Le premier avion volait-il bien

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Le premier avion volait-il bien
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Le premier avion volait-il bien ?
Laurent BOVET
Ecole de l’Air, 13 661, Salon Air
Mardi 20 janvier 2015
C’est le 17 décembre 1903 sur la plage de Kitty Hawk en Caroline du Nord que les frères Orville
et Wilbur Wright réalisèrent le premier vol « officiel » d’un plus lourd que l’air.
Mais s’ils ont parcouru ce jour là jusqu’à 260m en ligne droite avec leur « Flyer », il n’est pas du tout
certain qu’ils auraient pu aller beaucoup plus loin ou même simplement revenir à leur point de départ.
Pour preuve une étude moderne menée dans les années 80 sous l’égide de l’AIAA, le « Wright
Flyer Project », qui, grâce à des résultats en soufflerie d’une maquette à l’échelle réduite complétés par
un code numérique, a permis de modéliser l’aérodynamique de cet avion et mettre ainsi en évidence les
défauts majeurs dont il souffrait, notamment en terme de stabilité et de contrôle.
Fig. 1 : Photo historique du premier vol le 17 décembre 1903
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La question de la stabilité longitudinale
En tant que fabriquant de bicyclette, les Wright ne se sont jamais vraiment préoccupés de la
stabilité de leur avion. Ils pensaient en effet que comme un cycliste sur son vélo, le pilote pourrait
toujours contrôler la trajectoire de son avion avec un peu d’habileté et pas mal d’expérience. Ainsi pour
leur premier avion de 1903, il est désormais clair qu’ils ont favorisé la manoeuvrabilité au détriment de
la stabilité.
En effet, lors d’essais préliminaires effectués sur des cerfs-volants puis sur des planeurs
pilotés, les Wright ont noté qu’en plaçant l’empennage horizontal à l’avant, configuration dite « canard »,
l’avion semblait mieux répondre aux sollicitations en tangage. Mais les deux frères observaient
simplement une instabilité en tangage de leur avion quand ils pensaient avoir obtenu une meilleure
contrôlabilité.
De plus, ils étaient obsédés par la capacité à récupérer l’avion suite à un décrochage, ce qui
avait été la cause de l’accident mortel d’Otto Lilienthal en 1896. Et les Wright pensaient, à tort, que
l’empennage horizontal serait plus efficace à l’avant que derrière les ailes pour le contrôle en tangage
dans ce cas de figure. Enfin, ces premiers pilotes d’essais voulaient pouvoir visualiser à tout instant la
position de la gouverne de tangage pendant qu’ils manoeuvraient l’avion.
Et donc, en contradiction avec les travaux de Cayley en 1799 puis Pénaud en 1872 qui
montraient le caractère longitudinalement stable d’un avion avec un empennage placé à l’arrière, les
deux frères choisirent la configuration canard pour leur premier avion.
Avec un centre de gravité situé 20% de corde derrière le foyer (marge statique de -20%), le
Flyer était donc fortement instable sur l’axe longitudinal. Mais plusieurs facteurs ont concouru au fait
qu’il puisse quand même être à peu près contrôlé sur un vol court.
Tout d’abord son fort amortissement en tangage qui a contribué à améliorer sa stabilité
dynamique, mais surtout la grande habileté et l’expérience de ses deux pilotes acquise au cours de
douzaines d’essais pilotés sur des planeurs en 1901 et 1902.
Il faut noter cependant que la configuration « canard » n’implique pas forcément une instabilité
longitudinale. Mais avec 95% de sa masse totale concentrée entre ses 2 ailes les marges de centrage
de l’avion étaient très limitées.
Il fallait donc pour régler ce problème d’instabilité longitudinale soit déplacer le centre de gravité
de l’avion le plus avant possible, soit changer radicalement de configuration.
Après plusieurs années de tâtonnement sur la configuration « canard » jusqu’en 1909 qui ont
vu l’ajout progressif de lest à l’avant accompagné d’une augmentation de masse qui pénalisait ses
performances, la configuration « classique » avec empennage à l’arrière sera finalement adoptée sur le
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« Model B » de 1910 avec pour la première fois le centre de gravité situé devant le foyer (marge
statique positive) et un avion longitudinalement stable (Fig. 1).
