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www.lexpress.fr Hors-série n° 12 juin-juillet 2014 - 6,50 € SPÉCIAL AÉRONAUTIQUE ’:HIKQRD=XU[ZU[:?k@a@l@c@a" Comment Airbus tire l’industrie La course à l’innovation Espace, les nouvelles conquêtes Un formidable réservoir d’emplois M 06733 - 12 - F: 6,50 E - RD AIRBUS SAS 2013 / P. MASCLET LESAILES DUSUCCES Sommaire 2/ L’EXPRESS / 3 L’ENTRETIEN 4 29, rue de Châteaudun, 75308 Paris Cedex 09. Tél. : 01-75-55-10-00 CPPAP n°0318C82839 ISSN n° 0014-5270 Hebdomadaire d’information édité par la Société anonyme Groupe Express-Roularta UNE INDUSTRIE MODÈLE 10 L’innovation pour moteur 14 Une galaxie de produits SIÈGE SOCIAL : 29, rue de Châteaudun, 75308 Paris Cedex 09 CAPITAL SOCIAL : 47 150 040 euros PRINCIPAL ACTIONNAIRE : ROULARTA MEDIA FRANCE PRÉSIDENT-DIRECTEUR GÉNÉRAL : Rik De Nolf DIRECTEURS GÉNÉRAUX DÉLÉGUÉS : Corinne Pitavy, Christophe Barbier PÔLE GRAND PUBLIC L’Express, L’Expansion, Classica, Lire, StudioCinéLive Directeurs : Christophe Barbier et Eric Matton © 2014 L’EXPRESS / SA GROUPE EXPRESS-ROULARTA. Tous droits de reproduction réservés. www.lexpress.fr / juin - juillet 2014 L’édito de Christophe Barbier toujours plus haut 30 Pays-de-la-Loire : entre ciel et mer 34 Aquitaine : une industrie plurielle 36 Centre : une sous-traitance bien assise Pour bien voler, il faut garder les pieds sur terre. Qu’il s’agisse des aventuriers affamés d’horizons nouveaux, des ingénieurs défiant sans cesse la physique ou des industriels déterminés à transformer l’azur en or, rien ne réussit en aéronautique qui ne soit bâti sur la patience, le travail et l’expérience. Quand le regard journalistique fouille les nuages de l’avenir, des merveilles s’esquissent. Qu’il s’agisse d’effectuer le premier tour du monde sans escale en avion solaire, comme l’accomplira, tôt ou tard, Bertrand Piccard, de mettre au point un moyen-courrier à propulsion électrique ou d’organiser un ciel où voyageront deux fois plus de Terriens qu’aujourd’hui, le nouveau se bouscule à la porte d’embarquement. L’important est de l’aborder entre imagination et raison, sans rien sacrifier de l’indispensable part du rêve et sans rien omettre de l’impératif de réflexion. L’aéronautique doit s’écrire en trempant la plume de Jules Verne dans l’encre de William E. Boeing, en écoutant parler Howard Hughes et en laissant décider Marcel Dassault. L’aéronautique du XXIe siècle ne doit pas seulement relever des défis techniques et économiques, il lui faut aussi répondre aux nouvelles exigences humanistes. Le réchauffement climatique, les équilibres Nord-Sud, la tranquillité des riverains des pistes, le transit entre les aéroports et les centres-villes, le financement des causes planétaires par une micro-taxe sur les billets… Tout cela a sa place sur la table à dessin et dans les calculettes, et doit l’avoir aussi dans la tête des passagers. Pour une aviation toujours plus belle. Avec deux ailes. 4 LES BATAILLES DU CIEL 38 41 46 48 52 La concurrence rebat les cartes Revue de troupes L’avion vert décolle Aéroports : la course au gigantisme Le fabuleux essor des compagnies du Golfe 54 Stéphane Albernhe : « Les compagnies nationales, un outil de souveraineté » 56 Les bonnes recettes d’Air Caraïbes 58 SpaceX : l’étoile du star business LES NOUVELLES FRONTIÈRES 60 64 68 70 73 75 79 Inventer le voyage du futur Le printemps des drones Le défi du tout électrique Tourisme spatial : c’est parti ! Le rêve du dirigeable Le blues du cosmonaute Thomas Pesquet : « S’éloigner de la banlieue terrestre » L’entretien Bertrand Piccard JEAN REVILLARD Rêve et réflexion 38 LES BATAILLES DU CIEL 10 UNE INDUSTRIE MODÈLE EMIRATES PUBLICITÉ : DIRECTRICE RÉGIE : Valérie Salomon DIRECTEUR COMMERCIAL PÔLE NEWS CULTURE : Pierre-Étienne Musson PUBLICITÉ RÉGION : Intelligence Media, 8, port Saint-Sauveur, 31000 Toulouse DIrecteur de régie : Paul Nahon Chef de publicité : Élodie Hernandez. Tél. : 05 62 16 74 05. Partenaire, 15, rue Louis-Blanc 69006 Lyon. www.partenaire.fr FABRICATION : Marie-Christine Pulejo PHOTOGRAVURE : Groupe Express-Roularta IMPRIMERIE : Roularta Printing (8800 Roeselare, Belgique) sous le signe d’Airbus 26 Provence-Alpes-Côte d’Azur : UN RÉSERVOIR D’EMPLOIS 80 Beau fixe sur les embauches 84 Mille métiers porteurs sous les ailes 88 Formation : des parcours de plus en plus diversifiés 90 Pour que vive la passion 80 60 LES NOUVELLES FRONTIÈRES UN RÉSERVOIR D’EMPLOIS juin - juillet 2014 / www.lexpress.fr AIRBUS GROUP MANAGEMENT DIRECTEUR GÉNÉRAL ADJOINT: Eric Matton EDITEUR DÉLÉGUÉ : Tristan Thomas une pole position méconnue 22 Midi-Pyrénées : AIRBUS GROUP RÉALISATION : Agence de presse Objectif Une. ÉDITEUR DÉLÉGUÉ : Cécile Masscheleyn, assistée de Frédérique Roche. RÉDACTRICE EN CHEF : Catherine Foulsham. ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO : Jean-Christophe Barla, Nathalie Bergue-Mura, François Blanc, Philippe Coste, Bruno D. Cot, Thierry Dubois, Maylis Jean-Préau, Guillaume Lecompte-Boinet, Frédérique Letourneux, Jean-Claude Pennec, Gil Roy, Corinne Scemama, Jean-Jacques Talpin. MAQUETTE : Pôl’arts et cinq champions mondiaux 16 Île-de-France : AIRBUS GROUP RÉDACTION DIRECTEUR DE LA RÉDACTION : Christophe Barbier RÉDACTEUR EN CHEF : Philippe Bidalon RÉDACTRICE EN CHEF ADJOINTE ET SUPERVISION ÉDITORIALE : Valérie Lion RÉALISATION DE LA COUVERTURE : Dominique Cornière Bertrand Piccard : « Le vol perpétuel, fantasme absolu » L’entretien 4/ BERTRAND PICCARD “Le vol perpétuel, fantasme absolu” Fils et petit-fils d’explorateurs célèbres, le Suisse Bertrand Piccard, 56 ans, poursuit depuis une dizaine d’années un projet fou. Celui d’un tour du monde en avion, à la seule puissance de l’énergie solaire. Cet aventurier des airs – il s’est illustré en ULM, en aile delta et en ballon –, psychiatre de formation, a fait équipe avec un ingénieur entrepreneur, André Borschberg, pour imaginer et réaliser Solar Impulse. L’appareil, un monoplace bourré de technologies, devrait décoller en mars 2015, conduit à tour de rôle par ces deux pilotes hors du commun. Propos recueillis par Valérie Lion www.lexpress.fr / juin - juillet 2014 L’isolation des maisons, les batteries pour la voiture électrique, par exemple, représentent des investissements profitables.Tout doit être plus léger pour consommer moins d’énergie. Comment vous est venue l’idée d’un tour du monde en avion solaire ? En 1999, pendant les vingt jours de mon tour du monde en ballon sans escale, j’ai eu peur de manquer de carburant. À l’arrivée, sur les 3 700 kilos du départ, il nous restait 40 kilos de gaz propane. Nous étions complètement dépendants de nos réserves, nous n’avions aucune possibilité d’aller plus loin. De là est parti mon rêve de vol perpétuel, où on ne serait plus limité par la quantité d’énergie embarquée. Le vol perpétuel, c’est le fantasme absolu. Pourquoi ? Pensez à l’histoire du Grand Bleu : le fantasme de l’apnéiste, c’est de rester éternellement sous l’eau. Celui du pilote, c’est de rester indéfiniment dans le ciel. Vous avez réalisé ce projet sans aucun partenaire issu de l’industrie aéronautique, à l’exception notable de Dassault. Pourquoi ? Les spécialistes sont, par définition, experts de ce qu’ils savent faire. Pour concevoir et fabriquer un avion BERTRAND PICCARD. Avec Solar Impulse, il veut démontrer la puissance des énergies renouvelables. JEAN REVILLARD Vous avez dévoilé, il y a quelques semaines, le Solar Impulse 2, le premier avion solaire conçu pour voler cinq jours et cinq nuits sans une goutte de carburant. Quelle est la finalité de ce projet ? Nous voulons démontrer que ce que nous faisons avec Solar Impulse peut se décliner dans la vie quotidienne. Aujourd’hui, le plus rentable, pour économiser de l’énergie, c’est de recourir aux technologies. Il ne faut pas produire plus, mais consommer moins. Tous les procédés que nous avons développés sur Solar Impulse peuvent être appliqués ailleurs, et s’ils l’étaient, on diviserait déjà de moitié la consommation d’électricité dans le monde. unique, qui n’avait jamais été imaginé auparavant, ils ne me semblaient pas les mieux placés. Regardez Elon Musk, avec Tesla : il n’était pas un fabricant de voitures mais un entrepreneur du Net ! Et il a réussi à produire le premier roadster électrique. Quand nous avons imaginé Solar Impulse, personne, dans le secteur aéronautique, ne pensait qu’il soit possible de concevoir un appareil d’une telle envergure (celle d’un A380, NDLR) avec un poids si faible (celui d’une berline familiale, NDLR). Nous avons travaillé avec des professionnels excellents dans leur domaine, par exemple le chantier naval suisse Décision, qui savait utiliser la fibre de carbone. Bien sûr, nous avions aussi avec nous des experts en calcul mécanique et aérodynamique. Pour créer, il faut sa- SOLAR IMPULSE EN 10 DATES 1999 Bertrand Piccard réussit le tour du monde en ballon, sans escale, en 19 jours, 21 heures et 47 minutes, avec Brian Jones. 2003 Lancement du projet Solar Impulse, avec André Borschberg. 2004 Signature des premiers partenariats industriels. 2007 Démarrage de la construction de l’appareil. 2009 L’avion Solar Impulse est dévoilé. 2010 Premier vol de nuit (26 heures). 2011 Solar Impulse se pose au Bourget. 2012 Premier vol intercontinental. 2013 Traversée des États-Unis, d’ouest en est. 9 avril 2014 Présentation de Solar Impulse 2, l’avion destiné au tour du monde. www.lexpress.fr / juin - juillet 2014 L’entretien L’EXPRESS / 7 voir travailler avec des gens dotés d’expériences et de visions différentes. Le meilleur exemple, c’est André et moi : lui est ingénieur et pilote de chasse, moi je suis psychiatre et explorateur. La solution que nous trouvons ensemble n’est jamais ma solution ni sa solution; c’est une combinaison, une troisième voie qui se révèle toujours être la meilleure. Comment naît l’innovation ? L’innovation, ce n’est pas avoir une nouvelle idée, mais une ancienne certitude en moins. Pour innover, il faut perdre des convictions, des préjugés. Il faut réfléchir à ce que l’on a appris, à ce que l’on croit, à ce que l’on ferait spontanément et… faire l’inverse ! Souvent, les gens ont peur de travailler avec des personnes qui pensent autrement : c’est pourtant très tonique. Cela oblige à être créatif, à se remettre en question sans cesse. Mais cela suppose aussi de ravaler son égo. L’évolution, et donc le progrès, passe forcément par l’inconfort. Avec André Borschberg, vous êtes complémentaires. Qu’est-ce qui vous rapproche ? Nous pilotons tous les deux ! Et nous partageons des valeurs communes : le respect pour l’être humain et pour l’environnement. Nous avons aussi chacun un parcours spirituel. Et nous sommes intéressés par l’autre. L’un de vos partenaires industriels, le groupe Solvay, dit joliment que Solar Impulse est synonyme d’innovation sans limite. Quelles frontières avez-vous repoussées ? Nous ne nous sommes jamais rien interdit dans la conception. Mais nous avons engagé la construction en parallèle, car il fallait que l’avion devienne réalité. Et nous devions tenir compte de lois physiques immuables. Pour alléger l’avion, nous avons misé sur une structure en nid d’abeille. Les batteries classiques ne EXPLOIT. Le monoplace Solar Impulse devrait décoller du Moyen-Orient, en mars 2015, pour un tour du monde sans une goutte de carburant. permettaient pas de stocker l’énergie nécessaire au vol et auraient été beaucoup trop lourdes : Solvay a travaillé sur un nouveau type d’électrolyte et Bayer a introduit des nanotubes de carbone dans les électrodes. Résultat, nous disposons aujourd’hui des meilleures batteries du monde avec une densité exceptionnelle. De même, grâce à des PME suisses, nos moteurs électriques atteignent un rendement jamais vu jusqu’ici. Nous avons aussi tiré les enseignements du premier appareil, qui a fait office de véritable laboratoire volant. Est-ce que l’industrie aéronautique s’intéresse désormais au projet ? Hormis Dassault, il est frappant de constater qu’aucune entreprise du secteur n’a compris qu’elle pouvait tirer parti de Solar Impulse pour dé- JEAN REVILLARD 6/ velopper de l’innovation en interne. Nous disposons d’une équipe de quatre-vingts personnes qui travaillent depuis dix ans sur le projet et nous commençons à recevoir des offres du monde entier pour des transferts de technologie. Les fabricants de drones, par exemple, s’intéressent à notre expérience. Que pensez-vous du projet d’avion électrique ? Aujourd’hui, deux modèles existent : l’avion 100 % kérosène et notre avion solaire. Entre les deux, l’avion électrique, c’est une évidence, va se développer. C’est encore un peu utopique car, aujourd’hui, aucune batterie n’est capable de transporter des charges importantes. Mais je suis convaincu que, d’ici à cinq ans, il y aura, dans les aérodromes, des avions électriques de 2-4 places, et d’ici quinze à vingt ans, nous verrons des avions court-courrier électriques. Les biocarburants représentent-ils une option ? C’est une excellente piste à condition de les produire avec autre chose que de la nourriture : avec des algues, des déchets organiques, de la biomasse. Il est de toute façon intelligent de rechercher une alternative au pétrole. L’industrie aéronautique continue à rêver d’un avion hypersonique. Est-ce dépassé ? Dans la fable de La Fontaine, j’ai toujours eu davantage de sympathie pour la tortue. Pour Solar Impulse, nous avons dû choisir entre la vitesse et la durée. S’il avait fallu voler deux fois plus vite, nous aurions dû capter huit fois plus d’énergie ! C’est certain : notre projet, qui consiste à mettre cinq jours pour traverser un océan, n’a pas beaucoup d’avenir en dehors de l’aventure que cela représente… Le but n’est pas d’en faire une expérience applicable commercialement. C’est comme la conquête de la Lune : il s’agissait de montrer qu’un rêve millénaire était possible, de développer les technologies nécessaires et de les utiliser ensuite dans la société. C’est le même processus pour Solar Impulse : démontrer qu’on peut utiliser les énergies renouvelables dans la vie quotidienne. Faut-il retourner sur la Lune ? On y est déjà allé six fois, on a démontré que c’était possible. En revanche, nous n’avons pas réussi à prouver qu’il était possible de supprimer la pauvreté et la discrimination sur notre planète. Je pense juin - juillet 2014 / www.lexpress.fr L’entretien 8/ que notre ambition, aujourd’hui, devrait être de conquérir la qualité de vie sur Terre. DEUX HOMMES POUR UN AVION BINÔME. André Borschberg, à gauche, et Bertrand Piccard, à droite. Piccard-Borschberg, André-Bertrand. S’il n’y a qu’une place dans l’étroit cockpit du Solar Impulse 2, en dépit des apparences, le projet repose sur deux hommes. L’idée a germé dans la tête de l’explorateur Bertrand Piccard, mais c’est André Borschberg, l’ingénieur qui, missionné par l’École polytechnique de Lausanne, dirige l’étude de faisabilité dès 2003. « Bertrand et moi, c’est 1+1 = 3 », résume ce grand bonhomme au regard aussi clair et perçant que celui de Piccard – vert lagon pour lui, le brun, bleu lagon pour son co-équipier. « Nous voyons les choses en trois dimensions, car nous les regardons avec deux paires d’yeux », poursuit Borschberg. À Bertrand, l’homme des humanités, la responsabilité de porter le message, de trouver des partenaires, d’animer la communication autour du projet. André, avec son bagage technique, sa formation de pilote militaire et son expérience d’entrepreneur, a, lui, choisi et géré les hommes et les femmes chargés de transformer le rêve en réalité. L’innovation ne s’arrête pas à la technologie : elle repose aussi beaucoup sur la composition des équipes. Borschberg n’a pas hésité à recruter de fortes personnalités, issues de divers horizons professionnels – des autodidactes, des surdiplômés –, des gens d’âge, de nationalité et de langue différents. André Borschberg, lui-même, n’était pas issu de l’aéronautique. Il a d’abord travaillé dans le marketing technologique, puis chez le consultant McKinsey, avant de se lancer dans le capital-risque. Sa passion, c’est le pilotage, née de ses lectures des pionniers de l’Aéropostale. « Bertrand m’a permis de réaliser mon rêve d’exploration et, moi, je lui ai permis d’accéder à sa vision, explique André. Nous savons chacun que nous n’aurions pas pu faire seul, nous sommes très reconnaissants l’un envers l’autre. » Lequel fera décoller Solar Impulse 2 pour le grand départ en mars 2015 ? Impossible à dire. « Une seule certitude, répondent-ils en chœur. L’un fera le début, l’autre la fin du parcours. Chacun traversera un océan, l’un le Pacifique, l’autre l’Atlantique. » Les deux hommes se relaieront au gré des conditions météo, de leur état physique et psychologique aussi. Et pour réussir à voler cinq jours et cinq nuits d’affilée en dormant pas plus de vingt minutes par phase, chacun a sa technique : l’autohypnose pour Piccard, la méditation pour Borschberg. V.L. www.lexpress.fr / juin - juillet 2014 JEAN REVILLARD Et la conquête de Mars ? C’est fascinant.Tout ce qu’on peut faire de nouveau, il faut le tenter. Mais il existe autant de planètes dans le cosmos que d’êtres humains sur terre.Alors, occupons-nous d’abord des hommes. Auriez-vous pu être astronaute ? Oui, si j’avais eu vingt ans de moins. Et si j’avais eu cent ans de moins, j’aurais volé avec les premiers avions. À titre personnel, je serais ravi d’aller passer une semaine en orbite, j’aimerais voir la Terre flotter dans le Solar Impulse, c’est une quête pour promouvoir ce que la science peut apporter à l’humanité cosmos. Mais cela n’apporterait rien de plus à la connaissance. Cinq cents personnes ont déjà séjourné dans l’espace. Je suis beaucoup plus utile au projet Solar Impulse. Solar Impulse, c’est de l’innovation pure et c’est une quête pour promouvoir ce que la science peut apporter à l’humanité. Je considère les technologies propres comme une thérapie pour l’humanité, pour l’aider à se sevrer de sa dépendance aux énergies fossiles. Si nous réussissons notre tour du monde, l’enjeu sera de relayer cette démonstration de la crédibilité des énergies renouvelables. Y aura-t-il un Solar Impulse 3 ? Notre rêve originel, c’est un tour du monde à deux, sans escale, en avion solaire. Nous n’y sommes pas à cause de la contrainte du poids. Mais n’oubliez pas, que dans l’aviation, soixante années se sont écoulées entre le premier tour du monde avec escale et le premier tour du monde sans escale… L’EXPRESS / 11 Une industrie modèle L’INNOVATION POUR MOTEUR Au contraire de l’automobile, l’industrie aéronautique et spatiale française continue de tenir le haut du pavé. Portée par la croissance du transport aérien et par le succès des aventures européennes Airbus et Arianespace, elle a su s’internationaliser et garder son avance technologique. Un défi de tous les jours, sous la pression d’une concurrence de plus en plus vive. Par Valérie Lion IMPULSION. Airbus fer de lance de l'industrie française. AIRBUS SAS/P. PIGEYRE L e 25 avril dernier, un drôle de silence planait sur l’aéroport de Bordeaux-Mérignac. Les yeux braqués vers le ciel, des dizaines d’invités regardaient s’envoler sans bruit un petit avion biplace mû par… des batteries électriques. Un exploit salué par Arnaud Montebourg, qui avait fait le déplacement pour cette première mondiale : « Il fait le bruit d’un sèche-cheveux et ne consomme pas une goutte de kérosène ! » L’E-fan – moins de sept mètres de long et dix mètres de large, une heure d’autonomie – illustre à lui seul ce dont est capable la filière aéronautique française : développé par Airbus Group, il associe des grands groupes comme Safran et Zodiac et des PME innovantes telles que Aero Composites Saintonge, avec le soutien de la Direction générale de l’aviation civile. Un savant dosage privé-public qui a permis au projet de décoller avant même que l’avion électrique devienne l’un des trente-quatre plans de la nouvelle France industrielle lancés par l’ex-ministre du Redressement productif, désormais ministre de l’Économie. Et un nouveau succès, d’innovation cette fois, pour une industrie qui ne cesse de les collectionner. juin - juillet 2014 / www.lexpress.fr 12 / UNE INDUSTRIE MODÈLE L’EXPRESS / 13 Sur (presque) tous les tableaux, l’aéronautique française décroche le prix d’excellence. Avec un chiffre d’affaires en hausse de 9 % l’an dernier, elle pèse bientôt 50 milliards d’euros (47,9 exactement). Son carnet de commandes est encore plus impressionnant puisqu’il a atteint un nouveau record, à plus de 73 milliards d’euros. De quoi envisager l’avenir positivement, si ce n’est sereinement. Car les cadences de production sont si élevées – 42 A320 par mois chez Airbus, 46 prévus à partir du deuxième trimestre 2016 – qu’elles ont mis toute la chaîne des sous-traitants sous tension. www.lexpress.fr / juin - juillet 2014 ROBOTIQUE. Avec le Falcon 5X, Dassault Aviation a fait un grand pas dans l’automatisation de son site de Martignas-sur-Jalles, en Gironde. traitants. Mais la crise de 2008 a provoqué un électrochoc et la forte croissance de l’activité qui s’en est suivie a conduit les leaders à comprendre que s’ils voulaient réussir leur montée en cadence, ils devaient accompagner leurs fournisseurs. Dès 2004, la filière avait d’ailleurs mis sur pied un fonds d’investissement – Aerofund – pour aider les PME en manque de capitaux propres et jouer un rôle de catalyseur dans la consolidation de la sous-traitance. Financé par les grands industriels et la Caisse des Dépôts, il a déjà investi plus de 100 millions d’euros et un troisième fonds de 300 millions a été lancé fin 2013. Mais, selon Gilbert Fayol, associé chez Deloitte et spécialiste du secteur, « la filière reste encore trop émiettée ». PATRICK BERTRAND/AIRBUS GROUP PREMIÈRE. Arnaud Montebourg, le 25 avril dernier, après le vol inaugural de l’E-Fan à Bordeaux-Mérignac. DASSAULT AVIATION standard dans l’industrie. « Les chaînes de production restent parfois très artisanales, souligne Guillaume Martinez, associé chez Deloitte, et font appel à des techniques et des savoir-faire transmis par le compagnonnage. » 2,5 fois le Smic, alors que la moyenne des rémunérations dans la profession s’établit autour de 3,5 fois le salaire minimum. Mais « elles ont su maintenir un haut niveau de recherche et développement pour conforter leur avenir », se félicite Marwan Lahoud, n°2 d’Airbus Group et président du Gifas. Le secteur a consacré l’an dernier 14 % de son chiffre d’affaires à la R&D, dont plus des deux-tiers étaient autofinancés par les industriels. Enfin, l’aéronautique et spatial truste trois places dans le top 10 des groupes qui déposent le plus de brevets (classement 2013 de l’INPI) : Safran, deuxième, Airbus Group, huitième et 14% du chiffre d’affaires Thales, dixième. consacré à la R&D L’une des grandes forces du secteur est Essentiellement civile, cette industrie d’avoir été capable de s’organiser en fidope aussi la balance commerciale du lière et de jouer collectif. « L’aéronaupays : avec 22 milliards d’euros, elle en tique française est restée l’une des toutes représente le premier solde excéden- premières au monde car c’est une comtaire, devant les vins et spiritueux. En- munauté de gens qui passent une vie à fin, dans une économie plombée par le travailler ensemble, chez les construcchômage, elle offre teurs, les équipemendes emplois : après tiers et les fournisLa grande force 13 000 embauches seurs, explique Jeandu secteur est l’an dernier (et 15 000 Pierre Cojan, directeur en 2012), elle en pré- d’avoir joué collectif général adjoint stratévoit encore 10 000 gie et transformation cette année, selon le syndicat profes- chez Safran. Cette communauté s’ensionnel Gifas. Certes, les entreprises tretient chaque jour. L’industrie cherche souffrent d’une parité euro-dollar défa- à défendre sa chaîne, les grands essaient vorable et n’ont tiré que peu de béné- d’aider les petits à progresser. » Bien sûr, fices du crédit impôt compétitivité tout n’est pas toujours rose dans les (Cice), limité aux salaires inférieurs à relations entre donneurs d’ordre et sous- Travailler sur une vision commune de l’avenir Livrer à temps, avec une qualité irréprochable, est aujourd’hui son principal défi. Pour y répondre, « l’ensemble de la supply chain a investi plus que sa capacité d’autofinancement », souligne Emmanuel Viellard, président de Lisi Aerospace et du groupe des équipementiers du Gifas. De leur côté, les donneurs d’ordre se sont mobilisés pour garantir aux sous-traitants une visibilité à six mois sur leur carnet de commandes. Une coopération qui va au-delà de la R&T chez Safran. Près de 500 millions production, puisque les sous-traitants d’euros ont ainsi été obtenus dans le sont de plus en plus amenés à investir Programme d’investissement d’avenir aussi aux côtés des grands groupes pour 1 et 1,3 milliard dans le cadre du PIA 2. l’innovation. L’aéronautique a su ainsi tirer profit des pôles de compétitivité : L’électricité, elle en a structuré plusieurs dans ses axe majeur de recherche principales zones d’influence (Aero- Même chose lors du lancement des space Valley en Midi-Pyrénées et Aqui- trente-quatre plans d’Arnaud Montetaine, Pegase en Paca). Le secteur a éga- bourg. Il n’a pas été difficile pour le seclement été précurseur en se dotant, dès teur de constituer les groupes « avion 2008, et avec l’appui des pouvoirs pu- électrique » et « satellites à propulsion blics, du Corac, Conseil pour la re- électrique ». L’électricité est l’un des axes cherche aéronautique civile, à travers majeurs de recherche pour le futur lequel il travaille, par-delà les rivalités puisque l’industrie doit absolument industrielles, sur une vision commune réussir à diminuer la consommation de l’avenir pour permettre à l’ensemble d’énergie et à réduire les nuisances. Mais, en l’absence de de la filière de resnouveaux grands ter compétitive. « L’innovation programmes Lancé sous le signe sera, demain, autant d’avions commerde l’environnedans le process ciaux d’ici à quinze ment – une des axes de la profesque dans le produit » ans, « l’innovation sera demain autant sion – le Corac établit des priorités de recherche, en fait dans le process que dans le produit », la promotion auprès des pouvoirs pu- prédit Jean Botti, directeur général déblics, assure la cohérence des travaux légué technologie et innovation d’Airet l’association de tous les acteurs, y bus Group. L’aéronautique est ainsi compris les PME. Résultat : « Quand le concernée au premier chef par le plan grand emprunt a été lancé, l’aéronau- « usine du futur », co-piloté – ce n’est tique était la seule filière à disposer de pas un hasard – par Bernard Charlès, le projets prêts à être soumis », raconte directeur général de Dassault Systèmes, Eric Bachelet, directeur général adjoint inventeur du logiciel Catia devenu un L’apparition de robots « humanoïdes » Les usines sont beaucoup moins robotisées que dans l’automobile même si, depuis peu, Dassault utilise des robots pour riveter les ailes de son Falcon 5X. Le dernier-né des avions d’affaires de la gamme est aussi le premier à avoir été conçu sur le mode de l’usine numérique. « On ne produit pas un avion du futur avec une usine du passé », insiste de son côté Jean Botti. Airbus Group travaille notamment sur des « cobots », des robots proches de l’humanoïde, capables de se déplacer et de collaborer, en toute sécurité, avec les ouvriers et les techniciens sur une chaîne. L’usine de Cadix, en Espagne, qui travaille sur l’assemblage du gouvernail de l’A380, a accueilli son premier exemplaire en mars. L’impression 3D, particulièrement bien adaptée pour les petites séries et les pièces complexes, ouvre aussi de nouvelles perspectives à l’industrie. Des prototypes sont déjà en cours de validation chez Airbus et Safran. Enfin, la réalité virtuelle vient au service de la maquette numérique, en permettant de vérifier que ce qui est construit correspond au dessin, histoire d’éviter des mésaventures telles que celle – désastreuse – du câblage sur l’A380. Pour Olivier Zarrouati, président du directoire de Zodiac Aerospace, « une composante culturelle importante » explique la réussite du secteur : « Les ingénieurs y sont nombreux, curieux, et sous la pression de la concurrence, se remettent en cause régulièrement. » Car audelà de la rivalité exacerbée du duopole Airbus-Boeing, de nouveaux acteurs émergent dans l’aviation – Comac en Chine avec son futur moyen-courrier C-919 - comme dans l’espace – Space X aux États-Unis, nouveau rival d’Arianespace. L’atout de l’industrie ? Une obsession de la fiabilité qui la conduit à rechercher sans relâche l’excellence. juin - juillet 2014 / www.lexpress.fr 14 / UNE INDUSTRIE MODÈLE www.lexpress.fr / juin - juillet 2014 L’EXPRESS / 15 juin - juillet 2014 / www.lexpress.fr Île-de-France Une pole position méconnue Avec plus de 100 000 emplois et près de 40 % de l’activité, la région francilienne fait office de poids-lourd du secteur aéronautique et spatial français. Une force de frappe impressionnante. Par Jean-Claude Pennec ien ne manque.Avionneurs, motoristes, équipementiers, fournisseurs de services et sous-traitants en nombre. Mais aussi écoles, laboratoires de recherche, pôles de compétitivité, aéroports et salon. En l’occurrence, celui du Bourget, la plus ancienne manifestation du genre devenue la vitrine incomparable du secteur et de ses constantes innovations. La région Île-de-France – élargie à une partie de la vallée de la Seine –, rassemble quelque 900 structures et plus de 100 000 emplois, soit 10 % des emplois européens du secteur et 20 % de la R&D en Europe. Dans le monde, seules quelques régions offrent une telle concentration de compétences : Seattle, Montréal, Toulouse, Hambourg ou Munich. Ses spécialités ? L’aviation d’affaires, le R www.lexpress.fr / juin - juillet 2014 transport spatial, la motorisation d’avions comme de fusées, et surtout les équipements aéronautiques. S’y ajoute une activité qui ne cesse de monter en puissance, la maintenance aéronautique. Au cœur de cet ensemble, cinq groupes industriels Airbus Group, Dassault-Aviation, Safran, Thales et Air France Industries - recensent 52 000 salariés, interviennent dans la quasi totalité des programmes en cours et initient la majeure partie de la recherche privée. Ainsi Airbus Group commande chaque année pour quelque 12 milliards d’euros à l’ensemble de la filière (dont 4 milliards en Île-deFrance) et entraîne dans son sillage 8 700 partenaires industriels directs. Si Toulouse est considérée comme le fief d’Airbus, l’Île-de-France est l’un de ses premiers bastions avec plus de 10 000 collaborateurs. CHIFFRES CLÉS CA du secteur : 20 milliards d’euros; Nombre d’établissements : 900 directs et 1 600 indirects; Nombre d’emplois : 100 000 dont 41 000 directs, 120 000 avec la maintenance et les services aéroportuaires; Montant des exportations régionales : 5,255 milliards d’euros; Excédent commercial de la filière en Ile-de-France : 647 millions d’euros (excédent total de la filière en 2013 : 22 milliards d’euros); Nombre d’embauches en 2013 : 2 000 (sur un total de 13 000 en France); Part de la R&D aéronautique et spatiale sur la R&D régionale : 43%. Sources : Insee, Drire, Pôle AS'Tech, Gifas. D.R. SPATIAL. À l'image d'Airbus Defence & Space, aux Mureaux, c’est en Île-de-France que prospère une bonne part de l’activité. UNE INDUSTRIE MODÈLE L’EXPRESS / 19 Pour Dassault Aviation, qui a fêté en 2013 le 50e anniversaire de son Falcon, la région est à la fois le berceau et la base de l’avionneur. À Saint-Cloud, son siège historique depuis 1936, travaillent 3 000 personnes, dont la moitié exerce au sein du bureau d’études où sont conçus tous les avions, civils comme militaires, tels les futurs Falcon 5X et 8X. Et c’est dans son usine d’Argenteuil, l’une des plus importantes du groupe, que sont fabriqués toutes les pièces de structure de petites dimensions, le fuselage du Rafale et les tronçons avant des Falcon. L’Île-de-France est également une terre d’accueil pour les grands équipementiers, à commencer par Safran et Thales. Ces deux galaxies industrielles développent d’innombrables compétences, activités, sites, laboratoires, et rassemblent des dizaines de filiales de toutes tailles. Plus de la moitié des effectifs de Safran dans l’Hexagone (39 500 personnes) exercent dans l’un des vingt-neuf sites implantés dans la région. Idem pour Thales, spécialiste des équipements embarqués pour la navigabilité des avions, des fusées ou des satellites, ou pour l’ensemble des activités de divertissements des passagers en vol. À leurs côtés, on trouve encore Zodiac Aerospace, équipementier devenu l’un des principaux fabricants de fauteuils et d’équipements de sécurité pour les avions. L’autre visage d’Air France-KLM Il est, aujourd’hui, le deuxième plus grand acteur mondial de la maintenance aéronautique. Air France Industries–KLM Engine- D.R. ering & Maintenance, l’une des divisions les plus rentables du groupe, est née et a grandi en Île-de-France. L’an dernier, elle a réalisé 3,28 milliards d’euros de chiffre d’affaires, dont 1,225 milliard chez des clients autres qu’Air France et KLM. Une hausse annuelle de 11 %. Son métier : entretenir les avions, les surveiller, les ausculter, les remettre en état, en bref, en assurer la maintenance du premier au dernier jour de vie de l’appareil, depuis la visite de routine jusqu’à la « grande visite », celle au cours de laquelle la totalité de l’avion est remise à plat. Tout est passé en revue, depuis les cellules jusqu’aux réacteurs et équipements embarqués sur les avions modernes. L’histoire de cette division est exemplaire. Elle est issue de la direction du matériel d’Air France, basée à Orly Sud, dont le métier consistait à entretenir la (petite) flotte de la compagnie. Depuis, Air France Industries est devenu un colosse. L’an dernier, elle possédait un « portefeuille » de 300 avions appartenant à 150 compagnies clientes. Sur les 14 000 salariés que compte cette division, 8 000 sont basés en Île-de-France. Paradoxalement, c’est un secteur où l’on investit gros : outre un banc d’essais réacteur installé à Roissy en 2012, un atelier dédié a été ouvert il y a deux ans. Coût : 40 millions d’euros. Pourtant, en matière de maintenance aéronautique, l’innovation est ailleurs : depuis plusieurs années, AFI a mis en place un programme de suggestion des salariés. Cela a donné lieu à plus de 4 000 innovations participatives qui débouchent sur des réparations certifiées par le constructeur. J.