La ville et l`urbanisation dans les théories du changement

Transcription

La ville et l`urbanisation dans les théories du changement
Université catholique de Louvain
Département des Sciences de la Population
et du Développement
La ville et l’urbanisation
dans les théories
du changement
démographique
Dominique TABUTIN
Document de Travail n° 6
Février 2000
Texte publié sous la responsabilité de l'auteur
La ville et l’urbanisation dans les théories du changement démographique
1
LA VILLE ET L’URBANISATION DANS
LES THEORIES DU CHANGEMENT
DEMOGRAPHIQUE
Dominique TABUTIN*
Institut de Démographie
Dans l’histoire occidentale des deux derniers siècles, comme dans
celle des régions du Sud depuis 50 ans, les transitions démographiques, liant
fécondité, mortalité, nuptialité et mobilité, se sont déroulées parallèlement –
ou corollairement – à un processus d’urbanisation dans l’ensemble très rapide. Une véritable « révolution urbaine » pourrait-on dire que vient de vivre et
vit l’humanité et que résume bien l’évolution de quelques taux d’urbanisation dans le monde de 1800 à aujourd’hui1 :
1800
1850
1900
1950
1995
2015
*
1
Pays
occidentaux
10
16
31
55
75
80
Régions
du Sud
8
9
10
18
38
49
Monde
entier
9
12
19
30
46
55
Ce document de travail est le texte d'une communication présentée à la Chaire Quetelet
1999 sur « Populations et défis urbains ».
Sources : de 1800 à 1900, P. Bairoch (1985) avec 5000 habitants et plus comme définition
de la population urbaine ; de 1950 à 2015, United Nations (1998) avec des estimations basées sur les définitions nationales. Pour les périodes récentes, celles de Bairoch sont toujours un peu plus basses que celles des Nations Unies.
2
Dominique TABUTIN
Au niveau mondial, en 1800 un habitant sur dix seulement vivait en
villes, en 1900 déjà un sur cinq, en 1995 presque un sur deux. Ce mouvement
général cache bien sûr de grandes disparités entre régions, tant hier qu’aujourd’hui. Dans le monde en développement par exemple, l’urbanisation
actuellement va de 22 % en Afrique de l’Est à 77 % en Amérique du Sud ; au
sein de cette dernière région, elle varie de 36 % au Brésil à 78 % en Uruguay.
Le processus est omniprésent, à des rythmes certes variables mais souvent
rapides, alimenté tant par l’accroissement naturel que par les migrations2.
Des signes de ralentissement des croissances urbaines sont apparus depuis
une dizaine d’années, mais il n’empêche que de 1990 à 2000 elles sont en
moyenne mondiale de l’ordre de 3 % par an (4,5 % pour le Sud) et que 80 %
de la croissance démographique de la planète se fera en villes. Cela ne peut
être sans conséquences sur les transitions démographiques récentes, en cours
ou à venir.
Cette urbanisation, autrement dit ce processus de densification et de
concentration des populations dans des villes de plus en plus importantes, se
fait – et s’est fait – dans des contextes sociaux et économiques fort diversifiés
d’une période à une autre, d’une région ou d’un pays à un autre. Il n’est point
de notre propos (et de nos compétences) d’entrer dans les histoires de
l’urbanisation, dans les conditions et modalités du processus, dans les problèmes même de définitions et de concepts. Plus simplement (?), nous essayerons de dégager de la littérature démographique la place accordée à la
ville comme élément moteur ou facteur de changements dans les comportements et les normes démographiques. Nous avons procédé à une relecture
« ciblée » d’un certain nombre d’écrits, d’auteurs et d’études classiquement
considérés comme marquant un tournant théorique et/ou empirique, en nous
centrant particulièrement sur la fécondité, variable-clé de la transition. Comment la ville est-elle vue et appréhendée dans l’explication des changements ? Quel est le rôle reconnu à l’urbanisation ? Est-elle l’élément précurseur et incontournable du changement, la base de la diffusion de nouvelles
idées et de nouveaux comportements, le pivot de la « modernisation » ? Nous
partirons des précurseurs du 18e siècle et des premiers démographes
(Quetelet, Dumont, Landry…), nous passerons par les théories de la modernisation (le modèle classique de la transition), par les théories de la diffusion
(technologique ou culturelle) avant d’en arriver à des courants et travaux plus
récents.
2
La part de l’accroissement migratoire dans la croissance urbaine varie bien sûr d’un pays à
l’autre, mais il est souvent dans les années 1970 et 1980 au-delà de 40 %, pour atteindre les
60 % en Afrique sub-saharienne, en Indonésie, au Bangladesh ou 70 % en Chine (S.E.
Findley, 1993 ; N. Chen et al., 1996).
La ville et l’urbanisation dans les théories du changement démographique
1.
3
La ville chez les premiers démographes
Chez les précurseurs du 18e siècle (Graunt, Moheau, Süssmilch,
Deparcieux, …), le lieu d’habitat (la ville ou la campagne) sera surtout perçu
et étudié en tant que facteur de différentiation des niveaux des phénomènes,
au même titre souvent que le climat, la géologie… Dans l’ensemble préoccupés – comme bien d’autres « scientifiques » déjà à l’époque – par la pauvreté,
les inégalités et la mortalité, ces premiers démographes ne se contentent pas
toujours de ne calculer que des indices globaux ; nombre essaient aussi d’en
examiner les variations selon le sexe, la saison, le climat, le milieu social et le
lieu de résidence (J. Hecht, 1980). Et ils perçoivent bien les sensibles surmortalités urbaines3, que la démographie historique contemporaine confirmera. A. Landry dans La Révolution démographique (1934, p.182) citera nombre d’auteurs du 18e siècle dénonçant les méfaits de la ville sur la fécondité,
par le « goût du luxe » et « le désir de s’élever » surtout qu’elle suscite.
Résumant peut-être ainsi la pensée dominante, J.J. Rousseau ira jusqu’à
écrire en 1762 :
« Les villes sont le gouffre de l’espèce humaine. Au bout
de quelques générations, les races périssent ou dégénèrent » (cité par
J. Hecht, 1980, p. 67).
Sans que tous les auteurs aillent toujours jusque là, la vision de la
ville est largement négative : insalubrité de l’environnement, densification,
pollutions, lieu de luxure et de débauche, illégitimité et sevrage précoce des
enfants... Certains auteurs (Moheau par exemple en 1778) essaieront de démystifier quelque peu la vie saine et équilibrée du milieu rural, mais dans
l’ensemble on ne perçoit guère la ville à l’époque comme source de progrès
social et sanitaire. Et il est vrai qu’alors la ville était « dangereuse » à divers
points de vue. Elle gardera longtemps ce caractère.
C’est en réfléchissant au problème, déjà très débattu, de la misère
que Th. Malthus fera quelques allusions explicites à la ville. Dans la lignée
de ses prédécesseurs, il la classe comme l’une des « causes de misère et de
vice » dans son essai de 1798. « Il condamne la guerre et la discorde,
l’insalubrité des usines et de certains métiers, le gigantisme urbain (néfaste
pour la santé physique), l’urbanisation sauvage – source de « trafics et plaisirs pervers » -, la boisson, le jeu et la débauche… Il appelle de ses vœux une
société virgilienne, essentiellement rurale, où règnent la sobriété, la frugalité,
l’hygiène, l’égalité face au travail et aux ressources… » (E. Vilquin, 1998,
p. 187).
3
En 1746, Deparcieux, le premier selon J. Hecht à se pencher avec concision sur les différences de mortalité infantile entre villes et campagnes, estimera l’espérance de vie à la naissance de Paris à 22 ans et celle de la campagne à 40 ans.
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Dominique TABUTIN
Tout au long du 19e siècle, celui de l’industrialisation et de l’urbanisation (croissance des villes existantes, émergence de villes nouvelles,
émigrations des campagnes), celui aussi de la prolétarisation et de la paupérisation de larges couches de la population4, nombre d’auteurs (économistes,
statisticiens ou démographes) se pencheront sur les inégalités sociales, sur les
différences démographiques entre monde urbain et monde rural. La surmortalité urbaine fait toujours recette, mais la fécondité et la nuptialité émergent.
Et la ville est souvent « coupable ». Comme l’écrit P. Guillaume (1985,
p. 48) à propos du 19e siècle :
« On affirme, sans avoir toujours de respect pour des réalités statistiques d’ailleurs assez mal établies, la nocivité de la ville,
soit qu’on l’accuse d’inciter à une limitation pernicieuse des naissances, soit qu’on la rende responsable de l’envol des naissances illégitimes ».
K. Marx ne fera pas référence à la démographie urbaine, et fort peu
même à la ville, privilégiant la notion de temps à celle d’espace. Il soulignera
simplement (avec Engels)5 que la séparation entre ville et campagne est la
forme première de division du travail, ou encore que la ville est l’espace
privilégié de concentration des moyens de production, du capital, des plaisirs
et des besoins, tandis qu’à l’opposé la campagne correspond à l’isolement et
l’éparpillement. Pour eux, c’est la concentration de la population dans les
villes qui explique l’émergence de l’industrie, et non pas l’inverse (comme
on le rencontre le plus souvent), c’est-à-dire que la ville serait née de
l’industrialisation (J. Remy et L. Voyé, 1974, pp. 193-199). C’est la ville qui
amène la structure de classes et aliène l’homme dans son travail comme dans
les besoins qu’elle crée.
Mais venons-en à deux auteurs, A. Quetelet et A. Dumont, très différents (l’un est statisticien, l’autre sociologue, dirait-on aujourd’hui) mais qui
tous deux ont marqué la démographie de l’époque et des décennies ultérieures. Que disent-ils de la ville ?
Dans sa fameuse Physique sociale, un volumineux traité de 1839,
remis à jour en 18696, l’œuvre d’une vie scientifique bien remplie,
A. Quetelet aborde un nombre impressionnant de sujets : anthropométrie, sociologie, criminalité… et bien sûr la démographie (environ le tiers de l’ouvrage de 1869). Un bon exemple, nous semble-t-il, des travaux et des questions
que l’on pouvait se poser à l’époque, avec le souci constant chez Quetelet (et
bien d’autres alors) à la fois de mesure et d’explication. Chose surprenante (à
4
5
6
Celui aussi de l’essor de la statistique (avec les recensements et l’état civil) et de la recherche.
Dans L’idéologie allemande (1845-46). Pour plus de détails, voir J. Remy et L. Voyé
(1974).
Publié alors sous le titre Physique sociale ou essai sur le développement des facultés de
l’homme : 1000 pages en deux volumes. Voir l’excellente réédition annotée (1997) par E.
