S - Partenaire Régie

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S - Partenaire Régie
www.lexpress.fr
Hors-série n° 12 juin-juillet 2014 - 6,50 €
SPÉCIAL AÉRONAUTIQUE
’:HIKQRD=XU[ZU[:?k@a@l@c@a"
Comment Airbus tire l’industrie
La course à l’innovation
Espace, les nouvelles conquêtes
Un formidable réservoir d’emplois
M 06733 - 12 - F: 6,50 E - RD
AIRBUS SAS 2013 / P. MASCLET
LESAILES
DUSUCCES
Sommaire
2/
L’EXPRESS / 3
L’ENTRETIEN
4
29, rue de Châteaudun, 75308 Paris
Cedex 09. Tél. : 01-75-55-10-00
CPPAP n°0318C82839
ISSN n° 0014-5270
Hebdomadaire d’information
édité par la Société anonyme
Groupe Express-Roularta
UNE INDUSTRIE MODÈLE
10 L’innovation pour moteur
14 Une galaxie de produits
SIÈGE SOCIAL :
29, rue de Châteaudun,
75308 Paris Cedex 09
CAPITAL SOCIAL :
47 150 040 euros
PRINCIPAL ACTIONNAIRE :
ROULARTA MEDIA FRANCE
PRÉSIDENT-DIRECTEUR
GÉNÉRAL : Rik De Nolf
DIRECTEURS GÉNÉRAUX
DÉLÉGUÉS : Corinne Pitavy,
Christophe Barbier
PÔLE GRAND PUBLIC
L’Express, L’Expansion, Classica,
Lire, StudioCinéLive
Directeurs : Christophe Barbier
et Eric Matton © 2014
L’EXPRESS / SA GROUPE
EXPRESS-ROULARTA.
Tous droits de reproduction réservés.
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L’édito
de Christophe Barbier
toujours plus haut
30 Pays-de-la-Loire :
entre ciel et mer
34 Aquitaine :
une industrie plurielle
36 Centre :
une sous-traitance bien assise
Pour bien voler, il faut garder les pieds sur terre. Qu’il s’agisse des aventuriers affamés d’horizons nouveaux, des ingénieurs défiant sans cesse la
physique ou des industriels déterminés à transformer l’azur en or, rien
ne réussit en aéronautique qui ne soit bâti sur la patience, le travail et
l’expérience.
Quand le regard journalistique fouille les nuages de l’avenir, des merveilles s’esquissent. Qu’il s’agisse d’effectuer le premier tour du monde
sans escale en avion solaire, comme l’accomplira, tôt ou tard, Bertrand
Piccard, de mettre au point un moyen-courrier à propulsion électrique
ou d’organiser un ciel où voyageront deux fois plus de Terriens qu’aujourd’hui, le nouveau se bouscule à la porte d’embarquement.
L’important est de l’aborder entre imagination et raison, sans rien sacrifier de l’indispensable part du rêve et sans rien omettre de l’impératif
de réflexion. L’aéronautique doit s’écrire en trempant la plume de Jules
Verne dans l’encre de William E. Boeing, en écoutant parler Howard
Hughes et en laissant décider Marcel Dassault.
L’aéronautique du XXIe siècle ne doit pas seulement relever des défis
techniques et économiques, il lui faut aussi répondre aux nouvelles exigences humanistes. Le réchauffement climatique, les équilibres Nord-Sud,
la tranquillité des riverains des pistes, le transit entre les aéroports et les
centres-villes, le financement des causes planétaires par une micro-taxe sur
les billets… Tout cela a sa place sur la table à dessin et dans les calculettes, et doit l’avoir aussi dans la tête des passagers. Pour une aviation
toujours plus belle. Avec deux ailes. 4
LES BATAILLES DU CIEL
38
41
46
48
52
La concurrence rebat les cartes
Revue de troupes
L’avion vert décolle
Aéroports : la course au gigantisme
Le fabuleux essor des compagnies
du Golfe
54 Stéphane Albernhe :
« Les compagnies nationales,
un outil de souveraineté »
56 Les bonnes recettes d’Air Caraïbes
58 SpaceX : l’étoile du star business
LES NOUVELLES FRONTIÈRES
60
64
68
70
73
75
79
Inventer le voyage du futur
Le printemps des drones
Le défi du tout électrique
Tourisme spatial : c’est parti !
Le rêve du dirigeable
Le blues du cosmonaute
Thomas Pesquet :
« S’éloigner de la banlieue terrestre »
L’entretien
Bertrand Piccard
JEAN REVILLARD
Rêve et réflexion
38
LES BATAILLES
DU CIEL
10
UNE INDUSTRIE
MODÈLE
EMIRATES
PUBLICITÉ :
DIRECTRICE RÉGIE :
Valérie Salomon
DIRECTEUR COMMERCIAL
PÔLE NEWS CULTURE :
Pierre-Étienne Musson
PUBLICITÉ RÉGION :
Intelligence Media, 8, port
Saint-Sauveur, 31000 Toulouse
DIrecteur de régie : Paul Nahon
Chef de publicité : Élodie
Hernandez. Tél. : 05 62 16 74 05.
Partenaire, 15, rue Louis-Blanc
69006 Lyon. www.partenaire.fr
FABRICATION :
Marie-Christine Pulejo
PHOTOGRAVURE :
Groupe Express-Roularta
IMPRIMERIE : Roularta Printing
(8800 Roeselare, Belgique)
sous le signe d’Airbus
26 Provence-Alpes-Côte d’Azur :
UN RÉSERVOIR D’EMPLOIS
80 Beau fixe sur les embauches
84 Mille métiers porteurs sous les ailes
88 Formation : des parcours
de plus en plus diversifiés
90 Pour que vive la passion
80
60
LES NOUVELLES
FRONTIÈRES
UN RÉSERVOIR
D’EMPLOIS
juin - juillet 2014 / www.lexpress.fr
AIRBUS GROUP
MANAGEMENT
DIRECTEUR GÉNÉRAL ADJOINT:
Eric Matton
EDITEUR DÉLÉGUÉ :
Tristan Thomas
une pole position méconnue
22 Midi-Pyrénées :
AIRBUS GROUP
RÉALISATION :
Agence de presse Objectif Une.
ÉDITEUR DÉLÉGUÉ :
Cécile Masscheleyn,
assistée de Frédérique Roche.
RÉDACTRICE EN CHEF :
Catherine Foulsham.
ONT COLLABORÉ
À CE NUMÉRO :
Jean-Christophe Barla,
Nathalie Bergue-Mura,
François Blanc, Philippe Coste,
Bruno D. Cot, Thierry Dubois,
Maylis Jean-Préau,
Guillaume Lecompte-Boinet,
Frédérique Letourneux,
Jean-Claude Pennec, Gil Roy,
Corinne Scemama,
Jean-Jacques Talpin.
MAQUETTE : Pôl’arts
et cinq champions mondiaux
16 Île-de-France :
AIRBUS GROUP
RÉDACTION
DIRECTEUR DE LA RÉDACTION :
Christophe Barbier
RÉDACTEUR EN CHEF :
Philippe Bidalon
RÉDACTRICE EN CHEF ADJOINTE
ET SUPERVISION ÉDITORIALE :
Valérie Lion
RÉALISATION
DE LA COUVERTURE :
Dominique Cornière
Bertrand Piccard : « Le vol perpétuel,
fantasme absolu »
L’entretien
4/
BERTRAND PICCARD
“Le vol perpétuel,
fantasme absolu”
Fils et petit-fils d’explorateurs célèbres, le Suisse Bertrand Piccard, 56 ans, poursuit depuis une dizaine d’années un projet fou. Celui d’un tour du monde en avion,
à la seule puissance de l’énergie solaire. Cet aventurier des airs – il s’est illustré
en ULM, en aile delta et en ballon –, psychiatre de formation, a fait équipe avec un
ingénieur entrepreneur, André Borschberg, pour imaginer et réaliser Solar Impulse.
L’appareil, un monoplace bourré de technologies, devrait décoller en mars 2015,
conduit à tour de rôle par ces deux pilotes hors du commun.
Propos recueillis par Valérie Lion
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L’isolation des maisons, les batteries pour la voiture électrique, par
exemple, représentent des investissements profitables.Tout doit être
plus léger pour consommer moins
d’énergie.
Comment vous est venue l’idée
d’un tour du monde en avion solaire ?
En 1999, pendant les vingt jours de
mon tour du monde en ballon sans
escale, j’ai eu peur de manquer de carburant. À l’arrivée, sur les 3 700 kilos
du départ, il nous restait 40 kilos de
gaz propane. Nous étions complètement dépendants de nos réserves,
nous n’avions aucune possibilité d’aller plus loin. De là est parti mon rêve
de vol perpétuel, où on ne serait plus
limité par la quantité d’énergie embarquée. Le vol perpétuel, c’est le
fantasme absolu.
Pourquoi ?
Pensez à l’histoire du Grand Bleu :
le fantasme de l’apnéiste, c’est de rester éternellement sous l’eau. Celui
du pilote, c’est de rester indéfiniment
dans le ciel.
Vous avez réalisé ce projet sans
aucun partenaire issu de l’industrie aéronautique, à l’exception
notable de Dassault. Pourquoi ?
Les spécialistes sont, par définition,
experts de ce qu’ils savent faire. Pour
concevoir et fabriquer un avion BERTRAND PICCARD. Avec Solar Impulse,
il veut démontrer la puissance
des énergies renouvelables.
JEAN REVILLARD
Vous avez dévoilé, il y a quelques
semaines, le Solar Impulse 2, le
premier avion solaire conçu pour
voler cinq jours et cinq nuits sans
une goutte de carburant. Quelle
est la finalité de ce projet ?
Nous voulons démontrer que ce
que nous faisons avec Solar Impulse
peut se décliner dans la vie quotidienne. Aujourd’hui, le plus rentable, pour économiser de l’énergie,
c’est de recourir aux technologies.
Il ne faut pas produire plus, mais
consommer moins. Tous les procédés que nous avons développés sur
Solar Impulse peuvent être appliqués ailleurs, et s’ils l’étaient, on diviserait déjà de moitié la consommation d’électricité dans le monde.
unique, qui n’avait jamais été
imaginé auparavant, ils ne me semblaient pas les mieux placés. Regardez Elon Musk, avec Tesla : il n’était
pas un fabricant de voitures mais un
entrepreneur du Net ! Et il a réussi
à produire le premier roadster électrique. Quand nous avons imaginé
Solar Impulse, personne, dans le secteur aéronautique, ne pensait qu’il
soit possible de concevoir un appareil d’une telle envergure (celle d’un
A380, NDLR) avec un poids si faible (celui d’une berline familiale,
NDLR). Nous avons travaillé avec
des professionnels excellents dans
leur domaine, par exemple le chantier naval suisse Décision, qui savait utiliser la fibre de carbone. Bien
sûr, nous avions aussi avec nous des
experts en calcul mécanique et aérodynamique. Pour créer, il faut sa-
SOLAR IMPULSE
EN 10 DATES
1999 Bertrand Piccard
réussit le tour du monde
en ballon, sans escale,
en 19 jours, 21 heures et
47 minutes, avec Brian Jones.
2003 Lancement
du projet Solar Impulse,
avec André Borschberg.
2004 Signature
des premiers partenariats
industriels.
2007 Démarrage de
la construction de l’appareil.
2009 L’avion Solar
Impulse est dévoilé.
2010 Premier vol de nuit
(26 heures).
2011 Solar Impulse
se pose au Bourget.
2012 Premier vol
intercontinental.
2013 Traversée
des États-Unis, d’ouest en est.
9 avril 2014 Présentation
de Solar Impulse 2, l’avion
destiné au tour du monde.
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L’entretien
L’EXPRESS / 7
voir travailler avec des gens dotés
d’expériences et de visions différentes. Le meilleur exemple, c’est
André et moi : lui est ingénieur et pilote de chasse, moi je suis psychiatre
et explorateur. La solution que nous
trouvons ensemble n’est jamais ma
solution ni sa solution; c’est une combinaison, une troisième voie qui se
révèle toujours être la meilleure.
Comment naît l’innovation ?
L’innovation, ce n’est pas avoir une
nouvelle idée, mais une ancienne
certitude en moins. Pour innover, il
faut perdre des convictions, des préjugés. Il faut réfléchir à ce que l’on
a appris, à ce que l’on croit, à ce que
l’on ferait spontanément et… faire
l’inverse ! Souvent, les gens ont peur
de travailler avec des personnes qui
pensent autrement : c’est pourtant
très tonique. Cela oblige à être créatif, à se remettre en question sans
cesse. Mais cela suppose aussi de ravaler son égo. L’évolution, et donc
le progrès, passe forcément par l’inconfort.
Avec André Borschberg, vous êtes
complémentaires. Qu’est-ce qui
vous rapproche ?
Nous pilotons tous les deux ! Et
nous partageons des valeurs communes : le respect pour l’être humain et pour l’environnement. Nous
avons aussi chacun un parcours spirituel. Et nous sommes intéressés
par l’autre.
L’un de vos partenaires industriels, le groupe Solvay, dit joliment que Solar Impulse est synonyme d’innovation sans limite.
Quelles frontières avez-vous repoussées ?
Nous ne nous sommes jamais rien
interdit dans la conception. Mais
nous avons engagé la construction
en parallèle, car il fallait que l’avion
devienne réalité. Et nous devions tenir compte de lois physiques immuables. Pour alléger l’avion, nous
avons misé sur une structure en nid
d’abeille. Les batteries classiques ne
EXPLOIT. Le monoplace Solar Impulse
devrait décoller du Moyen-Orient, en mars 2015,
pour un tour du monde sans une goutte de carburant.
permettaient pas de stocker l’énergie nécessaire au vol et auraient été
beaucoup trop lourdes : Solvay a travaillé sur un nouveau type d’électrolyte et Bayer a introduit des nanotubes de carbone dans les électrodes. Résultat, nous disposons aujourd’hui des meilleures batteries du
monde avec une densité exceptionnelle. De même, grâce à des PME
suisses, nos moteurs électriques atteignent un rendement jamais vu
jusqu’ici. Nous avons aussi tiré les
enseignements du premier appareil,
qui a fait office de véritable laboratoire volant.
Est-ce que l’industrie aéronautique
s’intéresse désormais au projet ?
Hormis Dassault, il est frappant de
constater qu’aucune entreprise du
secteur n’a compris qu’elle pouvait
tirer parti de Solar Impulse pour dé-
JEAN REVILLARD
6/
velopper de l’innovation en interne.
Nous disposons d’une équipe de quatre-vingts personnes qui travaillent
depuis dix ans sur le projet et nous
commençons à recevoir des offres
du monde entier pour des transferts
de technologie. Les fabricants de
drones, par exemple, s’intéressent à
notre expérience.
Que pensez-vous du projet d’avion
électrique ?
Aujourd’hui, deux modèles existent : l’avion 100 % kérosène et notre avion solaire. Entre les deux,
l’avion électrique, c’est une évidence,
va se développer. C’est encore un peu
utopique car, aujourd’hui, aucune
batterie n’est capable de transporter
des charges importantes. Mais je suis
convaincu que, d’ici à cinq ans, il y
aura, dans les aérodromes, des avions
électriques de 2-4 places, et d’ici
quinze à vingt ans, nous verrons des
avions court-courrier électriques.
Les biocarburants représentent-ils
une option ?
C’est une excellente piste à condition de les produire avec autre chose
que de la nourriture : avec des algues,
des déchets organiques, de la biomasse. Il est de toute façon intelligent de rechercher une alternative
au pétrole.
L’industrie aéronautique continue
à rêver d’un avion hypersonique.
Est-ce dépassé ?
Dans la fable de La Fontaine, j’ai
toujours eu davantage de sympathie
pour la tortue. Pour Solar Impulse,
nous avons dû choisir entre la vitesse
et la durée. S’il avait fallu voler deux
fois plus vite, nous aurions dû capter
huit fois plus d’énergie ! C’est certain :
notre projet, qui consiste à mettre cinq
jours pour traverser un océan, n’a pas
beaucoup d’avenir en dehors de
l’aventure que cela représente… Le
but n’est pas d’en faire une expérience
applicable commercialement. C’est
comme la conquête de la Lune : il
s’agissait de montrer qu’un rêve millénaire était possible, de développer
les technologies nécessaires et de les
utiliser ensuite dans la société. C’est
le même processus pour Solar Impulse : démontrer qu’on peut utiliser
les énergies renouvelables dans la vie
quotidienne.
Faut-il retourner sur la Lune ?
On y est déjà allé six fois, on a démontré que c’était possible. En revanche, nous n’avons pas réussi à
prouver qu’il était possible de supprimer la pauvreté et la discrimination sur notre planète. Je pense juin - juillet 2014 / www.lexpress.fr
L’entretien
8/
que notre ambition, aujourd’hui,
devrait être de conquérir la qualité
de vie sur Terre.
DEUX HOMMES POUR UN AVION
BINÔME. André Borschberg, à gauche,
et Bertrand Piccard, à droite.
Piccard-Borschberg, André-Bertrand. S’il n’y a qu’une place
dans l’étroit cockpit du Solar Impulse 2, en dépit des apparences,
le projet repose sur deux hommes. L’idée a germé dans la tête de
l’explorateur Bertrand Piccard, mais c’est André Borschberg, l’ingénieur qui, missionné par l’École polytechnique de Lausanne, dirige
l’étude de faisabilité dès 2003. « Bertrand et moi, c’est 1+1 = 3 »,
résume ce grand bonhomme au regard aussi clair et perçant que
celui de Piccard – vert lagon pour lui, le brun, bleu lagon pour son
co-équipier. « Nous voyons les choses en trois dimensions, car nous
les regardons avec deux paires d’yeux », poursuit Borschberg.
À Bertrand, l’homme des humanités, la responsabilité de porter le
message, de trouver des partenaires, d’animer la communication
autour du projet. André, avec son bagage technique, sa formation
de pilote militaire et son expérience d’entrepreneur, a, lui, choisi
et géré les hommes et les femmes chargés de transformer le rêve
en réalité. L’innovation ne s’arrête pas à la technologie : elle repose
aussi beaucoup sur la composition des équipes. Borschberg n’a pas
hésité à recruter de fortes personnalités, issues de divers horizons
professionnels – des autodidactes, des surdiplômés –, des gens d’âge,
de nationalité et de langue différents.
André Borschberg, lui-même, n’était pas issu de l’aéronautique. Il
a d’abord travaillé dans le marketing technologique, puis chez le
consultant McKinsey, avant de se lancer dans le capital-risque. Sa
passion, c’est le pilotage, née de ses lectures des pionniers de
l’Aéropostale. « Bertrand m’a permis de réaliser mon rêve d’exploration et, moi, je lui ai permis d’accéder à sa vision, explique André.
Nous savons chacun que nous n’aurions pas pu faire seul, nous
sommes très reconnaissants l’un envers l’autre. »
Lequel fera décoller Solar Impulse 2 pour le grand départ en mars
2015 ? Impossible à dire. « Une seule certitude, répondent-ils en
chœur. L’un fera le début, l’autre la fin du parcours. Chacun traversera un océan, l’un le Pacifique, l’autre l’Atlantique. » Les deux
hommes se relaieront au gré des conditions météo, de leur état
physique et psychologique aussi. Et pour réussir à voler cinq jours
et cinq nuits d’affilée en dormant pas plus de vingt minutes par
phase, chacun a sa technique : l’autohypnose pour Piccard, la méditation pour Borschberg. V.L.
www.lexpress.fr / juin - juillet 2014
JEAN REVILLARD
Et la conquête de Mars ?
C’est fascinant.Tout ce qu’on peut
faire de nouveau, il faut le tenter.
Mais il existe autant de planètes dans
le cosmos que d’êtres humains sur
terre.Alors, occupons-nous d’abord
des hommes.
Auriez-vous pu être astronaute ?
Oui, si j’avais eu vingt ans de moins.
Et si j’avais eu cent ans de moins,
j’aurais volé avec les premiers avions.
À titre personnel, je serais ravi d’aller passer une semaine en orbite, j’aimerais voir la Terre flotter dans le
Solar Impulse,
c’est une quête pour
promouvoir ce que
la science peut
apporter à l’humanité
cosmos. Mais cela n’apporterait rien
de plus à la connaissance. Cinq cents
personnes ont déjà séjourné dans
l’espace. Je suis beaucoup plus utile
au projet Solar Impulse. Solar Impulse, c’est de l’innovation pure et
c’est une quête pour promouvoir ce
que la science peut apporter à l’humanité. Je considère les technologies
propres comme une thérapie pour
l’humanité, pour l’aider à se sevrer
de sa dépendance aux énergies fossiles. Si nous réussissons notre tour
du monde, l’enjeu sera de relayer
cette démonstration de la crédibilité
des énergies renouvelables.
Y aura-t-il un Solar Impulse 3 ?
Notre rêve originel, c’est un tour
du monde à deux, sans escale, en
avion solaire. Nous n’y sommes pas
à cause de la contrainte du poids.
Mais n’oubliez pas, que dans l’aviation, soixante années se sont écoulées entre le premier tour du monde
avec escale et le premier tour du
monde sans escale… L’EXPRESS / 11
Une industrie modèle
L’INNOVATION
POUR MOTEUR
Au contraire de l’automobile, l’industrie aéronautique
et spatiale française continue de tenir le haut du pavé.
Portée par la croissance du transport aérien et par le
succès des aventures européennes Airbus et Arianespace, elle a su s’internationaliser et garder son
avance technologique. Un défi de tous les jours, sous
la pression d’une concurrence de plus en plus vive.
Par Valérie Lion
IMPULSION. Airbus fer de lance
de l'industrie française.
AIRBUS SAS/P. PIGEYRE
L
e 25 avril dernier, un drôle de silence planait sur
l’aéroport de Bordeaux-Mérignac. Les
yeux braqués vers le ciel, des dizaines
d’invités regardaient s’envoler sans
bruit un petit avion biplace mû par…
des batteries électriques. Un exploit
salué par Arnaud Montebourg, qui
avait fait le déplacement pour cette
première mondiale : « Il fait le bruit
d’un sèche-cheveux et ne consomme
pas une goutte de kérosène ! » L’E-fan
– moins de sept mètres de long et dix
mètres de large, une heure d’autonomie – illustre à lui seul ce dont est capable la filière aéronautique française :
développé par Airbus Group, il associe des grands groupes comme Safran
et Zodiac et des PME innovantes telles
que Aero Composites Saintonge, avec
le soutien de la Direction générale de
l’aviation civile. Un savant dosage
privé-public qui a permis au projet de
décoller avant même que l’avion électrique devienne l’un des trente-quatre plans de la nouvelle France industrielle lancés par l’ex-ministre du
Redressement productif, désormais
ministre de l’Économie. Et un nouveau succès, d’innovation cette fois,
pour une industrie qui ne cesse de les
collectionner.
juin - juillet 2014 / www.lexpress.fr
12 /
UNE INDUSTRIE MODÈLE
L’EXPRESS / 13
Sur (presque) tous les tableaux, l’aéronautique française décroche le prix
d’excellence. Avec un chiffre d’affaires
en hausse de 9 % l’an dernier, elle pèse
bientôt 50 milliards d’euros (47,9 exactement). Son carnet de commandes est
encore plus impressionnant puisqu’il a
atteint un nouveau record, à plus de
73 milliards d’euros. De quoi envisager
l’avenir positivement, si ce n’est sereinement. Car les cadences de production
sont si élevées – 42 A320 par mois chez
Airbus, 46 prévus à partir du deuxième
trimestre 2016 – qu’elles ont mis toute
la chaîne des sous-traitants sous tension.
www.lexpress.fr / juin - juillet 2014
ROBOTIQUE. Avec le Falcon 5X, Dassault Aviation
a fait un grand pas dans l’automatisation
de son site de Martignas-sur-Jalles, en Gironde.
traitants. Mais la crise de 2008 a provoqué un électrochoc et la forte croissance de l’activité qui s’en est suivie a
conduit les leaders à comprendre que
s’ils voulaient réussir leur montée en cadence, ils devaient accompagner leurs
fournisseurs. Dès 2004, la filière avait
d’ailleurs mis sur pied un fonds d’investissement – Aerofund – pour aider
les PME en manque de capitaux propres
et jouer un rôle de catalyseur dans la
consolidation de la sous-traitance. Financé par les grands industriels et la
Caisse des Dépôts, il a déjà investi plus
de 100 millions d’euros et un troisième
fonds de 300 millions a été lancé fin 2013.
Mais, selon Gilbert Fayol, associé chez
Deloitte et spécialiste du secteur, « la filière reste encore trop émiettée ».
PATRICK BERTRAND/AIRBUS GROUP
PREMIÈRE. Arnaud Montebourg,
le 25 avril dernier, après le vol inaugural
de l’E-Fan à Bordeaux-Mérignac.
DASSAULT AVIATION
standard dans l’industrie. « Les chaînes
de production restent parfois très artisanales, souligne Guillaume Martinez,
associé chez Deloitte, et font appel à des
techniques et des savoir-faire transmis
par le compagnonnage. »
2,5 fois le Smic, alors que la moyenne
des rémunérations dans la profession
s’établit autour de 3,5 fois le salaire minimum. Mais « elles ont su maintenir
un haut niveau de recherche et développement pour conforter leur avenir »,
se félicite Marwan Lahoud, n°2 d’Airbus Group et président du Gifas. Le secteur a consacré l’an dernier 14 % de son
chiffre d’affaires à la R&D, dont plus des
deux-tiers étaient autofinancés par les
industriels. Enfin, l’aéronautique et spatial truste trois places dans le top 10 des
groupes qui déposent le plus de brevets
(classement 2013 de l’INPI) : Safran,
deuxième, Airbus Group, huitième et
14% du chiffre d’affaires
Thales, dixième.
consacré à la R&D
L’une des grandes forces du secteur est
Essentiellement civile, cette industrie d’avoir été capable de s’organiser en fidope aussi la balance commerciale du lière et de jouer collectif. « L’aéronaupays : avec 22 milliards d’euros, elle en tique française est restée l’une des toutes
représente le premier solde excéden- premières au monde car c’est une comtaire, devant les vins et spiritueux. En- munauté de gens qui passent une vie à
fin, dans une économie plombée par le travailler ensemble, chez les construcchômage, elle offre
teurs, les équipemendes emplois : après
tiers et les fournisLa grande force
13 000 embauches
seurs, explique Jeandu secteur est
l’an dernier (et 15 000
Pierre Cojan, directeur
en 2012), elle en pré- d’avoir joué collectif général adjoint stratévoit encore 10 000
gie et transformation
cette année, selon le syndicat profes- chez Safran. Cette communauté s’ensionnel Gifas. Certes, les entreprises tretient chaque jour. L’industrie cherche
souffrent d’une parité euro-dollar défa- à défendre sa chaîne, les grands essaient
vorable et n’ont tiré que peu de béné- d’aider les petits à progresser. » Bien sûr,
fices du crédit impôt compétitivité tout n’est pas toujours rose dans les
(Cice), limité aux salaires inférieurs à relations entre donneurs d’ordre et sous-
Travailler sur une vision
commune de l’avenir
Livrer à temps, avec une qualité irréprochable, est aujourd’hui son principal défi. Pour y répondre, « l’ensemble
de la supply chain a investi plus que sa
capacité d’autofinancement », souligne
Emmanuel Viellard, président de Lisi
Aerospace et du groupe des équipementiers du Gifas. De leur côté, les donneurs d’ordre se sont mobilisés pour garantir aux sous-traitants une visibilité à
six mois sur leur carnet de commandes.
Une coopération qui va au-delà de la R&T chez Safran. Près de 500 millions
production, puisque les sous-traitants d’euros ont ainsi été obtenus dans le
sont de plus en plus amenés à investir Programme d’investissement d’avenir
aussi aux côtés des grands groupes pour 1 et 1,3 milliard dans le cadre du PIA 2.
l’innovation. L’aéronautique a su ainsi
tirer profit des pôles de compétitivité : L’électricité,
elle en a structuré plusieurs dans ses axe majeur de recherche
principales zones d’influence (Aero- Même chose lors du lancement des
space Valley en Midi-Pyrénées et Aqui- trente-quatre plans d’Arnaud Montetaine, Pegase en Paca). Le secteur a éga- bourg. Il n’a pas été difficile pour le seclement été précurseur en se dotant, dès teur de constituer les groupes « avion
2008, et avec l’appui des pouvoirs pu- électrique » et « satellites à propulsion
blics, du Corac, Conseil pour la re- électrique ». L’électricité est l’un des axes
cherche aéronautique civile, à travers majeurs de recherche pour le futur
lequel il travaille, par-delà les rivalités puisque l’industrie doit absolument
industrielles, sur une vision commune réussir à diminuer la consommation
de l’avenir pour permettre à l’ensemble d’énergie et à réduire les nuisances. Mais,
en l’absence de
de la filière de resnouveaux
grands
ter compétitive.
« L’innovation
programmes
Lancé sous le signe
sera, demain, autant
d’avions commerde l’environnedans le process
ciaux d’ici à quinze
ment – une des
axes de la profesque dans le produit » ans, « l’innovation
sera demain autant
sion – le Corac établit des priorités de recherche, en fait dans le process que dans le produit »,
la promotion auprès des pouvoirs pu- prédit Jean Botti, directeur général déblics, assure la cohérence des travaux légué technologie et innovation d’Airet l’association de tous les acteurs, y bus Group. L’aéronautique est ainsi
compris les PME. Résultat : « Quand le concernée au premier chef par le plan
grand emprunt a été lancé, l’aéronau- « usine du futur », co-piloté – ce n’est
tique était la seule filière à disposer de pas un hasard – par Bernard Charlès, le
projets prêts à être soumis », raconte directeur général de Dassault Systèmes,
Eric Bachelet, directeur général adjoint inventeur du logiciel Catia devenu un
L’apparition de robots
« humanoïdes »
Les usines sont beaucoup moins robotisées que dans l’automobile même si,
depuis peu, Dassault utilise des robots
pour riveter les ailes de son Falcon 5X.
Le dernier-né des avions d’affaires de la
gamme est aussi le premier à avoir été
conçu sur le mode de l’usine numérique.
« On ne produit pas un avion du futur
avec une usine du passé », insiste de son
côté Jean Botti. Airbus Group travaille
notamment sur des « cobots », des robots proches de l’humanoïde, capables
de se déplacer et de collaborer, en toute
sécurité, avec les ouvriers et les techniciens sur une chaîne. L’usine de Cadix, en Espagne, qui travaille sur l’assemblage du gouvernail de l’A380, a
accueilli son premier exemplaire en mars.
L’impression 3D, particulièrement bien
adaptée pour les petites séries et les
pièces complexes, ouvre aussi de nouvelles perspectives à l’industrie. Des prototypes sont déjà en cours de validation
chez Airbus et Safran. Enfin, la réalité
virtuelle vient au service de la maquette
numérique, en permettant de vérifier
que ce qui est construit correspond au
dessin, histoire d’éviter des mésaventures telles que celle – désastreuse – du
câblage sur l’A380.
Pour Olivier Zarrouati, président du directoire de Zodiac Aerospace, « une composante culturelle importante » explique
la réussite du secteur : « Les ingénieurs
y sont nombreux, curieux, et sous la
pression de la concurrence, se remettent en cause régulièrement. » Car audelà de la rivalité exacerbée du duopole
Airbus-Boeing, de nouveaux acteurs
émergent dans l’aviation – Comac en
Chine avec son futur moyen-courrier
C-919 - comme dans l’espace – Space X
aux États-Unis, nouveau rival d’Arianespace. L’atout de l’industrie ? Une obsession de la fiabilité qui la conduit à rechercher sans relâche l’excellence. juin - juillet 2014 / www.lexpress.fr
14 /
UNE INDUSTRIE MODÈLE
www.lexpress.fr / juin - juillet 2014
L’EXPRESS / 15
juin - juillet 2014 / www.lexpress.fr
Île-de-France
Une pole position
méconnue
Avec plus de 100 000 emplois et près de 40 % de l’activité, la région francilienne fait office de poids-lourd du
secteur aéronautique et spatial français. Une force de
frappe impressionnante. Par Jean-Claude Pennec
ien ne manque.Avionneurs, motoristes, équipementiers, fournisseurs de services et
sous-traitants en nombre. Mais aussi écoles,
laboratoires de recherche, pôles de
compétitivité, aéroports et salon. En
l’occurrence, celui du Bourget, la plus
ancienne manifestation du genre devenue la vitrine incomparable du secteur et de ses constantes innovations.
La région Île-de-France – élargie à
une partie de la vallée de la Seine –,
rassemble quelque 900 structures et
plus de 100 000 emplois, soit 10 %
des emplois européens du secteur et
20 % de la R&D en Europe. Dans le
monde, seules quelques régions offrent une telle concentration de compétences : Seattle, Montréal, Toulouse, Hambourg ou Munich. Ses
spécialités ? L’aviation d’affaires, le
R
www.lexpress.fr / juin - juillet 2014
transport spatial, la motorisation
d’avions comme de fusées, et surtout
les équipements aéronautiques. S’y
ajoute une activité qui ne cesse de
monter en puissance, la maintenance
aéronautique. Au cœur de cet ensemble, cinq groupes industriels Airbus Group, Dassault-Aviation,
Safran, Thales et Air France Industries - recensent 52 000 salariés, interviennent dans la quasi totalité des
programmes en cours et initient la
majeure partie de la recherche privée. Ainsi Airbus Group commande
chaque année pour quelque 12 milliards d’euros à l’ensemble de la filière (dont 4 milliards en Île-deFrance) et entraîne dans son sillage
8 700 partenaires industriels directs.
