Évolution des perspectives sur les services de garde à l`enfance : d
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Évolution des perspectives sur les services de garde à l`enfance : d
VOLUME 2, HIVER 2006 Évolution des perspectives sur les services de garde à l’enfance : d’un modèle axé sur les femmes à un modèle centré sur la famille Akua Schatz et Betsy Mann Résumé La question des services de garde a été classée au Canada comme un sujet qui concerne les femmes, en grande partie en raison du lien établi dans le passé par le mouvement des femmes entre la participation des femmes au marché du travail et la disponibilité des services de garde. Depuis cette époque, les conditions d’emploi des femmes et leurs attentes en matière d’emploi ont changé, tout comme les rôles joués par chacun des sexes à la maison. Les parents, les pères comme les mères, expriment le désir de passer plus de temps avec leurs jeunes enfants. Ils demeurent les personnes ayant la plus grande influence sur la vie de leurs enfants. En outre, des études ont mis en lumière de nouvelles données quant aux conditions optimales au développement des enfants. Elles ont démontré que des expériences de grande qualité à l’extérieur de la maison peuvent influer grandement sur l’avenir des enfants. Compte tenu de tous ces facteurs, il est temps de considérer la garde et l’éducation de la petite enfance en fonction d’un cadre centré sur la famille, qui se concentre de façon holistique sur les besoins et les aspirations des pères, des mères, de leurs enfants et de la famille dans son ensemble. Les familles doivent disposer d’un éventail d’options et de formes de soutien dans leur milieu de travail, dans leur quartier et dans la société en général afin qu’ils puissent favoriser la croissance et le développement de leurs enfants. Des services de garde de grande qualité représentent pour les parents de jeunes enfants une composante essentielle de cet éventail, un des éléments parmi la gamme d’appuis que les familles canadiennes demandent et méritent. E n février 2005, le gouvernement canadien s’est engagé à consacrer 5,5 milliards de dollars à la création d’un système national de garde et d’éducation de la petite enfance. Le point de vue que nous adoptons pour discuter de « la garde et l’éducation de la petite enfance » influencera la façon dont cet argent sera réparti. Pour atteindre sa pleine efficacité, le modèle ne doit plus être axé uniquement sur les femmes. Il doit plutôt être centré sur la famille. Un tel changement de perspective amène les discussions relatives à la garde et l’éducation de la petite enfance sur un terrain qui tient compte des changements sociaux touchant aux rôles des sexes ainsi que des connaissances scientifiques sur les conditions optimales pour favoriser le développement des enfants. Il élargit également FRP CANADA 17 ÉVOLUTION DES PERSPECTIVES SUR LES SERVICES DE GARDE À L’ENFANCE les horizons quant aux choix disponibles pour soutenir les parents tandis qu’ils élèvent leurs enfants. qui alimentent leur croissance affective, stimulent leurs capacités intellectuelles et leur fournissent des occasions de développer leurs aptitudes sociales. Jusqu’à maintenant, les services de garde à la petite enfance ont été classés comme une question qui concerne les femmes, principalement pour des motifs enracinés dans le mouvement des femmes au Canada, surtout pendant les années 60 et 70. À l’époque, la promotion des services de garde s’inscrivait dans le contexte de l’égalité des chances d’accès des femmes au marché du travail. Trop souvent, le Depuis, les contextes familiaux ont changé, tout comme les attentes à la fois personnelles et professionnelles des femmes. Au moment où les décisions sont prises quant à la façon dont les nouveaux fonds fédéraux seront dépensés, il faut que l’on tienne compte de ces changements dans la façon dont le travail et la famille sont structurés. Il est également essentiel de prendre en compte les préférences exprimées par les parents canadiens, tant les hommes que les femmes, lesquels déclarent que si ce n’était des contraintes financières, ils préféreraient passer plus de temps avec leurs enfants et moins de temps au travail. (Bibby, 2004). Il est temps de considérer la garde et l’éducation de la petite enfance en fonction d’un cadre centré sur la famille, qui se concentre de façon holistique sur les besoins et les aspirations des pères, des mères, de leurs enfants et de la famille dans son ensemble. Les parents demeurent les personnes ayant la plus grande influence sur la vie de débat sur « les leurs enfants. Les familles doivent services à la petite enfance » utilise la disposer d’un éventail d’options et formes de soutien dans leur