Vilquin et J.P. Sanderson.
La ville et l’urbanisation dans les théories du changement démographique
5
nos yeux), il ne fera point de la ville ou de la distinction ville/campagne une
variable primordiale dans ses études sur la fécondité, la mortalité et la nuptialité. Comme « influence » (pour reprendre son expression) essentielle sur les
phénomènes, il prend l’âge, le sexe, les climats, les périodes, les saisons,
« les heures du jour », « le degré d’aisance », « la moralité », « les institutions
civiles et religieuses », mais point le milieu d’habitat. Il présente néanmoins
de temps à autre des résultats villes-campagnes, mais sans leur accorder une
énorme attention et sans chercher longuement à expliquer les différences. Il
relèvera rapidement une masculinité à la naissance un peu plus basse en villes
(influence possible de l’illégitimité différentielle, p. 61), une natalité légèrement supérieure en villes (p. 79), la surmortalité urbaine en Europe, la forte
mortalité des femmes à la campagne (« les travaux pénibles », p. 156) et des
hommes à la ville (« le dérèglement de la conduite et la facilité de suivre
l’impulsion de ses passions », p. 157), une surmortinatalité urbaine7, un rôle
plus grand des saisons à la campagne. Dans sa synthèse finale, il écrira simplement : « on peut remarquer en général que les campagnes sont physiquement plus impressionnables que les villes » (p. 603). Rien de plus pratiquement, et c’est d’autant plus étonnant qu’en ce milieu du 19e siècle les statistiques (recensements, état civil) s'améliorent (notamment en Belgique et sous
l’impulsion de Quetelet lui-même) et que nombre d’économistes, de médecins ou autres se préoccupaient de la pauvreté, des conditions de vie en villes
comme à la campagne.
Les études et publications démographiques, de mieux en mieux documentées, se multiplient vers la fin du 19e siècle. Et l’ouvrage d’E.
Levasseur sur L’histoire de la population française de 1891 n’est pas des
moindres. Peut-être la première œuvre du genre de par son ampleur et sa
qualité. En trois tomes et sur 1500 pages, il décrit avec multe détails et commente tout ce que l’on connaît de la démographie française, européenne et
mondiale, allant des faits aux lois et doctrines. Il consacre un long chapitre
(XVII, vol. 2, 80 pages) aux diverses caractéristiques (accroissements, tailles,
densités…) des villes de France et d’Europe. Comme d’autres auparavant, il
y note la sur-illégimité des naissances8, la moindre fécondité et les problèmes
de mortalité. Mais rien de plus pratiquement, avec néanmoins une vision
mitigée du rôle social et économique de la ville :
« Le moraliste peut tonner contre les grandes villes ; la civilisation ne saurait s’en passer » (p. 412, 1891).
Le milieu d’habitat, les relations villes-campagnes, les migrations
prendront une toute autre dimension dans les travaux d’A. Dumont (18491902) sur la démographie, et notamment la fécondité. Inquiet de la dénatalité
7
8
Sans autre explication, « ne pourrait-on pas les attribuer [les surmortinalités urbaines], en
partie, à l’usage des corsets, et à l’habitude où sont les femmes de se serrer très fortement ? » (p. 102).
Plus de concubinage, de célibat et de mariage tardif dans les villes.
6
Dominique TABUTIN
française, voire de la dépopulation menaçant « les nations civilisées », il
mène en France nombre d’enquêtes démographiques et « ethnographiques »
sur des petites communes ou communautés, rurales le plus souvent, essayant
de comprendre « le mal » et de proposer « une morale » et « une politique »
permettant de l’enrayer9. C’est à partir de là qu’il élaborera sa fameuse théorie de « la capillarité sociale »10, la première grande théorie de fécondité,
dans la définition de laquelle on voit déjà apparaître le rôle de la ville et des
migrations :
« La capillarité sociale, c’est-à-dire l’ascension universelle
des citoyens vers une existence plus haute et plus pleine, telle est la
cause unique de ces deux phénomènes jumeaux : abaissement de la
natalité et émigration des habitants les plus riches, les plus énergiques et les plus entreprenants des campagnes vers les villes, des petites vers les grandes, de toutes vers Paris » (repris d’A. Béjin, 1989,
p. 1023).
C’est l’ambition pour soi et parfois pour ses enfants, le désir d’ascension sociale, mais aussi « l’idéal urbain », l’idéal de la « vie oisive du
bourgeois », l’idéal de « vie calme » et de « repos », la montée de « l’individualisme », l’effet d’imitation de la classe sociale supérieure qui conduisent
les ménages à « limiter volontairement le nombre de leurs enfants ». A.
Dumont discutera longuement de la plupart des grands facteurs sociaux, économiques ou culturels susceptibles de maintenir ou au contraire de freiner la
fécondité. La ville, notamment la grande ville, apparaît chez lui comme le
point d’aboutissement de la modernité (dont il ne partage pas tous « les bienfaits », nous semble-t-il), en tous cas comme une référence constante : elle est
le lieu où la religion recule, l’éducation et le niveau de vie s’élèvent, l’individualisme se répand… où donc l’effet de capillarité joue le plus facilement. Il
accordera aussi une attention particulière à l’étude des migrations internes ou
internationales dans leurs effets sur la démographie (A. Béjin, 1990) : il comprend les raisons de l’émigration des campagnes (par « besoin d’excitation »
chez les jeunes les plus « ambitieux », « énergiques » ou « aisés », ou par
« nécessité » chez les pauvres), mais il en dénonce les conséquences démographiques négatives ; il est hostile à l’émigration des français vers l’étranger
et réticent à une immigration étrangère non contrôlée.
Les travaux de Dumont, peu reconnus de son vivant, suscitèrent un
regain d’intérêt dans les décennies suivantes, notamment chez ceux, de plus
en plus nombreux, qui s’inquiétaient en France et en Europe des reculs de la
9
10
Pour A. Dumont, la démographie est au service de l’ethnographie. La première (à partir du
dépouillement d’archives départementales) permet de repérer les « facteurs » ou « causes
immédiates » de phénomènes, la seconde (observation sur le terrain) de comprendre « les
causes médiates » des comportements détectés. Pour plus de détails, voir A. Béjin (1989)
ou la présentation d’A. Béjin dans la réédition (1990) de l’un des ouvrages majeurs d’A.
Dumont, Dépopulation et civilisation. Etude démographique (1890).
Toutes ces idées ne sont point nouvelles à l’époque.
La ville et l’urbanisation dans les théories du changement démographique
7
natalité et de la diversité des croissances démographiques européennes. Mais
peu isoleront explicitement la ville ou le processus d’urbanisation comme
variable fondamentale et première des changements, comme élément-clé de
la modernisation11 . J. Bertillon par exemple dans La dépopulation de la
France (1911) étudiera comme « influences » principales sur le déclin des
fécondités en Europe : « l’aisance », « l’affaiblissement des croyances religieuses », « l’esprit démocratique », « l’individualisme » (ces trois derniers
points venant de la Révolution), « le développement de la civilisation »…
L’approche se fait beaucoup plus par la classe sociale ou l’instruction. On est
sur la même longueur d’onde (ou peu près) à ce propos avec P. LeroyBeaulieu dans La question de population (1913). Par exemple, résumant sa
réflexion (p. 237) :
« La règle générale sans exception, dans tous les pays civilisés, est que dans les temps récents, proportionnellement au développement du bien-être, de l’instruction, des idées démocratiques
et nouvelles, la prolificité décroît ».
Trente ans plus tard, A. Landry (1874-1956), considéré comme l’un
des pères de la transition démographique, ne sera guère plus explicite sur la
ville dans ses deux ouvrages fondamentaux que sont La Révolution démographique (1934) et son Traité de démographie (1945). Dès ses premières réflexions (1909) sur les causes de la dénatalité12, il s’inspire sensiblement
d’A. Dumont (avec le désir d’ascension sociale, l’égoïsme…), ajoutant
« l’idée de progrès » (texte de 1909, repris en 1934, p. 186) :
« On sait que celle-ci est l’idée dominante de notre civilisation, la base de la religion véritable de notre époque… Il y a une
foi générale dans le progrès, et il y a une volonté générale de progrès. Et ainsi, même en dehors de la considération de la hiérarchie
sociale et du désir d’arriver à égaler leurs supérieurs, les gens tiendront à vivre toujours mieux, à devenir toujours plus riches… On
observe qu’entre les provinces d’un même pays, entre les quartiers
d’une même ville, à une date donnée, la natalité varie souvent en raison inverse de la richesse. C’est que jusqu’ici la capillarité sociale a
agi davantage dans les classes supérieures : c’est que l’esprit de prévoyance, l’amour du luxe, le désir d’améliorer sa situation sont
d’autant plus vifs que les gens ont déjà plus d’aisance. »
Vingt-cinq ans plus tard, dans son ouvrage de 1934 où il présente
cette fois-ci les trois grands régimes démographiques bien connus (« primitif », « intermédiaire » et « contemporain »), il s’interroge bien sûr de nouveau sur le pourquoi des reculs de la mortalité et de la natalité (mais pas ou
11
12
Même si des statisticiens belges comme C. Jacquart et E. Nicolai feront au début de ce
siècle d’excellentes études sur la démographie des villes ou des campagnes.
Qu’il présente dans son article de 1909 sur « les trois théories principales de la population », repris dans son ouvrage de 1934. Pour lui, la dénatalité conduit à « la dépopulation
qui est une décadence » (1934, p. 107).
8
Dominique TABUTIN
guère des migrations qu'il négligera, nous semble-t-il, dans l'ensemble de ses
travaux, contrairement à A. Dumont). Pour chacun, il décrit globalement les
variables régulant la croissance des populations (la production, variable, avec
son effet sur la mortalité dans le premier, la nuptialité en recul dans le second, « la procréation limitée » dans le troisième), mais il n’intègre pas véritablement ces changements fondamentaux que sont l’urbanisation et l’industrialisation, qui sont là depuis plus d’un siècle. A l’origine des reculs de la
mortalité : « la diffusion du savoir hygiénique », « l’augmentation du bienêtre », « la suppression de la misère » (1934, pp. 22-26). A l’origine des baisses de la natalité : « la rationalisation de la vie », « l’imitation d’autrui »,
« les mœurs nouvelles » (1934, pp. 32-43). Rien de spécifique sur la ville, sur
les relations villes-campagnes, sur l’urbanisation, qui n’apparaissent pas explicitement comme grand facteur de changement ou vecteur de diffusion des
nouvelles idées ou comportements, même si A. Landry souligne de temps à
autre les inégalités sociales ou géographiques, et les processus de diffusion,
notamment dans son traité de 1945. Par exemple, p. 391 :
« Il faut insister sur ceci, que la révolution démographique
a développé ses effets progressivement, et dans le pays où elle s’est
produite d’abord, en France, lentement. Cette émancipation des
croyances et des influences anciennes qui l’a rendue possible s’est
en effet propagée, dans chaque pays, d’une manière inégale géographiquement, inégale aussi par rapport aux diverses classes sociales,
les hautes classes précédant les classes inférieures ».