Si Toulouse est considérée comme
le fief d’Airbus, l’Île-de-France est
l’un de ses premiers bastions avec
plus de 10 000 collaborateurs. CHIFFRES CLÉS
CA du secteur :
20 milliards d’euros;
Nombre
d’établissements :
900 directs et 1 600 indirects;
Nombre d’emplois :
100 000 dont 41 000 directs,
120 000 avec la maintenance
et les services aéroportuaires;
Montant des exportations
régionales :
5,255 milliards d’euros;
Excédent commercial de
la filière en Ile-de-France :
647 millions d’euros
(excédent total de la filière
en 2013 : 22 milliards d’euros);
Nombre d’embauches
en 2013 :
2 000 (sur un total
de 13 000 en France);
Part de la R&D
aéronautique et spatiale
sur la R&D régionale : 43%.
Sources : Insee, Drire, Pôle AS'Tech, Gifas.
D.R.
SPATIAL. À l'image d'Airbus
Defence & Space, aux Mureaux,
c’est en Île-de-France que prospère
une bonne part de l’activité.
UNE INDUSTRIE MODÈLE
L’EXPRESS / 19
Pour Dassault Aviation, qui a fêté
en 2013 le 50e anniversaire de son
Falcon, la région est à la fois le berceau et la base de l’avionneur. À
Saint-Cloud, son siège historique depuis 1936, travaillent 3 000 personnes,
dont la moitié exerce au sein du bureau d’études où sont conçus tous les
avions, civils comme militaires, tels
les futurs Falcon 5X et 8X. Et c’est
dans son usine d’Argenteuil, l’une des
plus importantes du groupe, que sont
fabriqués toutes les pièces de structure de petites dimensions, le fuselage du Rafale et les tronçons avant
des Falcon.
L’Île-de-France est également une
terre d’accueil pour les grands équipementiers, à commencer par Safran
et Thales. Ces deux galaxies industrielles développent d’innombrables
compétences, activités, sites, laboratoires, et rassemblent des dizaines de
filiales de toutes tailles. Plus de la
moitié des effectifs de Safran dans
l’Hexagone (39 500 personnes) exercent dans l’un des vingt-neuf sites
implantés dans la région. Idem pour
Thales, spécialiste des équipements
embarqués pour la navigabilité des
avions, des fusées ou des satellites,
ou pour l’ensemble des activités de
divertissements des passagers en vol.
À leurs côtés, on trouve encore Zodiac Aerospace, équipementier devenu l’un des principaux fabricants
de fauteuils et d’équipements de sécurité pour les avions.
L’autre visage
d’Air France-KLM
Il est, aujourd’hui, le deuxième plus grand acteur mondial de la
maintenance aéronautique. Air France Industries–KLM Engine-
D.R.
ering & Maintenance, l’une des divisions les plus rentables du groupe,
est née et a grandi en Île-de-France. L’an dernier, elle a réalisé 3,28 milliards d’euros de chiffre d’affaires, dont 1,225 milliard chez des clients
autres qu’Air France et KLM. Une hausse annuelle de 11 %.
Son métier : entretenir les avions, les surveiller, les ausculter, les remettre en état, en bref, en assurer la maintenance du premier au dernier jour de vie de l’appareil, depuis la visite de routine jusqu’à la « grande
visite », celle au cours de laquelle la totalité de l’avion est remise à plat.
Tout est passé en revue, depuis les cellules jusqu’aux réacteurs et équipements embarqués sur les avions modernes.
L’histoire de cette division est exemplaire. Elle est issue de la direction
du matériel d’Air France, basée à Orly Sud, dont le métier consistait à
entretenir la (petite) flotte de la compagnie. Depuis, Air France Industries est devenu un colosse. L’an dernier, elle possédait un « portefeuille »
de 300 avions appartenant à 150 compagnies clientes. Sur les 14 000
salariés que compte cette division, 8 000 sont basés en Île-de-France.
Paradoxalement, c’est un secteur où l’on investit gros : outre un banc
d’essais réacteur installé à Roissy en 2012, un atelier dédié a été ouvert
il y a deux ans. Coût : 40 millions d’euros. Pourtant, en matière de maintenance aéronautique, l’innovation est ailleurs : depuis plusieurs années, AFI a mis en place un programme de suggestion des salariés. Cela
a donné lieu à plus de 4 000 innovations participatives qui débouchent sur des réparations certifiées par le constructeur. J.-C. P.
www.lexpress.fr / juin - juillet 2014
30 000 personnes employées
dans la recherche
La puissance de ces groupes est renforcée par la présence de multiples
structures qui favorise cette domination. Selon le pôle de compétitivité ASTech, 42 % de la R&D aéronautique et spatiale française est
basée en Île-de-France, rassemblant
quelque 30 000 personnes, dont une
bonne part de la recherche publique
avec les universités, les grandes écoles
(polytechnique, Mines et Supelec notamment) et de grands instituts tel
l’Onera (Office national d’études
et de recherches aérospatiales). « En
aéronautique, nous sommes sur des
PROJET. Les ingénieurs planchent sur Ariane VI,
probable successeur d'Ariane V.
cycles de développement très longs,
explique Nicolas Aubourg, président
du Pôle ASTech. Cela est dû à la nécessaire fiabilité des mécanismes et
à la durée de vie des produits. Quand
on les conçoit, il faut arriver à un niveau de maîtrise qui va perdurer cin-
quante ans. » La recherche privée
n’est pas en reste :Airbus Group dépose quelque 400 brevets par an et
dispose d’un portefeuille global de
33 000 brevets. Son centre de R&D,
à Suresnes, emploie 500 personnes,
investit 1,6 milliard d’euros par an et
CNES/ILL./DUCROS DAVID, 2013
EN TÊTE
travaille pour l’ensemble des divisions du groupe. Même chose pour
Safran (65 % de sa R&T sont investis en Île-de-France) et Thales.
C’est aussi en Île-de-France que prospère une bonne part du secteur spatial français. Outre les sièges du Centre national d’études spatiales (Cnes),
et d’Arianespace (300 personnes),
c’est aux Mureaux, en bord de Seine,
que se trouve l’unité d’Airbus Defence & Space. Chargée de l’intégration de l’étage principal cryogénique d’Ariane 5, elle prépare, en
outre, les lanceurs Ariane V, attendue d’ici à 2018 et Ariane VI espérée pour la prochaine décennie.
Des PME et des ETI
très impliquées dans la filière
Mais l’aéronautique et le spatial franciliens se caractérisent aussi par un
tissu de PME et d’ETI dense, compétent et efficace. Des sociétés de
moins de 10 personnes à plus de
500 salariés spécialisées dans de À SUIVRE
Expliseat :
un fauteuil en or
La chasse aux kilos superflus
est une obsession dans l’aviation. Et une aubaine pour Expliseat,
une start-up francilienne qui a décidé de s’attaquer au poids des
sièges passagers. Son constat : un
fauteuil traditionnel d’avion en classe
«éco» pèse environ huit kilos. Sachant qu’un Airbus ou un Boeing
moyen-courrier en comptent quelque 180, la mise au point d’un siège
ultra léger serait promis à un rapide
succès commercial.
Aussitôt pensé, aussitôt fait. Expliseat, fondée à Paris en 2011, a mis
au point le Titanium Seat, deux fois
plus léger qu’un siège de monocou-
loir. Pesant quatre kilos au lieu de
huit, il permet un gain de masse allant, selon les fondateurs de la société, jusqu’à deux tonnes. Au total, la consommation de kérosène
peut diminuer de 3 à 5 %, entraînant
une économie pouvant atteindre
400 000 dollars annuels par appareil. Des arguments qui ont de quoi
convaincre des compagnies comme
easyJet ou Ryanair, qui font voler
au quotidien plus de 200 appareils.
Restait tout de même à convaincre
les autorités aéronautiques de la robustesse d’un tel siège. C’est chose
faite depuis le 10 avril dernier. L’Agence européenne de la sécurité aé-
EXPLISEAT
18 /
rienne (Aesa) vient d’accorder la certification au siège Titanium Seat, l’autorisant à lancer sa commercialisation. Sans attendre, Air Méditerranée
avait été la première, début mars, à
commander ce fauteuil pour équiper
l’un de ses Airbus A321. Un contrat
d’un million de dollars. J.-C. P.
juin - juillet 2014 / www.lexpress.fr
20 /
UNE INDUSTRIE MODÈLE
multiples domaines : travail des
métaux, réalisation de pièces de séries, conception… La palette est d’autant plus large qu’elle est variée. Selon la Drire, il s’agit pour près de la
moitié d’une sous-traitance de spécialité et de capacité. Souvent indépendantes, leur chiffre d’affaires oscille entre 1,5 et 7,6 millions d’euros.
Parfois très anciennes, elles s’impliquent fortement dans la filière : plus
de 50 % d’entre elles réalisent plus
de la moitié de leur activité dans le
secteur. Les donneurs d’ordres refusant d’avoir une part trop élevée
dans l’activité du sous-traitant (maximum 30 %), ces PME travaillent sou-
RÉUSSITE
JPB Système
serre la vis
JPB SYSTÈME
« La course
à l’investissement
apparaît une condition
sine qua non
pour conserver
ses marchés »
Ses vis et ses écrous s’arrachent comme des petits pains.
Leur atout ? Il ne se dévissent pas et ce, quel que soit le choc, l’agression ou l’usure subi. « Nous avons inventé un mécanisme logé dans
la tête de la vis », concède Marc Damien, président de JPB Système.
Le reste, on l’aura compris, relève d’un secret de fabrication bien
gardé grâce auquel la société fournit aujourd’hui tous les grands
motoristes mondiaux. Elle est également en train de percer chez
les équipementiers, dans les trains d’atterrissage, les nacelles et
les freins. Parmi ses titres de gloire, JPB peut se targuer d’avoir
décroché, pour la quatrième fois, le Prix du meilleur fournisseur
Snecma (groupe Safran), co-auteur du CFM56, l’un des moteurs les
plus vendus de l’histoire de l’aéronautique.
L’évolution de cette société est exemplaire : née en 1995, elle réalise sa première vente en 2001. Son chiffre d’affaires de 1,3 million
en 2009, atteint 5,7 millions en 2013, pendant que l’effectif est
multiplié par dix en quatre ans passant de 3 à 30 personnes. Entretemps, la part export de l’activité est passée de 10 à 70 %. « Nous
avons beaucoup investi en R&D pour concevoir des produits complémentaires », explique Marc Damien. Dépôt de brevets, recrutements ad hoc, diversification vers d’autres secteurs (nucléaire et pétrolier), ouvertures de filiales à l’étranger (déjà deux). Enfin, la société
a déménagé, en novembre dernier, sur l’aérodrome de Villaroche,
sur 6 000 m2, tout près de Snecma. Quant au chiffre d’affaires, il devrait rapidement passer de 10 à 15 millions d’euros. J.-C. P.
www.lexpress.fr / juin - juillet 2014
vent en multipliant les clients. Enfin,
si elles disposent rarement d’une
R&D propre, plus de 70 % d’entre
elles disposent de moyens techniques
adaptés aux marchés de l’aéronautique et du spatial. C’est d’ailleurs
l’un des enjeux du secteur : « Pour
ces entreprises, la course à l’investissement apparaît une condition sine
qua non pour conserver leurs marchés », relèvent Géraldine Dandrieux
et Thierry Petit (Drire). Car des menaces pèsent : celle d’une concurrence moins chère (Pays de l’Est,
Maghreb), et celle de difficultés grandissantes de recrutement.
Parmi les pistes suggérées, il est proposé d’aider les entreprises à monter des partenariats. Objectif : se
positionner sur certaines parties d’appels d’offres, les accompagner dans
la formation, le financement, la structuration et le développement de capacités de recherches, les encourager à exporter, et, plus simplement
les aider à acquérir une meilleure
connaissance des attentes des donneurs d’ordres. Le leadership est à
ce prix. Master Films
Arrêt sur images
Intégrant toute la chaîne de la production audiovisuelle en interne, Master Films
a développé une expertise et un savoir-faire unique dans la réalisation d’images
pour l’aéronautique notamment.
ilm institutionnel, communication interne, événementiel, publicité ou Web,
Master Films possède une expertise reconnue sur toute la palette de la communication audiovisuelle, avec une spécificité : une
connaissance parfaite et unique de l’industrie aéronautique. « Qu’on parle d’unités de
fabrication, de maquette 3D ou de filmer les
premiers essais, nous connaissons les rouages
et la diversité de l’aéronautique », précise
Bernard Birebent, P.D.G. de Master Films
« c’est ce qui nous permet d’être un acteur
de premier plan sur ce secteur ».
F
Présent à Toulouse comme à Paris, Master
Films affiche en 2013 un CA de 10 M d’€
et appuie son savoir-faire sur plus de 9 000
films réalisés.
Suivre l’aéronautique de A à Z
Airbus group, ATR , CNES ou AD
Industries, Master Films est le partenaire
audiovisuel de PME comme des grands
groupes internationaux. La devise de l’entreprise : être force de proposition tout
en restant à l’écoute des spécificités et des
attentes propres à chaque projet. Ainsi
lorsqu’Airbus entame le programme A350,
Master Films est chargé d’en couvrir tous
les aspects. « Participation au salon du
Bourget, images de synthèse, maquette
taille réelle, suivi de la traçabilité des pièces
sur toute la chaîne de production, essais
temps froid ou chaud, nous savons valoriser chaque étape clé du déploiement d’un
programme », poursuit Bernard Birebent.
Et parce que la visualisation des images
évolue, Master Films exploite pleinement
les nouvelles technologies. Magazine tactile
ou application interactive téléchargeable :
pour l’A350 Master Films a diversifié les
médias afin d’offrir à chaque public (collaborateurs, sous traitant, ou clients) l’une
des multiples facettes de cette aventure
industrielle.
Chaîne de production intégrée
L’image : au cœur de
la communication
Visualiser, imaginer, réaliser, les images
sont au cœur de la communication pour
les entreprises du XXIe siècle. Avec près
de 40 ans d’expérience, Master Films
a toujours eu la volonté d’apporter le
meilleur de la technique et du conseil. C’est
ce qui explique probablement la pérennité
de cette entreprise et sa place de premier
plan dans l’aéronautique.
Chaque production fait l’objet d’engagements stricts de la part de Master Films
et de ses équipes. « Écoute du client afin
de cerner sa demande mais aussi respect
des délais et des budgets, nous travaillons
en collaboration avec les entreprises et
en confiance avec leurs équipes », ajoute
Bernard Birebent. L’image vient toujours
enrichir un contenu : conférence de presse,
visite d’une délégation étrangère, événement, clip ou animation, l’audiovisuel tel
que le propose Master Films est un support
stratégique de communication.
Chaque année, Master Films investit pour
disposer en permanence d’un équipement
de pointe. Afin de maîtriser les meilleurs
délais et les budgets, Master Films a choisi
de gérer en interne tous les aspects de la
production. « Nous avons par exemple des
cars régies pour suivre des événements dès
qu’on nous appelle », poursuit Bernard
Birebent « nous sommes équipés de 12 stations de postproduction et montage dans
nos locaux ». De fait, lorsqu’il est nécessaire
de réaliser des incrustations 3D, l’opération
s’effectue en temps réel, dans les locaux de
Master Films.
Aujourd’hui 35 collaborateurs bilingues
composent les équipes de Master Films
dont certains sont habilités « Confidentiel
Défense » ce qui facilite les interventions
sur des domaines confidentiels.
Pour plus d’information :
www.masterfilms.fr
Siège social : 7, rue Michel Labrousse
31100 Toulouse - Tél. 05 34 60 22 22
Bureau Parisien : Tél. 01 74 90 37 79
[email protected]
UNE INDUSTRIE MODÈLE
L’EXPRESS / 23
Midi-Pyrénées
RÉUSSITE
La stratégie gagnante
de Figeac Aéro
Sous le signe
d’Airbus
Par Maylis Jean-Préau
À
l’étranger, on ne situe
pas forcément Toulouse sur une carte
mais on connaît le
symbole de la ville :
Airbus. Plus encore
que le Stade toulousain, l’avionneur
européen est l’emblème de Midi-Pyrénées. Avant lui, des constructeurs
historiques comme Latécoère ou
Sud-Aviation, père de la Caravelle,
ont fondé la tradition aéronautique
de la région. C’est grâce à ce savoirfaire que l’usine de l’A300 s’installe
dans la ville rose, suivie par les bureaux d’Airbus en 1972. L’entreprise
connaît une croissance fulgurante.
Entre 2002 et 2012, ses effectifs bondissent de 60 %. Elle emploie au-
www.lexpress.fr / juin - juillet 2014
DÉTERMINANT. L’expansion d’Airbus
a profondément façonné
l’économie toulousaine.
CHIFFRES CLÉS
CA du secteur :
8,08 milliards de dollars, soit
82 % du CA total de la région
Nombre d’emplois:
91 318 dont 54 000 directs
Nombre d’entreprises :
696
Part des exportations
régionales : 85%
Excédent commercial
de la filière aéronautique
et spatiale :
3 145 millions d’euros
Nombre d’embauches
en 2013 : 6 120
Part de la R&D
aéronautique sur le total
de la R&D régionale : 50%
Sources : Enquête INSEE filière
aéronautique et spatiale 2013
jourd’hui 20 000 personnes dans
l’agglomération toulousaine et affiche un carnet de commandes
confortable : 5 559 appareils fin 2013,
soit l’équivalent de huit années de
production ! Dans son sillage, toute
la filière s’est développée, devenant
la clé de voûte de l’économie régio-
nale et positionnant Midi-Pyrénées
parmi les leaders européens de l’aviation civile. L’aéronautique et le spatial représentent à eux seuls 85 % du
chiffre d’affaires à l’export de la région. « À Blagnac, sur 39 000 emplois,
30 000 concernent la filière ! », lance
Bernard Keller, le maire de la commune. Porté par une croissance plus
faible que l’aéronautique, le spatial
compte tout de même trois fleurons
régionaux : le Cnes, Thales Alenia
Space et Airbus Defence & Space.
À l’ombre d’Airbus, prospèrent deux
constructeurs régionaux, ATR, leader mondial des avions à turbo propulsion de 40 à 70 places et le Tarbais
Daher-Socata.
Mais c’est bien l’avionneur européen
qui remporte la plus grosse part du
gâteau. Signe des temps, EADS, la
maison mère, a pris le nom d’Airbus
Group et son PDG, Tom Enders, a
décidé d’en installer le siège à Toulouse. Car Airbus ne se résume pas
à des chiffres vertigineux. L’expansion de l’entreprise a profondément
façonné le paysage du nord-ouest
toulousain. En dehors d’Aéroconstellation, soit 260 hectares accueillant le hall d’assemblage de l’A380,
Airbus compte cinq autres sites dans
l’agglomération. Un nouveau quartier est même en train de sortir de
terre entre Blagnac et Beauzelle :Andromède, véritable Airbus-ville,
abrite logements et bureaux.
Une ville attractive pour
les sous-traitants étrangers
Près de 600 fournisseurs régionaux
gravitent dans la sphère « airbusienne ». Des grands groupes, comme
Aerolia ou Safran, mais aussi beaucoup de petites entreprises en pleine
mutation, à l’image de l’atelier artisanal Louit, devenu en quelques années Alisaero, une PME industrielle
de 135 salariés, spécialisée dans la
chaudronnerie fine.Tous les métiers
de l’aéronautique sont représentés,
de la chaudronnerie à l’usinage, en
passant par la maintenance et les
technologies embarquées.
Une dynamique telle que des soustraitants étrangers s’implantent à
Toulouse. « On en accueille cinq à six
par an », se réjouit Bernard Plano,
président de Midi-Pyrénées Expansion. Dernier en date, l’espagnol LTK,
qui a déjà lancé 30 embauches et ambitionne de recruter 200 personnes
d’ici quatre ans.
En 2012, Airbus a effectué trois milliards d’euros d’achats auprès des fournisseurs régionaux. Une véritable
manne. Mais l’augmentation des commandes n’est pas de tout repos AIRBUS SAS /S. RAMADIER
Depuis l’époque des
pionniers de l'aviation,
la région a réalisé
un incroyable parcours.
Autour d’Airbus,
tout un écosystème s’est
développé. À charge,
pour ses acteurs,
de continuer à innover.
Objectif : conserver
leur leadership et assurer
la montée en cadence
de la production.
Jean-Claude Maillard est un
homme heureux. Le PDG et
fondateur de Figeac Aero prévoit d’embaucher 1 200 personnes dans les années à venir.
Il faut dire que le concepteur de
sous-ensembles aéronautiques
doit honorer un incroyable carnet de commandes. Ses clients
se nomment Airbus, Boeing, Dassault ou Embraer. Chaque A350
représente à lui seul 1,3 million
d’euros de chiffre d’affaires pour
Figeac Aero, concepteur du plancher du long-courrier. L’aventure
du sous-traitant lotois est à
l’image du développement de
l’aéronautique en Midi-Pyrénées :
rapide. Il a vu son chiffre d’affaires progresser de 25 % par an
alors que le nombre de collaborateurs est passé de 28 en 1990
à 1 300, aujourd’hui. Commercialement offensive, l’entreprise
est sortie des frontières du Lot.
En plus de ses quatre sites français et de son usine tunisienne,
Figeac Aero est en train d’acquérir la filiale Sonaca Wichita.
« Notre implantation aux ÉtatsUnis constitue une ouverture
stratégique en zone dollars », se
réjouit Jean-Claude Maillard. Le
Mexique et la Chine sont ses prochaines cibles. Le secret de l’entrepreneur ? Investir près de
20 millions d’euros par an.
Pour augmenter son capital, Figeac Aero n’a pas hésité à entrer en bourse fin 2013. Malgré
son internationalisation, elle
compte toujours 850 personnes
sur le site historique de Figeac.
Là, sur des machines de haute
technologie, sont conçues des
pièces de structure de 26 mètres
de long, des pièces de moteurs
ou encore des trains d’atterrissage destinés à équiper les
avions du monde entier. M.J.-P.
D.R.
22 /
juin - juillet 2014 / www.lexpress.fr
UNE INDUSTRIE MODÈLE
À SUIVRE
Aviacomp, une pépite
qui a de la réserve
Mapaero
à la conquête
de l’ouest
AIRBUS
C’est l’histoire d’une société ariégeoise qui, vingt ans après sa création
« Nous fabriquons les bouchons
de réservoir des avions », lance
Cédric Dupas, responsable industrialisation d’Aviacomp. L’A350 est à l’origine de la naissance de cette start-up
de Launaguet. En 2008, Sogeclair et
Mecahers, qui travaillent ensemble
sur un projet de recherche, font le pari
de séduire Airbus avec une solution
innovante en matériaux thermoplastiques. « C’était une niche, mais nous
y avons cru car le thermoplastique a
de nombreux avantages : on peut four-
nir une pièce toutes les cinq minutes
et il a une bonne résistance aux
chocs », poursuit Cédric Dupas.
Ticket gagnant ! Airbus devient le premier client d’Aviacomp. La PME passe
de 4 à 45 personnes pour réaliser les
58 trappes de voilures, ces accès au
réservoir de l’A350. Et ce n’est pas fini,
Bombardier a également signé deux
contrats. En pleine montée en puissance, Aviacomp prévoit de doubler
son chiffre d’affaires en 2016 pour atteindre huit millions d’euros. M.J.-P.
par un ingénieur chimiste, Jean-François
Brachotte, s’implante aux États-Unis. La
success story de Mapaero doit tout à un
produit révolutionnaire : une peinture à
l’eau ultra-performante et respectueuse
de l’environnent. Partie de zéro, l’entreprise pyrénéenne emploie aujourd’hui
85 personnes et génère un chiffre d’affaire de 20 millions d’euros. « Nos peintures s’appliquent sur les structures métalliques pour la protection contre la
corrosion, mais aussi à l’intérieur des cabines », explique Eric Rumeau, le directeur général. Pour se démarquer et rester à la pointe de l’innovation, Mapaero
investit en permanence dans la recherche.
Résultat des courses, sa peinture à l’eau,
contenant moins de 5 % de solvants, est
la seule sélectionnée pour le cockpit de
l’A350. Dassault, Bombardier, Boeing ou
Embraer affichent eux aussi les couleurs
de Mapaero. Depuis son site de Pamiers,
où elle produit 1 000 tonnes de peinture
par an, la société a les yeux tournés vers
le monde. « Nous nous implantons à proximité de nos clients, c’est pourquoi nous
venons d’ouvrir une filiale à Seattle et il
y en aura d’autres en 2015 », annonce
Éric Rumeau. M.J.-P.
Equip’Aero inventeur inspiré
Dans son chaudron magique à
L’Isle-Jourdain, dans le Gers, Equip’
Aéro réfléchit aux innovations de demain. Spécialiste de la maintenance, l’entreprise de 130 salariés conçoit notamment des systèmes de démarrage pour
le Super jet 100. Autre corde à son arc,
l’aménagement des cabines haut de
www.lexpress.fr / juin - juillet 2014
L’EXPRESS / 25
gamme. Si son mobilier se retrouvera
bientôt dans l’A350, ce n’est pas seulement pour son esthétique mais aussi
parce qu’il est constitué de matériaux
sandwichs, en nid d’abeille, particulièrement résistants. « Nous investissons
11 % de notre CA dans la R&D. L’innovation c’est notre moteur ! », reconnaît Mi-
chael Arnac, le vice-président. Les chercheurs d’Equip’Aéro ont été bien inspirés. En menant des travaux sur les systèmes d’évacuation des avions, ils
viennent de créer le Glisswin, un appareil de secours pour évacuer des personnes des bâtiments. Inventeur vous
dit-on ! M.J.-P.
pour la supply chain, pas toujours en mesure de répondre à la montée en cadence. « Quand l’avionneur augmente
sa vitesse de production, les équipementiers de rang 1 sont
impactés, mais cela a aussi des conséquences sur les autres
fournisseurs : la production doit suivre à quatre niveaux différents ! », explique Hervé Schembi, directeur marketing de
Latécoère. Très interdépendants, les sous-traitants se sont
structurés par le biais du pôle de compétitivité Aerospace
Valley, fédérant 700 entreprises d’Aquitaine et Midi-Pyrénées, et du cluster Mecanic Vallée.
Airbus motive
Tout n’est pas simple sous
ses fournisseurs en le soleil d’Airbus. Qui dit
les accompagnant commandes, dit aussi
lourds investissements.
C’est la rançon de la gloire. Avec le risque d’être dépassé.
« En 2012, nous avons connu une véritable crise d’embauche,
il y avait beaucoup de commandes et pas assez de monde.
Ce problème a été en partie résolu, mais notre but est d’aider les sous-traitants, en particulier les PME, à anticiper
et à financer leur R&D », explique Agnès Paillard, présidente d’Aerospace Valley. Airbus, qui a besoin d’une supply chain solide, a pris conscience du problème. Il a encouragé la naissance d’Aero Trade, une centrale d’achat
commune à une dizaine de PME. Une expérimentation a
aussi été lancée pour changer la façon de travailler entre
Airbus et ses fournisseurs, « afin que ces derniers ne soient
pas seulement des exécutants, mais davantage des partenaires motivés par un but commun et bénéficiant de plus
d’écoute et de visibilité », poursuit Agnès Paillard.
À la pointe de l’innovation
Très dépendants des orientations d’Airbus, les sous-traitants tentent de se diversifier en remportant de nouveaux
marchés, auprès du Brésilien Embraer ou du Canadien
Bombardier. Pour cela, ils peuvent compter sur un atout
de poids : leur excellence technologique et scientifique.
L’exemple de Mecaprotech Industries en est la preuve : ses
substances chimiques « vertes » lui ont permis de séduire
Boeing. La recherche est le point fort de la région qui dispose d’une dizaine de laboratoires de renommée mondiale,
très en pointe dans le domaine de la simulation et des matériaux. Pour gagner en lisibilité, les équipes de recherche
et de formation liées au secteur ont été regroupées au
sein de l'espace Clément-Ader. Premier équipement du futur campus aéronautique de Montaudran, ce complexe de
13 000 m2 accueille quelque 220 chercheurs.
Après la conception de l’A350, Airbus est entré dans une
phase de production. Il n’y aura pas de nouveaux programmes avant une dizaine d’années. Pour les sous-traitants, reste à relever le défi des cadences et de la réorganisation des bureaux d’études. Pour la région, le moment est
venu de transformer l’essai. « Les compétences techniques
et humaines de l’aéronautique doivent être utilisées pour
doper d’autres secteurs comme la santé, l’agroalimentaire
ou l’énergie », espère Bernard Plano.À bon entendeur… REBOND
Latécoère par
la grande porte
L’ancien avionneur historique de la Ville rose
peut souffler. Après avoir évité le crash de justesse dans les années 2000, Latécoère a repris
son envol. Il a remporté en 2013 un contrat d’1 million de dollars avec le Brésilien Embraer pour le
développement et la production des portes des
nouveaux avions E-Jet E2. Un contrat de quinze à
vingt ans qui vient récompenser son effort
constant en faveur de l’innovation. « L’aéronautique est une industrie de pointe, nous sommes
toujours à la recherche de nouvelles façons de
réaliser des pièces », précise Hervé Schembri, le
directeur marketing. Latécoère investit ainsi près
de 10 % de son chiffre d’affaires dans la R&D et
la R&T. Partenaire de rang 1 des grands constructeurs mondiaux, le groupe s’est spécialisé dans
les meubles avioniques, le câblage et les portes
passagers. Sans le savoir, on entre dans l’A380
ou dans le Boeing 787 par une porte estampillée
Latécoère. Leur plus ? Elles sont constituées de
matériaux composites grâce à un procédé hautement technologique, qui permet une économie
de temps et de coût de 15 %. Le prochain défi de
Latécoère : tenir la cadence de production d’Airbus, qui lui a commandé les portes passagers de
l’A320 Neo. M.J.-P.
D.R.
24 /
juin - juillet 2014 / www.lexpress.fr
L’EXPRESS / 27
À SUIVRE
Novadem s’envole
NOVADEM
Provence-Alpes-Côte d’Azur
Toujours plus haut
Airbus Helicopters en
Provence, Thales Alenia
Space sur la Côte d'Azur
et le pôle de compétitivité
Pegase structurent,
par de nombreux projets,
une filière encore
trop éclatée. Avec
l'hélicoptère du futur
ou les plates-formes
stratosphériques,
le rêve de toucher
les étoiles s’esquisse
au quotidien.
Par Jean-Christophe Barla
www.lexpress.fr / juin - juillet 2014
C
e n’est ni un drone ni un
satellite. Mais un peu
des deux. Semblable à
un dirigeable, Stratobus
pourra voler à vingt kilomètres au-dessus de
la Terre pour assurer des missions
d’observation, de sécurité (surveillance des frontières, lutte contre la
piraterie…), de télécommunications… À l’étude chez Thales Alenia Space et ses partenaires Zodiac
Marine et CEA-Liten, cette « plateforme stratosphérique géostationnaire » fera l’objet d’un prototype
dans cinq ans. Avec ce projet de
R&D, le pôle de compétitivité Pegase ajoute une nouvelle perspective
à une filière aérospatiale en plein redéploiement.
Présidé depuis fin 2013 par Michel
Fiat, directeur des opérations de
Thales Alenia Space, le pôle a défendu, dès 2007, l’idée qu’un jour,
des dirigeables voleraient à nouveau.
« La filière dirigeables peut générer
des chiffres d’affaires très importants, beaucoup d’emplois et de
réelles avancées technologiques »,
soulignait-il dans son livre blanc, en
2008. Stratobus met le rêve à portée, en mobilisant un secteur qui
ne manque pas de défis à relever.
Technocentre en construction
À Marignane (Bouches-du-Rhône),
Airbus Helicopters pilote « l’Hélicoptère du futur », un programme
soutenu pour 550 millions d’euros
par l’État afin de concevoir « la future génération d’hélicoptères plus
propres, plus silencieux, plus communicants et plus performants ». En
juin 2013, l’hélicoptériste numéro 1
mondial a signé les vingt-deux premiers partenariats avec des sociétés innovantes (60 % de PME) pour
contribuer à sa réalisation.
Sous l’impulsion du pôle et des deux
leaders, la région voudrait acquérir
FLEURON. Né dans les hangars de Marignane,
le X3 d’Airbus Helicopters est, à ce jour,
l’hélicoptère le plus rapide du monde.
une image comparable à celle de
Midi-Pyrénées avec Airbus. Elle en
possède les atouts, mais leur visibilité souffre de la dispersion des acteurs. La Mission de Développement
économique régional a recensé huit
donneurs d’ordres de rang mondial,
une quinzaine de grands groupes et
plus de deux cent cinquante PME
spécialisées.Airbus Helicopters EUROCOPTER
Dès 2006, Novadem a conçu des drones Made in France pour
les marchés civils et militaires. La PME aixoise a livré ce printemps son
drone U130 à Bernard Magrez qui se qualifie de « compositeur de vins
rares ». La machine observe et détecte les besoins de ses vignobles
bordelais en traitement, fertilisation, entretien… L'appareil a servi
aussi à la SNCF, fin 2013, « en première mondiale » pour inspecter le
viaduc ferroviaire de Roquemaure, au-dessus du Rhône, entre Gard
et Vaucluse. J.-C. B.
Redéploiement pour Bonnans
Né à Marseille en 1921, Bonnans intervient dans la mécanique de précision et le traitement de surfaces. Le groupe,
familial et indépendant, déménagera en 2015-2016 une partie
de ses activités sur la zone des
Florides à Marignane. « Un investissement de six à sept mil-
lions d'euros pour optimiser nos
modes de fonctionnement »,
confie le PDG Eric Bonnans. Dans
ce but, l'entreprise recrute des
fraiseurs, des tourneurs et s'implique dans un programme collectif de formation à «l'excellence
opérationnelle» (Lean Management). J.-C. B.