mirecherche soit pour les appuyer ou les de lieu de travail, dans leur quartier et dans la société en général afin qu’ils rejeter. Nous espérons être au-dessus puissent favoriser la croissance et le d’arguments aussi simplistes. Ces développement de leurs enfants. Des services de garde de grande études nous rappellent que le qualité représentent pour les pardéveloppement d’un système de ents de jeunes enfants une composante essentielle de cet services intégrés à la petite enfance éventail, un des éléments de la gamme d’appuis que les familles doit inclure des politiques familiales canadiennes demandent et et des politiques d’emploi. Loin de méritent. suggérer qu’il faille abandonner le développement d’un système de services aux jeunes enfants, elles aident à le développer à partir des meilleures connaissances actuelles pour soutenir un sain développement des enfants. Contexte historique de la garde à l’enfance en tant que question qui concerne les femmes La garde à l’enfance a été établie Enfin, la recherche sur le au Canada à titre de service pour développement de l’enfant a jeté attirer les femmes sur le marché du un éclairage nouveau sur les travail (Doherty, Friendly, Beach, premières années en tant que 2003). Bien que certaines personnes période où la qualité des Sandra Griffin, [ancienne] directrice générale de la Fédération (des femmes pour la plupart) expériences des enfants peut canadienne des services de garde à l’enfance, et Richard E. prônaient déjà la création de miTremblay, directeur du CEDJE dans le Bulletin du Centre influer énormément sur le restant d’excellence pour le développement des jeunes enfants, volume 3, lieux de garde à l’enfance pendant de leur vie. Les enfants vivent leurs no. 1, mars 2004. la première moitié du XXe siècle, premières expériences, qui sont c’est au cours des années 60 et 70 aussi les plus importantes, au sein que des militantes faisant partie du de leur famille; c’est dans la famille que l’éducation de la mouvement des femmes ont fait progresser la lutte pour des petite enfance commence et c’est là que son impact est le plus services de garde universellement accessibles au Canada. grand. Les campagnes de sensibilisation du public ont renseigné En 1970, la Commission royale d’enquête sur la situation de les parents sur les effets potentiels de tout ce qui se déroule au la femme a déterminé que les services de garde étaient cours des premières années de vie d’un enfant. De nos jours, essentiels à l’égalité des femmes et a recommandé que le quand les parents cherchent des services de garde, ils ne gouvernement crée un programme national et universel de cherchent pas seulement un endroit où leurs enfants seront garde à l’enfance. La Commission royale d’enquête de 1984 actifs et en sécurité pendant qu’ils sont au travail. Ils veulent sur l’égalité en matière d’emploi est revenue à la charge, s’assurer que leurs jeunes enfants évoluent dans des milieux 18 VOLUME 2, HIVER 2006 soulignant que « la création de services de garde est une voie d’accès essentielle à l’égalité des mères de famille sur le marché du travail ». (Abella, 1984) Le principe féministe voulant que « le privé est politique »1 a forcé les gens à constater que si on voulait changer la vie des femmes, il faudrait que les structures sociales restreignant les choix des femmes changent elles aussi. (Adamson, Briskin, McPhail, 1988). Les services de garde se trouvaient aux premières loges en tant que changement structurel essentiel qui faciliterait l’atteinte de l’égalité des femmes sur le marché du travail. Les féministes ont joué un rôle déterminant pour pousser les politiciens et le public à admettre l’impact du sexe d’une personne sur les domaines de la famille, du travail et du bien-être social. Elles ont aussi souligné l’importance de tenir un dialogue sur les conditions de vie de la femme et sur l’interaction entre le travail et la maternité. Dans les années 50 et 60, la réalité quotidienne des femmes canadiennes était considérablement différente de celle des femmes d’aujourd’hui. On dissuadait généralement les femmes de poursuivre une carrière. En 1969, seulement 19 % des femmes mariées âgées de 25 à 54 ans étaient sur le marché du travail (Bédard et Grignon, 2000) et les choix de carrière des quelques femmes qui travaillaient étaient limités. Les principaux emplois occupés par les femmes en 1961 étaient ceux de sténographe, de dactylo ou de commis-dactylo. En fait, les femmes comptaient alors pour plus de 95 % des employés de bureau (Mandell, 2001). Au surplus, il était fréquent qu’une femme soit payée moins qu’un homme pour exécuter le même travail. Cette pratique reposait sur la présomption que l’homme était le soutien de famille et que