conf 2009.12.10 bien vivre sa bipolarité Corrigée dr hantouche
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conf 2009.12.10 bien vivre sa bipolarité Corrigée dr hantouche
Conférence Argos 2001 du 10/12/2009 au FIAP (30 rue Cabanis - 75014 Paris) BIEN VIVRE SA BIPOLARITE Dr Elie HANTOUCHE Centre des Troubles Anxieux et de l’Humeur 117 rue de Rennes, 75006 Paris Avec la participation de Caline Majdalani et Vincent Trybou, psychologues, psychothérapeutes au CTAH. « Bien vivre sa bipolarité » est un sujet important, mais il importe de préciser dès le début qu’il n’y a pas de « recette » toute faite pour bien vivre cette maladie. La première question à se poser est de savoir l’importance du titre « vivre sa bipolarité » : Vivre sa Bipolarité C’est un trouble Récurrent Chronique Débute tôt dans la vie Comorbide (avec d’autres troubles) Handicap social / professionnel Mal diagnostiqué (faible dépistage) Souvent traité de manière inadéquate C’est une maladie qui commence tôt dans la vie, qui est récurrente (s’apaise et revient), chronique (même entre les épisodes, il y a souvent des troubles résiduels) et comorbide : généralement on n’est pas seulement bipolaire : abus de substances, troubles anxieux, attaques de panique, TOC, boulimie, autres troubles impulsifs… sont souvent associés à la bipolarité. C’est une maladie qui, si elle a des points positifs, est source de handicap. Sur une longue période de suivi, 1/3 des bipolaires de type I fonctionnent bien et 2/3 ont un handicap social et professionnel. En France, actuellement, le handicap psychique est officialisé et beaucoup de travailleurs relèvent des MDPH (Maisons Départementales des Personnes Handicapées). 1 Le drame de cette maladie est qu’elle est souvent mal diagnostiquée et traitée ; ce qui ajoute à la vulnérabilité de base une autre vulnérabilité acquise du fait de la répétition des épisodes et des complications secondaires à une bipolarité mal stabilisée. Facteurs génétiques Vulnérabilité neurobiologique Sexe Tempérament Evénements de vie stressants Rupture des rythmes de vie Premiers épisodes bipolaires Répétition des épisodes Vulnérabilité acquise Séquelles, complications, perte d’emploi, isolement… Deux mythes illustrent ce que devrait être la règle de vie en matière de bipolarité. Les bipolaires sont soit des Icares, soit des Sisyphes : Sisyphe ayant osé défier les dieux (les bipolaires défient beaucoup de choses : les règles, les parents, les professeurs quand ils sont jeunes, puis la hiérarchie…) est condamné à pousser un rocher en haut d’une montagne. A chaque fois, le rocher tombe avant le sommet et Sisyphe doit recommencer. Albert Camus s’est servi de ce mythe pour aborder le thème du bonheur : « Il faut imaginer Sisyphe heureux ». La vie, qu’on soit malade ou non n’est que répétition. « Sisyphe trouve son bonheur dans l’accomplissement de la tâche et non dans sa signification… Chacun des grains de cette pierre, chaque éclat minéral de cette montagne, à lui seul, forme un monde. La lutte elle-même vers le sommet suffit à remplir le cœur d’homme. Il faut donc imaginer Sisyphe heureux » Le bonheur du bipolaire revient à vivre sa vie tout en étant conscient de sa nature, la conscience permet de maîtriser davantage sa propre existence… 2 La bipolarité nous pousse à connaître des sommets dont il faut profiter, des cycles qu’il faut accepter (apprendre à autogérer) en étant conscient de sa nature càd savoir que même si on a une maladie ou un tempérament bipolaire, on est avant tout une personne. La maladie ne nous définit pas, mais c’est une opportunité pour mieux se comprendre soi-même. Dans les phases hypomaniaques ou dépressives, il est important de connaitre sa vraie nature et, pour faire la part, entre celle-ci et la bipolarité, il faut connaitre la maladie. Un bipolaire, quand il est heureux ou triste, se pose des questions : est-il lui-même ou en état bipolaire ? La conscience permet de maitriser sa propre existence. Icare et son père, Dédale, ont aidé des prisonniers à s’enfuir d’un labyrinthe construit par ce dernier. Quand le roi s’en est rendu compte, il les emprisonne tous deux dans le même labyrinthe. Pour s’en échapper, Dédale construit alors des ailes en cire et explique à son