La ville et l`urbanisation dans les théories du changement
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La ville et l`urbanisation dans les théories du changement
Université catholique de Louvain Département des Sciences de la Population et du Développement La ville et l’urbanisation dans les théories du changement démographique Dominique TABUTIN Document de Travail n° 6 Février 2000 Texte publié sous la responsabilité de l'auteur La ville et l’urbanisation dans les théories du changement démographique 1 LA VILLE ET L’URBANISATION DANS LES THEORIES DU CHANGEMENT DEMOGRAPHIQUE Dominique TABUTIN* Institut de Démographie Dans l’histoire occidentale des deux derniers siècles, comme dans celle des régions du Sud depuis 50 ans, les transitions démographiques, liant fécondité, mortalité, nuptialité et mobilité, se sont déroulées parallèlement – ou corollairement – à un processus d’urbanisation dans l’ensemble très rapide. Une véritable « révolution urbaine » pourrait-on dire que vient de vivre et vit l’humanité et que résume bien l’évolution de quelques taux d’urbanisation dans le monde de 1800 à aujourd’hui1 : 1800 1850 1900 1950 1995 2015 * 1 Pays occidentaux 10 16 31 55 75 80 Régions du Sud 8 9 10 18 38 49 Monde entier 9 12 19 30 46 55 Ce document de travail est le texte d'une communication présentée à la Chaire Quetelet 1999 sur « Populations et défis urbains ». Sources : de 1800 à 1900, P. Bairoch (1985) avec 5000 habitants et plus comme définition de la population urbaine ; de 1950 à 2015, United Nations (1998) avec des estimations basées sur les définitions nationales. Pour les périodes récentes, celles de Bairoch sont toujours un peu plus basses que celles des Nations Unies. 2 Dominique TABUTIN Au niveau mondial, en 1800 un habitant sur dix seulement vivait en villes, en 1900 déjà un sur cinq, en 1995 presque un sur deux. Ce mouvement général cache bien sûr de grandes disparités entre régions, tant hier qu’aujourd’hui. Dans le monde en développement par exemple, l’urbanisation actuellement va de 22 % en Afrique de l’Est à 77 % en Amérique du Sud ; au sein de cette dernière région, elle varie de 36 % au Brésil à 78 % en Uruguay. Le processus est omniprésent, à des rythmes certes variables mais souvent rapides, alimenté tant par l’accroissement naturel que par les migrations2. Des signes de ralentissement des croissances urbaines sont apparus depuis une dizaine d’années, mais il n’empêche que de 1990 à 2000 elles sont en moyenne mondiale de l’ordre de 3 % par an (4,5 % pour le Sud) et que 80 % de la croissance démographique de la planète se fera en villes. Cela ne peut être sans conséquences sur les transitions démographiques récentes, en cours ou à venir. Cette urbanisation, autrement dit ce processus de densification et de concentration des populations dans des villes de plus en plus importantes, se fait – et s’est fait – dans des contextes sociaux et économiques fort diversifiés d’une période à une autre, d’une région ou d’un pays à un autre. Il n’est point de notre propos (et de nos compétences) d’entrer dans les histoires de l’urbanisation, dans les conditions et modalités du processus, dans les problèmes même de définitions et de concepts. Plus simplement (?), nous essayerons de dégager de la littérature démographique la place accordée à la ville comme élément moteur ou facteur de changements dans les comportements et les normes démographiques. Nous avons procédé à une relecture « ciblée » d’un certain nombre d’écrits, d’auteurs et d’études classiquement considérés comme marquant un tournant théorique et/ou empirique, en nous centrant particulièrement sur la fécondité, variable-clé de la transition. Comment la ville est-elle vue et appréhendée dans l’explication des changements ? Quel est le rôle reconnu à l’urbanisation ? Est-elle l’élément précurseur et incontournable du changement, la base de la diffusion de nouvelles idées et de nouveaux comportements, le pivot de la « modernisation » ? Nous partirons des précurseurs du 18e siècle et des premiers démographes (Quetelet, Dumont, Landry…), nous passerons par les théories de la modernisation (le modèle classique de la transition), par les théories de la diffusion (technologique ou culturelle) avant d’en arriver à des courants et travaux plus récents. 2 La part de l’accroissement migratoire dans la croissance urbaine varie bien sûr d’un pays à l’autre, mais il est souvent dans les années 1970 et 1980 au-delà de 40 %, pour atteindre les 60 % en Afrique sub-saharienne, en Indonésie, au Bangladesh ou 70 % en Chine (S.E. Findley, 1993 ; N. Chen et al., 1996). La ville et l’urbanisation dans les théories du changement démographique 1. 3 La ville chez les premiers démographes Chez les précurseurs du 18e siècle (Graunt, Moheau, Süssmilch, Deparcieux, …), le lieu d’habitat (la ville ou la campagne) sera surtout perçu et étudié en tant que facteur de différentiation des niveaux des phénomènes, au même titre souvent que le climat, la géologie… Dans l’ensemble préoccupés – comme bien d’autres « scientifiques » déjà à l’époque – par la pauvreté, les inégalités et la mortalité, ces premiers démographes ne se contentent pas toujours de ne calculer que des indices globaux ; nombre essaient aussi d’en examiner les variations selon le sexe, la saison, le climat, le milieu social et le lieu de résidence (J. Hecht, 1980). Et ils perçoivent bien les sensibles surmortalités urbaines3, que la démographie historique contemporaine confirmera. A. Landry dans La Révolution démographique (1934, p.182) citera nombre d’auteurs du 18e siècle dénonçant les méfaits de la ville sur la fécondité, par le « goût du luxe » et « le désir de s’élever » surtout qu’elle suscite. Résumant peut-être ainsi la pensée dominante, J.J. Rousseau ira jusqu’à écrire en 1762 : « Les villes sont le gouffre de l’espèce humaine. Au bout de quelques générations, les races périssent ou dégénèrent » (cité par J. Hecht, 1980, p. 67). Sans que tous les auteurs aillent toujours jusque là, la vision de la ville est largement négative : insalubrité de l’environnement, densification, pollutions, lieu de luxure et de débauche, illégitimité et sevrage précoce des enfants... Certains auteurs (Moheau par exemple en 1778) essaieront de démystifier quelque peu la vie saine et équilibrée du milieu rural, mais dans l’ensemble on ne perçoit guère la ville à l’époque comme source de progrès social et sanitaire. Et il est vrai qu’alors la ville était « dangereuse » à divers points de vue. Elle gardera longtemps ce caractère. C’est en réfléchissant au problème, déjà très débattu, de la misère que Th. Malthus fera quelques allusions explicites à la ville. Dans la lignée de ses prédécesseurs, il la classe comme l’une des « causes de misère et de vice » dans son essai de 1798. « Il condamne la guerre et la discorde, l’insalubrité des usines et de certains métiers, le gigantisme urbain (néfaste pour la santé physique), l’urbanisation sauvage – source de « trafics et plaisirs pervers » -, la boisson, le jeu et la débauche… Il appelle de ses vœux une société virgilienne, essentiellement rurale, où règnent la sobriété, la frugalité, l’hygiène, l’égalité face au travail et aux ressources… » (E. Vilquin, 1998, p. 187). 3 En 1746, Deparcieux, le premier selon J. Hecht à se pencher avec concision sur les différences de mortalité infantile entre villes et campagnes, estimera l’espérance de vie à la naissance de Paris à 22 ans et celle de la campagne à 40 ans. 4 Dominique TABUTIN Tout au long du 19e siècle, celui de l’industrialisation et de l’urbanisation (croissance des villes existantes, émergence de villes nouvelles, émigrations des campagnes), celui aussi de la prolétarisation et de la paupérisation de larges couches de la population4, nombre d’auteurs (économistes, statisticiens ou démographes) se pencheront sur les inégalités sociales, sur les différences démographiques entre monde urbain et monde rural. La surmortalité urbaine fait toujours recette, mais la fécondité et la nuptialité émergent. Et la ville est souvent « coupable ». Comme l’écrit P. Guillaume (1985, p. 48) à propos du 19e siècle : « On affirme, sans avoir toujours de respect pour des réalités statistiques d’ailleurs assez mal établies, la nocivité de la ville, soit qu’on l’accuse d’inciter à une limitation pernicieuse des naissances, soit qu’on la rende responsable de l’envol des naissances illégitimes ». K. Marx ne fera pas référence à la démographie urbaine, et fort peu même à la ville, privilégiant la notion de temps à celle d’espace. Il soulignera simplement (avec Engels)5 que la séparation entre ville et campagne est la forme première de division du travail, ou encore que la ville est l’espace privilégié de concentration des moyens de production, du capital, des plaisirs et des besoins, tandis qu’à l’opposé la campagne correspond à l’isolement et l’éparpillement. Pour eux, c’est la concentration de la population dans les villes qui explique l’émergence de l’industrie, et non pas l’inverse (comme on le rencontre le plus souvent), c’est-à-dire que la ville serait née de l’industrialisation (J. Remy et L. Voyé, 1974, pp. 193-199). C’est la ville qui amène la structure de classes et aliène l’homme dans son travail comme dans les besoins qu’elle crée. Mais venons-en à deux auteurs, A. Quetelet et A. Dumont, très différents (l’un est statisticien, l’autre sociologue, dirait-on aujourd’hui) mais qui tous deux ont marqué la démographie de l’époque et des décennies ultérieures. Que disent-ils de la ville ? Dans sa fameuse Physique sociale, un volumineux traité de 1839, remis à jour en 18696, l’œuvre d’une vie scientifique bien remplie, A. Quetelet aborde un nombre impressionnant de sujets : anthropométrie, sociologie, criminalité… et bien sûr la démographie (environ le tiers de l’ouvrage de 1869). Un bon exemple, nous semble-t-il, des travaux et des questions que l’on pouvait se poser à l’époque, avec le souci constant chez Quetelet (et bien d’autres alors) à la fois de mesure et d’explication. Chose surprenante (à 4 5 6 Celui aussi de l’essor de la statistique (avec les recensements et l’état civil) et de la recherche. Dans L’idéologie allemande (1845-46). Pour plus de détails, voir J. Remy et L. Voyé (1974). Publié alors sous le titre Physique sociale ou essai sur le développement des facultés de l’homme : 1000 pages en deux volumes. Voir l’excellente réédition annotée (1997) par E. Vilquin et J.P. Sanderson. La ville et l’urbanisation dans les théories du changement démographique 5 nos yeux), il ne fera point de la ville ou de la distinction ville/campagne une variable primordiale dans ses études sur la fécondité, la mortalité et la nuptialité. Comme « influence » (pour reprendre son expression) essentielle sur les phénomènes, il prend l’âge, le sexe, les climats, les périodes, les saisons, « les heures du jour », « le degré d’aisance », « la moralité », « les institutions civiles et religieuses », mais point le milieu d’habitat. Il présente néanmoins de temps à autre des résultats villes-campagnes, mais sans leur