Homélie Jeudi Saint Père Eric de Clermont-Tonnerre
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Homélie Jeudi Saint Père Eric de Clermont-Tonnerre
Homélie pour le Jeudi Saint 2015 Jn 13 Voici la nuit, la nuit même où il fut livré, la nuit du dernier repas, de l’agonie à Gethsémani, de la trahison, de l’arrestation, du reniement de Pierre, juste avant le chant du coq, avant l’aube. « Maintenant, mon âme est troublée. Et que dire ? Dirai-je : ‘Père sauve-moi de cette heure’ ? Mais non ! C’est pour cela que je suis parvenu à cette heure ! » (Jn 12). Tout à l’heure dans la prière eucharistique nous dirons : « la nuit même où il fut livré, c’est-à-dire aujourd’hui ». Cet « aujourd’hui » que nous allons rajouter à la formule habituelle nous indique qu’en régime judéo-chrétien, célébrer, faire mémoire, c’est toujours rendre présent, c’est-à-dire à la fois se rendre contemporain de Jésus et de l’Évangile, parmi les disciples, dans la foule… et invoquer l’Esprit Saint pour que le Christ se fasse présent dans notre histoire, dans nos relations, dans nos gestes, dans notre aujourd’hui personnel et communautaire. Cette nuit-là est donc tout d’abord la nuit de l’homme, la nuit de l’homme libre, Jésus, qui librement se dessaisit de sa vie, qui librement donne sa vie, (son corps et son sang) pour les hommes libres que nous sommes invités à devenir à la suite du Christ. Cette nuit-là est la nuit de tous ceux qui choisissent de se rendre solidaires les uns des autres, de faire corps, un seul corps, à la fois corps du Christ, corps eucharistique, corps ecclésial, un seul corps comme l’Époux (le Christ) et l’épouse, (l’Église(. C’est l’alliance nouvelle entre Dieu et l’homme, entre la divinité et l’humanité, entre l’esprit et la chair (le corps). Jésus ne leur a pas dit, et ne nous dit pas : « ceci est ma pensée, ce sont mes idées ». Il leur a dit et il nous dit : « ceci est mon corps, ceci est mon sang », ma vie concrète charnelle et divine, que j’ai donnée et que je vous donne pour que votre vie devienne pleinement charnelle et divine dans une harmonie entre la chair et l’esprit à la fois impossible et indispensable. Aussi sommes-nous invités à notre tour, à nous donner et à nous aimer non pas d’un geste lointain de la main, non pas du bout des lèvres ou du bout des doigts, mais de tout notre être, corps et esprit, de toutes nos forces. Mais faire corps avec les autres, nous ne le voulons pas ; faire corps avec les pécheurs, faire corps avec ceux qui nous menacent, qui nous trahissent, qui nous renient, ça non ! Quand même pas ! Faire corps avec les pauvres, des rues, des hôpitaux, des cités, des taudis. Non ! Comme ce « non ! jamais ! », de Pierre : « toi, Seigneur, me laver les pieds » non, non, non ! trois fois non ! « Si je ne te lave pas, tu n’auras pas de part avec moi », tu ne feras pas corps avec moi. 1 Faire corps, c’est ce qu’il a voulu cette nuit-là, avant la fête de la Pâque. Faire corps avec ses disciples comme on se rassemble en famille, en maisonnée, parfois avec ses voisins pour rôtir et partager l’agneau pascal et les pains sans levain pour la route. Le geste du lavement des pieds éclaire le sens du don du corps et du sang du don de sa vie. Pourquoi, en effet, a-t-il pris cette initiative de laver les pieds de ses disciples ? Pourquoi ce geste ? Pourquoi à ce moment-là, alors que la nuit tombe, qu’ils s’enfoncent dans l’impasse de la nuit. Il me plait à penser qu’il a été inspiré par celui, inattendu de la pécheresse qui, avec audace, était entrée chez Simon le pharisien alors qu’ils étaient à table et qui avait lavé les pieds de Jésus avec ses larmes les avait essuyés avec ses cheveux, puis parfumés. Rappelez-vous, Jésus avait dit de cette femme : « Ses péchés, ses nombreux péchés lui sont pardonnés, parce qu’elle a montré beaucoup d’amour » (Lc 7, 47). Et Lui, sachant que son heure était venue, ayant déjà montré beaucoup d’amour, il les aima jusqu’au bout. Il se lève de table, quitte son vêtement, se ceint d’un linge et se met à laver les pieds de ses disciples. Il est à leurs pieds, aux pieds de chacun d’entre eux, l’un après l’autre, à ces pieds qui ont marché derrière lui, qui ont parcouru la Galilée et l’ont suivi dans sa longue montée vers Jérusalem. Ils sont ensemble dans l’impasse, ensemble dans l’échec. Mais c’est la Pâque du Seigneur. Seul l’amour passe, seul l’amour fait passer, seule la solidarité, seul le fait de faire corps permet de passer. Si chacun un jour où l’autre doit accomplir sa pâque, c’est ensemble que le Seigneur nous conduit de la nuit au jour, des ténèbres à la lumière, du non au oui, de la mort à la vie. S’il leur lave les pieds c’est donc pour leur affirmer que chacun compte à ses yeux et qu’ensemble ils vont accomplir la pâque. S’il leur lave les pieds c’est pour leur signifier qu’il n’est pas encore temps de se reposer, qu’il va falloir encore marcher. Car c’est la Pâque du Seigneur. Or cette Pâque du Seigneur, vous l’avez entendu, on la célèbre les sandales aux pieds, le bâton à la main, prêt à partir en toute hâte. Ce que Jésus désire pour ses disciples c’est qu’ils accomplissent eux aussi leur pâque, qu’ils passent eux aussi, avec Lui et par Lui, et en Lui. Bien sûr ils passeront (nous passerons) d’une autre manière que Lui. Lui il est mort et ses disciples resteront en vie, mais eux plus que lui ont besoin de passer. En réalité c’est lui qui est vivant et ce sont eux qui sont dans la mort. Et si lui est vivant, leur foi et leur espérance doivent revivre ! Nous sommes dans l’erreur lorsque nous nous préoccupons de notre petit bonheur ‘individuel et portatif’ même s’il est empreint de piété. Nous sommes dans l’erreur lorsque nous nous inquiétons de notre propre salut. Le geste de Jésus au Jeudi Saint, ses paroles que nous répétons à chaque messe, nous rappellent qu’il n’y a pas de plus grand amour, pas de plus grande fécondité dans notre monde que de donner sa vie, que de se donner pour ses amis que de se mettre aux pieds de ceux que l’on aime pour les aider à traverser toutes les impasses dans lesquels ils sont plongés. 2 Et il n’y a pas de plus belle communauté humaine et chrétienne que celle qui, avec gravité et joie, célèbre la pâque du Seigneur et réalise, accomplit, en ce monde cette pâque. La pâque de chacun est aussi importante que celle du Christ, puisqu’il est mort pour cela, pour que chacun puisse passer par Lui et vivre en Lui. Quel mystère, quelle responsabilité, quelle joie d’y être associé. Frère Eric T. de Clermont-Tonnerre, op 3