Vingt ans plus tard, en 1954, A. Sauvy publie sa Théorie générale
de la population13. Et surprise encore (nous sommes en 1954), très peu de
choses là encore sur la ville dans ses relations avec la démographie. Parmi
« les raisons de la stérilité volontaire » (pp. 123-125, tome 2), l’urbanisation
apparaît néanmoins en 10e et dernière position, après la suppression du
travail des enfants, la baisse de la mortalité infantile, l’émancipation de la
femme, le désir d’ascension sociale, le développement de l’instruction,
l’accroissement du niveau de vie…, « tous facteurs étroitement liés au
développement économique ». Il dira peu de l’urbanisation, si ce n’est
rapidement et brutalement parlant des pays sous-développés (p. 230) :
« L’industrialisation et la vie urbaine désintègrent les populations habituées aux cadres rigides de la vie tribale. Une population paysanne qui s’arrache à son sol et à ses dieux se trouve soudain
sans appui et exposée à tous les fléaux sociaux : taudis, prostitution,
maladies vénériennes, etc… C’est cette perspective de destructions
sociales qui a conduit certains sociologues à redouter le développement, sinon à conseiller de l’arrêter ». Sans commentaires de notre
part !
13
Un ouvrage en deux volumes qui à notre sens n’a rien d’une théorie. Il s’agit plutôt d’une
sorte de traité ou d’essai rassemblant faits, doctrines et idées, parfois originales ou à contrecourant de l’époque, mais pas toujours très argumentées.
La ville et l’urbanisation dans les théories du changement démographique
9
En définitive, dans cette brève revue (sélective) de littérature sur
deux siècles, essentiellement francophone14, la ville et l’urbanisation n’occupent pas – contrairement à nos attentes – une place centrale et directe dans
l’explication des changements démographiques. Dans une période où, notamment en France, dominait la peur de la dénatalité, elle est dans l’ensemble
perçue de façon négative par « les démographes ». Il en sera autrement, un
peu plus tard, dans les théories de la modernisation et de la transition démographique de l’après-guerre, issues notamment du monde anglo-saxon.
2.
L’urbanisation dans les théories de la modernisation et
de la transition démographique des années 1950 et 1960
2.1. Les théories de la modernisation
Les années 1950 verront l’émergence aux U.S.A. d’une large école
de pensée, dite de la modernisation, soutenue par le gouvernement américain
pour l’étude des conditions, du pourquoi et du comment de la modernisation
(politique, économique, sociale…) des nouveaux Etats du Tiers Monde15. Un
mouvement multidisciplinaire, au sens où toutes les sciences sociales seront
concernées : des sciences politiques et économiques à la sociologie, à l 'anthropologie et à la démographie, nous y reviendrons. Chacune à sa façon fera
sa recherche des conditions-clés de la modernisation, mais toutes partageront
quelques grandes hypothèses relevant à la fois des théories de l'évolutionnisme (déjà ancien) et du fonctionnalisme. En les résumant, suivant en cela S.
Huntington (1976) : la modernisation est un processus par étape et unidirectionnel, toute société allant d’un point à un autre, d’un stade primitif (rural ou
famille élargie par exemple) à un point final (urbain ou famille restreinte).
Elle est un processus d’homogénéisation (toutes les sociétés finiront par se
rassembler) et de convergence vers le modèle occidental (européen ou américain). Elle est un processus irréversible : une fois démarrée, elle ne peut être
arrêtée (le rythme peut varier dans le temps ou dans l’espace, mais pas la
direction). Elle est aussi un processus graduel, plutôt lent, « non-révolutionnaire ». Proches des hypothèses fonctionnalistes, on retrouve les idées
d’interdépendance entre les institutions sociales, de processus systémique.
14
15
Il resterait à voir les littératures anglaise et allemande.
Un mouvement qui devait aussi contrer l’extension de l’idéologie marxiste et asseoir ainsi
la domination des Etats-Unis sur la scène mondiale. Pour son historique et une description
détaillée, voir par exemple A.Y. So (1990).
10
Dominique TABUTIN
Pour A.Y. So (1990, p. 35) :
« Modernity involves changes in virtually all aspects of
social behavior, including industrialization, urbanization, mobilization, differentiation, secularization, participation and centralization ».
Il n’est point de notre propos ici de reprendre en détails les nombreuses critiques que ne manquera pas de susciter cette théorie de la modernisation : le fait de dichotomiser à outrance (primitif – moderne, rural – urbain,
agricole – industriel)16, l’idée (fausse) et optimiste d’un changement progressif et sans à-coups possibles, l’ethnocentricité de l’idéologie sous-jacente, le
fait aussi que le niveau de généralisation et d’abstraction adopté dans la théorie exclut quasiment toute possibilité de vérification empirique.
Nous l’avons dit, cette théorie de la modernisation constitue dans les
années 1950 à 1970 l’un des grands courants explicatifs dans chaque science
sociale : en sciences politiques (la marche vers la démocratie et la stabilité
politique), en économie (la fameuse théorie de Rostow de 1960 sur les conditions et les étapes du décollage économique), en sociologie de la famille (les
changements de l’institution familiale), en sociologie urbaine17 et bien sûr en
démographie.
On pourrait résumer la théorie de la modernisation en reprenant la
définition qu’en donnait en 1967 (p. 22) D. Lerner, un de ses tenants :
« Modernisation is… the social process of which development is the economic component. If economic development produces rising output per head, then modernisation produces the societal
environment in which productivity is effectively incorporated ».
Dans la littérature, les mots de modernisation, industrialisation, urbanisation sont fréquemment employés les uns pour les autres, ou encore parfois tous ensemble, à la « queue leu leu » : beaucoup d’ambiguïtés, de confusions et d’imprécisions dans tout cela. Cela dit, la modernisation est envisagée comme un processus de changement multidimensionnel, concernant à la
foi le culturel, l’économique, le psychologique, le social… et le démographique. Et l’urbanisation apparaît bien comme l’un des éléments-clés ou moteurs du changement : pour les partisans de cette approche, la ville crée les
conditions nécessaires au « décollage », au « progrès », au « développement », voire « la civilisation », en rassemblant l’élite, en changeant les mentalités et les modes de vie des individus, en créant une nouvelle culture (voir
à ce propos L. Wirth, 1938, un des pères de la sociologie urbaine), en abritant
16
17
Même si dans les versions plus récentes des années 1970 et 1980 on se positionne plutôt sur
des continuum (du rural à la très grande ville, du plus traditionnel au plus moderne…).
Avec les travaux de L. Wirth par exemple qui dès 1938 essaie de définir sociologiquement
la ville (avec ses trois critères : dimension, densité et hétérogénéité) et le mode de vie urbain (« la personnalité urbaine »). Il proposera de travailler sur un continuum (du « plus rural » au « plus urbain ») plutôt que de façon dichotomique.
La ville et l’urbanisation dans les théories du changement démographique
11
l’industrialisation… Sans la ville, point de modernité, point de salut pourraiton presque dire.
2.2. L’urbanisation dans la théorie de la transition démographique
Cette théorie sera en démographie le reflet fidèle du courant de la
modernisation : la transition démographique s’inscrit dans un vaste processus
de changements structurels liés au développement socio-économique. Développée aux Etats-Unis, elle dominera longtemps la pensée démographie, des
années 1940 aux années 1970, avant d’être largement remise en cause.
Point de surprise ici : l’urbanisation et l’industrialisation sont conjointement les deux grands moteurs du changement démographique. En la résumant, le développement industrialo-urbain conduit à une amélioration de la
productivité agricole et à une diminution de la population active rurale, laquelle va alimenter la demande de main-d’œuvre urbaine. Salariat, éducation,
conditions de vie… conduisent à un changement de mentalités et de comportements en villes et ainsi à une transformation des structures matrimoniales et
à un recul de la fécondité. Dès 1944, D. Kirk (selon D. van de Kaa, 1996)
met en avant le rôle crucial du développement industriel, des « influences urbaines » et de la « civilisation technologique ». F. Notestein, qui développera
la théorie dans les années 1950, comme bien d’autres, parlera de « société
urbaine industrielle »18. Il écrira en 1953 (pp. 142-143) :
« The new ideal of the small family arose typically in the
urban industrial society. It is impossible to be precise about the various causal factors, but apparently many were important. Urban life
stripped the family of many functions in production, consumption,
recreation, and education… In factory employment the individual
stood on his own accomplishments. The new mobility of young people and the anonymity of city life reduced the pressure toward traditional behaviour exerted by the family and the community. In a period of rapidly developing technology new skills were needed and
new opportunities for individual advancement arose. Education and
a rational point of view became increasingly important. As a consequence, the cost of child-rearing grew and the possibilities for economic contributions by children declined. Falling death rates at once
increased the size of the family to be supported and lowered the inducements to have many births. Women, moreover, found new independence from household obligations and new economic roles less
compatible with childbearing ».
18
L’association urban industrial society montre à notre sens l’association directe (globale et
abusive à notre sens) faite entre ville et industrialisation et l’embarras dans lequel on était
de faire la part des choses entre les deux.
12
Dominique TABUTIN
Le tableau 1 est une brève synthèse des grands facteurs de la modernisation relevés chez quelques auteurs représentatifs de l’époque. La palette
est large et diversifiée, avec chez la plupart des théoriciens, plus ou moins
directement ou explicitement exprimé : le recul de la mortalité (considérée
souvent comme une condition préalable au recul de la natalité)19, les progrès
de l’éducation, l’augmentation du niveau de vie, le changement culturel (avec
la laïcisation de la société) et bien sûr l’industrialisation et l’urbanisation.
C’est la civilisation industrielle et urbaine qui conduit à une transformation
progressive des systèmes de valeurs et des comportements des classes sociales et des familles.