accorder une énorme attention et sans chercher longuement à expliquer les différences. Il relèvera rapidement une masculinité à la naissance un peu plus basse en villes (influence possible de l’illégitimité différentielle, p. 61), une natalité légèrement supérieure en villes (p. 79), la surmortalité urbaine en Europe, la forte mortalité des femmes à la campagne (« les travaux pénibles », p. 156) et des hommes à la ville (« le dérèglement de la conduite et la facilité de suivre l’impulsion de ses passions », p. 157), une surmortinatalité urbaine7, un rôle plus grand des saisons à la campagne. Dans sa synthèse finale, il écrira simplement : « on peut remarquer en général que les campagnes sont physiquement plus impressionnables que les villes » (p. 603). Rien de plus pratiquement, et c’est d’autant plus étonnant qu’en ce milieu du 19e siècle les statistiques (recensements, état civil) s'améliorent (notamment en Belgique et sous l’impulsion de Quetelet lui-même) et que nombre d’économistes, de médecins ou autres se préoccupaient de la pauvreté, des conditions de vie en villes comme à la campagne. Les études et publications démographiques, de mieux en mieux documentées, se multiplient vers la fin du 19e siècle. Et l’ouvrage d’E. Levasseur sur L’histoire de la population française de 1891 n’est pas des moindres. Peut-être la première œuvre du genre de par son ampleur et sa qualité. En trois tomes et sur 1500 pages, il décrit avec multe détails et commente tout ce que l’on connaît de la démographie française, européenne et mondiale, allant des faits aux lois et doctrines. Il consacre un long chapitre (XVII, vol. 2, 80 pages) aux diverses caractéristiques (accroissements, tailles, densités…) des villes de France et d’Europe. Comme d’autres auparavant, il y note la sur-illégimité des naissances8, la moindre fécondité et les problèmes de mortalité. Mais rien de plus pratiquement, avec néanmoins une vision mitigée du rôle social et économique de la ville : « Le moraliste peut tonner contre les grandes villes ; la civilisation ne saurait s’en passer » (p. 412, 1891). Le milieu d’habitat, les relations villes-campagnes, les migrations prendront une toute autre dimension dans les travaux d’A. Dumont (18491902) sur la démographie, et notamment la fécondité. Inquiet de la dénatalité 7 8 Sans autre explication, « ne pourrait-on pas les attribuer [les surmortinalités urbaines], en partie, à l’usage des corsets, et à l’habitude où sont les femmes de se serrer très fortement ? » (p. 102). Plus de concubinage, de célibat et de mariage tardif dans les villes. 6 Dominique TABUTIN française, voire de la dépopulation menaçant « les nations civilisées », il mène en France nombre d’enquêtes démographiques et « ethnographiques » sur des petites communes ou communautés, rurales le plus souvent, essayant de comprendre « le mal » et de proposer « une morale » et « une politique » permettant de l’enrayer9. C’est à partir de là qu’il élaborera sa fameuse théorie de « la capillarité sociale »10, la première grande théorie de fécondité, dans la définition de laquelle on voit déjà apparaître le rôle de la ville et des migrations : « La capillarité sociale, c’est-à-dire l’ascension universelle des citoyens vers une existence plus haute et plus pleine, telle est la cause unique de ces deux phénomènes jumeaux : abaissement de la natalité et émigration des habitants les plus riches, les plus énergiques et les plus entreprenants des campagnes vers les villes, des petites vers les grandes, de toutes vers Paris » (repris d’A. Béjin, 1989, p. 1023). C’est l’ambition pour soi et parfois pour ses enfants, le désir d’ascension sociale, mais aussi « l’idéal urbain », l’idéal de la « vie oisive du bourgeois », l’idéal de « vie calme » et de « repos », la montée de « l’individualisme », l’effet d’imitation de la classe sociale supérieure qui conduisent les ménages à « limiter volontairement le nombre de leurs enfants ». A. Dumont discutera longuement de la plupart des grands facteurs sociaux, économiques ou culturels susceptibles de maintenir ou au contraire de freiner la fécondité. La ville, notamment la grande ville, apparaît chez lui comme le point d’aboutissement de la modernité (dont il ne partage pas tous « les bienfaits », nous semble-t-il), en tous cas comme une référence constante : elle est le lieu où la religion recule, l’éducation et le niveau de vie s’élèvent, l’individualisme se répand… où donc l’effet de capillarité joue le plus facilement. Il accordera aussi une attention particulière à l’étude des migrations internes ou internationales dans leurs effets sur la démographie (A. Béjin, 1990) : il comprend les raisons de l’émigration des campagnes (par « besoin d’excitation » chez les jeunes les plus « ambitieux », « énergiques » ou « aisés », ou par « nécessité » chez les pauvres), mais il en dénonce les conséquences démographiques négatives ; il est hostile à l’émigration des français vers l’étranger et réticent à une immigration étrangère non contrôlée. Les travaux de Dumont, peu reconnus de son vivant, suscitèrent un regain d’intérêt dans les décennies suivantes, notamment chez ceux, de plus en plus nombreux, qui s’inquiétaient en France et en Europe des reculs de la 9 10 Pour A. Dumont, la démographie est au service de l’ethnographie. La première (à partir du dépouillement d’archives départementales) permet de repérer les « facteurs » ou « causes immédiates » de phénomènes, la seconde (observation sur le terrain) de comprendre « les causes médiates » des comportements détectés. Pour plus de détails, voir A. Béjin (1989) ou la présentation d’A. Béjin dans la réédition (1990) de l’un des ouvrages majeurs d’A. Dumont, Dépopulation et civilisation. Etude démographique (1890). Toutes ces idées ne sont point nouvelles à l’époque. La ville et l’urbanisation dans les théories du changement démographique 7 natalité et de la diversité des croissances démographiques européennes. Mais peu isoleront explicitement la ville ou le processus d’urbanisation comme variable fondamentale et première des changements, comme élément-clé de la modernisation11 . J. Bertillon par exemple dans La dépopulation de la France (1911) étudiera comme « influences » principales sur le déclin des fécondités en Europe : « l’aisance », « l’affaiblissement des croyances religieuses », « l’esprit démocratique », « l’individualisme » (ces trois derniers points venant de la Révolution), « le développement de la civilisation »… L’approche se fait beaucoup plus par la classe sociale ou l’instruction. On est sur la même longueur d’onde (ou peu près) à ce propos avec P. LeroyBeaulieu dans La question de population (1913). Par exemple, résumant sa réflexion (p. 237) : « La règle générale sans exception, dans tous les pays civilisés, est que dans les temps récents, proportionnellement au développement du bien-être, de l’instruction, des idées démocratiques et nouvelles, la prolificité décroît ». Trente ans plus tard, A. Landry (1874-1956), considéré comme l’un des pères de la transition démographique, ne sera guère plus explicite sur la ville dans ses deux ouvrages fondamentaux que sont La Révolution démographique (1934) et son Traité de démographie (1945). Dès ses premières réflexions (1909) sur les causes de la dénatalité12, il s’inspire sensiblement d’A. Dumont (avec le désir d’ascension sociale, l’égoïsme…), ajoutant « l’idée de progrès » (texte de 1909, repris en 1934, p. 186) : « On sait que celle-ci est l’idée dominante de notre civilisation, la base de la religion véritable de notre époque… Il y a une foi générale dans le progrès, et il y a une volonté générale de progrès. Et ainsi, même en dehors de la considération de la hiérarchie sociale et du désir d’arriver à égaler leurs supérieurs, les gens tiendront à vivre toujours mieux, à devenir toujours plus riches… On observe qu’entre les provinces d’un même pays, entre les quartiers d’une même ville, à une date donnée, la natalité varie souvent en raison inverse de la richesse. C’est que jusqu’ici la capillarité sociale a agi davantage dans les classes supérieures : c’est que l’esprit de prévoyance, l’amour du luxe, le désir d’améliorer sa situation sont d’autant plus vifs que les gens ont déjà plus d’aisance. » Vingt-cinq ans plus tard, dans son ouvrage de 1934 où il présente cette fois-ci les trois grands régimes démographiques bien connus (« primitif », « intermédiaire » et « contemporain »), il s’interroge bien sûr de nouveau sur le pourquoi des reculs de la mortalité et de la natalité (mais pas ou 11 12 Même si des statisticiens belges comme C. Jacquart et E. Nicolai feront au début de ce siècle d’excellentes études sur la démographie des villes ou des campagnes. Qu’il présente dans son article de 1909 sur « les trois théories principales de la population », repris dans son ouvrage de 1934. Pour lui, la dénatalité conduit à « la dépopulation qui est une décadence » (1934, p. 107). 8 Dominique TABUTIN guère des migrations qu'il négligera, nous semble-t-il, dans l'ensemble de ses travaux, contrairement à A. Dumont). Pour chacun, il décrit globalement les variables régulant la croissance des populations (la production, variable, avec son effet sur la mortalité dans le premier, la nuptialité en recul dans le second, « la procréation limitée » dans le troisième), mais il n’intègre pas véritablement ces changements fondamentaux que sont l’urbanisation et l’industrialisation, qui sont là depuis plus d’un siècle. A l’origine des reculs de la mortalité : « la diffusion du savoir hygiénique », « l’augmentation du bienêtre », « la suppression de la misère » (1934, pp. 22-26). A l’origine des baisses de la natalité : « la rationalisation de la vie », « l’imitation d’autrui », « les mœurs nouvelles » (1934, pp. 32-43). Rien de spécifique sur la ville, sur les relations villes-campagnes, sur l’urbanisation, qui n’apparaissent pas explicitement comme grand facteur de changement ou vecteur de diffusion des nouvelles idées ou comportements, même si A. Landry souligne de temps à autre les inégalités sociales ou géographiques, et les processus de diffusion, notamment dans son traité de 1945. Par exemple, p. 391 : « Il faut insister sur ceci, que la révolution démographique a développé ses effets progressivement, et dans le pays où elle s’est produite d’abord, en France, lentement. Cette émancipation des croyances et des influences anciennes qui l’a rendue possible s’est en effet propagée, dans chaque pays, d’une manière inégale géographiquement, inégale aussi par rapport aux diverses classes sociales, les hautes classes précédant les classes inférieures ». Vingt ans plus tard, en 1954, A. Sauvy publie sa Théorie générale de la population13. Et surprise encore (nous sommes en 1954), très peu de choses là encore sur la ville dans ses relations avec la démographie. Parmi « les raisons de la stérilité volontaire » (pp. 123-125, tome 2), l’urbanisation apparaît néanmoins en 10e et dernière position, après la suppression du travail des enfants, la baisse de la mortalité infantile, l’émancipation de la femme, le désir d’ascension sociale, le développement de l’instruction, l’accroissement du niveau de vie…, « tous facteurs étroitement liés au développement économique ». Il dira peu de l’urbanisation, si ce n’est rapidement et brutalement parlant des pays sous-développés (p. 230) : « L’industrialisation et la vie urbaine désintègrent les populations habituées aux cadres rigides de la vie tribale. Une population paysanne qui s’arrache à son sol et à ses dieux se trouve soudain sans appui et exposée à tous les fléaux sociaux : taudis, prostitution, maladies vénériennes, etc… C’est cette perspective de destructions sociales qui a conduit certains sociologues à redouter le développement, sinon à conseiller de l’arrêter ». Sans commentaires de notre part ! 