La PAC dans les accords commerciaux de libéralisation des échanges
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La PAC dans les accords commerciaux de libéralisation des échanges
Marion Cassard Solène Courilleau Ondine Louis Marie Queinnec La PAC dans les accords commerciaux de libéralisation des échanges : l’exemple de l’accord de libre-échange Europe/ Etats-Unis Résumé Depuis 2001, les négociations multilatérales défendues dans le cycle de Doha à l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce) sont bloquées. Les Etats se tournent donc de plus en plus vers la signature d’accords bilatéraux. L’Europe, qui souhaiterait conclure plusieurs partenariats, a notamment ouvert cette année les négociations d’un accord avec les Etats-Unis : le TTIP (partenariat transatlantique de commerce et d’investissement). Son principal intérêt est de relancer les économies de ces deux partenaires commerciaux. Toutefois, les divergences et les sources de tensions sont nombreuses, notamment sur le secteur agricole. En effet, l’harmonisation des normes qui serait imposée par la signature d’un tel accord, pose problème du fait de l’écart des exigences sanitaires et phytosanitaires entre les deux partenaires. Dans les négociations en jeu, la reconnaissance des indications géographiques par les Etats-Unis pourrait être réduite à une monnaie d’échange alors que c’est une force du secteur agricole européen. Mots-clés : libre-échange, TTIP, Europe, Etats-Unis, agriculture, normes 1 Abstract Since 2001, multilateral negociations supported in the WTO Doha cycle are frozen. As a consequence, states use more and more bilateral agreements. The European Union would like to conclude several partnerships, within an agreement with the USA, the TTIP, of which negociations began this year. Its main interest is to restart economies of these two units. Nevertheless, there are many divergences and points of tension, especially about the agricultural sector. Indeed, this partnership would include a standard harmonization which could be problematic owing to the fact that sanitary and phytosanitary rules are different. In the game of negociations, geographical indications could appear as an exchange currency although it’s one of the main european agriculture force. Key words : free-trade, TTIP, Europe, USA, agriculture, standard 2 SOMMAIRE Résumé ............................................................................................................................................. 1 Abstract ............................................................................................................................................ 2 Sigles et acronymes .......................................................................................................................... 4 I . Contexte du commerce mondial et des négociations internationales ...................................... 5 I.1 Le cadre du commerce international ................................................................................... 5 I.2 Le cycle de Doha, des négociations immobilisées jusqu’à la conférence de Bali .............. 5 II Forces et faiblesses de l’agriculture et de l’agro-alimentaire européens dans le commerce international .................................................................................................................................. 6 II.1 L’UE, une grande puissance mondiale agricole ................................................................ 6 II.2 L’UE, une forteresse douanière ? ...................................................................................... 6 II.3 L’UE, forteresse normative ?............................................................................................. 7 II.4 L’UE, une puissance divisée ............................................................................................. 7 III Le projet d’accord de libre échange Etats-Unis – Europe ....................................................... 7 III.1 Le TTIP, un ALE global aux enjeux majeurs .................................................................. 7 III.1.1 Le TTIP pour relancer la croissance ? ....................................................................... 8 III.1.2 Le TTIP pour relancer le multilatéralisme ? ............................................................. 8 III.2 L’agriculture et l’agro-alimentaire dans le TTIP ............................................................. 