Tableau 1. Facteurs historiques de la modernisation
dans ses effets sur la fécondité relevés chez quelques auteurs
Notestein (1953)
– la vie urbaine et les nouvelles mentalités (Raison et laïcité)
– le travail en usine
– l’éducation
– le coût croissant et le travail décroissant des enfants
– la chute de la mortalité et l’amélioration de la santé
Tout cela conduisant à un recul des systèmes traditionnels normatifs qui soutenaient
les fortes natalités
Nations Unies (1953)
– le désir d’ascension sociale pour soi et ses enfants
– le changement des statuts et rôles de la femme
– le progrès du niveau de vie
– le coût croissant de l’enfant
– la sécularisation de la société
– le recul de la mortalité
Coale et Hoover (1958)
– la division progressive du travail avec l’industrialisation
– l’urbanisation
– la monétarisation de l’économie
– le progrès technique
Easterlin (1978)
– les innovations en santé et médecine
– les progrès de l’éducation formelle et des communications
– l’urbanisation
– l’introduction de nouveaux produits de consommation
– la croissance du revenu par tête
Tout cela conduisant à un recul de la famille comme unité de production, à la montée
du travail extérieur des femmes, au recul de la force traditionnelle des coutumes… et
à la baisse de la fécondité.
19
Voir sur ce point J.C. Chesnais (1986, pp. 332-351).
La ville et l’urbanisation dans les théories du changement démographique
13
En définitive, la ville/l’urbanisation n’est qu’une des composantes,
que l’un des éléments du changement structurel. Notestein lui-même admettra la diversité des facteurs (voir citation page précédente) et pour lui comme
pour bien d’autres, le mouvement va de la ville vers la campagne (1953,
p. 142) :
« Under these multiple pressures old ideals and beliefs began to weaken, and the new ideal of a small number of children gained strength. A trend toward birth restriction started in the urban upper classes and gradually moved down the social scale and out to the
countryside ».
tout en reconnaissant déjà la variété des situations (p. 143) :
« It is evident that urbanization provides no mystical
means for the reduction of fertility. The small family ideal and
strong motivation for the reduction of births have arisen in a variety
of conditions ».
Dans les années qui suivent, on commencera à douter de plus en plus
de la pertinence de cette théorie de la modernisation pour les pays en développement. Dans leur fameux ouvrage de 1958 sur l’Inde et les pays à bas
revenus, A.J. Coole et E. Hoover doutent de son adéquation totale : la mortalité baisse dans des pays sans progrès économiques substantiels, la fécondité
demeure élevée dans des pays où l’urbanisation a sensiblement progressé (ils
citent les cas de l’Egypte et de l’Inde). Nombre de critiques suivront. Mais le
rôle même de l’urbanisation sera remis en cause pour l’histoire du passé européen, nous y viendrons.
2.3. Un mot sur la théorie de la transition épidémiologique
Un peu plus tard que Rostow en économie ou Notestein en démographie, A. Omran pose en 1971 les bases de ce qu’il dénommera une théorie
de la transition épidémiologique. Elle concerne le comment et le pourquoi
des changements à long terme des schémas de morbidité et de mortalité qui
accompagnent les changements sociaux, économiques et démographiques20.
Dans la lignée de la pensée classique sur la modernisation, il distingue trois
« âges » (ce que d’autres théories dénomment étapes ou phases)21 et trois
modèles (« le classique » : l’Occident, « l’accéléré » : le Japon et « le contemporain » : les pays en développement). Il cherche aussi à expliquer cette
transition, mais il ne le fera qu’en utilisant des termes vagues et généraux, du
genre : « socioeconomic development » (p. 511), « socioeconomic, political
and cultural determinants » (p. 525), « byproduct of social change » (p. 520),
20
21
Pour plus de détails, voir D. Tabutin (1995).
« The age of pestilence and famine, the age of receding pandemics, the age of degenerative
and man-made diseases » (p. 516).
14
Dominique TABUTIN
« modern industrial society » (p. 525), « socioeconomic improvements » (p.
531), « process of modernization » (p. 534), sans aucune autre précision.
Rien sur la ville ou l’urbanisation, rien non plus sur l’éducation, rien en
définitive sur les grands changements structurels. Décevant quand on propose
un modèle général ou une théorie.
3.
Le rôle de l’urbanisation dans les transitions
de fécondité de l’Europe ?
On s’accorde, hier comme aujourd’hui, sur le fait que dans
l’ensemble les déclins de fécondité en Europe ont débuté parmi les « élites »
urbaines (aristocratie, grande bourgeoisie) avant de « se propager » peu à peu
dans les classes moyennes et ouvrières et vers les milieux ruraux. Au 18e
siècle, la natalité des villes était généralement plus basse que celle des campagnes ; à Rouen comme à Genève par exemple, le contrôle de la fécondité a
commencé dès le début du 18e siècle dans la haute bourgeoisie avant de « se
diffuser » en quelques décennies dans les autres classes sociales. Cela fait
dire à M. Livi-Bacci (1986, p. 198) parlant des villes :
« Urban populations precede the rest of the population in
the transition from high to low mortality, and by the second half of
the nineteenth century a clear dichotomy in fertility patterns is solidly established… Urban populations cannot be forerunners of
change ; they are themselves the prime movers of change… The relevance of urban factor is therefore evident, but an unsolved question
remains : are these groups forerunners of fertility control because
they live in the special cultural, social and economic environment of
the city, or is the city environment special because of the existence
and role of the forerunners ? »
Les faits sont là et bien documentés22, notamment pour la période
1850-1930 avec l’European Fertility Project de l’Université de Princeton : 1)
en dehors de la France et de quelques autres régions, le déclin de fécondité
commence toujours en zones urbaines, 2) pendant la transition, les différences villes-campagnes s’accroissent car les déclins sont au départ plus rapides
en villes. Mais A. Sharlin (1986) analysant ces fécondités par région et milieu
d’habitat se montre prudent sur leur interprétation causale et sur l’idée de
« diffusion » sur laquelle nous reviendrons :
« The regularities do not provide any support for the proposition that urbanization played a causal role in the transition. They
do not indicate that the decline spread from urban to rural areas, al-
22
En voir une synthèse dans l’ouvrage collectif de A.J. Coale et S.C. Watkins (1986) ou chez
Th. Eggerickx (1998).
La ville et l’urbanisation dans les théories du changement démographique
15
though this possibility is not contradicted. The generalizations do not
mean that all segments of the urban population began their fertility
decline before all segments of the rural population » (p. 247).
Tableau 2. Quelques grandes tendances (moyennes) de la démographie urbaine
du 19e siècle en Europe (d’après les études récentes de démographie historique)
La fécondité
– fécondité légitime urbaine inférieure à la fécondité rurale
– fécondité d’autant plus basse et déclin d’autant plus rapide que la ville est
grande
– déclins plus précoces en villes et généralement plus rapides, conduisant à un
accroissement des écarts entre milieux d’habitat au long du 19e siècle
– sur-fécondité des cités industrielles par rapport aux villes traditionnelles, au
moins durant la période pré-transitionnelle
– illégitimité sensiblement supérieure dans les villes
La nuptialité
– davantage de célibat dans les villes
– âge au mariage un peu plus tardif en milieu urbain
– nuptialité souvent plus intense et précoce dans les régions ou cités très industrialisées
La mortalité
– surmortalité des milieux très urbanisés, densément peuplés et industriels par
rapport au milieu rural
– sensibilité encore (jusque vers 1880) des villes aux crises alimentaires et aux
épidémies
– écarts entre milieux d’habitat qui s’atténuent peu à peu
– surmortalité des villes (en Belgique) avant 5 ans et après 40 ans
La mobilité
– accroissement sensible et diversification des mobilités
– « exode rural » parfois non négligeable
– développement des migrations pendulaires (en Belgique par exemple)
Les croissances
– croissance souvent lente des campagnes, parfois stagnation des populations
rurales
– croissance plus rapide des villes, avec un apport migratoire qui compense leur
faible croît naturel
– croissance démographique très rapide des cités industrielles grâce aux bilans
naturels et migratoires très positifs
Source : Th. Eggerickx (1998). Une synthèse des synthèses faites par l’auteur.
Le point toujours débattu est celui du rôle respectif des divers éléments du changement sociétal (industrialisation, urbanisation, éducation, sécularisation…) dans le timing et le rythme de recul de la fécondité générale et
légitime. Par exemple, en s’en tenant ici à « la variable » qui nous concerne,
16
Dominique TABUTIN
les décalages observés au 19e siècle entre pays ou entre régions d’un pays
dans la précocité et le rythme du déclin de la fécondité sont-ils liés aux différents degrés et rythme d’urbanisation des pays ou des régions ?
Il y a bien sûr les belles exceptions classiques au modèle classique
de la transition, celles où le recul de la fécondité s’amorce dans des pays peu
urbanisés et industrialisés, plutôt agricoles et ruraux : le cas bien connu de la
France, aux trois quarts rurale quand s’enclenche le déclin vers 1780, avec a
contrario l’Angleterre, bien plus industrialisée et urbanisée dès cette date
mais où le déclin ne s’amorcera qu’un siècle plus tard quand les trois quarts
de sa population seront urbains23 ; le cas des Etats-Unis où les premiers déclins seraient survenus en milieu rural ; le cas de quelques régions de
Hongrie…
Il est clair et admis aujourd’hui que les transitions démographiques
nationales et régionales ont démarré dans une diversité extrême de situations
sociales, économiques et démographiques. Pour qui en douterait encore, le
tableau 3 présente pour dix pays divers indicateurs de « modernisation » au
moment du début du recul de leur fécondité24 : mortalité infantile, proportions d’agriculteurs, proportions d’analphabètes et bien sûr niveau d’urbanisation.
Tableau 3. Indicateurs socio-économiques dans dix pays européens
au moment du démarrage du déclin de fécondité
Pays
Date(1)
France
Belgique
Suisse
Hongrie
Suède
Angleterre
Danemark
Finlande
Italie
Bulgarie
1800
1882
1885
1890
1892
1892
1900
1910
1911
1912
(1)
(2)
Ig avant
déclin
0,70
0,82
0,72
0,63
0,71
0,68
0,68
0,70
0,68
0,70
Mortalité
infantile (‰)
185
161
165
250
102
149
131
114
146
159
% (hommes)
%
% population
d’agriculteurs d’analphabètes
urbaine(2)
70
> 50
7
30
30
22
33
< 10
9
73
49
11
49
< 10
11
15
< 10
57
42
< 10
23
66
44
9
46
39
28
70
60
7
Cette date correspond à un déclin de 10 % de la fécondité légitime de départ.
Villes de 20 000 habitants et plus.
Source : quelques pays et données sélectionnés à partir de J. Knodel et E. van de Walle (1979).