la femme ne rapportait qu’un revenu d’appoint. Le tracé de vie typique d’une femme consistait à travailler après avoir terminé ses études, à se marier à un jeune âge2 et à abandonner son emploi après son mariage ou lors de la naissance de son premier enfant. Les femmes qui occupaient certains postes devaient immédiatement démissionner dès qu’elles tombaient enceintes. Les femmes ne pouvaient s’attendre à ce que leur emploi soit gardé jusqu’à ce qu’elles décident de retourner au travail. Et si une femme décidait effectivement de retourner au travail, elle attendait souvent que son plus jeune ait commencé l’école, ou plus tard. Dans ce contexte, les services de garde étaient perçus comme un moyen d’accorder aux femmes la liberté de choisir si elles voulaient travailler à l’extérieur du foyer, qu’elles aient des enfants ou non. À l’époque, le point de vue dominant sur le rôle de l’homme et de la femme plaçait sur les épaules de la mère le fardeau de résoudre tout conflit travail-famille. Les tâches ménagères et le soin des enfants faisaient clairement partie des choses dont les femmes étaient censées s’occuper. Si elles ne restaient pas à la maison pour prendre soin de leurs enfants, il leur appartenait de trouver une solution de rechange. Pour le mouvement des femmes, il était manifeste qu’il fallait rompre le lien traditionnel unissant les femmes au travail ménager et aux soins des enfants pour que les femmes puissent prendre leur place sur le marché du travail. Par conséquent, le lien entre les services de garde et les possibilités d’emploi des femmes semblait aller de soi. Le contexte n’est plus le même pour les femmes (et les hommes) Le mouvement des femmes a indiscutablement favorisé certains des changements les plus importants dans le paysage social et économique du Canada. En moins d’un demi-siècle, il a radicalement transformé la vie publique et privée des femmes. La pression exercée par le mouvement des femmes a entraîné des modifications législatives, telles que l’égalité du salaire minimum pour les femmes et les hommes, des modifications à la Loi sur l’assurance-emploi afin de prévoir les congés de maternité et des modifications au Code canadien du travail afin d’interdire le congédiement et le licenciement pour des motifs de grossesse. La lutte pour l’égalité entre les sexes a été enchâssée dans la Charte canadienne des droits et libertés, laquelle garantit à tous les mêmes droits, la même protection et les mêmes avantages devant la loi, sans discrimination fondée sur le sexe. De nos jours, les femmes nées dans les années 70 et 80 vivent une réalité bien différente de celle de leurs mères. Elles ont grandi à une époque où les « droits de la femme » et le droit à l’égalité empreignent toutes les facettes de leur vie. Par exemple, les jeunes femmes d’aujourd’hui s’attendent à travailler : 80 % des femmes âgées de 25 à 54 font partie de la population active canadienne; seuls les pays scandinaves dépassent un tel pourcentage. Elles s’attendent aussi à faire des études. Les femmes dans la vingtaine et la trentaine sont les plus instruites de toute l’histoire du Canada. Les femmes présentement inscrites à l’université sont plus nombreuses que les hommes et elles ont fait des avancées majeures dans les domaines de la science, de la politique et du droit (Mandell, 2001). Elles sont aussi plus susceptibles de s’investir dans leurs études et dans l’avancement de leur carrière avant d’avoir des enfants. Les femmes se marient plus tard et attendent avant d’avoir des enfants; l’âge moyen 1 Le féminisme, qui constituait la base idéologique du mouvement des femmes, a osé mettre à nu les aspects politiques et publics de la vie « privée ». Les propos de Charlotte Bunch-Weeks, qui a déclaré qu’« il n’existe aucun aspect de la vie privée d’une personne qui ne soit pas politique et aucune question politique qui ne soit pas en définitive personnelle [traduction] » (Bunch-Weeks, 1970), résument très bien l’orientation spécifique empruntée par l’analyse féministe. 