Quelles expositions d`art pour les enfants

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Quelles expositions d`art pour les enfants
COLLOQUE « PARTAGES »
LES JOURNEES PROFESSIONNELLES DU LOUVRE
Quelles expositions d’art pour les enfants ?
INTRODUCTION
L’art et la manière de considérer un enfant dans un musée
François de Singly
Université Paris-Descartes, professeur, directeur du centre de recherche
sur les liens sociaux, CNRS.
L’art et la manière de considérer un enfant
dans un musée
François de Singly
Professeur à la faculté de sciences humaines et sociales de la Sorbonne
Université de Paris 5-Descartes
Directeur du Centre de recherche sur les liens sociaux (CNRS-Université Paris 5)
Thèse
Je partirai du texte d’introduction à cette « journée professionnelle du Louvre » : « En 1899
ouvre le premier musée de l’enfant. Depuis, les musées pour enfants se sont multipliés. Ce
colloque interrogera l’exposition d’art conçue pour les enfants et leurs familles [souligné
dans le texte] »1. Deux questions peuvent être posées à partir de ces quelques lignes.
Premièrement le problème de l’histoire : on passe sans transition de 1899 à 2006 sans que cela
semble étrange. Or si le musée pour enfants était si évident, pourquoi se réveiller si tard ?
Pourquoi une telle période de latence ? Pourquoi un tel écart entre l’avant-garde et les autres ?
Il faut comprendre les raisons de cet endormissement. Second questionnement à partir de
l’expression : « ce colloque interrogera l’exposition d’art conçue pour les enfants et leurs
familles ». La présentation orale de cette journée, « l’ouverture » s’est appuyée également sur
cette conception. Le titre de la première table ronde : « Pourquoi des expositions pour les
enfants et les familles ? » se situe aussi dans une perspective comparable. C’est ce « et » que
je veux remettre en question. La thèse – un peu provocatrice, même si elle est avant tout
théorique – est que ce « et » est autodestructeur. Faire des musées pour les enfants et leurs
familles, cela revient à rater, par avance, le sens de cette révolution, et en rester au mieux à
faire des expositions ou des musées pour les familles avec enfants, ce qui n’est pas du tout
équivalent. Ces deux questions – pourquoi le « blanc » du vingtième siècle sur les musées
pour enfants2, pourquoi le « et » entre les enfants et leurs familles – se recoupent, elles
renvoient au statut de l’enfant dans les sociétés contemporaines. Précisons un peu plus la
thèse : l’existence des musées d’art pour enfants n’a de sens que si les parents et les
professeurs ne sont pas présents à leurs côtés au moment de la visite. Cela n’exclut pas la
présence de professionnels de l’art pour la médiation. Pourquoi une telle prise de position ?
Détour
Nous sommes dans des sociétés dites individualistes, c’est-à-dire des sociétés dans
lesquelles l’élément central ce ne sont plus (contrairement aux sociétés traditionnelles,
prérévolutionnaires) les groupes, mais les individus. La famille n’est plus « la cellule de base
de la société ». Cette grande révolution en Europe a placé au centre des sociétés, les individus
et non leurs liens hérités. La Révolution française a ainsi déstabilisé fortement le lien de
filiation, dominant auparavant. Pourquoi depuis deux siècles comprend-on si difficilement
cette prise de la Bastille ? Je rappelle que la Bastille contenait des enfants, adultes,
emprisonnés sur ordre de leurs pères par la médiation du roi. On a détruit la Bastille. Est-ce
1
2
Le texte conserve une tonalité « orale ». Il prolonge l’analyse proposée dans L’individualisme est un
humanisme (éditions de l’Aube, La Tour-d’Aigues, 2005).
Même si l’avant-garde a eu des suites, des réalisations, mais elle n’est pas devenue la « norme », l’évidence
sociale.
1
dès lors vraiment la peine de refaire des espaces dans lesquels les enfants seront encore avec
leur famille, c’est-à-dire en tant que « fils de ». Peut être pourrait-on voir le monde autrement
et le construire en prenant comme référence cette révolution individualiste ?