13 Un ouvrage en deux volumes qui à notre sens n’a rien d’une théorie. Il s’agit plutôt d’une sorte de traité ou d’essai rassemblant faits, doctrines et idées, parfois originales ou à contrecourant de l’époque, mais pas toujours très argumentées. La ville et l’urbanisation dans les théories du changement démographique 9 En définitive, dans cette brève revue (sélective) de littérature sur deux siècles, essentiellement francophone14, la ville et l’urbanisation n’occupent pas – contrairement à nos attentes – une place centrale et directe dans l’explication des changements démographiques. Dans une période où, notamment en France, dominait la peur de la dénatalité, elle est dans l’ensemble perçue de façon négative par « les démographes ». Il en sera autrement, un peu plus tard, dans les théories de la modernisation et de la transition démographique de l’après-guerre, issues notamment du monde anglo-saxon. 2. L’urbanisation dans les théories de la modernisation et de la transition démographique des années 1950 et 1960 2.1. Les théories de la modernisation Les années 1950 verront l’émergence aux U.S.A. d’une large école de pensée, dite de la modernisation, soutenue par le gouvernement américain pour l’étude des conditions, du pourquoi et du comment de la modernisation (politique, économique, sociale…) des nouveaux Etats du Tiers Monde15. Un mouvement multidisciplinaire, au sens où toutes les sciences sociales seront concernées : des sciences politiques et économiques à la sociologie, à l 'anthropologie et à la démographie, nous y reviendrons. Chacune à sa façon fera sa recherche des conditions-clés de la modernisation, mais toutes partageront quelques grandes hypothèses relevant à la fois des théories de l'évolutionnisme (déjà ancien) et du fonctionnalisme. En les résumant, suivant en cela S. Huntington (1976) : la modernisation est un processus par étape et unidirectionnel, toute société allant d’un point à un autre, d’un stade primitif (rural ou famille élargie par exemple) à un point final (urbain ou famille restreinte). Elle est un processus d’homogénéisation (toutes les sociétés finiront par se rassembler) et de convergence vers le modèle occidental (européen ou américain). Elle est un processus irréversible : une fois démarrée, elle ne peut être arrêtée (le rythme peut varier dans le temps ou dans l’espace, mais pas la direction). Elle est aussi un processus graduel, plutôt lent, « non-révolutionnaire ». Proches des hypothèses fonctionnalistes, on retrouve les idées d’interdépendance entre les institutions sociales, de processus systémique. 14 15 Il resterait à voir les littératures anglaise et allemande. Un mouvement qui devait aussi contrer l’extension de l’idéologie marxiste et asseoir ainsi la domination des Etats-Unis sur la scène mondiale. Pour son historique et une description détaillée, voir par exemple A.Y. So (1990). 10 Dominique TABUTIN Pour A.Y. So (1990, p. 35) : « Modernity involves changes in virtually all aspects of social behavior, including industrialization, urbanization, mobilization, differentiation, secularization, participation and centralization ». Il n’est point de notre propos ici de reprendre en détails les nombreuses critiques que ne manquera pas de susciter cette théorie de la modernisation : le fait de dichotomiser à outrance (primitif – moderne, rural – urbain, agricole – industriel)16, l’idée (fausse) et optimiste d’un changement progressif et sans à-coups possibles, l’ethnocentricité de l’idéologie sous-jacente, le fait aussi que le niveau de généralisation et d’abstraction adopté dans la théorie exclut quasiment toute possibilité de vérification empirique. Nous l’avons dit, cette théorie de la modernisation constitue dans les années 1950 à 1970 l’un des grands courants explicatifs dans chaque science sociale : en sciences politiques (la marche vers la démocratie et la stabilité politique), en économie (la fameuse théorie de Rostow de 1960 sur les conditions et les étapes du décollage économique), en sociologie de la famille (les changements de l’institution familiale), en sociologie urbaine17 et bien sûr en démographie. On pourrait résumer la théorie de la modernisation en reprenant la définition qu’en donnait en 1967 (p. 22) D. Lerner, un de ses tenants : « Modernisation is… the social process of which development is the economic component. If economic development produces rising output per head, then modernisation produces the societal environment in which productivity is effectively incorporated ». Dans la littérature, les mots de modernisation, industrialisation, urbanisation sont fréquemment employés les uns pour les autres, ou encore parfois tous ensemble, à la « queue leu leu » : beaucoup d’ambiguïtés, de confusions et d’imprécisions dans tout cela. Cela dit, la modernisation est envisagée comme un processus de changement multidimensionnel, concernant à la foi le culturel, l’économique, le psychologique, le social… et le démographique. Et l’urbanisation apparaît bien comme l’un des éléments-clés ou moteurs du changement : pour les partisans de cette approche, la ville crée les conditions nécessaires au « décollage », au « progrès », au « développement », voire « la civilisation », en rassemblant l’élite, en changeant les mentalités et les modes de vie des individus, en créant une nouvelle culture (voir à ce propos L. Wirth, 1938, un des pères de la sociologie urbaine), en abritant 16 17 Même si dans les versions plus récentes des années 1970 et 1980 on se positionne plutôt sur des continuum (du rural à la très grande ville, du plus traditionnel au plus moderne…). Avec les travaux de L. Wirth par exemple qui dès 1938 essaie de définir sociologiquement la ville (avec ses trois critères : dimension, densité et hétérogénéité) et le mode de vie urbain (« la personnalité urbaine »). Il proposera de travailler sur un continuum (du « plus rural » au « plus urbain ») plutôt que de façon dichotomique. La ville et l’urbanisation dans les théories du changement démographique 11 l’industrialisation… Sans la ville, point de modernité, point de salut pourraiton presque dire. 2.2. L’urbanisation dans la théorie de la transition démographique Cette théorie sera en démographie le reflet fidèle du courant de la modernisation : la transition démographique s’inscrit dans un vaste processus de changements structurels liés au développement socio-économique. Développée aux Etats-Unis, elle dominera longtemps la pensée démographie, des années 1940 aux années 1970, avant d’être largement remise en cause. Point de surprise ici : l’urbanisation et l’industrialisation sont conjointement les deux grands moteurs du changement démographique. En la résumant, le développement industrialo-urbain conduit à une amélioration de la productivité agricole et à une diminution de la population active rurale, laquelle va alimenter la demande de main-d’œuvre urbaine. Salariat, éducation, conditions de vie… conduisent à un changement de mentalités et de comportements en villes et ainsi à une transformation des structures matrimoniales et à un recul de la fécondité. Dès 1944, D. Kirk (selon D. van de Kaa, 1996) met en avant le rôle crucial du développement industriel, des « influences urbaines » et de la « civilisation technologique ». F. Notestein, qui développera la théorie dans les années 1950, comme bien d’autres, parlera de « société urbaine industrielle »18. Il écrira en 1953 (pp. 142-143) : « The new ideal of the small family arose typically in the urban industrial society. It is impossible to be precise about the various causal factors, but apparently many were important. Urban life stripped the family of many functions in production, consumption, recreation, and education… In factory employment the individual stood on his own accomplishments. The new mobility of young people and the anonymity of city life reduced the pressure toward traditional behaviour exerted by the family and the community. In a period of rapidly developing technology new skills were needed and new opportunities for individual advancement arose. Education and a rational point of view became increasingly important. As a consequence, the cost of child-rearing grew and the possibilities for economic contributions by children declined. Falling death rates at once increased the size of the family to be supported and lowered the inducements to have many births. Women, moreover, found new independence from household obligations and new economic roles less compatible with childbearing ». 18 L’association urban industrial society montre à notre sens l’association directe (globale et abusive à notre sens) faite entre ville et industrialisation et l’embarras dans lequel on était de faire la part des choses entre les deux. 12 Dominique TABUTIN Le tableau 1 est une brève synthèse des grands facteurs de la modernisation relevés chez quelques auteurs représentatifs de l’époque. La palette est large et diversifiée, avec chez la plupart des théoriciens, plus ou moins directement ou explicitement exprimé : le recul de la mortalité (considérée souvent comme une condition préalable au recul de la natalité)19, les progrès de l’éducation, l’augmentation du niveau de vie, le changement culturel (avec la laïcisation de la société) et bien sûr l’industrialisation et l’urbanisation. C’est la civilisation industrielle et urbaine qui conduit à une transformation progressive des systèmes de valeurs et des comportements des classes sociales et des familles. Tableau 1. Facteurs historiques de la modernisation dans ses effets sur la fécondité relevés chez quelques auteurs Notestein (1953) – la vie urbaine et les nouvelles mentalités (Raison et laïcité) – le travail en usine – l’éducation – le coût croissant et le travail décroissant des enfants – la chute de la mortalité et l’amélioration de la santé Tout cela conduisant à un recul des systèmes traditionnels normatifs qui soutenaient les fortes natalités Nations Unies (1953) – le désir d’ascension sociale pour soi et ses enfants – le changement des statuts et rôles de la femme – le progrès du niveau de vie – le coût croissant de l’enfant – la sécularisation de la société – le recul de la mortalité Coale et Hoover (1958) – la division progressive du travail avec l’industrialisation – l’urbanisation – la monétarisation de l’économie – le progrès technique Easterlin (1978) – les innovations en santé et médecine – les progrès de l’éducation formelle et des communications – l’urbanisation – l’introduction de nouveaux produits de consommation – la croissance du revenu par tête Tout cela conduisant à un recul de la famille comme unité de production, à la montée du travail extérieur des femmes, au recul de la force traditionnelle des coutumes… et à la baisse de la fécondité. 