UNE INDUSTRIE MODÈLE
L’EXPRESS / 29
Première filière
industrielle régionale,
l'aéronautique-spatialdéfense en Provence-AlpesCôte d'Azur représente
un chiffre d'affaires global
de 5,5 milliards d'euros
et 40 700 emplois
9 % de l'effectif
industriel régional
est lié à la construction
aéronautique.
8 donneurs d'ordres
de rang mondial : Airbus
Helicopters, Thales Alenia
Space, Groupe Dassault,
Safran, DCNS, CNIM, Thales
Underwater Systems, DGA.
1 plate-forme mutualisée
d'innovation dans la conception,
le prototypage et l'usinage
de pièces mécaniques
à haute valeur ajoutée :
Inovsys à Aix-en-Provence.
STRATOBUS.
Semblable à un dirigeable,
cet aéronef pourra voler
à vingt kilomètres
au-dessus de la Terre.
travaille localement avec cinq cent
cinquante entreprises auxquelles il
passe 400 millions d’euros de commandes. Directeur des sites France,
Gérard Goninet souhaite aider cette
supply chain à progresser : « Nous
avons besoin de partenaires robustes,
fiables et pérennes, capables de s’élever à notre niveau d’exigence pour
convaincre d’autres grands donneurs
d’ordres ». Le groupe joue donc un
rôle moteur, avec Daher, dans le projet Henri-Fabre de Technocentre ciblé sur la mécanique, les matériaux
du futur et l’ingénierie des services
avancés à l’industrie. Objectif : créer
7 000 emplois à l’horizon 2020 autour
d’Airbus Helicopters et de l’étang de
Berre. Il réorganise parallèlement son
site. En septembre 2014 débutera la
construction du Marignane Développement Center, centre d’ingénierie et R&D de 22 000 m2 d’un coût
de 40 millions d’euros. Fin novembre,
il récupèrera un nouveau bâtiment
dédié aux essais dynamiques des hélicoptères (10 millions d’euros).
Émanciper la sous-traitance
Pour fortifier les start-up et PME régionales, Thales Alenia Space (TAS),
premier fabricant mondial de satellites, coopère, lui, sur la démarche
« Cap Indus », avec l’Association des
SOUS LES AILES DE PEGASE
Coordonnés par le pôle de compétitivité Pegase et l'État, d'autres projets consolident la filière. À Istres, un pôle de référence européen en « essais, simulations et mesures » est envisagé sur
45 000 m2 de bâtiments et 33 hectares de l'ancien site Mercure de
Dassault Aviation. Proche de la base aérienne 125, du site d’essai
en vol de la Direction générale de l’aviation, d’Airbus Helicopters, de
Snecma et de Dassault Aviation, le lieu pourrait héberger les industriels des plates-formes stratosphériques et dirigeables. À Salon et
Lançon-de-Provence, le Flying Capabilities Campus développera la
formation et la R&D dans les technologies du « Faire voler » autour
de la base aérienne 701 et de l'Onera (Office national d'étude et de
recherche aérospatiale). Sur l'aéroport d'Avignon, la pépinière d'entreprises de Pegase accueille des sociétés innovantes. Swat y développe et teste son drone civil, Albadrone.
www.lexpress.fr / juin - juillet 2014
THALES
(Source Directe 2011).
Sources : Panorama économique MDER 2012
partenaires pour la promotion industrielle Méditerranée (APPIM) et
la CCI Nice-Côte d’Azur. L’établissement génère 50 millions d’euros
de retombées en Paca sur deux cents
fournisseurs. « Nous les aidons à accentuer leur autonomie et évoluer
pour qu’ils soient aptes à conquérir
des marchés à l’international. Certains ont déjà ouvert des agences autour de Toulouse, note Jean-Marc
Franzin, adjoint au directeur de TAS
à Cannes. Nous recherchons aussi,
hors du secteur aérospatial, des sociétés avec des technologies de
pointe, un savoir-faire, susceptibles
de nous apporter une vision novatrice sur certaines problématiques ».
Profondément remanié et modernisé
depuis 2008,TAS investit encore sur
son site : 10 millions d’euros dans un
bâtiment d’intégration des satellites
d’observation. RÉUSSITES
Smac réduit
les vibrations
au silence
La dernière innovation
de la PME spécialiste des
élastomères accroît l’insonorisation des cabines
d’avion. « Nous ne savons
pas toujours comment des
sociétés confrontées à une
problématique de chocs thermiques, acoustiques ou vibratoires parviennent jusqu’à
nous. J’imagine que l’expertise et la crédibilité de Smac
pour apporter des solutions
favorisent les recommandations », confie Philippe Robert, le PDG. La PME de Toulon (Var) conçoit et fabrique
des pièces en élastomère
pour l’aéronautique, le spa-
tial, la défense et la compétition automobile. Le premier
génère 65 % de son chiffre
d’affaires de sept millions
d’euros. Elle fournit Airbus,
pour l’A350 XWB, Boeing
pour le B787 Dreamliner, Airbus Helicopters, Dassault
Aviation ou l’Agence spatiale
européenne, pour laquelle
elle a développé des pièces
pour protéger les équipements lanceurs et les satellites de chocs d’origine pyrotechnique. « La plupart du
temps, nous intervenons en
direct. Proposer des produits
inédits et performants plutôt qu’une simple prestation
SMAC
CHIFFRES CLÉS
rééquilibre le rapport avec le
donneur d’ordres. » Travaillant à 55 % à l’export, Smac
présentait en avril sa dernière innovation au salon
AirCraft Interiors de Hambourg : SMACWRAP ROLL. Ce
rouleau amortissant et souple de 10 mètres de long et
600 mm de large, posé sur
les parois de l’appareil com-
me du papier peint sur un
mur, insonorise les cabines
d’avion. Employant 45 personnes, l’entreprise se veut
« proactive » dans sa recherche de solutions. « À l’avenir,
les matériaux composites
des appareils intègreront nos
produits. SMAC est prête
pour cette rupture technologique. » J.-C. B.
Oxytronic taille sur-mesure
des systèmes embarqués
Fabricant d’équipements électroniques pour l’aviation, Oxytronic
monte à bord de l’EC175 d’Airbus Helicopters. Pour accroître la compétitivité de sa PME, le PDG, Serge de Senti,
intègre au maximum la chaîne de
conception et de fabrication. À sa création en 2005, la société d’Aubagne
(Bouches-du-Rhône) produisait des
plaquettes éclairantes pour tableaux
de bord, des touches de commutation... Puis, elle s’investit dans des équipements électroniques embarqués plus
sophistiqués pour le confort de voyage
(In Flight Management - IFE) comme
des écrans personnalisables, des téléphones de bord, des casques micro
sans fil, et jusqu’à son système ICan,
unité centrale combinant divers périphériques (audio, vidéo HD, téléphonie,
écrans…) dont Airbus Helicopters a sélectionné la dernière version pour son
EC175. « Quand une idée me semble
correspondre à un besoin, je mobilise
le centre de R&D pour la concrétiser.
Nos innovations séduisent par leurs
performances et leur coût », indique
le dirigeant.
En progression constante, Oxytronic
réalise quatre millions d’euros de chiffre d’affaires pour un effectif de 42
personnes. Sa présence au Bourget,
en juin 2013, lui a permis de décrocher
des contrats avec Latécoère et Lieb-
Serge de Senti.
OXYTRONIC
28 /
herr Aerospace. Le Gifas en fait la « tête
de grappe », en Paca, de son programme Performance industrielle afin
qu’elle aide d’autres PME locales à
monter en compétence. En juillet, Oxytronic ouvrira un centre de R&D à Grenoble. Elle étudie la création d’un site
complémentaire à Marignane, près
d’Airbus Helicopters et effectue une
percée dans le nucléaire pour continuer à croître. J.-C. B.
juin - juillet 2014 / www.lexpress.fr
UNE INDUSTRIE MODÈLE
L’EXPRESS / 31
d’ici à trois ans. Ou encore de Mécachrome qui va construire, en collaboration avec la Snecma, une usine
à Sablé-sur-Sarthe (Sarthe) destinée
à la production d’aubes de turbines,
pour un investissement total de
60 millions d’euros. La montée en
puissance de ces sous-traitants de
rang 1 permet aujourd’hui à toute la
filière de sortir de la seule dépendance d’Airbus et de se tourner vers
l’international, en nouant des contacts avec Bombardier, Embraer ou
Boeing.
Pays-de-la-Loire
Entre
ciel et mer
Portée par l’activité
des deux sites d’Airbus,
la chaîne de soustraitance ligérienne
a su s’organiser, pour
gagner en indépendance
et se tourner
vers l’international.
Une animation
collective de
la filière soutenue
par la Région
D.R.
BALLET. Le Beluga d’Airbus
décolle 50 fois par mois depuis
l’usine de Saint-Nazaire.
Par Frédérique Letourneux
S
’il lui fallait une mascotte, la filière aéronautique des Pays-dela-Loire choisirait sans
doute le beluga. Également appelé Super
Transporter, cet avion cargo, utilisé
par Airbus pour acheminer les sections des appareils entre ses différents sites de production en Europe,
symbolise la position stratégique
qu’occupe la région dans le paysage
de l’aérospatiale française. Tournée
vers l’extérieur. En effet, en 2013,
le Beluga a transporté, au départ de
Nantes vers Hambourg, près de cinq
cents caissons centraux de voilure
d’A320. Quant aux pièces du géant
A380, fabriquées à Saint-NazaireMontoir, elles embarquent sur d’immenses cargos rouliers. À eux deux,
les sites ligériens d’Airbus emploient
au total quelque 5 200 personnes,
dont près de 600 ont été embauchées,
en 2013, sur des postes en production. Et les fortes augmentations de
cadence, attendues sur les pro-
ELYPS VOIT GRAND
Spécialisé dans les systèmes mécaniques et l’outillage, le groupe
coopératif Elyps, a été créé, en 2004, à la suite du rachat du capital par
les salariés. Depuis, il a doublé ses effectifs – 100 salariés en 2013 – et
son chiffre d’affaires – 12 millions d’euros pour le dernier exercice. Fort
de cette croissance, le groupe, dont la principale filière est l’usine de
mécanique de précision basée à Besné, en Loire-Atlantique, souhaite se
développer dans l’usinage de pièces de grandes dimensions. Et, engage
un plan d’investissement de quatre millions d’euros sur trois ans (20142017) pour moderniser son appareil productif. F.L.
www.lexpress.fr / juin - juillet 2014
grammes Airbus A350 et A320 Neo,
se traduisent logiquement par de
nouveaux investissements (135 millions d’euros sur les deux sites) et
des embauches (230 programmées,
dont 65 % à Saint-Nazaire).
De nouveaux venus
Le secteur s’est depuis toujours structuré autour d’une mono-activité, celle
de l’aérostructure civile portée par
quelques sous-traitants de rang 1.
Parmi les plus anciens, on recense
Aérolia, dont le site de Saint-Nazaire
(840 salariés) va être complètement
rénové, d’ici à 2017, pour une enveloppe de 100 millions d’euros, Halgand, Daher, Espace, la Famat, Spirit
Aerosystems, Duqueine Atlantique
ou encore Europe Technologie…
Dans leur sillage, de nouveaux venus œuvrent pour s’implanter durablement sur le territoire. C’est le cas
de Figeac Aéro, équipementier en
passe d’investir cinq millions d’euros
dans une unité de production de planchers pour les A350, à Montoir-deBretagne, en Loire-Atlantique. Près
de 80 personnes seraient recrutées
D’autant qu’à l’autre bout de la
chaine, les PME se structurent pour
faire face aux commandes.À l’image
du cluster Neopolia, dont la branche
aéronautique regroupe 37 entreprises,
représentant 2 500 emplois. « Nous
avons inventé des modes pionniers
de fonctionnement pour pouvoir intervenir sur toute la chaine de production et ainsi répondre de façon
efficace aux donneurs d’ordres », détaille Nicolas Dérouault, vice-président de Neopolia Aerospace. Depuis
le 1er janvier 2010, la filiale aéronautique du cluster a dégagé 35 millions d’euros de chiffre d’affaires,
avec des programmes d’envergure,
comme celui actuellement déployé
par un consortium dirigé par Euro
Engineering, pour le compte d’Aérolia, concernant la conception et
la réalisation d’une ligne d’assemblage complète pour un tronçon du
Bombardier B7000/8000.
Afin d’améliorer le fonctionnement
de toute la chaine sous-traitante, la
Chambre de commerce supervise également, en partenariat avec l’association toulousaine Space, un programme intitulé Dinamic space.
Objectif : encourager des sous-traitants de rang 1 – à ce jour Daher,
Thales,Aérolia,Sogerma – etAirbus à
créer,autour d’eux,une « grappe » RÉUSSITE
Europe Technologies
résiste et se diversifie
«Entre nous et l’aéro, c’est une longue et belle histoire»,
sourit Patrick Cheppe, le PDG du groupe Europe Technologies (ET).
Quand cet ancien ingénieur d’Airbus crée Sonats, en 1991, son premier client est son ancien employeur. « Longtemps j’ai joué le rôle
du médecin en proposant des expertises pour rendre les pièces métalliques plus performantes, et un jour j’ai trouvé la solution. » Sa
trouvaille ? Bombarder la surface des pièces par impact d’ultrasons
afin d’accroitre leur résistance mécanique. Composé de sept filiales
réparties en trois départements – composite, mécanique et ultrasons, le groupe investit 15 % de son chiffre d’affaires dans la R&D.
Des projets sont notamment portés dans le cadre du Technocampus composite, à Bouguenais, au sein d’un laboratoire opérationnel
organisé en production pour réaliser des prototypes. Aujourd’hui,
Europe Technologies réalise environ un tiers de son activité dans
l’aéronautique, collaborant à la fois avec des avionneurs (Boeing,
Airbus) et des motoristes (Safran, Pratt et Whitney, MTU Aero Engines,
Rolls-Royce). En parallèle, elle poursuit sa diversification sectorielle
en se tournant vers l’automobile, la défense, l’énergie et l’agroalimentaire, mais aussi géographique en exportant vers l’Allemagne,
les États-Unis ou encore l’Asie. « Nous réalisons actuellement 35 %
de nos ventes à l’international, et nous voulons poursuivre cette ouverture », assure Patrick Cheppe. En cinq ans, le groupe a déjà doublé son chiffre d’affaires à 44 millions d’euros, en 2013, et ses effectifs (250 personnes). F.L.
D.R.
30 /
juin - juillet 2014 / www.lexpress.fr
32 /
UNE INDUSTRIE MODÈLE
À SUIVRE
D.R.
LoireTech, la petite
boîte qui monte
La pièce a fait sensation lors du salon du composite (JEC), en mars dernier. L’objet de toutes
les attentions est un moule prototype en céramique
recouvert de ferrites qui permet la transformation
des matériaux composites thermo-plastiques via l’utilisation de la technologie micro-onde. « C’est un procédé qui permet un temps de cycle très court de transformation et surtout de dépenser très peu d’énergie »,
résume Marc Moret. Le PDG de Loiretech, avait fait
le pari des matériaux composites dès la reprise de
Loire Modelage en 2004. Pour mettre au point cette
innovation, la PME spécialisée dans les moules et
les outillages en composite, basée à Mauves-sur-Loire,
a travaillé pendant trois ans dans le cadre d’un projet européen, baptisé Mu-tool, en partenariat avec
des centres de recherches anglais et suédois et trois
sociétés étrangères. Elle a disposé d’une enveloppe
de 1,2 million d’euros. Reste désormais à transformer
l’essai et à passer du prototype au stade industriel.
« Des contacts sont déjà pris avec des équipementiers aéronautiques et automobiles », précise ce diplômé de l’Ecole centrale de Nantes. Le groupe consacre entre 4 et 10 % de son chiffre d’affaires à des
projets d’innovation en interne ou menés en partenariat au sein de l’IRT Jules Verne (comme le programme Robofin).
Dix ans après sa reprise, le groupe affiche des ventes
de plus de six millions d’euros, dont près des deux
tiers réalisés dans l’aéronautique. Prochain objectif : se développer à l’international, via une filiale qui
devrait être opérationnelle à Montréal dans le courant de l’année. F.L.
www.lexpress.fr / juin - juillet 2014
d’entreprises afin de réfléchir à de nouvelles façons de
collaborer. « Nous ne sommes pas dans une configuration
classique de commande descendante,mais clairement dans
une animation collective de la filière, avec le soutien financier des pouvoirs publics dans laquelle les grands industriels donnent de la visibilité aux PME et partagent les
enjeux de recherche et développement (R&D) », assure
Christophe Clergeau, premier vice-président de la région
des Pays de la Loire en charge du Développement économique et de l’Innovation.
Un réceptacle de projets de recherche
Après la création,en 2005,du pôle de compétitivité EMC2,
rassemblant industriels et laboratoires de recherches autour des technologies avancées de production, l’ouverture,
en juillet 2012, de l’IRT (Institut de recherche et de technologie) Jules-Verne concrétise aujourd’hui les efforts réalisés en matière de R&D. Né d’un financement couplé
État, collectivité et entreprises, pour un engagement de
plus de 350 millions d’euros sur dix ans, l’IRT est le réceptacle de projets de recherches, dont près de la moitié
sont portés par la filière aéronautique. Ils sont pour la plupart réalisés au sein du Technocompus Composite, situé
à Bouguenais, à deux pas du site Airbus. « Ce type d’espace de recherche constitue un sas de discussion formidable entre les PME et les donneurs d’ordre. Il est possible de se lancer dans des projets d’innovation sur un pied
d’égalité »,explique Patrick Cheppe,le DG d’EuropeTechnologies. Avec toujours ce même objectif, à terme, d’augmenter la valeur pour tous les maillons de la chaîne. CHIFFRES CLÉS
6 600 emplois directs et 12 980 salariés,
sous-traitants compris.
5e région française en effectifs
(5 % des effectifs nationaux).
111 établissements, sous-traitants compris.
Le plus grand cluster de la région : Neopolia
Aerospace. Les 37 entreprises adhérentes
à Neopolia Aerospace représentent quelque
2 500 emplois directs et réalisent un chiffre
d’affaires cumulé de 300 millions d’euros.
2e région française pour la construction
de structures aéronautiques civiles.
2e pôle industriel d’Airbus en France.
Montant des achats passés par Airbus à des
sous-traitants (2013) : 405 millions d’euros.
Montant des exportations :
1,2 milliard d’euros en 2013
(en progression de 8,3 % par rapport
à l’année dernière).
Sources: Ores PDL, Gifas, Neopolia, Airbus, Direccte.
UNE INDUSTRIE MODÈLE
RÉUSSITES
Aquitaine
Une industrie
plurielle
Région aux multiples compétences, l’Aquitaine
est un peu le couteau suisse de l’aérospatiale.
Des aérostructures aux produits informatiques,
des composites au câblage, elle poursuit
sa diversification en misant désormais
sur les avions sans pilote.
Par Jean-Claude Pennec
L
’Aquitaine a plus d’une
corde à son arc. Outre
la fabrication d’aérostructures, domaine
dans lequel il excelle,
le troisième grand pôle
aéronautique et spatial français, fournit le secteur en produits informatiques, électroniques et optiques, et
dispose de solides compétences en
composites,câblages,carburants,maintenance et, désormais, dans les drones.
Au total,il emploie plus de 37 000 personnes, essentiellement en Gironde,
département qui concentre 15 000 salariés et 320 établissements, et dans
les Pyrénées Atlantiques où l’on dénombre 7 200 salariés répartis dans
230 établissements.À elle seule, la capitale girondine, véritable figure de
proue du secteur, concentre 280 établissements, 13 700 salariés et à peu
près toutes les activités : avions d’affaires et de combat, tuyères des boosters pour la fusée Ariane, carburants
pour fusées et missiles, systèmes embarqués pour avions, maintenance aéronautique et aménagement intérieur
des avions.
Le dynamisme du territoire s’explique
par la présence active des poids-lourds
du secteur.À commencer par le groupe
www.lexpress.fr / juin - juillet 2014
L’EXPRESS / 35
CHIFFRES CLÉS
Chiffre d’affaires :
24 milliards d’euros
Nombre d’emplois :
45 000 dont 14 700 emplois
directs et 30 300 indirects.
Nombre d’établissements :
630 dont 340 sous-traitants
Gironde :
50% des établissements, deux
tiers du chiffre d’affaires global
Premier secteur régional
exportateur
Pôle Aerospace Valley :
640 adhérents
Sources : Insee, Pôle Aerospace Valley,Aquitaine Développement Innovation, Gifas.
Safran, dont près de 20 % des effectifs dans l’Hexagone (39497 personnes)
sont en Aquitaine, via ses filiales Herakles, Turbomeca, Snecma et Messier-Bugatti-Dowty. Se sont également
implantés dans la région, l’ex-Astrium
Space Transportation qui conçoit, fabrique et assemble les étages d’Ariane
5 et du missile M51, implanté à SaintMédard-en-Jalles (1 340 personnes).
Et aussi DassaultAviation,Turbomeca,
Thales, Sogerma qui produit les aé-
rostructures desATR 42 et 72 et Creuzet Aéronautique.
Ces cadors réalisent à eux seuls 80%
du chiffre d’affaires de l’aéronautique
régionale et 59 % du chiffre d’affaires
du spatial. À l’opposé, la myriade de
petites entreprises (40% des établissements comptent moins de 10 salariés) représente 3 % du chiffre d’affaires global.Les 11 % de CA restants
sont réalisés par des entreprises comptant entre 10 et 49 salariés (44 % des
acteurs du secteur).Parmi ces PME et
ETI qui prospèrent à l’ombre de leurs
aînées, on peut citer la Fonderie Messier à Arudy, au sud de Pau, ou le petit pôle de mécanique, toujours à Pau,
qui regroupe des sociétés comme Exameca. Mais aussi Rescoll, spécialisée
dans les polymères, très dynamique à
Talence,ou Potez.« Un axe Figeac,Toulouse, Pau,se dessine très nettement »,
note Roland Texcier,délégué aux projets R&D aérostructures,matériaux et
procédés du pôle Aerospace Valley,
dont la compétence s’étend sur les deux
régions. Autre spécialité de pointe, le
traitement de surfaces avec notamment
SII France à Arovy,Aeroprotec à Pau
et l’Electrolyse à Latresne.
Décollage pour la filière drone
La présence, dans la région, d’entreprises de composites est de plus en
plus marquée. Avec, en premier lieu,
CompositesAquitaine (Airbus Group),
implanté à Salaunes ou Epsilon Composites à Gaillan-en-Médoc. Enfin,
l’Aquitaine recèle également quelques pointures de l’aménagement des
avions avec Sabena Technics, ou de
l’équipement de cabines avec Catherineau. Soucieuse de conserver une
longueur d’avance, elle se tourne vers
les drones, filière en pleine expansion dont le chiffre d’affaires devrait
passer de 100 millions d’euros, en
2013, à 188 millions d’euros, en 2015.
Son cluster Aetos, né en juillet 2010,
regroupe déjà une cinquantaine d’acteurs (Fly-n-Sense à Mérignac, Xamen Technologies à Pau, Vision
Scope à Mont-de-Marsan, le Labo-
Catherineau
soigne
ses intérieurs
Lauak garde la cadence
Catherineau n’est pas exactement ce
que l’on appelle une jeune pousse. Fon-
D.R.
34 /
Partenaire de la plupart des
avionneurs et des leaders d’aérostructures, Lauak est l’un des principaux sous-traitants français de réalisation de pièces primaires, de sousensembles et d’ensembles pour l’industrie aéronautique. Parmi ses spécialités, les réservoirs de carburant,
l’assemblage d’échangeurs thermiques et l’aménagement de cockpit. Il
y a quelques jours, il a livré à DassaultAviation le premier tronçon T3 destiné aux Falcon 900 et 2000. Pour
produire cette pièce de 5 mètres de
long, 2,50 mètres de diamètre et
650 kilos, Lauak a investi 400 000 euros en matériels et recruté une tren-
taine de salariés. Une nécessité pour
faire face à la montée en cadence imposée par Airbus et Dassault Aviation.
Pas de quoi effrayer Jean-Marc Charritton, le président du groupe, qui a
réalisé 80 millions d’euros de chiffre
d’affaires en 2013, et qui emploie 730
personnes. Il vise, en effet, beaucoup
plus haut et a investi 12 millions d’euros dans un double programme. Il comprend la construction d’un nouveau
bâtiment industriel de 5 000 m2 à Hasperren, dans les Pyrénées-Atlantiques,
et de rapatrier, en 2015, sur son site
de l’Isle-Jourdain (Gers), dans un nouveau bâtiment, l’activité de Villemursur-Tarn (Haute Garonne). J.-C.P.
dée en 1750, à Bordeaux, cette PME familiale s’est imposée comme l’une des références de l’aménagement intérieur d’avions
d’affaires ou d’hélicoptères civils. Depuis
1960, la société girondine a conçu les intérieurs de plus de 2 000 avions et hélicoptères pour des personnalités de la finance, du spectacle ou des Émirats, mais
aussi des hommes d’État. Il y a cinq ans, Catherineau a totalement réaménagé l’Airbus
présidentiel, un A330-200 destiné aux
voyages officiels. Ici, le quotidien est fait de
bois rares, d’étoffes précieuses, de cuirs
souples, d’or, voire de diamants, matériaux
maniés par les mains expertes de la centaine d’employés, souvent diplômés d’écoles
d’art. « Nous faisons plus de 80 % de surmesure », explique Anne-Sophie Catherineau, aux commandes de cette société. Elle
investit chaque année 10 % de son chiffre
d’affaires – plus de 9 millions d’euros en
2013 –, en R&D et vient de déménager son
activité dans une nouvelle usine de 4 600 m2
sur l’Aéroparc de Bordeaux (4 millions d’euros d’investissements). J.-C.P.
Aeroprotec maîtrise la surface
Tout avion, civil ou militaire, comme
tout hélicoptère, doit être revêtu à
90 % par des protections de surface ou
par de la peinture. Le fuselage, les moteurs, les trains d’atterrissage ou les parties plus dissimulées… tout y passe. Cette
contrainte fait le bonheur d’Aeroprotec,
une PME d’une centaine de salariés, spécialisée dans le traitement de surface,
implantée à Pau. « Nous ne sommes pas
nombreux à faire ça en France », souligne Thierry Haure-Mirande, qui a repris l’entreprise en 2005 et qui, depuis,
a doublé le chiffre d’affaires (5,2 millions
d’euros l’an dernier) comme le volume
de travail. Pourtant, l’exercice n’a rien
de simple : sachant qu’un avion actuel a
une durée de vie de trente ans, voire
plus, « tout le jeu consiste à rester économiquement viable sur des processus
de plus en plus contraints ».
S’adressant aux fleurons de l’aéronautique européenne (Airbus Group, Dassault Aviation, Airbus Helicopters ou des
motoristes), Aeroprotec a mis les bouchées doubles, notamment pour ré-
pondre aux contraintes Reach, en créant
un département de R&D et en s’impliquant dans de la recherche fondamentale dans les champs de la dynamique
«verte » (suppression du chrome par
exemple). Par ailleurs, elle a investi 1 million d’euros dans l’agrandissement de
ses locaux, à Pau, et dans une implantation en Tunisie. Elle est également en
train de finaliser une création de site
au Maroc et vise désormais à s’établir
en Amérique du Nord (États-Unis ou Canada). J.-C.P.
juin - juillet 2014 / www.lexpress.fr
36 /
UNE INDUSTRIE MODÈLE
L’EXPRESS / 37
Centre
Une sous-traitance
bien assise
L
Par Jean-Jacques Talpin
INATTENDU. L'aéroport de Chateauroux
accueille la plus grande cabine
de peinture privée de France.
D.R.
Plutôt généraliste,
la région a réussi
à se faire une place
de choix dans
l'aéronautique.
Son créneau :
l’aménagement
intérieur des cabines,
notamment
la fabrication de sièges.
e Centre tient son rang.
Avec 3 % des effectifs du
secteur, c’est la 6e région
aéronautique et spatiale
de France. Naturellement
éloignée des frontières et
donc des guerres, de nombreux groupes s’y étaient installés afin d’alimenter l’industrie de la défense depuis l’aéroport de Châteauroux,
aujourd’hui zone d’activités aéronautiques et siège du pôle Aérocentre
qui fédère une cinquantaine d’entreprises. Marquée par l’empreinte
d’Airbus, dotée d’un tissu industriel
riche de quelques grandes entreprises
et d’une myriade de sous-traitants,
le Centre héberge tous les savoirfaire, depuis les plus petites pièces
mécaniques jusqu’à l’électronique et
la déconstruction des vieux aéronefs.
« On fait de tout, avec une chaîne
complète allant de la construction
à la déconstruction en passant par la
maintenance », souligne Marie-Madeleine Mialot, présidente de l’agence
de développement Centréco.
Pourtant, au fil des ans, une spécificité s’est consolidée au point de devenir la « signature » de la région et
RÉUSSITE
PGA s’amuse de la concurrence
Créé en 1983 par Jean-François
Piaulet, PGA Electronic s’est rapidement développée pour devenir une « pépite » spécialisée dans les systèmes d’actionnement
de sièges, d’éclairage et de divertissement à bord.
Leader mondial de l’éclairage individuel par liseuse, PGA
propose également des systèmes d’ambiances lumineuses
et de divertissement audio, vidéo et visualisation 3D à
bord. Avec l’électronique et les logiciels PGA, le passager
peut contrôler toutes les fonctions de la cabine comme
l’éclairage, la musique, l’appel hôtesse, la télévision satellite. Un vrai savoir-faire qui a nourri les appétits de ses
concurrents, comme l’Américain Astronics Corporation
www.lexpress.fr / juin - juillet 2014
qui a acheté PGA en décembre. Sans conséquence pour
le site de PGA Avionics (190 salariés et 37 millions de chiffre d’affaires). « Bien mieux, explique Fabrice Berthelot,
directeur général délégué, cet adossement va nous ouvrir le marché américain et booster notre développement ». La PME va donc poursuivre sur ses marchés de
prédilection : l’ambiance des sièges VIP, notamment pour
des avions privés de très grand luxe. « Le divertissement
et le confort sont des outils de fidélisation des clients,
poursuit Fabrice Berthelot, il n’y a donc pas de limites… ».
Avec sa R&D intégrée et des fournisseurs essentiellement
français, PGA veut aussi montrer « qu’on peut être innovant et compétitif en produisant en France ». J.-J.T.
de générer plus de 2 000 emplois. Il
s’agit de l’aménagement de cabines
et de sièges d’avions, activités historiquement liées au fabricant de
sièges Zodiac à Issoudun, dans l’Indre. Devenu leader mondial dans
l’aménagement de cabines, Zodiac
Aerospace a ainsi généré un tissu de
sous-traitants travaillant dans la
confection de sièges, moquettes, rideaux, systèmes d’éclairage ou d’ambiance et tout ce qui concourt au
confort des passagers.
Investissements gagnants
Toujours à Issoudun,W. Grason réalise notamment des accoudoirs et
des housses de sièges d’avion, Selmatis est spécialisée dans les fabrications en cuir de sièges haut de
gamme, et Lisi Aerospace Creuzet
dans l’aménagement de cabine.
Tous ces équipementiers alimentent
l’activité régionale de la sous-traitance. « La filière a cette particularité d’être sous-traitante de grands
donneurs d’ordres régionaux, même
si quelques PME travaillent directement pour des groupes nationaux »,
poursuit Marie-Madeleine Mialot.
À l’image du secteur aéronautique,
la sous-traitance régionale se porte
bien. Une santé florissante qui se traduit par des investissements soutenus, à l’image de TLD qui injecte 10
millions d’euros dans une unité de
production à Sorigny, au sud de
Tours, qui produira, dès cet été, le
Taxibot, un véhicule semi-robotisé
électrique permettant de tracter les
avions au sol. Ou encore d’Aero
Technique Espace, première entreprise indépendante de peinture
d’avions en France, qui vient d’inaugurer une cabine de peinture pour
gros-porteurs à Châteauroux, où se
trouve l’un des plus grands sites européens de peinture d’avions. De son
côté, le plasturgiste automobile Plastivaloire innove dans de nouveaux
matériaux composites à usage aéronautique. Revers de la médaille,
« les entreprises ont du mal à recruter, alors qu’elles ont des commandes
et des perspectives de développement », regrette Thierry Bluet de
Centréco. Et cela malgré les nombreuses formations ouvertes. Face à
cette situation, Christine Denis, secrétaire générale d’Aérocentre, appelle à « un véritable plan de bataille
pour l’emploi dans l’aéronautique
régionale ». CHIFFRES CLÉS
321 entreprises;
18 700 salariés dont
6 000 dans les 10 principaux
établissements comme MBDA
(950 salariés), Zodiac Seats
(950), Paulstra SNC (600),
Saint-Gobain Sully (600),
Thalès Avionics (530),
Michelin (500)…
Embauches estimées
2014 : 300 à 400 ;
80 formations ouvertes
aux métiers de l’aéronautique ;
Participation à deux pôles
de compétitivités : S2E2
pour les systèmes électriques
avioniques et Elastopole
pour les pneus d’avions.
Source : Centréco.