Ecartons la France, atypique, pour se concentrer sur la seconde moitié du 19e siècle. Les déclins surviennent au même moment (vers 1890) dans
les deux pays, Hongrie et Angleterre qui à tous points de vue sont aux extrê23
24
Voir J.C. Chesnais (1986, chap. XI) pour une bonne comparaison de la France et de
l’Angleterre.
Les données (sélectionnées) sont reprises de l’étude comparative sur 17 pays de J. Knodel
et E. van de Walle (1979).
La ville et l’urbanisation dans les théories du changement démographique
17
mes sur une échelle du développement. Il en sera pratiquement de même vers
1911 avec l’Italie et la Bulgarie. La Belgique et la Suisse vers 1883 sont
comparables pour la mortalité infantile et la proportion d’agriculteurs, mais la
première est beaucoup plus urbanisée et la seconde bien plus lettrée. Les
différences d’éducation sont importantes au moment de ces premiers déclins
de la fécondité, comme elles le sont en matière d’urbanisation : vers 1890, les
proportions de population urbaine (villes de 20 000 habitants et plus) allaient
en Europe de 9 % (Suisse) à 50 % (Ecosse) et 57 % (Angleterre), les proportions de populations rurales (communes de moins de 5 000 habitants) de
26 % (Pays-Bas et Ecosse) à 80 % (Hongrie, Suède et Suisse).
Même si les données sont imparfaites et parfois difficilement comparables, cela conduira J. Knodel et E. van de Walle (1979) à conclure à une
absence de seuil et de pré-condition au déclin de la fécondité :
« It seems safe to conclude that no obvious threshold of
social and economic development was required for the fertility transition to begin… Although a high level of social and economic development (as measured by the usual indexes) may often accompany
a fall of fertility, it is clearly not a precondition » (p. 227).
S.C. Watkins ne dira guère autre chose dans sa conclusion générale
de l’ouvrage du European Fertility Project (1986) :
« The European experience suggests that modernization is
sufficient but not necessary. Nor is the response of fertility to the
changes that define or accompany modernization always immediate :
the lag may be quite variable and seems to be associated with longstanding cultural differences… Although relatively modernized provinces usually began the transition earlier, those with relatively high
infant mortality and illiteracy and low levels of industrialization and
urbanization followed within a few decades, well before they have
reached the same threshold of social and economic change as the
pioneers » (p. 449).
C’est en définitive une sensible remise en cause de la théorie de la
modernisation, du modèle classique de la transition démographique, c’est admettre qu’il y a autre chose que le socio-économique, l’industrialisation ou
l’urbanisation25. Pour expliquer « l’inexpliqué », sinon « l’inexplicable »
(comment la pratique de la contraception, avec ce que cela implique sur les
normes et les comportements, a pu se répandre aussi vite dans des conditions,
des sociétés et des communautés aussi diversifiées ?), on en arrivera à des approches plus culturelles et diffusionnistes dans les années 1970 et 1980. On
en arrive plus précisément à considérer la pratique contraceptive comme une
« innovation » technique et mentale, comme une nouveauté soudaine, comme
une rupture brutale ou une discontinuité avec le passé, qui se répandra rapi25
Un résultat important en termes de politiques d’action dans le Tiers Monde, signifiant que
la fécondité pouvait baisser en l’absence de tout développement majeur. On avait dit la
même chose pour la mortalité dans les années 1960 et 1970 (D. Tabutin, 1995).
18
Dominique TABUTIN
dement à partir de quelques groupes ou milieux pionniers (dont la ville par
exemple).
Nous y reviendrons en examinant le rôle qui là est dévolu à la ville.
Mais un mot auparavant sur ce problème de continuité ou de discontinuité
avec le passé, car le débat sur la modernisation, et donc sur le rôle de la ville
et de l’urbanisation, n’est pas clos. Par exemple, il sera récemment relancé
par D. Friedlander et B. Okun (1996) dans une étude sur l’Angleterre – Pays
de Galles, réalisée à partir de l’évolution de la fécondité et des indicateurs
socio-économiques26 de 600 districts entre 1851 et 1911, dont l’urbanisation.
Ils montreront que la fécondité a chuté plutôt graduellement, qu’il y a donc
plus continuité que rupture avec le passé, que dans le contrôle de la fécondité,
contraception et nuptialité ont été simultanément utilisés, avec toutefois davantage de contraception au départ dans les villes et son extension progressive dans le temps. Ils montreront, pour nous ici, que les variables « explicatives » des différences de fécondité entre districts avant la transition et des
rythmes de changement ensuite sont les mêmes : l’urbanisation d’abord, suivie de près par l’éducation, l’industrialisation jouant aussi mais beaucoup
moins. Cela revient à dire que les changements de fécondité dépendent des
conditions et des changements socio-économiques, dont notamment l’urbanisation. Sans le dire explicitement, les auteurs remettent en selle la théorie
classique de la transition.
4. La ville dans les approches diffusionnistes et culturelles
Pour « expliquer » tant la simultanéité (néanmoins relative) des déclins de la fécondité en Europe au 19e siècle que la diversité des conditions
dans lesquelles sont survenues nombre de transitions récentes dans les pays
du Sud27, les années 1970 et surtout 1980 verront fleurir – ou être confortées
- des approches plus culturelles, relativisant fortement ou rejetant même parfois le rôle du socio-économique. Nous ne ferons point le tour des nombreux
26
27
Les auteurs utilisent les recensements décennaux et l’état civil (corrigé) de 1851 à 1911
pour construire par district les différents indices de Coale (Ig, If et Im) et les diverses variables explicatives : 1) la structure socio-professionnelle (tertiaire, industrielle, domestique et
agricole), 2) le niveau d’éducation (mesuré par le nombre d’enseignants par rapport à la population adulte) et 3) le degré d’urbanisation (mesuré par la densité). L’étude de Princeton
sur l’Angleterre – Pays de Galles n’envisageait que le niveau des counties (45 au total).
Par exemple, la rapidité avec laquelle dans certains pays, la fécondité a pu reculer en
l’absence de grands progrès socio-économiques.
La ville et l’urbanisation dans les théories du changement démographique
19
courants et auteurs qui ont alimenté et continuent d’alimenter cette approche
culturaliste, nous nous en tiendrons simplement aux plus marquants28.
Globalement (et donc en simplifiant), on inverse ici en quelque sorte
le processus causal : c’est la modernisation culturelle (par exemple la laïcisation et l’individualisme croissants au 19e siècle, ou l’occidentalisation des
pays du Sud aujourd’hui), qui en provoquant une évolution irréversible des
valeurs et un changement radical des mentalités (vis-à-vis de l’enfant, de la
femme, de la vie ou de la mort…), conduit à un désir de descendance plus
restreinte et au contrôle de la fécondité. La modernisation des valeurs et des
comportements, ainsi que les innovations technologiques, en l’occurrence le
contrôle des naissances, se diffusent d’une personne à une autre, d’un groupe
social à un autre (des « élites » aux classes moyennes et aux ouvriers par
exemple), d’un milieu à un autre (des villes vers les campagnes), d’une région à une autre (du Nord vers le Sud) selon un processus dont les modalités
et la rapidité varient d’une société à l’autre en fonction de leur organisation
sociale et politique, en fonction aussi des réseaux de communication. Quelle
est plus précisément la place ou le rôle de la ville, de l’urbanisation dans ces
processus de diffusion culturelle ou d’acculturation ? Dans cette grande approche de la modernisation culturelle, reprenons brièvement la théorie des
flux de richesses de J.C. Caldwell, le courant diffusionniste (avec J. Cleland
notamment) et le courant culturel (avec R. Lesthaeghe).
Dès 1976, J.C. Caldwell relance la réflexion (un peu endormie) sur
les déterminants de fond de la fécondité. Partant de l’anthropologie et de ses
études sur l’Afrique, il remet brutalement en cause certains des grands postulats jusqu’alors dominants : 1) l’irrationalité des sociétés traditionnelles et
de leur forte fécondité : le comportement des familles est toujours économiquement rationnel, 2) le fait que l’industrialisation et l’urbanisation soient
aujourd’hui une condition préalable au déclin de la fécondité. Il dénonce les
relations anciennes du genre : traditionnel = rural = irrationnel, moderne =
urbain = rationnel. Il écrira dans ce sens (1976) :
« There is a persistent strain in demographic transition
theory writings that claims that rationality comes only with industrial, urban society and a related strain that regards traditional agrarian societies as essentielly brutish and supersitious… The underlying assumption of my study is that all societies are economically
rational » (p. 119).
ou encore :
« High fertility was a perfectly rational response to socioeconomic conditions in a traditional agrarian society » (p. 122).
28
Pour plus de détails, voir quelques synthèses récentes des théories de fécondité : D.J. van de
Kaa (1996), D.K. Kirk (1996), V. Piché et J. Poirier (1995), B. de Bruijn (1999) ou H. Joshi
et P. David (1997).
20
Dominique TABUTIN
et finalement :
« The major implication of this analysis is that fertility decline in the Third World is not dependent on the spread of industrialization or even on the rate of economic development… Fertility decline is more likely to precede industrialization and to help bring it
about than to follow it » (p. 156).
Il ne parlera guère ou explicitement de la ville ou de l’urbanisation
en tant que tel. La reproduction dans les familles repose essentiellement sur
des bases matérielles (les flux de richesses entre parents et enfants), mais les
changements se font d’abord dans le domaine des valeurs et des mentalités.
C’est une « révolution sociale » (et non nécessairement économique) induite
par l’Occidentalisation (Westernization) du monde et par la modernisation
(Modernization) qui enclenche le processus de transition. Elle est conduite
par l’éducation et les mass media, et non (ou guère) par l’économie. A propos
de l’histoire européenne, il écrira par exemple :
« Fertility fell at much the same time in a core of countries
because the universal schooling was implemented at much the same
time in all. This was largely a social decision, based on increasing
affluence. Fertility within countries also often fell from about the
same year across a broad spectrum of society irrespective of the role
in the economy played by the parents » (1981, p. 20).
ou encore parlant de l’Afrique :
« This picture of the success of the urban middle class is
but a segment of a wider picture of a whole modernizing society
existing in a situation where wealth flows predominantly from the
young to the old and where there are marked differentials in earning
powers by rural – urban division and by education. The route from
the rural area to the job in the modern urban sector of the economy is
almost solely by extended education… What causes this emotional
nucleation of the family ?… Not the urban – industrial society… The
factor is undoubtedly the import of a different culture ; it is Westernization » (1976, p. 145 et 149).