Qu’est-ce que « l’individu » dans le cadre d’une société individualiste ? C’est un
processus – l’individualisation – qui autorise l’individu à se définir lui-même, et qui doit pour
cela rompre avec une définition a priori, une définition en termes de liens hérités.
Concrètement, moi, François de Singly, petit je suis d’abord fils de Paul et Marie-Madeleine,
et progressivement il a fallu que je devienne François de Singly qui n’est plus
qu’éventuellement fils de Paul et de Marie-Madeleine. Je ne suis pas d’abord « fils de »,
même si je peux choisir de continuer à me définir ainsi. J’avais de bonnes relations avec mes
parents – aujourd’hui disparus. Cela ne signifiait pas que j’étais à tout moment de ma vie leur
fils. Par exemple, ma mère n’approuvait pas tout ce que j’écrivais en tant que sociologue. Elle
savait que j’écrivais à titre personnel, et non pas en tant qu’héritier. Les liens hérités sont
nécessairement mis à distance dans une société individualiste. La logique de l’appartenance –
surtout de l’appartenance héritée, mais aussi de l’appartenance choisie – reste toujours sous
le contrôle de l’individu qui peut les rompre. L’émancipation prend la forme de la
« désaffiliation ». Pour devenir soi-même, il faut se séparer. Le processus de séparation,
provisoire, est un processus central dans les sociétés occidentales3, il rend possible ainsi
l’action de l’individu à titre personnel, et non pas en tant que représentant d’un groupe.
Lecture
Afin de comprendre ce processus d’individualisation, permanent puisque nous oscillons
entre une identité d’appartenance et une identité déliée, ouvrons un livre d’Yvan Pommaux,
magnifique. C’est Une nuit, un chat4. Cette histoire condense tout le processus que je décris
trop schématiquement en ce moment. Groucho, un chat « adonaissant »5 est poussé, une nuit,
par une force mystérieuse. Il passe par la fenêtre et le voilà rendu sur le toit. Derrière la porte
de sa chambre, ses parents écoutent, ils s’y attendent : tous les parents chats attendent avec
angoisse cette nuit-là, la nuit où leur enfant sort pour la première fois seul. Il est sans doute
déjà sorti avec ses parents, peut-être même la nuit. Notre « et », il connaît, mais le grand
événement, c’est l’absence de ce « et ». Groucho va sortir pour la première fois « à titre
personnel ». C’est un processus complexe. Au passage, soulignons historiquement que pour
les femmes ce processus a été long à se mettre en place, avoir le droit et la possibilité de sortir
seules. Là encore, cette restriction à l’individualité des femmes aurait pu conduire à ouvrir des
musées pour les femmes « et leurs maris ». Peut-être peut-on accélérer l’accès « individuel »
– et « individualiste » – des enfants… Revenons aux parents de Groucho, derrière la porte. La
mère s’inquiète. Elle se dit : « Le pauvre petit » – on trouve le problème de la taille, central –
« le pauvre petit, il va tomber dans un trou », etc. Elle craint le rat d’égout qui rode dans le
quartier, peu sûr. Elle voudrait interdire à son fils de sortir, elle ne le fait pas malgré les
risques car, chez les chats, il y a une loi, celle de l’individualisation : lorsqu’un chat
adonaissant sort seul la nuit, ses parents doivent le laisser faire.
« Tu es trop petit, je vais t’accompagner. » Ses parents élaborent un compromis, tenant
compte à la fois de la nécessaire individualisation et du besoin de sécurité. Le père, sous la
pression de son épouse, se décide à suivre Groucho : « Tu as raison, je vais l’accompagner…,
discrètement. » Il met ses gants, prend un parapluie et le voilà qui suit leur fils. Ce dernier ne
voit rien, occupé à découvrir le monde. Il regarde les étoiles. Son bonheur est immense.
3
Cf. Les uns avec les autres. Quand l’individualisme crée du lien, Hachette, coll. « Pluriel », Paris, 2005.
L’école des loisirs, Paris, 1999.
5
Cf. Les Adonaissants, F. de Singly, A. Colin, Paris, 2006.