19 Voir sur ce point J.C. Chesnais (1986, pp. 332-351). La ville et l’urbanisation dans les théories du changement démographique 13 En définitive, la ville/l’urbanisation n’est qu’une des composantes, que l’un des éléments du changement structurel. Notestein lui-même admettra la diversité des facteurs (voir citation page précédente) et pour lui comme pour bien d’autres, le mouvement va de la ville vers la campagne (1953, p. 142) : « Under these multiple pressures old ideals and beliefs began to weaken, and the new ideal of a small number of children gained strength. A trend toward birth restriction started in the urban upper classes and gradually moved down the social scale and out to the countryside ». tout en reconnaissant déjà la variété des situations (p. 143) : « It is evident that urbanization provides no mystical means for the reduction of fertility. The small family ideal and strong motivation for the reduction of births have arisen in a variety of conditions ». Dans les années qui suivent, on commencera à douter de plus en plus de la pertinence de cette théorie de la modernisation pour les pays en développement. Dans leur fameux ouvrage de 1958 sur l’Inde et les pays à bas revenus, A.J. Coole et E. Hoover doutent de son adéquation totale : la mortalité baisse dans des pays sans progrès économiques substantiels, la fécondité demeure élevée dans des pays où l’urbanisation a sensiblement progressé (ils citent les cas de l’Egypte et de l’Inde). Nombre de critiques suivront. Mais le rôle même de l’urbanisation sera remis en cause pour l’histoire du passé européen, nous y viendrons. 2.3. Un mot sur la théorie de la transition épidémiologique Un peu plus tard que Rostow en économie ou Notestein en démographie, A. Omran pose en 1971 les bases de ce qu’il dénommera une théorie de la transition épidémiologique. Elle concerne le comment et le pourquoi des changements à long terme des schémas de morbidité et de mortalité qui accompagnent les changements sociaux, économiques et démographiques20. Dans la lignée de la pensée classique sur la modernisation, il distingue trois « âges » (ce que d’autres théories dénomment étapes ou phases)21 et trois modèles (« le classique » : l’Occident, « l’accéléré » : le Japon et « le contemporain » : les pays en développement). Il cherche aussi à expliquer cette transition, mais il ne le fera qu’en utilisant des termes vagues et généraux, du genre : « socioeconomic development » (p. 511), « socioeconomic, political and cultural determinants » (p. 525), « byproduct of social change » (p. 520), 20 21 Pour plus de détails, voir D. Tabutin (1995). « The age of pestilence and famine, the age of receding pandemics, the age of degenerative and man-made diseases » (p. 516). 14 Dominique TABUTIN « modern industrial society » (p. 525), « socioeconomic improvements » (p. 531), « process of modernization » (p. 534), sans aucune autre précision. Rien sur la ville ou l’urbanisation, rien non plus sur l’éducation, rien en définitive sur les grands changements structurels. Décevant quand on propose un modèle général ou une théorie. 3. Le rôle de l’urbanisation dans les transitions de fécondité de l’Europe ? On s’accorde, hier comme aujourd’hui, sur le fait que dans l’ensemble les déclins de fécondité en Europe ont débuté parmi les « élites » urbaines (aristocratie, grande bourgeoisie) avant de « se propager » peu à peu dans les classes moyennes et ouvrières et vers les milieux ruraux. Au 18e siècle, la natalité des villes était généralement plus basse que celle des campagnes ; à Rouen comme à Genève par exemple, le contrôle de la fécondité a commencé dès le début du 18e siècle dans la haute bourgeoisie avant de « se diffuser » en quelques décennies dans les autres classes sociales. Cela fait dire à M. Livi-Bacci (1986, p. 198) parlant des villes : « Urban populations precede the rest of the population in the transition from high to low mortality, and by the second half of the nineteenth century a clear dichotomy in fertility patterns is solidly established… Urban populations cannot be forerunners of change ; they are themselves the prime movers of change… The relevance of urban factor is therefore evident, but an unsolved question remains : are these groups forerunners of fertility control because they live in the special cultural, social and economic environment of the city, or is the city environment special because of the existence and role of the forerunners ? » Les faits sont là et bien documentés22, notamment pour la période 1850-1930 avec l’European Fertility Project de l’Université de Princeton : 1) en dehors de la France et de quelques autres régions, le déclin de fécondité commence toujours en zones urbaines, 2) pendant la transition, les différences villes-campagnes s’accroissent car les déclins sont au départ plus rapides en villes. Mais A. Sharlin (1986) analysant ces fécondités par région et milieu d’habitat se montre prudent sur leur interprétation causale et sur l’idée de « diffusion » sur laquelle nous reviendrons : « The regularities do not provide any support for the proposition that urbanization played a causal role in the transition. They do not indicate that the decline spread from urban to rural areas, al- 22 En voir une synthèse dans l’ouvrage collectif de A.J. Coale et S.C. Watkins (1986) ou chez Th. Eggerickx (1998). La ville et l’urbanisation dans les théories du changement démographique 15 though this possibility is not contradicted. The generalizations do not mean that all segments of the urban population began their fertility decline before all segments of the rural population » (p. 247). Tableau 2. Quelques grandes tendances (moyennes) de la démographie urbaine du 19e siècle en Europe (d’après les études récentes de démographie historique) La fécondité – fécondité légitime urbaine inférieure à la fécondité rurale – fécondité d’autant plus basse et déclin d’autant plus rapide que la ville est grande – déclins plus précoces en villes et généralement plus rapides, conduisant à un accroissement des écarts entre milieux d’habitat au long du 19e siècle – sur-fécondité des cités industrielles par rapport aux villes traditionnelles, au moins durant la période pré-transitionnelle – illégitimité sensiblement supérieure dans les villes La nuptialité – davantage de célibat dans les villes – âge au mariage un peu plus tardif en milieu urbain – nuptialité souvent plus intense et précoce dans les régions ou cités très industrialisées La mortalité – surmortalité des milieux très urbanisés, densément peuplés et industriels par rapport au milieu rural – sensibilité encore (jusque vers 1880) des villes aux crises alimentaires et aux épidémies – écarts entre milieux d’habitat qui s’atténuent peu à peu – surmortalité des villes (en Belgique) avant 5 ans et après 40 ans La mobilité – accroissement sensible et diversification des mobilités – « exode rural » parfois non négligeable – développement des migrations pendulaires (en Belgique par exemple) Les croissances – croissance souvent lente des campagnes, parfois stagnation des populations rurales – croissance plus rapide des villes, avec un apport migratoire qui compense leur faible croît naturel – croissance démographique très rapide des cités industrielles grâce aux bilans naturels et migratoires très positifs Source : Th. Eggerickx (1998). Une synthèse des synthèses faites par l’auteur. Le point toujours débattu est celui du rôle respectif des divers éléments du changement sociétal (industrialisation, urbanisation, éducation, sécularisation…) dans le timing et le rythme de recul de la fécondité générale et légitime. Par exemple, en s’en tenant ici à « la variable » qui nous concerne, 16 Dominique TABUTIN les décalages observés au 19e siècle entre pays ou entre régions d’un pays dans la précocité et le rythme du déclin de la fécondité sont-ils liés aux différents degrés et rythme d’urbanisation des pays ou des régions ? Il y a bien sûr les belles exceptions classiques au modèle classique de la transition, celles où le recul de la fécondité s’amorce dans des pays peu urbanisés et industrialisés, plutôt agricoles et ruraux : le cas bien connu de la France, aux trois quarts rurale quand s’enclenche le déclin vers 1780, avec a contrario l’Angleterre, bien plus industrialisée et urbanisée dès cette date mais où le déclin ne s’amorcera qu’un siècle plus tard quand les trois quarts de sa population seront urbains23 ; le cas des Etats-Unis où les premiers déclins seraient survenus en milieu rural ; le cas de quelques régions de Hongrie… Il est clair et admis aujourd’hui que les transitions démographiques nationales et régionales ont démarré dans une diversité extrême de situations sociales, économiques et démographiques. Pour qui en douterait encore, le tableau 3 présente pour dix pays divers indicateurs de « modernisation » au moment du début du recul de leur fécondité24 : mortalité infantile, proportions d’agriculteurs, proportions d’analphabètes et bien sûr niveau d’urbanisation. Tableau 3. Indicateurs socio-économiques dans dix pays européens au moment du démarrage du déclin de fécondité Pays Date(1) France Belgique Suisse Hongrie Suède Angleterre Danemark Finlande Italie Bulgarie 1800 1882 1885 1890 1892 1892 1900 1910 1911 1912 (1) (2) Ig avant déclin 0,70 0,82 0,72 0,63 0,71 0,68 0,68 0,70 0,68 0,70 Mortalité infantile (‰) 185 161 165 250 102 149 131 114 146 159 % (hommes) % % population d’agriculteurs d’analphabètes urbaine(2) 70 > 50 7 30 30 22 33 < 10 9 73 49 11 49 < 10 11 15 < 10 57 42 < 10 23 66 44 9 46 39 28 70 60 7 Cette date correspond à un déclin de 10 % de la fécondité légitime de départ. Villes de 20 000 habitants et plus. Source : quelques pays et données sélectionnés à partir de J. Knodel et E. van de Walle (1979). Ecartons la France, atypique, pour se concentrer sur la seconde moitié du 19e siècle. Les déclins surviennent au même moment (vers 1890) dans les deux pays, Hongrie et Angleterre qui à tous points de vue sont aux extrê23 24 Voir J.C. Chesnais (1986, chap. XI) pour une bonne comparaison de la France et de l’Angleterre. Les données (sélectionnées) sont reprises de l’étude comparative sur 17 pays de J. Knodel et E. van de Walle (1979). La ville et l’urbanisation dans les théories du changement démographique 17 mes sur une échelle du développement. Il en sera pratiquement de même vers 1911 avec l’Italie et la Bulgarie. La Belgique et la Suisse vers 1883 sont comparables pour la mortalité infantile et la proportion d’agriculteurs, mais la première est beaucoup plus urbanisée et la seconde bien plus lettrée. Les différences