8 III.2.1 Opportunités et intérêts pour l’agriculture européenne ............................................. 9 III.2.2 Menaces pour l’agriculture européenne .................................................................... 9 III.3 Focus sur l'enjeu principal du TTIP pour les produits agricoles et agro-alimentaires : l'harmonisation des normes .................................................................................................... 10 III.3.1 Des consommateurs aux exigences différentes des deux côtés de l'Atlantique ...... 10 III.3.2 L’enjeu des IG dans les négociations ...................................................................... 10 Conclusion .................................................................................................................................. 10 Références bibliographiques .......................................................................................................... 12 Liste des annexes ............................................................................................................................ 15 3 Sigles et acronymes ACP: Afrique, Caraïbes et Pacifique ADPIC : Accord sur les Droits de Propriété Intellectuelle en rapport avec le Commerce ALE: Accord de Libre Echange ALENA: Accord de Libre Echange Nord Américain EM: Etats membres EU: Etats-Unis GATT: General Agreement on Tariffs and Trade IGP: Indication Géographique Protégée NPF: Nation la Plus Favorisée NSA : National Security Agency OGM : Organismes Génétiquement Modifiés OMC: Organisation Mondiale du Commerce PAC : Politique Agricole Commune PED: Pays En Développement PMA: Pays les Moins Avancés SPG: Système de Préférences Généralisées Accord SPS: accord Sanitaire et Phyto-Sanitaire TTIP: Transatlantic Trade and Investment Partnership UE: Union Européenne 4 Les accords multilatéraux étant bloqués depuis la stagnation du cycle de Doha à l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), des partenariats bilatéraux se multiplient. L’Union Européenne (UE) négocie actuellement un accord de libéralisation des échanges avec les Etats Unis (EU), le TTIP (Transatlantic Trade and Investment Partnership), pour lequel les enjeux agricoles sont cruciaux. Dans le contexte de blocage des négociations multilatérales, quels sont les enjeux pour l’agriculture et l’agro-alimentaire européens de la signature d’accords bilatéraux de libreéchange ? On verra dans un premier temps le fonctionnement du commerce international à travers l’OMC, puis on s’intéressera aux caractéristiques de l’agriculture européenne au sein de ce commerce international. Enfin, après une présentation des intérêts du TTIP, on abordera la question de l’impact que cet accord pourrait avoir sur le secteur agricole, avec un focus sur l’enjeu lié à l’harmonisation des normes. I . Contexte du commerce mondial et des négociations internationales I.1 Le cadre du commerce international Créée en 1995, l’OMC est l’organisation qui régit actuellement le commerce international. Composée aujourd’hui de 159 Etats signataires, l'OMC veille au respect des accords multilatéraux qui encadrent les échanges internationaux dans le but d’en favoriser le libreéchange. Pour satisfaire cet objectif, elle a intégré à son règlement la clause de la nation la plus favorisée (NPF) : tous les avantages commerciaux offerts à un pays par un membre de l’OMC, doivent être élargis à tous les autres pays membres. Cependant, des exceptions à cette règle existent. Par exemple, des pays appartenant à une même zone de libre-échange ou à une union douanière peuvent s’accorder des préférences commerciales : c’est le cas de l’UE. D’autre part, la clause d’habilitation de l’OMC permet aux pays développés d’accorder des préférences commerciales non réciproques à l’attention des Pays en développement (PED) et des Pays les moins avancés (PMA) : c’est le Système de Préférences Généralisées (SPG). Au sein de l’UE, il existe actuellement trois régimes de SPG, dont le régime « Tout sauf les armes » (SPG-TSA) qui accorde un accès total (suppression totale des droits de douane) sur les marchés européens à tous les produits des PMA à l’exception des armes. Encadré 1: Bref historique des négociations au GATT puis à l’OMC Depuis la signature de l’Accord Général sur les Tarifs Douaniers et le Commerce (GATT en anglais) en 1947, les cycles de négociations internationaux s’enchaînent. Lancé en 1986, le cycle