La mémoire coloniale vue de Fort-de-France
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La mémoire coloniale vue de Fort-de-France
12-a-Landi-Larcher:Mise en page 1 22/01/07 8:32 Page 84 La mémoire coloniale vue de Fort-de-France Élisabeth Landi et Silyane Larcher* E n France hexagonale, les mobilisations collectives des Antillais, Guyanais et Réunionnais tournent essentiellement autour de la défense de la mémoire de l’esclavage et de la revendication de reconnaissance. Aux Antilles en revanche, à partir d’autres ressorts, le débat public revêt des enjeux sensiblement différents, même si le besoin de reconnaissance semble constituer le trait d’union entre les Antillais de la migration et ceux des départements français d’Amérique (DFA). En Martinique, l’actualité médiatique récente a été animée par une polémique autour de la dénomination du très vieux et prestigieux lycée Schœlcher de Fort-de-France que l’actuelle majorité indépendantiste du conseil régional souhaiterait voir débaptisé. Cette volonté met en lumière la portée politique des discours sur l’histoire régionale et nationale1. Silyane LARCHER – J’ai le sentiment que les interpellations du récit national ont avant tout vocation à légitimer des revendications locales. Les gens, et peut-être en particulier les hommes politiques, semblent * Respectivement professeur d’histoire en première supérieure au lycée de Bellevue (Fortde-France), ancienne présidente de l’association des professeurs d’histoire et de géographie de la Martinique (EGHIN) de 1991 à 2002 ; et étudiante en doctorat d’études politiques à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS). 1. Lors de sa séance plénière du 3 octobre 2006, le conseil régional de la Martinique votait à une large majorité la proposition de son président, Alfred Marie-Jeanne, de faire baptiser l’aéroport du Lamentin « aéroport Frantz Fanon » et le lycée Schœlcher de Fort-de-France, « lycée Aimé Césaire ». Sous couvert, selon ses dires, de refuser d’« entrer dans les polémiques stériles », le président de la région contestait ainsi le projet commun de l’assemblée départementale et de la mairie de Fort-de-France (toutes deux dirigées par des majorités « autonomistes » proches d’Aimé Césaire) de faire baptiser l’aéroport de la Martinique « aéroport Aimé Césaire ». Derrière la simple opposition des deux figures majeures de l’histoire intellectuelle de la Martinique, c’est le sens de ce geste de débaptiser le lycée Schœlcher qui était habilement, voire grossièrement, passé sous silence. Lui n’avait fait l’objet d’aucun débat à l’assemblée ce jour-là. Février 2007 84