2 Dans les années 60, l’âge moyen des femmes se mariant pour la première fois était de 22,6 ans (Institut Vanier de la famille, 2004). FRP CANADA 19 ÉVOLUTION DES PERSPECTIVES SUR LES SERVICES DE GARDE À L’ENFANCE des femmes se mariant pour la première fois est de 28,2 ans tandis que l’âge moyen des mères d’un premier enfant est de 27,7 ans (Institut Vanier de la famille, 2004). Les jeunes femmes d’aujourd’hui s’attendent également à partager également les responsabilités parentales et professionnelles avec leur partenaire. Les hommes manifestent maintenant un intérêt et une volonté de consacrer du temps à leurs enfants et d’accomplir des tâches ménagères. Toutefois, ces changements d’attitude prennent plus de temps à se traduire par des changements de comportement réels. Les études nationales sur l’emploi du temps montrent que les femmes canadiennes passent plus de temps à cuisiner, à faire le ménage et à s’occuper des enfants que les hommes (Duxbury et Higgins, 2000; Zuzanek, 2000). Les mères monoparentales se chargent forcément de toutes ces tâches toutes seules. La notion de « famille » a également évolué. La société définit maintenant le concept de parent et de famille de nombreuses façons. Même la situation de la famille « traditionnelle », avec un couple marié à sa tête, a changé. Dans la plupart des cas, les deux membres du couple sont sur le marché du travail. Les études actuelles suggèrent que les femmes et les hommes se perçoivent de plus en plus non seulement comme des coparents, mais aussi comme des copourvoyeurs pour leurs enfants. Le partage du travail lié à l’éducation des enfants est devenu un processus plus complexe, caractérisé par l’ambiguïté des rôles, par la négociation du partage des tâches et par un assouplissement dans la façon dont les parents répondent aux impératifs de la vie quotidienne. Le modèle de l’adaptation familiale est souvent utilisé pour décrire ce processus. Ce modèle traite principalement de la façon dont les femmes et les hommes, sans égard à leur statut, à leur orientation et à leur bagage culturel, « concilient les pressions reliées au travail rémunéré et non rémunéré, tout en tentant d’en arriver à une distribution équitable des tâches ». (Daly, 2004) La recherche dans ce domaine fait ressortir la nécessité d’une plus grande flexibilité dans les horaires de travail afin de répondre aux besoins des familles monoparentales et des familles à deux revenus. Le cadre demeure axé sur les femmes Malgré l’évolution du contexte familial, la question des services de garde continue d’être considérée comme un sujet qui concerne les femmes. Par exemple, l’Ontario Federation of Labour [la fédération ontarienne des travailleurs et des travailleuses], en réaction au budget fédéral de 2005, a déclaré : « La mise sur pied d’un système de services de garde adéquat, dès le départ, représente une priorité absolue pour les femmes [traduction] ». De même, la Coalition of Child Care Advocates of BC (CCCABC) [la coalition des défenseurs des services de garde de la Colombie-Britannique] a soumis en octobre 2005 un mémoire au BC Select Standing Committee on Finance [comité permanent des finances de la Colombie-Britannique] au sujet des services de garde, dans lequel elle formule ses principaux arguments en fonction des femmes. Enfin, la prédominance d’un modèle centré sur les femmes se manifeste clairement dans le titre que l’Association pour la promotion des services de garde à l’enfance a donné à son feuillet d’information, « Les services de garde, un enjeu qui concerne les femmes ». Dans ce document, on insiste sur le fait que sans services de garde, les femmes (aucune mention des hommes) ne peuvent pas répondre aux besoins de leurs enfants ni participer pleinement à la vie économique, sociale, politique et culturelle.3 Comme nous l’avons démontré, l’approche centrée sur les femmes adoptée par les défenseurs des services de garde s’explique par les liens établis dans le passé entre les possibilités d’emploi et la maternité. D’autres facteurs perpétuent également ce point de vue, notamment la prépondérance des femmes travaillant dans le secteur des services de garde et l’adhésion continue aux rôles traditionnellement masculins et féminins à la maison et au travail. Il serait naturel qu’un simple observateur qui visite une garderie en vienne à la conclusion que les services de garde intéressent principalement les femmes. Les services de garde ont l’apparence d’un enjeu féminin. La grande majorité des employés et des bénévoles dans ce domaine sont des femmes, et on peut en dire autant des intervenants et des défenseurs. Des estimations récentes visant le secteur des services de garde au Canada établissent que la main-d’œuvre masculine s’y chiffre à moins de 5 % (Becker, 2001 et Institut Vanier de la famille, 2003). Les programmes sociaux sont depuis longtemps surtout l’affaire des femmes. Les femmes ont tendance à se rassembler en vue de cerner les besoins des familles et des communautés et d’organiser à la fois l’entraide informelle et les programmes et services officiels. La plupart des garderies ont été fondées par des femmes, que ce soit par des groupes de mères ou par des femmes agissant de leur propre initiative. Tout comme l’arrivée des femmes dans des professions traditionnellement masculines a influencé des domaines comme le droit et la médecine, un nombre plus grand d’hommes dans le secteur de la garde et l’éducation de la petite enfance aurait des effets importants sur la réalité des enfants. Les études féministes font état d’un autre facteur qui préserve une structure de services de garde à l’enfance centrée sur les femmes, soit la « définition obstinée des territoires selon le sexe » à la maison et au travail, où les activités des hommes sont présentées comme la norme pour le « vrai » travail rémunéré 3 Association pour la promotion des services de garde à l’enfance, Les services de garde, un enjeu qui concerne les femmes, www.childcareadvocacy.ca/resources/ pdf/acpsge_marchefemmes.pdf, consulté le 27 janvier 2006. 