-C. P. www.lexpress.fr / juin - juillet 2014 30 000 personnes employées dans la recherche La puissance de ces groupes est renforcée par la présence de multiples structures qui favorise cette domination. Selon le pôle de compétitivité ASTech, 42 % de la R&D aéronautique et spatiale française est basée en Île-de-France, rassemblant quelque 30 000 personnes, dont une bonne part de la recherche publique avec les universités, les grandes écoles (polytechnique, Mines et Supelec notamment) et de grands instituts tel l’Onera (Office national d’études et de recherches aérospatiales). « En aéronautique, nous sommes sur des PROJET. Les ingénieurs planchent sur Ariane VI, probable successeur d'Ariane V. cycles de développement très longs, explique Nicolas Aubourg, président du Pôle ASTech. Cela est dû à la nécessaire fiabilité des mécanismes et à la durée de vie des produits. Quand on les conçoit, il faut arriver à un niveau de maîtrise qui va perdurer cin- quante ans. » La recherche privée n’est pas en reste :Airbus Group dépose quelque 400 brevets par an et dispose d’un portefeuille global de 33 000 brevets. Son centre de R&D, à Suresnes, emploie 500 personnes, investit 1,6 milliard d’euros par an et CNES/ILL./DUCROS DAVID, 2013 EN TÊTE travaille pour l’ensemble des divisions du groupe. Même chose pour Safran (65 % de sa R&T sont investis en Île-de-France) et Thales. C’est aussi en Île-de-France que prospère une bonne part du secteur spatial français. Outre les sièges du Centre national d’études spatiales (Cnes), et d’Arianespace (300 personnes), c’est aux Mureaux, en bord de Seine, que se trouve l’unité d’Airbus Defence & Space. Chargée de l’intégration de l’étage principal cryogénique d’Ariane 5, elle prépare, en outre, les lanceurs Ariane V, attendue d’ici à 2018 et Ariane VI espérée pour la prochaine décennie. Des PME et des ETI très impliquées dans la filière Mais l’aéronautique et le spatial franciliens se caractérisent aussi par un tissu de PME et d’ETI dense, compétent et efficace. Des sociétés de moins de 10 personnes à plus de 500 salariés spécialisées dans de À SUIVRE Expliseat : un fauteuil en or La chasse aux kilos superflus est une obsession dans l’aviation. Et une aubaine pour Expliseat, une start-up francilienne qui a décidé de s’attaquer au poids des sièges passagers. Son constat : un fauteuil traditionnel d’avion en classe «éco» pèse environ huit kilos. Sachant qu’un Airbus ou un Boeing moyen-courrier en comptent quelque 180, la mise au point d’un siège ultra léger serait promis à un rapide succès commercial. Aussitôt pensé, aussitôt fait. Expliseat, fondée à Paris en 2011, a mis au point le Titanium Seat, deux fois plus léger qu’un siège de monocou- loir. Pesant quatre kilos au lieu de huit, il permet un gain de masse allant, selon les fondateurs de la société, jusqu’à deux tonnes. Au total, la consommation de kérosène peut diminuer de 3 à 5 %, entraînant une économie pouvant atteindre 400 000 dollars annuels par appareil. Des arguments qui ont de quoi convaincre des compagnies comme easyJet ou Ryanair, qui font voler au quotidien plus de 200 appareils. Restait tout de même à convaincre les autorités aéronautiques de la robustesse d’un tel siège. C’est chose faite depuis le 10 avril dernier. L’Agence européenne de la sécurité aé- EXPLISEAT 18 / rienne (Aesa) vient d’accorder la certification au siège Titanium Seat, l’autorisant à lancer sa commercialisation. Sans attendre, Air Méditerranée avait été la première, début mars, à commander ce fauteuil pour équiper l’un de ses Airbus A321. Un contrat d’un million de dollars. J.-C. P. juin - juillet 2014 / www.lexpress.fr 20 / UNE INDUSTRIE MODÈLE multiples domaines : travail des métaux, réalisation de pièces de séries, conception… La palette est d’autant plus large qu’elle est variée. Selon la Drire, il s’agit pour près de la moitié d’une sous-traitance de spécialité et de capacité. Souvent indépendantes, leur chiffre d’affaires oscille entre 1,5 et 7,6 millions d’euros. Parfois très anciennes, elles s’impliquent fortement dans la filière : plus de 50 % d’entre elles réalisent plus de la moitié de leur activité dans le secteur. Les donneurs d’ordres refusant d’avoir une part trop élevée dans l’activité du sous-traitant (maximum 30 %), ces PME travaillent sou- RÉUSSITE JPB Système serre la vis JPB SYSTÈME « La course à l’investissement apparaît une condition sine qua non pour conserver ses marchés » Ses vis et ses écrous s’arrachent comme des petits pains. Leur atout ? Il ne se dévissent pas et ce, quel que soit le choc, l’agression ou l’usure subi. « Nous avons inventé un mécanisme logé dans la tête de la vis », concède Marc Damien, président de JPB Système. Le reste, on l’aura compris, relève d’un secret de fabrication bien gardé grâce auquel la société fournit aujourd’hui tous les grands motoristes mondiaux. Elle est également en train de percer chez les équipementiers, dans les trains d’atterrissage, les nacelles et les freins. Parmi ses titres de gloire, JPB peut se targuer d’avoir décroché, pour la quatrième fois, le Prix du meilleur fournisseur Snecma (groupe Safran), co-auteur du CFM56, l’un des moteurs les plus vendus de l’histoire de l’aéronautique. L’évolution de cette société est exemplaire : née en 1995, elle réalise sa première vente en 2001. Son chiffre d’affaires de 1,3 million en 2009, atteint 5,7 millions en 2013, pendant que l’effectif est multiplié par dix en quatre ans passant de 3 à 30 personnes. Entretemps, la part export de l’activité est passée de 10 à 70 %. « Nous avons beaucoup investi en R&D pour concevoir des produits complémentaires », explique Marc Damien. Dépôt de brevets, recrutements ad hoc, diversification vers d’autres secteurs (nucléaire et pétrolier), ouvertures de filiales à l’étranger (déjà deux). Enfin, la société a déménagé, en novembre dernier, sur l’aérodrome de Villaroche, sur 6 000 m2, tout près de Snecma. Quant au chiffre d’affaires, il devrait rapidement passer de 10 à 15 millions d’euros. J.-C. P. www.lexpress.fr / juin - juillet 2014 vent en multipliant les clients. Enfin, si elles disposent rarement d’une R&D propre, plus de 70 % d’entre elles disposent de moyens techniques adaptés aux marchés de l’aéronautique et du spatial. C’est d’ailleurs l’un des enjeux du secteur : « Pour ces entreprises, la course à l’investissement apparaît une condition sine qua non pour conserver leurs marchés », relèvent Géraldine Dandrieux et Thierry Petit (Drire). Car des menaces pèsent : celle d’une concurrence moins chère (Pays de l’Est, Maghreb), et celle de difficultés grandissantes de recrutement. Parmi les pistes suggérées, il est proposé d’aider les entreprises à monter des partenariats. Objectif : se positionner sur certaines parties d’appels d’offres, les accompagner dans la formation, le financement, la structuration et le développement de capacités de recherches, les encourager à exporter, et, plus simplement les aider à acquérir une meilleure connaissance des attentes des donneurs d’ordres. Le leadership est à ce prix. Master Films Arrêt sur images Intégrant toute la chaîne de la production audiovisuelle en interne, Master Films a développé une expertise et un savoir-faire unique dans la réalisation d’images pour l’aéronautique notamment. ilm institutionnel, communication interne, événementiel, publicité ou Web, Master Films possède une expertise reconnue sur toute la palette de la communication audiovisuelle, avec une spécificité : une connaissance parfaite et unique de l’industrie aéronautique. « Qu’on parle d’unités de fabrication, de maquette 3D ou de filmer les premiers essais, nous connaissons les rouages et la diversité de l’aéronautique », précise Bernard Birebent, P.D.G. de Master Films « c’est ce qui nous permet d’être un acteur de premier plan sur ce secteur ». F Présent à Toulouse comme à Paris, Master Films affiche en 2013 un CA de 10 M d’€ et appuie son savoir-faire sur plus de 9 000 films réalisés. Suivre l’aéronautique de A à Z Airbus group, ATR , CNES ou AD Industries, Master Films est le partenaire audiovisuel de PME comme des grands groupes internationaux. La devise de l’entreprise : être force de proposition tout en restant à l’écoute des spécificités et des attentes propres à chaque projet. Ainsi lorsqu’Airbus entame le programme A350, Master Films est chargé d’en couvrir tous les aspects. « Participation au salon du Bourget, images de synthèse, maquette taille réelle, suivi de la traçabilité des pièces sur toute la chaîne de production, essais temps froid ou chaud, nous savons valoriser chaque étape clé du déploiement d’un programme », poursuit Bernard Birebent. Et parce que la visualisation des images évolue, Master Films exploite pleinement les nouvelles technologies. Magazine tactile ou application interactive téléchargeable : pour l’A350 Master Films a diversifié les médias afin d’offrir à chaque public (collaborateurs, sous traitant, ou clients) l’une des multiples facettes de cette aventure industrielle. Chaîne de production intégrée L’image : au cœur de la communication Visualiser, imaginer, réaliser, les images sont au cœur de la communication pour les entreprises du XXIe siècle. Avec près de 40 ans d’expérience, Master Films a toujours eu la volonté d’apporter le meilleur de la technique et du conseil. C’est ce qui explique probablement la pérennité de cette entreprise et sa place de premier plan dans l’aéronautique. Chaque production fait l’objet d’engagements stricts de la part de Master Films et de ses équipes. « Écoute du client afin de cerner sa demande mais aussi respect des délais et des budgets, nous travaillons en collaboration avec les entreprises et en confiance avec leurs équipes », ajoute Bernard Birebent. L’image vient toujours enrichir un contenu : conférence de presse, visite d’une délégation étrangère, événement, clip ou animation, l’audiovisuel tel que le propose Master Films est un support stratégique de communication. Chaque année, Master Films investit pour disposer en permanence d’un équipement de pointe. Afin de maîtriser les meilleurs délais et les budgets, Master Films a choisi de gérer en interne tous les aspects de la production. « Nous avons par exemple des cars régies pour suivre des événements dès qu’on nous appelle », poursuit Bernard Birebent « nous sommes équipés de 12 stations de postproduction et montage dans nos locaux ». De fait, lorsqu’il est nécessaire de réaliser des incrustations 3D, l’opération s’effectue en temps réel, dans les locaux de Master Films. Aujourd’hui 35 collaborateurs bilingues composent les équipes de Master Films dont certains sont habilités « Confidentiel Défense » ce qui facilite les interventions sur des domaines confidentiels. Pour plus d’information : www.masterfilms.fr Siège social : 7, rue Michel Labrousse 31100 Toulouse - Tél. 05 34 60 22 22 Bureau Parisien : Tél. 01 74 90 37 79 [email protected] UNE INDUSTRIE MODÈLE L’EXPRESS / 23 Midi-Pyrénées RÉUSSITE La stratégie gagnante de Figeac Aéro Sous le signe d’Airbus Par Maylis Jean-Préau À l’étranger, on ne situe pas forcément Toulouse sur une carte mais on connaît le symbole de la ville : Airbus. Plus encore que le Stade toulousain, l’avionneur européen est l’emblème de Midi-Pyrénées. Avant lui, des constructeurs historiques comme Latécoère ou Sud-Aviation, père de la Caravelle, ont fondé la tradition aéronautique de la région. C’est grâce à ce savoirfaire que l’usine de l’A300 s’installe dans la ville rose, suivie par les bureaux d’Airbus en 1972. L’entreprise connaît une croissance fulgurante. Entre 2002 et 2012, ses effectifs bondissent de 60 %. Elle emploie au- www.lexpress.fr / juin - juillet 2014 DÉTERMINANT. L’expansion d’Airbus a profondément façonné l’économie toulousaine. CHIFFRES CLÉS CA du secteur : 8,08 milliards de dollars, soit 82 % du CA total de la région Nombre d’emplois: 91 318 dont 54 000 directs Nombre d’entreprises : 696 Part des exportations régionales : 85% Excédent commercial de la filière aéronautique et spatiale : 3 145 millions d’euros Nombre d’embauches en 2013 : 6 120 Part de la R&D aéronautique sur le total de la R&D régionale : 50% Sources : Enquête INSEE filière aéronautique et spatiale 2013 jourd’hui 20 000 personnes dans l’agglomération toulousaine et affiche un carnet de commandes confortable : 5 559 appareils fin 2013, soit l’équivalent de huit années de production ! Dans son sillage, toute la filière s’est développée, devenant la clé de voûte de l’économie régio- nale et positionnant Midi-Pyrénées parmi les leaders européens de l’aviation civile. L’aéronautique et le spatial représentent à eux seuls 85 % du chiffre d’affaires à l’export de la région. « À Blagnac, sur 39 000 emplois, 30 000 concernent la filière ! », lance Bernard Keller, le maire de la commune. Porté par une croissance plus faible que l’aéronautique, le spatial compte tout de même trois fleurons régionaux : le Cnes, Thales Alenia Space et Airbus Defence & Space. À l’ombre d’Airbus, prospèrent deux constructeurs régionaux, ATR, leader mondial des avions à turbo propulsion de 40 à 70 places et le Tarbais Daher-Socata. Mais c’est bien l’avionneur européen qui remporte la plus grosse part du gâteau. Signe des temps, EADS, la maison mère, a pris le nom d’Airbus Group et son PDG, Tom Enders, a décidé d’en installer le siège à Toulouse. Car Airbus ne se résume pas à des chiffres vertigineux. L’expansion de l’entreprise a profondément façonné le paysage du nord-ouest toulousain. En dehors d’Aéroconstellation, soit 260 hectares accueillant le hall d’assemblage de l’A380, Airbus compte cinq autres sites dans l’agglomération. Un nouveau quartier est même en train de sortir de terre entre Blagnac et Beauzelle :Andromède, véritable Airbus-ville, abrite logements et bureaux. Une ville attractive pour les sous-traitants étrangers Près de 600 fournisseurs régionaux gravitent dans la sphère « airbusienne ». Des grands groupes, comme Aerolia ou Safran, mais aussi beaucoup de petites entreprises en pleine mutation, à l’image de l’atelier artisanal Louit, devenu en quelques années Alisaero, une PME industrielle de 135 salariés, spécialisée dans la chaudronnerie fine.Tous les métiers de l’aéronautique sont représentés, de la chaudronnerie à l’usinage, en passant par la maintenance et les technologies embarquées. Une dynamique telle que des soustraitants étrangers s’implantent à Toulouse. « On en accueille cinq à six par an », se réjouit Bernard Plano, président de Midi-Pyrénées Expansion. Dernier en date, l’espagnol LTK, qui a déjà lancé 30 embauches et ambitionne de recruter 200 personnes d’ici quatre ans. En 2012, Airbus a effectué trois milliards d’euros d’achats auprès des fournisseurs régionaux. Une véritable manne. Mais l’augmentation des commandes n’est pas de tout repos AIRBUS SAS /S. RAMADIER Depuis l’époque des pionniers de l'aviation, la région a réalisé un incroyable parcours. Autour d’Airbus, tout un écosystème s’est développé. À charge, pour ses acteurs, de continuer à innover. Objectif : conserver leur leadership et assurer la montée en cadence de la production. Jean-Claude Maillard est un homme heureux. Le PDG et fondateur de Figeac Aero prévoit d’embaucher 1 200 personnes dans les années à venir. Il faut dire que le concepteur de sous-ensembles aéronautiques doit honorer un incroyable carnet de commandes. Ses clients se nomment Airbus, Boeing, Dassault ou Embraer. Chaque A350 représente à lui seul 1,3 million d’euros de chiffre d’affaires pour Figeac Aero, concepteur du plancher du long-courrier. L’aventure du sous-traitant lotois est à l’image du développement de l’aéronautique en Midi-Pyrénées : rapide. Il a vu son chiffre d’affaires progresser de 25 % par an alors que le nombre de collaborateurs est passé de 28 en 1990 à 1 300, aujourd’hui. Commercialement offensive, l’entreprise est sortie des frontières du Lot. En plus de ses quatre sites français et de son usine tunisienne, Figeac Aero est en train d’acquérir la filiale Sonaca Wichita. « Notre implantation aux ÉtatsUnis constitue une ouverture stratégique en zone dollars », se réjouit Jean-Claude Maillard. Le Mexique et la Chine sont ses prochaines cibles. Le secret de l’entrepreneur ? Investir près de 20 millions d’euros par an. Pour augmenter son capital, Figeac Aero n’a pas hésité à entrer en bourse fin 2013. Malgré son internationalisation, elle compte toujours 850 personnes sur le site historique de Figeac. Là, sur des machines de haute technologie, sont conçues des pièces de structure de 26 mètres de long, des pièces de moteurs ou encore des trains d’atterrissage destinés à équiper les avions du monde entier. M.J.-P. D.R. 22 / juin - juillet 2014 / www.lexpress.fr UNE INDUSTRIE MODÈLE À SUIVRE Aviacomp, une pépite qui a de la réserve Mapaero à la conquête de l’ouest AIRBUS C’est l’histoire d’une société ariégeoise qui, vingt ans après sa création « Nous fabriquons les bouchons de réservoir des avions », lance Cédric Dupas, responsable industrialisation d’Aviacomp. L’A350 est à l’origine de la naissance de cette start-up de Launaguet. En 2008, Sogeclair et Mecahers, qui travaillent ensemble sur un projet de recherche, font le pari de séduire Airbus avec une solution innovante en matériaux thermoplastiques. « C’était une niche, mais nous y avons cru car le thermoplastique a de nombreux avantages : on peut four- nir une pièce toutes les cinq minutes et il a une bonne résistance aux chocs », poursuit Cédric Dupas. Ticket gagnant ! Airbus devient le premier client d’Aviacomp. La PME passe de 4 à 45 personnes pour réaliser les 58 trappes de voilures, ces accès au réservoir de l’A350. Et ce n’est pas fini, Bombardier a également signé deux contrats. En pleine montée en puissance, Aviacomp prévoit de doubler son chiffre d’affaires en 2016 pour atteindre huit millions d’euros. M.J.-P. par un ingénieur chimiste, Jean-François Brachotte, s’implante aux États-Unis. La success story de Mapaero doit tout à un produit révolutionnaire : une peinture à l’eau ultra-performante et respectueuse de l’environnent. Partie de zéro, l’entreprise pyrénéenne emploie aujourd’hui 85 personnes et génère un chiffre d’affaire de 20 millions d’euros. « Nos peintures s’appliquent sur les structures métalliques pour la protection contre la corrosion, mais aussi à l’intérieur des cabines », explique Eric Rumeau, le directeur général. Pour se démarquer et rester à la pointe de l’innovation, Mapaero investit en permanence dans la recherche. Résultat des courses, sa peinture à l’eau, contenant moins de 5 % de solvants, est la seule sélectionnée pour le cockpit de l’A350. Dassault, Bombardier, Boeing ou Embraer affichent eux aussi les couleurs de Mapaero. Depuis son site de Pamiers, où elle produit 1 000 tonnes de peinture par an, la société a les yeux tournés vers le monde. « Nous nous implantons à proximité de nos clients, c’est pourquoi nous venons d’ouvrir une filiale à Seattle et il y en aura d’autres en 2015 », annonce Éric Rumeau. M.J.-P. Equip’Aero inventeur inspiré Dans son chaudron magique à L’Isle-Jourdain, dans le Gers, Equip’ Aéro réfléchit aux innovations de demain. Spécialiste de la maintenance, l’entreprise de 130 salariés conçoit notamment des systèmes de démarrage pour le Super jet 100. Autre corde à son arc, l’aménagement des cabines haut de www.lexpress.fr / juin - juillet 2014 L’EXPRESS / 25 gamme. Si son mobilier se retrouvera bientôt dans l’A350, ce n’est pas seulement pour son esthétique mais aussi parce qu’il est constitué de matériaux sandwichs, en nid d’abeille, particulièrement résistants. « Nous investissons 11 % de notre CA dans la R&D. L’innovation c’est notre moteur ! », reconnaît Mi- chael Arnac, le vice-président. Les chercheurs d’Equip’Aéro ont été bien inspirés. En menant des travaux sur les systèmes d’évacuation des avions, ils viennent de créer le Glisswin, un appareil de secours pour évacuer des personnes des bâtiments. Inventeur vous dit-on ! M.J.-P. pour la supply chain, pas toujours en mesure de répondre à la montée en cadence. « Quand l’avionneur augmente sa vitesse de production, les équipementiers de rang 1 sont impactés, mais cela a aussi des conséquences sur les autres fournisseurs : la production doit suivre à quatre niveaux différents ! », explique Hervé Schembi, directeur marketing de Latécoère. Très interdépendants, les sous-traitants se sont structurés par le biais du pôle de compétitivité Aerospace Valley, fédérant 700 entreprises d’Aquitaine et Midi-Pyrénées, et du cluster Mecanic Vallée. Airbus motive Tout n’est pas simple sous ses fournisseurs en le soleil d’Airbus. Qui dit les accompagnant commandes, dit aussi lourds investissements. C’est la rançon de la gloire. Avec le risque d’être dépassé. « En 2012, nous avons connu une véritable crise d’embauche, il y avait beaucoup de commandes et pas assez de monde. Ce problème a été en partie résolu, mais notre but est d’aider les sous-traitants, en particulier les PME, à anticiper et à financer leur R&D », explique Agnès Paillard, présidente d’Aerospace Valley. Airbus, qui a besoin d’une supply chain solide, a pris conscience du problème. Il a encouragé la naissance d’Aero Trade, une centrale d’achat commune à une dizaine de PME. Une expérimentation a aussi été lancée pour changer la façon de travailler entre Airbus et ses fournisseurs, « afin que ces derniers ne soient pas seulement des exécutants, mais davantage des partenaires motivés par un but commun et bénéficiant de plus d’écoute et de visibilité », poursuit Agnès Paillard. À la pointe de l’innovation Très dépendants des orientations d’Airbus, les sous-traitants tentent de se diversifier en remportant de nouveaux marchés, auprès du Brésilien Embraer ou du Canadien Bombardier. Pour cela, ils peuvent compter sur un atout de poids : leur excellence technologique et scientifique. L’exemple de Mecaprotech Industries en est la preuve : ses substances chimiques « vertes » lui ont permis de séduire Boeing. La recherche est le point fort de la région qui dispose d’une dizaine de laboratoires de renommée mondiale, très en pointe dans le domaine de la simulation et des matériaux. Pour gagner en lisibilité, les équipes de recherche et de formation liées au secteur ont été regroupées au sein de l'espace Clément-Ader. Premier équipement du futur campus aéronautique de Montaudran, ce complexe de 13 000 m2 accueille quelque 220 chercheurs. Après la conception de l’A350, Airbus est entré dans une phase de production. Il n’y aura pas de nouveaux programmes avant une dizaine d’années. Pour les sous-traitants, reste à relever le défi des cadences et de la réorganisation des bureaux d’études. Pour la région, le moment est venu de transformer l’essai. « Les compétences techniques et humaines de l’aéronautique doivent être utilisées pour doper d’autres secteurs comme la santé, l’agroalimentaire ou l’énergie », espère Bernard Plano.À bon entendeur… REBOND Latécoère par la grande porte L’ancien avionneur historique de la Ville rose peut souffler. Après avoir évité le crash de justesse dans les années 2000, Latécoère a repris son envol. Il a remporté en 2013 un contrat d’1 million de dollars avec le Brésilien Embraer pour le développement et la production des portes des nouveaux avions E-Jet E2. Un contrat de quinze à vingt ans qui vient récompenser son effort constant en faveur de l’innovation. « L’aéronautique est une industrie de pointe, nous sommes toujours à la recherche de nouvelles façons de réaliser des pièces », précise Hervé Schembri, le directeur marketing. Latécoère investit ainsi près de 10 % de son chiffre d’affaires dans la R&D et la R&T. Partenaire de rang 1 des grands constructeurs mondiaux, le groupe s’est spécialisé dans les meubles avioniques, le câblage et les portes passagers. Sans le savoir, on entre dans l’A380 ou dans le Boeing 787 par une porte estampillée Latécoère. Leur plus ? Elles sont constituées de matériaux composites grâce à un procédé hautement technologique, qui permet une économie de temps et de coût de 15 %. Le prochain défi de Latécoère : tenir la cadence de production d’Airbus, qui lui a commandé les portes passagers de l’A320 Neo. M.J.-P. D.R. 24 / juin - juillet 2014 / www.lexpress.fr L’EXPRESS / 27 À SUIVRE Novadem s’envole NOVADEM Provence-Alpes-Côte d’Azur Toujours plus haut Airbus Helicopters en Provence, Thales Alenia Space sur la Côte d'Azur et le pôle de compétitivité Pegase structurent, par de nombreux projets, une filière encore trop éclatée. Avec l'hélicoptère du futur ou les plates-formes stratosphériques, le rêve de toucher les étoiles s’esquisse au quotidien. Par Jean-Christophe Barla www.lexpress.fr / juin - juillet 2014 C e n’est ni un drone ni un satellite. Mais un peu des deux. Semblable à un dirigeable, Stratobus pourra voler à vingt kilomètres au-dessus de la Terre pour assurer des missions d’observation, de sécurité (surveillance des frontières, lutte contre la piraterie…), de télécommunications… À l’étude chez Thales Alenia Space et ses partenaires Zodiac Marine et CEA-Liten, cette « plateforme stratosphérique géostationnaire » fera l’objet d’un prototype dans cinq ans. Avec ce projet de R&D, le pôle de compétitivité Pegase ajoute une nouvelle perspective à une filière aérospatiale en plein redéploiement. Présidé depuis fin 2013 par Michel Fiat, directeur des opérations de Thales Alenia Space, le pôle a défendu, dès 2007, l’idée qu’un jour, des dirigeables voleraient à nouveau. « La filière dirigeables peut générer des chiffres d’affaires très importants, beaucoup d’emplois et de réelles avancées technologiques », soulignait-il dans son livre blanc, en 2008. Stratobus met le rêve à portée, en mobilisant un secteur qui ne manque pas de défis à relever. Technocentre en construction À Marignane (Bouches-du-Rhône), Airbus Helicopters pilote « l’Hélicoptère du futur », un programme soutenu pour 550 millions d’euros par l’État afin de concevoir « la future génération d’hélicoptères plus propres, plus silencieux, plus communicants et plus performants ». En juin 2013, l’hélicoptériste numéro 1 mondial a signé les vingt-deux premiers partenariats avec des sociétés innovantes (60 % de PME) pour contribuer à sa réalisation. Sous l’impulsion du pôle et des deux leaders, la région voudrait acquérir FLEURON. Né dans les hangars de Marignane, le X3 d’Airbus Helicopters est, à ce jour, l’hélicoptère le plus rapide du monde. une image comparable à celle de Midi-Pyrénées avec Airbus. Elle en possède les atouts, mais leur visibilité souffre de la dispersion des acteurs. La Mission de Développement économique régional a recensé huit donneurs d’ordres de rang mondial, une quinzaine de grands groupes et plus de deux cent cinquante PME spécialisées.Airbus Helicopters EUROCOPTER Dès 2006, Novadem a conçu des drones Made in France pour les marchés civils et militaires. La PME aixoise a livré ce printemps son drone U130 à Bernard Magrez qui se qualifie de « compositeur de vins rares ». La machine observe et détecte les besoins de ses vignobles bordelais en traitement, fertilisation, entretien… L'appareil a servi aussi à la SNCF, fin 2013, « en première mondiale » pour inspecter le viaduc ferroviaire de Roquemaure, au-dessus du Rhône, entre Gard et Vaucluse. J.-C. B. Redéploiement pour Bonnans Né à Marseille en 1921, Bonnans intervient dans la mécanique de précision et le traitement de surfaces. Le groupe, familial et indépendant, déménagera en 2015-2016 une partie de ses activités sur la zone des Florides à Marignane. « Un investissement de six à sept mil- lions d'euros pour optimiser nos modes de fonctionnement », confie le PDG Eric Bonnans. Dans ce but, l'entreprise recrute des fraiseurs, des tourneurs et s'implique dans un programme collectif de formation à «l'excellence opérationnelle» (Lean Management). J.-C. B. UNE INDUSTRIE MODÈLE L’EXPRESS / 29 Première filière industrielle régionale, l'aéronautique-spatialdéfense en Provence-AlpesCôte d'Azur représente un chiffre d'affaires global de 5,5 milliards d'euros et 40 700 emplois 9 % de l'effectif industriel régional est lié à la construction aéronautique. 