EN TÊTE
Zodiac
renouvelle
la classe
affaires
Dans l’Indre, Zodiac Seats
produit des sièges d’avions,
un équipement plus stratégique
qu’il n’y paraît. « Les compagnies
se battent énormément sur le
confort des passagers. L’objectif
étant de leur éviter toute fatigue
à l’arrivée, le siège revêt une importance capitale et devient un
élément de différentiation des
compagnies », explique Laurent
Stritter, directeur marketing innovation de Zodiac Seats. L’ambiance, la qualité du cuir, l’ergonomie, le poids et, bien sûr, la
sécurité font l’objet de toutes les
attentions afin d’offrir un produit
personnalisé à chaque compagnie.
Le coût d’un siège peut atteindre
50 000 euros l’unité, hors accessoires numériques, et le temps
nécessaire à le produire, neuf
mois depuis sa conception en passant le prototypage, les tests, le
choix des sous-traitants (régionaux si possible) et l’assemblage.
La R&D est donc capitale pour Zodiac qui vient de réussir à convaincre Air France de le choisir pour
son nouveau siège business, capable de se déployer en lit de près
de deux mètres. « C’est un produit ultra-sophistiqué. Ce qui se
fait de mieux dans la gamme »,
assure Laurent Stritter. Air France
a ainsi passé commande de 2 102
sièges pour ses 44 Boeing 777. Le
marché court jusqu’en 2016 donnant de l’air à la sous-traitance
régionale. J.-J.T.
juin - juillet 2014 / www.lexpress.fr
L’EXPRESS / 39
Les batailles du ciel
LA CONCURRENCE
REBAT
LES CARTES
Dans moins de vingt ans, le trafic aérien mondial aura
doublé. Un marché convoité par les transporteurs, comme
par les constructeurs, traditionnels ou émergents. Pour
s'imposer, chacun devra s'adapter aux nouvelles exigences
des clients et des autorités.
Par Gil Roy
SYMBOLE. Avec l’A380, Airbus a voulu
répondre à l’explosion annoncée du trafic.
ELOÏSE DE PARSCAU
C
haque jour,dans
le monde, huit millions de passagers
prennent l’avion. Dans vingt ans, ils
seront 16 millions. Sur ce point, tous
les analystes se rejoignent : d’ici à
2032, le nombre d’utilisateurs de l’aérien va quasiment doubler pour atteindre 6,4 milliards. Conséquence :
deux fois plus d’avions devront se
partager le ciel et les aéroports.
Faire des prévisions dans un monde
globalisé et instable comme le nôtre
est certes hasardeux, même pour les
économistes. Néanmoins, avec le recul, on constate que le trafic aérien
double régulièrement tous les quinze
ans. Il s’est aussi redressé après
chaque crise, même après les plus
aiguës, comme en 2008. En dépit de
certains passages à vide, ce secteur
est installé sur une confortable pente
ascendante d’environ 5 % par an.
Pourquoi n’en irait-il pas toujours
ainsi dans les décennies à venir ?
D’autant qu’avec la montée en puissance des pays émergents, le juin - juillet 2014 / www.lexpress.fr
LES BATAILLES DU CIEL
et moyen-courriers les plus rentables.
Attaquées sur leur pré carré, les granCONFORT. Les nouveaux hubs
des compagnies nationales perdent
font tout pour faciliter
pied sur leur marché domestique, au
les connexions des passagers.
point que certaines, à l’image de British Airways, y renoncent, pour mieux
concentrer leurs forces sur le long
courrier, d’où la concurrence n’est pas
absente non plus.Mais les marges sont
potentiellement plus confortables.
Avec l’essor des compagnies asiatiques et surtout arabo-persiques, le
centre de gravité du transport aérien
mondial se déplace vers le MoyenOrient, région du globe où la synerpermettre aux compagnies de faire gie entre les compagnies locales et les
face à l’accroissement annoncé du aéroports est optimale. Dubaï, avec
trafic, tout en limitant la facture de Emirates Airlines, en est l’exemple le
plus remarquable.
kérosène.
Dès lors qu’un avion consomme En 2032, le trafic long-courrier, à
moins de carburant fossile, il rejette 95 %, se concentrera entre 89 aéromoins de CO2. La nouvelle généra- ports principaux à travers le monde
tion d’avions de ligne est donc plus et, de toute évidence, Dubai World
respectueuse de l’environnement. Central sera le premier avec une capacité de 160 milUn argument
lions de passagers.
volontiers mis
La compétition a déjà
La première des
en avant par les
fait des victimes
cinq pistes de
c o m p a g n i e s,
dans
les rangs des
cette gigantesque
même si leur
plate-forme qui,
enthousiasme
compagnies aériennes comme
son nom
pour ces nouveaux avions est, avant tout, un l’indique, ambitionne d’être le cenmoyen pour elles de réduire les coûts tre du monde, a été inaugurée en octobre dernier. Elle devra prendre le
face à une concurrence exacerbée.
En Europe et aux États-Unis, no- relais de l’aéroport international de
tamment, les majors historiques sont Dubaï dont la capacité maximale a
prises en tenaille entre les nouveaux été récemment portée à 75 millions
entrants que sont les compagnies de passagers grâce à l’ouverture, l’anlow cost et les compagnies du Golfe. née dernière, d’un troisième termiJusque dans les années 1980, elles nal, capable de traiter en simultané
se sont développées à l’abri, sur un pas moins de vingt A380 d’Emirates.
marché régulé. Le réveil a été d’au- Ce nouvel équipement ultra-motant plus brutal. Et la compétition derne, destiné à faciliter les cona déjà fait des victimes parmi les nexions des passagers qui, pour la
plus fragiles comme TWA, Swissair plupart, transitent par Dubaï, est aussi
un vaste centre commercial de
ou Sabena.
30 000 m2. Car désormais, les aéroDes aéroports aux petits soins ports destinés aux lignes long-courEt ce n’est pas terminé. D’ici à 2032, rier ou au trafic low cost, entendent
les low cost vont continuer à gagner tirer l’essentiel de leurs ressources
du terrain, pour atteindre 21 % du d’activités extra-aéronautiques. Les
marché. Certes, leur politique de prix passagers du XXIe siècle sont avant
bas permet de générer de nouveaux tout des consommateurs, il convient
trafics, mais aussi de détourner celui de les traiter comme tel. Surtout
des majors en venant les concurren- quand le marché représente 6,4 milcer frontalement sur leurs lignes courts liards de clients… L’EXPRESS / 41
De bio voyages en perspective
Outre les tensions politiques susceptibles d’affecter provisoirement
le trafic aérien, la principale incertitude concerne le prix du pétrole.
Le kérosène pèse pour environ 30 %
du coût d’exploitation d’une compagnie aérienne et les fluctuations
de prix du baril sont d’autant plus
difficiles à amortir par les transporteurs que leurs marges bénéficiaires
sont faibles (de l’ordre de 2,5 %, à
peine 5,65 $, par billet vendu).
À défaut de trouver un carburant de
substitution beaucoup moins cher
que le pétrole, les constructeurs aéronautiques et les motoristes s’emploient à réduire la consommation
des avions de ligne, dans des proportions comprises entre 15 et 25 %,
par rapport aux modèles en service.
Ces promesses boostent les commandes. Airbus a déjà vendu 2 600
exemplaires de l’A320 neo dont le
premier vol n’est pourtant prévu
qu’en fin d’année. Boeing totalise
plus de 1 800 commandes pour son
737MAX. Les gros porteurs connaissent le même engouement.Airbus a
vendu 824 A350XWB (200 à 400 passagers selon les modèles) et Boeing
1 031 787 Dreamliner (242 à 323
voyageurs). Ces nouveaux modèles,
destinés au renouvellement de la
flotte (à hauteur de 40 %), doivent
www.lexpress.fr / juin - juillet 2014
OFFICIELS. Marwan Lahoud, Geneviève Fioraso, Jean-Paul Herteman,
Claude Bartolone, Jean-Marc Ayrault, Jean-Yves Le Drian, Serge Dassault,
Frédéric Cuvillier, Tom Enders, lors du salon du Bourget 2013.
Revue de troupes
matique, Airbus. À 55 ans,
cet Allemand, qui n’a pas
hésité à déménager le siège
de l’entreprise à Toulouse,
d’où il sillonne le monde,
a le regard davantage tourné vers les États-Unis et
l’Asie que vers l’Europe. Et
une obsession : améliorer
la rentabilité. V.L.
Zoom sur la trentaine de personnalités
qui composent l'état-major
de l'industrie aéronautique
et spatiale en France.
> LES CAPITAINES
LE MENEUR D’HOMMES
TOM ENDERS,
PRÉSIDENT EXÉCUTIF
D’AIRBUS GROUP
Difficile pour le patron du
n°1 européen de l’aéronautique, officier de réserve de l’armée, d’échapper à son surnom. En deux
ans, « Major Tom » a largement bousculé l’entreprise, honorant sa réputation de fonceur et de meneur d’hommes. La fusion
ratée avec British Aerospace aurait pu le déstabiliser, il en a profité pour
revoir la gouvernance et
s’émanciper autant que
possible de la tutelle des
États. Puis, il a lancé le
grand chantier de la réorganisation interne et osé
rebaptiser le groupe du
nom de sa filiale emblé-
LA FORCE TRANQUILLE
FABRICE BRÉGIER,
PDG D’AIRBUS
À 53 ans, le président-directeur général d’Airbus,
malgré son peu d’appétence pour la com’, n’est
plus un inconnu. En 2006,
ce polytechnicien, alors
président d’Eurocopter, a
accepté de prendre en
charge la restructuration
de la maison Airbus, simultanément au lancement de l’A350. Toujours
en première ligne dans les
moments délicats, ce gagneur dans l’âme, qui a eu
les honneurs de l’Élysée
pour la signature d’un
méga contrat avec Lion Air,
a adoré aller poser la première pierre de la future
usine airbusienne sur le sol
américain ;et convaincre luimême les patrons de compagnies aériennes japonaises, fidèles à Boeing
depuis cinquante ans,
d’acheter des Airbus. Ces
victoires-là distillent une
saveur dont ce fan du ballon rond aurait du mal à se
passer. F.B.
P. MASCLET/AIRBUS SAS
nombre des passagers potentiels
ne cesse de s’accroître. Ainsi, la région Asie-Pacifique devrait représenter à elle seule un quart du trafic mondial en 2032.
PAUL VREEKER/UNITED PHOTO
GAMMA RAPHO
AÉROPORTS DE PARIS
40 /
juin - juillet 2014 / www.lexpress.fr
LES BATAILLES DU CIEL
PDG D’AIR FRANCE
Les comptes d’Air France
n’ont aucun secret pour
lui.Frédéric Gagey,59 ans,
polytechnicien, diplômé
de l’Ensae, a toujours navigué sur les canaux de la
finance. D’abord au mi-
www.lexpress.fr / juin - juillet 2014
PRÉSIDENT DE LA FNAM
Repreneur, en 2003, de
la compagnie d’aviation
d’affaires Chalair, alors
en difficultés, Alain Battisti l’a redressée en la
positionnant sur le transport régional et les navettes au service des entreprises, notamment les
compagnies pétrolières
en Afrique du nord. Élu
en juin 2013 à la tête de
la FNAM, le principal
syndicat professionnel
du secteur, il vient de gagner quatre nouveaux
adhérents – Air Caraïbes,
Aigle Azur, Corsair et
XL Airways. Un joli
coup. V.L.
PDG DE SAFRAN
Autant Safran, équipementier international de
haute technologie, est incontournable, autant celui
qui préside à ses destinées
depuis 2005 demeure d’une
discrétion rare. Son credo ?
L’industrie, l’usine, la production. Intarissable sur
l’établissement de Fougères, devenu le symbole
d’une reconversion réussie, cet ingénieur X-Aéro,
le verbe économe et mesuré, pilote et skipper à ses
heures, a pratiquement fait
toute sa carrière dans les
moteurs, d’avion ou de fusée. Désormais, il ne cesse
d’étendre les ailes de Safran dans le monde entier.
PRAGMATIQUE
PATRICK KY,
DIRECTEUR DE L’AESA
Directeur de l’Agence
européenne de la sécurité aérienne (AESA)
depuis le 1er septembre
2013, Patrick Ky, 46 ans,
est polytechnicien et ingénieur de l’École nationale de l’aviation civile (Enac). Économiste
COMBATIF
PATRICK GANDIL,
PRÉSIDENT DU DIRECTOIRE
DE ZODIAC AEROSPACE
Énergique, allant droit au
but, peu adepte de la
langue de bois, Olivier Zarrouati dirige Zodiac Aero-
J.-C.P.
LE PACIFICATEUR
JEAN-BERNARD LÉVY,
PDG DE THALES
Il a débarqué chez Thales
de façon presque inattendue, à la veille de Noël
space depuis 2007. Et cet
X-Supaero affiche pour
l’instant un joli parcours
puisque, depuis sa nomination, les ventes de l’équipementier aéronautique
ont quasiment doublé, alors
que le résultat net a été
multiplié par 2,7. Zarrouati
a été à bonne école : c’est
Jean-Louis Gérondeau, le
mythique patron de Zodiac
(aujourd’hui décédé) qui
l’a formé à cette culture du
résultat. G.L.B.
D.R.
LE RÉALISTE
OLIVIER ZARROUATI,
DIRECTEUR GÉNÉRAL
DE L’AVIATION CIVILE
Depuis son entrée en
fonction, à l’automne
2007, Patrick Gandil n’a
jamais hésité à descendre dans l’arène. Il a été
le premier à comprendre
que le zèle de l’administration française à transposer les textes européens dans le droit national
Entré au bureau d’études
de Dassault Aviation en
1984, ce diplômé de Telecom SudParis bifurque rapidement vers l’international, dès 1987. Son premier
fait d’arme ? La vente de
60 Mirage 2000-9 aux Émirats arabes unis, en 1998.
Son défi aujourd’hui ?
Conclure la vente de 126
Rafale à l’Inde. Il doit aussi
réussir le lancement des
derniers business jets annoncés, les Falcon 5X et
8X. G.L.B.
ENDURANT
ERIC TRAPPIER,
PDG DE DASSAULT
AVIATION
Quand,début 2013,à 52 ans,
Eric Trappier arrive aux
commandes de l’entreprise familiale, il se glisse
très vite dans les habits de
patron. Plus affable que
son prédécesseur Charles
Edelstenne, ce père de
trois enfants, fin connaisseur de la technique, sait
trancher. Il affiche près de
trente années de maison.
LE BÂTISSEUR
PATRICK DAHER,
PDG DE DAHER
L’homme n’est pas médiatique pour un sou. Non pas
qu’il n’aime pas la presse,
mais ce n’est tout simplement pas son « truc ». Ce
qui fait vibrer ce diplômé
de l’Essec de 64 ans, c’est
clairement l’industrie. Et
D.R.
diplômé de l’université
de Toulouse et du célèbre Massachussetts Institute of Technology
(MIT), ce grand pragmatique exige de ses troupes
qu’elles « dépassent la
théorie » et « vivent dans
le concret ». F.B.
> LES VIGIES
étouffait tout un secteur.
Il a sauvé le modèle des
aéro-clubs, une exception culturelle française,
que les fonctionnaires
européens ne comprennent pas toujours et qui
réunit pourtant pilotes
et ingénieurs aéronautiques. C’est aussi lui qui
a mis en relation les
concepteurs du premier
avion-école électrique
français avec le groupe
Airbus. G.R.
DAHER
EFFICACE
ALAIN BATTISTI,
PRÉSIDENT DU DIRECTOIRE
D’AIR CARAÏBES
Il est l’un des meilleurs
connaisseurs de l’aérien
de la place. Les caractéristiques techniques des
avions n’ont plus de secret pour cet ingénieur de
63 ans. Discret, rugueux
et pugnace, Marc Rochet
a épousé l’histoire du secteur depuis trois décennies. Directeur d’escale
chez Air Inter, il a pris ensuite successivement la
tête de TAT, d’Air Li-
LE DISCRET
JEAN-PAUL HERTEMAN,
D.R.
L’INCOLLABLE
MARC ROCHET,
PDG DE CORSAIR
De la DGAC, en 1984, à
Corsair, depuis 2010, cet
énarque s’est imposé
comme l’homme des missions délicates. Il a œuvré
dix-sept ans à Air France,
où il a géré la fusion des
personnels navigants
d’Air Inter et d’Air France, avant de superviser
l’aménagement du hub
de Roissy. Brillant, autoritaire et caustique, il aurait pu succéder à JeanCyril Spinetta à la tête du
groupe. Sauf qu’il n’est
pas choisi. Il atterrit chez
Corsair, qu’il redresse, et
devient président de TUI
France. C.S.
2012. Pour autant, JeanBernard Lévy, ancien patron de Vivendi, s’est progressivement imposé à la
tête de l’électronicien, réussissant à pacifier un climat
alors délétère. Patiemment,
cet homme à la voix douce
et au regard aussi chaleureux qu’il peut être glaçant,
est parti à la découverte
des multiples métiers du
groupe, a rencontré chaque
syndicat, chaque directeur
d’usine, puis a élaboré un
plan de réorganisation sans
casse sociale. Le tout sous
l’œil attentif de ses deux
actionnaires de référence,
l’État et Dassault. G.L.B.
S.RANDE/DASSAULT AVIATION
RÉFLÉCHI
FRÉDERIC GAGEY,
F.B.
PHILIPPE DELAFOSSE/AIR FRANCE
Aimable, brillant, faisant
volontiers preuve d’une
certaine rondeur, très à
l’aise pour jongler avec
les courbes et les chiffres :
Alexandre de Juniac,
51 ans, sait charmer ses interlocuteurs. Avant d’accéder à la présidence d’Air
France KLM, ce sur-diplômé (X et ENA) a connu trois vies : le Conseil
d’État, ensuite les cabinets ministériels dans les
années 1990, puis l’industrie, avec Thomson, devenu Thales.Après, retour
en cabinet, celui de Christine Lagarde, ministre de
l’Économie, entre 2009 et
2011. Enfin, le transport
aérien, sa passion de toujours. La tâche est difficile, car le redressement
d’Air France reste fragile.
Et il lui faudra plus que
du charme pour faire avaler aux syndicats d’Air
France un troisième plan
d’économies. G.L.-B.
LE BATAILLEUR
PASCAL DE IZAGUIRRE,
D.R.
CHARLES PLATIAU/REUTERS
PDG D’AIR FRANCE KLM
nistère de l’Économie,
puis àAir Inter,ensuite au
sein d’Air France comme
vice-président aux finances, avant d’atterrir
aux Pays-Bas, chez KLM,
pour prendre en charge la
direction générale des…
finances. Apprécié pour
son intégrité, sa franchise
et sa capacité d’écoute,
le PDG d’Air France,
nommé en 2013, passe
parfois pour un animal à
sang froid.Peu
soucieux de
se mettre en
scène, il incarne surtout
une certaine
soliditéàl’heure
où le groupe en
a bien
besoin.
ERIC DROUIN/SAFRAN
berté, d’AOM et d’Air
Littoral. En 2001, il lance
L’Avion, compagnie à bas
prix 100 % affaires, avant
de participer à la création
d’Air Caraïbes. C.S.
> LES COMMANDANTS DE BORD
LE CHARMEUR
ALEXANDRE DE JUNIAC,
L’EXPRESS / 43
BENOIT TESSIER/REUTERS
42 /
la constitution d’une branche aéronautique, à partir
de 1999, lorsque l’entreprise familiale, que Patrick
Daher dirige depuis 1991,
rachète Lhotellier, un
sous-traitant qui travaille
notamment pour Airbus,
puis Lacroix Lucaero en
2001. Sept ans plus tard, il
ajoute Socata (ex-EADS),
fabricant d’avions légers
et de morceaux de fuselage pour Airbus et Dassault. G.L.B.
juin - juillet 2014 / www.lexpress.fr
LES BATAILLES DU CIEL
PRÉSIDENT D’AÉROLIA
En prenant la tête de la filiale aérostructures d’Airbus Group, ce diplômé de
l’École Centrale Nantes (en
1985), revient à ses amours :
l’industrie. De fait, spécialiste de la production, il a
accompli la totalité de sa
carrière chez l’ex-EADS,
comme directeur industriel
chez Sogerma, avant d’en
prendre la tête en 2007, ou
chezAstrium,la branche espace.À son crédit :la reprise
en main du programme
A400M, entre 2011 et fin
2013, remis sur de bons rails
au plan industriel. G.L.-B.
TOUCHE À TOUT
STÉPHANE ISRAËL,
PDG D’ARIANESPACE
Après avoir été la – brillante – plume de Laurent
Fabius, il est la voix d’Arianespace. Normalien et
agrégé d’histoire, cette tête
bien faite s’est immergée
dans le spatial, dès 2007, aux
côtés de Louis Gallois, chez
> LA FEMME
OPINIÂTRE
MARIE-ANTOINETTE
DAIN,
PRÉSIDENTE DE JET SERVICES
Elle est la seule à avoir
osé regrouper des compagnies d’aviation d'affaires en France. Indifférente aux « Je t’aime, moi
non plus » de ses concur-
www.lexpress.fr / juin - juillet 2014
rents sur l'aéroport de Paris-Le Bourget, elle n’hésite pas à donner des
coups de pieds dans la
> LES TRUBLIONS DU CIEL
LE BENJAMIN
CORENTIN DENOEUD,
LE BAROUDEUR
CÉDRIC PASTOUR,
L’ATYPIQUE
PATRICK DE CASTELBAJAC,
PDG DE WIJET
Visage juvénile et sourire
en coin, Corentin Denoeud, 29 ans, est le pionnier du jet privé low-cost.
En 2009,à sa sortie d’HEC,
il lance un nouveau modèle de transport à la demande, en avion d’affaires,
qui décolle rapidement.
En début d’année, Wijet,
première compagnie aérienne de Taxijet en France, a été choisie par Air
France pour assurer les
services porte-à-porte proposés aux passagers de
première classe. Une
consécration. T.D.
DIRECTEUR GÉNÉRAL
AIGLAZUR
Il a fait ses classes chez
Air Liberté, a présidé la
Fédération nationale de
l’aviation marchande
(FNAM), a créé et dirigé
pendant une dizaine d’années la compagnie Star
PRÉSIDENT EXÉCUTIF D’ATR
Un juriste succède à Filippo Bagnato, l’artisan du
redressement d’ATR.
LE FINANCIER
FRÉDÉRIC MICHELLAND,
PRÉSIDENT DU DIRECTOIRE
DE LATÉCOÈRE
À 47 ans, ce diplômé de
Sciences po choisit de rejoindre Latécoère (600 millions d’euros), après avoir
fait la majeure partie de sa
carrière dans des grands
groupes ou la banque. Un
virage sur l’aile à suivre,
compte tenu des difficultés
financières (80 millions de
pertes en 2013) que traverse la société toulousaine.
Pas de quoi
effrayer ce
spécialiste
du contrôle
et des chif-
À 43 ans, Patrick de Castelbajac sort de l’ombre
pour prendre les rênes du
constructeur d’avions régionaux détenu à parité
par Airbus Group et Finmeccanica. Ancien d’Airbus, qu’il a rejoint en 2002,
ce spécialiste de la négociation des contrats commerciaux travaillait étroitement avec Fabrice Brégier
et John Leahy. V.L.
fourmilière, en construisant un hôtel et en adaptant son aérogare privée
à la riche clientèle arabe.
Et si le marché hexagonal de l’aviation d’affaires
n’est guère porteur, la
contraignant à réduire sa
flotte de Falcon, Citations
et autres jets, elle continue de croire au potentiel de son business. T.D.
AUDACIEUX
LIONEL GUÉRIN,
PDG DE HOP !
Dans le cadre du grand
chantier de remise en état
de vol du groupeAir France–KLM, Lionel Guérin
s’est vu confier la mission
complexe de faire fonctionner le pôle régional.
Avec le pragmatisme qui
le caractérise, il a réuni
sous la bannière de Hop !
trois compagnies au caractère bien trempé.Parmi
celles-ci,Airlinair, une authentique low cost que
Lionel Guérin a construite
de toute pièce en misant,
à contre-courant de la jetmania des années 1990,
sur le turb o p ro pulseur
ATR
42/72.
LE COMPÉTITEUR
GUILLAUME FAURY,
PRÉSIDENT D’AIRBUS HELICOPTERS
Polytechnicien, diplômé de
l’École nationale supérieure
de l’aéronautique et de l’espace (Sup’Aéro), ingénieur
navigant d’essai, président
d’Airbus Helicopters depuis
le 1er janvier 2014 : à 45 ans,
Guillaume Faury a déjà
tracé un sillon remarqué sur
les terres du secteur aérospatial. Passionné, exigeant
avec ses collaborateurs, il
défend son produit avec
acharnement. Ses maîtresmots ? « Détermination » et
« curiosité ». Sa soupape :
« Le sport, y compris en famille ». Il faut le lui arracher,
mais il avoue « pratiquer le
triathlon ». Le goût du défi
et de l’effort, encore… F.B.
G.R.
> LES EXPLORATEURS
LE VISIONNAIRE JEAN-YVES LE GALL,
PRÉSIDENT DU CNES
Certaines trajectoires frappent par leur évidence.
Comme celle de Jean-Yves Le Gall. À 55 ans, il est
devenu l’un des principaux acteurs de l’espace français, après avoir successivement gravi les échelons
de Starstem, d’Arianespace et du Cnes, qu’il préside
depuis le 1er avril 2013. Ses passions ? L’avenir. Dubaï. Les Stones. Et surtout, les lancements réussis.
On se souvient comment cet ingénieur marseillais
tenace, d’apparence stricte, n’avait pas hésité à remettre totalement à plat les tirs d’Ariane à la suite
d’un échec. Depuis, la fusée européenne a accumulé
près de 60 tirs réussis d’affilée. Un record. J.-C.P.
LE GLOBE-TROTTER JEAN BOTTI,
D.R.
MÉTHODIQUE
CÉDRIC GAUTIER,
fres, ex-Nexans, également
passé au contrôle de gestion de GDF Suez. G.L.-B.
AIR FRANCE
P.PIGEYRE/AIRBUS SAS
DIRECTEURGÉNÉRALDÉLÉGUÉÀ
LASTRATÉGIEETÀL’INTERNATIONAL
D’AIRBUSGROUP
Numéro deux d’Airbus
Group depuis 2007, ce polytechnicien, fan de chevaux autant que d’avions,
est un fin connaisseur du
secteur et un redoutable
négociateur. Voilà vingtcinq ans qu’il est de toutes
les grandes manœuvres : au
cœur de la fusion Aerospatiale-Matra en 1998,
puis de la création d’EADS,
en 2000, et enfin tête pensante du deal – avorté –
avec British Aerospace en
2012. Dans l’ombre d’Enders, il a mené la réorganisation de la gouvernance
d’Airbus Group et a imaginé un avenir où le civil
dominera largement sur la
défense. Sur son propre devenir, cet homme de réseaux reste discret. Mais, à
48 ans, il peut
encore espérer un poste
de numéro
un – certains
le voient demain chez
Safran ou
Areva. V.L.
D.R.
D.R.
NÉGOCIATEUR HORS PAIR
MARWAN LAHOUD,
EADS. Par la suite, le jeune
homme,auteur d’un rapport
remarqué sur l’industrie
pourTerra Nova,devient directeur de cabinet d’Arnaud
Montebourg, avant de retourner dans le business dès
que l’occasion lui en a été
donnée.Aujourd’hui,il n’hésite pas à dire, haut et fort,
ce qu’Arianespace doit faire
pour rester le numéro un
mondial. J.-C.P.
ATR
> LA RELÈVE
L’EXPRESS / 45
LATECOERE
44 /
Airlines, a même été
jusqu’en Polynésie, appelé
au chevet de la compagnie
Air Tahiti Nui. Professionnel passionné et libre,
reconnu par ses pairs, Cédric Pastour a été nommé,
au début de cette année,
PDG d’Aigle Azur.Avant
même d’avoir atteint la
cinquantaine. G.R.
INFATIGABLE
LAURENT MAGNIN,
PDG DE XL AIRWAYS FRANCE
Fin connaisseur des arcanes de l’industrie touristique, président de Crystal et de Vacances Héliades, l’hyperactif PDG de
XL Airways France, ancien cadre chez Corsair,
a l’âme d’un militant. Réputé habile orateur, souvent convaincant, Laurent Magnin, 55 ans,
continue d’entraîner ses
équipes avec une énergie
qui défie l’entendement.
En 2012, il a fêté ses
trente ans de métier. Et
il en a encore sous le
pied… F.B.
DIRECTEUR GÉNÉRAL DÉLÉGUÉ TECHNOLOGIE ET INNOVATION
D’AIRBUS GROUP
C’est un homme venu de l’automobile (Renault,
General Motors, Delphi) qui pilote, depuis 2006, la
direction Technologie & Innovation d’Airbus Group.
Jovial, passionné, Botti est capable de parler pendant des heures de l’avion électrique – dont il est
chef de projet dans le cadre des plans de la Nouvelle
France industrielle. Il a déposé plusieurs dizaines de
brevets et est impliqué dans de nombreuses organisations dédiées à la recherche, au Royaume-Uni,
en Allemagne ou aux États-Unis. G.L-B.
L’EXPERT JEAN-JACQUES DORDAIN,
DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L’ESA
Patron de l’Agence spatiale européenne (ESA) depuis onze ans, il gère quatre milliards d’euros de
budget par an. Considéré comme le plus grand spécialiste de l’espace en Europe, ce sexagénaire avenant, né à Hordain (59), est centralien et marathonien. Après quarante ans de conquêtes spatiales
(dont Galileo, Soyouz à Kourou, ou la mission Rosetta), l’éternel jeune homme se souvient encore de
sa rencontre avec Neil Armstrong et demeure avant
tout « un spectateur médusé de l'espace ». J.-C.P.
ARMÉ BRUNO SAINJON
PDG DE L’ONERA
Le centre français de la recherche aérospatiale a un
nouveau patron depuis le 2 juin. Ingénieur général
de l’armement, Bruno Sainjon, 53 ans, était depuis
2009 le directeur des opérations de la Direction
générale de l’armement, où il a effectué une grande
partie de sa carrière. Spécialiste de la défense, il va
gérer un volume annuel d’activités d’environ 230 millions d’euros. V.L.
juin - juillet 2014 / www.lexpress.fr
46 /
LES BATAILLES DU CIEL
L’EXPRESS / 47
De son côté, l’avionneur américain a
multiplié les tests avec des mélanges
de kérosène et d’autres de synthèse
type Fisher-Tropsch sur des appareils
militaires. En janvier dernier, il a expérimenté un biodiesel produit à partir d’huile de Jetropha (une plante
poussant en milieu aride) qui émettrait 50 % de moins de CO2. « Notre
objectif, à terme, est de créer une filière durable pour l’aviation »,indique
Boeing. Comme Airbus, il ne travaille
pas seul,mais a noué des alliances multilatérales, avec Etihad,le Masdar Institute d’Abu Dabhi et Total.
L’avion vert décolle
Les biocarburants sont l’une des principales voies
pour réduire les émissions polluantes.
Mais leur banalisation va encore prendre du temps.
Par Guillaume Lecompte-Boinet
partir de 2015, l’Airbus A320 neo, permettra de diminuer la consommation
d’environ 15 %. C’est mieux, mais pas
suffisant.
Réduire l’empreinte
écologique
Propulseurs moins gloutons, meilleure aérodynamique ou réduction
de la masse des avions, grâce aux matériaux composites, sont autant de
briques qui contribueront, pour environ 40 %, à la réduction des émissions prévue dans la feuille de route
2050. Dix autres pourcents seront économisés par la gestion optimisée du
trafic aérien, via le programme Sesar. Quant aux biocarburants, ils occupent une place centrale dans cette
guerre au CO2, puisqu’ils contribueront pour environ 50 % aux objectifs
d’Acare. Pour s’en donner les moyens,
la Commission européenne a lancé,
en 2011, l’initiative « Biofuel Aviation Path 2020 », visant à soutenir et
LES TROIS PROCÉDÉS DE PRODUCTION
Le Fisher-Tropsch est un procédé, imaginé en 1923, qui consiste
à liquéfier de la biomasse, du gaz ou du charbon. Certifié pour
l’aéronautique en 2009, il présente l’inconvénient d’être très gourmand en investissements.
Le Hefa, ou hydro-traitement d’huiles végétales, a été certifié
en 2011 pour l’aéronautique. Le carburant est fabriqué à partir d’huile
de palme ou de microalgues… mais offre de faibles rendements.
Le procédé par fermentation consiste à laisser les enzymes
transformer le sucre de canne, de betterave ou de cellulose, en kérosène. La certification d’un premier carburant, le Farnésane, est attendue avant cet été.
www.lexpress.fr / juin - juillet 2014
AIRBUS SAS 2013/P. MASCLET
S
oyons réalistes. L’avion
100% écologique n’est
pas pour demain. En attendant, l’Europe, les
constructeurs et les motoristes, planchent activement pour tenter de réduire les
émissions de dioxyde de carbone
(CO2) produites par les réacteurs.
Réunis au sein d’Acare, le Comité
pour la recherche et l’innovation aéronautique en Europe, qui pilote notamment le programme Clean Sky, ils
ont pour objectif de réduire de 75 %
le CO2 émis par le transport aérien
d’ici à 2050, et de 90 % les NOx
(oxydes d’azote).
Pour y parvenir, plusieurs pistes sont
envisagées. La principale consiste à
développer des moteurs moins gourmands en carburant. Un pourcent de
réduction de la consommation de kérosène équivaut à 1 % de baisse du
CO2 émis. Ainsi, la prochaine génération de réacteurs qui équipera, à
DÉMONSTRATION. En juin 2013, un A320 a effectué
un vol entre Toulouse et Le Bourget
en utilisant un biocarburant à base de sucre.
promouvoir la production de carburant alternatif à destination de
l’aviation. Objectif : atteindre une production annuelle de 2 millions de
tonnes à l’horizon 2020. Soit un peu
moins de 4 % de la consommation
européenne de kérosène…
Chez Total, on est convaincu. « Les
biofuels produits de façon durable,
s’avèrent vraiment pertinents pour
réduire l’empreinte carbone du transport aérien », estime Philippe Marchand, chef de département Biotechnologies, Total Energies Nouvelles.