20 VOLUME 2, HIVER 2006 et où les activités des femmes sont présentées comme la norme pour les « vraies » pratiques parentales. (Nippert-Eng, 1996 et Daly, 2004). Une structure de services de garde centrée sur les femmes fait des mères les principales consommatrices de ces services et les isole de leur famille dans son ensemble. Une telle structure a tendance à perpétuer l’inégalité entre les sexes en plaçant le contrôle de la question et toute la responsabilité à cet égard entre les mains des femmes. En fait, ce cadre mine le rôle que les hommes devraient jouer, et qu’ils jouent souvent, dans le renforcement de l’unité familiale et le sain développement de leurs enfants. Les espoirs et les rêves des familles Si nous plaçons la garde à l’enfance dans une perspective centrée sur la famille, nous devons en tout premier lieu nous demander ce que les parents canadiens veulent pour leurs enfants. L’Institut Vanier de la famille a inclus des questions à ce propos dans son projet Familles de demain, dont les résultats ont été publiés en 2004 dans un livre portant le titre Un sondage des espoirs et des rêves des Canadiens.4 Une des conclusions les plus frappantes de ce sondage est que 90 % des mères mariées et ayant un emploi et 84 % des pères dans la même situation affirment qu’ils travailleraient à temps partiel et élèveraient leurs enfants s’ils pouvaient se le permettre financièrement. Presque toutes les femmes qui ont un emploi et qui sont divorcées, séparées ou qui cohabitent disent la même chose. À la question « Pensez-vous qu’idéalement, il serait préférable qu’un parent reste à la maison et soit principalement responsable de l’éducation des enfants d’âge préscolaire? », les répondants donnent libre cours à leurs « espoirs et rêves » : neuf personnes sur dix répondent « définitivement » ou « probablement ». Les Canadiens semblent avoir le sentiment que les soins d’un parent sont particulièrement importants pour les jeunes enfants, puisqu’ils sont beaucoup moins nombreux à répondre la même chose lorsque la question vise les enfants fréquentant l’école primaire et les enfants plus âgés. Quant à savoir quel parent devrait rester à la maison dans cette situation « idéale », la réponse est « l’un ou l’autre » chez 85 % des répondants âgés de 18 à 34 ans et chez 73 % des répondants âgés de 35 à 54 ans. Les stéréotypes traditionnels se reflètent dans la réponse des répondants âgés de plus 55 ans qui affirment, dans 51 % des cas, que la mère devrait rester à la maison (Bibby, 2004). Mais en réalité, la plupart des familles qui ont de jeunes enfants ne peuvent pas se permettre financièrement de choisir l’option qu’elles préfèrent. Selon les estimations établies par la section Home Economics (économie familiale) du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation du Manitoba, il faut compter 166 971 $ en moyenne pour élever un garçon jusqu’à l’âge de 18 ans et 400 $ de moins pour élever une fille5. Ces données représentent les coûts directs et ne tiennent pas compte des revenus perdus. Dans la majorité des familles, un seul revenu ne suffit plus pour couvrir les frais liés au fait d’élever des enfants. C’est au milieu des années 70 que les salaires réels ont commencé à stagner et qu’il est devenu difficile de vivre confortablement avec les revenus d’un seul soutien de famille (Wilson, 1996). Au cours des trois dernières décennies, les études ont continué de démontrer aux responsables des politiques publiques que le « travail demeure un impératif économique pour les familles canadiennes puisque le nombre de familles biparentales vivant sous le seuil de la pauvreté augmenterait de 78 % si une seule personne gagnait un revenu. Les familles ayant des dépenses et des salaires types doivent travailler 76,8 semaines par année pour subvenir à leurs besoins, dont 16,1 semaines pour payer leurs impôts et 9,6 semaines pour acheter de la nourriture [traduction] ». (Mandell, 2001) Bien que des facteurs économiques mènent les parents sur le marché du travail, ils sont loin de constituer le seul motif expliquant l’augmentation du nombre de ménages