fils qu’il faut voler à « une hauteur moyenne » entre la mer et le soleil. "Je te préviens, Icare, il faut mener ta course à une hauteur moyenne. Vole entre les deux. » (le père d’Icare, Dédale) La tentative insensée d'Icare est restée proverbiale pour la nervosité à son plus haut degré, pour une forme de maladie de l'esprit : la folie des grandeurs, la mégalomanie. Icare est le symbole de la démesure, de la Manie (Hypo)… Trop haut, le soleil brûle les ailes : manie ou hypomanie, folie des grandeurs, mégalomanie. Trop bas, Icare risque d’être pris par l’eau ou la terre. Bien vivre sa bipolarité, c’est appliquer le conseil de Dédale : « savoir voler à hauteur moyenne ». Avant de parler de ces hauts et bas, voyons quels sont les éléments de pronostic. Tous les bipolaires se ressemblent-ils ? Est-ce qu’il y a un seul ou plusieurs troubles bipolaires ? Parfois les troublent commencent très tôt : maintenant des parents viennent consulter pour un enfant de 4 ou 5 ans. Les épisodes peuvent être soit purs soit mixtes, (ces derniers étant plus compliquer à soigner), plus ou moins fréquents. Ce n’est pas la même chose, que d’avoir un épisode tous les 5 ans ou 4 épisodes ou plus par an (cycles rapides). Il faut également tenir compte de l’abus de substance, du tempérament 3 Bipolarité : Éléments de pronostic Age de début précoce Nature des épisodes (purs / mixtes) Fréquence des épisodes (cycles rapides) Inter-épisode (troubles résiduels) Co-morbidité (abus de substance) Tempérament (stable / instable complexe) Traumatismes dans l’enfance (physiques / sexuels) Handicap social / professionnel qui, peut être stable ou instable – L’instabilité dans le tempérament de base est capable de compliquer la présentation clinique et l’évolution au long cours. De même, l’existence de traumatismes pendant l’enfance entraine une évolution plus complexe. Le cumul de ces facteurs fait que la maladie entraîne un handicap social ou professionnel : Au CTAH, on distingue 2 types de bipolaires : Les bipolaires classiques qui sont stables entre les épisodes et font des crises maniaques typiques suivies de dépressions avant un retour à l’euthymie (état normal) et les personnes qui sont tout le temps en instabilité, même entre les épisodes et pour lesquelles le cycle est inversé : dépression se finissant par une hypomanie : Dichotomie intra-bipolaire Episodes (hypo)maniaques Tempérament stable Hyperthymique Intervalles libres Episodes dépressifs majeurs Tempérament instable Cyclothymique Episodes hypomaniaques Episodes dépressifs majeurs 4 De quoi a-t-on besoin pour bien vivre sa bipolarité ? Comme pour préparer un bon plat, on a besoin de beaucoup de bons ingrédients : un bon diagnostic (parfois il faut 15 ans pour l’obtenir), un bon traitement (là encore, cela peut être difficile à mettre au point ; nous y reviendrons), un bon psy (qu’est ce qu’un bon psy ?), une bonne hygiène de vie et un bon contexte social et familial : Besoins : « beaucoup de bonnes choses » Bon diagnostic Bon traitement Bon psychiatre Bonne hygiène de vie Bon contexte : soutien familial travail compagnon … Une série de questions permet de s’interroger sur la qualité de la prise en charge : Questions autour de la BP et son traitement Est-ce qu’on a pris la peine de vous expliquer votre BP ? Avez-vous pris le temps nécessaire pour connaître et comprendre votre BP ? Est-ce que vous vous sentez compris par votre entourage ? Psychiatre ? Peurs du terme « Bipolaire » ? Faites-vous confiance à votre psychiatre ? Toujours peurs des médicaments ? … 5 Qu’est ce qu’un bon traitement : Bon traitement : un art basé sur la science et l’expérience Comme un « bon plat » Cible l’essentiel de votre BP Soigne un pôle sans aggraver ou induire l’autre pôles Simple et transparent (rien n’est caché) Facilite votre propre gestion de la BP Bien toléré Protège au long cours contre les récidives, le suicide, la démence… … Le traitement doit idéalement faciliter la tâche de la personne bipolaire dans la gestion de sa maladie. En respectant la loi d’Hippocrate, on accepte le fait que c’est la nature qui guérit, alors que pour Galien, c’est la nature elle-même qui est responsable des maladies et qu’il faut combattre : Hippocrate, le plus célèbre médecin grec, vécut 500 ans avant J.