Deux grands procédés de fabrication
de carburants de synthèse – FischerTropsch et Hefa – sont d’ores et déjà
certifiés (voir encadré). Mais le premier, très capitalistique, nécessite de
lourds investissements : environ 1 milliard d’euros pour construire une usine
d’une capacité de 80 000 tonnes par
an. « Quant au procédé Hefa, il bute,
aujourd’hui, sur le problème de la durabilité puisqu’il est à base d’oléagineux comme l’huile de palme », ajoute
Philippe Marchand. Le pétrolier, qui
s’est lancé dans les biocarburants en
2007, a préféré miser sur un procédé
de fermentation des sucres, en s’as-
CHIFFRES CLÉS
Le transport aérien
consomme environ
200 millions de tonnes
de carburant par an ;
Il représente environ 3 %
des émissions mondiales
de CO2 ;
Si rien n’est fait, compte
tenu de la croissance
prévue du trafic aérien,
les émissions pourraient
être six fois supérieures
d’ici à 2050.
(Source : commission européenne,
« Biofuel Aviation Path 2020 »)
sociant avec une société californienne,
Amyris. « Le sucre est une matière
première renouvelable, produite de
manière durable sous diverses formes,
canne à sucre, cellulose, betterave… »,
argumente Philippe Marchand.Total
a ainsi ouvert une première usine d’extraction de carburant au Brésil et en
envisage une seconde en France. Baptisé le Farnesane, son biocarburant a
été utilisé avec succès lors du vol expérimental d’un Airbus A320, en juin
2013.Il entrait pour 10 % dans la composition du mélange alimentant les
moteurs CFM56.
Des tests concluants
Selon Philippe Marchand, à la sortie
du moteur, les émissions de CO2 sont
réduites de 80 % par rapport au kérosène ! « L’analyse des paramètres
a été concluante », se réjouit-on également chez Snecma,concepteur,avec
General Electric du CFM56. Motoristes et avionneurs sont en première
ligne car les biocarburants doivent impérativement satisfaire à certaines exigences techniques : densité, viscosité,
compatibilité avec tous les organes internes d’un moteur notamment.
« C’est essentiellement sur ces sujets
que nous intervenons en tant que
constructeur », précise Frédéric Eychenne, responsable des projets à la
direction des nouvelles énergies d’Airbus, à Toulouse. Autre point important : ce type de carburant émet très
peu de suies, ces microparticules générées par la combustion du kérosène,
véritable poison pour la santé.
La fin du kérosène
n’est pas pour demain
Mais l’émergence de ces nouveaux
carburants va encore prendre du
temps. « Pour les trente à quarante
prochaines années, le kérosène restera le carburant principal de l’aviation », prévient Frédéric Eychenne.
Car l’équation économique et industrielle des biofuels n’est pas simple à
résoudre. Outre les impératifs techniques, ils doivent être disponibles
partout dans le monde, à des prix acceptables. En effet, si le prix du Jetfuel, utilisé dans le transport aérien,
s’est établi aux environs de 120 $ le
baril ces trois à quatre dernières années, les matières premières entrant
dans sa fabrication ne sont pas toutes
bon marché. Enfin, certains procédés,
comme la production à partir de microalgues, ne sont pas encore matures.
« Mais, à terme, le prix des sucres devrait moins augmenter que celui des
énergies fossiles. Il y aura donc un rééquilibrage », estime le « pétrolier »
Philippe Marchand.
La solution viendra peut-être de la
mer. Le laboratoire de recherche de
l’US Navy a en effet produit un kérosène de synthèse à partir d’eau de
mer. Le CO2 et l’hydrogène sont capturés par électrolyse et transformés
en carburant pour avion. Pour l’instant, ce procédé coûterait entre 3 et
6 dollars le gallon (3,8 litres), alors
que le gallon de Jetfuel coûte moins
de 3 $. Prêt à décoller, l’avion plus
« vert » n’a pas encore atteint sa vitesse de croisière. juin - juillet 2014 / www.lexpress.fr
L’EXPRESS / 49
DÉMESURE. Le nouveau terminal
de l'aéroport de Shenzhen Bao'an,
une sculpture de 500 000 m2.
3 QUESTIONS À
BERNARD CATHELAIN
La course
au gigantisme
Pour faire face
à l’explosion du trafic,
de nouvelles
plates-formes
aux dimensions
inédites et
aux infrastructures
sophistiquées
fleurissent
dans le monde.
Par Jean-Claude Pennec
www.lexpress.fr / juin - juillet 2014
L
e transport aérien explose. En 2013, on a dénombré 3 milliards de
passagers. Dans quinze
ans, les prévisions les plus
prudentes tablent sur un
doublement de ce chiffre. Conséquence : plus d’avions, plus de vols,
plus de pilotes, plus d’hôtesses et de
stewards, mais surtout plus d’aéroports. On recense, aujourd’hui, près
de 3 600 aéroports à usage commercial dans le monde, dont 362
comptent trois pistes et plus. Ce sera
nettement insuffisant. En effet, si
l’Europe et l’Amérique du Nord sont
bien dotées, d’autres régions du
globe entament à peine leur croissance. C’est le cas notamment de
l’Asie, de l’Amérique latine, de
LEONARDO FINOTTI
À l'avenir, une architecture
évolutive s'impose, selon
le directeur général adjoint
d’Aéroports de Paris,
chargé de l’aménagement
et du développement.
l’Afrique et de la plupart des pays
émergents. Plus nombreux, les aéroports seront aussi plus grands. En
2015, celui d’Hartsfield-Jackson à
Atlanta, aux États-Unis, le premier
au monde pour son trafic, franchira
la barre des 100 millions de passagers par an. Une place que Pékin devrait lui ravir rapidement.
Le plus important aéroport
du monde en Turquie
Car la révolution aérienne attendue
passe d’abord par la Chine et l’Asie.
Entre 2011 et 2015, l’Empire du milieu a prévu de construire 82 nouveaux aéroports et d’en agrandir 150
existants. Objectif : disposer de 244
plates-formes aéroportuaires d’ici à
2020. Parmi les nouvelles réalisations
qui ont vu le jour en 2013, le gigantesque terminal de Shenzhen Bao’an.
Inaugurée fin novembre, cette plateforme en forme de raie manta,
conçue par le Studio Fuksas, s’étire
sur 1,5 kilomètre de long. Quant à
l’aéroport international de Shanghai Hongqiao, devenu trop petit, il
est doublé, depuis 2002, par celui de
Pudong, œuvre du français Paul Andreu. Un renfort bienvenu car, entre 2004 et 2013, le trafic aérien de
Shanghai a bondi de 35,9 millions à
82,7 millions de passagers.
Et ce n’est pas fini. Dans quelques
mois, débutera, à Pékin, la construction d’un nouvel aéroport d’une capacité de 70 millions de voyageurs
– 130 millions à terme ! – prévu pour
entrer en service en 2018. Il disposera de sept pistes, dont une dédiée
au trafic militaire, et aura nécessité
un investissement de 8,37 milliards
d’euros.
La Chine n’est pas un cas unique. La
Turquie vient de lancer le projet d’un
troisième aéroport à Istanbul dont
la capacité d’accueil, de 150 millions
de passagers (deux fois plus que
Roissy), en fera le plus important MICHEL LABE
LLE/AÉROPO
RTS DE PARIS
« L’aéroport idéal
n’existe pas »
Quel sera le visage des plates-formes
aéroportuaires du futur ?
La révolution technologique de l’avion,
tel que le décollage vertical, n’est pas
pour demain, et les contraintes environnementales demeureront. Aussi, les grands fondamentaux des aéroports ne changeront pas. Les différences interviendront dans les services et le fonctionnement pratique de l’aéroport
(contrôles facilités, par exemple). En fait, de plus en plus, il deviendra une extension de la ville.
Existe-t-il un aéroport idéal ?
Pas vraiment, car cette notion est très liée à la géographie du site
où il est implanté. Et ce qui prend de la place, ce ne sont pas les terminaux, mais toutes les circulations entre les pistes et les aires de
stationnement des avions. Cela n’empêche pas que de nombreuses
bonnes idées germent tout autour de nous. Aéroports de Paris est
très actif sur le sujet, que ce soit par la veille exercée ou grâce à nos
partenariats industriels, avec Amsterdam par exemple, à Séoul ou
encore dans les aéroports turcs dont nous sommes l’actionnaire de
référence.
Qu’est-ce qui a changé dans la conception aéroportuaire contemporaine ?
À l’origine, les aérogares n’ont pas été conçus pour évoluer. Le
meilleur exemple : le fameux terminal 1 de Roissy, destiné à recevoir des avions de taille moyenne, tel le Concorde, et une aviation
tournée essentiellement vers le voyage d’affaires. Depuis, la donne
a changé : accessibilité, liens plus directs entre les parkings et les
avions, renforcement des normes de sûreté et augmentation des
besoins de commerce et de shopping. Les typologies de terminaux
ont suivi le mouvement. Mais, aujourd’hui, nous sommes conscients
que dans vingt ou trente ans, le voyage en avion sera tout autre.
Nos architectures contemporaines doivent donc anticiper ces usages
futurs en adoptant des formes plus simples. J.-C.P.
juin - juillet 2014 / www.lexpress.fr
50 /
LES BATAILLES DU CIEL
Des coûts faramineux
Ce gigantisme ramène à la question
fondamentale : où implanter de tels
mastodontes ? « Le plus loin possiCOLOSSAL. Posé sur une île artificielle,
l’aéroport du Kansai a coûté
ble », plaident certains. Mais cette
la bagatelle de 25 milliards d’euros.
tentation d’éloigner les plates-formes
aéroportuaires des centres-villes se
heurte à une réalité mise en évidence
par toutes les études réalisées sur le
sujet : pour être efficace, un aéroport
doit être à la fois proche d’une ville- et dont la particularité est d’être imcentre et parfaitement desservi par planté en plein désert, à une cindes infrastructures de transports de quantaine de kilomètres de la ville
toutes natures (rail, route), aux coûts qu’il dessert.
souvent faramineux.
Ailleurs, des îles artiDubaï n’a pas hésité.
accueillent
Pour être efficace, ficielles
Son second aéroles plates-formes aéun aéroport doit roportuaires. L’exemport, l’Al Maktoum
International Airêtre parfaitement ple le plus célèbre est
port, prévu pour del’aéroport du Kansai,
desservi
venir le plus grand
au Japon. Une méga
du monde d’ici à
structure amarrée sur
quinze ans avec un trafic de 160 mil- une langue de terre de quatre kilolions de passagers par an, a inauguré mètres de long sur un kilomètre de
son premier terminal en novembre large, construite dans la baie d’Osaka,
dernier. Un projet pharaonique qui pour un montant de 25 milliards d’eudevrait coûter 30 milliards de dollars ros. Les passagers rejoignent la terre
www.lexpress.fr / juin - juillet 2014
EMIRATES
EXTENSION. L'aéroport de Dubaï s'est doté,
en 2013, d’un troisième terminal,
capable de traiter en simultané pas moins
de 20 A380 d’Emirates.
KAWATETSU
de la planète. Premiers vols prévus d’ici deux à trois ans.Autre pays
à la géographie démesurée, le Brésil
a prévu d’investir près de 6,5 milliards d’euros d’ici à 2020 dans la
construction de 71 nouvelles platesformes aéroportuaires.
Quant aux plus anciens, contraints
de s’adapter, ils sont en chantier permanent. En Californie, l’aéroport de
San Francisco a engagé des travaux
d’extension pour 268 millions d’euros afin d’accueillir dans des conditions correctes Virgin America. Pour
moderniser Orly, Aéroport de Paris va débourser 450 millions d’euros, destinés à financer la mise en
œuvre d’un nouveau bâtiment de
80 000 m2. Il devrait voir le jour en
2018. Enfin, pour absorber le nombre croissant de voyageurs, l’aéroport de Pudong, à Shanghai, se dote
d’un troisième terminal, qui devrait
être achevé en 2018. Avec quelque
100 portes d’embarquement, cette
aérogare devrait pouvoir accueillir
30 millions de passagers supplémentaires.
ferme grâce à un pont métallique de
trois kilomètres. Coût de l’ouvrage
seul : un milliard de dollars. Même si
elle est onéreuse, cette solution séduit des villes ou des régions
contraintes par leur géographie,
comme San Diego, en Californie ou
Nice, Barcelone et Lisbonne, en Europe. Seule certitude de cette révolution « en marche » : l’addition globale sera colossale.Tony Tyler, patron
de l’Association internationale du
transport, estimait il y a peu que
1 900 milliards d’euros seront investis dans la création ou l’extension des
aéroports dans le monde dans les
quinze ans à venir. 52 /
LES BATAILLES DU CIEL
L’EXPRESS / 53
Golfe tissent une gigantesque toile,
censée gonfler leurs revenus, accélérer leur rentabilisation et attirer une
nouvelle clientèle sur leur sol. En trois
ans, Etihad a ainsi pris des participations dans sept compagnies dont
la suisse Darwin Airline, première à
porter les couleurs de la nouvelle
marque Etihad Regional, l’Allemande
Air Berlin et, tout récemment, Air
Serbia, avec une prise de contrôle à
hauteur de 49 % de son capital.
Le golfe Persique abrite
les transporteurs les plus
ambitieux du monde.
À coups de milliards de
dollars d’investissements,
ils remplissent
les carnets des
constructeurs et
séduisent les clients.
Par François Blanc
DYNAMISME. Pour accompagner son envol,
Qatar Airways s'offre un hub d'une capacité
de 50 millions de passagers.
Le fabuleux essor
des compagnies du Golfe
Airways et Etihad Airways, ne se
contentent pas d’être de (très) jeunes
compagnies « porte-drapeaux ». Elles
symbolisent la ferme volonté de leurs
fondateurs de prendre une part active aux changements induits par la
mondialisation galopante de l’économie de marché.
à bord de ses A380 et de ses B787,
deux suites avec salon, salle de bains
et une chambre avec lit double. Prix
de cette folie : environ 20 000 euros.
Avec leur croissance insolente, leurs
méga commandes d’appareils neufs
et leurs enviables coefficients de remplissage, elles font plus que surprendre : ces ambitieuses participent
à un changement notable de la carte
des liaisons aériennes à l’échelle de
la planète. Respectivement créées en
1985, 1994 et 2003, Emirates, Qatar
D.R.
RAFFINEMENT. Etihad Airways
va proposer une véritable chambre à coucher
sur certains de ses appareils.
www.lexpress.fr / juin - juillet 2014
Une situation géographique
idéale
Emirates, Qatar Airways et Etihad
Airways alignent aujourd’hui 463
avions. Des flottes en majeure partie composées de Boeing et d’Airbus. À la fin du mois de mars, leurs
carnets de commandes confondus
« pèsent » 734 avions neufs à livrer
(375 pour Emirates, 236 pour Qatar
Airways et 123 pour Etihad Airways).
Des chiffres susceptibles de donner
le vertige.Y compris aux historiques
grandes compagnies occidentales.
Comment expliquer cet essor prodigieux ? Tout d’abord, par une volonté politique forte. Il s’agit de faire
des villes et sous-régions concernées
– Dubaï pour Emirates, Abu Dhabi
pour Etihad Airways et Doha pour
Qatar Airways – des centres d’affaires
et de villégiature de premier ordre,
y compris pour des destinations de
tourisme de luxe, développements
économiques locaux à la clé. Par ailleurs, l’objectif des fondateurs de ces
entreprises dépasse la stricte exécution d’une mission de transport.
Conçues et décrites comme des
points de chute aussi attirants qu’efficaces, mais aussi comme des platesformes de correspondances idéales,
Emirates, Qatar
Airways et Etihad
Airways dopent
le bilan économique
de leur pays
les bases d’opération de ces transporteurs fonctionnent à la manière
de plaques tournantes parfaitement
implantées entre l’Europe et l’Asie.
Et à portée d’aile de l’Amérique. Enfin, par le jeu de partenariats et de
prises de participation dans d’autres
compagnies aériennes, celles du
D.R.
L
es compagnies aériennes
du Golfe n’en finissent
pas d’étonner. Dernier
coup d’éclat, celui d’Etihad Airways, l’une des
trois plus florissantes
d’entre elles, qui envisage de créer
une école de pilotage de niveau mondial aux Émirats arabes unis. Pour
James Hogan, PDG d’Etihad Airways : « La création de l’Etihad Flight
College est une partie naturelle de
notre stratégie visant à former les
meilleurs pilotes pour soutenir notre flotte en pleine expansion. Il
contribue également à étayer la croissance et le développement du secteur de l’aviation à Abu Dhabi. »
Quelques jours auparavant, la compagnie avait déjà fait parler d’elle en
annonçant que, dès la fin de l’année,
sur les vols à destination de Londres,
Sydney et New York, elle proposera,
Des équipements
pharaoniques
Fortes de leurs structures de groupe,
Emirates, Qatar Airways et Etihad
Airways offrent leurs services tous
azimuts et dopent le bilan économique de leur pays. Elles sont d’ailleurs présentes sur tous les secteurs
liés, de près ou de loin, à leur cœur
d’activité : maintenance des avions,
formation de personnels navigants
et, au sol, catering, tourisme et
voyages à la carte, gestion aéroportuaire, publicité, ventes en zone détaxée, etc.
Soucieux de favoriser un tel dynamisme, les aéroports de la région du
Golfe s’agrandissent à leur tour et
engagent, à intervalles réguliers, des
travaux pharaoniques. À Doha, par
exemple, base de Qatar Airways, le
nouvel hub international Hamad
doit entrer en service cette année.
Situé à quatre kilomètres de la plateforme actuelle – 60 % de son emprise au sol a été pris sur les eaux du
golfe Persique ! –, il a été conçu pour
recevoir, dans un premier temps, un
trafic de 28 millions de passagers par
an, puis, dès 2015, de 50 millions de
passagers.
Plus grand aéroport des Émirats
arabes unis, celui de Dubaï est, lui
aussi, appelé à voir ses capacités augmenter de façon significative. Annoncé en avril dernier, le plan d’extension des infrastructures et de
l’espace aérien, à l’horizon 2018, doit
permettre de passer de 60 millions
de passagers par an, à 90 millions.
Pour comparaison, l’aéroport de Paris-Charles-De-Gaulle a accueilli
62 millions de passagers en 2013…
CHAMPIONNES
DE LA QUALITÉ
Elles collectionnent les
distinctions décernées par
divers organismes internationaux. Ainsi, Etihad, qui a transporté 11,5 millions de passagers
en 2012-2013, s’est vu attribuer
les prix de la meilleure compagnie aérienne au monde, de
la meilleure première classe et
du meilleur équipage à bord
dans le cadre des World Travel
Awards 2013. Qatar (18 millions
de passagers en 2012-2013) a
reçu le prix de la meilleure
classe affaire du monde pour
2013 par Skytrax, fameux cabinet d’audit basé à Londres.
Cette année-là, Emirates (près
de 20 millions de passagers)
a été sacrée meilleure compagnie aérienne du monde, par
ce même cabinet londonien. Un
très beau palmarès !
Boeing et Airbus
en première ligne
Le développement des compagnies
du Golfe profite à l’industrie aéronautique mondiale. On se souvient,
par exemple, de la commande d’Etihad Airways, le 17 novembre 2013,
de 199 avions et 194 moteurs, pour
un montant estimé à quelque 67 milliards de dollars ! Pour Boeing, Airbus et les motoristes occidentaux,
le Moyen-Orient offre, aujourd’hui,
des perspectives de croissance considérables, y compris avec des compagnies comme Saudi Arabian Airlines ou Flydubai. Ainsi, Airbus qui
estime à 2 000 le nombre de livraisons d’avions de ligne d’ici à 2032
dans cette région du monde, a implanté une filiale, dès 1986, sur la
zone franche de l’aéroport de Dubaï. Pour sa part, Boeing évalue le
besoin en avions neufs, dans la zone,
à 2 610 appareils, soit un marché de
550 milliards de dollars, sur la même
période. juin - juillet 2014 / www.lexpress.fr
LES BATAILLES DU CIEL
L’EXPRESS / 55
« Les compagnies aériennes européennes sont-elles
mortelles ? » C’était le titre choc du rapport de Claude
Abraham remis aux pouvoirs publics en juillet 2013.
Un an plus tard, l’inquiétude reste la même : coincées
entre l’agressivité des transporteurs low cost sur le
moyen-courrier et l’offensive des compagnies du Golfe
sur le long-courrier, les majors du vieux continent sont
en quête d’un nouveau modèle. Air France-KLM,
British Airways, Lufthansa sauront-elles défendre leur
place dans un ciel de plus en plus disputé ? Réponse
avec le consultant en stratégie Stéphane Albernhe,
fondateur du cabinet Archery Strategy Consulting.
Propos recueillis par Valérie Lion
Pensez-vous que les grandes compagnies européennes sont mortelles ?
Oui, elles le sont. Regardez Alitalia. Aujourd’hui, sa situation reste très
fragile. Ou encore Swissair, disparue
en 2002. Nous ne disposons pas, en
Europe, d’un dispositif aussi efficace
que le Chapter 11 en vigueur aux
États-Unis, qui permet de restructurer les compagnies en danger et de
les recapitaliser.Auparavant, les majors fonctionnaient sur un modèle intégré : elles offraient un très large
éventail d’origines-destinations, servies par différents métiers comme le
marketing, l’élaboration des prix, l’exploitation au sol, les opérations en
vol, la maintenance, l’informatique,
etc.Aujourd’hui, de tels systèmes intégrés ne sont plus pertinents pour
s’adresser à tous les clients.
www.lexpress.fr / juin - juillet 2014
Pourquoi ?
Le marché s’est segmenté. La
concurrence est devenue protéiforme
et la clientèle s’est diversifiée. Le marché de proximité,pour les trajets d’une
durée de moins de trois heures en
train, a échappé aux Airlines, laminées par la grande vitesse ferroviaire.
De son côté, le court moyen-courrier
a été attaqué par les compagnies low
cost. Quant au long-courrier, plus rentable, captant les passagers à plus forte
contribution, il a vu débarquer les
compagnies d’Asie et du MoyenOrient dotées de puissants moyens
financiers pour construire une offre
de qualité, basée sur des avions de
nouvelle génération et des infrastructures portuaires sophistiquées.
Cette spécialisation du marché suppose à chaque fois une réponse adaptée : impossible, par exemple, de ro-
D.R.
« Les compagnies
nationales, un outil
de souveraineté »
gner sur les coûts partout. Sur le longcourrier, il faut, au contraire, monter
en gamme. C’est d’ailleurs la stratégie actuellement déployée par Lufthansa et Air France-KLM. Sur le
moyen-courrier, enfin, malgré tous
ses efforts, une major ne sera jamais
aussi bon marché et agile qu’une low
cost, qui a construit son modèle à partir d’une feuille blanche. Les grandes
compagnies nationales portent avec
elles le poids de leur passé : des statuts et des activités hérités de l’histoire. Une low cost peut, par exemple, se contenter de prendre des avions
en leasing plutôt que de les acheter.
De même, le cargo, traditionnellement intégré aux compagnies d’envergure, peine à trouver sa place aux
côtés des activités passagers, face aux
spécialistes de la logistique tels DHL,
Fedex ou UPS. Aujourd’hui, il faut
être le meilleur sur son segment. Faire
les investissements nécessaires pour
être bon partout devient de plus en
plus difficile.
Quelle est alors la solution pour
les pavillons nationaux ?
Si la compagnie aérienne reste sur
un modèle intégré, elle risque d’être
perdante. La seule issue, c’est d’évo-
luer vers un modèle de multi-spécialiste, avec, pour chaque activité,
une offre ad hoc et des structures de
coûts adaptées. La première major
européenne à l’avoir compris est
Lufthansa. Elle a décliné avec succès ses activités, un peu sur le modèle de la Deutsche Bahn. Air
France-KLM prend le même chemin
avec Hop ! et ses navettes express
pour le court-courrier,Transavia pour
le moyen-courrier de loisirs à bas
coûts, et des offres moyen long-courrier plus classiques, visant prioritairement les passagers à haute contribution. Cela suppose une gestion
davantage décentralisée. Mais cela
ne se fait pas sans mal, comme en témoignent les grèves, y compris chez
nos voisins allemands.
N’y a-t-il pas un risque de dilution
de la marque ?
Il existe un risque réel de brouiller
l’image. Toute la difficulté consiste à
maintenir une marque ombrelle forte
qui fédère toutes les offres.Il faut aussi
être capable de les intégrer pour
qu’elles restent cohérentes du point
de vue du consommateur. Celui-ci
doit pouvoir, par exemple, utiliser ses
miles d’une offre à l’autre, puisque
c’est le même groupe. Dans un aéroport, il doit aussi être en mesure de
profiter des correspondances entre
les différentes offres. Il faut créer des
passerelles, pour les clients, à travers
le personnel et le système informatique. Ce n’est pas si simple.
PRESTIGE. La nouvelle suite La Première, qui équipera à terme ses dix-neuf B 777-300, doit permettre à
la compagnie française de rivaliser avec celles du Golfe.
Comment financer une telle stratégie de multi-spécialiste quand
les compagnies dégagent si peu
de marge, voire enregistrent des
pertes ?
Pour mettre en place un plan d’adaptation des structures, il faut avoir de
l’argent, c’est le paradoxe ! Une des
pistes est d’utiliser le cash généré par
des activités rentables,mais sans grand
potentiel, pour financer celles qui nécessitent des investissements, mais offrent des perspectives intéressantes :
par exemple, investir les bénéfices du
court-courrier dans la montée en
gamme sur le long-courrier. Le message n’est certes pas facile à faire passer auprès des troupes… Mais c’est
indispensable. Sinon, un jour, les Asiatiques ou les Moyen-Orientaux apporteront l’argent nécessaire et mettront la main sur nos compagnies.
D’autant qu’ils n’ont pas une exigence de retour sur investissement rapide, étant plutôt dans
une logique d’investissement
géopolitique. On le voit
avec les prises de participation d’Etihad.
C’est un vrai danger, selon vous ?
On ne peut pas prétendre être une
grande puissance mondiale sans un
système de transport aérien digne de
ce nom. En France, le tandem Air
France/Aéroports de Paris constitue,
à mon sens, l’un des fers de lance de
la « Maison France », au même titre
que la dissuasion nucléaire ou l’accès
à l’espace. Il faut des « legacy » puissantes. C’est une question d’image
pour le pays, mais aussi d’efficacité
politique et économique. Si, demain,
un investisseur étranger prend le
contrôle d’une compagnie nationale,
la nation concernée perdra un instrument de souveraineté. Son hub national deviendra un hub parmi d’autres
au sein d’un réseau. Et, si l’actionnaire, pour augmenter la rentabilité,
souhaite couper des lignes ou réduire
les fréquences, il le fera sans état
d’âme.
Que peuvent faire les pouvoirs
publics ?
Lorsque l’État est encore présent au
capital d’une compagnie aérienne nationale, il doit jouer pleinement son
rôle d’actionnaire et ce, dans l’intérêt du pays. S’il n’est plus au capital,
sa posture est délicate car, en cas d’interventionnisme trop voyant, il prend
le risque d’être accusé de distorsion
de concurrence, voire de protectionnisme. Et s’expose alors à des mesures
de rétorsion,comme
celles prises par la
Chine sur les commandes Airbus après l’affaire de la taxe carbone en
Europe. Il ne faut pas oublier que le secteur aérien est,
depuis trente ans, en pleine
déréglementation. La survie
des compagnies relève, avant
tout, de la responsabilité des directions d’entreprises qui
doivent adopter la bonne stratégie. PROXIMITÉ. Filiale court et moyen-courrier d’Air France,
Hop !, créée en mars 2013, décolle vers 129 destinations.
juin - juillet 2014 / www.lexpress.fr
BRANDIMAGES
DÉCRYPTAGE AVEC STÉPHANE ALBERNHE
MICHAEL LINDNER/AF
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56 /
LES BATAILLES DU CIEL
Les bonnes recettes
d’Air Caraïbes
La compagnie spécialiste des Antilles, qui vient
de fêter ses dix ans d’existence, affiche d’excellents
résultats sur un marché pourtant très disputé.
C
’est la plus discrète des
compagnies aériennes
françaises. C’est aussi la
plus rentable. Air Caraïbes, n°2 du transport
entre la métropole et les
Antilles, avec près de 30 % de parts
de marché, affiche une belle santé
financière – 8,8 millions d’euros de
bénéfices en 2013, soit 30 % de plus
qu’en 2012 – alors que ses rivaux
continuent de perdre de l’argent. Un
exploit sur ce marché ultra-concurrentiel, où la guerre fait rage entre
le leader Air France, l’historique Corsair et le dernier venu, XL Airways.
Et un parcours sans faute pour la
spécialiste des îles – propriété du
groupe familial vendéen Dubreuil –
née en 2000, de la fusion d’Air Guadeloupe, Air Martinique, Air SaintMartin et Air Saint-Barth. Depuis
sa renaissance, en 2003, sous le nom
d’Air Caraïbes, et dans le giron du
groupe Dubreuil, elle a multiplié ses
ventes par 8,5.
FLOTTE. La compagnie s'est dotée
d’Airbus A330-300 peu énergivores.
Le groupe a su saisir
sa chance
Sa résistance, Air Caraïbes la doit à
une stratégie claire, un réseau ramassé, une flotte homogène et un
pragmatisme à toute épreuve. « C’est
la somme de tous nos efforts qui ex-
AIRBUS SAS 2006/H. GOUSSÉ
IDENTITÉ. Jean-Paul Dubreuil,
propriétaire de la compagnie (au centre),
a misé sur un personnel local.
www.lexpress.fr / juin - juillet 2014
plique notre succès », analyse Marc
Rochet, président du directoire de la
compagnie, devenue la référence en
Guadeloupe et en Martinique. Son
réseau ? Limité à quelques lignes
– Pointe-à-Pitre, Fort-de-France,
Cayenne, Port au Prince, Saint-Martin et Saint-Domingue – correspondant à la réalité du marché. Pas question, en effet, de multiplier les
destinations exotiques pour éblouir
la galerie. Ce n’est pas le genre de
la maison. En revanche, le groupe a
su saisir sa chance : lorsqu’en 2003,
Marc Rochet, un ancien d’AOM, suggère de se lancer dans la desserte des
Antilles, après le désengagement
d’Air Lib, Jean-Paul Dubreuil n’hésite pas. D’autant qu’avec plus de
3 millions de passagers par an, ces
routes sont porteuses.
Une fois le marché identifié, Marc
Rochet n’a eu de cesse de choisir les
avions les mieux configurés pour le
trafic. « Le choix de la flotte est fondamental. Si vous utilisez de trop
gros porteurs, vous faites plaisir aux
pilotes mais vous perdez de l’argent »,
plaide-t-il. Surtout qu’avec la flambée des prix du carburant, la facture
s’envole vite. Doté de A330-300,
moins énergivores, le transporteur a
poussé son avantage.
Une grande capacité
d’adaptation
Pour autant, Air Caraïbes commet,
elle aussi, des erreurs. Mais elle sait
les corriger à temps. En utilisant des
jets Embraer sur les lignes régionales
(intra-îles), la compagnie a accusé
ses premières (et uniques) pertes, en
2011.Avant de simplifier très vite ce
réseau et d’y affecter des turboréacteurs, moins coûteux à l’exploitation.
Même retour en arrière pour la desserte, non rentable, de Saint-Martin
depuis Paris. Plus saisonnière que
prévue, elle a vu le nombre de ses
liaisons diminuer et est revenue à
l’équilibre.
Dans cette adaptation permanente
des programmes et des coûts, il
n’existe aucun tabou. Ainsi, en avril
2012, la compagnie a signé un accord
de partage de codes avec sa concur-
rente directe, Corsair, afin de remplir ses avions en période creuse et
de gagner des passagers au détriment
d’Air France. Un succès, puisque cette
dernière a vu ses parts de marché
chuter de 50 à 43 % tandis qu’Air
Caraïbes affiche un taux de remplissage de 93 % !
Même l’arrivée de XL Airways, en
décembre 2012, n’a pas réussi à la
faire vaciller. Certes, face à cette nou-
Réinvestir les bénéfices
plutôt qu'engranger
les dividendes
velle offre low cost – 399 euros, voire
359 aller-retour pour un Paris Pointeà-Pitre ! – elle a dû, comme Air France
et Corsair, aligner bien des fois ses
prix sur ceux du trublion du ciel. Mais,
assure le patron, « ces baisses, pratiquées hors saison, sont compensées
par un afflux de passagers ». La compagnie profite aussi de son identité
antillaise assumée: ses 270 salariés
sont, aux deux tiers, originaires des
îles et son siège social basé en Guadeloupe.
Air Caraïbes peut-elle continuer sur
sa lancée ? Marc Rochet croit pouvoir prendre encore de l’avance, avec
la commande, en décembre dernier,
de six A350. Ces appareils, livrés entre 2016 et 2022, pourraient lui donner un avantage compétitif, grâce à
une consommation de carburant minorée de 20 à 25 %. « Lorsque nos
concurrents remplaceront leur flotte,
nous serons déjà loin », affirme-t-il, se
félicitant de la sagesse de son actionnaire, plus enclin à réinvestir les
bénéfices qu’à engranger les dividendes.