Fig. 2 : Evolution des avions Wright entre 1903 et 1910. Le centre de gravité (cercle bleu) ne passera
devant le foyer de l’avion (cercle rouge) qu’à partir de 1910 sur le Model B, le rendant alors stable
longitudinalement.
Le problème du virage
Pour faire virer un avion, il faut créer une force latérale propre à faire « tourner » son vecteur
vitesse.
Si certains pionniers pensaient que la portance latérale créée par une simple mise en dérapage
à plat de l’avion serait suffisante pour virer, les Wright pensaient eux qu’il serait beaucoup plus efficace
d’incliner leur avion afin d’utiliser la composante de la portance des ailes dans le plan horizontal. Du
reste, le Flyer ne présentait qu’une très faible surface latérale, limitée à sa petite gouverne de direction,
ce qui en faisait un mauvais candidat pour effectuer un virage à plat.
Pour incliner l’avion et créer un moment de roulis, les frères ont élaboré un système de torsion
des ailes, qui donnera d’ailleurs le terme de « gauchissement » au contrôle sur cet axe, encore utilisé
de nos jours même si les ailes ne sont plus « gauchies » au sens propre du terme.
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La commande de roulis était de surcroît couplée mécaniquement à la gouverne de direction afin
d’annuler la prise de dérapage consécutive à l’action de gauchissement des ailes. Les Wright ont donc
créé en 1903 la première coordination de virage automatique encore utilisée de nos jours dans les
calculateurs de commande de vol des avions modernes.
Cependant, les quelques avantages qui auraient pu être tirés de ces choix très judicieux pour le
pilotage de l’avion ont été perdus à cause d’autres beaucoup moins pertinents comme le dièdre des
ailes.
Dès 1800, Cayley avait noté qu’en relevant le bout des ailes vers le haut (dièdre positif), l’avion
avait tendance à partir en roulis à l’opposé du dérapage ce que l’on connaît de nos jours sous le terme
« d’effet dièdre ». Cet effet dièdre permet, avec d’autres facteurs, de faire naturellement sortir l’avion
d’un virage sans action sur les commandes, ce que l’on appelle la « stabilité spirale ».
Les Wright connaissaient l’effet dièdre, mais lors de leurs essais sur des planeurs en vol de
pente, ils avaient noté qu’en abaissant au contraire le bout des ailes (dièdre négatif), l’avion avait
tendance à s’incliner dans le sens de la descente si une rafale venait de côté et non d’être rabattu sur la
pente, ce qui représentait un facteur de sécurité.
Fig. 3 : Sur cette vue de face du Flyer de 1903 les ailes forment deux arches avec un dièdre négatif
marqué
En fait, le choix de ces ailes en forme d’arche sur leur avion de 1903 (Fig. 2) se révéla
désastreux pour le contrôle du virage c’est-à-dire la capacité à maintenir une inclinaison et remettre les
ailes à plat facilement. C’est l’observation qui a rapidement été faite lors des premiers essais de virage
en Septembre 1904, soit près de 10 mois après leur premier vol historique, où Wilbur Wright
expérimenta un virage engagé avec une impossibilité d’en sortir, causant la destruction partielle de son
avion.
On sait aujourd’hui, avec des moyens d’analyse moderne, qu’avec cette forme d’ailes
particulière le Flyer de 1903 était très instable sur sa spirale, ce qui le rendait pratiquement incontrôlable
en virage.
Dès leur modèle suivant de 1905, les Wright optèrent pour un dièdre nul, c’est-à-dire des ailes
bien planes, qu’ils conservèrent sur les modèles suivants jusqu’en 1912.
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En conclusion…
Avec des moyens d’analyse modernes, nous savons aujourd’hui que le Flyer des frères Wright
de 1903 était à peine contrôlable. Non seulement son instabilité longitudinale demandait une
concentration de tous les instants de la part du pilote, mais avec de surcroît une forte instabilité spirale,
son pilotage devenait quasiment impossible.
Il faut cependant noter que certaines difficultés qu’ils rencontrèrent ne furent résolues que bien
plus tard. La stabilité des avions, par exemple, ne fut théorisée qu’en 1925 par Louis Bréguet alors que
les avions volaient depuis pas mal d’années.
Et puis finalement, avec son plan canard et sa construction en matériaux composite, le Flyer
était conceptuellement plus proche du Grumman X-29 des années 80 que du « Vieux Charles » de
Guynemer !
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