8 donneurs d'ordres de rang mondial : Airbus Helicopters, Thales Alenia Space, Groupe Dassault, Safran, DCNS, CNIM, Thales Underwater Systems, DGA. 1 plate-forme mutualisée d'innovation dans la conception, le prototypage et l'usinage de pièces mécaniques à haute valeur ajoutée : Inovsys à Aix-en-Provence. STRATOBUS. Semblable à un dirigeable, cet aéronef pourra voler à vingt kilomètres au-dessus de la Terre. travaille localement avec cinq cent cinquante entreprises auxquelles il passe 400 millions d’euros de commandes. Directeur des sites France, Gérard Goninet souhaite aider cette supply chain à progresser : « Nous avons besoin de partenaires robustes, fiables et pérennes, capables de s’élever à notre niveau d’exigence pour convaincre d’autres grands donneurs d’ordres ». Le groupe joue donc un rôle moteur, avec Daher, dans le projet Henri-Fabre de Technocentre ciblé sur la mécanique, les matériaux du futur et l’ingénierie des services avancés à l’industrie. Objectif : créer 7 000 emplois à l’horizon 2020 autour d’Airbus Helicopters et de l’étang de Berre. Il réorganise parallèlement son site. En septembre 2014 débutera la construction du Marignane Développement Center, centre d’ingénierie et R&D de 22 000 m2 d’un coût de 40 millions d’euros. Fin novembre, il récupèrera un nouveau bâtiment dédié aux essais dynamiques des hélicoptères (10 millions d’euros). Émanciper la sous-traitance Pour fortifier les start-up et PME régionales, Thales Alenia Space (TAS), premier fabricant mondial de satellites, coopère, lui, sur la démarche « Cap Indus », avec l’Association des SOUS LES AILES DE PEGASE Coordonnés par le pôle de compétitivité Pegase et l'État, d'autres projets consolident la filière. À Istres, un pôle de référence européen en « essais, simulations et mesures » est envisagé sur 45 000 m2 de bâtiments et 33 hectares de l'ancien site Mercure de Dassault Aviation. Proche de la base aérienne 125, du site d’essai en vol de la Direction générale de l’aviation, d’Airbus Helicopters, de Snecma et de Dassault Aviation, le lieu pourrait héberger les industriels des plates-formes stratosphériques et dirigeables. À Salon et Lançon-de-Provence, le Flying Capabilities Campus développera la formation et la R&D dans les technologies du « Faire voler » autour de la base aérienne 701 et de l'Onera (Office national d'étude et de recherche aérospatiale). Sur l'aéroport d'Avignon, la pépinière d'entreprises de Pegase accueille des sociétés innovantes. Swat y développe et teste son drone civil, Albadrone. www.lexpress.fr / juin - juillet 2014 THALES (Source Directe 2011). Sources : Panorama économique MDER 2012 partenaires pour la promotion industrielle Méditerranée (APPIM) et la CCI Nice-Côte d’Azur. L’établissement génère 50 millions d’euros de retombées en Paca sur deux cents fournisseurs. « Nous les aidons à accentuer leur autonomie et évoluer pour qu’ils soient aptes à conquérir des marchés à l’international. Certains ont déjà ouvert des agences autour de Toulouse, note Jean-Marc Franzin, adjoint au directeur de TAS à Cannes. Nous recherchons aussi, hors du secteur aérospatial, des sociétés avec des technologies de pointe, un savoir-faire, susceptibles de nous apporter une vision novatrice sur certaines problématiques ». Profondément remanié et modernisé depuis 2008,TAS investit encore sur son site : 10 millions d’euros dans un bâtiment d’intégration des satellites d’observation. RÉUSSITES Smac réduit les vibrations au silence La dernière innovation de la PME spécialiste des élastomères accroît l’insonorisation des cabines d’avion. « Nous ne savons pas toujours comment des sociétés confrontées à une problématique de chocs thermiques, acoustiques ou vibratoires parviennent jusqu’à nous. J’imagine que l’expertise et la crédibilité de Smac pour apporter des solutions favorisent les recommandations », confie Philippe Robert, le PDG. La PME de Toulon (Var) conçoit et fabrique des pièces en élastomère pour l’aéronautique, le spa- tial, la défense et la compétition automobile. Le premier génère 65 % de son chiffre d’affaires de sept millions d’euros. Elle fournit Airbus, pour l’A350 XWB, Boeing pour le B787 Dreamliner, Airbus Helicopters, Dassault Aviation ou l’Agence spatiale européenne, pour laquelle elle a développé des pièces pour protéger les équipements lanceurs et les satellites de chocs d’origine pyrotechnique. « La plupart du temps, nous intervenons en direct. Proposer des produits inédits et performants plutôt qu’une simple prestation SMAC CHIFFRES CLÉS rééquilibre le rapport avec le donneur d’ordres. » Travaillant à 55 % à l’export, Smac présentait en avril sa dernière innovation au salon AirCraft Interiors de Hambourg : SMACWRAP ROLL. Ce rouleau amortissant et souple de 10 mètres de long et 600 mm de large, posé sur les parois de l’appareil com- me du papier peint sur un mur, insonorise les cabines d’avion. Employant 45 personnes, l’entreprise se veut « proactive » dans sa recherche de solutions. « À l’avenir, les matériaux composites des appareils intègreront nos produits. SMAC est prête pour cette rupture technologique. » J.-C. B. Oxytronic taille sur-mesure des systèmes embarqués Fabricant d’équipements électroniques pour l’aviation, Oxytronic monte à bord de l’EC175 d’Airbus Helicopters. Pour accroître la compétitivité de sa PME, le PDG, Serge de Senti, intègre au maximum la chaîne de conception et de fabrication. À sa création en 2005, la société d’Aubagne (Bouches-du-Rhône) produisait des plaquettes éclairantes pour tableaux de bord, des touches de commutation... Puis, elle s’investit dans des équipements électroniques embarqués plus sophistiqués pour le confort de voyage (In Flight Management - IFE) comme des écrans personnalisables, des téléphones de bord, des casques micro sans fil, et jusqu’à son système ICan, unité centrale combinant divers périphériques (audio, vidéo HD, téléphonie, écrans…) dont Airbus Helicopters a sélectionné la dernière version pour son EC175. « Quand une idée me semble correspondre à un besoin, je mobilise le centre de R&D pour la concrétiser. Nos innovations séduisent par leurs performances et leur coût », indique le dirigeant. En progression constante, Oxytronic réalise quatre millions d’euros de chiffre d’affaires pour un effectif de 42 personnes. Sa présence au Bourget, en juin 2013, lui a permis de décrocher des contrats avec Latécoère et Lieb- Serge de Senti. OXYTRONIC 28 / herr Aerospace. Le Gifas en fait la « tête de grappe », en Paca, de son programme Performance industrielle afin qu’elle aide d’autres PME locales à monter en compétence. En juillet, Oxytronic ouvrira un centre de R&D à Grenoble. Elle étudie la création d’un site complémentaire à Marignane, près d’Airbus Helicopters et effectue une percée dans le nucléaire pour continuer à croître. J.-C. B. juin - juillet 2014 / www.lexpress.fr UNE INDUSTRIE MODÈLE L’EXPRESS / 31 d’ici à trois ans. Ou encore de Mécachrome qui va construire, en collaboration avec la Snecma, une usine à Sablé-sur-Sarthe (Sarthe) destinée à la production d’aubes de turbines, pour un investissement total de 60 millions d’euros. La montée en puissance de ces sous-traitants de rang 1 permet aujourd’hui à toute la filière de sortir de la seule dépendance d’Airbus et de se tourner vers l’international, en nouant des contacts avec Bombardier, Embraer ou Boeing. Pays-de-la-Loire Entre ciel et mer Portée par l’activité des deux sites d’Airbus, la chaîne de soustraitance ligérienne a su s’organiser, pour gagner en indépendance et se tourner vers l’international. Une animation collective de la filière soutenue par la Région D.R. BALLET. Le Beluga d’Airbus décolle 50 fois par mois depuis l’usine de Saint-Nazaire. Par Frédérique Letourneux S ’il lui fallait une mascotte, la filière aéronautique des Pays-dela-Loire choisirait sans doute le beluga. Également appelé Super Transporter, cet avion cargo, utilisé par Airbus pour acheminer les sections des appareils entre ses différents sites de production en Europe, symbolise la position stratégique qu’occupe la région dans le paysage de l’aérospatiale française. Tournée vers l’extérieur. En effet, en 2013, le Beluga a transporté, au départ de Nantes vers Hambourg, près de cinq cents caissons centraux de voilure d’A320. Quant aux pièces du géant A380, fabriquées à Saint-NazaireMontoir, elles embarquent sur d’immenses cargos rouliers. À eux deux, les sites ligériens d’Airbus emploient au total quelque 5 200 personnes, dont près de 600 ont été embauchées, en 2013, sur des postes en production. Et les fortes augmentations de cadence, attendues sur les pro- ELYPS VOIT GRAND Spécialisé dans les systèmes mécaniques et l’outillage, le groupe coopératif Elyps, a été créé, en 2004, à la suite du rachat du capital par les salariés. Depuis, il a doublé ses effectifs – 100 salariés en 2013 – et son chiffre d’affaires – 12 millions d’euros pour le dernier exercice. Fort de cette croissance, le groupe, dont la principale filière est l’usine de mécanique de précision basée à Besné, en Loire-Atlantique, souhaite se développer dans l’usinage de pièces de grandes dimensions. Et, engage un plan d’investissement de quatre millions d’euros sur trois ans (20142017) pour moderniser son appareil productif. F.L. www.lexpress.fr / juin - juillet 2014 grammes Airbus A350 et A320 Neo, se traduisent logiquement par de nouveaux investissements (135 millions d’euros sur les deux sites) et des embauches (230 programmées, dont 65 % à Saint-Nazaire). De nouveaux venus Le secteur s’est depuis toujours structuré autour d’une mono-activité, celle de l’aérostructure civile portée par quelques sous-traitants de rang 1. Parmi les plus anciens, on recense Aérolia, dont le site de Saint-Nazaire (840 salariés) va être complètement rénové, d’ici à 2017, pour une enveloppe de 100 millions d’euros, Halgand, Daher, Espace, la Famat, Spirit Aerosystems, Duqueine Atlantique ou encore Europe Technologie… Dans leur sillage, de nouveaux venus œuvrent pour s’implanter durablement sur le territoire. C’est le cas de Figeac Aéro, équipementier en passe d’investir cinq millions d’euros dans une unité de production de planchers pour les A350, à Montoir-deBretagne, en Loire-Atlantique. Près de 80 personnes seraient recrutées D’autant qu’à l’autre bout de la chaine, les PME se structurent pour faire face aux commandes.À l’image du cluster Neopolia, dont la branche aéronautique regroupe 37 entreprises, représentant 2 500 emplois. « Nous avons inventé des modes pionniers de fonctionnement pour pouvoir intervenir sur toute la chaine de production et ainsi répondre de façon efficace aux donneurs d’ordres », détaille Nicolas Dérouault, vice-président de Neopolia Aerospace. Depuis le 1er janvier 2010, la filiale aéronautique du cluster a dégagé 35 millions d’euros de chiffre d’affaires, avec des programmes d’envergure, comme celui actuellement déployé par un consortium dirigé par Euro Engineering, pour le compte d’Aérolia, concernant la conception et la réalisation d’une ligne d’assemblage complète pour un tronçon du Bombardier B7000/8000. Afin d’améliorer le fonctionnement de toute la chaine sous-traitante, la Chambre de commerce supervise également, en partenariat avec l’association toulousaine Space, un programme intitulé Dinamic space. Objectif : encourager des sous-traitants de rang 1 – à ce jour Daher, Thales,Aérolia,Sogerma – etAirbus à créer,autour d’eux,une « grappe » RÉUSSITE Europe Technologies résiste et se diversifie «Entre nous et l’aéro, c’est une longue et belle histoire», sourit Patrick Cheppe, le PDG du groupe Europe Technologies (ET). Quand cet ancien ingénieur d’Airbus crée Sonats, en 1991, son premier client est son ancien employeur. « Longtemps j’ai joué le rôle du médecin en proposant des expertises pour rendre les pièces métalliques plus performantes, et un jour j’ai trouvé la solution. » Sa trouvaille ? Bombarder la surface des pièces par impact d’ultrasons afin d’accroitre leur résistance mécanique. Composé de sept filiales réparties en trois départements – composite, mécanique et ultrasons, le groupe investit 15 % de son chiffre d’affaires dans la R&D. Des projets sont notamment portés dans le cadre du Technocampus composite, à Bouguenais, au sein d’un laboratoire opérationnel organisé en production pour réaliser des prototypes. Aujourd’hui, Europe Technologies réalise environ un tiers de son activité dans l’aéronautique, collaborant à la fois avec des avionneurs (Boeing, Airbus) et des motoristes (Safran, Pratt et Whitney, MTU Aero Engines, Rolls-Royce). En parallèle, elle poursuit sa diversification sectorielle en se tournant vers l’automobile, la défense, l’énergie et l’agroalimentaire, mais aussi géographique en exportant vers l’Allemagne, les États-Unis ou encore l’Asie. « Nous réalisons actuellement 35 % de nos ventes à l’international, et nous voulons poursuivre cette ouverture », assure Patrick Cheppe. En cinq ans, le groupe a déjà doublé son chiffre d’affaires à 44 millions d’euros, en 2013, et ses effectifs (250 personnes). F.L. D.R. 30 / juin - juillet 2014 / www.lexpress.fr 32 / UNE INDUSTRIE MODÈLE À SUIVRE D.R. LoireTech, la petite boîte qui monte La pièce a fait sensation lors du salon du composite (JEC), en mars dernier. L’objet de toutes les attentions est un moule prototype en céramique recouvert de ferrites qui permet la transformation des matériaux composites thermo-plastiques via l’utilisation de la technologie micro-onde. « C’est un procédé qui permet un temps de cycle très court de transformation et surtout de dépenser très peu d’énergie », résume Marc Moret. Le PDG de Loiretech, avait fait le pari des matériaux composites dès la reprise de Loire Modelage en 2004. Pour mettre au point cette innovation, la PME spécialisée dans les moules et les outillages en composite, basée à Mauves-sur-Loire, a travaillé pendant trois ans dans le cadre d’un projet européen, baptisé Mu-tool, en partenariat avec des centres de recherches anglais et suédois et trois sociétés étrangères. Elle a disposé d’une enveloppe de 1,2 million d’euros. Reste désormais à transformer l’essai et à passer du prototype au stade industriel. « Des contacts sont déjà pris avec des équipementiers aéronautiques et automobiles », précise ce diplômé de l’Ecole centrale de Nantes. Le groupe consacre entre 4 et 10 % de son chiffre d’affaires à des projets d’innovation en interne ou menés en partenariat au sein de l’IRT Jules Verne (comme le programme Robofin). Dix ans après sa reprise, le groupe affiche des ventes de plus de six millions d’euros, dont près des deux tiers réalisés dans l’aéronautique. Prochain objectif : se développer à l’international, via une filiale qui devrait être opérationnelle à Montréal dans le courant de l’année. F.L. www.lexpress.fr / juin - juillet 2014 d’entreprises afin de réfléchir à de nouvelles façons de collaborer. « Nous ne sommes pas dans une configuration classique de commande descendante,mais clairement dans une animation collective de la filière, avec le soutien financier des pouvoirs publics dans laquelle les grands industriels donnent de la visibilité aux PME et partagent les enjeux de recherche et développement (R&D) », assure Christophe Clergeau, premier vice-président de la région des Pays de la Loire en charge du Développement économique et de l’Innovation. Un réceptacle de projets de recherche Après la création,en 2005,du pôle de compétitivité EMC2, rassemblant industriels et laboratoires de recherches autour des technologies avancées de production, l’ouverture, en juillet 2012, de l’IRT (Institut de recherche et de technologie) Jules-Verne concrétise aujourd’hui les efforts réalisés en matière de R&D. Né d’un financement couplé État, collectivité et entreprises, pour un engagement de plus de 350 millions d’euros sur dix ans, l’IRT est le réceptacle de projets de recherches, dont près de la moitié sont portés par la filière aéronautique. Ils sont pour la plupart réalisés au sein du Technocompus Composite, situé à Bouguenais, à deux pas du site Airbus. « Ce type d’espace de recherche constitue un sas de discussion formidable entre les PME et les donneurs d’ordre. Il est possible de se lancer dans des projets d’innovation sur un pied d’égalité »,explique Patrick Cheppe,le DG d’EuropeTechnologies. Avec toujours ce même objectif, à terme, d’augmenter la valeur pour tous les maillons de la chaîne. CHIFFRES CLÉS 6 600 emplois directs et 12 980 salariés, sous-traitants compris. 5e région française en effectifs (5 % des effectifs nationaux). 111 établissements, sous-traitants compris. Le plus grand cluster de la région : Neopolia Aerospace. Les 37 entreprises adhérentes à Neopolia Aerospace représentent quelque 2 500 emplois directs et réalisent un chiffre d’affaires cumulé de 300 millions d’euros. 2e région française pour la construction de structures aéronautiques civiles. 2e pôle industriel d’Airbus en France. Montant des achats passés par Airbus à des sous-traitants (2013) : 405 millions d’euros. Montant des exportations : 1,2 milliard d’euros en 2013 (en progression de 8,3 % par rapport à l’année dernière). Sources: Ores PDL, Gifas, Neopolia, Airbus, Direccte. UNE INDUSTRIE MODÈLE RÉUSSITES Aquitaine Une industrie plurielle Région aux multiples compétences, l’Aquitaine est un peu le couteau suisse de l’aérospatiale. Des aérostructures aux produits informatiques, des composites au câblage, elle poursuit sa diversification en misant désormais sur les avions sans pilote. Par Jean-Claude Pennec L ’Aquitaine a plus d’une corde à son arc. Outre la fabrication d’aérostructures, domaine dans lequel il excelle, le troisième grand pôle aéronautique et spatial français, fournit le secteur en produits informatiques, électroniques et optiques, et dispose de solides compétences en composites,câblages,carburants,maintenance et, désormais, dans les drones. Au total,il emploie plus de 37 000 personnes, essentiellement en Gironde, département qui concentre 15 000 salariés et 320 établissements, et dans les Pyrénées Atlantiques où l’on dénombre 7 200 salariés répartis dans 230 établissements.À elle seule, la capitale girondine, véritable figure de proue du secteur, concentre 280 établissements, 13 700 salariés et à peu près toutes les activités : avions d’affaires et de combat, tuyères des boosters pour la fusée Ariane, carburants pour fusées et missiles, systèmes embarqués pour avions, maintenance aéronautique et aménagement intérieur des avions. Le dynamisme du territoire s’explique par la présence active des poids-lourds du secteur.À commencer par le groupe www.lexpress.fr / juin - juillet 2014 L’EXPRESS / 35 CHIFFRES CLÉS Chiffre d’affaires : 24 milliards d’euros Nombre d’emplois : 45 000 dont 14 700 emplois directs et 30 300 indirects. Nombre d’établissements : 630 dont 340 sous-traitants Gironde : 50% des établissements, deux tiers du chiffre d’affaires global Premier secteur régional exportateur Pôle Aerospace Valley : 640 adhérents Sources : Insee, Pôle Aerospace Valley,Aquitaine Développement Innovation, Gifas. Safran, dont près de 20 % des effectifs dans l’Hexagone (39497 personnes) sont en Aquitaine, via ses filiales Herakles, Turbomeca, Snecma et Messier-Bugatti-Dowty. Se sont également implantés dans la région, l’ex-Astrium Space Transportation qui conçoit, fabrique et assemble les étages d’Ariane 5 et du missile M51, implanté à SaintMédard-en-Jalles (1 340 personnes). Et aussi DassaultAviation,Turbomeca, Thales, Sogerma qui produit les aé- rostructures desATR 42 et 72 et Creuzet Aéronautique. Ces cadors réalisent à eux seuls 80% du chiffre d’affaires de l’aéronautique régionale et 59 % du chiffre d’affaires du spatial. À l’opposé, la myriade de petites entreprises (40% des établissements comptent moins de 10 salariés) représente 3 % du chiffre d’affaires global.Les 11 % de CA restants sont réalisés par des entreprises comptant entre 10 et 49 salariés (44 % des acteurs du secteur).Parmi ces PME et ETI qui prospèrent à l’ombre de leurs aînées, on peut citer la Fonderie Messier à Arudy, au sud de Pau, ou le petit pôle de mécanique, toujours à Pau, qui regroupe des sociétés comme Exameca. Mais aussi Rescoll, spécialisée dans les polymères, très dynamique à Talence,ou Potez.« Un axe Figeac,Toulouse, Pau,se dessine très nettement », note Roland Texcier,délégué aux projets R&D aérostructures,matériaux et procédés du pôle Aerospace Valley, dont la compétence s’étend sur les deux régions. Autre spécialité de pointe, le traitement de surfaces avec notamment SII France à Arovy,Aeroprotec à Pau et l’Electrolyse à Latresne. Décollage pour la filière drone La présence, dans la région, d’entreprises de composites est de plus en plus marquée. Avec, en premier lieu, CompositesAquitaine (Airbus Group), implanté à Salaunes ou Epsilon Composites à Gaillan-en-Médoc. Enfin, l’Aquitaine recèle également quelques pointures de l’aménagement des avions avec Sabena Technics, ou de l’équipement de cabines avec Catherineau. Soucieuse de conserver une longueur d’avance, elle se tourne vers les drones, filière en pleine expansion dont le chiffre d’affaires devrait passer de 100 millions d’euros, en 2013, à 188 millions d’euros, en 2015. Son cluster Aetos, né en juillet 2010, regroupe déjà une cinquantaine d’acteurs (Fly-n-Sense à Mérignac, Xamen Technologies à Pau, Vision Scope à Mont-de-Marsan, le Labo- Catherineau soigne ses intérieurs Lauak garde la cadence Catherineau n’est pas exactement ce que l’on appelle une jeune pousse. Fon- D.R. 34 / Partenaire de la plupart des avionneurs et des leaders d’aérostructures, Lauak est l’un des principaux sous-traitants français de réalisation de pièces primaires, de sousensembles et d’ensembles pour l’industrie aéronautique. Parmi ses spécialités, les réservoirs de carburant, l’assemblage d’échangeurs thermiques et l’aménagement de cockpit. Il y a quelques jours, il a livré à DassaultAviation le premier tronçon T3 destiné aux Falcon 900 et 2000. Pour produire cette pièce de 5 mètres de long, 2,50 mètres de diamètre et 650 kilos, Lauak a investi 400 000 euros en matériels et recruté une tren- taine de salariés. Une nécessité pour faire face à la montée en cadence imposée par Airbus et Dassault Aviation. Pas de quoi effrayer Jean-Marc Charritton, le président du groupe, qui a réalisé 80 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2013, et qui emploie 730 personnes. Il vise, en effet, beaucoup plus haut et a investi 12 millions d’euros dans un double programme. Il comprend la construction d’un nouveau bâtiment industriel de 5 000 m2 à Hasperren, dans les Pyrénées-Atlantiques, et de rapatrier, en 2015, sur son site de l’Isle-Jourdain (Gers), dans un nouveau bâtiment, l’activité de Villemursur-Tarn (Haute Garonne). J.-C.P. dée en 1750, à Bordeaux, cette PME familiale s’est imposée comme l’une des références de l’aménagement intérieur d’avions d’affaires ou d’hélicoptères civils. Depuis 1960, la société girondine a conçu les intérieurs de plus de 2 000 avions et hélicoptères pour des personnalités de la finance, du spectacle ou des Émirats, mais aussi des hommes d’État. Il y a cinq ans, Catherineau a totalement réaménagé l’Airbus présidentiel, un A330-200 destiné aux voyages officiels. Ici, le quotidien est fait de bois rares, d’étoffes précieuses, de cuirs souples, d’or, voire de diamants, matériaux maniés par les mains expertes de la centaine d’employés, souvent diplômés d’écoles d’art. « Nous faisons plus de 80 % de surmesure », explique Anne-Sophie Catherineau, aux commandes de cette société. Elle investit chaque année 10 % de son chiffre d’affaires – plus de 9 millions d’euros en 2013 –, en R&D et vient de déménager son activité dans une nouvelle usine de 4 600 m2 sur l’Aéroparc de Bordeaux (4 millions d’euros d’investissements). J.-C.P. Aeroprotec maîtrise la surface Tout avion, civil ou militaire, comme tout hélicoptère, doit être revêtu à 90 % par des protections de surface ou par de la peinture. Le fuselage, les moteurs, les trains d’atterrissage ou les parties plus dissimulées… tout y passe. Cette contrainte fait le bonheur d’Aeroprotec, une PME d’une centaine de salariés, spécialisée dans le traitement de surface, implantée à Pau. « Nous ne sommes pas nombreux à faire ça en France », souligne Thierry Haure-Mirande, qui a repris l’entreprise en 2005 et qui, depuis, a doublé le chiffre d’affaires (5,2 millions d’euros l’an dernier) comme le volume de travail. Pourtant, l’exercice n’a rien de simple : sachant qu’un avion actuel a une durée de vie de trente ans, voire plus, « tout le jeu consiste à rester économiquement viable sur des processus de plus en plus contraints ». S’adressant aux fleurons de l’aéronautique européenne (Airbus Group, Dassault Aviation, Airbus Helicopters ou des motoristes), Aeroprotec a mis les bouchées doubles, notamment pour ré- pondre aux contraintes Reach, en créant un département de R&D et en s’impliquant dans de la recherche fondamentale dans les champs de la dynamique «verte » (suppression du chrome par exemple). Par ailleurs, elle a investi 1 million d’euros dans l’agrandissement de ses locaux, à Pau, et dans une implantation en Tunisie. Elle est également en train de finaliser une création de site au Maroc et vise désormais à s’établir en Amérique du Nord (États-Unis ou Canada). J.-C.P. juin - juillet 2014 / www.lexpress.fr 36 / UNE INDUSTRIE MODÈLE L’EXPRESS / 37 Centre Une sous-traitance bien assise L Par Jean-Jacques Talpin INATTENDU. L'aéroport de Chateauroux accueille la plus grande cabine de peinture privée de France. D.R. Plutôt généraliste, la région a réussi à se faire une place de choix dans l'aéronautique. Son créneau : l’aménagement intérieur des cabines, notamment la fabrication de sièges. e Centre tient son rang. Avec 3 % des effectifs du secteur, c’est la 6e région aéronautique et spatiale de France. Naturellement éloignée des frontières et donc des guerres, de nombreux groupes s’y étaient installés afin d’alimenter l’industrie de la défense depuis l’aéroport de Châteauroux, aujourd’hui zone d’activités aéronautiques et siège du pôle Aérocentre qui fédère une cinquantaine d’entreprises. Marquée par l’empreinte d’Airbus, dotée d’un tissu industriel riche de quelques grandes entreprises et d’une myriade de sous-traitants, le Centre héberge tous les savoirfaire, depuis les plus petites pièces mécaniques jusqu’à l’électronique et la déconstruction des vieux aéronefs. « On fait de tout, avec une chaîne complète allant de la construction à la déconstruction en passant par la maintenance », souligne Marie-Madeleine Mialot, présidente de l’agence de développement Centréco. Pourtant, au fil des ans, une spécificité s’est consolidée au point de devenir la « signature » de la région et RÉUSSITE PGA s’amuse de la concurrence Créé en 1983 par Jean-François Piaulet, PGA Electronic s’est rapidement développée pour devenir une « pépite » spécialisée dans les systèmes d’actionnement de sièges, d’éclairage et de divertissement à bord. Leader mondial de l’éclairage individuel par liseuse, PGA propose également des systèmes d’ambiances lumineuses et de divertissement audio, vidéo et visualisation 3D à bord. Avec l’électronique et les logiciels PGA, le passager peut contrôler toutes les fonctions de la cabine comme l’éclairage, la musique, l’appel hôtesse, la télévision satellite. Un vrai savoir-faire qui a nourri les appétits de ses concurrents, comme l’Américain Astronics Corporation www.lexpress.fr / juin - juillet 2014 qui a acheté PGA en décembre. Sans conséquence pour le site de PGA Avionics (190 salariés et 37 millions de chiffre d’affaires). « Bien mieux, explique Fabrice Berthelot, directeur général délégué, cet adossement va nous ouvrir le marché américain et booster notre développement ». La PME va donc poursuivre sur ses marchés de prédilection : l’ambiance des sièges VIP, notamment pour des avions privés de très grand luxe. « Le divertissement et le confort sont des outils de fidélisation des clients, poursuit Fabrice Berthelot, il n’y a donc pas de limites… ». Avec sa R&D intégrée et des fournisseurs essentiellement français, PGA veut aussi montrer « qu’on peut être innovant et compétitif en produisant en France ». J.-J.T. de générer plus de 2 000 emplois. Il s’agit de l’aménagement de cabines et de sièges d’avions, activités historiquement liées au fabricant de sièges Zodiac à Issoudun, dans l’Indre. Devenu leader mondial dans l’aménagement de cabines, Zodiac Aerospace a ainsi généré un tissu de sous-traitants travaillant dans la confection de sièges, moquettes, rideaux, systèmes d’éclairage ou d’ambiance et tout ce qui concourt au confort des passagers. Investissements gagnants Toujours à Issoudun,W. Grason réalise notamment des accoudoirs et des housses de sièges d’avion, Selmatis est spécialisée dans les fabrications en cuir de sièges haut de gamme, et Lisi Aerospace Creuzet dans l’aménagement de cabine. Tous ces équipementiers alimentent l’activité régionale de la sous-traitance. « La filière a cette particularité d’être sous-traitante de grands donneurs d’ordres régionaux, même si quelques PME travaillent directement pour des groupes nationaux », poursuit Marie-Madeleine Mialot. À l’image du secteur aéronautique, la sous-traitance régionale se porte bien. Une santé florissante qui se traduit par des investissements soutenus, à l’image de TLD qui injecte 10 millions d’euros dans une unité de production à Sorigny, au sud de Tours, qui produira, dès cet été, le Taxibot, un véhicule semi-robotisé électrique permettant de tracter les avions au sol. Ou encore d’Aero Technique Espace, première entreprise indépendante de peinture d’avions en France, qui vient d’inaugurer une cabine de peinture pour gros-porteurs à Châteauroux, où se trouve l’un des plus grands sites européens de peinture d’avions. De son côté, le plasturgiste automobile Plastivaloire innove dans de nouveaux matériaux composites à usage aéronautique. Revers de la médaille, « les entreprises ont du mal à recruter, alors qu’elles ont des commandes et des perspectives de développement », regrette Thierry Bluet de Centréco. Et cela malgré les nombreuses formations ouvertes. Face à cette situation, Christine Denis, secrétaire générale d’Aérocentre, appelle à « un véritable plan de bataille pour l’emploi dans l’aéronautique régionale ». CHIFFRES CLÉS 321 entreprises; 18 700 salariés dont 6 000 dans les 10 principaux établissements comme MBDA (950 salariés), Zodiac Seats (950), Paulstra SNC (600), Saint-Gobain Sully (600), Thalès Avionics (530), Michelin (500)… Embauches estimées 2014 : 300 à 400 ; 80 formations ouvertes aux métiers de l’aéronautique ; Participation à deux pôles de compétitivités : S2E2 pour les systèmes électriques avioniques et Elastopole pour les pneus d’avions. Source : Centréco. EN TÊTE Zodiac renouvelle la classe affaires Dans l’Indre, Zodiac Seats produit des sièges d’avions, un équipement plus stratégique qu’il n’y paraît. « Les compagnies se battent énormément sur le confort des passagers. L’objectif étant de leur éviter toute fatigue à l’arrivée, le siège revêt une importance capitale et devient un élément de différentiation des compagnies », explique Laurent Stritter, directeur marketing innovation de Zodiac Seats. L’ambiance, la qualité du cuir, l’ergonomie, le poids et, bien sûr, la sécurité font l’objet de toutes les attentions afin d’offrir un produit personnalisé à chaque compagnie. Le coût d’un siège peut atteindre 50 000 euros l’unité, hors accessoires numériques, et le temps nécessaire à le produire, neuf mois depuis sa conception en passant le prototypage, les tests, le choix des sous-traitants (régionaux si possible) et l’assemblage. La R&D est donc capitale pour Zodiac qui vient de réussir à convaincre Air France de le choisir pour son nouveau siège business, capable de se déployer en lit de près de deux mètres. « C’est un produit ultra-sophistiqué. Ce qui se fait de mieux dans la gamme », assure Laurent Stritter. Air France a ainsi passé commande de 2 102 sièges pour ses 44 Boeing 777. Le marché court jusqu’en 2016 donnant de l’air à la sous-traitance régionale. J.