Cet optimisme ne lui monte pourtant pas à la tête. Tout juste ce fin
connaisseur du secteur s’autoriset-il à évoquer le développement de
l’offre sur Saint-Domingue et l’ouverture d’une desserte vers Cuba.Air
Caraïbes est une petite compagnie
et compte bien le rester. C’est là tout
son secret… juin - juillet 2014 / www.lexpress.fr
AIRBUS SAS 2006/H. GOUSSÉ
Par Corinne Scemama
58 /
LES BATAILLES DU CIEL
L’EXPRESS / 59
L’étoile du
star business
rait à celui du carburant : 200 000 dollars, soit 0,3 % du coût de la fusée. La
clef de l’aventure martienne.
Les prochains lanceurs de la firme,
les Falcon Heavy, pourront, dès 2017,
emporter des astronautes vers la station spatiale, mais le promoteur de
l’espace pour tous les destine déjà à
la planète rouge. Elon Musk a assuré
à la presse que deux voyages suffiraient pour y installer une machine
fabriquant des engrais à partir d’azote,
de dioxyde de carbone et de la glace
souterraine présente sur Mars ; cela
à l’usage d’une colonie de 80 000 habitants logés sous d’énormes coupoles translucides. Il prévoit d’abord
l’envoi d’une dizaine d’éclaireurs,
pour un prix de 500 000 dollars par
passager…
Il a convaincu la Nasa d’utiliser ses lanceurs
et vient ébranler la tranquille domination du leader
Arianespace, en proposant aux opérateurs de
satellites des tirs à prix cassés. L’entrepreneur
Elon Musk croit encore à la conquête spatiale
et rêve d’installer une colonie sur Mars.
chacun ses mythes. Les ciété de transport spatial la plus comRusses érigent des sta- pétitive au monde, créée en 2002 : astues à Laïka, la petite surer, tout simplement, « l’accès fiachienne embarquée ble et bon marché à l’espace ».
dans leur deuxième Banaliser, démocratiser le cosmos
Spoutnik, en 1957. Les pour vraiment le conquérir, et pas
Américains exposent des tenues d’as- seulement en tant que convoyeur low
tronautes et des pierres de Lune dans cost de satellites à placer en orbite.
leurs musées. Elon Musk, patron de Car Musk, 43 ans cet été, n’a jamais
Space Exploration Technologies caché son ambition principale :
(SpaceX), remporte, lui, la palme de « transformer l’humanité en espèce
l’originalité. À l’entrée du siège so- interplanétaire ». Dix ans que l’icône
cial de sa société, à Hawthorne, près du renouveau scientifique américain
de Los Angeles, le dernier gros opé- – successeur désigné des Steve Jobs
rateur privé engagé dans la conquête et autres Bill Gates – prône la créade l’espace a choisi d’exposer une tion de colonies sur Mars pour perautre relique poignante : une superbe mettre aux Terriens de fuir leur plaroue de gruyère d’une dizaine de ki- nète vouée au désastre. Face à ces
los, revenue saine et sauve, le 29 dé- projets, Wall Street, comme le gotha
cembre 2010, de deux révolutions technologique, hésite toujours entre l’admiration
autour de la Terre.
et l’inquiétude
À l’époque, Musk
« Transformer
pour la santé
jouait son avenir
dans un vol de dél’humanité en espèce mentale de ce
play-boy étranmonstration pour
interplanétaire »
gement tacila Nasa, son client
turne, père de
potentiel. Mais, en
passant devant une fromagerie proche cinq enfants et divorcé – après treize
de son palais de Beverly Hills, le tru- mois de mariage – de sa deuxième
blion du techno-business n’a pu ré- épouse, l’actrice britannique Talulah
sister à l’envie de faire un clin d’œil Riley. Mais un coup d’œil au parcours
aux hiérarques de l’establishment terrestre de ce Canadien d’origine
spatial. Une « charge utile » qui re- sud-africaine, doublement diplômé
flétait parfaitement le credo de sa so- en physique théorique et en business
À
www.lexpress.fr / juin - juillet 2014
OFFENSIF. Avec son vaisseau Dragon V2, Elon Musk,
PDG de SpaceX, redonne aux Américains les moyens
de rejoindre l’ISS sans recourir aux Soyouz russes.
de la prestigieuse Upenn University
de Pennsylvanie, confirme au moins
son sens des affaires.
SpaceX a gardé une culture
de start-up de la Silicon Valley
À 25 ans,lorsque ses copains étudiants
cherchent les adresses d’employeurs
potentiels, ce surdoué liste – comme
autant de débouchés – les trois besoins majeurs, à ses yeux, du genre
humain. D’abord, le développement
de l’Internet. Programmeur de génie,
Musk abandonne l’université de Stanford deux jours après le début des
cours, pour rallier la Silicon Valley,
puis fonder, en 1998, un système de
paiement en ligne, PayPal, qu’il revend quatre ans plus tard 1,5 milliard
de dollars à eBay. Autre besoin : la
préservation des ressources naturelles.
Sa firme SolarCity, lancée en 2006,
est aujourd’hui n°1 du panneau solaire grand public en Californie, et
Tesla, son fleuron, installé à Palo Alto,
s’est imposé comme le leader incontesté de la voiture électrique.
Restait la conquête de l’espace. Le
25 mai 2012, nanti d’un contrat de
sous-traitance de 1,6 milliard pour
douze lancements commandités par
la Nasa, Elon Musk, figé par l’émotion, assiste – via un écran géant au
siège de Hawthorne – à l’arrimage de
sa capsule Dragon à la Station spatiale internationale (ISS). Jusqu’alors,
seules les agences spatiales américaine, européenne, russe et japonaise
ont fait ce voyage. SpaceX, quelque
part sur l’orbite terrestre, vient d’entrer dans un univers parallèle, resté
longtemps l’apanage d’États souverains dotés de moyens pharaoniques.
Un honneur mérité. Dans un rapport,
la Nasa confirmait elle-même que
son sous-traitant pouvait développer
un lanceur pour un budget – 300 millions de dollars – de moitié inférieur
à ce qui se fait sur le marché.
Le miracle s’explique simplement.
Malgré ses 3 000 ingénieurs et techniciens et son hall de montage gigantesque, SpaceX a gardé une culture
de start-up. Et s’est donc préservée
des pesanteurs bureaucratiques d’une
industrie d’État. Le bar à yaourts et
MARIO ANZUONI/REUTERS
De notre correspondant aux États-Unis, Philippe Coste
les tables de ping-pong comptent
pourtant moins que la rapidité des
décisions, la souplesse du management, et, surtout, l’obsession de la réduction des coûts, sertie dans l’ADN
de la maison.
Les similitudes entre les différentes
versions de fusées baptisées Falcon
– bâties avec des éléments disponibles sur le marché – autorisent les
économies d’échelle ; leur simplicité
rustique, à l’instar d’increvables
« Volkswagen de l’espace », réduit
aussi les frais de développement.
Mieux : la firme mise toute sa recherche sur un lanceur réutilisable.
Musk est en effet horrifié par le gâchis actuel, qui exige qu’à chaque lancement, on laisse chuter et brûler
dans l’atmosphère des appareils d’une
valeur de 60 millions de dollars.
Comme la fusée de Tintin, son prototype, Grasshopper – « sauterelle » –,
est déjà capable d’atterrir en position
verticale après des bonds de 325 mètres. S’il pouvait un jour revenir intact du firmament et repartir illico, le
prix d’une mission spatiale se rédui-
Un lanceur très compétitif
En attendant, Musk a réussi son premier pari : le 3 décembre 2013, son
lanceur Falcon a placé en orbite géostationnaire un satellite de télécommunications de l’opérateur SES.
Après un nouveau succès en janvier,
puis des reports dus à des soucis techniques, les tirs ont repris au printemps et vont se poursuivre cet été.
De quoi mettre le leader du secteur,
l’européen Arianespace, sous forte
pression. Son nouvel objectif ? Être
capable de baisser la facture de ses
lancements à 70 millions d’euros pour
se rapprocher de SpaceX qui affiche
un prix cassé de 60 millions. C’est
tout l’enjeu du développement de la
future Ariane VI, qui doit être décidé en décembre prochain par les
ministres des pays membres de
l’ESA. Mais la bataille est inégale :
Arianespace est une société de commercialisation, qui doit compter avec
une vingtaine d’actionnaires, quand
SpaceX, détenue par son fondateur
milliardaire, intègre la conception, la
fabrication et les tirs. Last but not
least, communicant chevronné, Elon
Musk sait occuper l’espace, dans tous
les sens du terme : il joue ainsi son
propre rôle dans une scène d’Iron
Man 2, un film dont il a aussi inspiré
le personnage principal, mi-savant,
mi-superhéros. juin - juillet 2014 / www.lexpress.fr
L’EXPRESS / 61
Les nouvelles frontières
INVENTER
LE VOYAGE
DU FUTUR
Industries centenaires, l'aviation et le spatial n'ont pas
fini de nous faire rêver. Dans les années à venir, elles
devront encore innover pour répondre à de nouvelles
aspirations : l'avion sans pilote, tout électrique ou
encore l'envolée vers les étoiles, à la portée de tous.
Par Thierry Dubois
POLYVALENTE. Destinée à réaliser des expériences
en apesanteur, la station spatiale internationale
sert également à préparer les futurs vols habités.
NASA 2010
V
oyager à bord
d’avions de ligne parfaitement silencieux, relier Paris et Sidney en
quelques heures, passer ses vacances
sur la Lune… Si l'industrie aérospatiale et le grand public ont délaissé
ces utopies d’un autre temps, de nouveaux progrès et des innovations ma-
jeures sont à portée de main. Principal élément sur lequel les ingénieurs
travaillent pour rendre l’avion plus
écologique : la propulsion qu’ils imaginent électrique à l'horizon 2040.
L'idée ? Répartir une rangée de petites soufflantes sur la voilure pour
une meilleure aérodynamique. Un
projet en partie réaliste puisque l’on
sait miniaturiser et multiplier les moteurs électriques tout en restant dans
un coût abordable. Mais les batteries
restent encore un facteur limitant. En
effet, elles renferment bien moins
d’énergie, par kilogramme, que le kérosène. L’avion électrique sera donc
vraisemblablement hybride avec,
par exemple, une turbine à gaz juin - juillet 2014 / www.lexpress.fr
62 /
LES NOUVELLES FRONTIÈRES
conventionnel pour générer l’électricité. En fonctionnant à régime
constant, elle consommerait beaucoup moins que les turboréacteurs
d’aujourd’hui.
Une telle architecture, mixte, nécessite l’utilisation de câbles électriques
capables de transmettre, sans perte,
des puissances importantes. Les ingénieurs devront donc utiliser la supraconductivité, une technologie découverte fortuitement en 1911, que
les physiciens et chercheurs peinent
à faire sortir des laboratoires et, plus
encore, à embarquer.Vraisemblablement « plus vert », l'avion des années
2040-2050 ne sera pas complètement
silencieux, les soufflantes et la turbine
étant des sources de bruit non négligeables. Une étape intermédiaire
consistera alors à « électrifier » des
systèmes autres que les moteurs,
comme le conditionnement d'air, le
mouvement des gouvernes, les freins
du train d’atterrissage… aujourd'hui,
propulseur à hélices rapides sont
mieux maîtrisées qu’il y a trente ans,
lors des premiers essais. Ainsi, en
termes de nuisances sonores, de nouvelles estimations et tests partiels
s’avèrent très encourageants. Ce propulseur, autrefois qualifié « d’épouvantable », répondrait désormais aux
normes en vigueur.
Environnement et sécurité,
deux défis pour l’aérien
Une autre piste pour réduire le bilan carbone de l’aérien réside dans
l’emploi d’agrocarburants. Ceux-ci
ont démontré plus rapidement que
prévu leur acceptabilité technique :
les moteurs fonctionnent aussi bien,
si ce n’est mieux, qu’avec le kérosène
Jet-A1 issu du pétrole. Seule ombre
au tableau, le retour sur investissement, très long pour les producteurs
d’agrocarburants. Ce qui constitue un
frein important pour le développement de la filière.
Électrique, végétal… et pourquoi pas solaire ? Concept fuMiser sur la puissance
turiste, le Solar Impulse se
électrique
veut un aperçu de ce qu’il est
possible de réaliser en s’aphydrauliques ou pneumatiques. Pas- puyant sur les technologies de 2014.
ser à la puissance électrique permet Certes, l’espoir de voir un jour un
de simplifier ces systèmes et de ga- avion de transport voler uniquement
gner à la fois en masse et en consom- alimenté par ses cellules photovoltaïques est mince. Néanmoins, avec
mation globale.
Quant à la réduction de l'empreinte son tour du monde en étapes, prévu
écologique, elle pourrait passer par en 2015, Solar Impulse veut pourle retour à l’hélice. Pas au modèle clas- suivre sa démonstration. Et prouver
sique, mais plutôt à une paire d’hé- que les matériaux composites, les molices rapides contrarotatives rempla- teurs électriques, les batteries, ou ençant la soufflante. Le générateur de core les capteurs solaires, permettent
gaz serait semblable à ceux utilisés de mettre au point un appareil que
aujourd’hui, mais le rendement de personne n’aurait imaginé dix ans aul’ensemble – appelé turbopropulseur paravant. Aujourd’hui, plusieurs inà hélices rapides ou « open rotor » – dustriels s’intéressent aux solutions
bien meilleur, les motoristes n’hési- mises en œuvre par les concepteurs
tant pas à parler d’une économie de du Solar Impulse, dont le stockage
l’ordre de 25 % en carburant.Le Fran- d’énergie.
çais Snecma, associé à plusieurs par- Avec l’environnement, la sécurité des
tenaires en Europe, prévoit l’essai au vols reste une préoccupation majeure
sol d'un tel moteur dès 2016. La dé- pour le transport aérien. Avec 173
cision de lancer un programme in- morts sur des vols réguliers en 2013,
dustriel sera probablement prise en- selon l’Organisation de l’aviation citre 2017 et 2019, pour une mise en vile internationale (OACI), la sécuservice en 2030. Les technologies né- rité a atteint un niveau extrêmement
cessaires à la fabrication d’un turbo- élevé. Rendant, paradoxalement,
www.lexpress.fr / juin - juillet 2014
chaque accident moins acceptable.
Comme lorsqu’un avion plonge dans
l’océan et que son épave reste introuvable pendant de longues semaines. De tels drames font néanmoins progresser la recherche et la
réglementation. Le crash de l’AF 447
Rio-Paris a ainsi mis en exergue la
nécessité d'améliorer encore l'interaction homme-machine. Depuis quelques années, le phénomène de givrage
des moteurs à haute altitude intrigue
aussi les chercheurs. Des cristaux de
glace frappent les aubes internes et
fondent sur leur surface, les refroidissant… jusqu’à permettre l'accumulation de givre provoquant des dysfonctionnements, voire l’extinction
du turboréacteur.
Une tradition de conquête
L’industrie spatiale n’est pas en reste.
Forte et puissante, elle crée de la valeur et génère 16 000 emplois en
France, soit 40 % des effectifs de la filière européenne. Depuis Jean-Loup
Chrétien, premier Français à partir
pour l’espace en juin 1982, en compagnie d'un équipage soviétique,d’autres spationautes se sont élancés à la
conquête de l’espace. On se souvient
de Patrick Baudry, en 1985, pour le
premier vol spatial franco-américain,
de Claudie Haigneré, en 1996, dans le
cadre d’une mission franco-russe, ou
encore, en 2002, de Philippe Perrin,
le dernier à avoir séjourné dans les
étoiles. Ces grandes coopérations internationales vont reprendre avec le
prochain départ de Thomas Pesquet
(lire interview page 79).Âgé de 36 ans,
il sera le dixième Français à s’envoler vers le firmament fin novembre
2016, pour un séjour de longue durée
à bord de la station spatiale internationale. Fort de cette capacité à envoyer des hommes vers l’espace mais
aussi d’assurer la réussite de cinquante-huit missions d’affilée par
Ariane V, ou de cartographier la voie
lactée grâce à la sonde européenne
Gaïa, construite à Toulouse par Airbus Defence & Space, la France rêve
de repousser les frontières du ciel. Et
d’ouvrir une nouvelle ère du transport aérien, par-delà l’atmosphère. 64 /
LES NOUVELLES FRONTIÈRES
L’EXPRESS / 65
Le printemps
des drones
TROIS QUESTIONS À…
EMMANUEL
DE MAISTRE
D.R.
PRÉSIDENT DE LA FÉDÉRATION
PROFESSIONNELLE
DU DRONE CIVIL (FPDC)
Par Guillaume Lecompte-Boinet
I
ls sont partout, volant en mode
isolé ou en essaim bourdonnant.
Ils sont capables de réaliser des
photos aériennes, de faire de la
cartographie, d’assurer la surveillance de lignes à haute tension ou la prévention des risques naturels. D’ici quatre à cinq ans,
Amazon prévoit de les utiliser pour
livrer des colis. Des mini-drones apparaissent même dans un spot publicitaire de Toyota dans lequel un
groupe de petits aéronefs espions, fabriqués par DJI, un constructeur de
Hong Kong, poursuit un Rav 4.
L’époque où ces engins télépilotés
étaient exclusivement voués à une
utilisation militaire semble bien révolue, même si, aujourd’hui encore,
la quasi totalité du marché reste tournée vers des applications de défense.
Avec deux pays trustant les premières
places : les États-Unis et Israël. Selon une étude parue en novembre
www.lexpress.fr / juin - juillet 2014
« Faire évoluer
la réglementation »
2013, effectuée par le cabinet américain Teal Group, les USA vont représenter entre 50 et 60 % des dépenses mondiales en matière de
drones pendant la prochaine décennie. Un marché dont la taille devrait
doubler, toujours selon Teal, d’ici à
2023. Preuve de cette suprématie
américaine, pour remplacer ses
drones de surveillance de type Male
(Moyenne altitude longue endurance), la France a été obligée d’acheter des drones Reaper fabriqués par
General Atomics, car ce type de matériel n’existe pas sur le marché français. Pas encore. Car les choses changent rapidement.
Plus de 400 opérateurs
en France
En effet, l’explosion du marché des
drones civils et commerciaux fournit aux Européens, et particulièrement aux Français, une belle occasion de contester la suprématie
américaine. Même s’il est aujourd’hui
difficile, voire impossible de chiffrer
ce marché tant il est jeune, « son potentiel de croissance est extraordinaire », confirme Frédéric Serre, président du directoire et co-fondateur
du Grenoblois Delta Drone, l’une de
DELTADRONE
De l'appareil de
surveillance au jouet
connecté, l’aéronef
sans pilote a été la star
incontestée du salon
du Bourget en 2013.
En France, des dizaines
de jeunes pousses
émergent dans
ce microsecteur
en pleine expansion.
ces nombreuses start-up du drone qui
a émergé ces dernières années. La
France a réussi à rattraper le retard
accumulé dans le domaine des drones
militaires, parce qu’elle a été l’un des
rares pays européens à se doter, dès
avril 2012, d’un cadre réglementaire
assez complet. Celui-ci prévoit quatre scénarios d’utilisation de ces machines volantes. Jusqu’alors, seuls les
Britanniques étaient aussi avancés.
Depuis, les choses ont évolué, et, en
juin 2013, à l’occasion du Salon du
Bourget, les opérateurs et fabricants
français de drones se sont dotés d’une
structure représentative, la Fédération professionnelle du drone civil
(FPDC), qui rassemble déjà plus de
250 entreprises. Pour la plupart nées
voilà à peine deux ou trois ans…
« Si la France est aussi avancée,
c’est parce que nous avons une
vieille culture aéronautique et des
ingénieurs très qualifiés. En outre,
les Français ont un penchant certain
pour la technologie, popularisée par
le Parisien Parrot et son AR.Drone »,
explique Emmanuel de Maistre. Président de la FPDC, il est également
le fondateur de RedBird, un opérateur de drones (lire interview cicontre) qui exploite notamment des
machines fabriquées par le Toulousain Delair Tech. Par ailleurs, le transfert de certaines technologies et savoir-faire militaires vers le civil
– notamment dans le domaine des
capteurs – a été encouragé par les
pouvoirs publics.
Avec plus de 400 sociétés enregistrées auprès de la Direction générale de l’aviation civile (en hausse
de plus de 350 % sur un an), la
France est le pays qui compte le plus
d’opérateurs de drones civils en Europe, selon ce chef d’entreprise tout
juste trentenaire. À titre de comparaison, l’Allemagne ou le RoyaumeUni font pâle figure avec, respectivement, quelque 200 sociétés.
Sans doute la France a-t-elle aussi
perçu les formidables applications Les drones correspondent-ils à de vrais besoins ou s’agit-il
d’une « bulle » ?
Il n’y a pas de bulle. Simplement, comparée à la rapidité de
développement à des fins ludiques et grand public, la mise en
œuvre des applications industrielles ou agricoles est plutôt
lente. Et cela malgré de véritables besoins à très grande échelle.
Mais le marché balbutie et de nombreux groupes sont encore
en phase d’expérimentation. Le drone civil bénéficie d’une
exposition médiatique anticipée par rapport à la taille actuelle
du marché, mais justifiée au regard de son potentiel.
La réglementation doit-elle évoluer ?
Oui. Si la France a pris une longueur d’avance en définissant des règles, dès avril 2012, aujourd’hui, certaines applications ne peuvent être développées pour des raisons réglementaires. C’est le cas de la surveillance industrielle des grands
réseaux d’infrastructure avec des vols sur de longues distances.
La tâche est complexe pour la DGAC (Direction générale de
l’aviation civile), qui doit étendre et favoriser les opérations
des drones tout en conservant un haut niveau de sécurité pour
les autres aéronefs habités et les tiers au sol. La FPDC a mis
en place des groupes de travail pour participer à l’évolution
de la règlementation. En particulier, nous avons fait des propositions visant élaborer, en France, un programme unifié
pour la formation des télépilotes de drones.
Comment la France peut-elle conserver son avance ?
Ne soyons pas dupes, cette avance reste fragile face aux développements en cours en Asie ou en Amérique du Nord. La
France gardera un leadership international sous trois conditions : une progression rapide et audacieuse de la réglementation; une implication forte et un « passage à l’échelle » de
la part des grands donneurs d’ordre et des financements plus
importants, publics ou privés, pour le développement technique, mais aussi commercial, des « dronistes ».
juin - juillet 2014 / www.lexpress.fr
66 /
LES NOUVELLES FRONTIÈRES
L’EXPRESS / 67
offertes par cette innovation. Photos aériennes, films publicitaires, communication au sens large représentent aujourd’hui le gros du marché
(jusqu’à 80 % des adhérents de la
FPDC travaillent dans ces secteurs).
Et ce n’est que le début. De nouvelles
applications émergent dans l’industrie. Les drones y sont utilisés pour
la surveillance de réseaux ou la thermographie des bâtiments, l’inspection de parcs photovoltaïques ou de
pipeline. Mais également dans le secteur de l’agriculture, où ils permettent d’optimiser l’irrigation ou les
épandages de pesticides.
Autre utilisation, la sécurité civile,
avec, par exemple, la prévention des
feux de forêt ou des risques naturels.
Cette professionnalisation du marché n’a pas échappé à Parrot. L’entreprise fondée en 1994 par Henri
Seydoux, au départ spécialisée dans
les smartphones et tablettes, a conçu
son premier minidrone en 2008. Un
appareil grand public vendu à
700 000 exemplaires. Convaincu de
l’avenir de ces engins, Parrot a récemment pris des participations dans
deux PME expertes dans les drones
à destination de l’industrie et de
l’agriculture de précision, Airnov et
EOS Innovation.
L’un des attraits du drone réside dans
son faible coût d’utilisation, environ
deux à trois fois moindre que celui
d’un petit hélico, selon la mission.
Avec les progrès réalisés en matière
de miniaturisation des caméras et
autres capteurs, il devient possible
de les embarquer sur des platesformes bien plus petites qu’un hélicoptère ou un avion piloté. « Les
AGRICULTURE. Les drones
permettent, entre autres,
d'optimiser l'irrigation des terres.
avec le pôle de compétitivité grenoblois Minalogic, expert en microélectronique, elle a développé un
drone et un capteur permettant de
retrouver une personne ensevelie
sous la neige. Spécialisée dans les
drones destinés aux secteurs industriels, agricoles ou minier, elle a déjà
produit une soixantaine d’engins. Elle
emploie une trentaine d’ingénieurs
et réalise un chiffre d’affaires de
1,4 million d’euros.
Un faible coût d'utilisation
Autre exemple, celui du fabricant
Fly-n-Sense. Créé en 2008 par Christophe Mazel, basé à Mérignac, il a
également bénéficié de sa proximité
avec le pôle Aerospace Valley et de
son installation dans la pépinière
technologique Bordeaux Technowest. « Cela a joué le rôle de catalyseur », confirme David Carcenat, responsable marketing-commercial.
Pendant quatre ans, Flyn-Sense s’attache à déUn rôle complémentaire
velopper une solution
par rapport au satellite
globale, allant du drone
à la chaîne de traiteou à un avion piloté
ment de l’information
drones civils vont devenir straté- en passant par les caméras embargiques, et seront à l’aéronautique ce quées. Un concept gagnant qui a déjà
que le téléphone mobile a été à l’in- séduit les pompiers des Landes (prédustrie des Télécoms », prédit Fré- vention de la propagation des feux),
déric Serre. Sa société, Delta Drone la garde nationale du Portugal (gesa surfé sur cette vague au bon mo- tion du trafic routier et des accidents),
ment, en 2012. Grâce à sa proximité ainsi qu’une société d’autoroute pour
www.lexpress.fr / juin - juillet 2014
effectuer des inspections visuelles.
Mais les retombées commerciales restent encore modestes : cette année, la
société bordelaise table sur un chiffre d’affaires de 1 million d’euros.
Les drones civils ne sont effectivement pas une panacée. « Ils jouent
un rôle complémentaire par rapport
au satellite ou à un aéronef piloté »,
estime Frédéric Serre. Ainsi, pour
cartographier de très grandes parcelles agricoles ou optimiser les épandages, le satellite reste encore le
moyen le plus adapté. C’est le cas
pour 80 à 90 % des missions. Le drone
intervenant pour combler les « trous »
laissés par le satellite, gêné quand il
y a des nuages, par exemple. Car il
présente de nombreux avantages :
une altitude de vol peu élevée, à 50
ou 100 mètres du sol, et son coût, très
économique (l’heure de vol d’un
drone Male est d’environ 10 000 à
15 000 euros contre 20 000 à 40 000 euros pour un satellite).
Un problème de poids
Si l’avenir de cet engin semble tout
tracé, quelques défis restent à surmonter. Le premier,de poids,concerne
les charges utiles, jugées trop faibles.
En effet, les besoins exponentiels du
marché supposent d’embarquer de
plus en plus de capteurs et des batteries plus grandes, donc plus lourdes.
Or, la réglementation de 2012 a limité à 2 kilos le poids total des drones
DELTA DRONE
autorisés à voler hors de la vue du télé
pilote. La performance des batteries
devra également être améliorée, pour
permettre d’effectuer des missions de
longue durée, nécessitant d’augmenter l’autonomie. « Nous travaillons actuellement sur ce sujet avec la Direction générale de l’aviation civile
(DGAC), confirme Emmanuel de
Maistre. Certains clients, comme la
SNCF ou GRTgaz, nous y poussent. »
Autre sujet, sensible, celui de la formation des télépilotes.Actuellement,
elle est identique à celle encadrant
les ULM. Or la communauté des
« dronistes » réclame fermement une
formation initiale plus adaptée à leur
activité, avec un manuel spécifique
et des centres de formation agréés
par la DGAC.
Ces sujets ne sont pas neutres. En effet, les Américains affichent de fortes
ambitions sur ce marché. Le Congrès
vient de fixer une « Roadmap » visant
à ouvrir l’espace aérien américain
aux drones civils et commerciaux d’ici
à 2015. Une expérimentation sur six
sites pilotes est en cours. En l’espace
de quinze jours, ce printemps, Facebook, puis Google, ont racheté des
fabricants de drones. Le groupe de
Les États-Unis
dans les startingblocks
Mark Zuckerberg a mis la main sur
l’entreprise britannique Ascenta, spécialisée dans les avions solaires capables de parcourir de longues distances. Tandis que Titan Aerospace,
une petite entreprise d’une vingtaine
de salariés, spécialisée dans la production de drones atmosphériques,
est tombée dans l’escarcelle du géant
d’Internet.
Autrement dit, les Américains s’im-
patientent. De leur côté, les Européens étudient l’intégration des
drones civils dans leur espace aérien
depuis 2009. Mais la feuille de route
de la Commission ne prévoit pas
l’aboutissement de ce projet avant
2016-2019, le temps de réaliser les essais avec des démonstrateurs, et de
transposer la future réglementation
dans les différents pays membres. Or,
selon un rapport réalisé en 2013 par
l’Association internationale des fabricants de drones (Auvsi), l’industrie américaine, forte de son savoirfaire en matière militaire, n’hésitera
pas à inonder le marché mondial avec
des machines civiles. Ce secteur pourrait générer plus de 100 000 nouveaux
emplois, et un volume d’affaires de
82 milliards de dollars entre 2015 et
2025, notamment grâce à l’export. Il
n’y a pas de temps à perdre et, les Européens, les Français en premier lieu,
ont intérêt à se tenir prêts. LES NOUVELLES FRONTIÈRES
Le défi du
tout électrique
Les avionneurs consacrent beaucoup d’énergie
à concevoir des appareils toujours plus verts.
Ils se heurtent encore à un écueil :
l’électrification de la propulsion.
Par Guillaume Lecompte-Boinet
S
ouvenez-vous. En janvier
2013, un Boeing 787 de
la compagnie All Nippon
Airways (ANA) doit se
poser en catastrophe
pour cause de surchauffe
de ses batteries lithium-ion.Tous les
787 en service restent cloués au sol
pendant environ trois mois. Composé
à 50 % de fibres de carbone, le 787 a
la particularité d’embarquer la puissance électrique la plus importante
de toute l’histoire de l’aviation commerciale, soit plus de 1,4 mégawatts.
De quoi alimenter plus de 400 foyers,
selon Boeing. Un an après ces événements, en janvier dernier, nouvel
incident sur une batterie d’un 787 de
Japan Airlines (JAL).
Réduire les coûts
d’exploitation
L’électrification croissante des avions
de ligne n’est pas sans poser des problèmes de maturité. En un peu plus
d’un demi siècle, la puissance embarquée a été multipliée par environ
50. Si les ingénieurs ont accompagné
ce mouvement, ce n’est pas pour le
plaisir d’innover, mais bien parce que
l’électrification présente de nombreux avantages. En remplaçant certains des réseaux hydrauliques ou
pneumatiques complexes, avec leur
tuyauterie, leur système de pompes
et de valves, et leurs fluides, elle permet d’alléger le poids des appareils.
www.lexpress.fr / juin - juillet 2014
« Le grand intérêt de l’électrification,
c’est à la fois un gain de masse, et une
réduction de coût grâce à une maintenance plus simple », explique Alain
Sauret, PDG de Safran Power, nouvelle structure rassemblant toutes les
activités électriques de Safran. Selon lui, le gain de masse, à fonction
identique, peut atteindre entre 10 et
20 % au bas mot. Rien d’étonnant,
donc, si les avionneurs s’intéressent
tous à l’électrification. Avec l’augmentation des besoins pour le confort
des passagers (divertissement, tablettes, etc.), « les avions modernes
sont plus gourmands en électricité »,
constate Jean Hermetz, directeur adjoint du département conception et
évaluation des performances des systèmes à l’Office national de recherche
aéronautique (Onera). L’organisme
travaille, entre autres, sur certains aspects de l’électrification, comme la
compatibilité électro-magnétique ou
le comportement des systèmes en cas
de foudroiement.
Offrir plus de souplesse
Airbus, avec l’aide de Safran, a fait
sauter un verrou en décidant d’électrifier l’inverseur de poussée de
l’A380, une pièce mobile servant lors
de l’atterrissage. L’appareil dispose
ainsi d’une puissance embarquée environ trois fois supérieure à celle de
l’A330. De son côté, avec le 787,
Boeing a réussi une nouvelle rupture
L’EXPRESS / 69
INNOVATION. Développé par Safran,
le « Green Taxiing » permettra d’économiser
du carburant et de réduire les émissions de CO2
lors des opérations au sol.
en supprimant le prélèvement d’air
chaud sur les moteurs, utilisé pour
faire fonctionner des sous-systèmes,
et en le remplaçant par des générateurs électriques. Moins sollicités, les
moteurs peuvent délivrer davantage
de puissance, ou consommer moins,
selon les besoins du vol. C’est l’un
des autres avantages de la « fée » électricité : elle offre plus de souplesse
en réaffectant la puissance dédiée
d’un système vers un autre pendant
le vol. Grâce à cette innovation,
« nous pouvons faire entre 2 et 3 %
d’économies de carburant », indiquet-on chez Boeing. En revanche, ce
choix stratégique a obligé l’avionneur à prendre quelques risques. Le
787, transformé en petite centrale
électrique, embarque plus de batteries et deux soutes d’équipements
électriques au lieu d’une sur les autres Boeing. Le constructeur de Seattle a aussi opté pour des batteries
dernier cri lithium-ion, une technologie très efficace, mais encore peu
éprouvée dans l’aéronautique.
Dépasser les contraintes
« L’un des défis de l’électrification
est d’être en mesure de gérer plus de
puissance dans un environnement
contraint », rappelle Yannick Assouad, directrice générale de la
branche Aircraft Systems de Zodiac
Aerospace, le leader mondial de la
distribution électrique. « Nous travaillons donc à augmenter les voltages sans pertes électriques, sans
augmenter la masse, et ce, en toute
sécurité », ajoute-t-elle. Car plus
d’électricité implique aussi plus de
chaleur à évacuer. Or la révolution
de l’électrique s’est aussi accompagnée de la généralisation de la fibre
AIRBUS GROUP
68 /
de carbone dans les fuselages. Moins
conducteur que l’aluminium, ce matériau évacue moins bien la chaleur.