à deux revenus au Canada. Pour de nombreux parents, le travail enrichit leur vie. Les femmes canadiennes (83 %) et les hommes canadiens (91 %) plus jeunes sont plus enclins à considérer que le fait de pouvoir exercer un travail rémunéré est important ou très important pour leur bonheur (Mandell, 2001). Parmi les Canadiens et les Canadiennes de plus de 65 ans, 75 % des hommes, mais seulement 37 % des femmes, sont de cet avis. À l’occasion du projet Familles de demain, 70 % des mères restant à la maison avec leurs enfants ont déclaré qu’elles préféreraient travailler à temps partiel pendant qu’elles élèvent leurs enfants (Bibby, 2004). À cet égard, les données montrent que la relation parent-enfant peut se trouver enrichie lorsque les parents, tant les mères que les pères, occupent un emploi gratifiant. Étant donné que la plupart des familles ne peuvent pas se permettre financièrement de choisir l’option qu’elles privilégient, quelles sont les préférences des parents au travail relativement à la garde de leurs enfants d’âge préscolaire? La très grande majorité des parents préféreraient que leur enfant soit gardé par un membre de la famille, que ce soit un parent, un des grands-parents ou une autre personne apparentée. (Bibby, 2004). Il semble que les parents voient la cellule familiale, élargie s’il le faut, comme le meilleur milieu pour élever de 4 Voir également les tableaux reproduits dans l’article de Reginald Bibby aux pages 5 à 6 de ce journal. 5 www.gov.mb.ca/agriculture/homeec/coc2004/cba28s02.html, consulté le 20 novembre 2005. FRP CANADA 21 ÉVOLUTION DES PERSPECTIVES SUR LES SERVICES DE GARDE À L’ENFANCE jeunes enfants. Parmi les deux autres options les plus souvent mentionnées, la plupart des répondants ont classé les services de garde en milieu familial devant les services de garde en établissement. Développement de l’enfant pendant ses premières années de vie Pendant que la famille continue d’évoluer, de nouvelles connaissances sur l’importance du milieu dans lequel un enfant passe les premières années de sa vie sont mises au jour. Les résultats des recherches menées dans les domaines de la neurobiologie et de la psychologie du développement ainsi que les études longitudinales sur les enfants ont généré des investissements publics plus importants dans les services à l’intention des jeunes enfants ainsi qu’un souci accru à l’égard de la qualité des services de garde. Des études sur le terrain ont malheureusement démontré que l’expansion qu’ont connue les services de garde, qui a permis aux deux parents de joindre le marché du travail, ne crée pas toujours des milieux où les conditions sont optimales au développement des enfants. Notamment, dans le cadre du projet Oui ça me touche!, les chercheurs ont examiné la qualité des services de garde en installation et en milieu familial dans six provinces et un territoire. Le deuxième rapport issu de ce projet révèle que dans la majorité des garderies au Canada on retrouve généralement un milieu de garde où la santé et la sécurité des enfants sont assurées et où les éducatrices sont chaleureuses et sensibles aux besoins des enfants. Les auteures déplorent toutefois qu’environ le tiers seulement de ces garderies procurent aussi aux enfants des expériences qui favorisent et stimulent leur développement social, langagier et cognitif. (Goelman, H., Doherty, G., Lero, D., LaGrange, A. et Tougas, J., 2001) Selon une autre étude similaire menée au Québec de 2000 à 2003, seulement 27 % des milieux de garde offrent aux enfants des soins de bonne, de très bonne ou d’excellente qualité. La majorité des milieux ont été classés comme répondant aux critères de qualité minimale, c’est-àdire que la santé et la sécurité des enfants y sont assurées, mais que la composante éducative y est minimale. Dans un milieu de garde sur huit, la qualité a été jugée inadéquate (Japel, C., Tremblay, R. E. et Côté, S., 2005). Pour remédier à cette situation, les auteurs de l’étude québécoise recommandent d’améliorer les ratios éducatrice/enfants, l’éducation et la formation des éducatrices, le salaire du personnel ainsi que les installations et l’équipement des milieux de garde, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Un fait plus troublant encore qui ressort de cette étude est que les enfants issus de familles défavorisées sont plus susceptibles que les enfants des autres familles de fréquenter des services de garde dont la qualité a été jugée inadéquate. Bien que la politique québécoise d’accès universel à des services de garde abordables s’est traduite par une augmentation du nombre de femmes sur le marché du travail, ces résultats montrent que le programme n’a pas atteint ses objectifs au chapitre du