-J.T. juin - juillet 2014 / www.lexpress.fr L’EXPRESS / 39 Les batailles du ciel LA CONCURRENCE REBAT LES CARTES Dans moins de vingt ans, le trafic aérien mondial aura doublé. Un marché convoité par les transporteurs, comme par les constructeurs, traditionnels ou émergents. Pour s'imposer, chacun devra s'adapter aux nouvelles exigences des clients et des autorités. Par Gil Roy SYMBOLE. Avec l’A380, Airbus a voulu répondre à l’explosion annoncée du trafic. ELOÏSE DE PARSCAU C haque jour,dans le monde, huit millions de passagers prennent l’avion. Dans vingt ans, ils seront 16 millions. Sur ce point, tous les analystes se rejoignent : d’ici à 2032, le nombre d’utilisateurs de l’aérien va quasiment doubler pour atteindre 6,4 milliards. Conséquence : deux fois plus d’avions devront se partager le ciel et les aéroports. Faire des prévisions dans un monde globalisé et instable comme le nôtre est certes hasardeux, même pour les économistes. Néanmoins, avec le recul, on constate que le trafic aérien double régulièrement tous les quinze ans. Il s’est aussi redressé après chaque crise, même après les plus aiguës, comme en 2008. En dépit de certains passages à vide, ce secteur est installé sur une confortable pente ascendante d’environ 5 % par an. Pourquoi n’en irait-il pas toujours ainsi dans les décennies à venir ? D’autant qu’avec la montée en puissance des pays émergents, le juin - juillet 2014 / www.lexpress.fr LES BATAILLES DU CIEL et moyen-courriers les plus rentables. Attaquées sur leur pré carré, les granCONFORT. Les nouveaux hubs des compagnies nationales perdent font tout pour faciliter pied sur leur marché domestique, au les connexions des passagers. point que certaines, à l’image de British Airways, y renoncent, pour mieux concentrer leurs forces sur le long courrier, d’où la concurrence n’est pas absente non plus.Mais les marges sont potentiellement plus confortables. Avec l’essor des compagnies asiatiques et surtout arabo-persiques, le centre de gravité du transport aérien mondial se déplace vers le MoyenOrient, région du globe où la synerpermettre aux compagnies de faire gie entre les compagnies locales et les face à l’accroissement annoncé du aéroports est optimale. Dubaï, avec trafic, tout en limitant la facture de Emirates Airlines, en est l’exemple le plus remarquable. kérosène. Dès lors qu’un avion consomme En 2032, le trafic long-courrier, à moins de carburant fossile, il rejette 95 %, se concentrera entre 89 aéromoins de CO2. La nouvelle généra- ports principaux à travers le monde tion d’avions de ligne est donc plus et, de toute évidence, Dubai World respectueuse de l’environnement. Central sera le premier avec une capacité de 160 milUn argument lions de passagers. volontiers mis La compétition a déjà La première des en avant par les fait des victimes cinq pistes de c o m p a g n i e s, dans les rangs des cette gigantesque même si leur plate-forme qui, enthousiasme compagnies aériennes comme son nom pour ces nouveaux avions est, avant tout, un l’indique, ambitionne d’être le cenmoyen pour elles de réduire les coûts tre du monde, a été inaugurée en octobre dernier. Elle devra prendre le face à une concurrence exacerbée. En Europe et aux États-Unis, no- relais de l’aéroport international de tamment, les majors historiques sont Dubaï dont la capacité maximale a prises en tenaille entre les nouveaux été récemment portée à 75 millions entrants que sont les compagnies de passagers grâce à l’ouverture, l’anlow cost et les compagnies du Golfe. née dernière, d’un troisième termiJusque dans les années 1980, elles nal, capable de traiter en simultané se sont développées à l’abri, sur un pas moins de vingt A380 d’Emirates. marché régulé. Le réveil a été d’au- Ce nouvel équipement ultra-motant plus brutal. Et la compétition derne, destiné à faciliter les cona déjà fait des victimes parmi les nexions des passagers qui, pour la plus fragiles comme TWA, Swissair plupart, transitent par Dubaï, est aussi un vaste centre commercial de ou Sabena. 30 000 m2. Car désormais, les aéroDes aéroports aux petits soins ports destinés aux lignes long-courEt ce n’est pas terminé. D’ici à 2032, rier ou au trafic low cost, entendent les low cost vont continuer à gagner tirer l’essentiel de leurs ressources du terrain, pour atteindre 21 % du d’activités extra-aéronautiques. Les marché. Certes, leur politique de prix passagers du XXIe siècle sont avant bas permet de générer de nouveaux tout des consommateurs, il convient trafics, mais aussi de détourner celui de les traiter comme tel. Surtout des majors en venant les concurren- quand le marché représente 6,4 milcer frontalement sur leurs lignes courts liards de clients… L’EXPRESS / 41 De bio voyages en perspective Outre les tensions politiques susceptibles d’affecter provisoirement le trafic aérien, la principale incertitude concerne le prix du pétrole. Le kérosène pèse pour environ 30 % du coût d’exploitation d’une compagnie aérienne et les fluctuations de prix du baril sont d’autant plus difficiles à amortir par les transporteurs que leurs marges bénéficiaires sont faibles (de l’ordre de 2,5 %, à peine 5,65 $, par billet vendu). À défaut de trouver un carburant de substitution beaucoup moins cher que le pétrole, les constructeurs aéronautiques et les motoristes s’emploient à réduire la consommation des avions de ligne, dans des proportions comprises entre 15 et 25 %, par rapport aux modèles en service. Ces promesses boostent les commandes. Airbus a déjà vendu 2 600 exemplaires de l’A320 neo dont le premier vol n’est pourtant prévu qu’en fin d’année. Boeing totalise plus de 1 800 commandes pour son 737MAX. Les gros porteurs connaissent le même engouement.Airbus a vendu 824 A350XWB (200 à 400 passagers selon les modèles) et Boeing 1 031 787 Dreamliner (242 à 323 voyageurs). Ces nouveaux modèles, destinés au renouvellement de la flotte (à hauteur de 40 %), doivent www.lexpress.fr / juin - juillet 2014 OFFICIELS. Marwan Lahoud, Geneviève Fioraso, Jean-Paul Herteman, Claude Bartolone, Jean-Marc Ayrault, Jean-Yves Le Drian, Serge Dassault, Frédéric Cuvillier, Tom Enders, lors du salon du Bourget 2013. Revue de troupes matique, Airbus. À 55 ans, cet Allemand, qui n’a pas hésité à déménager le siège de l’entreprise à Toulouse, d’où il sillonne le monde, a le regard davantage tourné vers les États-Unis et l’Asie que vers l’Europe. Et une obsession : améliorer la rentabilité. V.L. Zoom sur la trentaine de personnalités qui composent l'état-major de l'industrie aéronautique et spatiale en France. > LES CAPITAINES LE MENEUR D’HOMMES TOM ENDERS, PRÉSIDENT EXÉCUTIF D’AIRBUS GROUP Difficile pour le patron du n°1 européen de l’aéronautique, officier de réserve de l’armée, d’échapper à son surnom. En deux ans, « Major Tom » a largement bousculé l’entreprise, honorant sa réputation de fonceur et de meneur d’hommes. La fusion ratée avec British Aerospace aurait pu le déstabiliser, il en a profité pour revoir la gouvernance et s’émanciper autant que possible de la tutelle des États. Puis, il a lancé le grand chantier de la réorganisation interne et osé rebaptiser le groupe du nom de sa filiale emblé- LA FORCE TRANQUILLE FABRICE BRÉGIER, PDG D’AIRBUS À 53 ans, le président-directeur général d’Airbus, malgré son peu d’appétence pour la com’, n’est plus un inconnu. En 2006, ce polytechnicien, alors président d’Eurocopter, a accepté de prendre en charge la restructuration de la maison Airbus, simultanément au lancement de l’A350. Toujours en première ligne dans les moments délicats, ce gagneur dans l’âme, qui a eu les honneurs de l’Élysée pour la signature d’un méga contrat avec Lion Air, a adoré aller poser la première pierre de la future usine airbusienne sur le sol américain ;et convaincre luimême les patrons de compagnies aériennes japonaises, fidèles à Boeing depuis cinquante ans, d’acheter des Airbus. Ces victoires-là distillent une saveur dont ce fan du ballon rond aurait du mal à se passer. F.B. P. MASCLET/AIRBUS SAS nombre des passagers potentiels ne cesse de s’accroître. Ainsi, la région Asie-Pacifique devrait représenter à elle seule un quart du trafic mondial en 2032. PAUL VREEKER/UNITED PHOTO GAMMA RAPHO AÉROPORTS DE PARIS 40 / juin - juillet 2014 / www.lexpress.fr LES BATAILLES DU CIEL PDG D’AIR FRANCE Les comptes d’Air France n’ont aucun secret pour lui.Frédéric Gagey,59 ans, polytechnicien, diplômé de l’Ensae, a toujours navigué sur les canaux de la finance. D’abord au mi- www.lexpress.fr / juin - juillet 2014 PRÉSIDENT DE LA FNAM Repreneur, en 2003, de la compagnie d’aviation d’affaires Chalair, alors en difficultés, Alain Battisti l’a redressée en la positionnant sur le transport régional et les navettes au service des entreprises, notamment les compagnies pétrolières en Afrique du nord. Élu en juin 2013 à la tête de la FNAM, le principal syndicat professionnel du secteur, il vient de gagner quatre nouveaux adhérents – Air Caraïbes, Aigle Azur, Corsair et XL Airways. Un joli coup. V.L. PDG DE SAFRAN Autant Safran, équipementier international de haute technologie, est incontournable, autant celui qui préside à ses destinées depuis 2005 demeure d’une discrétion rare. Son credo ? L’industrie, l’usine, la production. Intarissable sur l’établissement de Fougères, devenu le symbole d’une reconversion réussie, cet ingénieur X-Aéro, le verbe économe et mesuré, pilote et skipper à ses heures, a pratiquement fait toute sa carrière dans les moteurs, d’avion ou de fusée. Désormais, il ne cesse d’étendre les ailes de Safran dans le monde entier. PRAGMATIQUE PATRICK KY, DIRECTEUR DE L’AESA Directeur de l’Agence européenne de la sécurité aérienne (AESA) depuis le 1er septembre 2013, Patrick Ky, 46 ans, est polytechnicien et ingénieur de l’École nationale de l’aviation civile (Enac). Économiste COMBATIF PATRICK GANDIL, PRÉSIDENT DU DIRECTOIRE DE ZODIAC AEROSPACE Énergique, allant droit au but, peu adepte de la langue de bois, Olivier Zarrouati dirige Zodiac Aero- J.-C.P. LE PACIFICATEUR JEAN-BERNARD LÉVY, PDG DE THALES Il a débarqué chez Thales de façon presque inattendue, à la veille de Noël space depuis 2007. Et cet X-Supaero affiche pour l’instant un joli parcours puisque, depuis sa nomination, les ventes de l’équipementier aéronautique ont quasiment doublé, alors que le résultat net a été multiplié par 2,7. Zarrouati a été à bonne école : c’est Jean-Louis Gérondeau, le mythique patron de Zodiac (aujourd’hui décédé) qui l’a formé à cette culture du résultat. G.L.B. D.R. LE RÉALISTE OLIVIER ZARROUATI, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L’AVIATION CIVILE Depuis son entrée en fonction, à l’automne 2007, Patrick Gandil n’a jamais hésité à descendre dans l’arène. Il a été le premier à comprendre que le zèle de l’administration française à transposer les textes européens dans le droit national Entré au bureau d’études de Dassault Aviation en 1984, ce diplômé de Telecom SudParis bifurque rapidement vers l’international, dès 1987. Son premier fait d’arme ? La vente de 60 Mirage 2000-9 aux Émirats arabes unis, en 1998. Son défi aujourd’hui ? Conclure la vente de 126 Rafale à l’Inde. Il doit aussi réussir le lancement des derniers business jets annoncés, les Falcon 5X et 8X. G.L.B. ENDURANT ERIC TRAPPIER, PDG DE DASSAULT AVIATION Quand,début 2013,à 52 ans, Eric Trappier arrive aux commandes de l’entreprise familiale, il se glisse très vite dans les habits de patron. Plus affable que son prédécesseur Charles Edelstenne, ce père de trois enfants, fin connaisseur de la technique, sait trancher. Il affiche près de trente années de maison. LE BÂTISSEUR PATRICK DAHER, PDG DE DAHER L’homme n’est pas médiatique pour un sou. Non pas qu’il n’aime pas la presse, mais ce n’est tout simplement pas son « truc ». Ce qui fait vibrer ce diplômé de l’Essec de 64 ans, c’est clairement l’industrie. Et D.R. diplômé de l’université de Toulouse et du célèbre Massachussetts Institute of Technology (MIT), ce grand pragmatique exige de ses troupes qu’elles « dépassent la théorie » et « vivent dans le concret ». F.B. > LES VIGIES étouffait tout un secteur. Il a sauvé le modèle des aéro-clubs, une exception culturelle française, que les fonctionnaires européens ne comprennent pas toujours et qui réunit pourtant pilotes et ingénieurs aéronautiques. C’est aussi lui qui a mis en relation les concepteurs du premier avion-école électrique français avec le groupe Airbus. G.R. DAHER EFFICACE ALAIN BATTISTI, PRÉSIDENT DU DIRECTOIRE D’AIR CARAÏBES Il est l’un des meilleurs connaisseurs de l’aérien de la place. Les caractéristiques techniques des avions n’ont plus de secret pour cet ingénieur de 63 ans. Discret, rugueux et pugnace, Marc Rochet a épousé l’histoire du secteur depuis trois décennies. Directeur d’escale chez Air Inter, il a pris ensuite successivement la tête de TAT, d’Air Li- LE DISCRET JEAN-PAUL HERTEMAN, D.R. L’INCOLLABLE MARC ROCHET, PDG DE CORSAIR De la DGAC, en 1984, à Corsair, depuis 2010, cet énarque s’est imposé comme l’homme des missions délicates. Il a œuvré dix-sept ans à Air France, où il a géré la fusion des personnels navigants d’Air Inter et d’Air France, avant de superviser l’aménagement du hub de Roissy. Brillant, autoritaire et caustique, il aurait pu succéder à JeanCyril Spinetta à la tête du groupe. Sauf qu’il n’est pas choisi. Il atterrit chez Corsair, qu’il redresse, et devient président de TUI France. C.S. 2012. Pour autant, JeanBernard Lévy, ancien patron de Vivendi, s’est progressivement imposé à la tête de l’électronicien, réussissant à pacifier un climat alors délétère. Patiemment, cet homme à la voix douce et au regard aussi chaleureux qu’il peut être glaçant, est parti à la découverte des multiples métiers du groupe, a rencontré chaque syndicat, chaque directeur d’usine, puis a élaboré un plan de réorganisation sans casse sociale. Le tout sous l’œil attentif de ses deux actionnaires de référence, l’État et Dassault. G.L.B. S.RANDE/DASSAULT AVIATION RÉFLÉCHI FRÉDERIC GAGEY, F.B. PHILIPPE DELAFOSSE/AIR FRANCE Aimable, brillant, faisant volontiers preuve d’une certaine rondeur, très à l’aise pour jongler avec les courbes et les chiffres : Alexandre de Juniac, 51 ans, sait charmer ses interlocuteurs. Avant d’accéder à la présidence d’Air France KLM, ce sur-diplômé (X et ENA) a connu trois vies : le Conseil d’État, ensuite les cabinets ministériels dans les années 1990, puis l’industrie, avec Thomson, devenu Thales.Après, retour en cabinet, celui de Christine Lagarde, ministre de l’Économie, entre 2009 et 2011. Enfin, le transport aérien, sa passion de toujours. La tâche est difficile, car le redressement d’Air France reste fragile. Et il lui faudra plus que du charme pour faire avaler aux syndicats d’Air France un troisième plan d’économies. G.L.-B. LE BATAILLEUR PASCAL DE IZAGUIRRE, D.R. CHARLES PLATIAU/REUTERS PDG D’AIR FRANCE KLM nistère de l’Économie, puis àAir Inter,ensuite au sein d’Air France comme vice-président aux finances, avant d’atterrir aux Pays-Bas, chez KLM, pour prendre en charge la direction générale des… finances. Apprécié pour son intégrité, sa franchise et sa capacité d’écoute, le PDG d’Air France, nommé en 2013, passe parfois pour un animal à sang froid.Peu soucieux de se mettre en scène, il incarne surtout une certaine soliditéàl’heure où le groupe en a bien besoin. ERIC DROUIN/SAFRAN berté, d’AOM et d’Air Littoral. En 2001, il lance L’Avion, compagnie à bas prix 100 % affaires, avant de participer à la création d’Air Caraïbes. C.S. > LES COMMANDANTS DE BORD LE CHARMEUR ALEXANDRE DE JUNIAC, L’EXPRESS / 43 BENOIT TESSIER/REUTERS 42 / la constitution d’une branche aéronautique, à partir de 1999, lorsque l’entreprise familiale, que Patrick Daher dirige depuis 1991, rachète Lhotellier, un sous-traitant qui travaille notamment pour Airbus, puis Lacroix Lucaero en 2001. Sept ans plus tard, il ajoute Socata (ex-EADS), fabricant d’avions légers et de morceaux de fuselage pour Airbus et Dassault. G.L.B. juin - juillet 2014 / www.lexpress.fr LES BATAILLES DU CIEL PRÉSIDENT D’AÉROLIA En prenant la tête de la filiale aérostructures d’Airbus Group, ce diplômé de l’École Centrale Nantes (en 1985), revient à ses amours : l’industrie. De fait, spécialiste de la production, il a accompli la totalité de sa carrière chez l’ex-EADS, comme directeur industriel chez Sogerma, avant d’en prendre la tête en 2007, ou chezAstrium,la branche espace.À son crédit :la reprise en main du programme A400M, entre 2011 et fin 2013, remis sur de bons rails au plan industriel. G.L.-B. TOUCHE À TOUT STÉPHANE ISRAËL, PDG D’ARIANESPACE Après avoir été la – brillante – plume de Laurent Fabius, il est la voix d’Arianespace. Normalien et agrégé d’histoire, cette tête bien faite s’est immergée dans le spatial, dès 2007, aux côtés de Louis Gallois, chez > LA FEMME OPINIÂTRE MARIE-ANTOINETTE DAIN, PRÉSIDENTE DE JET SERVICES Elle est la seule à avoir osé regrouper des compagnies d’aviation d'affaires en France. Indifférente aux « Je t’aime, moi non plus » de ses concur- www.lexpress.fr / juin - juillet 2014 rents sur l'aéroport de Paris-Le Bourget, elle n’hésite pas à donner des coups de pieds dans la > LES TRUBLIONS DU CIEL LE BENJAMIN CORENTIN DENOEUD, LE BAROUDEUR CÉDRIC PASTOUR, L’ATYPIQUE PATRICK DE CASTELBAJAC, PDG DE WIJET Visage juvénile et sourire en coin, Corentin Denoeud, 29 ans, est le pionnier du jet privé low-cost. En 2009,à sa sortie d’HEC, il lance un nouveau modèle de transport à la demande, en avion d’affaires, qui décolle rapidement. En début d’année, Wijet, première compagnie aérienne de Taxijet en France, a été choisie par Air France pour assurer les services porte-à-porte proposés aux passagers de première classe. Une consécration. T.D. DIRECTEUR GÉNÉRAL AIGLAZUR Il a fait ses classes chez Air Liberté, a présidé la Fédération nationale de l’aviation marchande (FNAM), a créé et dirigé pendant une dizaine d’années la compagnie Star PRÉSIDENT EXÉCUTIF D’ATR Un juriste succède à Filippo Bagnato, l’artisan du redressement d’ATR. LE FINANCIER FRÉDÉRIC MICHELLAND, PRÉSIDENT DU DIRECTOIRE DE LATÉCOÈRE À 47 ans, ce diplômé de Sciences po choisit de rejoindre Latécoère (600 millions d’euros), après avoir fait la majeure partie de sa carrière dans des grands groupes ou la banque. Un virage sur l’aile à suivre, compte tenu des difficultés financières (80 millions de pertes en 2013) que traverse la société toulousaine. Pas de quoi effrayer ce spécialiste du contrôle et des chif- À 43 ans, Patrick de Castelbajac sort de l’ombre pour prendre les rênes du constructeur d’avions régionaux détenu à parité par Airbus Group et Finmeccanica. Ancien d’Airbus, qu’il a rejoint en 2002, ce spécialiste de la négociation des contrats commerciaux travaillait étroitement avec Fabrice Brégier et John Leahy. V.L. fourmilière, en construisant un hôtel et en adaptant son aérogare privée à la riche clientèle arabe. Et si le marché hexagonal de l’aviation d’affaires n’est guère porteur, la contraignant à réduire sa flotte de Falcon, Citations et autres jets, elle continue de croire au potentiel de son business. T.D. AUDACIEUX LIONEL GUÉRIN, PDG DE HOP ! Dans le cadre du grand chantier de remise en état de vol du groupeAir France–KLM, Lionel Guérin s’est vu confier la mission complexe de faire fonctionner le pôle régional. Avec le pragmatisme qui le caractérise, il a réuni sous la bannière de Hop ! trois compagnies au caractère bien trempé.Parmi celles-ci,Airlinair, une authentique low cost que Lionel Guérin a construite de toute pièce en misant, à contre-courant de la jetmania des années 1990, sur le turb o p ro pulseur ATR 42/72. LE COMPÉTITEUR GUILLAUME FAURY, PRÉSIDENT D’AIRBUS HELICOPTERS Polytechnicien, diplômé de l’École nationale supérieure de l’aéronautique et de l’espace (Sup’Aéro), ingénieur navigant d’essai, président d’Airbus Helicopters depuis le 1er janvier 2014 : à 45 ans, Guillaume Faury a déjà tracé un sillon remarqué sur les terres du secteur aérospatial. Passionné, exigeant avec ses collaborateurs, il défend son produit avec acharnement. Ses maîtresmots ? « Détermination » et « curiosité ». Sa soupape : « Le sport, y compris en famille ». Il faut le lui arracher, mais il avoue « pratiquer le triathlon ». Le goût du défi et de l’effort, encore… F.B. G.R. > LES EXPLORATEURS LE VISIONNAIRE JEAN-YVES LE GALL, PRÉSIDENT DU CNES Certaines trajectoires frappent par leur évidence. Comme celle de Jean-Yves Le Gall. À 55 ans, il est devenu l’un des principaux acteurs de l’espace français, après avoir successivement gravi les échelons de Starstem, d’Arianespace et du Cnes, qu’il préside depuis le 1er avril 2013. Ses passions ? L’avenir. Dubaï. Les Stones. Et surtout, les lancements réussis. On se souvient comment cet ingénieur marseillais tenace, d’apparence stricte, n’avait pas hésité à remettre totalement à plat les tirs d’Ariane à la suite d’un échec. Depuis, la fusée européenne a accumulé près de 60 tirs réussis d’affilée. Un record. J.-C.P. LE GLOBE-TROTTER JEAN BOTTI, D.R. MÉTHODIQUE CÉDRIC GAUTIER, fres, ex-Nexans, également passé au contrôle de gestion de GDF Suez. G.L.-B. AIR FRANCE P.PIGEYRE/AIRBUS SAS DIRECTEURGÉNÉRALDÉLÉGUÉÀ LASTRATÉGIEETÀL’INTERNATIONAL D’AIRBUSGROUP Numéro deux d’Airbus Group depuis 2007, ce polytechnicien, fan de chevaux autant que d’avions, est un fin connaisseur du secteur et un redoutable négociateur. Voilà vingtcinq ans qu’il est de toutes les grandes manœuvres : au cœur de la fusion Aerospatiale-Matra en 1998, puis de la création d’EADS, en 2000, et enfin tête pensante du deal – avorté – avec British Aerospace en 2012. Dans l’ombre d’Enders, il a mené la réorganisation de la gouvernance d’Airbus Group et a imaginé un avenir où le civil dominera largement sur la défense. Sur son propre devenir, cet homme de réseaux reste discret. Mais, à 48 ans, il peut encore espérer un poste de numéro un – certains le voient demain chez Safran ou Areva. V.L. D.R. D.R. NÉGOCIATEUR HORS PAIR MARWAN LAHOUD, EADS. Par la suite, le jeune homme,auteur d’un rapport remarqué sur l’industrie pourTerra Nova,devient directeur de cabinet d’Arnaud Montebourg, avant de retourner dans le business dès que l’occasion lui en a été donnée.Aujourd’hui,il n’hésite pas à dire, haut et fort, ce qu’Arianespace doit faire pour rester le numéro un mondial. J.-C.P. ATR > LA RELÈVE L’EXPRESS / 45 LATECOERE 44 / Airlines, a même été jusqu’en Polynésie, appelé au chevet de la compagnie Air Tahiti Nui. Professionnel passionné et libre, reconnu par ses pairs, Cédric Pastour a été nommé, au début de cette année, PDG d’Aigle Azur.Avant même d’avoir atteint la cinquantaine. G.R. INFATIGABLE LAURENT MAGNIN, PDG DE XL AIRWAYS FRANCE Fin connaisseur des arcanes de l’industrie touristique, président de Crystal et de Vacances Héliades, l’hyperactif PDG de XL Airways France, ancien cadre chez Corsair, a l’âme d’un militant. Réputé habile orateur, souvent convaincant, Laurent Magnin, 55 ans, continue d’entraîner ses équipes avec une énergie qui défie l’entendement. En 2012, il a fêté ses trente ans de métier. Et il en a encore sous le pied… F.B. DIRECTEUR GÉNÉRAL DÉLÉGUÉ TECHNOLOGIE ET INNOVATION D’AIRBUS GROUP C’est un homme venu de l’automobile (Renault, General Motors, Delphi) qui pilote, depuis 2006, la direction Technologie & Innovation d’Airbus Group. Jovial, passionné, Botti est capable de parler pendant des heures de l’avion électrique – dont il est chef de projet dans le cadre des plans de la Nouvelle France industrielle. Il a déposé plusieurs dizaines de brevets et est impliqué dans de nombreuses organisations dédiées à la recherche, au Royaume-Uni, en Allemagne ou aux États-Unis. G.L-B. L’EXPERT JEAN-JACQUES DORDAIN, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L’ESA Patron de l’Agence spatiale européenne (ESA) depuis onze ans, il gère quatre milliards d’euros de budget par an. Considéré comme le plus grand spécialiste de l’espace en Europe, ce sexagénaire avenant, né à Hordain (59), est centralien et marathonien. Après quarante ans de conquêtes spatiales (dont Galileo, Soyouz à Kourou, ou la mission Rosetta), l’éternel jeune homme se souvient encore de sa rencontre avec Neil Armstrong et demeure avant tout « un spectateur médusé de l'espace ». J.-C.P. ARMÉ BRUNO SAINJON PDG DE L’ONERA Le centre français de la recherche aérospatiale a un nouveau patron depuis le 2 juin. Ingénieur général de l’armement, Bruno Sainjon, 53 ans, était depuis 2009 le directeur des opérations de la Direction générale de l’armement, où il a effectué une grande partie de sa carrière. Spécialiste de la défense, il va gérer un volume annuel d’activités d’environ 230 millions d’euros. V.L. juin - juillet 2014 / www.lexpress.fr 46 / LES BATAILLES DU CIEL L’EXPRESS / 47 De son côté, l’avionneur américain a multiplié les tests avec des mélanges de kérosène et d’autres de synthèse type Fisher-Tropsch sur des appareils militaires. En janvier dernier, il a expérimenté un biodiesel produit à partir d’huile de Jetropha (une plante poussant en milieu aride) qui émettrait 50 % de moins de CO2. « Notre objectif, à terme, est de créer une filière durable pour l’aviation »,indique Boeing. Comme Airbus, il ne travaille pas seul,mais a noué des alliances multilatérales, avec Etihad,le Masdar Institute d’Abu Dabhi et Total. L’avion vert décolle Les biocarburants sont l’une des principales voies pour réduire les émissions polluantes. Mais leur banalisation va encore prendre du temps. Par Guillaume Lecompte-Boinet partir de 2015, l’Airbus A320 neo, permettra de diminuer la consommation d’environ 15 %. C’est mieux, mais pas suffisant. Réduire l’empreinte écologique Propulseurs moins gloutons, meilleure aérodynamique ou réduction de la masse des avions, grâce aux matériaux composites, sont autant de briques qui contribueront, pour environ 40 %, à la réduction des émissions prévue dans la feuille de route 2050. Dix autres pourcents seront économisés par la gestion optimisée du trafic aérien, via le programme Sesar. Quant aux biocarburants, ils occupent une place centrale dans cette guerre au CO2, puisqu’ils contribueront pour environ 50 % aux objectifs d’Acare. Pour s’en donner les moyens, la Commission européenne a lancé, en 2011, l’initiative « Biofuel Aviation Path 2020 », visant à soutenir et LES TROIS PROCÉDÉS DE PRODUCTION Le Fisher-Tropsch est un procédé, imaginé en 1923, qui consiste à liquéfier de la biomasse, du gaz ou du charbon. Certifié pour l’aéronautique en 2009, il présente l’inconvénient d’être très gourmand en investissements. Le Hefa, ou hydro-traitement d’huiles végétales, a été certifié en 2011 pour l’aéronautique. Le carburant est fabriqué à partir d’huile de palme ou de microalgues… mais offre de faibles rendements. Le procédé par fermentation consiste à laisser les enzymes transformer le sucre de canne, de betterave ou de cellulose, en kérosène. La certification d’un premier carburant, le Farnésane, est attendue avant cet été. www.lexpress.fr / juin - juillet 2014 AIRBUS SAS 2013/P. MASCLET S oyons réalistes. L’avion 100% écologique n’est pas pour demain. En attendant, l’Europe, les constructeurs et les motoristes, planchent activement pour tenter de réduire les émissions de dioxyde de carbone (CO2) produites par les réacteurs. Réunis au sein d’Acare, le Comité pour la recherche et l’innovation aéronautique en Europe, qui pilote notamment le programme Clean Sky, ils ont pour objectif de réduire de 75 % le CO2 émis par le transport aérien d’ici à 2050, et de 90 % les NOx (oxydes d’azote). Pour y parvenir, plusieurs pistes sont envisagées. La principale consiste à développer des moteurs moins gourmands en carburant. Un pourcent de réduction de la consommation de kérosène équivaut à 1 % de baisse du CO2 émis. Ainsi, la prochaine génération de réacteurs qui équipera, à DÉMONSTRATION. En juin 2013, un A320 a effectué un vol entre Toulouse et Le Bourget en utilisant un biocarburant à base de sucre. promouvoir la production de carburant alternatif à destination de l’aviation. Objectif : atteindre une production annuelle de 2 millions de tonnes à l’horizon 2020. Soit un peu moins de 4 % de la consommation européenne de kérosène… Chez Total, on est convaincu. « Les biofuels produits de façon durable, s’avèrent vraiment pertinents pour réduire l’empreinte carbone du transport aérien », estime Philippe Marchand, chef de département Biotechnologies, Total Energies Nouvelles. Deux grands procédés de fabrication de carburants de synthèse – FischerTropsch et Hefa – sont d’ores et déjà certifiés (voir encadré). Mais le premier, très capitalistique, nécessite de lourds investissements : environ 1 milliard d’euros pour construire une usine d’une capacité de 80 000 tonnes par an. « Quant au procédé Hefa, il bute, aujourd’hui, sur le problème de la durabilité puisqu’il est à base d’oléagineux comme l’huile de palme », ajoute Philippe Marchand. Le pétrolier, qui s’est lancé dans les biocarburants en 2007, a préféré miser sur un procédé de fermentation des sucres, en s’as- CHIFFRES CLÉS Le transport aérien consomme environ 200 millions de tonnes de carburant par an ; Il représente environ 3 % des émissions mondiales de CO2 ; Si rien n’est fait, compte tenu de la croissance prévue du trafic aérien, les émissions pourraient être six fois supérieures d’ici à 2050. (Source : commission européenne, « Biofuel Aviation Path 2020 ») sociant avec une société californienne, Amyris. « Le sucre est une matière première renouvelable, produite de manière durable sous diverses formes, canne à sucre, cellulose, betterave… », argumente Philippe Marchand.Total a ainsi ouvert une première usine d’extraction de carburant au Brésil et en envisage une seconde en France. Baptisé le Farnesane, son biocarburant a été utilisé avec succès lors du vol expérimental d’un Airbus A320, en juin 2013.Il entrait pour 10 % dans la composition du mélange alimentant les moteurs CFM56. Des tests concluants Selon Philippe Marchand, à la sortie du moteur, les émissions de CO2 sont réduites de 80 % par rapport au kérosène ! « L’analyse des paramètres a été concluante », se réjouit-on également chez Snecma,concepteur,avec General Electric du CFM56. Motoristes et avionneurs sont en première ligne car les biocarburants doivent impérativement satisfaire à certaines exigences techniques : densité, viscosité, compatibilité avec tous les organes internes d’un moteur notamment. « C’est essentiellement sur ces sujets que nous intervenons en tant que constructeur », précise Frédéric Eychenne, responsable des projets à la direction des nouvelles énergies d’Airbus, à Toulouse. Autre point important : ce type de carburant émet très peu de suies, ces microparticules générées par la combustion du kérosène, véritable poison pour la santé. La fin du kérosène n’est pas pour demain Mais l’émergence de ces nouveaux carburants va encore prendre du temps. « Pour les trente à quarante prochaines années, le kérosène restera le carburant principal de l’aviation », prévient Frédéric Eychenne. Car l’équation économique et industrielle des biofuels n’est pas simple à résoudre. Outre les impératifs techniques, ils doivent être disponibles partout dans le monde, à des prix acceptables. En effet, si le prix du Jetfuel, utilisé dans le transport aérien, s’est établi aux environs de 120 $ le baril ces trois à quatre dernières années, les matières premières entrant dans sa fabrication ne sont pas toutes bon marché. Enfin, certains procédés, comme la production à partir de microalgues, ne sont pas encore matures. « Mais, à terme, le prix des sucres devrait moins augmenter que celui des énergies fossiles. Il y aura donc un rééquilibrage », estime le « pétrolier » Philippe Marchand. La solution viendra peut-être de la mer. Le laboratoire de recherche de l’US Navy a en effet produit un kérosène de synthèse à partir d’eau de mer. Le CO2 et l’hydrogène sont capturés par électrolyse et transformés en carburant pour avion. Pour l’instant, ce procédé coûterait entre 3 et 6 dollars le gallon (3,8 litres), alors que le gallon de Jetfuel coûte moins de 3 $. Prêt à décoller, l’avion plus « vert » n’a pas encore atteint sa vitesse de croisière. juin - juillet 2014 / www.lexpress.fr L’EXPRESS / 49 DÉMESURE. Le nouveau terminal de l'aéroport de Shenzhen Bao'an, une sculpture de 500 000 m2. 