« Safran a beaucoup travaillé sur
l’amélioration des équipements de
puissance et sur le rayonnement thermique pour pallier ces problèmes »,
explique Alain Sauret dont le groupe
dépense, chaque année, entre 30 et
50 millions d’euros en R&D consacrés à l’électricité à bord. Autant de
contraintes qui ont conduit Airbus à
adopter une approche plus prudente
avec son appareil long courrier A350,
dernier-né de sa gamme. Contrairement à son rival Boeing, le constructeur européen n’a pas souhaité supprimer le prélèvement d’air des
moteurs et a conservé des systèmes
hydrauliques. De cette sorte, la puissance embarquée à bord est environ
deux fois inférieure à celle du 787.
L’avenir dira rapidement si Airbus a
fait le bon choix puisque l’A350 doit
entrer en service à la fin de cette année. Autre système d’avenir développé par Safran : le « Green Taxiing ».
Cet astucieux procédé consiste à
équiper le train principal avant d’un
avion d’un moteur électrique permettant de tracter l’appareil jusqu’à
son point de décollage. Sans, pour
autant, utiliser les réacteurs. Le gain
en carburant se situe entre 3 et 4 %,
estime Safran qui étudie deux autres
chantiers d’électrification : la rentrée
des trains d’atterrissage, très boulimique en énergie, et l’actionnement
des volets.
Un appareil capable de
transporter 60 à 80 passagers
Rêve ultime : voler avec une propulsion 100 % électrique. Pour le
réaliser, Airbus Group développe
l’E-Fan, un avion léger avec lequel
il a effectué plusieurs vols d’essais.
Le 25 avril, le groupe européen a
lancé la production en série de cet
avion à propulsion électrique, d’une
puissance de 100 kilowatts. « Nous
sommes encore dans la courbe d’apprentissage dans ce type de technologies et l’E-Fan est une étape pri-
mordiale », explique Jean Botti, directeur général de la division R&T.
Pour progresser, Airbus Group se
dotera, dès 2015, d’un banc d’essai
sur son site allemand d’Ottobrunn.
Le groupe veut ainsi passer du kilowatt-heure au mégawatt en utilisant,
notamment, de nouvelles batteries,
au sodium ou au lithium-air. Le défi :
aboutir à un appareil capable de
transporter 60 à 80 passagers. « Cela
passera sans doute, un jour, par la
propulsion hybride au travers d’une
turbine classique à base de pétrole »,
ajoute Jean Botti.
Airbus Group n’est pas le seul à
s’aventurer dans le tout électrique.
L’Onera étudie un projet de petit
avion d’affaires en s’appuyant sur le
principe de la propulsion répartie :
« Au lieu d’avoir deux gros moteurs,
on répartit la poussée avec plusieurs
petits moteurs électriques intégrés
dans le fuselage et les ailes », explique
Jean Hermetz, directeur adjoint à
l’Onera. Les chercheurs se donnent
de quinze à vingt ans pour aboutir. juin - juillet 2014 / www.lexpress.fr
70 /
LES NOUVELLES FRONTIÈRES
L’EXPRESS / 71
SPACE SHIP TWO. Le projet de Virgin
est aujourd’hui le plus abouti avec
un premier vol prévu à la fin de cette année.
Demain, le mythe
pourrait devenir réalité.
En mariant progrès
technologiques,
financements privés
et un goût certain
de l’aventure,
une poignée de sociétés
tentent de mettre
le « vol suborbital »
à la portée
du (riche) quidam.
Par Bruno D. Cot
www.lexpress.fr / juin - juillet 2014
L
ady Gaga aurait promis
d’y interpréter, en direct,
son tube du moment.
Peut-être sera-t-elle écoutée par Tom Hanks, Angelina Jolie, Brad Pitt, Justin Bieber ou encore Paris Hilton ?
Avant même son inauguration, le
« spot » s’impose déjà comme le rendez-vous incontournable de la jetset. De quoi parle-t-on ? D’une nouvelle boîte de nuit ou d’un nouveau
restaurant branché ? Ni l’un ni l’autre. Mais d’un emplacement encore
indéterminé, situé sur aucun continent, au milieu d’aucune mer, mais
quelque part au-dessus de nos têtes,
dans le firmament, à une centaine de
kilomètres d’altitude ! Ce vieux rêve
de terrien – apercevoir la courbure
de notre planète et frôler le vide sidéral, tout en évoluant en apesanteur – est en passe de devenir réalité.
Même si le tourisme spatial, vu le
prix du billet – 250 000 dollars au bas
mot – devrait demeurer, dans un premier temps, l’apanage de stars et autres quidams fortunés.
Aujourd’hui, une dizaine d’équipes
concourent à ce projet fou. La plus
connue, celle du Britannique Richard
Branson, a conçu un curieux vaisseau
baptisé Space Ship Two.Voilà presque
dix ans qu’associée au génial ingénieur Burt Rutan, la Spaceship Company de Branson a remporté le fameux Ansar X Prize récompensant
la première société capable de faire
voler un véhicule habité à 100 kilomètres d’altitude, et ce, à deux re-
MARK GREENBERG/VIRGIN GALECTIC
LYNX. La société Xcor fait le pari
d’une petite navette réutilisable, « capable
de s’envoler de n’importe où ».
prises. Depuis, l’entreprise, installée
dans le désert de Mojave, en Californie (États-Unis), où travaillent
près de 370 employés, multiplie les
essais pour mettre au point un engin
performant et sûr. Fin avril 2013,
Space Ship a réussi son premier test
en conditions réelles, allumant ses
moteurs pendant… 16 secondes, ce
qui l’a propulsé à 18 kilomètres de
hauteur. En septembre dernier, il a
atteint 21 kilomètres, une performance réitérée en janvier 2014.
Cinq minutes en apesanteur
pour 250 000 dollars
Pourtant, le programme a connu
moult retards et déboires, notamment un accident dans l’usine californienne d’assemblage faisant trois
morts en 2007. Le concept même ap- Belges de Booster Space Industries.
paraît complexe : Space Ship Two, Mais il leur sera difficile d’envisager
avec deux pilotes et six passagers à de décoller avant 2020. Idem pour le
son bord, doit décoller d’une piste, projet radicalement différent, d’une
emporté par un aéronef, le White- capsule réutilisable, le « New Sheknight (chevalier blanc) qui, après pard », développé par la société Blue
une première phase de vol de qua- Origin dont le patron n’est autre que
rante-cinq minutes, le largue à 15 ki- Jeff Bezos, le célèbre fondateur du
lomètres d’altitude. Le vaisseau peut site marchand Amazon.
alors allumer son moteur-fusée pour « Pour coiffer Branson sur le fil, il
filer à Mach 3 (3 700 km/h) jusqu’à faut développer un concept plus simson apogée, siple avec un seul
tuée entre 100 et
avion capable
Marquer une date
110 kilomètres
de s’envoler de
d’altitude. Làn’importe où »,
majeure de l'histoire
haut, les apprencroit Christophe
de l'aérospatiale
tis spationautes
Bonnal, de la diauront cinq mirection des lannutes pour décrocher leur ceinture ceurs du Cnes (Centre national
et éprouver l'absence de pesanteur, d’études spatiales). Et, dans cette cacomme seuls le permettent au- tégorie alternative, le champion s’apjourd'hui les vols paraboliques à bord pelle Xcor, une société créée par Jeff
de l'Airbus A300 Zéro G de la so- Greason, également située dans le
ciété Novespace. Avant de redes- désert de Mojave, en face de son
cendre sur le plancher des vaches, en concurrent direct. Ici, le vaisseau s’apsubissant de violentes décélérations. pelle Lynx et ressemble à une petite
Le tout premier vol officiel du Space navette spatiale dont l’essentiel de
Ship devrait s’effectuer d’ici à dé- la carlingue se trouve occupé par le
cembre 2014 et marquer une date réservoir et par le bloc moteur (ce
majeure de l’histoire de l’aéronau- qui réduit l’habitacle). Ce dernier est
tique. D’autres concurrents tentent réutilisable et réallumable grâce à
de copier le principe – deux vaisseaux, un système de pompe à pistons dédeux pilotes, deux moteurs – à l’ins- rivé de l’industrie automobile. Sauf
tar des Suisses de S3, associés au que, depuis le début de l’année, Xcor
Français Dassault, ou encore des a rencontré des problèmes dans juin - juillet 2014 / www.lexpress.fr
XCOR AEROSPACE MILE MASSEE
Tourisme spatial,
c’est parti !
LES NOUVELLES FRONTIÈRES
le développement de la cabine
tron de Cosmica Spacelines, une sodu Lynx. Résultat : un retard de neuf ciété qui souhaite en acheter un
mois dans le programme. À l’heure exemplaire au plus vite, pour l’opéactuelle, l’appareil se trouve en phase rer depuis la France ou l’Espagne. Et
d’assemblage. « Nous espérons at- comme pour mieux ancrer son proteindre 60 kilojet dans la réalité,
mètres d’altitude
Xcor doit présenObjectif, s'affranchir ter
lors d’un premier
cet été une mades distances
test au quatrième
quette du Lynx, à
trimestre 2014.
l’échelle 1.
Puis, commencera une campagne La dernière piste envisagée consisted’essais de six à dix-huit mois pen- rait à créer une fusée qui ressembledant laquelle nous espérons effec- rait le plus possible à un… avion clastuer entre cinquante et deux cents sique. C’est la troisième voie, celle sur
vols, avant un lancement commer- laquelle s’est engagée Airbus Defence
cial espéré à la fin de 2015 », détaille & Space, constructeur de satellites et
méthodiquement Garret Smith, pa- concepteur d’Ariane. Avec une ob-
session : assurer un niveau de sécurité maximum, aussi élevé que dans
l’aviation. Les ingénieurs cherchent
à mettre au point un vaisseau,« à peine
plus gros qu’un jet d’affaires », qui partira de n’importe quel grand aéroport
du monde avec une capacité de vols
quasi-quotidienne. Sa particularité ?
Il disposera d’un moteur dual, de type
avion classique pour les phases de décollage et d’atterrissage, et de type fusée pour la phase ascendante. « Ce
dernier aura un carburant novateur,
à base d’oxygène et de méthane liquide, qui prend moins de place à embarquer que l’hydrogène », explique
Christophe Chavagnac, chef du projet SpacePlane (c’est son nom) chez
Airbus Defence & Space.
SENSATIONS. Éprouver
les joies de l’apesanteur à bord
de l'Airbus A300 Zéro-G.
www.lexpress.fr / juin - juillet 2014
CNES/PEDOUSSAUT MANUEL, 2008
D.R.
SPACEPLANE. Airbus Defence & Space
prévoit un premier vol commercial
dans la prochaine décennie.
Voyager à 100 kilomètres
d'altitude
Autre innovation de taille, déjà brevetée, la cabine totalement dépouillée afin que les passagers puissent profiter au mieux de leurs minutes en
apesanteur. L’entreprise européenne
a déjà procédé à des essais moteurs
dans ses usines allemandes et travaille
sur l’aérodynamique : après des tests
en soufflerie, une maquette (échelle
1/4) a été larguée, il y a quelques semaines, à 4 000 mètres d’altitude depuis un hélicoptère, au large de Singapour, afin d’éprouver la carlingue
dans sa phase de vol plané. Pour autant, les responsables du projet restent assez discrets sur l’investissement
à consacrer (entre un et deux milliards
d’euros) et sur le premier vol commercial : « Il se fera dans la prochaine
décennie », concède, du bout des lèvres, Christophe Chavagnac.
Pour toutes ces entreprises, le tourisme spatial représente « l’âge des
pionniers ». Mais il n’est que la préfiguration d’une nouvelle ère du transport aérien, celle qui nous fera voyager à 100 kilomètres d’altitude,
propulsés par un moteur de fusée.Objectif : s’affranchir des distances en reliant, par exemple, Paris à Tokyo en
trois heures au lieu de douze… « Plus
vite, plus haut, plus fort », la devise
olympique de Pierre de Coubertin en
version aérospatiale. L’EXPRESS / 73
REVENANT. Dopé par des avancées technologiques,
le « fossile de l'aéronautique » fait sa réapparition.
D.R.
72 /
Le rêve du dirigeable
Les ballons de grande taille ont disparu
depuis longtemps du ciel. Aujourd’hui,
présentés comme un moyen de transport
économique et écologique, ils tentent un timide
retour. Mais les applications industrielles
restent encore incertaines.
Par Thierry Dubois
C
’était un rêve d’Icare. Il y
a un siècle, le dirigeable
évoquait le voyage aérien
de luxe. Mais son exploitation est stoppée net par
l’incendie du Hindenburg, le plus grand dirigeable jamais
construit, le 6 mai 1937 à Lakehurst,
dans le New Jersey (États-Unis). Au
lendemain de la Seconde Guerre
mondiale, supplanté par les avions et
hélicoptères, plus sûrs et plus rapides,
le « plus-léger-que-l’air » disparaît.Aujourd’hui, si quelques rares dirigeables volent, ils sont destinés aux promenades, à la publicité ou à des prises
de vues. Pour autant, ce « fossile de
l’aéronautique » n’a pas dit son dernier mot. En effet, le dirigeable du
XXIe siècle envisage de tirer parti des
progrès réalisés dans les matériaux
techniques, la motorisation et l’automatisation. Et d’inventer de nouveaux
usages en pariant sur les besoins en
observation de la terre et en communication à haut débit.
En France, plusieurs sociétés planchent sur des projets aux débouchés
commerciaux crédibles et la création
d’une filière de construction d’aérostats a été retenue comme l’un des
34 projets de la « Nouvelle France industrielle », présentés par le gouvernement en septembre 2013.À charge
du pôle de compétitivité Pégase, à
Aix-en-Provence, de la faire émerger.
Particulièrement prometteur, le
concept de « dirigeable pour charges
lourdes » a le vent en poupe.
« Ce type d’appareil est pertinent
pour le transport de charges exceptionnelles comme des pales d’éoliennes, explique André Soulage,
consultant pour le pôle Pégase. Mais
aussi quand le point de départ, ou
d’arrivée, est peu accessible. » Sur
une exploitation minière, un ballon
peut livrer une machine de grandes
dimensions sans qu’il soit besoin de
construire une piste d’atterrissage…
et encore moins une route.
Les charges lourdes,
un créneau porteur
Autre application possible : la pose
de charpentes et de sous-ensembles
d’ouvrages d’art. Les bâtisseurs du
viaduc de Millau et du stade de France
avaient ainsi sérieusement envisagé
d’en réunir des éléments par voie aérienne, assure notre interlocuteur.
Avant de renoncer faute de véhicule
adapté.
Les nombreux progrès techniques intervenus depuis l’époque des Zeppelin ont permis de lever certaines difficultés. Ainsi, des diesels de dernière
génération (sur les plus petits dirigeables) ou des turbopropulseurs remplaceront avantageusement des moteurs de bateau qui consommaient juin - juillet 2014 / www.lexpress.fr
LES NOUVELLES FRONTIÈRES
D.R.
ÉCONOMIQUE. Le Stratobus, un projet
de dirigeable sans pilote, pourrait remplacer
les satellites sur certaines missions.
chacun 200 litres d’huile à chaque
ché important autour de 250 tonnes
traversée de l’Atlantique. Moins gour- de charge utile ». À condition qu’à
mand en carburant, « un dirigeable chaque cahier des charges, corresmoderne sera cinq à dix fois plus so- ponde une conception différente, sous
bre qu’un avion », affirme André Sou- peine de revivre le fiasco du projet
lage. Quant à la structure et à l’en- CargoLifter. Initié au début des anveloppe, elles tireront parti de nées 2000 par l’unique constructeur
l’émergence des matériaux compo- de dirigeable au monde pour le transsites et de la légèreté des fibres de port de marchandises, le CL 160, ballon d’une force porcarbone.
de 160 tonnes,
Pour une charge
Cinq à dix fois plus tante
a tourné court, conutile de 50 tonnes,
sobre qu'un avion
traignant la firme
un dirigeable conçu
allemande à un déaujourd’hui mesurerait 40 mètres de diamètre et 120 mè- pôt de bilan partiel. Un échec dû au
tres de long. Cette forme, plus trapue côté fourre-tout du programme, esque celles qui prévalaient au début du time Hervé Kuhlmann. Mais qu’AnXXe siècle, confère à l’appareil une dré Soulage attribue également à un
moindre sensibilité au vent latéral lors défi technologique sous-estimé, Cardes phases de vol près du sol.« La plu- goLifter tablant sur une architecture
part des (rares) accidents ont eu lieu souple pour une charge de 160 tonnes.
au mât d’amarrage », rappelle André
Soulage. D’où l’idée de lester désor- Des projets à suivre
mais un dirigeable en stationnement. en Russie et aux États-Unis
Le « plus-léger-que-l’air » reste en re- Le pôle Pégase évalue à 200 millions
vanche vulnérable au cisaillement de d’euros le coût d’un plan industriel
vent (brusque changement de direc- permettant d’aboutir à la production ou mouvement vertical de l’air), tion d’un dirigeable pour charges
aux turbulences et particulièrement à lourdes. La seule réalisation d’un
l’orage. Il devra donc être équipé d’un prototype représentant 50 millions
système de « micrométéo » lui per- d’euros. Mais selon André Soulage,
mettant de détecter son environne- le jeu en vaut la chandelle. « Le chifment aérologique.« Et de moteurs très fre d’affaires annuel généré par un
puissants pour contrer les rafales », tel engin pourrait être de 300 à
ajoute le consultant.
500 millions d’ici à dix ans », assureHervé Kuhlmann,directeur technique t-il. En attendant, il prône la constidu réseau Dirisoft Recherche(1), va tution d’un consortium « agile comme
plus loin. Selon lui, il existe « un mar- une PME mais avec l’appui d’indus-
www.lexpress.fr / juin - juillet 2014
triels aéronautiques en place », indispensable clé de réussite.
La France n’est pas la seule à réfléchir
à un possible avenir pour les dirigeables. Plusieurs entreprises en Russie,
aux États-Unis et au Royaume-Uni
pourraient devenir des concurrents
sérieux.Ainsi, l’Américain Aeroscraft,
qui cible également le transport de
charges lourdes – de 66 à 250 tonnes –
a déjà reçu le soutien du ministère
américain de la Défense, mais entend
bien trouver des clients civils.
Piloté par l’Européen Thales Alenia Space, le projet Stratobus de dirigeable autonome (sans pilote à
bord) vise des missions aujourd’hui
confiées à des satellites, beaucoup
plus coûteux. Il pourra intervenir pour
des tâches d’observation, de météorologie, de télécommunication, de télédiffusion et d’aide à la navigation.
Conçu pour accepter 200 kilos de
charge utile, ses concepteurs espèrent l’utiliser en relais ou en complément au satellite, quand il ne le
remplacera pas. Géostationnaire,
posté à 20 km d’altitude – au-dessus de la circulation aérienne –, il sera
équipé de moteurs électriques capables de compenser un vent de
90 km/h, et de lui permettre de maintenir sa position. Un défi de taille,
puisque le Stratobus fonctionnera
sur la seule énergie solaire. Pour cela,
Thales Alenia Space a imaginé un
système innovant. En effet, un secteur longitudinal de l’enveloppe sera
transparent afin de laisser entrer les
rayons du soleil et des cellules photovoltaïques, situées sur la face interne, recevront la lumière via un
concentrateur à miroir. En outre, le
ballon – et donc sa partie transparente – pourra tourner autour d’une
bague centrale afin de suivre les
rayons du soleil. Un prototype devrait voler d’ici à 2019. (1) Le
réseau de recherche Dirisoft a été créé
en mars 2007 à l’initiative du ministère de
l’Écologie, du Développement durable, du
Transport et du Logement, de l’association
Aerall, et de l’ENS de Cachan, avec pour objectif d’animer des recherches sur de nouveaux
systèmes aérostatiques de transport de charges
lourdes.
L’EXPRESS / 75
MÉMORABLES. Les sorties
« extra-véhiculaires » en scaphandre.
Le blues
du cosmonaute
NASA/2002
74 /
Six mois en apesanteur, dans un lieu confiné, à plus de 400 kilomètres
de la Terre. À quoi peut ressembler le quotidien d’un spationaute ? Il n’est pas
toujours rose, comme en témoigne ce récit fictif… bâti à partir d’anecdotes
bien réelles, rapportées par ces forçats de l’espace.
Par Bruno D. Cot
M
e dire ça à moi… Que
je suis un vieil ours
mal léché et que je me
lève du mauvais pied !
Parfois la voix qui
monte depuis la Terre
ferait mieux de se taire… Je m’appelle Vladimir Polivolkov, je suis cosmonaute – chez vous on dit spationaute – à bord de la station spatiale
internationale (ISS). Je dois prolonger ma mission de deux mois, posté
à 400 kilomètres au-dessus de vos
têtes, parce que plus personne ne
veut mettre un kopek dans l’exploration spatiale et qu’il devient trop
coûteux d’envoyer mon remplaçant.
Je viens de l’apprendre et je râle.
Donc, au jeune blanc-bec du centre
de contrôle de Houston qui n’a jamais vécu en apesanteur, je réponds
que, oui, je suis mal léché. J’y peux
quoi, moi, s’il n’y a pas de douche
dans l’espace ? Je me nettoie tous les
jours avec des lingettes et je me lave
les cheveux avec des shampoings secs.
Bonjour la toilette intime ! Justement, côté chiottes, j’aimerais le voir,
lui, le séant sanglé sur la lunette à se
faire aspirer ses déjections à l’aide
d’un tuyau à l’embout personnalisé…
Cet avorton de Houston devrait savoir aussi que, là-haut, en l’absence
de pesanteur, je ne me lève pas du
mauvais pied, simplement parce
que… je ne le pose pas au sol ! Ici,
on flotte en permanence : pas d’endroit, pas d’envers ! Chaque nuit,
je dors dans un sac de couchage juin - juillet 2014 / www.lexpress.fr
LES NOUVELLES FRONTIÈRES
L’EXPRESS / 77
Allô, la Terre ?
Je suis Russe, né le 10 mars 1965, à
Balkhash, dans les plaines du Kazakhstan. J’ai fait toute ma carrière
comme pilote dans l’armée, où j’ai
obtenu le grade de colonel après
avoir totalisé 1 500 heures de vol. J’ai
été cinq fois décoré. Puis, j’ai été sélectionné en tant que cosmonaute,
en juillet 2004, après un stage de survie à Baïkonour. Je me suis toujours
entraîné dur et j’accomplis ma troisième mission spatiale pour mon
pays, le seul aujourd’hui capable d’envoyer régulièrement des hommes
dans l’espace. Bref, je veux bien avaler toutes les couleuvres de la coopération entre les nations, mais pas
pour entendre au réveil des paroles
aussi mielleuses que « Et la bannière
EXPÉRIENCES. Le laboratoire Columbus,
l'un des modules de la station spatiale internationale.
étoilée en triomphe flottera. Sur le
pays de la liberté au pays des
braves ! » Je ne suis pas là pour ça…
Pourquoi suis-je là d’ailleurs ? Là,
devant mon petit déjeuner – café
tiède et raisins lyophilisés – je me
pose justement la question. Ici, la
journée ne dure pas vingt-quatre
heures, mais… quatre-vingt-dix mi-
L’ISS, UNE MAISON DANS L’ESPACE
Lancée en 1998, avec la mise en orbite du module russe Zarya, la
construction de la station spatiale internationale (ISS) s’est achevée
en 2011. Même si d’autres éléments – le laboratoire Nauka, par exemple – doivent encore compléter ce complexe orbital qui a atteint la
taille d’un terrain de football et a déjà vu passer à son bord 212 personnes. Avec une masse de 420 tonnes, il se situe en moyenne à
415 kilomètres d’altitude et navigue à 28 000 km/h. L’ISS demeure
surtout l’unique destination possible pour les 120 astronautes, cosmonautes et spationautes en activité à travers le monde. Sa durée
de vie a donc été prolongée jusqu’en 2024, voire 2028. Critiquée
pour son coût (150 milliards de dollars) et pour ses retombées scientifiques insuffisantes, la station reste exemplaire en matière de coopération entre les quinze pays partenaires du projet - États-Unis,
Russie, Canada, Japon, et les membres de l’Agence spatiale européenne dont la France. Au point d’être citée comme potentiel récipiendaire du Prix Nobel de la Paix !
www.lexpress.fr / juin - juillet 2014
nutes puisque, dans la même période,
je fais quinze fois le tour de la Planète bleue ! Lorsque j’aurai effectué
une toilette succincte, je pourrai changer de vêtements pour… la première
fois depuis trois jours. Après avoir
inspecté la station en long (100 mètres) et en large (74 mètres), je vais
enchaîner par une réunion dite de
planification avec le sol. L’échange,
souvent factuel, se termine toujours
par un long silence : une fois la
conversation terminée, je me trouve
plongé dans un abîme de solitude…
Je compense par une séance de sport,
au cours de laquelle je m’éclate sur
le tapis roulant, le corps arrimé à la
machine, en écoutant de la musique.
Avoir un minimum de condition physique est un impératif pour tenir en
orbite. On perd rapidement de la
masse musculaire et on souffre d’ostéoporose, d’où la nécessité aussi
d’ingurgiter de grandes quantités de
calcium.
Il faut que je sois en forme pour débuter mon travail quotidien à l’intérêt limité. Je passe l’essentiel de mon
temps à faire de la maintenance. Je
finis par penser que j’ai été embauché avant tout pour mes qualités de
bricoleur ou d’homme de ménage…
ESA/ILL./DUCROS DAVID 2007
arrimé à une paroi. Debout.
Comme un coq, mais pas en pâte.
C’est le meilleur compromis que j’ai
trouvé pour enchaîner cinq heures
de sommeil. Alors, j’estime que j’ai
le droit, parfois, de me lever (façon
de parler) grincheux ! Surtout là,
parce que je viens de faire une insomnie et que ce petit morveux me
réveille au son des trompettes du
« Star Spangled Banner », l’hymne national américain.
Et Dieu sait qu’ici, on bricole. La plu- l’ISS a failli heurter un débris spapart des modules ont plus de dix ans tial. D’habitude, les types du centre
d’âge et il faut méticuleusement les de commandement les repèrent à
entretenir pour éviter les pannes l’avance et opèrent une manœuvre
comme celle survenue en mars 2013, d’évitement en rehaussant l’orbite
causée par une fuite d’ammoniac sur du vaisseau. Là, ils n’ont rien vu et
une pompe. Là, au moins, j’ai fait un dix minutes avant un probable imtruc chouette : une sortie dans l’es- pact, ils m’ont demandé de prendre
pace, dite « extra-véhiculaire », en sca- place dans le module de secours pour
phandre. D’après les informations évacuer au cas où. Heureusement, le
données par l’agence spatiale amé- satané déchet, un moteur de fusée je
ricaine (Nasa), c’était la 168e sortie crois, est passé à… 250 mètres de la
et j’éprouve une
station. J’ai eu la
petite fierté à avoir
trouille
de ma vie !
« Ici, la journée
été jusqu’au bout !
Reste que mon
Parfois, d’autres dure quatre-vingt-dix quotidien est rareimprévus sont plus
ment aussi animé.
minutes »
inquiétants : l’auEn général, après
tre jour, il y a eu une panne généra- les travaux de maintenance, j’essaie
lisée des ordinateurs et, pendant de passer à table, un moment clef pour
quelques heures, les ingénieurs au sol le moral, mais qui se réduit bien souont hésité à me faire rentrer en ur- vent, à l’aide d’une cuillère, à lutter
gence. Mais là où j’ai eu le plus peur, contre l’apesanteur afin d’extraire
c’était en décembre 2012, lorsque d’un sachet des aliments surgelés ou
REPAS. Un moment-clé
dans le morne quotidien
des équipages.
NASA 2006
76 /
thermo-stabilisés. Et il faut faire attention parce que chaque morceau
peut s’échapper et finir collé contre
une paroi. C’est simple, ici il faut tout
attacher… La plus grande invention
de l’homme depuis le début de la
conquête spatiale s’appelle le Velcro !
Là, à vous parler nourriture, j’ai les
crocs. Je rêve d’un steak-frites Aéropôle Gap -Tallard et plateformes aériennes 05
L’espace de développement dédié à l’aérien léger et aux services aéronautiques
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les activités sportives et de loisirs (photo aérienne,
baptêmes, écoles de pilotage et de chute libre,
activités sportives aériennes).
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incubateurs d’entreprises PACA. Le développement
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EXEMPLAIRE. Quinze pays ont coopéré
à la réalisation de la station spatiale
internationale, plus grande structure
jamais assemblée dans l'espace.
comme sur Terre. D’ailleurs les
traditions culinaires, là-haut, restent
un des rares marqueurs nationaux.
Un exemple : mes collègues américains mangent en bossant et avalent
soda sur soda alors que nous, les
Russes, comme les Européens, nous
aimons bien sacraliser l’heure du repas, autour d’une table, même pour
mal bouffer. On prend ce temps. On
discute un peu.
Oublié dans l’espace !
Ah oui, j’ai omis de le dire : j’ai cinq
compagnons d’infortune. Mais cela
devient dur de se causer en ce moment, après six mois à se côtoyer et
à se morfondre. Certes, je suis loin du
record absolu détenu par mon ami
Sergueï Poliakov qui, sur la station
Mir, entre janvier 1994 et mars 1995,
a passé plus de 437 jours dans l’espace ! Mais tout de même, le temps,
en absence de pesanteur, ça tape sur
le système. C’est simple, parfois je ne
peux plus supporter mes collègues
de bord. Il faut dire que notre mission prime sur tout le reste. L’exigence de mener à bien chacune de
nos tâches, dans les temps, avec une
www.lexpress.fr / juin - juillet 2014
maniaquerie qui confine à l’aveuglement, tourne à l’obsession. En réalité, ce qui nous pèse dans notre infinie solitude, c’est la promiscuité. Ici,
c’est vraiment dur de s’isoler. Moi j’y
arrive parfois : je vais m’enfermer
dans la coupole, le poste d’observation qui offre une vue panoramique
sur l’extérieur, avec mon baladeur
sur les oreilles. Et je me dis que je
m’en grillerais bien une.
Bon, là je fais une petite crise de calcaire, parce que l’on est samedi et
que le programme est un brin moins
soutenu. D’habitude, le sol fait tout
pour entretenir notre moral en minutant scrupuleusement nos journées. Après le déjeuner, on travaille
un peu sur les expériences scientifiques. Mais là encore, sans grande
passion. J’ai plus le sentiment d’être
un technicien de laboratoire que le
docteur en médecine dont je possède
pourtant les diplômes. Autre confidence : pas une seule expérience ne
m’a fait vibrer depuis que je suis làhaut. La dimension scientifique de
la station spatiale, franchement, le
jour où l’on en fera le bilan, je crois
que ça ne va pas impressionner ! Il
Vu d’ici, une sphère quasi
parfaite
Moi, je n’ai pas ce genre de souci.Au
moins, je ne gagne pas trop mal ma
vie – loin de mes prédécesseurs, sur
l’antique station Mir, qui empochaient 75 euros par jour –, ma
femme et mon fils vont bien. Mes
rares contacts avec eux se déroulent
en compagnie de dizaines d’ingénieurs – quand on opte pour la combinaison de cosmonaute, mieux vaut
ne pas être câlin ! Heureusement,
le soir venu, une fois notre journée
terminée, après 21 heures, il y a un
truc dont je ne me lasserai jamais :
regarder notre belle Terre depuis le
vide sidéral. Je vous imagine dormir
la nuit, lorsque vos villes brillent de
mille lumières et scintillent comme
des diamants… Vu d’ici, il n’y a pas
de frontière, juste une sphère quasiparfaite. La contempler, la sentir respirer, observer sa couche de nuages
ainsi que l’immensité bleue des
océans : quel luxe, quelle sensation !
À cet instant précis, où on ne se sent
plus tout à fait terrien, mais bien loin
de l’être divin, croyez-le : on prend
conscience de l’infinie fragilité de
notre planète. RENCONTRE AVEC THOMAS PESQUET
« S’éloigner de
la banlieue terrestre »
Pilote chez Air France, Thomas Pesquet,
36 ans, sera le dixième Français à s’envoler
vers le firmament. Sélectionné par l’Agence
spatiale internationale, il devrait partir,
fin novembre 2016, pour un séjour
de longue durée à bord de la station spatiale
internationale.
Propos recueillis par Bruno D. Cot
Depuis l’annonce de votre mission, le 18 mars dernier, comment
vous entraînez-vous ?
J’ai vécu une accélération dans ma
préparation. Après un déplacement
au centre de Tsukuba, au nord de Tokyo, pour me familiariser avec les
éléments japonais de la station spatiale, j’ai enchaîné par le centre opérationnel de Houston (États-Unis),
puis par le Canada, afin de recevoir
une formation en robotique.À force
de passer d’un continent à l’autre,
j’aurai bientôt plus d’heures de vol
en avion comme passager que
comme pilote ! Auparavant, je suivais un entraînement « généraliste ».
Par exemple, pour apprivoiser la façon de se mouvoir avec un scaphandre. Désormais, chaque jour qui passe
avant le lancement me fait entrer
dans le concret. J’y trouve une motivation supplémentaire : dès que je
touche à un appareil, je sais maintenant dans quel but et je sais que je
n’ai pas intérêt à me louper. Il faudra tout maîtriser pour le jour J.