développement de l’enfant et de l’équité sociale visant à donner une chance égale à tous les enfants. Fondées surtout sur les résultats de programmes à l’intention des enfants âgés de deux ans et plus, les études indiquent que tous les enfants ont intérêt à participer à un programme d’éducation de la petite enfance au sein d’un groupe à l’extérieur du foyer avant de commencer l’école (McCain, N. et Mustard, F., 1999). La mesure des résultats à moyen et long terme repose généralement sur des données quantifiables telles que la réussite scolaire, l’historique de travail, l’autonomie financière et l’absence de comportements délinquants. Bien que ces résultats soient manifestement importants, à la fois pour les individus et pour la société, ils ne sont pas les seuls à compter d’un point de vue centré sur la famille. Comme les économistes Gordon Cleveland et Michael Krashinsky le soulignent, « il est important de reconnaître que le développement de l’enfant est un phénomène extrêmement complexe.... En mettant l’emphase sur les types de développement que l’on peut évaluer à l’aide d’une mesure quantitative et qui ont également un impact économique direct et appréciable sur l’avenir de l’enfant, nous dénaturons quelque peu les intentions des défenseurs des services de garde. Des services de garde de qualité visent à développer et à éduquer l’enfant tout entier, et non seulement son côté “économiquement productif” [traduction] ». (p. 21. 1998) Même en termes économiques, ces auteurs concluent : « Pour les enfants de moins de deux ans, les bénéfices nets sont beaucoup moins certains et semblent dépendre, dans une large mesure, de l’enfant et de sa famille [traduction] ». En ce qui concerne la garde des très jeunes enfants, ils favorisent nettement le prolongement du congé parental. Un modèle centré sur la famille En examinant les services de garde du point de vue de la famille, nous tenons compte des besoins du père, de la mère, des enfants et de la famille dans son ensemble. Le point de départ devient la recherche d’un équilibre entre les besoins et les aspirations de tous les membres de la famille : • les deux parents doivent pouvoir tirer un revenu d’un travail qui leur apporte satisfaction 6 Presse canadienne, « More Dads Staying Home with Newborns: StatsCan », 21 mars 2003 [www.ctv.ca/servlet/ArticleNews/story/CTVNews/20030321/ parental_leave_statscan_030321?s_name=&no_ads=z], consulté le 21 novembre 2005. 22 VOLUME 2, HIVER 2006 • les deux parents souhaitent qu’une personne en qui ils ont confiance s’occupe de leurs jeunes enfants • les enfants ont besoin de se développer dans un environnement qui favorise leur croissance physique, cognitive, affective, sociale et spirituelle • la famille doit se former une identité en tant qu’unité Une perspective axée sur la famille met également en lumière la nécessité de s’assurer que les besoins de développement des enfants sont satisfaits par des services de haute qualité. Bien que la qualité des services de garde influe manifestement sur les résultats chez les enfants, les études longitudinales montrent clairement que les parents sont ceux qui ont l’influence la plus grande et la plus durable. Des services de haute qualité doivent être axés à la Une telle perspective élargit fois sur les enfants et sur leur famille. Dr. Fraser Mustard, dans le Bulletin du Centre d’excellence pour le l’éventail des options pour répondre développement des jeunes enfants, volume 3, no. 1, mars 2004. Parmi les autres mesures requises, aux besoins des familles en termes de voici celles auxquelles il faut soutien pour élever leurs enfants. On accorder le plus d’attention : ne peut plus se contenter de définir la question en se limitant à • mettre en valeur les options d’éducation à la petite exiger des services de garde de haute qualité et abordables à enfance centrées sur la famille (par exemple, les organismes de quartier pour les enfants et leurs parents l’extérieur du domicile pour que les mères puissent entrer sur le ou responsables de garde, comme les Centres de la petite marché du travail. Les parents, les hommes comme les femmes, enfance de l’Ontario et les Alberta Parent-Link Centres; jugent que de tels services sont essentiels, mais il est manifeste les organismes communautaires de soutien à la famille que qu’ils ne considèrent pas que ceux-ci constituent la réponse à l’on trouve dans toutes les provinces; les joujouthèques; tout. Une vaste majorité de parents expriment le désir de passer les groupes de jeux; les prématernelles gérées par des plus de temps avec leurs enfants; l’implantation de nouveaux coopératives de parents) milieux de garde n’atténuera pas ce désir. • augmenter le financement versé aux établissements de