-C. On le surnomme « le père de la médecine ». On lui attribue de nombreux traités médicaux sur les maladies et la théorie reposant sur les quatre humeurs. Galien, grand médecin grec, naquit vers 130 après J.-C. Il a rédigé plusieurs centaines de traités consacrés à l'anatomie, à la physiologie humaine et aux maladies. Il s'est inspiré de principes généraux du philosophe Aristote, reconnu pour ses études sur la nature et la vie. 6 Traitement de la Bipolarité : Hippocrate versus Galien Selon Hippocrate, c’est la nature qui guérit et le rôle du médecin est de favoriser la tâche de la nature : règles de diète, exercices, style de vie, vin (avec modération !) . Selon Galien, c’est la nature qui est la source des maladies et le rôle du médecin est de combattre cette nature pathologique. En l’absence d’une bonne connaissance de la bipolarité, les médecins seront forcément des « galienistes » : ils traitent tout en prescrivant un médicament pour chaque symptôme, sans effort de synthèse, sans faire confiance à ce qui relève du malade ou de son environnement. Le drame c’est l’usage excessif et systématique d’antidépresseurs face à chaque épisode dépressif ! En revanche, le traitement doit cibler l’essentiel de la bipolarité, à savoir prescrire un stabilisateur de l’humeur et faire l’économie des autres psychotropes. En même temps, on essaie de renforcer la nature du bipolaire par la psychothérapie, en travaillant sur le style de vie, l’hygiène de vie, le style cognitif, les schémas de vie... Plus on intervient tôt, avant que le malade ait le temps d’induire des complications, plus les chances de trouver un bon traitement (avec une efficacité optimale avec des doses modérées) sont bonnes. En tout état de cause, pour accéder à un bon diagnostic et traitement, mais aussi à un psychiatre de confiance et à une hygiène de vie favorable, il faut accepter sa maladie. C’est tout le problème du déni Accepter sa Bipolarité Bon diagnostic Bon traitement Bon psychiatre Bonne hygiène de vie Bon contexte : soutien familial travail compagnon … Déni de la bipolarité 7 Voyons quelles sont les raisons de ne pas accepter sa bipolarité au travers de témoignages de personnes du public : O. 38 ans a connu ses premiers symptômes dépressifs à l’âge de 20 ans, mais n’a pas accepté la maladie. Pour lui, le problème venait des autres. Dès que ça allait mieux, il jetait les médicaments à la poubelle jusqu’à ce que la maladie se rappelle à lui, de plus en plus durement. Au départ, on lui a dit qu’il s’agissait d’une dépression càd d’une crise à passer. On lui a prescrit des antidépresseurs ce qui revient, pour un bipolaire à mettre de l’huile sur le feu. D’où plusieurs tentatives de suicide et hospitalisations psychiatriques. L’acceptation s’est faite, petit à petit, avec le temps et l’accumulations des difficultés. C. 55 ans souffrait de troubles cyclothymiques càd qu’elle oscillait entre dépression et exaltation mais était dans le déni de ses troubles dépressifs, se refusait à consulter après avoir été confrontée de par son métier d’infirmière à la pratique des électrochocs (+ poids de l’éducation niant les phénomènes dépressifs). Elle a également connu une erreur de diagnostic : fut traitée pour dépression avec prescription d’AD avant de recevoir le diagnostic de bipolarité. Ainsi il peut y avoir un retard dans la prise en charge par peur des traitements constatés soit dans sa pratique professionnelle, soit dans les médias (cf le film « Vol au dessus d’un nid de coucou »), soit dans son entourage familial : électrochocs, hospitalisations, traitement à vie, effets secondaires comme la prise de poids, les tremblements, la sédation… Le traitement fait parfois plus peur que la maladie (même si ce n’est pas évident de s’identifier à une personnes souffrant de troubles bipolaires, présentée parfois comme psychotique) Comment sait-on, avant de voir un psychiatre, qu’on est bipolaire ? On peut être dans le déni en mettant ses troubles sur le compte de son tempérament. On pense que l’épisode est une accentuation de sa nature et on ne voit pas la maladie. On ne peut pas parler de déni : c’est une tentative de s’en sortir tout seul. Il est préférable que ce type de