de l’Uruguay voit apparaître de nouveaux pays émergents au sein des négociations qui dénoncent l’emprise des pays industrialisés sur le marché mondial, ou encore le protectionnisme de l’UE. Ce cycle de négociations se conclut en 1994 avec la signature des accords de Marrakech qui introduisent l’agriculture dans les règles internationales du commerce, obligeant l’UE à réformer sa politique agricole. Depuis 2001, le cycle en cours est celui de Doha. I.2 Le cycle de Doha, des négociations immobilisées jusqu’à la conférence de Bali L’objectif du cycle de Doha, lancé en 2001, est de réduire les clivages entre les différents niveaux de développement économique des pays membres de l’OMC. La suppression des aides ayant un effet distorsif sur les marchés mondiaux et l’ouverture des marchés des pays les plus développés devaient permettre d’atteindre ce résultat. Toutefois, la conférence ministérielle de l’OMC à Cancun en 2003 s’est soldée par un échec des négociations, notamment à cause de la 5 question agricole. Le nombre important de pays membres de l’OMC rend difficile le consensus. Ainsi, après 10 ans, l’Accord de Bali trouvé le 7 décembre 2013 était inespéré. Ce paquet adopté à Bali ne couvre toutefois pas l’ensemble des réformes prévues initialement mais seulement trois volets dont l’engagement à réduire les subventions à l’export dans le domaine agricole et une exemption des droits de douane aux produits venant des PMA. Du fait de l’immobilisme du multilatéralisme, de nombreux accords commerciaux bilatéraux se sont donc créés entre des membres de l’OMC, accords qui sont tout à fait licites. L’UE n’échappe pas à cette tendance (cf. Annexe 1) puisqu’elle a récemment lancé des négociations avec les EU afin de signer un Accord de Libre-Echange (ALE). Avant d’étudier les opportunités et menaces d’un tel accord sur l’agriculture et l’agro-alimentaire européens, il est intéressant de revenir brièvement sur les forces et faiblesses de ces domaines. II Forces et faiblesses de l’agriculture et de l’agro-alimentaire européens dans le commerce international II.1 L’UE, une grande puissance mondiale agricole L’UE est la première importatrice mondiale de produits agricoles et la deuxième exportatrice, avec le vin et les boissons alcoolisées en tête des exportations (cf. Annexe 2). La stratégie de la Politique Agricole Commune (PAC) pour que l’UE reste une grande puissance agricole est basée sur la productivité et sur la qualité, autant en terme de normes sanitaires que de labels de qualité (Bureau, 2007). Encadré 2: les relations commerciales entre UE et EU Les échanges entre les deux continents sont déjà importants dans les secteurs du commerce des biens et services ainsi que des investissements directs à l’étranger. Concernant les produits agricoles et agro-alimentaires, les EtatsUnis sont le premier client de l'Union Européenne (17% des exportations européennes) et son troisième fournisseur (11% des importations totales de l'UE) (cf. Annexe 3). Deuxième exportatrice au monde, l'agriculture européenne concurrence donc l’agriculture américaine, ce qui constitue un sujet de tensions entre les deux partenaires. II.2 L’UE, une forteresse douanière ? L’UE a longtemps été qualifiée par les autres pays de “forteresse agricole”. En effet, lors de sa mise en place en 1962, et jusqu’en 1992, la PAC reposait sur le principe de préférence communautaire et celui d’unicité de marché, avec un système de prix garantis et de protection aux frontières. Ce système protectionniste a été dénoncé par de nombreux pays, comme le Brésil. L’UE a donc été contrainte de réformer sa politique agricole en 1992, en remplaçant progressivement les prix garantis par des aides semi-découplées1 et en rapprochant les prix du marché intérieur des prix mondiaux. Malgré certaines avancées, l’UE est critiquée à cause de secteurs où les droits de douane consolidés sont élevés, comme dans le cas des produits laitiers où ils atteignent environ 80% (Lauer, 2013). Toutefois, ces critiques sont à nuancer car de nombreux produits ont des droits de douane très faibles voire nuls. Par exemple, les pays d’Afrique, Caraïbe et Pacifique (ACP) 1 Les aides couplées sont versées aux agriculteurs au pro-rata de la nature et de la quantité produite tandis que les aides découplées n’y sont pas liées et donc n’incitent pas à la production. Ainsi, les aides semi-découplées de 1992 dépendaient de la nature de la production et des rendements mais ceux-ci étaient des valeurs de référence. En France, elles furent déterminées à l’échelle départementale. 