ou partie de la femme se répartissent, elles, dans un peu tous les secteurs. A
noter que plus de 20% des boutiques ouvertes visent la grande diffusion, un créneau pourtant largement
couvert par les chaînes spécialisées et la grande distribution.
4
merces, dans une liste actualisée en permanence. Et classée par marchés.
Premier enseignement des différentes
études Fashop : le nombre de créations a
été plus important en 2005 qu’en 2004, soit
1.809, contre 1.532. Mais ces créations ne
sont pas forcément durables : 17% des
magasins ouverts en 2004 ont déjà disparu, et, à ce jour, 4% de ceux ouverts en
2005 n’existent déjà plus. L’immense majorité des ouvertures est le fait de détaillants qui ouvrent leur première boutique : 80% en 2004 et 83% en 2005. Ils
étaient 13% en 2004 et 11% en 2005 à ouvrir leur deuxième boutique. Les détaillants ouvrant une troisième boutique sont
passés de 3 à 4%, et ceux à la tête d’au
moins 4 boutiques sont stables, à 3%. La
répartition des ouvertures par marché est
également stable. Elles sont 48%, en 2004
comme en 2005, à s’adresser à la femme, et
12%, à l’enfant. L’homme passe de 9% en
2004 à 8% en 2005, au profit des magasins
mixtes, passés de 31 à 32%.
Une majorité de boutiques, en 2004 et
2005, ont ouvert dans des villes de moins
de 30.000 habitants : 53% en 2004 et
même 58% en 2005. Les ouvertures ont
régressé de 13 à 11% dans les villes de
30.000 à 50.000 habitants, de 12 à 10%
dans les villes entre 50.000 et 100.000 habitants et de 8 à 7% dans les villes de plus de
200.000 habitants. En revanche, elles sont
passées de 8 à 9% dans les villes entre
100.000 et 200.000 habitants. Paris a connu
une légère régression, de 6 à 5%. Mais
tous ces pourcentages sont calculés sur un
chiffre total en sensible progression en
2005, ce qui relativise les régressions et, à
l’inverse, rend plus significatives les progressions.
Journal du Textile N°1876 / 22-29 mai 2006
A
Strasbourg, contre vents et marées, des détaillants indépendants multimarques se développent ou lancent leur première
boutique. Ceux qui tentent l’aventure
croient moins à un véritable renouveau du
commerce multimarque qu’à une nouvelle manière de fidéliser la clientèle et de
cibler les marques. Ultima a pu ainsi gagner peu à peu du terrain sur le créneau du
prêt-à-porter haut de gamme. Les dirigeants de l’enseigne, Michèle et Philippe
Moubarak, viennent d’agrandir leur cinquième boutique de 120 m2, dédiée au
prêt-à-porter féminin et masculin. Le nouvel agencement est lumineux, tout en noir
L’événement de la semaine
du thé, une coupe de champagne. Je veux
les recevoir comme chez moi», assure Michèle Moubarak.
Loin d’avoir l’expérience des Moubarak, mais avec une grande détermination,
la jeune détaillante Stéphanie Godin croit
aussi à ce savoir-faire du détaillant. Son
bébé à elle, c’est Cosy Cove, une boutique
de prêt-à-porter féminin de 100 m2 qui
met en valeur les créations de Stella Forest,
des marques danoises Rützou, Day Birger
et Mikkelsen, du créateur togolais installé
à Paris Marci N’Oum. Les marques belge
Essentiel et suédoises Stella Nova et Malene Birger sont annoncées pour cet hiver.
LE
D ES
SYNERGIES
Ces détaillants ont témoigné de leur
opiniâtreté en obtenant la piétonnisation
de la petite rue dans laquelle 3 de leurs
magasins sont installés et en investissant
régulièrement dans des travaux d’agrandissement de leurs différentes boutiques.
«Nous avons choisi des marques phares en
Italie qui ne sont pas trop classiques. Mais
c’est une erreur de penser qu’elles suffisent
à la réussite d’un magasin. Nous faisons un
choix de collection très pointu. Et nos boutiques doivent sans cesse être en mouvement, grâce à la décoration, au réaménagement et à l’accueil de notre clientèle», estiment les détaillants strasbourgeois.