malade, pendant cette période « d’incubation », se gère seul (et se forge une certaine force) plutôt que d’aller consulter des psychiatres qui vont établir un diagnostic erroné, faute d’avoir rechercher l’existence d’hypomanie, et prescrire un mauvais traitement (AD). L’acceptation résulte d’une interaction entre l’évolution de la maladie, la représentation du monde psychiatrique (la maladie, les médecins, les traitements, l’hospitalisation… ) propre à chaque personne et surtout les conditions de dépistage et de l’annonce du diagnostic. Témoignage de J-P proche d’une malade dans le déni qui l’a fait hospitaliser en HDT (hospitalisation à la demande d’un tiers). Quand la malade a arrêté son traitement à la sortie, il a demandé conseil aux soignants. Il lui a été répondu que c’était à la malade de venir et ne sait plus quoi faire. Il est vrai que certains médecins prennent le malade hospitalisé « en otage », ne voulant avoir affaire qu’à lui. Or, pour faire le diagnostic, il faut interroger la famille, car le malade ne se plaint jamais de ses périodes de manie ou hypomanie. De plus, le malade a besoin du soutien de ses proches sinon, il risque d’être isolé socialement (la place de la famille est variable selon les cultures et la conception qu’elles ont de la folie. D’ailleurs avant on employait le terme de manie càd le fait d’être « touché »). M. est la mère d’une jeune fille de 18 ans qui présente des comportements violents envers les autres et envers elle-même, avec des scarifications (le Dr Hantouche explique que c’est un moyen de calmer une souffrance interne, un genre de moduler son humeur par la répétition des blessures infligées sur son corps) et qui rejette violemment l’idée d’être malade. M. se demande comment protéger sa fille. Il faudrait l’amener à consulter (pour cyclothymie, trouble borderline…) en la mettant sur la piste (par exemple en mettant à sa disposition des brochures) ou en étant envoyée par son médecin traitant ou par l’intermédiaire d’une association… 8 Vincent Trybou explique qu’il faut rester dans son rôle d’aimant, de soutien, éviter de toujours parler de maladie et traitement, faire de l’écoute active, proposer au lieu d’imposer pour éviter l’opposition. B. explique avoir été diagnostiquée à l’âge de 36 ans lors d’un « pétage de plomb ». On lui a dit qu’elle était maniaco-dépressive et qu’elle devrait prendre des médicaments toute sa vie. Ce qui a provoqué une réaction de rejet et 5 arrêts de traitements avec rechutes et séjours en maison de repos. Même si la dernière hospitalisation à Ste-Anne a été traumatisante et décisive pour continuer son traitement, elle reste ambivalente. L’annonce du diagnostic de bipolarité, si elle mal faite ou faite de façon blessante ou effrayante peut entrainer un rejet et un refus d’accepter sa propre maladie. Caline Majdalani explique qu’il est difficile d’entendre qu’on a un problème psychiatrique. Surtout qu’en France, on emploie encore souvent le terme de psychose maniaco-dépressive. Se dire qu’on est psychotique est très péjoratif ; ça renvoie à quelqu’un de fou et fait vraiment peur. De plus, on n’explique pas ce terme de PMD (en plus la maladie bipolaire n’est pas une psychose). La fonction principale du déni est de protéger la personne : on préfère ne pas savoir et arrêter le traitement permet d’annuler la maladie. Parfois, un long trajet est nécessaire. Il faut s’en être pris « plein la figure » pour trouver une voie de sortie et revenir au diagnostic. Autres raisons de refuser la maladie bipolaire : Déni / Non Acceptation du diagnostic de Bipolarité Rupture biographique (blocage des projets de vie) Transformation de la personne en « bipolaire » Inaptitude à entrer dans un parcours médical Maladie annoncée comme génétique Gifle à l’estime de soi Peur des traitements relatifs à la BP Peur de ce qu’on vu ou entendu dans les médias Peur de changer (un équilibre est déjà installé avec la BP) Besoin de sa maladie (bénéfices secondaires) … Renoncer aux côtés positifs et agréables de la maladie : Toute maladie est difficile à accepter, mais la bipolarité encore plus. Ce n’est pas seulement renoncer à ses projets de vie mais aussi à ses périodes d’hypomanie où on a été lumineux, productif ; Avec