Pour tenter d’expliquer les faibles liens du passé entre développement économique et fécondité ou encore des déclins récents de fécondité qui
se déclenchent dans les pays du Sud indépendamment (ou presque) des
conditions économiques des individus ou des communautés, J. Knodel et E.
van de Walle (1979), S.C. Watkins (1986), J. Cleland et C. Wilson (1987) et
bien d’autres développeront une théorie dite de la diffusion culturelle et technologique. Cette diffusion des idées, des comportements et des techniques (la
contraception) d’une région à une autre, d’une localité à une autre, d’un
groupe social à un autre, d’une famille à une autre permettrait d’expliquer
pourquoi les déclins de la fécondité suivent parfois des frontières plus linguistiques et culturelles qu’économiques. L’idée n’est ni neuve (on la trouve
au 19e siècle), ni propre à la démographie (on la retrouve en sociologie et en
La ville et l’urbanisation dans les théories du changement démographique
21
économie). La ville y est-elle un des grands vecteurs de diffusion ? Dans leur
étude du passé européen, J. Knodel et E. van de Walle (1979) ou S. Watkins
(1986) ne parlent pas spécifiquement de la ville, ne la présentent pas comme
le point de départ nécessaire ou le pivot incontournable de la diffusion culturelle, même si c’est là que les déclins ont le plus souvent débuté, même s’ils
lui reconnaissent un rôle dans le cadre de l’industrialisation. S. C. Watkins
(1986) écrit ainsi en parlant alors de l’Europe :
« These findings suggest that the effect of modernization
need not be confined to those individuals who learn to read. Education facilitated the spread of new attitudes and techniques even to the
uneducated. The establishment of centers of industrial production
within a province not only affected those who entered the factory,
but also altered the context of work for those who remained in traditional occupations. Relations between town and country took on new
forms and intensities as production developed, thus changing the
nature of rural agricultural production. The environment of the city
may have rearranged the relative values of investments in children
and in other goods, but its bright lights were also reflected far
beyond its boundaries, in tales told in the hinterland. The new ways
of making a living that were adopted by some surely expanded the
horizons of the possible for others, offering avenues of opportunity –
either escape or negotiation in situ – that were not perceived earlier »
(p. 445).
Exploitant l’ensemble des enquêtes mondiales de fécondité alors disponibles, J. Cleland et C. Wilson (1987) arrivent à une conclusion voisine,
sans non plus attribuer un rôle primordial ou au moins universel à la ville
dans le Tiers Monde :
« Evidence from societes currently undergoing transition
echoes the Western experience. In countries such as Taiwan, Republic of Korea, Thailand and Costa Rica, fertility decline was initially
concentrated among the urban or the more educated, leading to large
differentials, but this divergence has already largely disappeared as
members of other sectors of the population reduced their fertility.
While this stratified form of transition is common, it is not inevitable. In parts of South India, Sri Lanka, Indonesia and the Republic of
China, change has been more synchronous across socio-economic
sectors, no doubt a reflection of a more egalitarian society or of effectiveness of government policies in promoting the ideas of smaller
families or birth control. The fact that, within culturally homogeneous populations, birth control and resulting marital fertility decline
spreads to all sectors within a remarkably short period of time implies that the fundamental forces of change operate at the societal level » (p. 24).
Ils reconnaissent bien sûr le rôle du développement économique à
long terme, mais attribuent le déclenchement du processus essentiellement à
des facteurs culturels ou idéologiques.
22
Dominique TABUTIN
Voici comment ils concluent :
« The probable importance of ideational rather than structural change is our most significant conclusion. This conclusion is
supported by a number of strands in the evidence : the weak links at
either macro- or micro-level between economic structure and fertility ; the stronger links with culture and education, both of which are
likely to determine the initial acceptability of new ideas ; and the
quick spread of birth control within many societies. We were also influenced by the massive scale and force of the flow of new knowledge and values from the industrialized to the developing world,
which impinge upon political, economic and social life alike. It is surely no coincidence that in those parts of the world that have withstood this onslaught by design (e.g. much of the Islamic world), by
the strength of indigenous culture and its incompatability with Western values (e.g. the Indian sub-continent) or by relative isolation
(e.g. Africa), fertility transition has yet to occur, or has only a tenuous foothold. » (p. 28).
Dans une étude récente sur la diffusion de la contraception à
Taïwan, M. Montgomery et J.B. Casterline (1993), utilisant les outils statistiques les plus performants, aboutissent à un processus de diffusion qui est net
à l’intérieur des régions, mais beaucoup plus faible entre régions, se demandant par ailleurs ce qui est réellement diffusé. Est-il besoin de préciser que
cette théorie de la diffusion – innovation est toujours discutée à divers points
de vue ?
R. Lesthaeghe (1980, 1982, 1988) va selon nous plus loin, développant une approche à la fois culturelle et économique, liant reproduction et
mode de production. Au niveau macro, l’explication des reculs de la fécondité (et de ses disparités) relèvent d’abord du changement fondamental des
mentalités ou de l’idéologie (ideationnal change) lié au recul de la religion, à
la laïcisation des sociétés et à la montée de l’individualisme, mais le mouvement s’inscrit aussi dans un changement de l’organisation sociale, politique
et économique. Au niveau familial, dans une perspective proche de celle de
J.C. Caldwell, le recul de la fécondité dépend de la direction des « flux de
soutien » entre parents et enfants, qui varient selon les modes de production
(familial, non-familial, mixte). Le milieu d’habitat est là dans les travaux de
R. Lesthaeghe en tant que déterminant des modes et facteurs de la production, d’où découlent les stratégies optimales de fécondité des groupes sociaux. Par exemple, dans ses travaux sur l’Europe (1982) menés en termes de
« catégories socio-professionnelles », il distinguera le prolétariat rural (production familiale, travail) du prolétariat urbain (production non familiale,
travail), il regroupe les bourgeoisies urbaine et rurale (propriétaires, capital)
et fait un seul groupe des fermiers, artisans et indépendants qui ont une production de type familial, mais combinent travail et capital comme facteurs de
production. L’éducation et la ville favorisent l’érosion des systèmes anciens
La ville et l’urbanisation dans les théories du changement démographique
23
de contrôle social, l’émergence de nouvelles cultures et des diversités intergénérationnelles. Par exemple, il écrit :
à propos de l’Europe (1980) :
« The urbanization and industrialization processes also accounted to some extent for the erosion of the old control system :
patronage networks of village notables weakned, and individuals
broke away from the moral authority vested in the churches » (p.
536).
à propos de l’Afrique (1980) :
« The gerontocratic control system is being successfully
challenged by one in which young males rise to prominence as a result of education, a factor that inevitably creates a gap between generations… The symptoms are most clear in the urban areas… The
weakening of the child-spacing pattern is, however, by no means
restricted to the middle and top urban layers of the population ; it
extends also to the rural areas » (p. 541).
Comme bien d’autres auteurs, il voit aussi dans les migrations fréquentes entre villes et campagnes qui sont dues aux inégalités de revenus et
d’emploi entre milieux, une cause potentielle de l’affaiblissement des pouvoirs traditionnels de la parentèle ou du village, et ainsi un facteur favorable
aux changements de nuptialité et de fécondité.
Dans ces différents courants culturels, remettant en cause le primat
de l’économique, on voit déjà bien apparaître la complexité des interactions
entre structures socio-économiques et institutions sociales (B.J. de Bruijne,
1997), entre le macro et le micro, avec un rôle essentiel dévolu dans
l’ensemble à l’éducation et à la ville en tant que lieu de départ privilégié du
changement culturel ou d’apparition de nouveaux modes de production reposant sur le travail non familial, sur le salariat, sur l’activité féminine croissante… On y recherche essentiellement le pourquoi des disparités géographiques ou temporelles, historiques ou contemporaines, mais aussi, me semble-til, une explication générale, disons universalisante. Il en sera autrement dans
les approches récentes, qu’elles rélèvent des courants dits matérialiste ou
institutionnel.
5. La migration et la ville
au cœur des approches matérialistes
Parallèlement aux travaux de J. C. Caldwell, se développe dans les
années 1970 et 1980 une approche marxiste des changements démographiques, essayant d’interpréter le passé occidental et surtout les transitions en
24
Dominique TABUTIN
cours dans le Tiers Monde29. « En termes très généraux, les changements
démographiques sont interprétés dans le contexte de la transition au capitalisme » (V. Piché et J. Poirier, 1995, p. 116), avec comme point de départ la
théorie du sous-développement. Schématiquement, l’extension (plus ou
moins rapide) du capitalisme crée un développement inégal (entre pays, entre
régions ou entre milieux d’habitat dans un pays) par les choix notamment de
la localisation des investissements (qui se font pour l’essentiel dans les villes
ou vers les zones côtières). Cela provoque des migrations, notamment des
campagnes vers les villes, car la sphère marchande a besoin de maind’œuvre, tandis que la sphère domestique rurale (pauvre le plus souvent) doit
survivre. Il s’en suit l’émergence de nouvelles classes sociales, salariées et
urbaines, avec une séparation progressive des fonctions de production (le bureau ou l’usine) et de reproduction (la famille). Dans ces familles, la valeur
productive des enfants baisse considérablement, l’éducation devient un outil
de promotion sociale, la santé un impératif… Bref, c’est dans ces classes sociales que s’amorceront les contrôles de la fécondité, de la nuptialité et de la
mortalité (c’est bien ce qui se passe dans la plupart des pays du Sud). En revanche, dans les groupes exclus de la production capitaliste et qui ont de faibles revenus, la fécondité demeure élevée. Chaque classe sociale a ainsi son
organisation familiale et ses stratégies de reproduction et de survie. L’extension des classes urbaines et salariées à faible fécondité conduira peu à peu au
déclin de la fécondité nationale. Voici ce qu’en disent V. Piché et J. Poirier
(1990) en se démarquant totalement de l’hypothèse d’Occidentalisation de
J.C. Caldwell :
« La transition ainsi conçue, c’est-à-dire en fonction de
l’ensemble des stratégies démographiques de classes, est intimement
liée aux transformations des structures de classes. Dans cette approche, la transition démographique ne se fait donc pas par la diffusion
des idées d’une classe à une autre, mais bien par la transformation
dans les conditions matérielles de production et de reproduction.
Comme l’affirme Caldwell, du point du vue démographique, la transition la plus significative est celle de la production familiale à la
production capitaliste. Mais contrairement à sa théorie, ce n’est pas
la diffusion des valeurs familiales occidentales qui est le moteur de
la transition, mais bien plutôt les changements dans les rapports de
classes. Le primat est donc accordé aux bases matérielles » (p. 187).