d’éducation sont importantes au moment de ces premiers déclins de la fécondité, comme elles le sont en matière d’urbanisation : vers 1890, les proportions de population urbaine (villes de 20 000 habitants et plus) allaient en Europe de 9 % (Suisse) à 50 % (Ecosse) et 57 % (Angleterre), les proportions de populations rurales (communes de moins de 5 000 habitants) de 26 % (Pays-Bas et Ecosse) à 80 % (Hongrie, Suède et Suisse). Même si les données sont imparfaites et parfois difficilement comparables, cela conduira J. Knodel et E. van de Walle (1979) à conclure à une absence de seuil et de pré-condition au déclin de la fécondité : « It seems safe to conclude that no obvious threshold of social and economic development was required for the fertility transition to begin… Although a high level of social and economic development (as measured by the usual indexes) may often accompany a fall of fertility, it is clearly not a precondition » (p. 227). S.C. Watkins ne dira guère autre chose dans sa conclusion générale de l’ouvrage du European Fertility Project (1986) : « The European experience suggests that modernization is sufficient but not necessary. Nor is the response of fertility to the changes that define or accompany modernization always immediate : the lag may be quite variable and seems to be associated with longstanding cultural differences… Although relatively modernized provinces usually began the transition earlier, those with relatively high infant mortality and illiteracy and low levels of industrialization and urbanization followed within a few decades, well before they have reached the same threshold of social and economic change as the pioneers » (p. 449). C’est en définitive une sensible remise en cause de la théorie de la modernisation, du modèle classique de la transition démographique, c’est admettre qu’il y a autre chose que le socio-économique, l’industrialisation ou l’urbanisation25. Pour expliquer « l’inexpliqué », sinon « l’inexplicable » (comment la pratique de la contraception, avec ce que cela implique sur les normes et les comportements, a pu se répandre aussi vite dans des conditions, des sociétés et des communautés aussi diversifiées ?), on en arrivera à des approches plus culturelles et diffusionnistes dans les années 1970 et 1980. On en arrive plus précisément à considérer la pratique contraceptive comme une « innovation » technique et mentale, comme une nouveauté soudaine, comme une rupture brutale ou une discontinuité avec le passé, qui se répandra rapi25 Un résultat important en termes de politiques d’action dans le Tiers Monde, signifiant que la fécondité pouvait baisser en l’absence de tout développement majeur. On avait dit la même chose pour la mortalité dans les années 1960 et 1970 (D. Tabutin, 1995). 18 Dominique TABUTIN dement à partir de quelques groupes ou milieux pionniers (dont la ville par exemple). Nous y reviendrons en examinant le rôle qui là est dévolu à la ville. Mais un mot auparavant sur ce problème de continuité ou de discontinuité avec le passé, car le débat sur la modernisation, et donc sur le rôle de la ville et de l’urbanisation, n’est pas clos. Par exemple, il sera récemment relancé par D. Friedlander et B. Okun (1996) dans une étude sur l’Angleterre – Pays de Galles, réalisée à partir de l’évolution de la fécondité et des indicateurs socio-économiques26 de 600 districts entre 1851 et 1911, dont l’urbanisation. Ils montreront que la fécondité a chuté plutôt graduellement, qu’il y a donc plus continuité que rupture avec le passé, que dans le contrôle de la fécondité, contraception et nuptialité ont été simultanément utilisés, avec toutefois davantage de contraception au départ dans les villes et son extension progressive dans le temps. Ils montreront, pour nous ici, que les variables « explicatives » des différences de fécondité entre districts avant la transition et des rythmes de changement ensuite sont les mêmes : l’urbanisation d’abord, suivie de près par l’éducation, l’industrialisation jouant aussi mais beaucoup moins. Cela revient à dire que les changements de fécondité dépendent des conditions et des changements socio-économiques, dont notamment l’urbanisation. Sans le dire explicitement, les auteurs remettent en selle la théorie classique de la transition. 4. La ville dans les approches diffusionnistes et culturelles Pour « expliquer » tant la simultanéité (néanmoins relative) des déclins de la fécondité en Europe au 19e siècle que la diversité des conditions dans lesquelles sont survenues nombre de transitions récentes dans les pays du Sud27, les années 1970 et surtout 1980 verront fleurir – ou être confortées - des approches plus culturelles, relativisant fortement ou rejetant même parfois le rôle du socio-économique. Nous ne ferons point le tour des nombreux 26 27 Les auteurs utilisent les recensements décennaux et l’état civil (corrigé) de 1851 à 1911 pour construire par district les différents indices de Coale (Ig, If et Im) et les diverses variables explicatives : 1) la structure socio-professionnelle (tertiaire, industrielle, domestique et agricole), 2) le niveau d’éducation (mesuré par le nombre d’enseignants par rapport à la population adulte) et 3) le degré d’urbanisation (mesuré par la densité). L’étude de Princeton sur l’Angleterre – Pays de Galles n’envisageait que le niveau des counties (45 au total). Par exemple, la rapidité avec laquelle dans certains pays, la fécondité a pu reculer en l’absence de grands progrès socio-économiques. La ville et l’urbanisation dans les théories du changement démographique 19 courants et auteurs qui ont alimenté et continuent d’alimenter cette approche culturaliste, nous nous en tiendrons simplement aux plus marquants28. Globalement (et donc en simplifiant), on inverse ici en quelque sorte le processus causal : c’est la modernisation culturelle (par exemple la laïcisation et l’individualisme croissants au 19e siècle, ou l’occidentalisation des pays du Sud aujourd’hui), qui en provoquant une évolution irréversible des valeurs et un changement radical des mentalités (vis-à-vis de l’enfant, de la femme, de la vie ou de la mort…), conduit à un désir de descendance plus restreinte et au contrôle de la fécondité. La modernisation des valeurs et des comportements, ainsi que les innovations technologiques, en l’occurrence le contrôle des naissances, se diffusent d’une personne à une autre, d’un groupe social à un autre (des « élites » aux classes moyennes et aux ouvriers par exemple), d’un milieu à un autre (des villes vers les campagnes), d’une région à une autre (du Nord vers le Sud) selon un processus dont les modalités et la rapidité varient d’une société à l’autre en fonction de leur organisation sociale et politique, en fonction aussi des réseaux de communication. Quelle est plus précisément la place ou le rôle de la ville, de l’urbanisation dans ces processus de diffusion culturelle ou d’acculturation ? Dans cette grande approche de la modernisation culturelle, reprenons brièvement la théorie des flux de richesses de J.C. Caldwell, le courant diffusionniste (avec J. Cleland notamment) et le courant culturel (avec R. Lesthaeghe). Dès 1976, J.C. Caldwell relance la réflexion (un peu endormie) sur les déterminants de fond de la fécondité. Partant de l’anthropologie et de ses études sur l’Afrique, il remet brutalement en cause certains des grands postulats jusqu’alors dominants : 1) l’irrationalité des sociétés traditionnelles et de leur forte fécondité : le comportement des familles est toujours économiquement rationnel, 2) le fait que l’industrialisation et l’urbanisation soient aujourd’hui une condition préalable au déclin de la fécondité. Il dénonce les relations anciennes du genre : traditionnel = rural = irrationnel, moderne = urbain = rationnel. Il écrira dans ce sens (1976) : « There is a persistent strain in demographic transition theory writings that claims that rationality comes only with industrial, urban society and a related strain that regards traditional agrarian societies as essentielly brutish and supersitious… The underlying assumption of my study is that all societies are economically rational » (p. 119). ou encore : « High fertility was a perfectly rational response to socioeconomic conditions in a traditional agrarian society » (p. 122). 28 Pour plus de détails, voir quelques synthèses récentes des théories de fécondité : D.J. van de Kaa (1996), D.K. Kirk (1996), V. Piché et J. Poirier (1995), B. de Bruijn (1999) ou H. Joshi et P. David (1997). 20 Dominique TABUTIN et finalement : « The major implication of this analysis is that fertility decline in the Third World is not dependent on the spread of industrialization or even on the rate of economic development… Fertility decline is more likely to precede industrialization and to help bring it about than to follow it » (p. 156). Il ne parlera guère ou explicitement de la ville ou de l’urbanisation en tant que tel. La reproduction dans les familles repose essentiellement sur des bases matérielles (les flux de richesses entre parents et enfants), mais les changements se font d’abord dans le domaine des valeurs et des mentalités. C’est une « révolution sociale » (et non nécessairement économique) induite par l’Occidentalisation (Westernization) du monde et par la modernisation (Modernization) qui enclenche le processus de transition. Elle est conduite par l’éducation et les mass media, et non (ou guère) par l’économie. A propos de l’histoire européenne, il écrira par exemple : « Fertility fell at much the same time in a core of countries because the universal schooling was implemented at much the same time in all. This was largely a social decision, based on increasing affluence. Fertility within countries also often fell from about the same year across a broad spectrum of society irrespective of the role in the economy played by the parents » (1981, p. 20). ou encore parlant de l’Afrique : « This picture of the success of the urban middle class is but a segment of a wider picture of a whole modernizing society existing in a situation where wealth flows predominantly from the young to the old and where there are marked differentials in earning powers by rural – urban division and by education. The route from the rural area to the job in the modern urban sector of the economy is almost solely by extended education… What causes this emotional nucleation of the family ?