le diagnostic, on perd son identité et on devient « un bipolaire ». Avant, pour expliquer, on disait « c’est moi », surtout pour les cyclothymiques (où l’épisode n’est pas aussi tranché par rapport à la nature du sujet). Après, ça ne relève plus de soi mais de la maladie. Si on se dit « je suis bipolaire » à la place de « j’ai une maladie bipolaire », on peut confondre sa propre personne avec la maladie ; Ainsi, tout son 9 comportement va passer par le prisme de la bipolarité. Ce phénomène risque de bloquer l’acceptation de la maladie. L’inaptitude à entrer dans un parcours médical : la plupart du temps, le diagnostic est annoncé en période de manie (absence d’insight ou de jugement) ou de dépression quand les gestes du quotidien sont déjà trop difficiles. Comment peut-on donc accepter une telle annonce à une phase où est soit en « panne » dépressive ou en « insouciance » maniaque ? Insister trop sur l’origine génétique de la bipolarité peut entrainer un refus d’avoir une maladie considérée comme une « tare ». Or, nié ou pas, le problème existe (comme un diabète) et il vaut mieux avoir une maladie que l’on peut traiter qu’une pathologie sans thérapeutique… Quand on parle de « génétique », il est important de préciser qu’on parle de vulnérabilité ou prédisposition génétique que de la transmission de gènes déficients : on estime que 40 à 50 mutation génétiques seraient impliquées et on est encore loin de tout savoir. Ces mutations peuvent parfois correspondre à des fonctions positives comme la recherche de sensations fortes, l’envie de commander, le besoin de peu dormir… Mais « génétique » signifie aussi dédramatiser et non impliquer systématiquement le rôle des parents ou de l’environnement comme responsables de la bipolarité. Peur de changer : tout système vivant tend à un équilibre (loi Le Chatelier). Si, toute sa vie durant, on a composé, avec les hypomanies et dépressions, l’annonce du diagnostic peut signifier que tout est à jeter (le vécu, les défenses et stratégies) et qu’il faut recommencer à zéro. Avec le lithium, par exemple, il faut un an pour retrouver (en douceur) un équilibre. Besoin de sa maladie : certains patients, rares, n’ont aucune estime de soi et préfèrent rester malades pour éviter de se trouver confrontés à leurs inaptitudes. Ils ne se sentent pas capables de (re)travailler, gérer des responsabilités, avoir des amis, des enfants… Etre malade permettrait d’être protégé, chouchouté. Il peut s’agir d’un mécanisme plus ou moins conscient. On peut ajouter que tous les bipolaires, de par leur parcours, ont un problème d’estime de soi. Ils ont vu leurs schémas de vie, leurs faiblesses activés par la maladie. Certains malades bien soignés étaient mieux avant. Il vaut mieux les soigner à moitié et éviter de les déstabiliser avec un traitement parfait : le traitement doit avant tout répondre aux besoins du malade, coller à sa vie. Ainsi, l’annonce de la maladie doit être faite comme une ouverture et non comme une étiquette ou un stigma. Cela doit être une piste vers un bon traitement. Il y a un art de poser les questions et retirer l’information en respectant la personne (éviter le questionnement péjoratif, s’apparentant à une enquête policière) permettant au malade de se sentir bien après un bilan. Généralement, les personnes éprouvent du soulagement à l’énoncé du diagnostic car on leur offre un cadre à leur trouble, une explication à leurs souffrances (« le puzzle devient plus clair »). A, 46 ans déplore la dimension génétique de la maladie. A part les chercheurs, ce problème de la transmission éventuelle de la maladie intéresse les futures mères. Mais statistiquement le risque d’avoir un enfant bipolaire quand on est soi-même bipolaire reste limité et les mesures de prévention, gestion émotionnelle, hygiène de vie peuvent s’apprendre dès l’enfance. Peut-être vaut-il mieux que la maladie ait une dimension génétique, càd repose sur des dysfonctionnements de la chimie du cerveau plutôt que d’être entièrement liée à la personnalité, à la volonté. Cela dit, le déni n’est pas toujours négatif. C’est un phénomène naturel de ne pas tout accepter, d’occulter les problèmes, le stress… Si on se dit à chaque instant qu’on est bipolaire, qu’on est