Connaissez-vous déjà l’objet de
votre mission ?
Pas totalement. Il sera arrêté définitivement six mois avant le décol-
lage. Ce que je peux vous dire, c’est
que, fin 2016, la station spatiale internationale connaîtra une importante activité de maintenance puisque
plusieurs modules auront alors près
de dix-huit ans d’âge ! La station, c’est
une sorte de maison construite pièce
par pièce. Certaines sont ultra-modernes, d’autres ont un style plus
« Louis XV » (Rires) ! Il faudra
s’adapter. Mais c’est un vaisseau parfaitement entretenu. Un grand nombre de batteries externes seront probablement à changer, ce qui me laisse
l’espoir de réaliser une ou plusieurs
sorties dans l’espace. Rien que d’y
penser, j’en frissonne déjà. Pour un
astronaute, une sortie extra-véhiculaire, c’est un peu le stade ultime du
job. Imaginez, se retrouver dans le
vide sidéral avec pour seule protection, son scaphandre. Quelle sensation de liberté et d’effroi en même
temps !
Vous allez effectuer un long séjour. En quoi cela change-t-il l’entraînement ?
Il y a tout un travail psychologique
à effectuer. En 2009, lorsque j’ai été
sélectionné dans le corps des astronautes européens, le mental indivi-
KOLKO, 2011
faut dire la vérité : l’ISS sert avant
tout à maintenir une poignée d’individus dans l’espace pour entretenir cette flamme que l’humanité peut
avoir en l’homme. Rien de plus. Et
encore, quand l’humanité ne les oublie pas ! En ce moment, il n’y a plus
d’argent pour nous et il faut se serrer la ceinture. Lorsque j’en parle
avec mon collègue Youri, dit le
« poilu », il aime bien rappeler cette
anecdote : au début des années 1990,
l’un de nos frères a tout simplement
été « oublié » dans l’espace. Si, si, je
vous assure ! Il s’appelait Sergueï
Krikalev. Le pauvre, il est monté dans
la station en mai 1991… pour redescendre en mars 1992. Dans l’intervalle, il y a eu le putsch qui a vu
Eltsine remplacer Gorbatchev. Le
mec est parti là-haut en tant que soviétique et il est redescendu russe !
Vous imaginez comme il a dû s’inquiéter pendant son long séjour…
ÉVÉNEMENT
CNES/PIERRE
LES NOUVELLES FRONTIÈRES
NASA/2010
78 /
duel a déjà beaucoup joué. Là, en
plus, on nous apprend à toujours
fonctionner en équipe. Le vivre ensemble est capital. Ensuite, il y a le
physique : dans l’espace, on perd 10 %
de sa masse musculaire, alors on essaie d’en gagner un maximum avant
de partir, en travaillant sur les zones
qui seront les moins sollicitées en
l’absence de pesanteur, comme le
dos. Donc, j’enchaîne les séances
d’haltères. Mais je pense que les séjours de longue durée sont moins difficiles aujourd’hui, qu’il y a vingt ans,
notamment grâce à Internet qui nous
permet de rester en contact constant
avec nos proches.
Étant donné votre jeune âge, vous
pouvez espérer voler à nouveau.
Quelles peuvent être les perspectives ?
La plus proche serait un retour à
bord de l’ISS puisque la station devrait rester en service jusqu’en 2024,
voire 2028. Après, évidemment, il y
a l’éventualité d’une mission de la
Nasa en direction d’un astéroïde.
Avec en ligne de mire un voyage vers
Mars. J’ignore si j’aurai l’opportunité d’en faire partie. Mais je sais qu’il
y a un saut technologique à réussir
avant de l’entreprendre. Personnellement, je rêve d’une mission sur la
planète rouge aussi internationale
que le projet ISS.Toutes les grandes
nations spatiales, y compris la Chine,
se mettraient ensemble pour ce grand
dessein. L’avenir pour les vols habités, c’est bien de s’éloigner de la banlieue terrestre.
juin - juillet 2014 / www.lexpress.fr
L’EXPRESS / 81
Un réservoir d’emplois
BEAU FIXE SUR
LES EMBAUCHES
Après trois années exceptionnelles, les industries aéronautiques et spatiales recruteront moins en 2014. Un
trou d’air sans conséquence car, dans les vingt ans à
venir, quelque 30 000 appareils devront être construits.
Une solide garantie pour les futurs salariés.
COMMANDES. Pour faire face
à la hausse significative des cadences
de production, les industriels ont besoin
d'une main-d'œuvre qualifiée.
AIRBUS SAS 2011/P. PIGEYRE
Par Jean-Claude Pennec
C
’est une certitude. Pendant les vingt prochaines
années, le trafic aérien mondial augmentera, en moyenne, de 4,7 % par
an. Pour y faire face, estime Airbus,
les compagnies aériennes, toutes
confondues, devront acheter un total de 29 220 appareils, passagers et
fret. Des commandes qui, malgré
l’arrivée sur la scène aéronautique
de nouveaux avionneurs, tels Embraer, Bombardier, Sukhoi ou encore le Chinois Comac (Commercial Aircraft Corp of China),
constructeur du futur moyen-courrier C919, se porteront pour l’essentiel vers les deux grands avionneurs Boeing et Airbus. Et cela alors
que les carnets de commandes des
deux rivaux sont déjà bien remplis.
En juin 2013, au Salon du Bourget,
Airbus est reparti avec 466 com- juin - juillet 2014 / www.lexpress.fr
82 /
UN RÉSERVOIR D’EMPLOIS
mandes d’appareils et intentions
indirects. Des chiffres à majorer car
d’achats pour finir l’année avec 1 600 ils ne concernent que les entreprises
commandes. Au Salon de Dubaï, en adhérant au Gifas (Groupement des
novembre, c’est au tour de Boeing industries françaises aéronautiques
de se tailler la part du lion avec des et spatiales), la structure fédératrice
commandes et engagements d’achat de la filière aéronautique en France.
représentant 342
Selon Claude Bresappareils hors opson, son directeur
20 000 postes
tions. Conséquences
des Affaires sociales,
créés en trois ans l’ensemble de la fiimmédiates : Boeing
comme Airbus ont
lière représente en
récemment annoncé des accéléra- réalité plus de 300 000 emplois en
tions de cadences de production dans France, en incluant les sous-traitants
leurs usines. Le secteur aéronautique non adhérents au Gifas.Au cours des
et spatial(1) a donc, devant lui, des trois dernières années, ces entreprises
années de développement et de pro- ont créé 20 000 postes et recruté
duction assurées. Que ce soit au ni- 41 000 salariés dont 23 % étaient de
veau mondial, européen, voire hexa- jeunes diplômés. Rien qu’en 2013,
gonal. De quoi garantir l’emploi des estime le Gifas, le secteur a réalisé
quelque 177 000 salariés employés 15 000 embauches, dont 52 % d’inpar les 165 entreprises et 266 sites in- génieurs, 25 % de compagnons et
dustriels recensés en France (don- 23 % de techniciens.
nées 2013), et des 140 000 emplois Premières régions à bénéficier de
OÙ SONT LES FEMMES ?
En France, l’industrie, hors les métiers d’ingénieurs, a
du mal à faire rêver. Différents sondages et enquêtes confirment, par exemple, qu’un lycéen sur deux au moins, n’en a pas
une bonne image. Seuls l’aéronautique et le spatial, porteurs d’innovation et de succès, parviennent à échapper à cette mauvaise
aura. Surtout pour les grands groupes, tels Airbus ou Safran. En
revanche, les PME ont davantage de difficultés à convaincre. « Une
PME de Toulouse sera toujours mieux lotie que celles, nombreuses,
implantées à la campagne. Aujourd’hui, ce type d’entreprise ne
rentre plus dans les schémas et ne séduit pas les jeunes ingénieurs », souligne Philippe Dujaric, directeur adjoint des affaires
sociales du Gifas.
Si l’industrie peine à attirer les jeunes diplômés en général, elle
a d’autant plus de difficultés avec la gent féminine. Largement
sous-représentées, les femmes ne constituent que 21 % des effectifs du secteur, pour 79 % d’hommes ! Une part qui varie selon les catégories professionnelles : elles sont 14 % chez les ouvriers, 17 % chez les techniciens, 21% chez les ingénieurs et cadres
mais 62 % chez les employés qui représentent 6 % des effectifs
globaux… Là encore, la situation est légèrement différente dans
l’aéronautique. Dans ce secteur, les femmes sont à 26 % ingénieurs et cadres, à 21 % techniciennes supérieures, à 16 % ouvrières qualifiées. 45 % occupent « d’autres métiers », comme les
employées. Et la situation évolue lentement si l’on en juge par les
chiffres dans l’enseignement supérieur. L’an dernier, les jeunes
filles ont représenté 28,1 % des effectifs des élèves ingénieurs,
guère plus qu’en 2007-2008 où elles étaient 26,8 %. J.-C. P.
www.lexpress.fr / juin - juillet 2014
cette situation exceptionnelle, l’Ilede-France et Midi-Pyrénées qui
concentrent à elles seules 56% de
ces emplois.
2014,
« année de respiration »
Paradoxalement, la tendance est au
ralentissement des recrutements,Airbus ayant donné le ton en annonçant
des embauches moindres que les années précédentes. La raison ? La fin
d’une période d’euphorie au cours de
laquelle la hausse de la production a
coïncidé avec la mise en chantier de
nouveaux programmes d’avions, lesquels ont demandé un effort d’ingénierie d’études et de conception sans
précédent. En Europe, il s’agissait du
très gros porteur d’Airbus, de l’A380,
du long-courrier A350, de l’A400M
et la refonte importante du best-seller, l’A320 et sa « petite » famille
(A318, 319, 320 et 321). « En cinq ans,
explique un porte-parole du groupe,
nous avons engagé 16 500 salariés et
nous arrivons aujourd’hui au terme
de ce plan. » « Il a fallu recruter d’importants bataillons, note Philippe Dujaric, directeur adjoint des Affaires
sociales et de la formation du Gifas.
Sur tous les compartiments, il y avait
du développement. Ce fut un peu nos
trois glorieuses. »
2014 sera davantage « une année de
respiration ». Avec un déplacement
des recrutements vers les métiers de
la production, en plein boom. « Maintenant que les commandes sont signées, nous devons construire les
avions », souligne un équipementier.
D’où des besoins accrus en techniciens et en compagnons de toutes spécialités pour produire sur fond d’accélération des cadences de plusieurs
lignes d’appareils, chez Airbus comme
chez Boeing. Pour 2015, en revanche,
la prudence est de mise. « Pour l’instant, personne ne sait ce qui va se passer », estime Claude Bresson. Un possible « retour à la normale » dont
beaucoup d’autres industries se
contenteraient aujourd’hui. (1)L’aéronautique représente 92 % du secteur
(162 000 emplois) et le spatial 8 % (15 000 emplois).
84 /
UN RÉSERVOIR D’EMPLOIS
L’EXPRESS / 85
Mille métiers porteurs
sous les ailes
QUATRE VOIES POUR
SE METTRE EN PISTE
Opter pour l’intérim et le CDD
La progression de l’intérim dans l’aéronautique
depuis cinq ans est frappante. De 6 000 salariés en 2009, leur nombre a grimpé de 7 000
en 2010, à 9 000 en 2011 pour atteindre 11 000
en 2012 et 2013. Manpower, très actif sur le sujet, notait il y a peu une vraie reprise dans l’aéronautique où la demande est très forte. Depuis
mars 2014, un nouveau contrat en CDI peut être
proposé à un intérimaire. Plusieurs sociétés de
recrutement sont spécialisées dans l’aéronautique (telle Alyade Conseil).
Conception, construction, exploitation,
maintenance, et désormais
déconstruction, lorsque l’avion
arrive en fin de vie. Le secteur offre
de multiples opportunités.
Prendre des « positions d’attente »
Par Jean-Claude Pennec
A
RÉPARTITION DES EFFECTIFS
L’aéronautique représente 91 %
des effectifs du secteur, le spatial 9 %.
La production et la maintenance occupent
51 % des effectifs du secteur. La gestion,
le marketing et les fonctions support 26 %.
La recherche et développement 23 %.
Les avionneurs emploient 43 %
des effectifs, les équipementiers 43 %
et les motoristes 14 %.
www.lexpress.fr / juin - juillet 2014
BESOINS. Ils se réorientent vers
la production, les fonctions support
et la maintenance.
PME, étaient susceptibles d’embaucher des ingénieurs,
des cadres, des techniciens et des compagnons. L’année
en cours ne devrait, somme toute, pas être très éloignée de ces chiffres, une fois intégrée la réduction d’embauches prévue. En revanche, les métiers en plein boom
aujourd’hui et les profils dont l’industrie aura besoin au
cours des prochaines années changent. Pour mémoire, en
2013, les 15 000 recrutements concernaient pour 52 % des
ingénieurs et cadres, pour 25 % des compagnons et pour
23 % des techniciens.
Les usines supplantent les bureaux d'études
Les principaux recruteurs sont Airbus, Dassault Aviation, Aerolia et Figeac Aero. Les ingénieurs représentent encore la majorité des embauches. Mais autant de
secteurs, autant de profils différents.Ainsi, à l’Énac (École
nationale de l’aviation civile), les élèves ingénieurs, après
l’année de tronc commun, ont le choix entre cinq spé-
PATRICK DELAPIERRE/AF
vion serait-il désormais synonyme d'emploi ? Depuis bientôt quatre ans, la filière
embauche avec générosité : 13 000 recrutements en 2011, 15 000 en 2012 et autant en 2013. Plus mesurées, les perspectives pour 2014 tournent aux alentours
de 10 000 recrutements, selon le Gifas, Groupement des
industriels français de l'aéronautique et de l'espace.
Sans surprise, la moitié des embauches seront réalisées
par les mastodontes du secteur. Ainsi, en 2014, Safran
prévoit de recruter 2 500 personnes, Airbus 1 500 globalement (dont un millier en externe), Thales 1 000 et
Zodiac Aerospace, 500. Ce qui veut dire que 4 500 emplois seront le fait des sous-traitants et du tissu de PME
et d’ETI (Entreprises de taille intermédiaire) qui prospèrent à l’ombre des donneurs d’ordre. Des entreprises
très dynamiques qui offrent de belles perspectives de
carrière avec un degré d’autonomie appréciable. En 2013,
le Gifas estimait que 165 entreprises du secteur, dont 82
cialités : avionique, opérations aériennes, aéroport,
contrôle aérien, outils de communication. Les besoins
se réorientant vers la production, les fonctions support
et la maintenance, au détriment de la conception, il est
conseillé de privilégier les filières ingénieur de production, systèmes embarqués, matériaux, voire dans les
drones, secteur émergent promis à un bel avenir. Autre
discipline très porteuse : la chimie des matériaux.
Chez Airbus Group, la fin des grands programmes et la
récente réorganisation ont entraîné des suppressions de
postes et les embauches portent, cette année, essentiellement sur des postes de production. Selon l’avionneur, ils représenteront 80 % des recrutements. « Nous
allons nous consacrer à l’innovation de nos programmes
existants. »
Au vu des centaines d’avions commandés, les métiers liés
à la production des appareils ont de l’avenir. Ajusteurmonteur aéronautique, chaudronnier, conducteur de En attendant de décrocher le job de ses rêves,
et sachant que les grands groupes privilégient
les candidats opérationnels, le jeune diplômé
peut opter pour des postes d’attente lui permettant de conforter son profil. Les sociétés
d’ingénierie (partenaires privilégiés des maîtres-d'œuvre Altran, Akka Technologies) et les
sous-traitants n’hésitent pas à proposer des
postes aux non expérimentés. « Les jeunes l’ont
instinctivement perçu, explique Claude Bresson. Quand on vient d’obtenir son diplôme, il est
très difficile de décrocher un CDI dans les grands
groupes. En attendant, ils doivent trouver des
formations leur permettant de parfaire leur apprentissage, des stages à l’étranger ou des
contrats même précaires ».
Viser les PME,
même « décentralisées »
Les PME, y compris celles de l’aéronautique, ont
parfois du mal à attirer de jeunes diplômés. Plus
encore si elles sont implantées hors des villes.
Conséquence, ces sociétés offrent des opportunités professionnelles inattendues, notamment celles qui œuvrent dans des domaines précis (câblages, ressorts, visserie, rivets). Et qui,
raison de la spécificité de leurs fabrications,
sont prêtes à parachever la formation du jeune
diplômé.
Penser aux filiales
Pas de recrutement programmé dans la maison-mère ? Postulez dans l’une des filiales du
groupe, même si elle est implantée à l’étranger.
De telles expériences se révèlent très payantes
au bout du compte.
juin - juillet 2014 / www.lexpress.fr
UN RÉSERVOIR D’EMPLOIS
Les services qualité et après-vente en pointe
Promis à un bel avenir également, les métiers liés à la
qualité. En effet, l’aéronautique a besoin de vérifier en
permanence, à toutes les étapes de la fabrication ou de
la vie de l’avion, la fiabilité des pièces. Conformité aux
normes définies par les avionneurs ou les autorités de
certification, traçabilité de la pièce depuis son lieu de
production jusqu’à son montage final, les métiers assurant ces fonctions sont cruciaux. Composants essentiels
des avions, des hélicoptères et des fusées, les moteurs
font appel à une palette très diverse de spécialités. De
leur conception jusqu’à leur fabrication, qui passe par
LES SALAIRES
Ingénieurs et cadres débutants :
de 33 000 à 46 000 euros annuels.
- Moyenne relevée par le Gifas (2011) :
35 500 euros;
- Ingénieur Insa : 33 500 euros.
- Ingénieur Ensam (Arts et Métiers) :
38 000 euros;
- Ingénieur Enac : 39 000 euros;
- Ingénieur Isae : entre 40 000 et 46 000 euros;
- Ingénieur chez Safran : entre 40 000
et 46 000 euros annuels (selon formation).
Licences Pro débutant :
26 500 euros annuels.
BTS–DUT débutant :
24 600 euros annuels.
Bac débutant :
22 800 euros annuels.
CAP-BEP :
21 200 euros annuels.
Salariés confirmés
(quinze ans d’ancienneté) :
46 900 euros en moyenne.
- Ouvriers : 31 000 euros;
- Techniciens : 40 100 euros;
- Ingénieurs et cadres : 62 070 euros.
www.lexpress.fr / juin - juillet 2014
MIXITÉ. Les femmes
sont encore trop rares.
un apprentissage directement sur les lignes d’assemblage
et les ateliers, de nombreuses sociétés périphériques sont
impliquées. De plus, l’activité ne se limite pas à la fabrication et à la livraison des moteurs neufs : tout au long
de sa vie, le moteur d’avion ou d’hélicoptère est contrôlé
et entretenu par le « support en service » qui intervient
auprès des compagnies aériennes. La France dispose
d’un véritable savoir-faire en la matière. Les principaux
employeurs sont Snecma, Turbomeca, Hispano-Suiza,
Aircelle, Herakles, Microturbo ou encore SMA.
Composite, logistique et piste,
un trio d’avenir
Il y a trente ans, un avion ne comportait pratiquement
pas de matériaux composites. Aujourd’hui, ils entrent à
50 % dans la fabrication d’un Boeing 787 et d’un Airbus A350 et il en sera de même pour tous les avions à
venir. C’est pourquoi les métiers impliquant les composites recrutent. Comme ceux concernant le développement de logiciels, omniprésents dans l’aéronautique
et le spatial : de la conception de l’avion, du moteur, de
la fusée ou du satellite jusqu’à la gestion du vol, des équipements de bord côté cockpit comme côté cabine (pilotage, équipements de bord, divertissement des passagers). Les métiers se répartissent entre les grands groupes
(Dassault Systèmes,Thales) et les SSII (Sociétés de services en ingénierie informatique) de type Sagem ou Infodream.
Moins connus, les métiers de la logistique sont essentiels en aéronautique. Un avion étant composé de milliers de pièces (câbles, ressorts, vis, écrous, rivets, joints…)
dont il faut vérifier la conformité et la traçabilité, les
logisticiens sont donc présents à tous les niveaux, chez
VIRGINIE VALDOIS/AF
ligne informatisée, opérateur usinage à commande
numérique, soudeur, technicien aérostructures, électronicien, technicien d’usinage, technicien des méthodes
d’industrialisation… sont très demandés et les avionneurs confirment une pénurie de bac +2, bac +3.Airbus,
par exemple, va avoir besoin de profils capables d’intervenir sur toutes les parties de l’avion, les aérostructures, les systèmes, l’avionique, les composites, mais aussi
la logistique et la qualité. Des ouvriers et des techniciens
supérieurs en mécanique et en électricité, des ajusteurs
monteurs et des ajusteurs soudeurs, des installateurs systèmes, des peintres, des chaudronniers, et, de plus en
plus, des techniciens composites.
les avionneurs ou les équipementiers, pour anticiper les besoins de pièces, s’assurer des délais
de livraison, évaluer les stocks et les priorités et
enfin réceptionner et contrôler tout ce que l’entreprise reçoit. Autre débouché pour les techniciens de la logistique : la maintenance des
avions (chez Air France Industries, Sabena Technics). Tous les avions subissent, à intervalles
réguliers, des opérations de maintenance obligatoires et strictement contrôlées. Un marché
en croissance de plus de 4 % par an, porté par
le développement des flottes d’avions dans le
monde. Air France Industries qui assure l’entretien des appareils d’Air France et de KLM,
mais également ceux de plus de 150 compagnies
dans le monde, compte 8 500 salariés dans l’Hexagone. Des profils nécessitant, outre une parfaite
connaissance du fonctionnement d’un avion, de
maîtriser l’environnement réglementaire international de la maintenance. Plus qu’ailleurs, la
langue anglaise est incontournable (la documentation est presque exclusivement écrite en
anglais).
Au quotidien, un avion a besoin, pour redécoller, de l’aval du mécanicien de piste. Durant l’escale, il lui revient de traiter les problèmes éventuellement rencontrés par les pilotes sur le vol
précédent et de contrôler différents points stratégiques. Ce métier, exigeant, nécessite d’intervenir 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, quelles
que soient les conditions météo.
Enfin, directement attachés à la vie des aéroports, les métiers du contrôle aérien, ceux liés
aux passagers (personnels d’accueil, agents
de sécurité) et à leurs bagages (transport et
chargement dans l’avion), tout comme ceux
concernant les services d’escale (nettoyage des
avions, handling, catering) embauchent très régulièrement. DÉBOUCHÉS. L'expertise
en matériaux composites est
de plus en plus recherchée.
D.R.
86 /
UN RÉSERVOIR D’EMPLOIS
Formation:
des parcours de plus
en plus diversifiés
Les cursus spécialisés
sont très nombreux.
À charge, pour
les étudiants
de se construire
un itinéraire le plus
pertinent possible.
Par Jean-Claude Pennec
A
fficher un cursus original, mêlant séjour à
l’étranger, travaux inventifs et expériences
inédites, peut faire la
différence au moment
du recrutement. En effet, aujourd’hui, les entreprises privilégient la
variété des profils, gage de richesse
culturelle et d’approches renouvelées. « La diversité dans les équipes
permet de générer de l’innovation
et de la performance », explique-ton chez Airbus.
Depuis quelques années, en plus des
grandes écoles, les lycées et les universités élaborent des cursus originaux. Le nombre d’élèves inscrits
dans ces formations approche les
20 000. La référence en matière
d’école d’ingénieur reste l’Institut
supérieur de l’aéronautique et de
l’espace (Isae). Issue du regroupement, en 2007, de Supaero et de l’Ensica, sa force de frappe est impressionnante (préparation à 19 masters
spécialisés, à 3 Masters of Science et
à 5 Masters Recherche). Depuis
2011, l’Isae a été rejoint par l’Ensma
de Poitiers, puis, en 2012 par l’Estaca (École supérieure des tech-
niques aéronautiques et de la
construction automobile) et l’École
des officiers de l’armée de l’air de
Salon-de-Provence.Toutes ces écoles
recrutent, selon le niveau de l’étudiant, en 1re, 2e ou 3e année. Autre
filière royale, l’École nationale de
l’aviation civile (Enac) qui propose
à la fois des formations d’ingénieurs,
de contrôleur aérien, d’électronicien
de la sécurité aérienne, de pilote de
ligne, de technicien et de spécialiste
de très haut niveau. Depuis la rentrée 2013, le diplôme est également
accessible par le biais de l’apprentissage, ouvert aux DUT, BTS et licences professionnelles.
Outre la voie royale des grandes
écoles, il ne faut pas négliger les formations courtes. Parmi les onze BTS
et les huit DUT proposés par près de
quatre cents établissements (lycées
TOUS LES CHEMINS MÈNENT À L’AÉRONAUTIQUE
Prendre son envol grâce à la formation continue.
nant spécifiquement l’industrie aéronautique.
(www.afpa.fr)
Pour celles et ceux désireux de se reconvertir ou d’élever leur niveau de compétences, plusieurs organismes
proposent des formations.
Le Cesi, école d’ingénieurs du Centre d’études
supérieures industrielles, prépare au diplôme d’in-
Le Cnam, Conservatoire nationale des Arts et
Métiers, offre plus de 1 200 unités d’enseignement dans
génieur, en formation continue, en deux ans pour les DUT
et BTS justifiant d’au moins trois ans d’expérience industrielle. (www.cesi.fr)
de nombreux domaines, du niveau bac au niveau ingénieur jusqu’au diplôme de troisième cycle.
(www.cnam.fr)
L’Afpa (Association pour la formation professionnelle des adultes) dispose de six formations concer-
www.lexpress.fr / juin - juillet 2014
Les réseaux des Afpi (Associations de formation professionnelle de l’industrie) et des Itii (Instituts des techniques d’ingénieurs des industries)
offrent également des parcours diplômants.
(www.uimm.fr et www.itii.fr).
L’EXPRESS / 89
Cap sur
l’international
Les profils de bourlingueurs sont appréciés
et de nombreux débouchés existent à l'étranger.
RÉFÉRENCE. L'Institut supérieur de l'aéronautique
et de l'espace accueille 1 500 élèves
et délivre des formations de très haut niveau.
et CFA), le BTS Aéronautique (proposé
dans 14 établissements) permet d’accéder, en deux ans, au poste de technicien
aéronautique, puis d’évoluer vers des
postes de responsable d’ingénierie, de
technicien support client ou d’expert aéronautique. Et de candidater auprès des
entreprises de maintenance, des compagnies aériennes, des constructeurs et des
équipementiers,voire avec de l’expérience
dans un service équipements, moteur ou
exploitation ou un bureau d’études. D’autres diplômes bac+2 existent, comme le
BTS Conception de produits industriels,
ou celui de Conception et réalisation en
chaudronnerie industrielle, de maintenance industrielle (le plus répandu) ou
de systèmes électroniques.
Airbus dispose
de son propre lycée
Parmi les formations courtes, les CAP
et bacs pro permettent de devenir techniciens d’atelier ou compagnons, deux
profils dont le secteur manque cruellement. Par la suite, les plus motivés peuvent poursuivre leurs études en effectuant un BTS ou en rejoignant un IUT.
De son côté, Airbus dispose d’un établissement unique en son genre : le lycée Airbus. Créé en 1949, il permet à
l’avionneur de former, dès la seconde,
des jeunes, aux métiers de l’aéronautique, du bac pro au BTS, dont la plupart feront leur carrière dans le groupe.
Implanté à Toulouse, il accueille 360
élèves et apprentis, filles et garçons. Enfin, à tous les niveaux, l’alternance a le
vent en poupe. Elle s’applique de plus
en plus en licence pro. AUDE LEMARCHAND
88 /
L
a mondialisation ? Une
évidence pour les secteurs
aéronautique et spatial.
Sur les 61 000 salariés d’Airbus
au 1er avril 2014, seuls 25 200
exercent dans l’Hexagone.
L’avionneur s’enorgueillit d’ailleurs de compter jusqu’à 100 nationalités dans ses rangs. Il en est
de même dans les autres divisions d’Airbus Group : Airbus
Helicopters vient de lancer un
nouveau site de production au
Mexique, pour un coût de
100 millions de dollars. Safran,
quant à lui, emploie 7 000 personnes sur 58 sites aux ÉtatsUnis où se concentre le quart de
son activité totale. Même chose
dans le spatial, secteur international par essence : de l’Agence
spatiale européenne (ESA) à
Arianespace en passant par les
ANGLAIS EXIGÉ
Europe, Asie ou Amérique latine, notices techniques, colloques ou entretiens
de recrutement… Quels que
soient la fonction et le lieu
d’exercice, il est indispensable de dominer l’anglais. À
cette fin, les formations universitaires imposent, d’entrée, un bon niveau d’anglais,
souvent sanctionné par le
TOEIC (Test of English for International Communication)
ou le TOEFL (Test of English
as a Foreign Language), notamment incontournables
pour rejoindre une formation
aux États-Unis.
grands acteurs industriels, Airbus Defence & Space, Snecma…
l’heure est plus que jamais à l’implantation de filiales ou de succursales dans tous les pays où le
marché s’y prête. Un déploiement que les sous-traitants suivent attentivement, n’hésitant
pas à emboîter le pas des donneurs d’ordre. Ainsi, Latécoère
vient d’ouvrir au Mexique,
Leuak au Portugal ou encore Figeac Aéro aux États-Unis. Même
les PME suivent le mouvement
en s’installant notamment au
Maghreb (Maroc et Tunisie),
considéré comme la base arrière
de l’aéronautique française, ou
encore en Europe de l’Est.
La mobilité,
une règle d'or
Les opportunités professionnelles à l’étranger sont donc
nombreuses et les entreprises
apprécient particulièrement les
profils ayant « voyagé ». Airbus
a fait de la mobilité une règle
sacro-sainte de sa gestion des
ressources humaines, se fixant
pour objectif de compter, dans
chaque pays où il est présent,
au moins 20 % de collaborateurs venus d’ailleurs. Pour autant, la fuite des jeunes cerveaux
n’est pas à l’ordre du jour.
« Dans l’aéronautique, explique
Claude Bresson, directeur des
Affaires sociales et de la formation du Gifas, nous n’avons
pas le sentiment de voir partir
nos jeunes diplômés. Nous
sommes la deuxième industrie
du monde et bénéficions d’une
attractivité naturelle que d’autres n’exercent pas. » J.-C. P.
juin - juillet 2014 / www.lexpress.fr
90 /
ÉVÉNEMENT
Pour que vive
la passion
Trait d’union entre
le passé et le futur,
le musée Aeroscopia
ouvrira ses portes
à Toulouse, en octobre.
Par Maylis Jean-Préau
Une épopée technologique
et humaine
En découvrant ce patrimoine volant,
on comprend mieux comment cette
ville est devenue un pôle mondial de
www.lexpress.fr / juin - juillet 2014
MYTHE. Les appareils exposés devraient
attirer 100 000 personnes par an.
l’aéronautique. En un siècle, Toulouse a été le théâtre de bien des premières : en 1890, c’est l’envol de Clément Ader à bord de l’Éole, les
débuts de l’aventure de l’aéropostale, le décollage de la Caravelle, en
1955, celui du Concorde, en 1969 et
enfin, en juin 2013, le premier vol
d’essai de l’A350. De même, en 1917,
c’est à l’industriel Pierre-Georges
Latécoère, replié à Toulouse, que l’armée française commande l’avion de
reconnaissance Salmson. « La France
voulait que cette industrie soit située
le plus loin possible de l’ennemi de
l’époque ! Cent ans plus tard, l’Allemand Tom Enders installe le siège
d’Airbus à Blagnac », remarque Bernard Keller, maire de Blagnac et ardent défenseur du projet.
C’est ce lien particulier qui unit l’aéronautique et Midi-Pyrénées qu’Aeroscopia souhaite raconter. Le récit
d’une épopée technologique et hu-
maine doublée d’une découverte des
plus beaux modèles d’avions du siècle dernier. Le visiteur est ainsi invité à pénétrer de plain-pied à l’intérieur des gros porteurs, découvrant
les composants de l’A300, entièrement décortiqué et vitré.
Le musée est aussi une formidable
vitrine pour les sous-traitants régionaux. « Un îlot est consacré aux innovations et un autre aux métiers de
l’aviation, afin de promouvoir la filière auprès des jeunes », explique
Philippe Nau, le président de Manatour. Le groupe gère Aeroscopia,
mais aussi l’accès au public de la
chaîne d’assemblage d’Airbus toute
proche, qui accueille déjà 130 000 visiteurs par an. Une offre de visite
couplée des deux sites sera proposée, comme un lien entre les innovations d’hier et de demain. Renseignements : www.aeroscopia-blagnac.fr
DAVID BECUS
S
ous un ciel d’acier, le
Concorde tient tête à
l’A300B et au Super
Guppy. Dernier refuge
pour une cinquantaine de
trésors de l’aviation,Aeroscopia a mis plus de trente ans pour
prendre son envol. « Toulouse est la
capitale européenne de l’aéronautique et pourtant nous n’avons plus
beaucoup de témoignages des débuts de l’aviation. Aucun avion de
l’aéropostale n’a été conservé », se
désole Jean-François Bruno-Rosso,
président d’Ailes anciennes Toulouse,
une association, créée en 1980, pour
préserver ce patrimoine. Car les
géants du ciel n’ont pas toujours été
considérés comme un patrimoine à
sauvegarder. Oubliés, parqués dans
le désert, démantelés, certains ont
même servi de cible de tir d’entraînement pour l’armée. En trois décennies, les Ailes anciennes ont rassemblé, à Blagnac, une centaine
d’aéronefs du monde entier. Ils prennent enfin le chemin d’Aeroscopia
pour être dévoilés au plus grand
nombre.