… Not the urban – industrial society… The factor is undoubtedly the import of a different culture ; it is Westernization » (1976, p. 145 et 149). Pour tenter d’expliquer les faibles liens du passé entre développement économique et fécondité ou encore des déclins récents de fécondité qui se déclenchent dans les pays du Sud indépendamment (ou presque) des conditions économiques des individus ou des communautés, J. Knodel et E. van de Walle (1979), S.C. Watkins (1986), J. Cleland et C. Wilson (1987) et bien d’autres développeront une théorie dite de la diffusion culturelle et technologique. Cette diffusion des idées, des comportements et des techniques (la contraception) d’une région à une autre, d’une localité à une autre, d’un groupe social à un autre, d’une famille à une autre permettrait d’expliquer pourquoi les déclins de la fécondité suivent parfois des frontières plus linguistiques et culturelles qu’économiques. L’idée n’est ni neuve (on la trouve au 19e siècle), ni propre à la démographie (on la retrouve en sociologie et en La ville et l’urbanisation dans les théories du changement démographique 21 économie). La ville y est-elle un des grands vecteurs de diffusion ? Dans leur étude du passé européen, J. Knodel et E. van de Walle (1979) ou S. Watkins (1986) ne parlent pas spécifiquement de la ville, ne la présentent pas comme le point de départ nécessaire ou le pivot incontournable de la diffusion culturelle, même si c’est là que les déclins ont le plus souvent débuté, même s’ils lui reconnaissent un rôle dans le cadre de l’industrialisation. S. C. Watkins (1986) écrit ainsi en parlant alors de l’Europe : « These findings suggest that the effect of modernization need not be confined to those individuals who learn to read. Education facilitated the spread of new attitudes and techniques even to the uneducated. The establishment of centers of industrial production within a province not only affected those who entered the factory, but also altered the context of work for those who remained in traditional occupations. Relations between town and country took on new forms and intensities as production developed, thus changing the nature of rural agricultural production. The environment of the city may have rearranged the relative values of investments in children and in other goods, but its bright lights were also reflected far beyond its boundaries, in tales told in the hinterland. The new ways of making a living that were adopted by some surely expanded the horizons of the possible for others, offering avenues of opportunity – either escape or negotiation in situ – that were not perceived earlier » (p. 445). Exploitant l’ensemble des enquêtes mondiales de fécondité alors disponibles, J. Cleland et C. Wilson (1987) arrivent à une conclusion voisine, sans non plus attribuer un rôle primordial ou au moins universel à la ville dans le Tiers Monde : « Evidence from societes currently undergoing transition echoes the Western experience. In countries such as Taiwan, Republic of Korea, Thailand and Costa Rica, fertility decline was initially concentrated among the urban or the more educated, leading to large differentials, but this divergence has already largely disappeared as members of other sectors of the population reduced their fertility. While this stratified form of transition is common, it is not inevitable. In parts of South India, Sri Lanka, Indonesia and the Republic of China, change has been more synchronous across socio-economic sectors, no doubt a reflection of a more egalitarian society or of effectiveness of government policies in promoting the ideas of smaller families or birth control. The fact that, within culturally homogeneous populations, birth control and resulting marital fertility decline spreads to all sectors within a remarkably short period of time implies that the fundamental forces of change operate at the societal level » (p. 24). Ils reconnaissent bien sûr le rôle du développement économique à long terme, mais attribuent le déclenchement du processus essentiellement à des facteurs culturels ou idéologiques. 22 Dominique TABUTIN Voici comment ils concluent : « The probable importance of ideational rather than structural change is our most significant conclusion. This conclusion is supported by a number of strands in the evidence : the weak links at either macro- or micro-level between economic structure and fertility ; the stronger links with culture and education, both of which are likely to determine the initial acceptability of new ideas ; and the quick spread of birth control within many societies. We were also influenced by the massive scale and force of the flow of new knowledge and values from the industrialized to the developing world, which impinge upon political, economic and social life alike. It is surely no coincidence that in those parts of the world that have withstood this onslaught by design (e.g. much of the Islamic world), by the strength of indigenous culture and its incompatability with Western values (e.g. the Indian sub-continent) or by relative isolation (e.g. Africa), fertility transition has yet to occur, or has only a tenuous foothold. » (p. 28). Dans une étude récente sur la diffusion de la contraception à Taïwan, M. Montgomery et J.B. Casterline (1993), utilisant les outils statistiques les plus performants, aboutissent à un processus de diffusion qui est net à l’intérieur des régions, mais beaucoup plus faible entre régions, se demandant par ailleurs ce qui est réellement diffusé. Est-il besoin de préciser que cette théorie de la diffusion – innovation est toujours discutée à divers points de vue ? R. Lesthaeghe (1980, 1982, 1988) va selon nous plus loin, développant une approche à la fois culturelle et économique, liant reproduction et mode de production. Au niveau macro, l’explication des reculs de la fécondité (et de ses disparités) relèvent d’abord du changement fondamental des mentalités ou de l’idéologie (ideationnal change) lié au recul de la religion, à la laïcisation des sociétés et à la montée de l’individualisme, mais le mouvement s’inscrit aussi dans un changement de l’organisation sociale, politique et économique. Au niveau familial, dans une perspective proche de celle de J.C. Caldwell, le recul de la fécondité dépend de la direction des « flux de soutien » entre parents et enfants, qui varient selon les modes de production (familial, non-familial, mixte). Le milieu d’habitat est là dans les travaux de R. Lesthaeghe en tant que déterminant des modes et facteurs de la production, d’où découlent les stratégies optimales de fécondité des groupes sociaux. Par exemple, dans ses travaux sur l’Europe (1982) menés en termes de « catégories socio-professionnelles », il distinguera le prolétariat rural (production familiale, travail) du prolétariat urbain (production non familiale, travail), il regroupe les bourgeoisies urbaine et rurale (propriétaires, capital) et fait un seul groupe des fermiers, artisans et indépendants qui ont une production de type familial, mais combinent travail et capital comme facteurs de production. L’éducation et la ville favorisent l’érosion des systèmes anciens La ville et l’urbanisation dans les théories du changement démographique 23 de contrôle social, l’émergence de nouvelles cultures et des diversités intergénérationnelles. Par exemple, il écrit : à propos de l’Europe (1980) : « The urbanization and industrialization processes also accounted to some extent for the erosion of the old control system : patronage networks of village notables weakned, and individuals broke away from the moral authority vested in the churches » (p. 536). à propos de l’Afrique (1980) : « The gerontocratic control system is being successfully challenged by one in which young males rise to prominence as a result of education, a factor that inevitably creates a gap between generations… The symptoms are most clear in the urban areas… The weakening of the child-spacing pattern is, however, by no means restricted to the middle and top urban layers of the population ; it extends also to the rural areas » (p. 541). Comme bien d’autres auteurs, il voit aussi dans les migrations fréquentes entre villes et campagnes qui sont dues aux inégalités de revenus et d’emploi entre milieux, une cause potentielle de l’affaiblissement des pouvoirs traditionnels de la parentèle ou du village, et ainsi un facteur favorable aux changements de nuptialité et de fécondité. Dans ces différents courants culturels, remettant en cause le primat de l’économique, on voit déjà bien apparaître la complexité des interactions entre structures socio-économiques et institutions sociales (B.J. de Bruijne, 1997), entre le macro et le micro, avec un rôle essentiel dévolu dans l’ensemble à l’éducation et à la ville en tant que lieu de départ privilégié du changement culturel ou d’apparition de nouveaux modes de production reposant sur le travail non familial, sur le salariat, sur l’activité féminine croissante… On y recherche essentiellement le pourquoi des disparités géographiques ou temporelles, historiques ou contemporaines, mais aussi, me semble-til, une explication générale, disons universalisante. Il en sera autrement dans les approches récentes, qu’elles rélèvent des courants dits matérialiste ou institutionnel. 5. La migration et la ville au cœur des approches matérialistes Parallèlement aux travaux de J. C. Caldwell, se développe dans les années 1970 et 1980 une approche marxiste des changements démographiques, essayant d’interpréter le passé occidental et surtout les transitions en 24 Dominique TABUTIN cours dans le Tiers Monde29. « En termes très généraux, les changements démographiques sont interprétés dans le contexte de la transition au capitalisme » (V. Piché et J. Poirier, 1995, p. 116), avec comme point de départ la théorie du sous-développement. Schématiquement, l’extension (plus ou moins rapide) du capitalisme crée un développement inégal (entre pays, entre régions ou entre milieux d’habitat dans un pays) par les choix notamment de la localisation des investissements (qui se font pour l’essentiel dans les villes ou vers les zones côtières). Cela provoque des migrations, notamment des campagnes vers les villes, car la sphère marchande a besoin de maind’œuvre, tandis que la sphère domestique rurale (pauvre le plus souvent) doit survivre. Il s’en suit l’émergence de nouvelles classes sociales, salariées et urbaines, avec une séparation progressive des fonctions de production (le bureau ou l’usine) et de reproduction (la famille). Dans ces familles, la valeur productive des enfants baisse considérablement, l’éducation devient un outil de promotion sociale, la santé un impératif… Bref, c’est dans ces classes sociales que s’amorceront les contrôles de la fécondité, de la nuptialité et de la mortalité (c’est bien ce qui se passe dans la plupart des pays du Sud). En revanche, dans les groupes exclus de la production capitaliste et qui ont de faibles revenus, la fécondité demeure élevée. Chaque classe sociale a ainsi son organisation familiale et ses stratégies de reproduction et de survie. L’extension des classes urbaines et salariées à faible fécondité conduira peu à peu au déclin de la fécondité nationale. Voici ce qu’en disent V. Piché et J. Poirier (1990) en se démarquant totalement de l’hypothèse d’Occidentalisation de J.C. Caldwell : « La transition ainsi conçue, c’est-à-dire en fonction de l’ensemble des stratégies démographiques de classes, est intimement liée aux transformations des structures de classes. Dans cette approche, la transition démographique ne se fait donc pas par la diffusion des idées d’une classe à une autre, mais bien par la