6 bénéficient de forts avantages pour l’exportation vers l’UE. Quant aux PMA, ils bénéficient de droits de douane nuls grâce au régime SPG-TSA. Il semble donc peu légitime de qualifier encore l’UE de forteresse douanière. En revanche, les règlementations sanitaires strictes qu’elle impose en font d’après certains pays tiers une “forteresse normative”. II.3 L’UE, forteresse normative ? L’accord Sanitaire et Phytosanitaire (SPS) est un accord international régissant la manière dont les gouvernements peuvent appliquer les mesures relatives à l’innocuité des produits alimentaires et la santé des animaux et végétaux. Il autorise un pays à établir des normes restrictives du commerce international, a condition que la dangerosité des produits en question soit démontrée par des preuves scientifiques. Les réglementations européennes sont en ce sens plus strictes que les normes internationales. Par exemple l’UE, à l’inverse des EU, interdit le bœuf aux hormones et maintient même depuis 1997 un embargo sur l’importation de volailles décontaminées par le chlore pour des raisons sanitaires, malgré une plainte des EU sur ce sujet (J. MOREAU, 2009). Ces normes, considérées comme des barrières non tarifaires, permettent de rassurer les consommateurs sur la qualité des aliments importés ; cependant, elles constituent aussi un obstacle pour certains pays, dont les PMA, qui veulent exporter leurs produits au sein de l’UE. En adoptant des règlementations strictes, l’UE limite donc l’accès au marché de certains produits venant de pays tiers comme les EU. Ce point constitue ainsi un véritable enjeu de négociation dans l’ALE. II.4 L’UE, une puissance divisée L'une des faiblesses de l'UE dans les négociations de cet ALE est son manque d’homogénéité dans les positionnements politiques de ses différents partis et de ses 28 Etats membres (EM) qui n’ont pas les mêmes priorités économiques et culturelles. On peut distinguer les pays agricoles dont la voix est portée par la France, qui veulent conserver les réglementations sanitaires et phytosanitaires européennes existantes, des EM comme l'Allemagne ou le RoyaumeUni qui tendent plus vers une libéralisation maximale des échanges. Il faut également considérer les stratégies politiques individuelles qui sont en jeu dans cet accord : par exemple, José Manuel Barroso (Président de la Commission européenne) souhaiterait à la fin de son mandat intégrer une institution internationale. On peut donc supposer que cela l’incite dans ces négociations à aller plus facilement dans le sens des EU. III Le projet d’accord de libre échange Etats-Unis – Europe III.1 Le TTIP, un ALE global aux enjeux majeurs L’UE a ouvert le 13 février 2013 (cf. encadré 3) des négociations pour un ALE avec les EU sous le nom de “Partenariat Transatlantique de Commerce et d’Investissement”, TTIP en anglais. Concrètement, la libéralisation des échanges dans le cadre d’un tel accord passe par la diminution des droits de douane et l'harmonisation des normes. En particulier, le TTIP comporterait deux volets : le commerce des biens et services ainsi que les investissements directs à l'étranger, impliquant une ouverture réciproque des marchés publics. Encadré 3: Chronologie des négociations concernant le TTIP 7 3 Novembre 2011: Installation d’un groupe de travail UE/EU sur l’emploi et la croissance Février 2013: Ouverture des négociations entre UE et EU Juillet 2013: Premier cycle de négociations Novembre 2013: Deuxième cycle de négociations- Contexte des révélations de la NSA (National Security Agency) Décembre 2013 : Troisième cycle de négociations (Washington DC) Il est important de souligner que le TTIP dans sa globalité est souhaité des deux côtés de l’Atlantique pour deux raisons majeures : la relance de la croissance d’une part et du multilatéralisme d’autre part. Cependant, ces intérêts majeurs sont nuancés par certains acteurs. III.1.1 Le TTIP pour relancer la croissance ? La motivation première à signer cet ALE est avant tout économique. En effet, dans un contexte de crise où les déficits publics s’accroissent, le marché américain pourrait s’avérer être un relais de croissance bienvenue pour l’UE, et inversement pour les EU. Dans son discours du 15 novembre 2013, le commissaire européen au commerce Karel De Gutch a rappelé les enjeux de cet accord: “plus d’emplois