3 QUESTIONS À BERNARD CATHELAIN La course au gigantisme Pour faire face à l’explosion du trafic, de nouvelles plates-formes aux dimensions inédites et aux infrastructures sophistiquées fleurissent dans le monde. Par Jean-Claude Pennec www.lexpress.fr / juin - juillet 2014 L e transport aérien explose. En 2013, on a dénombré 3 milliards de passagers. Dans quinze ans, les prévisions les plus prudentes tablent sur un doublement de ce chiffre. Conséquence : plus d’avions, plus de vols, plus de pilotes, plus d’hôtesses et de stewards, mais surtout plus d’aéroports. On recense, aujourd’hui, près de 3 600 aéroports à usage commercial dans le monde, dont 362 comptent trois pistes et plus. Ce sera nettement insuffisant. En effet, si l’Europe et l’Amérique du Nord sont bien dotées, d’autres régions du globe entament à peine leur croissance. C’est le cas notamment de l’Asie, de l’Amérique latine, de LEONARDO FINOTTI À l'avenir, une architecture évolutive s'impose, selon le directeur général adjoint d’Aéroports de Paris, chargé de l’aménagement et du développement. l’Afrique et de la plupart des pays émergents. Plus nombreux, les aéroports seront aussi plus grands. En 2015, celui d’Hartsfield-Jackson à Atlanta, aux États-Unis, le premier au monde pour son trafic, franchira la barre des 100 millions de passagers par an. Une place que Pékin devrait lui ravir rapidement. Le plus important aéroport du monde en Turquie Car la révolution aérienne attendue passe d’abord par la Chine et l’Asie. Entre 2011 et 2015, l’Empire du milieu a prévu de construire 82 nouveaux aéroports et d’en agrandir 150 existants. Objectif : disposer de 244 plates-formes aéroportuaires d’ici à 2020. Parmi les nouvelles réalisations qui ont vu le jour en 2013, le gigantesque terminal de Shenzhen Bao’an. Inaugurée fin novembre, cette plateforme en forme de raie manta, conçue par le Studio Fuksas, s’étire sur 1,5 kilomètre de long. Quant à l’aéroport international de Shanghai Hongqiao, devenu trop petit, il est doublé, depuis 2002, par celui de Pudong, œuvre du français Paul Andreu. Un renfort bienvenu car, entre 2004 et 2013, le trafic aérien de Shanghai a bondi de 35,9 millions à 82,7 millions de passagers. Et ce n’est pas fini. Dans quelques mois, débutera, à Pékin, la construction d’un nouvel aéroport d’une capacité de 70 millions de voyageurs – 130 millions à terme ! – prévu pour entrer en service en 2018. Il disposera de sept pistes, dont une dédiée au trafic militaire, et aura nécessité un investissement de 8,37 milliards d’euros. La Chine n’est pas un cas unique. La Turquie vient de lancer le projet d’un troisième aéroport à Istanbul dont la capacité d’accueil, de 150 millions de passagers (deux fois plus que Roissy), en fera le plus important MICHEL LABE LLE/AÉROPO RTS DE PARIS « L’aéroport idéal n’existe pas » Quel sera le visage des plates-formes aéroportuaires du futur ? La révolution technologique de l’avion, tel que le décollage vertical, n’est pas pour demain, et les contraintes environnementales demeureront. Aussi, les grands fondamentaux des aéroports ne changeront pas. Les différences interviendront dans les services et le fonctionnement pratique de l’aéroport (contrôles facilités, par exemple). En fait, de plus en plus, il deviendra une extension de la ville. Existe-t-il un aéroport idéal ? Pas vraiment, car cette notion est très liée à la géographie du site où il est implanté. Et ce qui prend de la place, ce ne sont pas les terminaux, mais toutes les circulations entre les pistes et les aires de stationnement des avions. Cela n’empêche pas que de nombreuses bonnes idées germent tout autour de nous. Aéroports de Paris est très actif sur le sujet, que ce soit par la veille exercée ou grâce à nos partenariats industriels, avec Amsterdam par exemple, à Séoul ou encore dans les aéroports turcs dont nous sommes l’actionnaire de référence. Qu’est-ce qui a changé dans la conception aéroportuaire contemporaine ? À l’origine, les aérogares n’ont pas été conçus pour évoluer. Le meilleur exemple : le fameux terminal 1 de Roissy, destiné à recevoir des avions de taille moyenne, tel le Concorde, et une aviation tournée essentiellement vers le voyage d’affaires. Depuis, la donne a changé : accessibilité, liens plus directs entre les parkings et les avions, renforcement des normes de sûreté et augmentation des besoins de commerce et de shopping. Les typologies de terminaux ont suivi le mouvement. Mais, aujourd’hui, nous sommes conscients que dans vingt ou trente ans, le voyage en avion sera tout autre. Nos architectures contemporaines doivent donc anticiper ces usages futurs en adoptant des formes plus simples. J.-C.P. juin - juillet 2014 / www.lexpress.fr 50 / LES BATAILLES DU CIEL Des coûts faramineux Ce gigantisme ramène à la question fondamentale : où implanter de tels mastodontes ? « Le plus loin possiCOLOSSAL. Posé sur une île artificielle, l’aéroport du Kansai a coûté ble », plaident certains. Mais cette la bagatelle de 25 milliards d’euros. tentation d’éloigner les plates-formes aéroportuaires des centres-villes se heurte à une réalité mise en évidence par toutes les études réalisées sur le sujet : pour être efficace, un aéroport doit être à la fois proche d’une ville- et dont la particularité est d’être imcentre et parfaitement desservi par planté en plein désert, à une cindes infrastructures de transports de quantaine de kilomètres de la ville toutes natures (rail, route), aux coûts qu’il dessert. souvent faramineux. Ailleurs, des îles artiDubaï n’a pas hésité. accueillent Pour être efficace, ficielles Son second aéroles plates-formes aéun aéroport doit roportuaires. L’exemport, l’Al Maktoum International Airêtre parfaitement ple le plus célèbre est port, prévu pour del’aéroport du Kansai, desservi venir le plus grand au Japon. Une méga du monde d’ici à structure amarrée sur quinze ans avec un trafic de 160 mil- une langue de terre de quatre kilolions de passagers par an, a inauguré mètres de long sur un kilomètre de son premier terminal en novembre large, construite dans la baie d’Osaka, dernier. Un projet pharaonique qui pour un montant de 25 milliards d’eudevrait coûter 30 milliards de dollars ros. Les passagers rejoignent la terre www.lexpress.fr / juin - juillet 2014 EMIRATES EXTENSION. L'aéroport de Dubaï s'est doté, en 2013, d’un troisième terminal, capable de traiter en simultané pas moins de 20 A380 d’Emirates. KAWATETSU de la planète. Premiers vols prévus d’ici deux à trois ans.Autre pays à la géographie démesurée, le Brésil a prévu d’investir près de 6,5 milliards d’euros d’ici à 2020 dans la construction de 71 nouvelles platesformes aéroportuaires. Quant aux plus anciens, contraints de s’adapter, ils sont en chantier permanent. En Californie, l’aéroport de San Francisco a engagé des travaux d’extension pour 268 millions d’euros afin d’accueillir dans des conditions correctes Virgin America. Pour moderniser Orly, Aéroport de Paris va débourser 450 millions d’euros, destinés à financer la mise en œuvre d’un nouveau bâtiment de 80 000 m2. Il devrait voir le jour en 2018. Enfin, pour absorber le nombre croissant de voyageurs, l’aéroport de Pudong, à Shanghai, se dote d’un troisième terminal, qui devrait être achevé en 2018. Avec quelque 100 portes d’embarquement, cette aérogare devrait pouvoir accueillir 30 millions de passagers supplémentaires. ferme grâce à un pont métallique de trois kilomètres. Coût de l’ouvrage seul : un milliard de dollars. Même si elle est onéreuse, cette solution séduit des villes ou des régions contraintes par leur géographie, comme San Diego, en Californie ou Nice, Barcelone et Lisbonne, en Europe. Seule certitude de cette révolution « en marche » : l’addition globale sera colossale.Tony Tyler, patron de l’Association internationale du transport, estimait il y a peu que 1 900 milliards d’euros seront investis dans la création ou l’extension des aéroports dans le monde dans les quinze ans à venir. 52 / LES BATAILLES DU CIEL L’EXPRESS / 53 Golfe tissent une gigantesque toile, censée gonfler leurs revenus, accélérer leur rentabilisation et attirer une nouvelle clientèle sur leur sol. En trois ans, Etihad a ainsi pris des participations dans sept compagnies dont la suisse Darwin Airline, première à porter les couleurs de la nouvelle marque Etihad Regional, l’Allemande Air Berlin et, tout récemment, Air Serbia, avec une prise de contrôle à hauteur de 49 % de son capital. Le golfe Persique abrite les transporteurs les plus ambitieux du monde. À coups de milliards de dollars d’investissements, ils remplissent les carnets des constructeurs et séduisent les clients. Par François Blanc DYNAMISME. Pour accompagner son envol, Qatar Airways s'offre un hub d'une capacité de 50 millions de passagers. Le fabuleux essor des compagnies du Golfe Airways et Etihad Airways, ne se contentent pas d’être de (très) jeunes compagnies « porte-drapeaux ». Elles symbolisent la ferme volonté de leurs fondateurs de prendre une part active aux changements induits par la mondialisation galopante de l’économie de marché. à bord de ses A380 et de ses B787, deux suites avec salon, salle de bains et une chambre avec lit double. Prix de cette folie : environ 20 000 euros. Avec leur croissance insolente, leurs méga commandes d’appareils neufs et leurs enviables coefficients de remplissage, elles font plus que surprendre : ces ambitieuses participent à un changement notable de la carte des liaisons aériennes à l’échelle de la planète. Respectivement créées en 1985, 1994 et 2003, Emirates, Qatar D.R. RAFFINEMENT. Etihad Airways va proposer une véritable chambre à coucher sur certains de ses appareils. www.lexpress.fr / juin - juillet 2014 Une situation géographique idéale Emirates, Qatar Airways et Etihad Airways alignent aujourd’hui 463 avions. Des flottes en majeure partie composées de Boeing et d’Airbus. À la fin du mois de mars, leurs carnets de commandes confondus « pèsent » 734 avions neufs à livrer (375 pour Emirates, 236 pour Qatar Airways et 123 pour Etihad Airways). Des chiffres susceptibles de donner le vertige.Y compris aux historiques grandes compagnies occidentales. Comment expliquer cet essor prodigieux ? Tout d’abord, par une volonté politique forte. Il s’agit de faire des villes et sous-régions concernées – Dubaï pour Emirates, Abu Dhabi pour Etihad Airways et Doha pour Qatar Airways – des centres d’affaires et de villégiature de premier ordre, y compris pour des destinations de tourisme de luxe, développements économiques locaux à la clé. Par ailleurs, l’objectif des fondateurs de ces entreprises dépasse la stricte exécution d’une mission de transport. Conçues et décrites comme des points de chute aussi attirants qu’efficaces, mais aussi comme des platesformes de correspondances idéales, Emirates, Qatar Airways et Etihad Airways dopent le bilan économique de leur pays les bases d’opération de ces transporteurs fonctionnent à la manière de plaques tournantes parfaitement implantées entre l’Europe et l’Asie. Et à portée d’aile de l’Amérique. Enfin, par le jeu de partenariats et de prises de participation dans d’autres compagnies aériennes, celles du D.R. L es compagnies aériennes du Golfe n’en finissent pas d’étonner. Dernier coup d’éclat, celui d’Etihad Airways, l’une des trois plus florissantes d’entre elles, qui envisage de créer une école de pilotage de niveau mondial aux Émirats arabes unis. Pour James Hogan, PDG d’Etihad Airways : « La création de l’Etihad Flight College est une partie naturelle de notre stratégie visant à former les meilleurs pilotes pour soutenir notre flotte en pleine expansion. Il contribue également à étayer la croissance et le développement du secteur de l’aviation à Abu Dhabi. » Quelques jours auparavant, la compagnie avait déjà fait parler d’elle en annonçant que, dès la fin de l’année, sur les vols à destination de Londres, Sydney et New York, elle proposera, Des équipements pharaoniques Fortes de leurs structures de groupe, Emirates, Qatar Airways et Etihad Airways offrent leurs services tous azimuts et dopent le bilan économique de leur pays. Elles sont d’ailleurs présentes sur tous les secteurs liés, de près ou de loin, à leur cœur d’activité : maintenance des avions, formation de personnels navigants et, au sol, catering, tourisme et voyages à la carte, gestion aéroportuaire, publicité, ventes en zone détaxée, etc. Soucieux de favoriser un tel dynamisme, les aéroports de la région du Golfe s’agrandissent à leur tour et engagent, à intervalles réguliers, des travaux pharaoniques. À Doha, par exemple, base de Qatar Airways, le nouvel hub international Hamad doit entrer en service cette année. Situé à quatre kilomètres de la plateforme actuelle – 60 % de son emprise au sol a été pris sur les eaux du golfe Persique ! –, il a été conçu pour recevoir, dans un premier temps, un trafic de 28 millions de passagers par an, puis, dès 2015, de 50 millions de passagers. Plus grand aéroport des Émirats arabes unis, celui de Dubaï est, lui aussi, appelé à voir ses capacités augmenter de façon significative. Annoncé en avril dernier, le plan d’extension des infrastructures et de l’espace aérien, à l’horizon 2018, doit permettre de passer de 60 millions de passagers par an, à 90 millions. Pour comparaison, l’aéroport de Paris-Charles-De-Gaulle a accueilli 62 millions de passagers en 2013… CHAMPIONNES DE LA QUALITÉ Elles collectionnent les distinctions décernées par divers organismes internationaux. Ainsi, Etihad, qui a transporté 11,5 millions de passagers en 2012-2013, s’est vu attribuer les prix de la meilleure compagnie aérienne au monde, de la meilleure première classe et du meilleur équipage à bord dans le cadre des World Travel Awards 2013. Qatar (18 millions de passagers en 2012-2013) a reçu le prix de la meilleure classe affaire du monde pour 2013 par Skytrax, fameux cabinet d’audit basé à Londres. Cette année-là, Emirates (près de 20 millions de passagers) a été sacrée meilleure compagnie aérienne du monde, par ce même cabinet londonien. Un très beau palmarès ! Boeing et Airbus en première ligne Le développement des compagnies du Golfe profite à l’industrie aéronautique mondiale. On se souvient, par exemple, de la commande d’Etihad Airways, le 17 novembre 2013, de 199 avions et 194 moteurs, pour un montant estimé à quelque 67 milliards de dollars ! Pour Boeing, Airbus et les motoristes occidentaux, le Moyen-Orient offre, aujourd’hui, des perspectives de croissance considérables, y compris avec des compagnies comme Saudi Arabian Airlines ou Flydubai. Ainsi, Airbus qui estime à 2 000 le nombre de livraisons d’avions de ligne d’ici à 2032 dans cette région du monde, a implanté une filiale, dès 1986, sur la zone franche de l’aéroport de Dubaï. Pour sa part, Boeing évalue le besoin en avions neufs, dans la zone, à 2 610 appareils, soit un marché de 550 milliards de dollars, sur la même période. juin - juillet 2014 / www.lexpress.fr LES BATAILLES DU CIEL L’EXPRESS / 55 « Les compagnies aériennes européennes sont-elles mortelles ? » C’était le titre choc du rapport de Claude Abraham remis aux pouvoirs publics en juillet 2013. Un an plus tard, l’inquiétude reste la même : coincées entre l’agressivité des transporteurs low cost sur le moyen-courrier et l’offensive des compagnies du Golfe sur le long-courrier, les majors du vieux continent sont en quête d’un nouveau modèle. Air France-KLM, British Airways, Lufthansa sauront-elles défendre leur place dans un ciel de plus en plus disputé ? Réponse avec le consultant en stratégie Stéphane Albernhe, fondateur du cabinet Archery Strategy Consulting. Propos recueillis par Valérie Lion Pensez-vous que les grandes compagnies européennes sont mortelles ? Oui, elles le sont. Regardez Alitalia. Aujourd’hui, sa situation reste très fragile. Ou encore Swissair, disparue en 2002. Nous ne disposons pas, en Europe, d’un dispositif aussi efficace que le Chapter 11 en vigueur aux États-Unis, qui permet de restructurer les compagnies en danger et de les recapitaliser.Auparavant, les majors fonctionnaient sur un modèle intégré : elles offraient un très large éventail d’origines-destinations, servies par différents métiers comme le marketing, l’élaboration des prix, l’exploitation au sol, les opérations en vol, la maintenance, l’informatique, etc.Aujourd’hui, de tels systèmes intégrés ne sont plus pertinents pour s’adresser à tous les clients. www.lexpress.fr / juin - juillet 2014 Pourquoi ? Le marché s’est segmenté. La concurrence est devenue protéiforme et la clientèle s’est diversifiée. Le marché de proximité,pour les trajets d’une durée de moins de trois heures en train, a échappé aux Airlines, laminées par la grande vitesse ferroviaire. De son côté, le court moyen-courrier a été attaqué par les compagnies low cost. Quant au long-courrier, plus rentable, captant les passagers à plus forte contribution, il a vu débarquer les compagnies d’Asie et du MoyenOrient dotées de puissants moyens financiers pour construire une offre de qualité, basée sur des avions de nouvelle génération et des infrastructures portuaires sophistiquées. Cette spécialisation du marché suppose à chaque fois une réponse adaptée : impossible, par exemple, de ro- D.R. « Les compagnies nationales, un outil de souveraineté » gner sur les coûts partout. Sur le longcourrier, il faut, au contraire, monter en gamme. C’est d’ailleurs la stratégie actuellement déployée par Lufthansa et Air France-KLM. Sur le moyen-courrier, enfin, malgré tous ses efforts, une major ne sera jamais aussi bon marché et agile qu’une low cost, qui a construit son modèle à partir d’une feuille blanche. Les grandes compagnies nationales portent avec elles le poids de leur passé : des statuts et des activités hérités de l’histoire. Une low cost peut, par exemple, se contenter de prendre des avions en leasing plutôt que de les acheter. De même, le cargo, traditionnellement intégré aux compagnies d’envergure, peine à trouver sa place aux côtés des activités passagers, face aux spécialistes de la logistique tels DHL, Fedex ou UPS. Aujourd’hui, il faut être le meilleur sur son segment. Faire les investissements nécessaires pour être bon partout devient de plus en plus difficile. Quelle est alors la solution pour les pavillons nationaux ? Si la compagnie aérienne reste sur un modèle intégré, elle risque d’être perdante. La seule issue, c’est d’évo- luer vers un modèle de multi-spécialiste, avec, pour chaque activité, une offre ad hoc et des structures de coûts adaptées. La première major européenne à l’avoir compris est Lufthansa. Elle a décliné avec succès ses activités, un peu sur le modèle de la Deutsche Bahn. Air France-KLM prend le même chemin avec Hop ! et ses navettes express pour le court-courrier,Transavia pour le moyen-courrier de loisirs à bas coûts, et des offres moyen long-courrier plus classiques, visant prioritairement les passagers à haute contribution. Cela suppose une gestion davantage décentralisée. Mais cela ne se fait pas sans mal, comme en témoignent les grèves, y compris chez nos voisins allemands. N’y a-t-il pas un risque de dilution de la marque ? Il existe un risque réel de brouiller l’image. Toute la difficulté consiste à maintenir une marque ombrelle forte qui fédère toutes les offres.Il faut aussi être capable de les intégrer pour qu’elles restent cohérentes du point de vue du consommateur. Celui-ci doit pouvoir, par exemple, utiliser ses miles d’une offre à l’autre, puisque c’est le même groupe. Dans un aéroport, il doit aussi être en mesure de profiter des correspondances entre les différentes offres. Il faut créer des passerelles, pour les clients, à travers le personnel et le système informatique. Ce n’est pas si simple. PRESTIGE. La nouvelle suite La Première, qui équipera à terme ses dix-neuf B 777-300, doit permettre à la compagnie française de rivaliser avec celles du Golfe. Comment financer une telle stratégie de multi-spécialiste quand les compagnies dégagent si peu de marge, voire enregistrent des pertes ? Pour mettre en place un plan d’adaptation des structures, il faut avoir de l’argent, c’est le paradoxe ! Une des pistes est d’utiliser le cash généré par des activités rentables,mais sans grand potentiel, pour financer celles qui nécessitent des investissements, mais offrent des perspectives intéressantes : par exemple, investir les bénéfices du court-courrier dans la montée en gamme sur le long-courrier. Le message n’est certes pas facile à faire passer auprès des troupes… Mais c’est indispensable. Sinon, un jour, les Asiatiques ou les Moyen-Orientaux apporteront l’argent nécessaire et mettront la main sur nos compagnies. D’autant qu’ils n’ont pas une exigence de retour sur investissement rapide, étant plutôt dans une logique d’investissement géopolitique. On le voit avec les prises de participation d’Etihad. C’est un vrai danger, selon vous ? On ne peut pas prétendre être une grande puissance mondiale sans un système de transport aérien digne de ce nom. En France, le tandem Air France/Aéroports de Paris constitue, à mon sens, l’un des fers de lance de la « Maison France », au même titre que la dissuasion nucléaire ou l’accès à l’espace. Il faut des « legacy » puissantes. C’est une question d’image pour le pays, mais aussi d’efficacité politique et économique. Si, demain, un investisseur étranger prend le contrôle d’une compagnie nationale, la nation concernée perdra un instrument de souveraineté. Son hub national deviendra un hub parmi d’autres au sein d’un réseau. Et, si l’actionnaire, pour augmenter la rentabilité, souhaite couper des lignes ou réduire les fréquences, il le fera sans état d’âme. Que peuvent faire les pouvoirs publics ? Lorsque l’État est encore présent au capital d’une compagnie aérienne nationale, il doit jouer pleinement son rôle d’actionnaire et ce, dans l’intérêt du pays. S’il n’est plus au capital, sa posture est délicate car, en cas d’interventionnisme trop voyant, il prend le risque d’être accusé de distorsion de concurrence, voire de protectionnisme. Et s’expose alors à des mesures de rétorsion,comme celles prises par la Chine sur les commandes Airbus après l’affaire de la taxe carbone en Europe. Il ne faut pas oublier que le secteur aérien est, depuis trente ans, en pleine déréglementation. La survie des compagnies relève, avant tout, de la responsabilité des directions d’entreprises qui doivent adopter la bonne stratégie. PROXIMITÉ. Filiale court et moyen-courrier d’Air France, Hop !, créée en mars 2013, décolle vers 129 destinations. juin - juillet 2014 / www.lexpress.fr BRANDIMAGES DÉCRYPTAGE AVEC STÉPHANE ALBERNHE MICHAEL LINDNER/AF 54 / 56 / LES BATAILLES DU CIEL Les bonnes recettes d’Air Caraïbes La compagnie spécialiste des Antilles, qui vient de fêter ses dix ans d’existence, affiche d’excellents résultats sur un marché pourtant très disputé. C ’est la plus discrète des compagnies aériennes françaises. C’est aussi la plus rentable. Air Caraïbes, n°2 du transport entre la métropole et les Antilles, avec près de 30 % de parts de marché, affiche une belle santé financière – 8,8 millions d’euros de bénéfices en 2013, soit 30 % de plus qu’en 2012 – alors que ses rivaux continuent de perdre de l’argent. Un exploit sur ce marché ultra-concurrentiel, où la guerre fait rage entre le leader Air France, l’historique Corsair et le dernier venu, XL Airways. Et un parcours sans faute pour la spécialiste des îles – propriété du groupe familial vendéen Dubreuil – née en 2000, de la fusion d’Air Guadeloupe, Air Martinique, Air SaintMartin et Air Saint-Barth. Depuis sa renaissance, en 2003, sous le nom d’Air Caraïbes, et dans le giron du groupe Dubreuil, elle a multiplié ses ventes par 8,5. FLOTTE. La compagnie s'est dotée d’Airbus A330-300 peu énergivores. Le groupe a su saisir sa chance Sa résistance, Air Caraïbes la doit à une stratégie claire, un réseau ramassé, une flotte homogène et un pragmatisme à toute épreuve. « C’est la somme de tous nos efforts qui ex- AIRBUS SAS 2006/H. GOUSSÉ IDENTITÉ. Jean-Paul Dubreuil, propriétaire de la compagnie (au centre), a misé sur un personnel local. www.lexpress.fr / juin - juillet 2014 plique notre succès », analyse Marc Rochet, président du directoire de la compagnie, devenue la référence en Guadeloupe et en Martinique. Son réseau ? Limité à quelques lignes – Pointe-à-Pitre, Fort-de-France, Cayenne, Port au Prince, Saint-Martin et Saint-Domingue – correspondant à la réalité du marché. Pas question, en effet, de multiplier les destinations exotiques pour éblouir la galerie. Ce n’est pas le genre de la maison. En revanche, le groupe a su saisir sa chance : lorsqu’en 2003, Marc Rochet, un ancien d’AOM, suggère de se lancer dans la desserte des Antilles, après le désengagement d’Air Lib, Jean-Paul Dubreuil n’hésite pas. D’autant qu’avec plus de 3 millions de passagers par an, ces routes sont porteuses. Une fois le marché identifié, Marc Rochet n’a eu de cesse de choisir les avions les mieux configurés pour le trafic. « Le choix de la flotte est fondamental. Si vous utilisez de trop gros porteurs, vous faites plaisir aux pilotes mais vous perdez de l’argent », plaide-t-il. Surtout qu’avec la flambée des prix du carburant, la facture s’envole vite. Doté de A330-300, moins énergivores, le transporteur a poussé son avantage. Une grande capacité d’adaptation Pour autant, Air Caraïbes commet, elle aussi, des erreurs. Mais elle sait les corriger à temps. En utilisant des jets Embraer sur les lignes régionales (intra-îles), la compagnie a accusé ses premières (et uniques) pertes, en 2011.Avant de simplifier très vite ce réseau et d’y affecter des turboréacteurs, moins coûteux à l’exploitation. Même retour en arrière pour la desserte, non rentable, de Saint-Martin depuis Paris. Plus saisonnière que prévue, elle a vu le nombre de ses liaisons diminuer et est revenue à l’équilibre. Dans cette adaptation permanente des programmes et des coûts, il n’existe aucun tabou. Ainsi, en avril 2012, la compagnie a signé un accord de partage de codes avec sa concur- rente directe, Corsair, afin de remplir ses avions en période creuse et de gagner des passagers au détriment d’Air France. Un succès, puisque cette dernière a vu ses parts de marché chuter de 50 à 43 % tandis qu’Air Caraïbes affiche un taux de remplissage de 93 % ! Même l’arrivée de XL Airways, en décembre 2012, n’a pas réussi à la faire vaciller. Certes, face à cette nou- Réinvestir les bénéfices plutôt qu'engranger les dividendes velle offre low cost – 399 euros, voire 359 aller-retour pour un Paris Pointeà-Pitre ! – elle a dû, comme Air France et Corsair, aligner bien des fois ses prix sur ceux du trublion du ciel. Mais, assure le patron, « ces baisses, pratiquées hors saison, sont compensées par un afflux de passagers ». La compagnie profite aussi de son identité antillaise assumée: ses 270 salariés sont, aux deux tiers, originaires des îles et son siège social basé en Guadeloupe. Air Caraïbes peut-elle continuer sur sa lancée ? Marc Rochet croit pouvoir prendre encore de l’avance, avec la commande, en décembre dernier, de six A350. Ces appareils, livrés entre 2016 et 2022, pourraient lui donner un avantage compétitif, grâce à une consommation de carburant minorée de 20 à 25 %. « Lorsque nos concurrents remplaceront leur flotte, nous serons déjà loin », affirme-t-il, se félicitant de la sagesse de son actionnaire, plus enclin à réinvestir les bénéfices qu’à engranger les dividendes. Cet optimisme ne lui monte pourtant pas à la tête. Tout juste ce fin connaisseur du secteur s’autoriset-il à évoquer le développement de l’offre sur Saint-Domingue et l’ouverture d’une desserte vers Cuba.Air Caraïbes est une petite compagnie et compte bien le rester. C’est là tout son secret… juin - juillet 2014 / www.lexpress.fr AIRBUS SAS 2006/H. GOUSSÉ Par Corinne Scemama 58 / LES BATAILLES DU CIEL L’EXPRESS / 59 L’étoile du star business rait à celui du carburant : 200 000 dollars, soit 0,3 % du coût de la fusée. La clef de l’aventure martienne. Les prochains lanceurs de la firme, les Falcon Heavy, pourront, dès 2017, emporter des astronautes vers la station spatiale, mais le promoteur de l’espace pour tous les destine déjà à la planète rouge. Elon Musk a assuré à la presse que deux voyages suffiraient pour y installer une machine fabriquant des engrais à partir d’azote, de dioxyde de carbone et de la glace souterraine présente sur Mars ; cela à l’usage d’une colonie de 80 000 habitants logés sous d’énormes coupoles translucides. Il prévoit d’abord l’envoi d’une dizaine d’éclaireurs, pour un prix de 500 000 dollars par passager… Il a convaincu la Nasa d’utiliser ses lanceurs et vient ébranler la tranquille domination du leader Arianespace, en proposant aux opérateurs de satellites des tirs à prix cassés. L’entrepreneur Elon Musk croit encore à la conquête spatiale et rêve d’installer une colonie sur Mars. chacun ses mythes. Les ciété de transport spatial la plus comRusses érigent des sta- pétitive au monde, créée en 2002 : astues à Laïka, la petite surer, tout simplement, « l’accès fiachienne embarquée ble et bon marché à l’espace ». dans leur deuxième Banaliser, démocratiser le cosmos Spoutnik, en 1957. Les pour vraiment le conquérir, et pas Américains exposent des tenues d’as- seulement en tant que convoyeur low tronautes et des pierres de Lune dans cost de satellites à placer en orbite. leurs musées. Elon Musk, patron de Car Musk, 43 ans cet été, n’a jamais Space Exploration Technologies caché son ambition principale : (SpaceX), remporte, lui, la palme de « transformer l’humanité en espèce l’originalité. À l’entrée du siège so- interplanétaire ». Dix ans que l’icône cial de sa société, à Hawthorne, près du renouveau scientifique américain de Los Angeles, le dernier gros opé- – successeur désigné des Steve Jobs rateur privé engagé dans la conquête et autres Bill Gates – prône la créade l’espace a choisi d’exposer une tion de colonies sur Mars pour perautre relique poignante : une superbe mettre aux Terriens de fuir leur plaroue de gruyère d’une dizaine de ki- nète vouée au désastre. Face à ces los, revenue saine et sauve, le 29 dé- projets, Wall Street, comme le gotha cembre 2010, de deux révolutions technologique, hésite toujours entre l’admiration autour de la Terre. et l’inquiétude À l’époque, Musk « Transformer pour la santé jouait son avenir dans un vol de dél’humanité en espèce mentale de ce play-boy étranmonstration pour interplanétaire » gement tacila Nasa, son client turne, père de potentiel. Mais, en passant devant une fromagerie proche cinq enfants et divorcé – après treize de son palais de Beverly Hills, le tru- mois de mariage – de sa deuxième blion du techno-business n’a pu ré- épouse, l’actrice britannique Talulah sister à l’envie de faire un clin d’œil Riley. Mais un coup d’œil au parcours aux hiérarques de l’establishment