transformation dans les conditions matérielles de production et de reproduction. Comme l’affirme Caldwell, du point du vue démographique, la transition la plus significative est celle de la production familiale à la production capitaliste. Mais contrairement à sa théorie, ce n’est pas la diffusion des valeurs familiales occidentales qui est le moteur de la transition, mais bien plutôt les changements dans les rapports de classes. Le primat est donc accordé aux bases matérielles » (p. 187). La ville - en tant que pôle privilégié du capitalisme (national ou international) et source de nouveaux types d’emplois, de besoins et de problèmes -, et la migration - en tant que processus d’adaptation - sont bien les deux grands pivots de l’approche. Un processus migratoire au demeurant com- 29 Une pensée développée entre autres par des démographes canadiens (comme J. Gregory, D. Cordell et V. Piché), américains ou latino-américains. Voir G.B. Simmons (1985) ou V. Piché et J. Poirier (1990, 1995) pour en avoir une présentation plus détaillée. La ville et l’urbanisation dans les théories du changement démographique 25 plexe, car comme le disent V. Piché et J. Poirier (1990) : « la migration demeure une migration circulaire rurale-urbaine, de la sphère agricole à la sphère marchande (travail salarié et/ou informel), ou une migration circulaire intra-urbaine, d’un travail peu rémunérateur à un autre » (p. 187). On reprochera parfois à cette théorie de rester à un niveau plutôt global, de négliger les éléments culturels et, au moins dans ses versions primitives, les structures de pouvoir et les rapports de genre. Cela dit, rejoignant ce que Marx énonçait, elle reconnaît la spécificité historique de chaque société, la diversité des formes de production et des structures de classes qui en découlent, la variété des processus d’urbanisation… Bref, elle reconnaît l’extrême diversité possible des chemins de la transition démographique (que l’on constate bien dans les faits), rejetant toute idée de linéarité et d’uniformité. Les courants institutionnels récents iront encore plus loin. 6. La ville dans les courant institutionnels ? Développé assez récemment aux Etats-Unis au cours des années 1980 et 1990 et un peu dans la lignée du courant précédent, ils redonnent une place entière aux variables macro-sociales, institutionnelles et politiques, contrant fermement – et à juste titre selon nous – les courants essentiellement basés sur les changements culturels, sur les processus de diffusion idéologique ou sur le seul développement économique. Contrairement à la théorie classique de la transition qui recherche la généralisation et reste au niveau macro, cette grande approche privilégie au contraire les spécificités des transitions, elle essaie de comprendre le changement de la fécondité en le resituant dans le contexte institutionnel, culturel et politique des communautés concernées, elle essaie de relier les niveaux micro et macro, elle fait appel à l’histoire des processus, elle cherche à intégrer économie et culture. Comme le souligne B. de Bruijn (1997), des auteurs comme R. Lesthaeghe et J.C. Caldwell étaient déjà dans cette mouvance, mais c’est surtout au sociologueéconomiste G. McNicoll (1980, 1994) et à l’anthropologue S. Greenhalgh (1990, 1995) qu’on doit leur développement récent. Le premier parle d’analyse institutionnelle de la fécondité et part de l’individu pour remonter progressivement aux institutions nationales, le second d’économie politique de la fécondité en partant au contraire du sommet (le système économique et politique international) pour redescendre vers les régimes démographiques et les environnements nationaux, régionaux et locaux30. 30 Pour une bonne vision d’ensemble des différences et de l’histoire de ces deux sous-courants, voir l’article de S. Greenhalgh de 1990. 26 Dominique TABUTIN Place ici à la diversité, clairement énoncée par S. Greenhalgh (1990) : « They read the history of demographic theorizing as saying that there is no single demographic transition, caused by forces common to all places and all times. Rather, there are many demographic transitions, each driven by a combination of forces that are, to some unknown extent, institutionnally, culturally, and temporally specific. Eschewing cross-national studies, they focus on specific transitions in different parts of the world, using generalizations derived from case studies as the building blocks of general transition theory » (p. 88). Place à la recherche multidisciplinaire (histoire, anthropologie, sociologie…), à l’étude conjointe des forces et contraintes sociales, culturelles, politiques et économiques, aux interrelations micro–macro (approche multiniveaux), aux approches à la fois quantitatives et qualitatives. Une perspective élargie cherchant à concilier - réconcilier ? - nombre des approches précédentes, prometteuse à notre sens mais qui manque encore de travaux empiriques. Et la ville dans tout cela ? Pour G. McNicoll (1980, 1994) et les institutionnalistes, c’est surtout le changement institutionnel (un concept très vaste incluant le social, l’économique, le culturel et le politique)31 qui conduit – ou conduira – la plus grande partie des transitions de la fécondité dans les pays en développement. Il en établit une typologie (1994) distinguant cinq modèles, qui grossièrement (selon ses propres termes) recoupent les cinq grandes régions du monde : « traditional capitalist » (l’Amérique Latine), « soft state » (le sous-continent indien), « radical devolution » (la Chine), « growth with equity » (l’Asie de l’Est), « lineage dominance » (l’Afrique sub-saharienne). Seule l’Amérique Latine (avec notamment le Brésil et le Mexique) aurait suivi le modèle classique de la transition démographique, avec un rôle évident et important dévolu à l’urbanisation. Il écrit : « These trends [of fertility decline] seem tied to socioeconomic changes of the kind that enter classic statements of demographic transition theory. Mortality had declined substantially by the end of the 1960s in both of these countries, and the 1970s saw rapid urbanization and falling shares of the labor force in agriculture. By 1980, two thirds of the population was urban. Per capita incomes were high by Asian or African standards but the averages obscured large inequalities – and falls as well as rises over time. For both rich and poor, however, high fertility became increasingly incompatible with urban industrial life. Urbanization, and the fall in private demand for children that accompanies it – in favela as much as in suburb – is clearly a substantial part of this story. It is also an uninte31 Et pas toujours très clair pour un non-sociologue ou un non-politologue. La ville et l’urbanisation dans les théories du changement démographique 27 resting part : low urban fertility is neither a surprise nor a puzzle » (p. 26). Ailleurs, c’est selon les cas – et en simplifiant – le contrôle politique des populations, les réformes agraires, le développement social et sanitaire, l’ouverture culturelle, le poids de l’Etat souvent et des diverses institutions qui en découlent qui permettent de comprendre les différences historiques et les décalages actuels entre régions ou entre pays en matière de contrôle de la fécondité. La ville n’y occupe aucune place particulière. Dans les travaux récents relevant de « l’économie politique de la fécondité »32, les interrelations entre culture, genre, économie, pouvoirs, classes sociales et démographie sont abondamment traitées dans le cadre de communautés sociales ou ethniques bien ciblées, urbaines ou rurales, d’hier ou d’aujourd’hui. La ville ou l’urbanisation n’y est guère privilégiée. 7. Un bref retour aux faits : la ville dans les transitions contemporaines On s’est beaucoup interrogé ces dernières décennies sur le rôle au niveau macro de l’urbanisation dans l’histoire démographique des pays en développement, sur l’impact au niveau micro du milieu d’habitat sur les normes et les comportements des familles et des individus33. Donnons-en ici un bref bilan. 7.1. L’urbanisation au niveau agrégé et international Au niveau international, les reculs de la fécondité, l’évolution de la nuptialité ou les progrès sanitaires des décennies 1960, 1970 et 1980 surviennent dans des contextes économiques ou sociaux on ne peut plus diversifiés. En matière d’urbanisation, les pays latino-américains en sont dans les 50 à 60 % de population urbaine quand s’amorce le déclin de fécondité, la Corée du Sud à 40 %, les Philippines à 30 %, l’Inde, la Thaïlande ou la Chine à 20 % (J.C. Chesnais, 1986). Il n’y a pas non plus par la suite de relation nette entre le rythme du déclin de la fécondité et le rythme de croissance urbaine. Dans un travail récent sur 69 pays en développement et sur 30 ans (1960-1990), J. Bongaarts et S. Watkins (1996) ne trouvent que des relations faibles et variables entre les indicateurs classiques de développement et la fécondité : après 32 33 Dont un tel exemple est l’ouvrage de 1995, Situating Fertility. Anthropology and Demographic Inquiry, dirigé par S. Greenhalgh et écrit par des anthropologues et des historiens. Mais l’éducation a donné lieu à beaucoup plus d’écrits et de débats. 28 Dominique TABUTIN contrôle du revenu par tête, de l’espérance de vie, de l’instruction et de la proportion de population agricole, l’urbanisation ne joue plus qu’un faible rôle (statistiquement non significatif). Il n’y a donc pas eu de seuil d’urbanisation pour entrer en déclin de fécondité. Quant aux rythmes des reculs, ils ne sont pas liés aux rythmes de la croissance urbaine. Dans une étude synchronique sur les relations entre fécondité et divers indicateurs de développement vers 1993 menée sur une centaine de pays, nous aboutissions à un résultat du même genre (D. Tabutin, 1997) : une faible relation entre proportion de population urbaine et fécondité ; seuls les quelques pays encore très ruraux (80 % et plus) avaient tous une fécondité maximale. A un niveau mondial, les choses sont donc aujourd’hui, si l’on ose dire, à peu près aussi claires que pour le passé européen : pas de seuil et guère de relation. A l’intérieur même du continent africain qui entre peu à peu en transition, les pays les plus avancés (Afrique du Sud, Zimbabwe, Botswana, Swaziland) sont nettement plus riches, éduqués et « développés » (au sens du PNUD) que les autres, mais à peine plus urbanisés : 34 % en moyenne contre 30 pour l’ensemble de l’Afrique (D. Tabutin, 1997). 7.2. Le milieu d’habitat au niveau individuel Il y a toujours eu – et il y aura toujours – des inégalités ou des disparités, plus ou moins grandes, entre groupes sociaux, entre régions, entre cultures ou entre milieux d’habitat. Tout système démographique (sociétal ou local) se régule, « s’adapte » aux diverses contraintes et opportunités du milieu social, économique, culturel ou environnemental. Banalement, cela revient à dire que dans un pays il y a toujours différents modèles ou régimes de reproduction. Hier comme aujourd’hui, c’est clair pour les classes sociales, définies à la fois en termes de niveau de vie, de pouvoir et d’éducation : le plus souvent, les reculs de la fécondité, les progrès sanitaires, les changements de nuptialité ou de structures familiales touchent d’abord « les classes les plus favorisées », généralement urbaines et instruites34. Le poids de l’instruction est également très clair : la plus étudiée depuis 30 ans35, cette variable est toujours discriminante après contrôle des autres caractéristiques individuelles36. 