pour les européens et plus de croissance pour l’économie européenne”. En effet, une étude réalisée par la Commission Européenne (CE) (Touze, 2013) prévoit un gain supplémentaire annuel de 0,48% du PIB européen et de 0.39% du PIB américain. Cependant, les hypothèses des modèles économiques des prospectives dont sont issus ces chiffres sont remises en cause : ils ne prendraient pas en compte la situation de chômage structurel des deux puissances (Defraigne, 2013). De plus, dans le cas de l'UE, le supplément de croissance serait capturé par certains Etats, risquant de renforcer les inégalités infra-européennes. III.1.2 Le TTIP pour relancer le multilatéralisme ? Une autre motivation affichée de la signature du TTIP est la relance du multilatéralisme. En effet, un ALE entre les deux premières puissances commerciales mondiales que sont l’UE et les EU permettrait de mettre en place la plus vaste zone de libre-échange au monde, représentant 40% du PIB mondial (Boskin, 2013). Dans un contexte de profusion d’accords bilatéraux, il raviverait la flamme d’un système commercial multilatéral solide (Calmette, 2013 ; Antoine, 2013). En effet, selon Jose Manuel Barroso, "il fixera la norme non seulement pour le commerce et les investissements transatlantiques, mais aussi pour le développement du commerce à travers le monde" (Calmette, 2013). Cet argument de renforcement du multilatéralisme est critiqué par le Collège de l’Europe, car il modifierait l’équilibre des relations commerciales internationales. L’intérêt sous-jacent de renforcer le commerce transatlantique est de rééquilibrer les échanges et la production, dont le centre de gravité s’est déplacé vers la Chine ces dernières décennies (Dafraigne, 2013). III.2 L’agriculture et l’agro-alimentaire dans le TTIP Le TTIP est un accord commercial large qui doit être étudié dans son ensemble, mais il est intéressant de faire un focus sur les échanges de produits agricoles et agro-alimentaires. En effet, si ce secteur n’est pas “moteur” dans les accords du TTIP, il risque d’être largement impacté par ceux-ci. Historiquement, les relations commerciales transatlantiques concernant les produits agricoles et agro-alimentaires sont conflictuelles : les OGM (Organismes génétiquement 8 modifiés), le bœuf aux hormones ou encore la production de Champagne sont des sujets qui cristallisent particulièrement les tensions des négociations depuis des années. Si l’on considère uniquement les produits agricoles et agro-alimentaires, les droits de douane sont aujourd’hui à 5,4% (Touze, 2013) en moyenne côté américain et à 10,1% en moyenne côté européen, ce qui est relativement bas. L’enjeu principal de l’accord n’est donc pas l’abaissement des droits de douane, mais plutôt la diminution des barrières non tarifaires. III.2.1 Opportunités et intérêts pour l’agriculture européenne Selon le Commissaire européen à l’agriculture et au développement rural Dacian Ciolos, l’ouverture des marchés publics américains permettrait à l’UE de promouvoir ses produits à forte valeur ajoutée, notamment grâce à la reconnaissance des Indications Géographiques (IG). En effet, les IG sont actuellement protégées par l’Accord sur les Droits de Propriété Intellectuelle en rapport avec le Commerce (ADPIC) 2 mais celui-ci ne prévoit qu’un niveau minimum de protection et ce sont les pays membres qui doivent ensuite le retranscrire en droit national3. Au niveau mondial, il n’y a donc pas d’outil juridique efficace (Addor et Grazioli, 2002). L’harmonisation des normes de production de part et d’autre de l’Atlantique faciliterait l'interpénétration des économies américaines et européennes afin de prendre le pas sur la puissance chinoise qui tente d'imposer les siennes (Chavagneux, 2013). III.2.2 Menaces pour l’agriculture européenne L’étude française, conduite par le CEPII met en évidence que tous les secteurs européens ne sortiront pas gagnants de l’ALE, en particulier l'agriculture (française et européenne) (Touze, 2013). En effet, certaines filières européennes risquent d’être fortement impactées car elles sont moins compétitives que certaines filières américaines, ce qui nécessitera donc certainement une restructuration de leur part. La filière bovine française, déjà très fragile, en est un exemple : avec le TTIP, elle risquerait d’être fortement impactée par l’arrivée sur le marché européen de viande à bas prix. Cela aurait certainement des conséquences socio-économiques à