terrestre de ce Canadien d’origine spatial. Une « charge utile » qui re- sud-africaine, doublement diplômé flétait parfaitement le credo de sa so- en physique théorique et en business À www.lexpress.fr / juin - juillet 2014 OFFENSIF. Avec son vaisseau Dragon V2, Elon Musk, PDG de SpaceX, redonne aux Américains les moyens de rejoindre l’ISS sans recourir aux Soyouz russes. de la prestigieuse Upenn University de Pennsylvanie, confirme au moins son sens des affaires. SpaceX a gardé une culture de start-up de la Silicon Valley À 25 ans,lorsque ses copains étudiants cherchent les adresses d’employeurs potentiels, ce surdoué liste – comme autant de débouchés – les trois besoins majeurs, à ses yeux, du genre humain. D’abord, le développement de l’Internet. Programmeur de génie, Musk abandonne l’université de Stanford deux jours après le début des cours, pour rallier la Silicon Valley, puis fonder, en 1998, un système de paiement en ligne, PayPal, qu’il revend quatre ans plus tard 1,5 milliard de dollars à eBay. Autre besoin : la préservation des ressources naturelles. Sa firme SolarCity, lancée en 2006, est aujourd’hui n°1 du panneau solaire grand public en Californie, et Tesla, son fleuron, installé à Palo Alto, s’est imposé comme le leader incontesté de la voiture électrique. Restait la conquête de l’espace. Le 25 mai 2012, nanti d’un contrat de sous-traitance de 1,6 milliard pour douze lancements commandités par la Nasa, Elon Musk, figé par l’émotion, assiste – via un écran géant au siège de Hawthorne – à l’arrimage de sa capsule Dragon à la Station spatiale internationale (ISS). Jusqu’alors, seules les agences spatiales américaine, européenne, russe et japonaise ont fait ce voyage. SpaceX, quelque part sur l’orbite terrestre, vient d’entrer dans un univers parallèle, resté longtemps l’apanage d’États souverains dotés de moyens pharaoniques. Un honneur mérité. Dans un rapport, la Nasa confirmait elle-même que son sous-traitant pouvait développer un lanceur pour un budget – 300 millions de dollars – de moitié inférieur à ce qui se fait sur le marché. Le miracle s’explique simplement. Malgré ses 3 000 ingénieurs et techniciens et son hall de montage gigantesque, SpaceX a gardé une culture de start-up. Et s’est donc préservée des pesanteurs bureaucratiques d’une industrie d’État. Le bar à yaourts et MARIO ANZUONI/REUTERS De notre correspondant aux États-Unis, Philippe Coste les tables de ping-pong comptent pourtant moins que la rapidité des décisions, la souplesse du management, et, surtout, l’obsession de la réduction des coûts, sertie dans l’ADN de la maison. Les similitudes entre les différentes versions de fusées baptisées Falcon – bâties avec des éléments disponibles sur le marché – autorisent les économies d’échelle ; leur simplicité rustique, à l’instar d’increvables « Volkswagen de l’espace », réduit aussi les frais de développement. Mieux : la firme mise toute sa recherche sur un lanceur réutilisable. Musk est en effet horrifié par le gâchis actuel, qui exige qu’à chaque lancement, on laisse chuter et brûler dans l’atmosphère des appareils d’une valeur de 60 millions de dollars. Comme la fusée de Tintin, son prototype, Grasshopper – « sauterelle » –, est déjà capable d’atterrir en position verticale après des bonds de 325 mètres. S’il pouvait un jour revenir intact du firmament et repartir illico, le prix d’une mission spatiale se rédui- Un lanceur très compétitif En attendant, Musk a réussi son premier pari : le 3 décembre 2013, son lanceur Falcon a placé en orbite géostationnaire un satellite de télécommunications de l’opérateur SES. Après un nouveau succès en janvier, puis des reports dus à des soucis techniques, les tirs ont repris au printemps et vont se poursuivre cet été. De quoi mettre le leader du secteur, l’européen Arianespace, sous forte pression. Son nouvel objectif ? Être capable de baisser la facture de ses lancements à 70 millions d’euros pour se rapprocher de SpaceX qui affiche un prix cassé de 60 millions. C’est tout l’enjeu du développement de la future Ariane VI, qui doit être décidé en décembre prochain par les ministres des pays membres de l’ESA. Mais la bataille est inégale : Arianespace est une société de commercialisation, qui doit compter avec une vingtaine d’actionnaires, quand SpaceX, détenue par son fondateur milliardaire, intègre la conception, la fabrication et les tirs. Last but not least, communicant chevronné, Elon Musk sait occuper l’espace, dans tous les sens du terme : il joue ainsi son propre rôle dans une scène d’Iron Man 2, un film dont il a aussi inspiré le personnage principal, mi-savant, mi-superhéros. juin - juillet 2014 / www.lexpress.fr L’EXPRESS / 61 Les nouvelles frontières INVENTER LE VOYAGE DU FUTUR Industries centenaires, l'aviation et le spatial n'ont pas fini de nous faire rêver. Dans les années à venir, elles devront encore innover pour répondre à de nouvelles aspirations : l'avion sans pilote, tout électrique ou encore l'envolée vers les étoiles, à la portée de tous. Par Thierry Dubois POLYVALENTE. Destinée à réaliser des expériences en apesanteur, la station spatiale internationale sert également à préparer les futurs vols habités. NASA 2010 V oyager à bord d’avions de ligne parfaitement silencieux, relier Paris et Sidney en quelques heures, passer ses vacances sur la Lune… Si l'industrie aérospatiale et le grand public ont délaissé ces utopies d’un autre temps, de nouveaux progrès et des innovations ma- jeures sont à portée de main. Principal élément sur lequel les ingénieurs travaillent pour rendre l’avion plus écologique : la propulsion qu’ils imaginent électrique à l'horizon 2040. L'idée ? Répartir une rangée de petites soufflantes sur la voilure pour une meilleure aérodynamique. Un projet en partie réaliste puisque l’on sait miniaturiser et multiplier les moteurs électriques tout en restant dans un coût abordable. Mais les batteries restent encore un facteur limitant. En effet, elles renferment bien moins d’énergie, par kilogramme, que le kérosène. L’avion électrique sera donc vraisemblablement hybride avec, par exemple, une turbine à gaz juin - juillet 2014 / www.lexpress.fr 62 / LES NOUVELLES FRONTIÈRES conventionnel pour générer l’électricité. En fonctionnant à régime constant, elle consommerait beaucoup moins que les turboréacteurs d’aujourd’hui. Une telle architecture, mixte, nécessite l’utilisation de câbles électriques capables de transmettre, sans perte, des puissances importantes. Les ingénieurs devront donc utiliser la supraconductivité, une technologie découverte fortuitement en 1911, que les physiciens et chercheurs peinent à faire sortir des laboratoires et, plus encore, à embarquer.Vraisemblablement « plus vert », l'avion des années 2040-2050 ne sera pas complètement silencieux, les soufflantes et la turbine étant des sources de bruit non négligeables. Une étape intermédiaire consistera alors à « électrifier » des systèmes autres que les moteurs, comme le conditionnement d'air, le mouvement des gouvernes, les freins du train d’atterrissage… aujourd'hui, propulseur à hélices rapides sont mieux maîtrisées qu’il y a trente ans, lors des premiers essais. Ainsi, en termes de nuisances sonores, de nouvelles estimations et tests partiels s’avèrent très encourageants. Ce propulseur, autrefois qualifié « d’épouvantable », répondrait désormais aux normes en vigueur. Environnement et sécurité, deux défis pour l’aérien Une autre piste pour réduire le bilan carbone de l’aérien réside dans l’emploi d’agrocarburants. Ceux-ci ont démontré plus rapidement que prévu leur acceptabilité technique : les moteurs fonctionnent aussi bien, si ce n’est mieux, qu’avec le kérosène Jet-A1 issu du pétrole. Seule ombre au tableau, le retour sur investissement, très long pour les producteurs d’agrocarburants. Ce qui constitue un frein important pour le développement de la filière. Électrique, végétal… et pourquoi pas solaire ? Concept fuMiser sur la puissance turiste, le Solar Impulse se électrique veut un aperçu de ce qu’il est possible de réaliser en s’aphydrauliques ou pneumatiques. Pas- puyant sur les technologies de 2014. ser à la puissance électrique permet Certes, l’espoir de voir un jour un de simplifier ces systèmes et de ga- avion de transport voler uniquement gner à la fois en masse et en consom- alimenté par ses cellules photovoltaïques est mince. Néanmoins, avec mation globale. Quant à la réduction de l'empreinte son tour du monde en étapes, prévu écologique, elle pourrait passer par en 2015, Solar Impulse veut pourle retour à l’hélice. Pas au modèle clas- suivre sa démonstration. Et prouver sique, mais plutôt à une paire d’hé- que les matériaux composites, les molices rapides contrarotatives rempla- teurs électriques, les batteries, ou ençant la soufflante. Le générateur de core les capteurs solaires, permettent gaz serait semblable à ceux utilisés de mettre au point un appareil que aujourd’hui, mais le rendement de personne n’aurait imaginé dix ans aul’ensemble – appelé turbopropulseur paravant. Aujourd’hui, plusieurs inà hélices rapides ou « open rotor » – dustriels s’intéressent aux solutions bien meilleur, les motoristes n’hési- mises en œuvre par les concepteurs tant pas à parler d’une économie de du Solar Impulse, dont le stockage l’ordre de 25 % en carburant.Le Fran- d’énergie. çais Snecma, associé à plusieurs par- Avec l’environnement, la sécurité des tenaires en Europe, prévoit l’essai au vols reste une préoccupation majeure sol d'un tel moteur dès 2016. La dé- pour le transport aérien. Avec 173 cision de lancer un programme in- morts sur des vols réguliers en 2013, dustriel sera probablement prise en- selon l’Organisation de l’aviation citre 2017 et 2019, pour une mise en vile internationale (OACI), la sécuservice en 2030. Les technologies né- rité a atteint un niveau extrêmement cessaires à la fabrication d’un turbo- élevé. Rendant, paradoxalement, www.lexpress.fr / juin - juillet 2014 chaque accident moins acceptable. Comme lorsqu’un avion plonge dans l’océan et que son épave reste introuvable pendant de longues semaines. De tels drames font néanmoins progresser la recherche et la réglementation. Le crash de l’AF 447 Rio-Paris a ainsi mis en exergue la nécessité d'améliorer encore l'interaction homme-machine. Depuis quelques années, le phénomène de givrage des moteurs à haute altitude intrigue aussi les chercheurs. Des cristaux de glace frappent les aubes internes et fondent sur leur surface, les refroidissant… jusqu’à permettre l'accumulation de givre provoquant des dysfonctionnements, voire l’extinction du turboréacteur. Une tradition de conquête L’industrie spatiale n’est pas en reste. Forte et puissante, elle crée de la valeur et génère 16 000 emplois en France, soit 40 % des effectifs de la filière européenne. Depuis Jean-Loup Chrétien, premier Français à partir pour l’espace en juin 1982, en compagnie d'un équipage soviétique,d’autres spationautes se sont élancés à la conquête de l’espace. On se souvient de Patrick Baudry, en 1985, pour le premier vol spatial franco-américain, de Claudie Haigneré, en 1996, dans le cadre d’une mission franco-russe, ou encore, en 2002, de Philippe Perrin, le dernier à avoir séjourné dans les étoiles. Ces grandes coopérations internationales vont reprendre avec le prochain départ de Thomas Pesquet (lire interview page 79).Âgé de 36 ans, il sera le dixième Français à s’envoler vers le firmament fin novembre 2016, pour un séjour de longue durée à bord de la station spatiale internationale. Fort de cette capacité à envoyer des hommes vers l’espace mais aussi d’assurer la réussite de cinquante-huit missions d’affilée par Ariane V, ou de cartographier la voie lactée grâce à la sonde européenne Gaïa, construite à Toulouse par Airbus Defence & Space, la France rêve de repousser les frontières du ciel. Et d’ouvrir une nouvelle ère du transport aérien, par-delà l’atmosphère. 64 / LES NOUVELLES FRONTIÈRES L’EXPRESS / 65 Le printemps des drones TROIS QUESTIONS À… EMMANUEL DE MAISTRE D.R. PRÉSIDENT DE LA FÉDÉRATION PROFESSIONNELLE DU DRONE CIVIL (FPDC) Par Guillaume Lecompte-Boinet I ls sont partout, volant en mode isolé ou en essaim bourdonnant. Ils sont capables de réaliser des photos aériennes, de faire de la cartographie, d’assurer la surveillance de lignes à haute tension ou la prévention des risques naturels. D’ici quatre à cinq ans, Amazon prévoit de les utiliser pour livrer des colis. Des mini-drones apparaissent même dans un spot publicitaire de Toyota dans lequel un groupe de petits aéronefs espions, fabriqués par DJI, un constructeur de Hong Kong, poursuit un Rav 4. L’époque où ces engins télépilotés étaient exclusivement voués à une utilisation militaire semble bien révolue, même si, aujourd’hui encore, la quasi totalité du marché reste tournée vers des applications de défense. Avec deux pays trustant les premières places : les États-Unis et Israël. Selon une étude parue en novembre www.lexpress.fr / juin - juillet 2014 « Faire évoluer la réglementation » 2013, effectuée par le cabinet américain Teal Group, les USA vont représenter entre 50 et 60 % des dépenses mondiales en matière de drones pendant la prochaine décennie. Un marché dont la taille devrait doubler, toujours selon Teal, d’ici à 2023. Preuve de cette suprématie américaine, pour remplacer ses drones de surveillance de type Male (Moyenne altitude longue endurance), la France a été obligée d’acheter des drones Reaper fabriqués par General Atomics, car ce type de matériel n’existe pas sur le marché français. Pas encore. Car les choses changent rapidement. Plus de 400 opérateurs en France En effet, l’explosion du marché des drones civils et commerciaux fournit aux Européens, et particulièrement aux Français, une belle occasion de contester la suprématie américaine. Même s’il est aujourd’hui difficile, voire impossible de chiffrer ce marché tant il est jeune, « son potentiel de croissance est extraordinaire », confirme Frédéric Serre, président du directoire et co-fondateur du Grenoblois Delta Drone, l’une de DELTADRONE De l'appareil de surveillance au jouet connecté, l’aéronef sans pilote a été la star incontestée du salon du Bourget en 2013. En France, des dizaines de jeunes pousses émergent dans ce microsecteur en pleine expansion. ces nombreuses start-up du drone qui a émergé ces dernières années. La France a réussi à rattraper le retard accumulé dans le domaine des drones militaires, parce qu’elle a été l’un des rares pays européens à se doter, dès avril 2012, d’un cadre réglementaire assez complet. Celui-ci prévoit quatre scénarios d’utilisation de ces machines volantes. Jusqu’alors, seuls les Britanniques étaient aussi avancés. Depuis, les choses ont évolué, et, en juin 2013, à l’occasion du Salon du Bourget, les opérateurs et fabricants français de drones se sont dotés d’une structure représentative, la Fédération professionnelle du drone civil (FPDC), qui rassemble déjà plus de 250 entreprises. Pour la plupart nées voilà à peine deux ou trois ans… « Si la France est aussi avancée, c’est parce que nous avons une vieille culture aéronautique et des ingénieurs très qualifiés. En outre, les Français ont un penchant certain pour la technologie, popularisée par le Parisien Parrot et son AR.Drone », explique Emmanuel de Maistre. Président de la FPDC, il est également le fondateur de RedBird, un opérateur de drones (lire interview cicontre) qui exploite notamment des machines fabriquées par le Toulousain Delair Tech. Par ailleurs, le transfert de certaines technologies et savoir-faire militaires vers le civil – notamment dans le domaine des capteurs – a été encouragé par les pouvoirs publics. Avec plus de 400 sociétés enregistrées auprès de la Direction générale de l’aviation civile (en hausse de plus de 350 % sur un an), la France est le pays qui compte le plus d’opérateurs de drones civils en Europe, selon ce chef d’entreprise tout juste trentenaire. À titre de comparaison, l’Allemagne ou le RoyaumeUni font pâle figure avec, respectivement, quelque 200 sociétés. Sans doute la France a-t-elle aussi perçu les formidables applications Les drones correspondent-ils à de vrais besoins ou s’agit-il d’une « bulle » ? Il n’y a pas de bulle. Simplement, comparée à la rapidité de développement à des fins ludiques et grand public, la mise en œuvre des applications industrielles ou agricoles est plutôt lente. Et cela malgré de véritables besoins à très grande échelle. Mais le marché balbutie et de nombreux groupes sont encore en phase d’expérimentation. Le drone civil bénéficie d’une exposition médiatique anticipée par rapport à la taille actuelle du marché, mais justifiée au regard de son potentiel. La réglementation doit-elle évoluer ? Oui. Si la France a pris une longueur d’avance en définissant des règles, dès avril 2012, aujourd’hui, certaines applications ne peuvent être développées pour des raisons réglementaires. C’est le cas de la surveillance industrielle des grands réseaux d’infrastructure avec des vols sur de longues distances. La tâche est complexe pour la DGAC (Direction générale de l’aviation civile), qui doit étendre et favoriser les opérations des drones tout en conservant un haut niveau de sécurité pour les autres aéronefs habités et les tiers au sol. La FPDC a mis en place des groupes de travail pour participer à l’évolution de la règlementation. En particulier, nous avons fait des propositions visant élaborer, en France, un programme unifié pour la formation des télépilotes de drones. Comment la France peut-elle conserver son avance ? Ne soyons pas dupes, cette avance reste fragile face aux développements en cours en Asie ou en Amérique du Nord. La France gardera un leadership international sous trois conditions : une progression rapide et audacieuse de la réglementation; une implication forte et un « passage à l’échelle » de la part des grands donneurs d’ordre et des financements plus importants, publics ou privés, pour le développement technique, mais aussi commercial, des « dronistes ». juin - juillet 2014 / www.lexpress.fr 66 / LES NOUVELLES FRONTIÈRES L’EXPRESS / 67 offertes par cette innovation. Photos aériennes, films publicitaires, communication au sens large représentent aujourd’hui le gros du marché (jusqu’à 80 % des adhérents de la FPDC travaillent dans ces secteurs). Et ce n’est que le début. De nouvelles applications émergent dans l’industrie. Les drones y sont utilisés pour la surveillance de réseaux ou la thermographie des bâtiments, l’inspection de parcs photovoltaïques ou de pipeline. Mais également dans le secteur de l’agriculture, où ils permettent d’optimiser l’irrigation ou les épandages de pesticides. Autre utilisation, la sécurité civile, avec, par exemple, la prévention des feux de forêt ou des risques naturels. Cette professionnalisation du marché n’a pas échappé à Parrot. L’entreprise fondée en 1994 par Henri Seydoux, au départ spécialisée dans les smartphones et tablettes, a conçu son premier minidrone en 2008. Un appareil grand public vendu à 700 000 exemplaires. Convaincu de l’avenir de ces engins, Parrot a récemment pris des participations dans deux PME expertes dans les drones à destination de l’industrie et de l’agriculture de précision, Airnov et EOS Innovation. L’un des attraits du drone réside dans son faible coût d’utilisation, environ deux à trois fois moindre que celui d’un petit hélico, selon la mission. Avec les progrès réalisés en matière de miniaturisation des caméras et autres capteurs, il devient possible de les embarquer sur des platesformes bien plus petites qu’un hélicoptère ou un avion piloté. « Les AGRICULTURE. Les drones permettent, entre autres, d'optimiser l'irrigation des terres. avec le pôle de compétitivité grenoblois Minalogic, expert en microélectronique, elle a développé un drone et un capteur permettant de retrouver une personne ensevelie sous la neige. Spécialisée dans les drones destinés aux secteurs industriels, agricoles ou minier, elle a déjà produit une soixantaine d’engins. Elle emploie une trentaine d’ingénieurs et réalise un chiffre d’affaires de 1,4 million d’euros. Un faible coût d'utilisation Autre exemple, celui du fabricant Fly-n-Sense. Créé en 2008 par Christophe Mazel, basé à Mérignac, il a également bénéficié de sa proximité avec le pôle Aerospace Valley et de son installation dans la pépinière technologique Bordeaux Technowest. « Cela a joué le rôle de catalyseur », confirme David Carcenat, responsable marketing-commercial. Pendant quatre ans, Flyn-Sense s’attache à déUn rôle complémentaire velopper une solution par rapport au satellite globale, allant du drone à la chaîne de traiteou à un avion piloté ment de l’information drones civils vont devenir straté- en passant par les caméras embargiques, et seront à l’aéronautique ce quées. Un concept gagnant qui a déjà que le téléphone mobile a été à l’in- séduit les pompiers des Landes (prédustrie des Télécoms », prédit Fré- vention de la propagation des feux), déric Serre. Sa société, Delta Drone la garde nationale du Portugal (gesa surfé sur cette vague au bon mo- tion du trafic routier et des accidents), ment, en 2012. Grâce à sa proximité ainsi qu’une société d’autoroute pour www.lexpress.fr / juin - juillet 2014 effectuer des inspections visuelles. Mais les retombées commerciales restent encore modestes : cette année, la société bordelaise table sur un chiffre d’affaires de 1 million d’euros. Les drones civils ne sont effectivement pas une panacée. « Ils jouent un rôle complémentaire par rapport au satellite ou à un aéronef piloté », estime Frédéric Serre. Ainsi, pour cartographier de très grandes parcelles agricoles ou optimiser les épandages, le satellite reste encore le moyen le plus adapté. C’est le cas pour 80 à 90 % des missions. Le drone intervenant pour combler les « trous » laissés par le satellite, gêné quand il y a des nuages, par exemple. Car il présente de nombreux avantages : une altitude de vol peu élevée, à 50 ou 100 mètres du sol, et son coût, très économique (l’heure de vol d’un drone Male est d’environ 10 000 à 15 000 euros contre 20 000 à 40 000 euros pour un satellite). Un problème de poids Si l’avenir de cet engin semble tout tracé, quelques défis restent à surmonter. Le premier,de poids,concerne les charges utiles, jugées trop faibles. En effet, les besoins exponentiels du marché supposent d’embarquer de plus en plus de capteurs et des batteries plus grandes, donc plus lourdes. Or, la réglementation de 2012 a limité à 2 kilos le poids total des drones DELTA DRONE autorisés à voler hors de la vue du télé pilote. La performance des batteries devra également être améliorée, pour permettre d’effectuer des missions de longue durée, nécessitant d’augmenter l’autonomie. « Nous travaillons actuellement sur ce sujet avec la Direction générale de l’aviation civile (DGAC), confirme Emmanuel de Maistre. Certains clients, comme la SNCF ou GRTgaz, nous y poussent. » Autre sujet, sensible, celui de la formation des télépilotes.Actuellement, elle est identique à celle encadrant les ULM. Or la communauté des « dronistes » réclame fermement une formation initiale plus adaptée à leur activité, avec un manuel spécifique et des centres de formation agréés par la DGAC. Ces sujets ne sont pas neutres. En effet, les Américains affichent de fortes ambitions sur ce marché. Le Congrès vient de fixer une « Roadmap » visant à ouvrir l’espace aérien américain aux drones civils et commerciaux d’ici à 2015. Une expérimentation sur six sites pilotes est en cours. En l’espace de quinze jours, ce printemps, Facebook, puis Google, ont racheté des fabricants de drones. Le groupe de Les États-Unis dans les startingblocks Mark Zuckerberg a mis la main sur l’entreprise britannique Ascenta, spécialisée dans les avions solaires capables de parcourir de longues distances. Tandis que Titan Aerospace, une petite entreprise d’une vingtaine de salariés, spécialisée dans la production de drones atmosphériques, est tombée dans l’escarcelle du géant d’Internet. Autrement dit, les Américains s’im- patientent. De leur côté, les Européens étudient l’intégration des drones civils dans leur espace aérien depuis 2009. Mais la feuille de route de la Commission ne prévoit pas l’aboutissement de ce projet avant 2016-2019, le temps de réaliser les essais avec des démonstrateurs, et de transposer la future réglementation dans les différents pays membres. Or, selon un rapport réalisé en 2013 par l’Association internationale des fabricants de drones (Auvsi), l’industrie américaine, forte de son savoirfaire en matière militaire, n’hésitera pas à inonder le marché mondial avec des machines civiles. Ce secteur pourrait générer plus de 100 000 nouveaux emplois, et un volume d’affaires de 82 milliards de dollars entre 2015 et 2025, notamment grâce à l’export. Il n’y a pas de temps à perdre et, les Européens, les Français en premier lieu, ont intérêt à se tenir prêts. LES NOUVELLES FRONTIÈRES Le défi du tout électrique Les avionneurs consacrent beaucoup d’énergie à concevoir des appareils toujours plus verts. Ils se heurtent encore à un écueil : l’électrification de la propulsion. Par Guillaume Lecompte-Boinet S ouvenez-vous. En janvier 2013, un Boeing 787 de la compagnie All Nippon Airways (ANA) doit se poser en catastrophe pour cause de surchauffe de ses batteries lithium-ion.Tous les 787 en service restent cloués au sol pendant environ trois mois. Composé à 50 % de fibres de carbone, le 787 a la particularité d’embarquer la puissance électrique la plus importante de toute l’histoire de l’aviation commerciale, soit plus de 1,4 mégawatts. De quoi alimenter plus de 400 foyers, selon Boeing. Un an après ces événements, en janvier dernier, nouvel incident sur une batterie d’un 787 de Japan Airlines (JAL). Réduire les coûts d’exploitation L’électrification croissante des avions de ligne n’est pas sans poser des problèmes de maturité. En un peu plus d’un demi siècle, la puissance embarquée a été multipliée par environ 50. Si les ingénieurs ont accompagné ce mouvement, ce n’est pas pour le plaisir d’innover, mais bien parce que l’électrification présente de nombreux avantages. En remplaçant certains des réseaux hydrauliques ou pneumatiques complexes, avec leur tuyauterie, leur système de pompes et de valves, et leurs fluides, elle permet d’alléger le poids des appareils. www.lexpress.fr / juin - juillet 2014 « Le grand intérêt de l’électrification, c’est à la fois un gain de masse, et une réduction de coût grâce à une maintenance plus simple », explique Alain Sauret, PDG de Safran Power, nouvelle structure rassemblant toutes les activités électriques de Safran. Selon lui, le gain de masse, à fonction identique, peut atteindre entre 10 et 20 % au bas mot. Rien d’étonnant, donc, si les avionneurs s’intéressent tous à l’électrification. Avec l’augmentation des besoins pour le confort des passagers (divertissement, tablettes, etc.), « les avions modernes sont plus gourmands en électricité », constate Jean Hermetz, directeur adjoint du département conception et évaluation des performances des systèmes à l’Office national de recherche aéronautique (Onera). L’organisme travaille, entre autres, sur certains aspects de l’électrification, comme la compatibilité électro-magnétique ou le comportement des systèmes en cas de foudroiement. Offrir plus de souplesse Airbus, avec l’aide de Safran, a fait sauter un verrou en décidant d’électrifier l’inverseur de poussée de l’A380, une pièce mobile servant lors de l’atterrissage. L’appareil dispose ainsi d’une puissance embarquée environ trois fois supérieure à celle de l’A330. De son côté, avec le 787, Boeing a réussi une nouvelle rupture L’EXPRESS / 69 INNOVATION. Développé par Safran, le « Green Taxiing » permettra d’économiser du carburant et de réduire les émissions de CO2 lors des opérations au sol. en supprimant le prélèvement d’air chaud sur les moteurs, utilisé pour faire fonctionner des sous-systèmes, et en le remplaçant par des générateurs électriques. Moins sollicités, les moteurs peuvent délivrer davantage de puissance, ou consommer moins, selon les besoins du vol. C’est l’un des autres avantages de la « fée » électricité : elle offre plus de souplesse en réaffectant la puissance dédiée d’un système vers un autre pendant le vol. Grâce à cette innovation, « nous pouvons faire entre 2 et 3 % d’économies de carburant », indiquet-on chez Boeing. En revanche, ce choix stratégique a obligé l’avionneur à prendre quelques risques. Le 787, transformé en petite centrale électrique, embarque plus de batteries et deux soutes d’équipements électriques au lieu d’une sur les autres Boeing. Le constructeur de Seattle a aussi opté pour des batteries dernier cri lithium-ion, une technologie très efficace, mais encore peu éprouvée dans l’aéronautique. Dépasser les contraintes « L’un des défis de l’électrification est d’être en mesure de gérer plus de puissance dans un environnement contraint », rappelle Yannick Assouad, directrice générale de la branche Aircraft Systems de Zodiac Aerospace, le leader mondial de la distribution électrique. « Nous travaillons donc à augmenter les voltages sans pertes électriques, sans augmenter la masse, et ce, en toute sécurité », ajoute-t-elle. Car plus d’électricité implique aussi plus de chaleur à évacuer. Or la révolution de l’électrique s’est aussi accompagnée de la généralisation de la fibre AIRBUS GROUP 68 / de carbone dans les fuselages. Moins conducteur que l’aluminium, ce matériau évacue moins bien la chaleur. « Safran a beaucoup travaillé sur l’amélioration des équipements de puissance et sur le rayonnement thermique pour pallier ces problèmes », explique Alain Sauret dont le groupe dépense, chaque année, entre 30 et 50 millions d’euros en R&D consacrés à l’électricité à bord. Autant de contraintes qui ont conduit Airbus à adopter une approche plus prudente avec son appareil long courrier A350, dernier-né de sa gamme. Contrairement à son rival Boeing, le constructeur européen n’a pas souhaité supprimer le prélèvement d’air des moteurs et a conservé des systèmes hydrauliques. De cette sorte, la puissance embarquée à bord est environ deux fois inférieure à celle du 787. L’avenir dira rapidement si Airbus a fait le bon choix puisque l’A350 doit entrer en service à la fin de cette année. Autre système d’avenir développé par Safran : le « Green Taxiing ». Cet astucieux procédé consiste à équiper le train principal avant d’un avion d’un moteur électrique permettant de tracter l’appareil jusqu’à son point de décollage. Sans, pour autant, utiliser les réacteurs. Le gain en carburant se situe entre 3 et 4 %, estime Safran qui étudie deux autres chantiers d’électrification : la rentrée des trains d’atterrissage, très boulimique en énergie, et l’actionnement des volets. Un appareil capable de transporter 60 à 80 passagers Rêve ultime : voler avec une propulsion 100 % électrique. Pour le réaliser, Airbus Group développe l’E-Fan, un avion léger avec lequel il a effectué plusieurs vols d’essais. Le 25 avril, le groupe européen a lancé la production en série de cet avion à propulsion électrique, d’une puissance de 100 kilowatts. « Nous sommes encore dans la courbe d’apprentissage dans ce type de technologies et l’E-Fan est une étape pri- mordiale », explique Jean Botti, directeur général de la division R&T. Pour progresser, Airbus Group se dotera, dès 2015, d’un banc d’essai sur son site allemand d’Ottobrunn. Le groupe veut ainsi passer du kilowatt-heure au mégawatt en utilisant, notamment, de nouvelles batteries, au sodium ou au