services de garde, notamment dans le but d’améliorer les L’attitude des parents et leurs réponses aux sondages nous ratios éducatrice/enfants ainsi que les compétences et indiquent des changements aux politiques publiques et à la la rémunération du personnel (soit quelques-uns des structure du marché du travail qui permettraient de mieux principaux facteurs associés à la qualité dans les services satisfaire les besoins des familles. De telles mesures pourraient de garde) viser notamment à : • exploiter le potentiel de soutien à la famille des organismes • encourager les hommes à se prévaloir du congé parental de garde et d’éducation de la petite enfance et offrir un soutien aux familles dans d’autres contextes, afin d’aider (entre 2001, année d’introduction des nouvelles prestations les parents à fournir des soins appropriés à la maison (ce dans la Loi sur l’assurance-emploi, et 2003, le nombre de qui représente le facteur qui influe le plus sur l’avenir des pères qui ont profité d’un congé parental a presque enfants) quintuplé6) • offrir de la formation et du soutien aux membres de la • étendre la portée des prestations parentales à plus de famille et aux responsables de garde en milieu familial personnes (le nouveau régime québécois, qui est entré en (soit les dispositions de garde préférées par les parents) vigueur le 1er janvier 2006, élimine la période d’attente de deux semaines avant de recevoir des prestations de Conclusion maternité et étend l’admissibilité à ces prestations aux travailleuses autonomes) Grâce en partie aux efforts des militantes du mouvement des • faciliter le travail à temps partiel (la solution qu’une grande femmes et aux défenseurs des services de garde, de nombreux majorité de parents ayant des enfants d’âge préscolaire changements se sont produits en ce qui a trait à la participation choisiraient s’ils pouvaient se le permettre financièrement) des femmes au marché du travail et aux façons que les familles • ouvrir la voie à des horaires de travail variables (les parents s’organisent. Toutefois, on ne peut plus se contenter d’agir comme des familles à deux revenus pourraient organiser leur si les femmes étaient les seules parties intéressées lorsqu’il est question de garde d’enfants. Tant les pères que les mères veulent horaire de travail de façon à se partager le soin de leurs faire partie de la population active et passer plus de temps avec enfants, la garde par un parent représentant l’option leurs jeunes enfants. Les pères veulent s’impliquer davantage, et privilégiée par les parents pour la garde de leurs enfants) [Des centres de développement du jeune enfant et de formation aux parents] permettraient aux familles de s’intégrer à un réseau de soutien favorisant l’épanouissement de l’enfant et aideraient les parents à se former efficacement à leur rôle par la pratique. FRP CANADA 23 ÉVOLUTION DES PERSPECTIVES SUR LES SERVICES DE GARDE À L’ENFANCE s’impliquent de fait davantage, dans l’éducation de leurs enfants. En outre, un des aspects importants de l’éducation d’un enfant consiste à l’exposer à un large éventail de contextes d’apprentissage, bien avant qu’il commence la maternelle. Enfin, les communautés et la société en général en profitent lorsque la cellule familiale est renforcée. Pour ce faire, le dialogue doit englober les perspectives de la famille entière – les mères, les pères et les enfants – dans toutes ses variations modernes. Il est clair que les parents ont besoin d’une vaste gamme d’appuis, y compris des services de garde; le gouvernement canadien doit saisir cette occasion de façonner l’avenir des familles canadiennes. En définitive, nous devons nous demander comment nous pouvons le mieux soutenir les parents dans l’éducation des enfants du Canada. La réponse ne réside pas dans le cloisonnement de nos intérêts, mais consiste plutôt à mettre en commun nos passions et à appuyer les parents pendant qu’ils accomplissent le travail le plus important qu’ils auront jamais à accomplir. Akua Schatz est l’ancienne associée, recherche et politiques de FRP Canada. Betsy Mann est rédactrice en chef de Famil-Ressources, le bulletin trimestriel de FRP Canada, ainsi qu’une éducatrice familiale agréée du Canada. Bibliographie ABELLA, Rosalie S. Égalité en matière d’emploi : rapport d’une commission royale, Ottawa, Commission royale d’enquête sur l’égalité en matière d’emploi, 1984. ADAMSON, Nancy, Linda BRISKIN et Margaret McP HAIL. Feminists Organizing for Change: The Contemporary Women’s Movement in Canada, Toronto, Oxford University Press, 1988. ALLEN, Sarah M., et Allan J. HAWKINS. « Maternal Gatekeeping », Journal of Marriage and the Family, 61,199-212. 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