l’échelle des exploitations agricoles mais aussi à l’échelle des territoires qui seront également impactés en termes d’entretien de l’espace. Cela passerait par un processus de concentration des exploitations et il y aurait ainsi des conséquences à la fois sociales (réduction du nombre d'actifs agricoles, augmentation du chômage, désertification des campagnes) et environnementales (Berthelot, 2013). La solution serait donc peut-être, comme pour l’accord bilatéral qui vient d’être signé avec le Canada, d’inscrire des filières comme étant des « secteurs sensibles » et donc de les protéger spécifiquement en préservant un droit de douane élevé sur les produits importés. Cela pourrait par exemple consister à maintenir le droit de douane à 20% (Touze, 2013) sur une partie de la viande 2 Se référer aux articles 22, 23 et 24 de l’accord ADPIC disponible ici : http://www.wto.org/french/docs_f/legal_f/27-trips_04b_f.htm et pour en savoir plus sur la protection des IG : http://www.fao.org/docrep/013/i1760f/i1760f05.pdf 3 En fait, ce point reste relativement flou puisqu’on ne sait pas, d’après l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, si les membres de l’OMC sont capables d’appliquer directement l’Accord sur les ADPIC ou s’ils doivent le transcrire dans le droit interne moyennant une procédure législative. 9 importée au lieu de libéraliser en totalité. III.3 Focus sur l'enjeu principal du TTIP pour les produits agricoles et agroalimentaires : l'harmonisation des normes Comme mentionné précédemment, l'enjeu de l'accord du TTIP réside dans l’harmonisation des normes de production, sujet source de tensions entre les différents acteurs. Ainsi, les barrières non tarifaires sont remises en cause afin de maximiser la libre circulation des biens. Ce processus est cependant délicat puisque les normes de chaque partie reflètent leurs identités c’est-à-dire leurs préférences socioculturelles, historiques, leurs réalités géographiques voire constitutionnelles (Calmette, 2013). III.3.1 Des consommateurs aux exigences différentes des deux côtés de l'Atlantique D’un point de vue sanitaire, les deux parties, prônant la protection de leurs consommateurs, expriment des réticences à accepter certains produits sur leurs marchés. Par exemple, les EU s’opposent à l’introduction de produits laitiers non pasteurisés sur leur marché, ne les reconnaissant pas comme sanitairement acceptables (Antoine, 2013). De la même manière, l'UE refuse l’introduction de certains produits américains sur ses marchés comme les poulets traités au chlore (Villechenon, 2013). Ces pratiques sont en effet jugées inacceptables par des européens préoccupés par la présence de résidus dans les produits de consommation humaine et qui appliquent donc le principe de précaution faute de preuve scientifique recevable concernant l’innocuité de ces produits. De même, l’acceptation de la culture de certaines variétés d’OGM par l’UE, notamment le maïs Mon810, a été interdite dans plusieurs pays européens en 2008 suite à la signature d’un moratoire (Noisette, 2011). Pourtant, dans un cas comme dans l’autre, les produits jugés non acceptables sont reconnus comme « sûrs » par la communauté internationale. (ContreLaCour.fr, 2013) III.3.2 L’enjeu des IG dans les négociations Les Indications Géographiques représentent effectivement un des secteurs à fort potentiel d’exportation dont la reconnaissance outre atlantique est essentielle pour limiter les usurpations. La seule négociation prévue dans la déclaration de Doha en matière de propriété intellectuelle porte sur l’établissement d’un système multilatéral de notification et d’enregistrement des indications géographiques pour les vins et les spiritueux. Selon K.Clarke, ministre britannique, représentant spécial pour la politique commerciale, l’UE doit “s'attaquer aux réglementations européennes excessives” et aller vers une convergence des normes de façon urgente pour ne pas avoir à céder sur des points tels que les IG. En effet, les américains pourraient décider de ne pas reconnaître les IG à leur juste valeur. L’UE a déjà commencé ses efforts en autorisant l’utilisation de l’acide lactique pour la désinfection des carcasses bovines. Conclusion Etant donné la difficulté à établir des compromis concernant la convergence réglementaire pour les produits agricoles et agro-alimentaires, la question qui peut se poser est celle de l’exclusion 10 du secteur agricole de l’accord. Cependant, pour