lithium-air. Le défi : aboutir à un appareil capable de transporter 60 à 80 passagers. « Cela passera sans doute, un jour, par la propulsion hybride au travers d’une turbine classique à base de pétrole », ajoute Jean Botti. Airbus Group n’est pas le seul à s’aventurer dans le tout électrique. L’Onera étudie un projet de petit avion d’affaires en s’appuyant sur le principe de la propulsion répartie : « Au lieu d’avoir deux gros moteurs, on répartit la poussée avec plusieurs petits moteurs électriques intégrés dans le fuselage et les ailes », explique Jean Hermetz, directeur adjoint à l’Onera. Les chercheurs se donnent de quinze à vingt ans pour aboutir. juin - juillet 2014 / www.lexpress.fr 70 / LES NOUVELLES FRONTIÈRES L’EXPRESS / 71 SPACE SHIP TWO. Le projet de Virgin est aujourd’hui le plus abouti avec un premier vol prévu à la fin de cette année. Demain, le mythe pourrait devenir réalité. En mariant progrès technologiques, financements privés et un goût certain de l’aventure, une poignée de sociétés tentent de mettre le « vol suborbital » à la portée du (riche) quidam. Par Bruno D. Cot www.lexpress.fr / juin - juillet 2014 L ady Gaga aurait promis d’y interpréter, en direct, son tube du moment. Peut-être sera-t-elle écoutée par Tom Hanks, Angelina Jolie, Brad Pitt, Justin Bieber ou encore Paris Hilton ? Avant même son inauguration, le « spot » s’impose déjà comme le rendez-vous incontournable de la jetset. De quoi parle-t-on ? D’une nouvelle boîte de nuit ou d’un nouveau restaurant branché ? Ni l’un ni l’autre. Mais d’un emplacement encore indéterminé, situé sur aucun continent, au milieu d’aucune mer, mais quelque part au-dessus de nos têtes, dans le firmament, à une centaine de kilomètres d’altitude ! Ce vieux rêve de terrien – apercevoir la courbure de notre planète et frôler le vide sidéral, tout en évoluant en apesanteur – est en passe de devenir réalité. Même si le tourisme spatial, vu le prix du billet – 250 000 dollars au bas mot – devrait demeurer, dans un premier temps, l’apanage de stars et autres quidams fortunés. Aujourd’hui, une dizaine d’équipes concourent à ce projet fou. La plus connue, celle du Britannique Richard Branson, a conçu un curieux vaisseau baptisé Space Ship Two.Voilà presque dix ans qu’associée au génial ingénieur Burt Rutan, la Spaceship Company de Branson a remporté le fameux Ansar X Prize récompensant la première société capable de faire voler un véhicule habité à 100 kilomètres d’altitude, et ce, à deux re- MARK GREENBERG/VIRGIN GALECTIC LYNX. La société Xcor fait le pari d’une petite navette réutilisable, « capable de s’envoler de n’importe où ». prises. Depuis, l’entreprise, installée dans le désert de Mojave, en Californie (États-Unis), où travaillent près de 370 employés, multiplie les essais pour mettre au point un engin performant et sûr. Fin avril 2013, Space Ship a réussi son premier test en conditions réelles, allumant ses moteurs pendant… 16 secondes, ce qui l’a propulsé à 18 kilomètres de hauteur. En septembre dernier, il a atteint 21 kilomètres, une performance réitérée en janvier 2014. Cinq minutes en apesanteur pour 250 000 dollars Pourtant, le programme a connu moult retards et déboires, notamment un accident dans l’usine californienne d’assemblage faisant trois morts en 2007. Le concept même ap- Belges de Booster Space Industries. paraît complexe : Space Ship Two, Mais il leur sera difficile d’envisager avec deux pilotes et six passagers à de décoller avant 2020. Idem pour le son bord, doit décoller d’une piste, projet radicalement différent, d’une emporté par un aéronef, le White- capsule réutilisable, le « New Sheknight (chevalier blanc) qui, après pard », développé par la société Blue une première phase de vol de qua- Origin dont le patron n’est autre que rante-cinq minutes, le largue à 15 ki- Jeff Bezos, le célèbre fondateur du lomètres d’altitude. Le vaisseau peut site marchand Amazon. alors allumer son moteur-fusée pour « Pour coiffer Branson sur le fil, il filer à Mach 3 (3 700 km/h) jusqu’à faut développer un concept plus simson apogée, siple avec un seul tuée entre 100 et avion capable Marquer une date 110 kilomètres de s’envoler de d’altitude. Làn’importe où », majeure de l'histoire haut, les apprencroit Christophe de l'aérospatiale tis spationautes Bonnal, de la diauront cinq mirection des lannutes pour décrocher leur ceinture ceurs du Cnes (Centre national et éprouver l'absence de pesanteur, d’études spatiales). Et, dans cette cacomme seuls le permettent au- tégorie alternative, le champion s’apjourd'hui les vols paraboliques à bord pelle Xcor, une société créée par Jeff de l'Airbus A300 Zéro G de la so- Greason, également située dans le ciété Novespace. Avant de redes- désert de Mojave, en face de son cendre sur le plancher des vaches, en concurrent direct. Ici, le vaisseau s’apsubissant de violentes décélérations. pelle Lynx et ressemble à une petite Le tout premier vol officiel du Space navette spatiale dont l’essentiel de Ship devrait s’effectuer d’ici à dé- la carlingue se trouve occupé par le cembre 2014 et marquer une date réservoir et par le bloc moteur (ce majeure de l’histoire de l’aéronau- qui réduit l’habitacle). Ce dernier est tique. D’autres concurrents tentent réutilisable et réallumable grâce à de copier le principe – deux vaisseaux, un système de pompe à pistons dédeux pilotes, deux moteurs – à l’ins- rivé de l’industrie automobile. Sauf tar des Suisses de S3, associés au que, depuis le début de l’année, Xcor Français Dassault, ou encore des a rencontré des problèmes dans juin - juillet 2014 / www.lexpress.fr XCOR AEROSPACE MILE MASSEE Tourisme spatial, c’est parti ! LES NOUVELLES FRONTIÈRES le développement de la cabine tron de Cosmica Spacelines, une sodu Lynx. Résultat : un retard de neuf ciété qui souhaite en acheter un mois dans le programme. À l’heure exemplaire au plus vite, pour l’opéactuelle, l’appareil se trouve en phase rer depuis la France ou l’Espagne. Et d’assemblage. « Nous espérons at- comme pour mieux ancrer son proteindre 60 kilojet dans la réalité, mètres d’altitude Xcor doit présenObjectif, s'affranchir ter lors d’un premier cet été une mades distances test au quatrième quette du Lynx, à trimestre 2014. l’échelle 1. Puis, commencera une campagne La dernière piste envisagée consisted’essais de six à dix-huit mois pen- rait à créer une fusée qui ressembledant laquelle nous espérons effec- rait le plus possible à un… avion clastuer entre cinquante et deux cents sique. C’est la troisième voie, celle sur vols, avant un lancement commer- laquelle s’est engagée Airbus Defence cial espéré à la fin de 2015 », détaille & Space, constructeur de satellites et méthodiquement Garret Smith, pa- concepteur d’Ariane. Avec une ob- session : assurer un niveau de sécurité maximum, aussi élevé que dans l’aviation. Les ingénieurs cherchent à mettre au point un vaisseau,« à peine plus gros qu’un jet d’affaires », qui partira de n’importe quel grand aéroport du monde avec une capacité de vols quasi-quotidienne. Sa particularité ? Il disposera d’un moteur dual, de type avion classique pour les phases de décollage et d’atterrissage, et de type fusée pour la phase ascendante. « Ce dernier aura un carburant novateur, à base d’oxygène et de méthane liquide, qui prend moins de place à embarquer que l’hydrogène », explique Christophe Chavagnac, chef du projet SpacePlane (c’est son nom) chez Airbus Defence & Space. SENSATIONS. Éprouver les joies de l’apesanteur à bord de l'Airbus A300 Zéro-G. www.lexpress.fr / juin - juillet 2014 CNES/PEDOUSSAUT MANUEL, 2008 D.R. SPACEPLANE. Airbus Defence & Space prévoit un premier vol commercial dans la prochaine décennie. Voyager à 100 kilomètres d'altitude Autre innovation de taille, déjà brevetée, la cabine totalement dépouillée afin que les passagers puissent profiter au mieux de leurs minutes en apesanteur. L’entreprise européenne a déjà procédé à des essais moteurs dans ses usines allemandes et travaille sur l’aérodynamique : après des tests en soufflerie, une maquette (échelle 1/4) a été larguée, il y a quelques semaines, à 4 000 mètres d’altitude depuis un hélicoptère, au large de Singapour, afin d’éprouver la carlingue dans sa phase de vol plané. Pour autant, les responsables du projet restent assez discrets sur l’investissement à consacrer (entre un et deux milliards d’euros) et sur le premier vol commercial : « Il se fera dans la prochaine décennie », concède, du bout des lèvres, Christophe Chavagnac. Pour toutes ces entreprises, le tourisme spatial représente « l’âge des pionniers ». Mais il n’est que la préfiguration d’une nouvelle ère du transport aérien, celle qui nous fera voyager à 100 kilomètres d’altitude, propulsés par un moteur de fusée.Objectif : s’affranchir des distances en reliant, par exemple, Paris à Tokyo en trois heures au lieu de douze… « Plus vite, plus haut, plus fort », la devise olympique de Pierre de Coubertin en version aérospatiale. L’EXPRESS / 73 REVENANT. Dopé par des avancées technologiques, le « fossile de l'aéronautique » fait sa réapparition. D.R. 72 / Le rêve du dirigeable Les ballons de grande taille ont disparu depuis longtemps du ciel. Aujourd’hui, présentés comme un moyen de transport économique et écologique, ils tentent un timide retour. Mais les applications industrielles restent encore incertaines. Par Thierry Dubois C ’était un rêve d’Icare. Il y a un siècle, le dirigeable évoquait le voyage aérien de luxe. Mais son exploitation est stoppée net par l’incendie du Hindenburg, le plus grand dirigeable jamais construit, le 6 mai 1937 à Lakehurst, dans le New Jersey (États-Unis). Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, supplanté par les avions et hélicoptères, plus sûrs et plus rapides, le « plus-léger-que-l’air » disparaît.Aujourd’hui, si quelques rares dirigeables volent, ils sont destinés aux promenades, à la publicité ou à des prises de vues. Pour autant, ce « fossile de l’aéronautique » n’a pas dit son dernier mot. En effet, le dirigeable du XXIe siècle envisage de tirer parti des progrès réalisés dans les matériaux techniques, la motorisation et l’automatisation. Et d’inventer de nouveaux usages en pariant sur les besoins en observation de la terre et en communication à haut débit. En France, plusieurs sociétés planchent sur des projets aux débouchés commerciaux crédibles et la création d’une filière de construction d’aérostats a été retenue comme l’un des 34 projets de la « Nouvelle France industrielle », présentés par le gouvernement en septembre 2013.À charge du pôle de compétitivité Pégase, à Aix-en-Provence, de la faire émerger. Particulièrement prometteur, le concept de « dirigeable pour charges lourdes » a le vent en poupe. « Ce type d’appareil est pertinent pour le transport de charges exceptionnelles comme des pales d’éoliennes, explique André Soulage, consultant pour le pôle Pégase. Mais aussi quand le point de départ, ou d’arrivée, est peu accessible. » Sur une exploitation minière, un ballon peut livrer une machine de grandes dimensions sans qu’il soit besoin de construire une piste d’atterrissage… et encore moins une route. Les charges lourdes, un créneau porteur Autre application possible : la pose de charpentes et de sous-ensembles d’ouvrages d’art. Les bâtisseurs du viaduc de Millau et du stade de France avaient ainsi sérieusement envisagé d’en réunir des éléments par voie aérienne, assure notre interlocuteur. Avant de renoncer faute de véhicule adapté. Les nombreux progrès techniques intervenus depuis l’époque des Zeppelin ont permis de lever certaines difficultés. Ainsi, des diesels de dernière génération (sur les plus petits dirigeables) ou des turbopropulseurs remplaceront avantageusement des moteurs de bateau qui consommaient juin - juillet 2014 / www.lexpress.fr LES NOUVELLES FRONTIÈRES D.R. ÉCONOMIQUE. Le Stratobus, un projet de dirigeable sans pilote, pourrait remplacer les satellites sur certaines missions. chacun 200 litres d’huile à chaque ché important autour de 250 tonnes traversée de l’Atlantique. Moins gour- de charge utile ». À condition qu’à mand en carburant, « un dirigeable chaque cahier des charges, corresmoderne sera cinq à dix fois plus so- ponde une conception différente, sous bre qu’un avion », affirme André Sou- peine de revivre le fiasco du projet lage. Quant à la structure et à l’en- CargoLifter. Initié au début des anveloppe, elles tireront parti de nées 2000 par l’unique constructeur l’émergence des matériaux compo- de dirigeable au monde pour le transsites et de la légèreté des fibres de port de marchandises, le CL 160, ballon d’une force porcarbone. de 160 tonnes, Pour une charge Cinq à dix fois plus tante a tourné court, conutile de 50 tonnes, sobre qu'un avion traignant la firme un dirigeable conçu allemande à un déaujourd’hui mesurerait 40 mètres de diamètre et 120 mè- pôt de bilan partiel. Un échec dû au tres de long. Cette forme, plus trapue côté fourre-tout du programme, esque celles qui prévalaient au début du time Hervé Kuhlmann. Mais qu’AnXXe siècle, confère à l’appareil une dré Soulage attribue également à un moindre sensibilité au vent latéral lors défi technologique sous-estimé, Cardes phases de vol près du sol.« La plu- goLifter tablant sur une architecture part des (rares) accidents ont eu lieu souple pour une charge de 160 tonnes. au mât d’amarrage », rappelle André Soulage. D’où l’idée de lester désor- Des projets à suivre mais un dirigeable en stationnement. en Russie et aux États-Unis Le « plus-léger-que-l’air » reste en re- Le pôle Pégase évalue à 200 millions vanche vulnérable au cisaillement de d’euros le coût d’un plan industriel vent (brusque changement de direc- permettant d’aboutir à la production ou mouvement vertical de l’air), tion d’un dirigeable pour charges aux turbulences et particulièrement à lourdes. La seule réalisation d’un l’orage. Il devra donc être équipé d’un prototype représentant 50 millions système de « micrométéo » lui per- d’euros. Mais selon André Soulage, mettant de détecter son environne- le jeu en vaut la chandelle. « Le chifment aérologique.« Et de moteurs très fre d’affaires annuel généré par un puissants pour contrer les rafales », tel engin pourrait être de 300 à ajoute le consultant. 500 millions d’ici à dix ans », assureHervé Kuhlmann,directeur technique t-il. En attendant, il prône la constidu réseau Dirisoft Recherche(1), va tution d’un consortium « agile comme plus loin. Selon lui, il existe « un mar- une PME mais avec l’appui d’indus- www.lexpress.fr / juin - juillet 2014 triels aéronautiques en place », indispensable clé de réussite. La France n’est pas la seule à réfléchir à un possible avenir pour les dirigeables. Plusieurs entreprises en Russie, aux États-Unis et au Royaume-Uni pourraient devenir des concurrents sérieux.Ainsi, l’Américain Aeroscraft, qui cible également le transport de charges lourdes – de 66 à 250 tonnes – a déjà reçu le soutien du ministère américain de la Défense, mais entend bien trouver des clients civils. Piloté par l’Européen Thales Alenia Space, le projet Stratobus de dirigeable autonome (sans pilote à bord) vise des missions aujourd’hui confiées à des satellites, beaucoup plus coûteux. Il pourra intervenir pour des tâches d’observation, de météorologie, de télécommunication, de télédiffusion et d’aide à la navigation. Conçu pour accepter 200 kilos de charge utile, ses concepteurs espèrent l’utiliser en relais ou en complément au satellite, quand il ne le remplacera pas. Géostationnaire, posté à 20 km d’altitude – au-dessus de la circulation aérienne –, il sera équipé de moteurs électriques capables de compenser un vent de 90 km/h, et de lui permettre de maintenir sa position. Un défi de taille, puisque le Stratobus fonctionnera sur la seule énergie solaire. Pour cela, Thales Alenia Space a imaginé un système innovant. En effet, un secteur longitudinal de l’enveloppe sera transparent afin de laisser entrer les rayons du soleil et des cellules photovoltaïques, situées sur la face interne, recevront la lumière via un concentrateur à miroir. En outre, le ballon – et donc sa partie transparente – pourra tourner autour d’une bague centrale afin de suivre les rayons du soleil. Un prototype devrait voler d’ici à 2019. (1) Le réseau de recherche Dirisoft a été créé en mars 2007 à l’initiative du ministère de l’Écologie, du Développement durable, du Transport et du Logement, de l’association Aerall, et de l’ENS de Cachan, avec pour objectif d’animer des recherches sur de nouveaux systèmes aérostatiques de transport de charges lourdes. L’EXPRESS / 75 MÉMORABLES. Les sorties « extra-véhiculaires » en scaphandre. Le blues du cosmonaute NASA/2002 74 / Six mois en apesanteur, dans un lieu confiné, à plus de 400 kilomètres de la Terre. À quoi peut ressembler le quotidien d’un spationaute ? Il n’est pas toujours rose, comme en témoigne ce récit fictif… bâti à partir d’anecdotes bien réelles, rapportées par ces forçats de l’espace. Par Bruno D. Cot M e dire ça à moi… Que je suis un vieil ours mal léché et que je me lève du mauvais pied ! Parfois la voix qui monte depuis la Terre ferait mieux de se taire… Je m’appelle Vladimir Polivolkov, je suis cosmonaute – chez vous on dit spationaute – à bord de la station spatiale internationale (ISS). Je dois prolonger ma mission de deux mois, posté à 400 kilomètres au-dessus de vos têtes, parce que plus personne ne veut mettre un kopek dans l’exploration spatiale et qu’il devient trop coûteux d’envoyer mon remplaçant. Je viens de l’apprendre et je râle. Donc, au jeune blanc-bec du centre de contrôle de Houston qui n’a jamais vécu en apesanteur, je réponds que, oui, je suis mal léché. J’y peux quoi, moi, s’il n’y a pas de douche dans l’espace ? Je me nettoie tous les jours avec des lingettes et je me lave les cheveux avec des shampoings secs. Bonjour la toilette intime ! Justement, côté chiottes, j’aimerais le voir, lui, le séant sanglé sur la lunette à se faire aspirer ses déjections à l’aide d’un tuyau à l’embout personnalisé… Cet avorton de Houston devrait savoir aussi que, là-haut, en l’absence de pesanteur, je ne me lève pas du mauvais pied, simplement parce que… je ne le pose pas au sol ! Ici, on flotte en permanence : pas d’endroit, pas d’envers ! Chaque nuit, je dors dans un sac de couchage juin - juillet 2014 / www.lexpress.fr LES NOUVELLES FRONTIÈRES L’EXPRESS / 77 Allô, la Terre ? Je suis Russe, né le 10 mars 1965, à Balkhash, dans les plaines du Kazakhstan. J’ai fait toute ma carrière comme pilote dans l’armée, où j’ai obtenu le grade de colonel après avoir totalisé 1 500 heures de vol. J’ai été cinq fois décoré. Puis, j’ai été sélectionné en tant que cosmonaute, en juillet 2004, après un stage de survie à Baïkonour. Je me suis toujours entraîné dur et j’accomplis ma troisième mission spatiale pour mon pays, le seul aujourd’hui capable d’envoyer régulièrement des hommes dans l’espace. Bref, je veux bien avaler toutes les couleuvres de la coopération entre les nations, mais pas pour entendre au réveil des paroles aussi mielleuses que « Et la bannière EXPÉRIENCES. Le laboratoire Columbus, l'un des modules de la station spatiale internationale. étoilée en triomphe flottera. Sur le pays de la liberté au pays des braves ! » Je ne suis pas là pour ça… Pourquoi suis-je là d’ailleurs ? Là, devant mon petit déjeuner – café tiède et raisins lyophilisés – je me pose justement la question. Ici, la journée ne dure pas vingt-quatre heures, mais… quatre-vingt-dix mi- L’ISS, UNE MAISON DANS L’ESPACE Lancée en 1998, avec la mise en orbite du module russe Zarya, la construction de la station spatiale internationale (ISS) s’est achevée en 2011. Même si d’autres éléments – le laboratoire Nauka, par exemple – doivent encore compléter ce complexe orbital qui a atteint la taille d’un terrain de football et a déjà vu passer à son bord 212 personnes. Avec une masse de 420 tonnes, il se situe en moyenne à 415 kilomètres d’altitude et navigue à 28 000 km/h. L’ISS demeure surtout l’unique destination possible pour les 120 astronautes, cosmonautes et spationautes en activité à travers le monde. Sa durée de vie a donc été prolongée jusqu’en 2024, voire 2028. Critiquée pour son coût (150 milliards de dollars) et pour ses retombées scientifiques insuffisantes, la station reste exemplaire en matière de coopération entre les quinze pays partenaires du projet - États-Unis, Russie, Canada, Japon, et les membres de l’Agence spatiale européenne dont la France. Au point d’être citée comme potentiel récipiendaire du Prix Nobel de la Paix ! www.lexpress.fr / juin - juillet 2014 nutes puisque, dans la même période, je fais quinze fois le tour de la Planète bleue ! Lorsque j’aurai effectué une toilette succincte, je pourrai changer de vêtements pour… la première fois depuis trois jours. Après avoir inspecté la station en long (100 mètres) et en large (74 mètres), je vais enchaîner par une réunion dite de planification avec le sol. L’échange, souvent factuel, se termine toujours par un long silence : une fois la conversation terminée, je me trouve plongé dans un abîme de solitude… Je compense par une séance de sport, au cours de laquelle je m’éclate sur le tapis roulant, le corps arrimé à la machine, en écoutant de la musique. Avoir un minimum de condition physique est un impératif pour tenir en orbite. On perd rapidement de la masse musculaire et on souffre d’ostéoporose, d’où la nécessité aussi d’ingurgiter de grandes quantités de calcium. Il faut que je sois en forme pour débuter mon travail quotidien à l’intérêt limité. Je passe l’essentiel de mon temps à faire de la maintenance. Je finis par penser que j’ai été embauché avant tout pour mes qualités de bricoleur ou d’homme de ménage… ESA/ILL./DUCROS DAVID 2007 arrimé à une paroi. Debout. Comme un coq, mais pas en pâte. C’est le meilleur compromis que j’ai trouvé pour enchaîner cinq heures de sommeil. Alors, j’estime que j’ai le droit, parfois, de me lever (façon de parler) grincheux ! Surtout là, parce que je viens de faire une insomnie et que ce petit morveux me réveille au son des trompettes du « Star Spangled Banner », l’hymne national américain. Et Dieu sait qu’ici, on bricole. La plu- l’ISS a failli heurter un débris spapart des modules ont plus de dix ans tial. D’habitude, les types du centre d’âge et il faut méticuleusement les de commandement les repèrent à entretenir pour éviter les pannes l’avance et opèrent une manœuvre comme celle survenue en mars 2013, d’évitement en rehaussant l’orbite causée par une fuite d’ammoniac sur du vaisseau. Là, ils n’ont rien vu et une pompe. Là, au moins, j’ai fait un dix minutes avant un probable imtruc chouette : une sortie dans l’es- pact, ils m’ont demandé de prendre pace, dite « extra-véhiculaire », en sca- place dans le module de secours pour phandre. D’après les informations évacuer au cas où. Heureusement, le données par l’agence spatiale amé- satané déchet, un moteur de fusée je ricaine (Nasa), c’était la 168e sortie crois, est passé à… 250 mètres de la et j’éprouve une station. J’ai eu la petite fierté à avoir trouille de ma vie ! « Ici, la journée été jusqu’au bout ! Reste que mon Parfois, d’autres dure quatre-vingt-dix quotidien est rareimprévus sont plus ment aussi animé. minutes » inquiétants : l’auEn général, après tre jour, il y a eu une panne généra- les travaux de maintenance, j’essaie lisée des ordinateurs et, pendant de passer à table, un moment clef pour quelques heures, les ingénieurs au sol le moral, mais qui se réduit bien souont hésité à me faire rentrer en ur- vent, à l’aide d’une cuillère, à lutter gence. Mais là où j’ai eu le plus peur, contre l’apesanteur afin d’extraire c’était en décembre 2012, lorsque d’un sachet des aliments surgelés ou REPAS. Un moment-clé dans le morne quotidien des équipages. NASA 2006 76 / thermo-stabilisés. Et il faut faire attention parce que chaque morceau peut s’échapper et finir collé contre une paroi. C’est simple, ici il faut tout attacher… La plus grande invention de l’homme depuis le début de la conquête spatiale s’appelle le Velcro ! Là, à vous parler nourriture, j’ai les crocs. Je rêve d’un steak-frites Aéropôle Gap -Tallard et plateformes aériennes 05 L’espace de développement dédié à l’aérien léger et aux services aéronautiques H Des entreprises hautement qualifiées autes-Alpes : l’espace d’accueil idéal pour développer vos activités de conception, de production ou de services dans l’aérien léger. L’aéropôle Gap-Tallard en constitue le chef de file de renommée internationale pour l’excellence des entreprises installées, la diversité des activités pratiquées et la qualité aérologique exceptionnelle du site. Crédit photo : Bart’Air Les infrastructures adaptées à votre implantation et à votre développement 300 jours de soleil, 330 jours de vol par an : une aérologie exceptionnelle Avec 4 plateformes aériennes dont 3 publiques offrant des emplacements avec accès aux pistes, vous disposez de possibilités idéales pour vous installer et développer votre activité. Situé à moins d’un kilomètre de l’autoroute A51, GapTallard est à 1h30 d’Aix-Marseille par la route et moins d’une heure de vol de l’ensemble des grandes places économiques euro-méditerranéennes. La fibre optique est en cours de déploiement sur l’ensemble du département. Avec 4 entreprises disposant d’ateliers PART 145 pour la maintenance des aéronefs à voilure fixe et tournante, l’aéropôle Gap-Tallard s’affirme comme un emplacement d’exception pour le développement des services aéronautiques et de travail aérien, la construction d’aéronefs et de composants, les activités sportives et de loisirs (photo aérienne, baptêmes, écoles de pilotage et de chute libre, activités sportives aériennes). Les Hautes-Alpes jouissent de conditions climatiques idéales : l’ensoleillement provençal sans le mistral. L’espace aérien, situé hors des zones d’approche des aéroports commerciaux, est particulièrement dégagé et propice à tous types d’activité aérienne, légère et sportive. Ainsi, Gap-Tallard, seconde plateforme de parachutisme en Europe, abrite également hélicoptères, avions, ULM, gyroptères, montgolfières, planeurs, motoplaneurs, paramoteurs. Personnel compétent, appui aux entrepreneurs Avec le centre d’apprentissage Idem 05 et Polyaéro, un établissement d’Aix-Marseille Université installé sur l’aéropôle Gap-Tallard, les jeunes sont formés localement à la mécanique et la maintenance aérienne, du niveau CAP jusqu’à Bac+3 (licence pro). Les Hautes-Alpes sont également partenaires du pôle de compétitivité aéronautique Pégase et des incubateurs d’entreprises PACA. Le développement de la filière aérienne est une priorité du département qui y apporte tout son concours. Hautes-Alpes Développement +33 (0) 492 565 222 — [email protected] —www.had.fr EXEMPLAIRE. Quinze pays ont coopéré à la réalisation de la station spatiale internationale, plus grande structure jamais assemblée dans l'espace. comme sur Terre. D’ailleurs les traditions culinaires, là-haut, restent un des rares marqueurs nationaux. Un exemple : mes collègues américains mangent en bossant et avalent soda sur soda alors que nous, les Russes, comme les Européens, nous aimons bien sacraliser l’heure du repas, autour d’une table, même pour mal bouffer. On prend ce temps. On discute un peu. Oublié dans l’espace ! Ah oui, j’ai omis de le dire : j’ai cinq compagnons d’infortune. Mais cela devient dur de se causer en ce moment, après six mois à se côtoyer et à se morfondre. Certes, je suis loin du record absolu détenu par mon ami Sergueï Poliakov qui, sur la station Mir, entre janvier 1994 et mars 1995, a passé plus de 437 jours dans l’espace ! Mais tout de même, le temps, en absence de pesanteur, ça tape sur le système. C’est simple, parfois je ne peux plus supporter mes collègues de bord. Il faut dire que notre mission prime sur tout le reste. L’exigence de mener à bien chacune de nos tâches, dans les temps, avec une www.lexpress.fr / juin - juillet 2014 maniaquerie qui confine à l’aveuglement, tourne à l’obsession. En réalité, ce qui nous pèse dans notre infinie solitude, c’est la promiscuité. Ici, c’est vraiment dur de s’isoler. Moi j’y arrive parfois : je vais m’enfermer dans la coupole, le poste d’observation qui offre une vue panoramique sur l’extérieur, avec mon baladeur sur les oreilles. Et je me dis que je m’en grillerais bien une. Bon, là je fais une petite crise de calcaire, parce que l’on est samedi et que le programme est un brin moins soutenu. D’habitude, le sol fait tout pour entretenir notre moral en minutant scrupuleusement nos journées. Après le déjeuner, on travaille un peu sur les expériences scientifiques. Mais là encore, sans grande passion. J’ai plus le sentiment d’être un technicien de laboratoire que le docteur en médecine dont je possède pourtant les diplômes. Autre confidence : pas une seule expérience ne m’a fait vibrer depuis que je suis làhaut. La dimension scientifique de la station spatiale, franchement, le jour où l’on en fera le bilan, je crois que ça ne va pas impressionner ! Il Vu d’ici, une sphère quasi parfaite Moi, je n’ai pas ce genre de souci.Au moins, je ne gagne pas trop mal ma vie – loin de mes prédécesseurs, sur l’antique station Mir, qui empochaient 75 euros par jour –, ma femme et mon fils vont bien. Mes rares contacts avec eux se déroulent en compagnie de dizaines d’ingénieurs – quand on opte pour la combinaison de cosmonaute, mieux vaut ne pas être câlin ! Heureusement, le soir venu, une fois notre journée terminée, après 21 heures, il y a un truc dont je ne me lasserai jamais : regarder notre belle Terre depuis le vide sidéral. Je vous imagine dormir la nuit, lorsque vos villes brillent de mille lumières et scintillent comme des diamants… Vu d’ici, il n’y a pas de frontière, juste une sphère quasiparfaite. La contempler, la sentir respirer, observer sa couche de nuages ainsi que l’immensité bleue des océans : quel luxe, quelle sensation ! À cet instant précis, où on ne se sent plus tout à fait terrien, mais bien loin de l’être divin, croyez-le : on prend conscience de l’infinie fragilité de notre planète. RENCONTRE AVEC THOMAS PESQUET « S’éloigner de la banlieue terrestre » Pilote chez Air France, Thomas Pesquet, 36 ans, sera le dixième Français à s’envoler vers le firmament. Sélectionné par l’Agence spatiale internationale, il devrait partir, fin novembre 2016, pour un séjour de longue durée à bord de la station spatiale internationale. Propos recueillis par Bruno D. Cot Depuis l’annonce de votre mission, le 18 mars dernier, comment vous entraînez-vous ? J’ai vécu une accélération dans ma préparation. Après un déplacement au centre de Tsukuba, au nord de Tokyo, pour me familiariser avec les éléments japonais de la station spatiale, j’ai enchaîné par le centre opérationnel de Houston (États-Unis), puis par le Canada, afin de recevoir une formation en robotique.