L’enseigne Ultima occupe ainsi largement la petite rue, aux côtés de Hugo
Boss, installé ultérieurement, et les clientes passent allégrement d’une boutique à
l’autre. «Nous avons réussi à créer une synergie qui installe une ambiance très conviviale. Il y a vingt ans, les marques attiraient
la cliente. Maintenant, l’accueil se doit
d’être personnalisé. Nous appelons les
clientes par leur nom, les accueillons avec
Le multimarque Gaspart essaime depuis Vannes
R
ODÉS aux méthodes des succursalistes, Philippe Marion et Mickaël Brisard se sont associés
pour fonder l’enseigne de prêt-àporter multimarque pour homme Gaspart. Une première boutique, ouverte il y
a un peu plus d’un an à Vannes, sur 70 m2,
a donné le ton et assuré la crédibilité du
duo, qui vient d’implanter son concept à
Nantes, sur 40 m2, dans le quartier populaire du Bouffay, non loin des Galeries
Lafayette.
Positionnée milieu-haut de gamme, la
boutique cible les hommes urbains de 30
à 40 ans ayant envie de fantaisie. Destiné à une clientèle de centre-ville plutôt
que de galerie marchande, le concept repose sur deux marques complémentaires : Ikks pour 80% et Gas pour 20%,
principalement pour les jeans.
«Plutôt que de nous éparpiller, nous
avons préféré choisir deux marques qui
nous permettent de coordonner les silhouettes et de proposer des total looks, expliquent Philippe Marion, ex-directeur
régional chez Laurent Cerrer, et Mickaël
Brisard, ex-commercial et responsable
de points de vente chez Alain Manoukian et chez Laurent Cerrer. «Nous
avons voulu créer un multimarque très
qualitatif, pour le différencier des jeanneries et des chaînes. Pour en faire un lieu
fonctionnel, commercial et attractif, le
merchandising est essentiel.» Habillée de
blanc et d’un parquet brun, la boutique
marie le verre et l’inox. Pour beaucoup,
les tenues sont présentées en silhouette
ou sur cintres. «A l’inverse des succursalistes populaires, nous travaillons en mural plutôt qu’avec un mobilier central»,
souligne Mickaël Brisard.
«Nous appliquons aussi ce que nous
avons appris sur le créneau populaire»,
ajoute Philippe Marion. La gestion des
stocks est informatisée pour fonctionner
en temps réel. Rigoureusement sélec-
tionné, le personnel bénéficie de primes
d’encouragement. Résultat : le panier
moyen atteint 250 Q et, sept fois sur dix,
l’acte d’achat comprend des ventes complémentaires. «C’est presque un travail de
relooking. Un vrai service. Il fonctionne
bien avec la clientèle masculine, qui attend beaucoup de conseils. Contrairement aux femmes, qui savent ce qu’elles
veulent et n’hésitent pas à faire plusieurs
boutiques.»
En choisissant de se limiter à deux
marques et en proposant une offre similaire d’un magasin à l’autre, les créateurs
de Gaspart ont conclu des partenariats
avec leurs fournisseurs. Avec des précommandes qui atteignent 80.000 Q
(80% d’une saison), la formule garantit
une part d’échange de produits, la reprise
d’une partie des invendus, la mise en
œuvre de plan de financement, la mise à
disposition de signalétiques, de sacs, certaines formes d’exclusivité et une participation au budget de communication. «Ce
n’est pas une solution de facilité mais plutôt un contrat de confiance entre eux et
nous, et réciproquement», estiment les
deux associés, dont les profils complémentaires ont convaincu banquiers et
fournisseurs.
Hors stock, l’investissement s’élève en
moyenne à 250.000 Q par point de vente,
pour un chiffre d’affaires prévisionnel de
375.000 Q à 600.000 Q. La boutique vannetaise a réalisé un chiffre d’affaires de
450.000 Q lors de son premier exercice.
Avec une surface moindre, Nantes devrait faire de même. L’objectif des deux
associés est de créer à terme un réseau de
10 magasins, au rythme d’une ouverture
par an. Pour ce faire, ils ont fondé la holding Ange et Démon, qui compte aujourd’hui 3 filiales : les magasins Gaspart de
Vannes et de Nantes et une troisième
boutique, Seven by Gaspart, ouverte par
opportunité à Vannes avec un positionnement plus branché (Bill Tornade, la
ligne fashion de Diesel, Frédéric Homs),
pour une clientèle sensiblement plus
jeune. Outre la prévision de 2 ouvertures
de Gaspart, à Rennes et à Angers, le duo
cherche un second emplacement à
Nantes pour ouvrir un deuxième Seven
by Gaspart, à la place de l’actuel Gaspart,
qui serait alors transféré sur une surface
plus importante mais toujours sur un emplacement 1 bis : une précaution nécessaire pour garantir la rentabilité de l’affaire.