34 35 36 Y compris dans des pays encore classés comme « pré-transitionnels » en raison du niveau élevé de leur croissance ou de leur fécondité nationale. Voir un exemple sur le Burkina Faso dans D. Tabutin (1997). Pour son rôle bien sûr, mais aussi du fait que, comme le milieu de résidence, elle est présente dans toutes les enquêtes. Voir pour une étude comparative sur 14 pays d’Afrique, M. Ainsworth et al. (1996). Voir D. Tabutin (1995) pour un peu plus de détails sur ces inégalités. La ville et l’urbanisation dans les théories du changement démographique 29 Mais quid du milieu d’habitat ? Peut-on parler d’un modèle démographique urbain dans les pays du Sud ? Y a-t-il un « homo urbanus » aujourd’hui, comme le suggéraient L. Wirth dès 1938 et bien d’autres tenants de la théorie de la modernisation dans les années 1950 et 1960 qui voyaient dans la ville (ou la croissance urbaine) l’environnement (ou les conditions) nécessaires pour passer de comportements « traditionnels » à des comportements dits modernes ? Une chose certaine au niveau mondial : dans une grande majorité des cas, c’est aujourd’hui en villes, chez les urbains que se déclenchent, s’amorcent et souvent s’accélèrent les grands changements d’ordre démographique et sanitaire, comme les évolutions de la nuptialité et de la famille. Les faits sont là, bien documentés par les très nombreuses enquêtes de fécondité et de démographie-santé menées dans le monde entier depuis 25 ans. Le schéma le plus courant d’évolution des disparités entre milieux d’habitat est le suivant : dans un premier temps, une croissance des inégalités entre villes et campagnes, dans un second un recul des disparités par un « effet de rattrapage » du milieu rural, dans un troisième (dans lequel peu de pays sont vraiment entrés) une convergence presque complète. Ces éléments peuvent varier dans leur intensité et leur chronologie en fonction du niveau de développement et de l’organisation sociale et politique des pays. 7.3. La ville en Afrique L’Afrique sub-saharienne, parfois considérée comme une région à part, la dernière en tous cas à entrer en transition de fécondité et de nuptialité, n’échappe point à la règle. Mondes urbains et ruraux y sont aujourd’hui bien distincts sur le plan socio-démographique, et on est loin désormais des proximités entre milieux d’habitat que l’on observait dans les années 1970 en matière de fécondité, de nuptialité et parfois même de mortalité (D. Tabutin, 1997). Prenons simplement l’exemple du Cameroun en 1998, un pays en début de transition au niveau national (avec 5,9 enfants par femme en 1991 et 5,2 en 1998). Le tableau 4 présente une dizaine d’indicateurs socio-démographiques pour les trois grands milieux d’habitat. Dans les villes et en particulier à Yaoundé et Douala, il y a une bien moindre fécondité qu’en milieu rural, une demande plus faible d’enfants, des durées d’allaitement et d’abstinence post-partum un peu plus courtes (mais toujours importantes), une pratique de la contraception moderne qui démarre. Les deux grandes villes se distinguent particulièrement des « autres villes » par un âge au mariage plus tardif (20 ans contre 17 ans), une polygamie deux fois moins importante (16 % cotre 32 %) et une malnutrition nettement moins répandue. 30 Dominique TABUTIN Tableau 4. Quelques indicateurs socio-démographiques et sanitaires selon le milieu d’habitat au Cameroun (1998) Indicateurs Indice synthétique de fécondité Nombre d’enfants à 40-49 ans Nombre idéal d’enfants (1) Yaounde et Douala 3,1 5,1 5,1 Autres villes 4,5 6,1 5,9 Milieu rural 5,8 6,4 6,9 Total 5,2 6,2 6,3 Durée d’allaitement (2) Durée d’abstinence post-partum (2) Prévalence de la contraception moderne (3) 14,1 10,9 14,1 17,5 9,4 12,0 18,8 12,8 4,5 18,1 12,0 7,1 Age médian au 1er mariage (4) % de polygames 20,1 16 17,2 32 16,9 36 17,3 33 Quotients (‰) de mortalité 0-5 ans % d’enfants avec un retard de croissance (5) 91 15 121 26 160 32 146 29 Source : Enquête Démographique et de Santé (1998) 1) déclaré par les femmes de 30-39 ans ; 2) durées médianes en mois ; 3) femmes mariées ; 4) femmes de 30-39 ans ; 5) enfants de moins de 3 ans. On serait proche a priori d’un modèle classique de transition où les changements surviennent d’abord et surtout dans les zones urbaines les plus « modernisées ». Mais sur le plan explicatif les choses sont beaucoup plus complexes que cela en Afrique (comme ailleurs). Contraintes économiques et sociales avec la crise qui perdure, et changement culturel conduisent à une diversification et à une complexification des stratégies de vie et de survie des groupes sociaux dans les divers milieux d’habitat. Et il est clair que l’on ne marche pas vers un modèle urbain purement occidentalisé. C’est particulièrement vrai en matière d’organisation et de structures familiales : dans les villes, la polygamie recule, mais est loin de disparaître (A. Marcoux, 1997), la famille urbaine « moderne » s’élargit au lieu de se nucléariser (P. Vimard, 1997), la monoparentalité s’accroît suite à un certain relâchement des liens conjugaux dans la crise, les unions libres se multiplient (B. Kuate Defo, sous presse, pour un exemple sur le Cameroun), les rôles masculins et féminins sont redéfinis (Th. Locoh, 1996), de nouvelles solidarités (plus sociales ou associatives) apparaissent, les échanges villes-campagnes se modifient (S. Yana, 1995)… Concluons simplement avec Th. Locoh (1996) : « Il faut observer au quotidien les nouvelles familles africaines qui s’essaient à des équilibres inédits sur des chemins encore peu empruntés par leurs devancières. Elles ne réussiront pas par l’imitation de modèles extérieurs occidentaux. Certains parmi leurs parents l’ont tenté avec un succès douteux, et d’ailleurs, ces modèles La ville et l’urbanisation dans les théories du changement démographique 31 sont rejetés par les sociétés mêmes qui les ont forgés. La crise impose des choix difficiles mais l’innovation naît souvent de la contrainte », (p. 466). On est bien loin des visions classiques de la modernisation ou de la diffusion culturelle, de la marche irrésistible vers l’occidentalisation ou l’uniformisation … 8. Conclusion : bilan et pistes de recherche Cette large – trop large ? – revue de littérature a été essentiellement axée sur la place accordée et sur le rôle dévolu à la ville et à l’urbanisation dans les changements démographiques. Nous avons pour cela procédé à la relecture d’un certain nombre de démographes « marquants » du 19e siècle et d’auteurs ou tenants des théories plus récentes. Vu l’ampleur de la tâche pour le 20e siècle, nous nous sommes concentrés sur les grands courants classiques des années 1950 et 1960 (la modernisation par exemple) et sur la fécondité pour les approches les plus récentes, négligeant – et nous sommes conscients de la faille – les théories sur les migrations et la mobilité. Nous sortons de cet exercice un peu déçu par rapport à nos attentes, surtout pour le 20e siècle37. Nous partions en effet avec l’a priori que dans la littérature démographique, nous trouverions beaucoup d’éléments, d’idées, d’hypothèses sur les relations causales entre urbanisation et changements socio-démographiques, sur le rôle de la ville ou des échanges migratoires dans les dynamiques reproductives. Il y en a bien sûr (par exemple chez A. Dumont, dans les théories de la modernisation, dans les approches matérialistes, un peu dans les approches culturelles), mais trop souvent la ville est négligée, n’apparaissant pas ou guère comme une variable cruciale ou un vecteur fondamental potentiel du changement reproductif. Rien à voir en tous cas avec l’éducation dont on a bien davantage analysé les mécanismes d’action sur la dynamique démographique et familiale. L’urbanisation est souvent considérée comme une simple variable de différentiation des comportements, elle est parfois noyée dans une nébuleuse du genre « modernisation » ou « développement », elle n’apparaît même pas clairement dans certaines approches théoriques récentes de la fécondité. Il conviendrait, nous semble-t-il, de mieux mesurer, de mieux comprendre et de mieux expliquer. 37 On peut comprendre qu’au 19e siècle les auteurs manquaient de recul théorique, de données statistiques adéquates ou même des outils de mesure requis pour une bonne analyse des différentiels ville-campagne. 32 Dominique TABUTIN Mieux mesurer les tendances de la fécondité, de la nuptialité et de l’organisation familiale en milieu urbain selon le type et l’histoire des villes, ou encore les relations entre migration et fécondité ou nuptialité38… Les enquêtes de démographie et de santé sont d’un faible apport dans le domaine39. Mieux comprendre la complexité des interactions villes-campagnes, les mécanismes d’échanges ou de solidarités économiques et culturelles, les modalités de l’insertion urbaine (marché du travail, logement…) et leurs conséquences sur la dynamique démographique et familiale40, les rapports entre groupes sociaux, entre générations ou entre sexes… Approches quantitatives et qualitatives41, approches pluridisciplinaires sont ici requises pour l’étude de communautés urbaines (et rurales) bien ciblées dans le temps ou dans l’espace. Mieux expliquer en définitive… en comblant les manques théoriques, en développant des approches pluridisciplinaires et multi-niveaux. Verra-t-on émerger une démographie urbaine, ou une théorie de la dynamique démographique des villes ? En a-t-on vraiment besoin ? Bibliographie AINSWORTH, M., BEEGLE, K. and NYAMETE, A. 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Voir malgré tout l’essai récent de mesure des relations entre fécondité et migrations dans les villes africaines fait par M. Brockernoff (1998) à partir des EDS. A l’image des enquêtes récentes sur l’insertion urbaine dans quelques grandes villes d’Afrique de l’Ouest, utilisant les approches biographiques. Voir par exemple Ph. Antoine, D. Ouedraogo et V. Piché (1998) dans « Trente ans d’histoire sociale à Dakar et Bamako ». A l’image des travaux récents de S. Yana (1995) sur les relations culturelles et économiques entre ville et campagne au Cameroun. La ville et l’urbanisation dans les théories du changement démographique 33 BAIROCH, P. (1985), De Jericho à Mexico, villes et économies dans l’histoire, Gallimard, Paris, 706 p. BEJIN, A. (1989), « Arsène Dumont et la capillarité sociale », Population, n° 6, pp. 1009-1027. BERTILLON, J. (1911), La dépopulation de la France. Ses conséquences, ses causes. Mesures à prendre pour la combattre, Librairie Félix Alcan, Paris, 349 p. 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