malade, on ne fait plus rien, on n’avance plus (voir on se 10 suicide). Il faut avoir conscience de son état, faire avec et même savoir prendre le positif, profiter de la vie : le déni ponctuel est salvateur. Il ne peut pas y avoir d’acceptation parfaite de la maladie car l’homme est un être humain : la maladie s’apparente à une greffe d’organe : lutte, rejet, acceptation partielle (traitement plus ou moins suivi), bénéfice : chaque maladie a une fonction et il faut lui donner une place. Plus on accepte que l’on est fragile, plus on est fort car l’homme est par nature imparfait. Nier la maladie c’est refuser ses faiblesses. Dans cette optique, le traitement doit être adapté, tenir compte des projets pour éviter le chaos. A quoi sert la maladie ? Nous avons vu qu’elle constituait un statut, une explication : la personne bipolaire n’est ni normale, ni perverse, ni psychotique ou anxieuse ou souffrant de TOC ou autre. Au-delà, on peut se demander si on n’aime ou pas sa bipolarité, faire un bilan de sa maladie, avec d’un côté ce que l’on aime et, de l’autre côté, ce que l’on n’aime pas. Dans ma Bipolarité J’aime - Je n’aime pas - Témoignage de S, 51 ans, qui souffre d’un état dépressif quasi permanent et de périodes de dépression plus profondes. Elle déteste, dans sa maladie, ces périodes de « trous noirs » et apprécie les quelques jours où elle est « en forme » : a de nouveau des envies :achat, voyage… (hypomanie peu perceptible qui lui a permis de faire son auto-diagnostic ; elle ne s’est jamais plainte de ces moments « de forme » auprès des psychiatres, lesquels ne l’ont pas interrogée non plus). Le Dr Hantouche explique qu’elle est vraisemblablement de « type III » càd qu’elle connait des dépressions récurrentes avec des hypomanies sporadiques sans risque, mais qui sont considérées comme un début de guérison et non comme indice de bipolarité atténuée. D, 64 ans, (diagnostiqué il y a un an) a un tempérament hyperthymique avec des hypomanies pures. Il nous parle du côté positif de la bipolarité : être enjoué, décontracté, entreprenant (se fixer des paris à soimême). Il est toujours en pleine forme, dort très peu. Par contre, si on aime son côté généreux, gentil, on lui reproche de se servir de sa maladie, d’être manipulateur, égoïste, narcissique. Même si le diagnostic a été difficile (la prescription d’AD l’a rendu agressif), il accepte aujourd’hui sa bipolarité car elle lui fournit une explication de ce qu’a été sa vie et souhaite mieux vivre avec, notamment améliorer les relations. Selon Hantouche, on estime que 3% de la population, essentiellement des hommes, a une hypomanie pure permanente, ce qui n’est pas forcément une maladie : ces personnes sont des leaders, chefs d’entreprise… et ont des revenus supérieurs à la moyenne. Ces personnes ne vont consulter qu’en cas de dépression qui survient tard dans la vie, après la cinquantaine. 11 La compagne d’O. apprécie chez lui son originalité, ses « idées de génie », sa qualité d’écoute (venant du fait qu’il a beaucoup souffert) et sa tendresse. Elle regrette son imprévisibilité, son caractère changeant d’un jour à l’autre, rendant difficile les projets ou le soutien (les cycles sont extrêmement variables : période de plusieurs mois ou plusieurs changements par jour). Ainsi le tableau suivant est équilibré : il n’a pas que du mauvais chez les bipolaires. Ils sont à la fois anges et démons : Dans ma Bipolarité J’aime Je n’aime pas Les « Hauts » (hypo)maniaques Les « Bas » dépressifs Côté « Soleil » de mes (hypo)manies Côté « Sombre » de mes (hypo)manies Ma nature sensible, intense, riche, hyperactive, empathique Ma nature instable, impulsive, sensibilité au rejet, peu de confiance en moi Avantages: originalité, indépendance, audace, énergie excessive, attirance par la complexité, sens artistique, ouverture aux autres, intelligence intuitive… Inconvénients: non respect des lois et règles, dépassement des limites, défiance de l’autorité, désorganisation, procrastination, négligence des détails… Conséquences positives: succès, richesse, pouvoir, bonheur, créativité exacerbée, célébrité… Conséquences négatives: échec, ruine, misère, scandales, hospitalisations, suicide, abus de substance, addictions… Attributs agréables: génial, brillant, talentueux, généreux, attachant, affectif, angélique, drôle, sympathique… Attributs péjoratifs: raté, étourdi, « tête en l’air », égoïste, narcissique, hystérique, manipulateur, diabolique, odieux, ombrageux Tout le monde aime le côté positif de l’hypomanie, à la différence de son côté sombre caractérisée par l’irritabilité, prise de risques (sida…), l’hyperactivité sexuelle que l’on retrouve dans les états mixtes. Les bipolaires sont généralement séducteurs, attachants, aimés (mariés parfois plusieurs fois - la psychoéducation peut être utile pour prévenir les problèmes de couple). D, 70 ans n’aime pas avoir un traitement à vie et voudrait savoir dans quelles conditions diminuer ou arrêter son traitement. Cela dépend de l’histoire du patient, de son tempérament, des sources de stress. En l’absence d’argument pour arrêter un traitement par exemple en cas de projet de grossesse, d’incompatibilité avec un traitement vital, d’effets adverses, la règle est de poursuivre un traitement qui marche et dont la cible prédéfinie est d’éviter les rechutes. Seul le lithium a bénéficié d’une étude au long cours montrant qu’un arrêt prolongé après plusieurs années de traitement entrainait un risque important de rechute (et d’une augmentation du suicide si l’arrêt est brutal). Beaucoup de bipolaires se plaignent des effets secondaires des traitements : prise de poids, baisse de la libido (AD surtout), fatigue, sédation… J. déplore le caractère sourd de la maladie, la prise de risque, l’engagement excessif retrouvés dans l’hypomanie. Cela peut entrainer des conséquences qu’il faut payer toute sa vie (séquelles d’un accident par exemple) mais aussi des choses positives : beaucoup d’inventeurs, créatifs, artistes sont bipolaire. Il existe une théorie selon laquelle les fondateurs des USA étaient en grande partie des bipolaires de type II : 12 le créateur de Wall Street, le père du génome humain, Craig Venter, le producteur hollywoodien David O. Selznick, 5 présidents (Lincoln…). S, 35 ans, diagnostiquée il y a une dizaine d’année, pense que sa maladie favorise son côté artiste. L’hypomanie est propice à la production et la dépression permet un ressentir plus fort et peut être une période d’incubation des œuvres que ce soit dans le domaine de l’écriture, musique, peinture, sculpture, théâtre… Savoir en profiter c’est bien vivre avec sa maladie. De même, cette hypersensibilité peut favoriser les activités où on s’occupe des autres. Les liens avec la créativité ont été bien détaillés dans le livre « La cyclothymie pour le pire et pour le meilleur » Au-delà de ces points positifs, la bipolarité peut être source de handicap, rendant difficile une activité professionnelle. N. s’était vue proposer un départ négocié avant d’obtenir un maintien dans l’emploi grâce à son statut de travailleur handicapé (la notion de handicap psychique ayant été reconnu par une loi de 2005). Ce fut une démarche difficile mais qu’elle ne regrette pas : elle bénéficie d’aménagements de poste (protégée du stress) et peut venir travailler même quand elle ne va pas bien. Depuis, elle fait partie d’une association qui milite auprès des dirigeants d’entreprise pour l’intégration des travailleurs handicapés. Il est important que les bipolaires puissent rester dans leur entreprise en bénéficiant d’adaptation de poste (stress, horaires…), cela peut être un plus pour l’entreprise comme pour la personne bipolaire : continuer à travailler est un élément de stabilité important. C’est ce que nous explique G, 76 ans, qui a souffert de dépressions récurrentes depuis l’âge de 45 ans. Très aidé par ses collaborateurs conscients de ses variations d’activité, il a toujours travaillé sans jamais être arrêté. Son travail lui a même permis de canaliser l’excitation en période de manie, chose qui n’est plus possible avec la retraite d’où des problèmes conjugaux et familiaux. C’est en s’inspirant de ce genre de personne ou de bipolaires non traités qui s’ont arrivés à maitriser leurs troubles, que sont écrits des ouvrages d’autogestion (prochainement « j’apprends à gérer ma cyclothymie » par Hantouche, Majdalani et Blain, Ed J.Lyon – sortie le 16 Février 2010) : 13 En agissant sur les paramètres de discipline