FRÉDÉRIC THUAL ●
PHILIPPE MARION ET
MICKAËL BRISARD.
FREDERIC THUAL
et blanc, avec des lignes géométriques. Le
sol, partagé entre mosaïque rosée et béton, combine raffinement et sobriété plus
brute. L’offre fait la part belle à Prada, à
Dolce & Gabbana, à Miu Miu, à Yohji Yamamoto et à Dior. Le magasin est installé
dans une petite rue piétonne de l’hypercentre, en face et à côté des 2 autres boutiques à la même enseigne, dédiées à la
chaussure (Prada, Miu Miu, Sergio Rossi,
Marc Jacobs et Chloé).
«Nous avons toujours cru aux marques.
Déjà, en 1998, nous avons repris le magasin
Stephane Kélian pour le transformer en
Ultima, avec Mosquitos, Maud Frizon et
Kenzo», racontent les détaillants. Ils
s’aventurent ensuite avec succès sur le terrain du prêt-à-porter avec une boutique
Marité & François Girbaud, toujours à
Strasbourg, dont ils doublent la surface de
vente en 2000 avant d’acquérir un petit local pour développer les marques de vêtements correspondant aux lignes de chaussures. «Les premières années d’une boutique sont toujours difficiles, surtout à
Strasbourg, où la clientèle est assez frileuse.
Il faut y aller très doucement, tout en ayant
une bonne dose de témérité, parce que rien
n’est jamais acquis», explique Philippe
Moubarak.
PARI DE L ’ IMPRIMÉ
La détaillante a fait le pari des tissus imprimés, fleuris, colorés en soie, en coton, en
tulle, en reprenant la marque Stella Forest
à la boutique strasbourgeoise En Aparté,
qui fermait ses portes. Stéphanie s’est adjoint l’expérience de la détaillante d’En
Aparté pour attirer la clientèle dans ce
nouveau lieu. Les couleurs s’expriment
aussi bien sur les diverses silhouettes proposées que sur les murs et incitent la
cliente à chercher son bonheur sur les portants suspendus. «Notre valeur ajoutée est
d’avoir obtenu l’exclusivité de nos marques, qui viennent pour la première fois à
Strasbourg, sauf Stella Forest, également
distribuée par un autre détaillant, et d’apporter ponctuellement des touches d’originalité supplémentaires, avec des marques
que nous ne suivrons pas systématiquement. Nous proposons des nouveautés tous
les quinze jours, et nous essayons d’accompagner la cliente en la prévenant de l’arri-
vée de certains modèles, par exemple», annonce Stéphanie Godin.
L’offre de la nouvelle boutique est aussi
typée par de nombreux accessoires, sacs,
chaussures et des bijoux de la créatrice
mulhousienne Mérésine, qui a détourné
chapelets et médailles religieuses dans de
nouvelles versions très colorées. Cosy
Cove propose également des parfums
d’intérieur d’artisans parfumeurs de
Montpellier. Malgré un fichier de clientèle
très fidèle à la marque Stella Forest, les
deux détaillantes développent une communication tous azimuts. Elles ont déjà organisé deux défilés de mode dans la boutique – avec les clientes comme mannequins et le partenariat de boutiques de
chaussures et de lingerie – et s’offrent une
pleine page de publicité dans le quotidien
régional. Une journée relooking est également prévue, avec une esthéticienne indépendante.
«Nous sommes en recherche permanente d’idées parce que nous sommes installées rue de la Douane, un peu à l’écart
des rues le plus renommées, dans le même
secteur que d’autres indépendants qui ne
peuvent pas se payer les fonds de commerce exorbitants du cœur de Strasbourg.
Des créateurs aimeraient ouvrir leur boutique, sans pouvoir le faire à cause de ces
contraintes financières. Quant à la vente en
appartement, elle n’est malheureusement
pas autant répandue en France que dans les
pays d’Europe du Nord, par exemple.» La
détaillante ne se fait pas d’illusions : «Les
contraintes administratives et financières
étouffent les indépendants», regrette-telle.
ISABELLE FRIMAT ●
Ces deux transfuges
de chaînes se sont
associés pour lancer
l’enseigne
multimarque
masculine Gaspart, à
Vannes d’abord, puis
à Nantes. Ils
envisagent
aujourd’hui
d’implanter des
boutiques à Rennes
et à Angers.
N°1876 / 22-29 mai 2006 Journal du Textile
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