Bruxelles, une telle décision n’est pas envisageable puisque ce serait faire un retour en arrière dans les négociations internationales pour la libéralisation des échanges. Il faut également garder à l’esprit que le TTIP est un accord multisectoriel, et que l’UE, pour conserver ses secteurs sensibles agricoles, devra alors céder sur des secteurs non agricoles. L’agriculture serait-elle perçue dans ce cas comme une monnaie d’échange dans cet accord ? Au lendemain de la conférence interministérielle à Bali, on peut aussi se poser la question de l’avenir des aides de la PAC, notamment les aides couplées à certains secteurs sensibles. Les EU pourraient en effet les voir comme des éléments de distorsion de concurrence. Enfin, parmi les points qui inquiètent les européens, se trouve la question du pouvoir des multinationales. En effet, les EU cherchent actuellement à établir un mécanisme bilatéral de règlement des litiges qui autorise un acteur privé à attaquer un Etat. Selon le groupe des Verts au Parlement Européen, cela est inacceptable car ce mécanisme permettrait aux multinationales d’influencer directement les législateurs et de demander des dommages et intérêts qui seraient payés au final par les citoyens (Bové, 2013). Cette pratique, en vigueur aux EU et au Canada, est pour l’instant fortement réprimée en Europe. Si ce procédé entre en vigueur, nous sommes en mesure de nous demander quel sera l’avenir des mesures sociales et environnementales. Serontelles susceptibles d’être remise en cause sans que les Etats eux-mêmes puissent faire appel ? N’est-ce pas donner tout pouvoir aux firmes multinationales ? 11 Références bibliographiques ADDOR F., GRAZIOLI A., 2002. Une meilleure protection des indications géographiques sur le plan international: une question qui nous concerne tous! Revue Internationale de la Propriété Industrielle et Artistique RIPIA n°209, p. 21-30. 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II Annexe 3 : Echanges commerciaux entre les Etats-Unis et l’Europe ............................................ III Annexe 4 : Matrice AFOM ........................................................................................................... IV 15 Annexe 1 : Les projets d’ALE en cours de l’UE Source : DG Agri, Commission Européenne, Diaporama du 26 novembre 2013 I Annexe 2 : Commerce extérieur agro-alimentaire de l’UE-25 Source : BUREAU JC, 2007, La politique agricole commune, Éditions La Découverte, Collection Repères n° 480 II Annexe 3 : Echanges commerciaux entre les Etats-Unis et l’Europe Source : S. Lauer, P. Ricard, 11/11/2013, « Les Etats-Unis attendent beaucoup du traité de libreéchange avec l’Europe », Le Monde. Disponible sur Internet : http://www.lemonde.fr/economie/article/2013/11/11/les-etats-unis-attendent-beaucoup-du-traitede-libre-echange-avec-l-euro_3511601_3234.html III Annexe 4 : Matrice AFOM Forces : Faiblesses : - Agriculture européenne compétitive, deuxième exportatrice mondiale de produits agricoles - Agriculture européenne encore trop subventionnée (vis-à-vis des règles de l’OMC) - Exportation importante de vins et spiritueux et de produits à forte valeur ajoutée (produits de niche) - Importants échanges commerciaux avec les USA - Normes européennes phytosanitaires et sanitaires strictes → produits “de qualité” - Normes sanitaires européennes plus strictes → barrière pour l’ALE - Hétérogénéité des positionnements politiques au sein même de l’UE, notamment au sujet des réglementations sanitaires - Certains secteurs, comme celui de la viande ou du lait, sont en crise Menaces: Opportunités: - Normes sanitaires américaines moins strictes que les normes européennes: le processus - Relance de la croissance pour l’Europe d’harmonisation des normes entraînerait une - Renforcement du multilatéralisme en créant la perte de qualité sanitaire et donc un risque jugée plus important pour les consommateurs plus vaste zone de libre-échange au monde européens - Contrepoids face à la Chine - Plus de concurrence pour les producteurs - Normes communes → ouverture aux marchés dans certains secteurs comme celui de la viande (produits américains à plus faible prix) des USA - Reconnaissance accrue de certains produits et - Perte de compétitivité pour les producteurs européens notamment avec la baisse du prix de peut-être des IG l’énergie aux USA (exploitation du gaz de schiste), ils ont donc des couts de production plus faibles IV