La ville - en tant que pôle privilégié du capitalisme (national ou international) et source de nouveaux types d’emplois, de besoins et de problèmes -, et la migration - en tant que processus d’adaptation - sont bien les deux
grands pivots de l’approche. Un processus migratoire au demeurant com-
29
Une pensée développée entre autres par des démographes canadiens (comme J. Gregory, D.
Cordell et V. Piché), américains ou latino-américains. Voir G.B. Simmons (1985) ou V.
Piché et J. Poirier (1990, 1995) pour en avoir une présentation plus détaillée.
La ville et l’urbanisation dans les théories du changement démographique
25
plexe, car comme le disent V. Piché et J. Poirier (1990) :
« la migration demeure une migration circulaire rurale-urbaine, de la sphère agricole à la sphère marchande (travail salarié
et/ou informel), ou une migration circulaire intra-urbaine, d’un travail peu rémunérateur à un autre » (p. 187).
On reprochera parfois à cette théorie de rester à un niveau plutôt
global, de négliger les éléments culturels et, au moins dans ses versions primitives, les structures de pouvoir et les rapports de genre. Cela dit, rejoignant
ce que Marx énonçait, elle reconnaît la spécificité historique de chaque société, la diversité des formes de production et des structures de classes qui en
découlent, la variété des processus d’urbanisation… Bref, elle reconnaît l’extrême diversité possible des chemins de la transition démographique (que
l’on constate bien dans les faits), rejetant toute idée de linéarité et d’uniformité. Les courants institutionnels récents iront encore plus loin.
6. La ville dans les courant institutionnels ?
Développé assez récemment aux Etats-Unis au cours des années
1980 et 1990 et un peu dans la lignée du courant précédent, ils redonnent une
place entière aux variables macro-sociales, institutionnelles et politiques,
contrant fermement – et à juste titre selon nous – les courants essentiellement
basés sur les changements culturels, sur les processus de diffusion idéologique ou sur le seul développement économique. Contrairement à la théorie
classique de la transition qui recherche la généralisation et reste au niveau
macro, cette grande approche privilégie au contraire les spécificités des transitions, elle essaie de comprendre le changement de la fécondité en le resituant dans le contexte institutionnel, culturel et politique des communautés
concernées, elle essaie de relier les niveaux micro et macro, elle fait appel à
l’histoire des processus, elle cherche à intégrer économie et culture. Comme
le souligne B. de Bruijn (1997), des auteurs comme R. Lesthaeghe et J.C.
Caldwell étaient déjà dans cette mouvance, mais c’est surtout au sociologueéconomiste G. McNicoll (1980, 1994) et à l’anthropologue S. Greenhalgh
(1990, 1995) qu’on doit leur développement récent. Le premier parle d’analyse institutionnelle de la fécondité et part de l’individu pour remonter progressivement aux institutions nationales, le second d’économie politique de la
fécondité en partant au contraire du sommet (le système économique et politique international) pour redescendre vers les régimes démographiques et les
environnements nationaux, régionaux et locaux30.
30
Pour une bonne vision d’ensemble des différences et de l’histoire de ces deux sous-courants, voir l’article de S. Greenhalgh de 1990.
26
Dominique TABUTIN
Place ici à la diversité, clairement énoncée par S. Greenhalgh
(1990) :
« They read the history of demographic theorizing as
saying that there is no single demographic transition, caused by forces common to all places and all times. Rather, there are many demographic transitions, each driven by a combination of forces that
are, to some unknown extent, institutionnally, culturally, and temporally specific. Eschewing cross-national studies, they focus on specific transitions in different parts of the world, using generalizations
derived from case studies as the building blocks of general transition
theory » (p. 88).
Place à la recherche multidisciplinaire (histoire, anthropologie, sociologie…), à l’étude conjointe des forces et contraintes sociales, culturelles,
politiques et économiques, aux interrelations micro–macro (approche multiniveaux), aux approches à la fois quantitatives et qualitatives. Une perspective élargie cherchant à concilier - réconcilier ? - nombre des approches
précédentes, prometteuse à notre sens mais qui manque encore de travaux
empiriques.
Et la ville dans tout cela ?
Pour G. McNicoll (1980, 1994) et les institutionnalistes, c’est surtout le changement institutionnel (un concept très vaste incluant le social,
l’économique, le culturel et le politique)31 qui conduit – ou conduira – la plus
grande partie des transitions de la fécondité dans les pays en développement.
Il en établit une typologie (1994) distinguant cinq modèles, qui grossièrement
(selon ses propres termes) recoupent les cinq grandes régions du monde :
« traditional capitalist » (l’Amérique Latine), « soft state » (le sous-continent
indien), « radical devolution » (la Chine), « growth with equity » (l’Asie de
l’Est), « lineage dominance » (l’Afrique sub-saharienne). Seule l’Amérique
Latine (avec notamment le Brésil et le Mexique) aurait suivi le modèle classique de la transition démographique, avec un rôle évident et important dévolu à l’urbanisation. Il écrit :
« These trends [of fertility decline] seem tied to socioeconomic changes of the kind that enter classic statements of demographic transition theory. Mortality had declined substantially by the
end of the 1960s in both of these countries, and the 1970s saw rapid
urbanization and falling shares of the labor force in agriculture. By
1980, two thirds of the population was urban. Per capita incomes
were high by Asian or African standards but the averages obscured
large inequalities – and falls as well as rises over time. For both rich
and poor, however, high fertility became increasingly incompatible
with urban industrial life. Urbanization, and the fall in private demand for children that accompanies it – in favela as much as in suburb – is clearly a substantial part of this story. It is also an uninte31
Et pas toujours très clair pour un non-sociologue ou un non-politologue.
La ville et l’urbanisation dans les théories du changement démographique
27
resting part : low urban fertility is neither a surprise nor a puzzle »
(p. 26).
Ailleurs, c’est selon les cas – et en simplifiant – le contrôle politique
des populations, les réformes agraires, le développement social et sanitaire,
l’ouverture culturelle, le poids de l’Etat souvent et des diverses institutions
qui en découlent qui permettent de comprendre les différences historiques et
les décalages actuels entre régions ou entre pays en matière de contrôle de la
fécondité. La ville n’y occupe aucune place particulière.
Dans les travaux récents relevant de « l’économie politique de la fécondité »32, les interrelations entre culture, genre, économie, pouvoirs, classes sociales et démographie sont abondamment traitées dans le cadre de communautés sociales ou ethniques bien ciblées, urbaines ou rurales, d’hier ou
d’aujourd’hui. La ville ou l’urbanisation n’y est guère privilégiée.
7.
Un bref retour aux faits :
la ville dans les transitions contemporaines
On s’est beaucoup interrogé ces dernières décennies sur le rôle au
niveau macro de l’urbanisation dans l’histoire démographique des pays en
développement, sur l’impact au niveau micro du milieu d’habitat sur les normes et les comportements des familles et des individus33. Donnons-en ici un
bref bilan.
7.1. L’urbanisation au niveau agrégé et international
Au niveau international, les reculs de la fécondité, l’évolution de la
nuptialité ou les progrès sanitaires des décennies 1960, 1970 et 1980 surviennent dans des contextes économiques ou sociaux on ne peut plus diversifiés.
En matière d’urbanisation, les pays latino-américains en sont dans les 50 à 60
% de population urbaine quand s’amorce le déclin de fécondité, la Corée du
Sud à 40 %, les Philippines à 30 %, l’Inde, la Thaïlande ou la Chine à 20 %
(J.C. Chesnais, 1986). Il n’y a pas non plus par la suite de relation nette entre
le rythme du déclin de la fécondité et le rythme de croissance urbaine. Dans
un travail récent sur 69 pays en développement et sur 30 ans (1960-1990), J.
Bongaarts et S. Watkins (1996) ne trouvent que des relations faibles et variables entre les indicateurs classiques de développement et la fécondité : après
32
33
Dont un tel exemple est l’ouvrage de 1995, Situating Fertility. Anthropology and Demographic Inquiry, dirigé par S. Greenhalgh et écrit par des anthropologues et des historiens.
Mais l’éducation a donné lieu à beaucoup plus d’écrits et de débats.
28
Dominique TABUTIN
contrôle du revenu par tête, de l’espérance de vie, de l’instruction et de la
proportion de population agricole, l’urbanisation ne joue plus qu’un faible
rôle (statistiquement non significatif). Il n’y a donc pas eu de seuil d’urbanisation pour entrer en déclin de fécondité. Quant aux rythmes des reculs, ils ne
sont pas liés aux rythmes de la croissance urbaine.
Dans une étude synchronique sur les relations entre fécondité et divers indicateurs de développement vers 1993 menée sur une centaine de pays,
nous aboutissions à un résultat du même genre (D. Tabutin, 1997) : une faible
relation entre proportion de population urbaine et fécondité ; seuls les quelques pays encore très ruraux (80 % et plus) avaient tous une fécondité maximale. A un niveau mondial, les choses sont donc aujourd’hui, si l’on ose dire,
à peu près aussi claires que pour le passé européen : pas de seuil et guère de
relation. A l’intérieur même du continent africain qui entre peu à peu en transition, les pays les plus avancés (Afrique du Sud, Zimbabwe, Botswana,
Swaziland) sont nettement plus riches, éduqués et « développés » (au sens du
PNUD) que les autres, mais à peine plus urbanisés : 34 % en moyenne contre
30 pour l’ensemble de l’Afrique (D. Tabutin, 1997).
7.2. Le milieu d’habitat au niveau individuel
Il y a toujours eu – et il y aura toujours – des inégalités ou des disparités, plus ou moins grandes, entre groupes sociaux, entre régions, entre
cultures ou entre milieux d’habitat. Tout système démographique (sociétal ou
local) se régule, « s’adapte » aux diverses contraintes et opportunités du
milieu social, économique, culturel ou environnemental. Banalement, cela
revient à dire que dans un pays il y a toujours différents modèles ou régimes
de reproduction.
Hier comme aujourd’hui, c’est clair pour les classes sociales, définies à la fois en termes de niveau de vie, de pouvoir et d’éducation : le plus
souvent, les reculs de la fécondité, les progrès sanitaires, les changements de
nuptialité ou de structures familiales touchent d’abord « les classes les plus
favorisées », généralement urbaines et instruites34. Le poids de l’instruction
est également très clair : la plus étudiée depuis 30 ans35, cette variable est
toujours discriminante après contrôle des autres caractéristiques individuelles36.