et hygiène de vie (la régularité des horaires, la pratique sportive, la consommation de tabac, alcool, drogues…), on peut arriver à diminuer de moitié le handicap lié à la maladie. On peut également développer les facteurs de protection tels que « l’esprit positif », le soutien social, la spiritualité et tout ce qui permet de mieux contrôler sa vie : le sentiment d’indépendance, la connaissance optimale du trouble, la rigueur, les principes... Il s’agit d’une conception large de la psychiatrie qui ne se limite pas à réduire les symptômes d’une maladie mais à apprendre à vivre avec en harmonie (entre son tempérament et son monde). Questionnaire : Stratégies de faire face Comment faites-vous d’habitude pour faire face à la cyclothymie, à ses épisodes ainsi qu’aux difficultés et problèmes de la vie de tous les jours ? Pour vous aider à répondre de manière plus structurée, remplissez le questionnaire ci-dessous en attribuant à chaque item une note entre 1 et 5 1 : pas du tout d’accord 2 : pas d’accord 3 : neutre 4 : d’accord 5 : tout à fait d’accord Discipline et hygiène de vie Je suis en général assez discipliné(e) Je ne prends pas de drogues et je bois rarement Je ne fume pas Je déjeune à des heures fixes et mes repas sont en général équilibrés Je pratique un sport ou j'en ai pratiqué pendant de longues périodes Je me couche et je me réveille en général à des heures fixes 14 Je suis une personne prudente Esprit positif J’ai une certaine confiance en moi-même Je suis plutôt optimiste malgré les coups durs Je pense être courageux(se) ou résilient(e) J'adhère à une philosophie, une idéologie politique ou des croyances religieuses J'ai un esprit critique Je suis parfois un peu arrogant(e) ou orgueilleux(se) Je me sens responsable de moi-même et d'autres personnes autour de moi Je suis préoccupé(e) par les questions d'écologie et de développement durable Soutien social Je vis avec ma famille ou mon conjoint(e) Je pense avoir beaucoup d'énergie malgré mes phases de tristesse ou de dépression Lorsque je me sens triste ou déprimé(e), j'appelle ou je vois des proches J'ai de vrai(e)s ami(e)s en qui j'ai une totale confiance Lorsque je me sens triste ou déprimé(e), je prends sur moi en attendant que cela passe Spiritualité Je suis satisfait de l’aspect spirituel de ma vie J’exprime ma spiritualité comme je veux Je pratique ma spiritualité comme je veux Je sens que ma vie a un sens et un but J’ai gardé l’habitude d’exprimer ma vie spirituelle Stigmatisation (malgré ma maladie) Je me suis senti respecté(e) Je me sens accepté(e) par les autres Je suis traité(e) avec correction Je me sens aussi valable que les autres Je ne sens pas être stigmatisé(e) Je me sens capable d’affronter la stigmatisation Psychoéducation J'ai beaucoup lu sur la cyclothymie et la bipolarité Je connais les symptômes et les épisodes de la cyclothymie Je pense être une personne qui lit beaucoup Je pense que la cyclothymie a des côtés positifs Indépendance Je vis de manière indépendante J’ai un sentiment profond et constant de liberté Je me sens en sécurité chez moi Je me déplace en liberté (en voiture, avec les transports publics) Je ressens de manière constante ce que je suis J’ai les idées claires de ce que je veux et de ce que je ne veux pas Je n’ai pas de difficultés à m’occuper de moi Je contrôle ma vie Je sens que les autres m’ont permis(e) d’être indépendant(e) Demande de soins Je n’ai pas tendance à consulter pour de petits « bobos » 15 Je me renseigne au sujet des effets secondaires des médicaments Je prends des médicaments avec beaucoup de prudence en général Je préfère que mon traitement ne se limite pas aux médicaments J’aime m’occuper de ma santé Je souhaite m’en sortir par moi-même (autant que possible) Faites la synthèse en reprenant sur un papier les items dont les scores sont ≤ 2 ; les faibles scores indiquent les points à améliorer pour mieux gérer votre cyclothymie En conclusion, une bonne qualité de vie, pour un bipolaire c’est : Qualité de vie d’un Bipolaire Plus fort que les stigmas Indépendant Spirituel Accepte la nature de son trouble Applique l’autogestion Maintient son identité Lutte contre l’isolement Soutien des proches (précarité, finances…) Fait avec son handicap 16