À force de passer d’un continent à l’autre, j’aurai bientôt plus d’heures de vol en avion comme passager que comme pilote ! Auparavant, je suivais un entraînement « généraliste ». Par exemple, pour apprivoiser la façon de se mouvoir avec un scaphandre. Désormais, chaque jour qui passe avant le lancement me fait entrer dans le concret. J’y trouve une motivation supplémentaire : dès que je touche à un appareil, je sais maintenant dans quel but et je sais que je n’ai pas intérêt à me louper. Il faudra tout maîtriser pour le jour J. Connaissez-vous déjà l’objet de votre mission ? Pas totalement. Il sera arrêté définitivement six mois avant le décol- lage. Ce que je peux vous dire, c’est que, fin 2016, la station spatiale internationale connaîtra une importante activité de maintenance puisque plusieurs modules auront alors près de dix-huit ans d’âge ! La station, c’est une sorte de maison construite pièce par pièce. Certaines sont ultra-modernes, d’autres ont un style plus « Louis XV » (Rires) ! Il faudra s’adapter. Mais c’est un vaisseau parfaitement entretenu. Un grand nombre de batteries externes seront probablement à changer, ce qui me laisse l’espoir de réaliser une ou plusieurs sorties dans l’espace. Rien que d’y penser, j’en frissonne déjà. Pour un astronaute, une sortie extra-véhiculaire, c’est un peu le stade ultime du job. Imaginez, se retrouver dans le vide sidéral avec pour seule protection, son scaphandre. Quelle sensation de liberté et d’effroi en même temps ! Vous allez effectuer un long séjour. En quoi cela change-t-il l’entraînement ? Il y a tout un travail psychologique à effectuer. En 2009, lorsque j’ai été sélectionné dans le corps des astronautes européens, le mental indivi- KOLKO, 2011 faut dire la vérité : l’ISS sert avant tout à maintenir une poignée d’individus dans l’espace pour entretenir cette flamme que l’humanité peut avoir en l’homme. Rien de plus. Et encore, quand l’humanité ne les oublie pas ! En ce moment, il n’y a plus d’argent pour nous et il faut se serrer la ceinture. Lorsque j’en parle avec mon collègue Youri, dit le « poilu », il aime bien rappeler cette anecdote : au début des années 1990, l’un de nos frères a tout simplement été « oublié » dans l’espace. Si, si, je vous assure ! Il s’appelait Sergueï Krikalev. Le pauvre, il est monté dans la station en mai 1991… pour redescendre en mars 1992. Dans l’intervalle, il y a eu le putsch qui a vu Eltsine remplacer Gorbatchev. Le mec est parti là-haut en tant que soviétique et il est redescendu russe ! Vous imaginez comme il a dû s’inquiéter pendant son long séjour… ÉVÉNEMENT CNES/PIERRE LES NOUVELLES FRONTIÈRES NASA/2010 78 / duel a déjà beaucoup joué. Là, en plus, on nous apprend à toujours fonctionner en équipe. Le vivre ensemble est capital. Ensuite, il y a le physique : dans l’espace, on perd 10 % de sa masse musculaire, alors on essaie d’en gagner un maximum avant de partir, en travaillant sur les zones qui seront les moins sollicitées en l’absence de pesanteur, comme le dos. Donc, j’enchaîne les séances d’haltères. Mais je pense que les séjours de longue durée sont moins difficiles aujourd’hui, qu’il y a vingt ans, notamment grâce à Internet qui nous permet de rester en contact constant avec nos proches. Étant donné votre jeune âge, vous pouvez espérer voler à nouveau. Quelles peuvent être les perspectives ? La plus proche serait un retour à bord de l’ISS puisque la station devrait rester en service jusqu’en 2024, voire 2028. Après, évidemment, il y a l’éventualité d’une mission de la Nasa en direction d’un astéroïde. Avec en ligne de mire un voyage vers Mars. J’ignore si j’aurai l’opportunité d’en faire partie. Mais je sais qu’il y a un saut technologique à réussir avant de l’entreprendre. Personnellement, je rêve d’une mission sur la planète rouge aussi internationale que le projet ISS.Toutes les grandes nations spatiales, y compris la Chine, se mettraient ensemble pour ce grand dessein. L’avenir pour les vols habités, c’est bien de s’éloigner de la banlieue terrestre. juin - juillet 2014 / www.lexpress.fr L’EXPRESS / 81 Un réservoir d’emplois BEAU FIXE SUR LES EMBAUCHES Après trois années exceptionnelles, les industries aéronautiques et spatiales recruteront moins en 2014. Un trou d’air sans conséquence car, dans les vingt ans à venir, quelque 30 000 appareils devront être construits. Une solide garantie pour les futurs salariés. COMMANDES. Pour faire face à la hausse significative des cadences de production, les industriels ont besoin d'une main-d'œuvre qualifiée. AIRBUS SAS 2011/P. PIGEYRE Par Jean-Claude Pennec C ’est une certitude. Pendant les vingt prochaines années, le trafic aérien mondial augmentera, en moyenne, de 4,7 % par an. Pour y faire face, estime Airbus, les compagnies aériennes, toutes confondues, devront acheter un total de 29 220 appareils, passagers et fret. Des commandes qui, malgré l’arrivée sur la scène aéronautique de nouveaux avionneurs, tels Embraer, Bombardier, Sukhoi ou encore le Chinois Comac (Commercial Aircraft Corp of China), constructeur du futur moyen-courrier C919, se porteront pour l’essentiel vers les deux grands avionneurs Boeing et Airbus. Et cela alors que les carnets de commandes des deux rivaux sont déjà bien remplis. En juin 2013, au Salon du Bourget, Airbus est reparti avec 466 com- juin - juillet 2014 / www.lexpress.fr 82 / UN RÉSERVOIR D’EMPLOIS mandes d’appareils et intentions indirects. Des chiffres à majorer car d’achats pour finir l’année avec 1 600 ils ne concernent que les entreprises commandes. Au Salon de Dubaï, en adhérant au Gifas (Groupement des novembre, c’est au tour de Boeing industries françaises aéronautiques de se tailler la part du lion avec des et spatiales), la structure fédératrice commandes et engagements d’achat de la filière aéronautique en France. représentant 342 Selon Claude Bresappareils hors opson, son directeur 20 000 postes tions. Conséquences des Affaires sociales, créés en trois ans l’ensemble de la fiimmédiates : Boeing comme Airbus ont lière représente en récemment annoncé des accéléra- réalité plus de 300 000 emplois en tions de cadences de production dans France, en incluant les sous-traitants leurs usines. Le secteur aéronautique non adhérents au Gifas.Au cours des et spatial(1) a donc, devant lui, des trois dernières années, ces entreprises années de développement et de pro- ont créé 20 000 postes et recruté duction assurées. Que ce soit au ni- 41 000 salariés dont 23 % étaient de veau mondial, européen, voire hexa- jeunes diplômés. Rien qu’en 2013, gonal. De quoi garantir l’emploi des estime le Gifas, le secteur a réalisé quelque 177 000 salariés employés 15 000 embauches, dont 52 % d’inpar les 165 entreprises et 266 sites in- génieurs, 25 % de compagnons et dustriels recensés en France (don- 23 % de techniciens. nées 2013), et des 140 000 emplois Premières régions à bénéficier de OÙ SONT LES FEMMES ? En France, l’industrie, hors les métiers d’ingénieurs, a du mal à faire rêver. Différents sondages et enquêtes confirment, par exemple, qu’un lycéen sur deux au moins, n’en a pas une bonne image. Seuls l’aéronautique et le spatial, porteurs d’innovation et de succès, parviennent à échapper à cette mauvaise aura. Surtout pour les grands groupes, tels Airbus ou Safran. En revanche, les PME ont davantage de difficultés à convaincre. « Une PME de Toulouse sera toujours mieux lotie que celles, nombreuses, implantées à la campagne. Aujourd’hui, ce type d’entreprise ne rentre plus dans les schémas et ne séduit pas les jeunes ingénieurs », souligne Philippe Dujaric, directeur adjoint des affaires sociales du Gifas. Si l’industrie peine à attirer les jeunes diplômés en général, elle a d’autant plus de difficultés avec la gent féminine. Largement sous-représentées, les femmes ne constituent que 21 % des effectifs du secteur, pour 79 % d’hommes ! Une part qui varie selon les catégories professionnelles : elles sont 14 % chez les ouvriers, 17 % chez les techniciens, 21% chez les ingénieurs et cadres mais 62 % chez les employés qui représentent 6 % des effectifs globaux… Là encore, la situation est légèrement différente dans l’aéronautique. Dans ce secteur, les femmes sont à 26 % ingénieurs et cadres, à 21 % techniciennes supérieures, à 16 % ouvrières qualifiées. 45 % occupent « d’autres métiers », comme les employées. Et la situation évolue lentement si l’on en juge par les chiffres dans l’enseignement supérieur. L’an dernier, les jeunes filles ont représenté 28,1 % des effectifs des élèves ingénieurs, guère plus qu’en 2007-2008 où elles étaient 26,8 %. J.-C. P. www.lexpress.fr / juin - juillet 2014 cette situation exceptionnelle, l’Ilede-France et Midi-Pyrénées qui concentrent à elles seules 56% de ces emplois. 2014, « année de respiration » Paradoxalement, la tendance est au ralentissement des recrutements,Airbus ayant donné le ton en annonçant des embauches moindres que les années précédentes. La raison ? La fin d’une période d’euphorie au cours de laquelle la hausse de la production a coïncidé avec la mise en chantier de nouveaux programmes d’avions, lesquels ont demandé un effort d’ingénierie d’études et de conception sans précédent. En Europe, il s’agissait du très gros porteur d’Airbus, de l’A380, du long-courrier A350, de l’A400M et la refonte importante du best-seller, l’A320 et sa « petite » famille (A318, 319, 320 et 321). « En cinq ans, explique un porte-parole du groupe, nous avons engagé 16 500 salariés et nous arrivons aujourd’hui au terme de ce plan. » « Il a fallu recruter d’importants bataillons, note Philippe Dujaric, directeur adjoint des Affaires sociales et de la formation du Gifas. Sur tous les compartiments, il y avait du développement. Ce fut un peu nos trois glorieuses. » 2014 sera davantage « une année de respiration ». Avec un déplacement des recrutements vers les métiers de la production, en plein boom. « Maintenant que les commandes sont signées, nous devons construire les avions », souligne un équipementier. D’où des besoins accrus en techniciens et en compagnons de toutes spécialités pour produire sur fond d’accélération des cadences de plusieurs lignes d’appareils, chez Airbus comme chez Boeing. Pour 2015, en revanche, la prudence est de mise. « Pour l’instant, personne ne sait ce qui va se passer », estime Claude Bresson. Un possible « retour à la normale » dont beaucoup d’autres industries se contenteraient aujourd’hui. (1)L’aéronautique représente 92 % du secteur (162 000 emplois) et le spatial 8 % (15 000 emplois). 84 / UN RÉSERVOIR D’EMPLOIS L’EXPRESS / 85 Mille métiers porteurs sous les ailes QUATRE VOIES POUR SE METTRE EN PISTE Opter pour l’intérim et le CDD La progression de l’intérim dans l’aéronautique depuis cinq ans est frappante. De 6 000 salariés en 2009, leur nombre a grimpé de 7 000 en 2010, à 9 000 en 2011 pour atteindre 11 000 en 2012 et 2013. Manpower, très actif sur le sujet, notait il y a peu une vraie reprise dans l’aéronautique où la demande est très forte. Depuis mars 2014, un nouveau contrat en CDI peut être proposé à un intérimaire. Plusieurs sociétés de recrutement sont spécialisées dans l’aéronautique (telle Alyade Conseil). Conception, construction, exploitation, maintenance, et désormais déconstruction, lorsque l’avion arrive en fin de vie. Le secteur offre de multiples opportunités. Prendre des « positions d’attente » Par Jean-Claude Pennec A RÉPARTITION DES EFFECTIFS L’aéronautique représente 91 % des effectifs du secteur, le spatial 9 %. La production et la maintenance occupent 51 % des effectifs du secteur. La gestion, le marketing et les fonctions support 26 %. La recherche et développement 23 %. Les avionneurs emploient 43 % des effectifs, les équipementiers 43 % et les motoristes 14 %. www.lexpress.fr / juin - juillet 2014 BESOINS. Ils se réorientent vers la production, les fonctions support et la maintenance. PME, étaient susceptibles d’embaucher des ingénieurs, des cadres, des techniciens et des compagnons. L’année en cours ne devrait, somme toute, pas être très éloignée de ces chiffres, une fois intégrée la réduction d’embauches prévue. En revanche, les métiers en plein boom aujourd’hui et les profils dont l’industrie aura besoin au cours des prochaines années changent. Pour mémoire, en 2013, les 15 000 recrutements concernaient pour 52 % des ingénieurs et cadres, pour 25 % des compagnons et pour 23 % des techniciens. Les usines supplantent les bureaux d'études Les principaux recruteurs sont Airbus, Dassault Aviation, Aerolia et Figeac Aero. Les ingénieurs représentent encore la majorité des embauches. Mais autant de secteurs, autant de profils différents.Ainsi, à l’Énac (École nationale de l’aviation civile), les élèves ingénieurs, après l’année de tronc commun, ont le choix entre cinq spé- PATRICK DELAPIERRE/AF vion serait-il désormais synonyme d'emploi ? Depuis bientôt quatre ans, la filière embauche avec générosité : 13 000 recrutements en 2011, 15 000 en 2012 et autant en 2013. Plus mesurées, les perspectives pour 2014 tournent aux alentours de 10 000 recrutements, selon le Gifas, Groupement des industriels français de l'aéronautique et de l'espace. Sans surprise, la moitié des embauches seront réalisées par les mastodontes du secteur. Ainsi, en 2014, Safran prévoit de recruter 2 500 personnes, Airbus 1 500 globalement (dont un millier en externe), Thales 1 000 et Zodiac Aerospace, 500. Ce qui veut dire que 4 500 emplois seront le fait des sous-traitants et du tissu de PME et d’ETI (Entreprises de taille intermédiaire) qui prospèrent à l’ombre des donneurs d’ordre. Des entreprises très dynamiques qui offrent de belles perspectives de carrière avec un degré d’autonomie appréciable. En 2013, le Gifas estimait que 165 entreprises du secteur, dont 82 cialités : avionique, opérations aériennes, aéroport, contrôle aérien, outils de communication. Les besoins se réorientant vers la production, les fonctions support et la maintenance, au détriment de la conception, il est conseillé de privilégier les filières ingénieur de production, systèmes embarqués, matériaux, voire dans les drones, secteur émergent promis à un bel avenir. Autre discipline très porteuse : la chimie des matériaux. Chez Airbus Group, la fin des grands programmes et la récente réorganisation ont entraîné des suppressions de postes et les embauches portent, cette année, essentiellement sur des postes de production. Selon l’avionneur, ils représenteront 80 % des recrutements. « Nous allons nous consacrer à l’innovation de nos programmes existants. » Au vu des centaines d’avions commandés, les métiers liés à la production des appareils ont de l’avenir. Ajusteurmonteur aéronautique, chaudronnier, conducteur de En attendant de décrocher le job de ses rêves, et sachant que les grands groupes privilégient les candidats opérationnels, le jeune diplômé peut opter pour des postes d’attente lui permettant de conforter son profil. Les sociétés d’ingénierie (partenaires privilégiés des maîtres-d'œuvre Altran, Akka Technologies) et les sous-traitants n’hésitent pas à proposer des postes aux non expérimentés. « Les jeunes l’ont instinctivement perçu, explique Claude Bresson. Quand on vient d’obtenir son diplôme, il est très difficile de décrocher un CDI dans les grands groupes. En attendant, ils doivent trouver des formations leur permettant de parfaire leur apprentissage, des stages à l’étranger ou des contrats même précaires ». Viser les PME, même « décentralisées » Les PME, y compris celles de l’aéronautique, ont parfois du mal à attirer de jeunes diplômés. Plus encore si elles sont implantées hors des villes. Conséquence, ces sociétés offrent des opportunités professionnelles inattendues, notamment celles qui œuvrent dans des domaines précis (câblages, ressorts, visserie, rivets). Et qui, raison de la spécificité de leurs fabrications, sont prêtes à parachever la formation du jeune diplômé. Penser aux filiales Pas de recrutement programmé dans la maison-mère ? Postulez dans l’une des filiales du groupe, même si elle est implantée à l’étranger. De telles expériences se révèlent très payantes au bout du compte. juin - juillet 2014 / www.lexpress.fr UN RÉSERVOIR D’EMPLOIS Les services qualité et après-vente en pointe Promis à un bel avenir également, les métiers liés à la qualité. En effet, l’aéronautique a besoin de vérifier en permanence, à toutes les étapes de la fabrication ou de la vie de l’avion, la fiabilité des pièces. Conformité aux normes définies par les avionneurs ou les autorités de certification, traçabilité de la pièce depuis son lieu de production jusqu’à son montage final, les métiers assurant ces fonctions sont cruciaux. Composants essentiels des avions, des hélicoptères et des fusées, les moteurs font appel à une palette très diverse de spécialités. De leur conception jusqu’à leur fabrication, qui passe par LES SALAIRES Ingénieurs et cadres débutants : de 33 000 à 46 000 euros annuels. - Moyenne relevée par le Gifas (2011) : 35 500 euros; - Ingénieur Insa : 33 500 euros. - Ingénieur Ensam (Arts et Métiers) : 38 000 euros; - Ingénieur Enac : 39 000 euros; - Ingénieur Isae : entre 40 000 et 46 000 euros; - Ingénieur chez Safran : entre 40 000 et 46 000 euros annuels (selon formation). Licences Pro débutant : 26 500 euros annuels. BTS–DUT débutant : 24 600 euros annuels. Bac débutant : 22 800 euros annuels. CAP-BEP : 21 200 euros annuels. Salariés confirmés (quinze ans d’ancienneté) : 46 900 euros en moyenne. - Ouvriers : 31 000 euros; - Techniciens : 40 100 euros; - Ingénieurs et cadres : 62 070 euros. www.lexpress.fr / juin - juillet 2014 MIXITÉ. Les femmes sont encore trop rares. un apprentissage directement sur les lignes d’assemblage et les ateliers, de nombreuses sociétés périphériques sont impliquées. De plus, l’activité ne se limite pas à la fabrication et à la livraison des moteurs neufs : tout au long de sa vie, le moteur d’avion ou d’hélicoptère est contrôlé et entretenu par le « support en service » qui intervient auprès des compagnies aériennes. La France dispose d’un véritable savoir-faire en la matière. Les principaux employeurs sont Snecma, Turbomeca, Hispano-Suiza, Aircelle, Herakles, Microturbo ou encore SMA. Composite, logistique et piste, un trio d’avenir Il y a trente ans, un avion ne comportait pratiquement pas de matériaux composites. Aujourd’hui, ils entrent à 50 % dans la fabrication d’un Boeing 787 et d’un Airbus A350 et il en sera de même pour tous les avions à venir. C’est pourquoi les métiers impliquant les composites recrutent. Comme ceux concernant le développement de logiciels, omniprésents dans l’aéronautique et le spatial : de la conception de l’avion, du moteur, de la fusée ou du satellite jusqu’à la gestion du vol, des équipements de bord côté cockpit comme côté cabine (pilotage, équipements de bord, divertissement des passagers). Les métiers se répartissent entre les grands groupes (Dassault Systèmes,Thales) et les SSII (Sociétés de services en ingénierie informatique) de type Sagem ou Infodream. Moins connus, les métiers de la logistique sont essentiels en aéronautique. Un avion étant composé de milliers de pièces (câbles, ressorts, vis, écrous, rivets, joints…) dont il faut vérifier la conformité et la traçabilité, les logisticiens sont donc présents à tous les niveaux, chez VIRGINIE VALDOIS/AF ligne informatisée, opérateur usinage à commande numérique, soudeur, technicien aérostructures, électronicien, technicien d’usinage, technicien des méthodes d’industrialisation… sont très demandés et les avionneurs confirment une pénurie de bac +2, bac +3.Airbus, par exemple, va avoir besoin de profils capables d’intervenir sur toutes les parties de l’avion, les aérostructures, les systèmes, l’avionique, les composites, mais aussi la logistique et la qualité. Des ouvriers et des techniciens supérieurs en mécanique et en électricité, des ajusteurs monteurs et des ajusteurs soudeurs, des installateurs systèmes, des peintres, des chaudronniers, et, de plus en plus, des techniciens composites. les avionneurs ou les équipementiers, pour anticiper les besoins de pièces, s’assurer des délais de livraison, évaluer les stocks et les priorités et enfin réceptionner et contrôler tout ce que l’entreprise reçoit. Autre débouché pour les techniciens de la logistique : la maintenance des avions (chez Air France Industries, Sabena Technics). Tous les avions subissent, à intervalles réguliers, des opérations de maintenance obligatoires et strictement contrôlées. Un marché en croissance de plus de 4 % par an, porté par le développement des flottes d’avions dans le monde. Air France Industries qui assure l’entretien des appareils d’Air France et de KLM, mais également ceux de plus de 150 compagnies dans le monde, compte 8 500 salariés dans l’Hexagone. Des profils nécessitant, outre une parfaite connaissance du fonctionnement d’un avion, de maîtriser l’environnement réglementaire international de la maintenance. Plus qu’ailleurs, la langue anglaise est incontournable (la documentation est presque exclusivement écrite en anglais). Au quotidien, un avion a besoin, pour redécoller, de l’aval du mécanicien de piste. Durant l’escale, il lui revient de traiter les problèmes éventuellement rencontrés par les pilotes sur le vol précédent et de contrôler différents points stratégiques. Ce métier, exigeant, nécessite d’intervenir 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, quelles que soient les conditions météo. Enfin, directement attachés à la vie des aéroports, les métiers du contrôle aérien, ceux liés aux passagers (personnels d’accueil, agents de sécurité) et à leurs bagages (transport et chargement dans l’avion), tout comme ceux concernant les services d’escale (nettoyage des avions, handling, catering) embauchent très régulièrement. DÉBOUCHÉS. L'expertise en matériaux composites est de plus en plus recherchée. D.R. 86 / UN RÉSERVOIR D’EMPLOIS Formation: des parcours de plus en plus diversifiés Les cursus spécialisés sont très nombreux. À charge, pour les étudiants de se construire un itinéraire le plus pertinent possible. Par Jean-Claude Pennec A fficher un cursus original, mêlant séjour à l’étranger, travaux inventifs et expériences inédites, peut faire la différence au moment du recrutement. En effet, aujourd’hui, les entreprises privilégient la variété des profils, gage de richesse culturelle et d’approches renouvelées. « La diversité dans les équipes permet de générer de l’innovation et de la performance », explique-ton chez Airbus. Depuis quelques années, en plus des grandes écoles, les lycées et les universités élaborent des cursus originaux. Le nombre d’élèves inscrits dans ces formations approche les 20 000. La référence en matière d’école d’ingénieur reste l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (Isae). Issue du regroupement, en 2007, de Supaero et de l’Ensica, sa force de frappe est impressionnante (préparation à 19 masters spécialisés, à 3 Masters of Science et à 5 Masters Recherche). Depuis 2011, l’Isae a été rejoint par l’Ensma de Poitiers, puis, en 2012 par l’Estaca (École supérieure des tech- niques aéronautiques et de la construction automobile) et l’École des officiers de l’armée de l’air de Salon-de-Provence.Toutes ces écoles recrutent, selon le niveau de l’étudiant, en 1re, 2e ou 3e année. Autre filière royale, l’École nationale de l’aviation civile (Enac) qui propose à la fois des formations d’ingénieurs, de contrôleur aérien, d’électronicien de la sécurité aérienne, de pilote de ligne, de technicien et de spécialiste de très haut niveau. Depuis la rentrée 2013, le diplôme est également accessible par le biais de l’apprentissage, ouvert aux DUT, BTS et licences professionnelles. Outre la voie royale des grandes écoles, il ne faut pas négliger les formations courtes. Parmi les onze BTS et les huit DUT proposés par près de quatre cents établissements (lycées TOUS LES CHEMINS MÈNENT À L’AÉRONAUTIQUE Prendre son envol grâce à la formation continue. nant spécifiquement l’industrie aéronautique. (www.afpa.fr) Pour celles et ceux désireux de se reconvertir ou d’élever leur niveau de compétences, plusieurs organismes proposent des formations. Le Cesi, école d’ingénieurs du Centre d’études supérieures industrielles, prépare au diplôme d’in- Le Cnam, Conservatoire nationale des Arts et Métiers, offre plus de 1 200 unités d’enseignement dans génieur, en formation continue, en deux ans pour les DUT et BTS justifiant d’au moins trois ans d’expérience industrielle. (www.cesi.fr) de nombreux domaines, du niveau bac au niveau ingénieur jusqu’au diplôme de troisième cycle. (www.cnam.fr) L’Afpa (Association pour la formation professionnelle des adultes) dispose de six formations concer- www.lexpress.fr / juin - juillet 2014 Les réseaux des Afpi (Associations de formation professionnelle de l’industrie) et des Itii (Instituts des techniques d’ingénieurs des industries) offrent également des parcours diplômants. (www.uimm.fr et www.itii.fr). L’EXPRESS / 89 Cap sur l’international Les profils de bourlingueurs sont appréciés et de nombreux débouchés existent à l'étranger. RÉFÉRENCE. L'Institut supérieur de l'aéronautique et de l'espace accueille 1 500 élèves et délivre des formations de très haut niveau. et CFA), le BTS Aéronautique (proposé dans 14 établissements) permet d’accéder, en deux ans, au poste de technicien aéronautique, puis d’évoluer vers des postes de responsable d’ingénierie, de technicien support client ou d’expert aéronautique. Et de candidater auprès des entreprises de maintenance, des compagnies aériennes, des constructeurs et des équipementiers,voire avec de l’expérience dans un service équipements, moteur ou exploitation ou un bureau d’études. D’autres diplômes bac+2 existent, comme le BTS Conception de produits industriels, ou celui de Conception et réalisation en chaudronnerie industrielle, de maintenance industrielle (le plus répandu) ou de systèmes électroniques. Airbus dispose de son propre lycée Parmi les formations courtes, les CAP et bacs pro permettent de devenir techniciens d’atelier ou compagnons, deux profils dont le secteur manque cruellement. Par la suite, les plus motivés peuvent poursuivre leurs études en effectuant un BTS ou en rejoignant un IUT. De son côté, Airbus dispose d’un établissement unique en son genre : le lycée Airbus. Créé en 1949, il permet à l’avionneur de former, dès la seconde, des jeunes, aux métiers de l’aéronautique, du bac pro au BTS, dont la plupart feront leur carrière dans le groupe. Implanté à Toulouse, il accueille 360 élèves et apprentis, filles et garçons. Enfin, à tous les niveaux, l’alternance a le vent en poupe. Elle s’applique de plus en plus en licence pro. AUDE LEMARCHAND 88 / L a mondialisation ? Une évidence pour les secteurs aéronautique et spatial. Sur les 61 000 salariés d’Airbus au 1er avril 2014, seuls 25 200 exercent dans l’Hexagone. L’avionneur s’enorgueillit d’ailleurs de compter jusqu’à 100 nationalités dans ses rangs. Il en est de même dans les autres divisions d’Airbus Group : Airbus Helicopters vient de lancer un nouveau site de production au Mexique, pour un coût de 100 millions de dollars. Safran, quant à lui, emploie 7 000 personnes sur 58 sites aux ÉtatsUnis où se concentre le quart de son activité totale. Même chose dans le spatial, secteur international par essence : de l’Agence spatiale européenne (ESA) à Arianespace en passant par les ANGLAIS EXIGÉ Europe, Asie ou Amérique latine, notices techniques, colloques ou entretiens de recrutement… Quels que soient la fonction et le lieu d’exercice, il est indispensable de dominer l’anglais. À cette fin, les formations universitaires imposent, d’entrée, un bon niveau d’anglais, souvent sanctionné par le TOEIC (Test of English for International Communication) ou le TOEFL (Test of English as a Foreign Language), notamment incontournables pour rejoindre une formation aux États-Unis. grands acteurs industriels, Airbus Defence & Space, Snecma… l’heure est plus que jamais à l’implantation de filiales ou de succursales dans tous les pays où le marché s’y prête. Un déploiement que les sous-traitants suivent attentivement, n’hésitant pas à emboîter le pas des donneurs d’ordre. Ainsi, Latécoère vient d’ouvrir au Mexique, Leuak au Portugal ou encore Figeac Aéro aux États-Unis. Même les PME suivent le mouvement en s’installant notamment au Maghreb (Maroc et Tunisie), considéré comme la base arrière de l’aéronautique française, ou encore en Europe de l’Est. La mobilité, une règle d'or Les opportunités professionnelles à l’étranger sont donc nombreuses et les entreprises apprécient particulièrement les profils ayant « voyagé ». Airbus a fait de la mobilité une règle sacro-sainte de sa gestion des ressources humaines, se fixant pour objectif de compter, dans chaque pays où il est présent, au moins 20 % de collaborateurs venus d’ailleurs. Pour autant, la fuite des jeunes cerveaux n’est pas à l’ordre du jour. « Dans l’aéronautique, explique Claude Bresson, directeur des Affaires sociales et de la formation du Gifas, nous n’avons pas le sentiment de voir partir nos jeunes diplômés. Nous sommes la deuxième industrie du monde et bénéficions d’une attractivité naturelle que d’autres n’exercent pas. » J.-C. P. juin - juillet 2014 / www.lexpress.fr 90 / ÉVÉNEMENT Pour que vive la passion Trait d’union entre le passé et le futur, le musée Aeroscopia ouvrira ses portes à Toulouse, en octobre. Par Maylis Jean-Préau Une épopée technologique et humaine En découvrant ce patrimoine volant, on comprend mieux comment cette ville est devenue un pôle mondial de www.lexpress.fr / juin - juillet 2014 MYTHE. Les appareils exposés devraient attirer 100 000 personnes par an. l’aéronautique. En un siècle, Toulouse a été le théâtre de bien des premières : en 1890, c’est l’envol de Clément Ader à bord de l’Éole, les débuts de l’aventure de l’aéropostale, le décollage de la Caravelle, en 1955, celui du Concorde, en 1969 et enfin, en juin 2013, le premier vol d’essai de l’A350. De même, en 1917, c’est à l’industriel Pierre-Georges Latécoère, replié à Toulouse, que l’armée française commande l’avion de reconnaissance Salmson. « La France voulait que cette industrie soit située le plus loin possible de l’ennemi de l’époque ! Cent ans plus tard, l’Allemand Tom Enders installe le siège d’Airbus à Blagnac », remarque Bernard Keller, maire de Blagnac et ardent défenseur du projet. C’est ce lien particulier qui unit l’aéronautique et Midi-Pyrénées qu’Aeroscopia souhaite raconter. Le récit d’une épopée technologique et hu- maine doublée d’une découverte des plus beaux modèles d’avions du siècle dernier. Le visiteur est ainsi invité à pénétrer de plain-pied à l’intérieur des gros porteurs, découvrant les composants de l’A300, entièrement décortiqué et vitré. Le musée est aussi une formidable vitrine pour les sous-traitants régionaux. « Un îlot est consacré aux innovations et un autre aux métiers de l’aviation, afin de promouvoir la filière auprès des jeunes », explique Philippe Nau, le président de Manatour. Le groupe gère Aeroscopia, mais aussi l’accès au public de la chaîne d’assemblage d’Airbus toute proche, qui accueille déjà 130 000 visiteurs par an. Une offre de visite couplée des deux sites sera proposée, comme un lien entre les innovations d’hier et de demain. Renseignements : www.aeroscopia-blagnac.fr DAVID BECUS S ous un ciel d’acier, le Concorde tient tête à l’A300B et au Super Guppy. Dernier refuge pour une cinquantaine de trésors de l’aviation,Aeroscopia a mis plus de trente ans pour prendre son envol. « Toulouse est la capitale européenne de l’aéronautique et pourtant nous n’avons plus beaucoup de témoignages des débuts de l’aviation. Aucun avion de l’aéropostale n’a été conservé », se désole Jean-François Bruno-Rosso, président d’Ailes anciennes Toulouse, une association, créée en 1980, pour préserver ce patrimoine. Car les géants du ciel n’ont pas toujours été considérés comme un patrimoine à sauvegarder. Oubliés, parqués dans le désert, démantelés, certains ont même servi de cible de tir d’entraînement pour l’armée. En trois décennies, les Ailes anciennes ont rassemblé, à Blagnac, une centaine d’aéronefs du monde entier. Ils prennent enfin le chemin d’Aeroscopia pour être dévoilés au plus grand nombre.