34
35
36
Y compris dans des pays encore classés comme « pré-transitionnels » en raison du niveau
élevé de leur croissance ou de leur fécondité nationale. Voir un exemple sur le Burkina
Faso dans D. Tabutin (1997).
Pour son rôle bien sûr, mais aussi du fait que, comme le milieu de résidence, elle est présente dans toutes les enquêtes. Voir pour une étude comparative sur 14 pays d’Afrique, M.
Ainsworth et al. (1996).
Voir D. Tabutin (1995) pour un peu plus de détails sur ces inégalités.
La ville et l’urbanisation dans les théories du changement démographique
29
Mais quid du milieu d’habitat ? Peut-on parler d’un modèle démographique urbain dans les pays du Sud ? Y a-t-il un « homo urbanus » aujourd’hui, comme le suggéraient L. Wirth dès 1938 et bien d’autres tenants
de la théorie de la modernisation dans les années 1950 et 1960 qui voyaient
dans la ville (ou la croissance urbaine) l’environnement (ou les conditions)
nécessaires pour passer de comportements « traditionnels » à des comportements dits modernes ?
Une chose certaine au niveau mondial : dans une grande majorité
des cas, c’est aujourd’hui en villes, chez les urbains que se déclenchent,
s’amorcent et souvent s’accélèrent les grands changements d’ordre démographique et sanitaire, comme les évolutions de la nuptialité et de la famille. Les
faits sont là, bien documentés par les très nombreuses enquêtes de fécondité
et de démographie-santé menées dans le monde entier depuis 25 ans. Le
schéma le plus courant d’évolution des disparités entre milieux d’habitat est
le suivant : dans un premier temps, une croissance des inégalités entre villes
et campagnes, dans un second un recul des disparités par un « effet de rattrapage » du milieu rural, dans un troisième (dans lequel peu de pays sont vraiment entrés) une convergence presque complète. Ces éléments peuvent varier
dans leur intensité et leur chronologie en fonction du niveau de développement et de l’organisation sociale et politique des pays.
7.3. La ville en Afrique
L’Afrique sub-saharienne, parfois considérée comme une région à
part, la dernière en tous cas à entrer en transition de fécondité et de nuptialité,
n’échappe point à la règle. Mondes urbains et ruraux y sont aujourd’hui bien
distincts sur le plan socio-démographique, et on est loin désormais des proximités entre milieux d’habitat que l’on observait dans les années 1970 en matière de fécondité, de nuptialité et parfois même de mortalité (D. Tabutin,
1997).
Prenons simplement l’exemple du Cameroun en 1998, un pays en
début de transition au niveau national (avec 5,9 enfants par femme en 1991 et
5,2 en 1998). Le tableau 4 présente une dizaine d’indicateurs socio-démographiques pour les trois grands milieux d’habitat.
Dans les villes et en particulier à Yaoundé et Douala, il y a une bien
moindre fécondité qu’en milieu rural, une demande plus faible d’enfants, des
durées d’allaitement et d’abstinence post-partum un peu plus courtes (mais
toujours importantes), une pratique de la contraception moderne qui démarre.
Les deux grandes villes se distinguent particulièrement des « autres villes »
par un âge au mariage plus tardif (20 ans contre 17 ans), une polygamie deux
fois moins importante (16 % cotre 32 %) et une malnutrition nettement moins
répandue.
30
Dominique TABUTIN
Tableau 4. Quelques indicateurs socio-démographiques et sanitaires
selon le milieu d’habitat au Cameroun (1998)
Indicateurs
Indice synthétique de fécondité
Nombre d’enfants à 40-49 ans
Nombre idéal d’enfants (1)
Yaounde
et Douala
3,1
5,1
5,1
Autres
villes
4,5
6,1
5,9
Milieu
rural
5,8
6,4
6,9
Total
5,2
6,2
6,3
Durée d’allaitement (2)
Durée d’abstinence post-partum (2)
Prévalence de la contraception moderne (3)
14,1
10,9
14,1
17,5
9,4
12,0
18,8
12,8
4,5
18,1
12,0
7,1
Age médian au 1er mariage (4)
% de polygames
20,1
16
17,2
32
16,9
36
17,3
33
Quotients (‰) de mortalité 0-5 ans
% d’enfants avec un retard de croissance (5)
91
15
121
26
160
32
146
29
Source : Enquête Démographique et de Santé (1998)
1) déclaré par les femmes de 30-39 ans ; 2) durées médianes en mois ; 3) femmes mariées ;
4) femmes de 30-39 ans ; 5) enfants de moins de 3 ans.
On serait proche a priori d’un modèle classique de transition où les
changements surviennent d’abord et surtout dans les zones urbaines les plus
« modernisées ». Mais sur le plan explicatif les choses sont beaucoup plus
complexes que cela en Afrique (comme ailleurs). Contraintes économiques et
sociales avec la crise qui perdure, et changement culturel conduisent à une
diversification et à une complexification des stratégies de vie et de survie des
groupes sociaux dans les divers milieux d’habitat. Et il est clair que l’on ne
marche pas vers un modèle urbain purement occidentalisé. C’est particulièrement vrai en matière d’organisation et de structures familiales : dans les
villes, la polygamie recule, mais est loin de disparaître (A. Marcoux, 1997),
la famille urbaine « moderne » s’élargit au lieu de se nucléariser (P. Vimard,
1997), la monoparentalité s’accroît suite à un certain relâchement des liens
conjugaux dans la crise, les unions libres se multiplient (B. Kuate Defo, sous
presse, pour un exemple sur le Cameroun), les rôles masculins et féminins
sont redéfinis (Th. Locoh, 1996), de nouvelles solidarités (plus sociales ou
associatives) apparaissent, les échanges villes-campagnes se modifient (S.
Yana, 1995)… Concluons simplement avec Th. Locoh (1996) :
« Il faut observer au quotidien les nouvelles familles africaines qui s’essaient à des équilibres inédits sur des chemins encore
peu empruntés par leurs devancières. Elles ne réussiront pas par
l’imitation de modèles extérieurs occidentaux. Certains parmi leurs
parents l’ont tenté avec un succès douteux, et d’ailleurs, ces modèles
La ville et l’urbanisation dans les théories du changement démographique
31
sont rejetés par les sociétés mêmes qui les ont forgés. La crise impose des choix difficiles mais l’innovation naît souvent de la
contrainte », (p. 466).
On est bien loin des visions classiques de la modernisation ou de la
diffusion culturelle, de la marche irrésistible vers l’occidentalisation ou
l’uniformisation …
8. Conclusion : bilan et pistes de recherche
Cette large – trop large ? – revue de littérature a été essentiellement
axée sur la place accordée et sur le rôle dévolu à la ville et à l’urbanisation
dans les changements démographiques. Nous avons pour cela procédé à la
relecture d’un certain nombre de démographes « marquants » du 19e siècle et
d’auteurs ou tenants des théories plus récentes. Vu l’ampleur de la tâche pour
le 20e siècle, nous nous sommes concentrés sur les grands courants classiques des années 1950 et 1960 (la modernisation par exemple) et sur la fécondité pour les approches les plus récentes, négligeant – et nous sommes conscients de la faille – les théories sur les migrations et la mobilité.
Nous sortons de cet exercice un peu déçu par rapport à nos attentes,
surtout pour le 20e siècle37. Nous partions en effet avec l’a priori que dans la
littérature démographique, nous trouverions beaucoup d’éléments, d’idées,
d’hypothèses sur les relations causales entre urbanisation et changements
socio-démographiques, sur le rôle de la ville ou des échanges migratoires
dans les dynamiques reproductives. Il y en a bien sûr (par exemple chez A.
Dumont, dans les théories de la modernisation, dans les approches matérialistes, un peu dans les approches culturelles), mais trop souvent la ville est
négligée, n’apparaissant pas ou guère comme une variable cruciale ou un
vecteur fondamental potentiel du changement reproductif. Rien à voir en tous
cas avec l’éducation dont on a bien davantage analysé les mécanismes
d’action sur la dynamique démographique et familiale. L’urbanisation est
souvent considérée comme une simple variable de différentiation des comportements, elle est parfois noyée dans une nébuleuse du genre « modernisation » ou « développement », elle n’apparaît même pas clairement dans
certaines approches théoriques récentes de la fécondité.
Il conviendrait, nous semble-t-il, de mieux mesurer, de mieux comprendre et de mieux expliquer.
37
On peut comprendre qu’au 19e siècle les auteurs manquaient de recul théorique, de données
statistiques adéquates ou même des outils de mesure requis pour une bonne analyse des différentiels ville-campagne.
32
Dominique TABUTIN
Mieux mesurer les tendances de la fécondité, de la nuptialité et de
l’organisation familiale en milieu urbain selon le type et l’histoire des villes,
ou encore les relations entre migration et fécondité ou nuptialité38… Les enquêtes de démographie et de santé sont d’un faible apport dans le domaine39.
Mieux comprendre la complexité des interactions villes-campagnes,
les mécanismes d’échanges ou de solidarités économiques et culturelles, les
modalités de l’insertion urbaine (marché du travail, logement…) et leurs
conséquences sur la dynamique démographique et familiale40, les rapports
entre groupes sociaux, entre générations ou entre sexes… Approches quantitatives et qualitatives41, approches pluridisciplinaires sont ici requises pour
l’étude de communautés urbaines (et rurales) bien ciblées dans le temps ou
dans l’espace.
Mieux expliquer en définitive… en comblant les manques théoriques, en développant des approches pluridisciplinaires et multi-niveaux.
Verra-t-on émerger une démographie urbaine, ou une théorie de la dynamique démographique des villes ? En a-t-on vraiment besoin ?
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de citadins au Sahel. Trente ans d’histoire sociale à Dakar et
Bamako, L’Harmattan, Paris, 265 p.
38
39
40
41
A l’image des travaux récents de Th. Eggerickx (1998) sur une partie de la Wallonie industrielle et urbaine de 1831 à 1910.
Voir malgré tout l’essai récent de mesure des relations entre fécondité et migrations dans
les villes africaines fait par M. Brockernoff (1998) à partir des EDS.
A l’image des enquêtes récentes sur l’insertion urbaine dans quelques grandes villes
d’Afrique de l’Ouest, utilisant les approches biographiques. Voir par exemple Ph. Antoine,
D. Ouedraogo et V. Piché (1998) dans « Trente ans d’histoire sociale à Dakar et Bamako ».
A l’image des travaux récents de S. Yana (1995) sur les relations culturelles et économiques entre ville et campagne au Cameroun.
La ville et l’urbanisation dans les théories du changement démographique
33
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