4
2
Groucho vit des moments exaltants. Il rencontre non seulement la ville la nuit, mais
également une chatte adonaissante qui est, elle aussi, pour la première fois seule. Les deux
changent d’identité, ils sont « avec », non pas le « avec » de la filiation, mais un autre lien, qui
n’est plus hérité, et ce passage n’a été possible que par le temps d’être un individu séparé,
« seul ». Ce « avec », on y reviendra, – tout peut être lu théoriquement dans ce livre – n’a pas
le même sens que le « avec » précédent. L’individualisme, ce n’est pas le rêve d’un individu
« seul », c’est celui d’un qui parvient à dénouer certains liens pour en nouer de nouveaux (ou
renouer avec les anciens, mais à titre personnel). Ce chat adonaissant pourra, plus tard, de
nouveau se promener avec ses parents la nuit, mais alors son statut aura changé.
Le rat d’égout arrive. Grâce à la crosse du parapluie, le père réussira, sans se faire voir, à
protéger son « chatnaissant » en faisant tomber le rat. Il rentre vite chez lui. Groucho arrive,
après avoir embrassé son amie et promis de la revoir. Il change d’identité, il redevient fils. –
« Mon petit enfant », dit sa mère. « Fiston », dit son père. « Tout va bien mon chéri ? » « Mais
oui ! » « Tu n’as rien de cassé ? » « Mais non ! » « Il ne t’est rien arrivé de grave ? »
« Non ». Et la dernière phrase démontre que le processus d’individualisation est continu
puisque Groucho ajoute : « D’ailleurs la nuit prochaine, je sors. »
L’accompagnateur
L’individualisation est parfaitement visible dans cette histoire : avec le double mouvement,
celui de la séparation et celui de nouveaux liens. Retenons surtout l’importance du premier
afin que l’individu, même assez petit, puisse découvrir le monde à titre personnel. Cela nous
permet de reposer la question du « et », et celle de l’accompagnateur.
Le Petit Robert donne un exemple pour faire comprendre un de ses sens : « Légumes qui
accompagnent une viande. » Vous remarquerez que la viande n’accompagne jamais les
légumes ! La notion peut renvoyer à la hiérarchisation. Il nous faut appréhender la nature de
l’accompagnement et le sens de l’accompagnateur dans une société individualiste. Lorsque
nous vivons avec quelqu’un, ce problème se pose en permanence. Sur une photographie, par
exemple de la queue pour entrer au Louvre, on ne voit que des visiteurs. Le musée compte des
entrées. Or toutes ces personnes n’ont pas le même statut. Certaines sont des
accompagnateurs, des accompagnatrices, et d’autres non. Il y a des personnes qui sont là à
titre principal, ils viennent voir Ingres et il y en a d’autres qui viennent parce qu’ils obéissent
à une demande, ou parce qu’ils accompagnent quelqu’un qui veut admirer Ingres.
Quelquefois, cela peut être agréable d’être accompagnateur. Par exemple quand on
demande à des adolescents qui sortent d’un cinéma : « Quel film avez-vous vu ? », ils ne
savent pas toujours parce qu’ils ne sont pas venus d’abord pour voir le film mais pour être
« avec ». Ils accompagnent un(e) ami(e). À la limite, les deux sont accompagnateurs, avec
l’alibi de la pratique. Il n’y a pas à être contre l’accompagnement. En revanche, il faut se
demander explicitement ce que signifie le statut de la fonction d’accompagnateur surtout dans
le cas qui nous préoccupe pour la venue des enfants et des jeunes au musée, à une exposition.
Le fait d’accompagner quelqu’un ou plusieurs personnes est généralement vécu sous le
mode de l’ambiguïté. Écoutons Pauline, une adonaissante, qui décrit les moments qu’elle
passe en commun avec sa famille. Elle évoque les films du dimanche soir. Elle affirme alors :
« Les James Bond, ah, les James Bond, on les a tous vus plusieurs fois, c’est pas, enfin, moi
j’aime pas, enfin, si, j’aime bien, ça me dérange pas de regarder, mais c’est pas mes films
préférés, mais ma famille, elle adore ! » Cette jeune fille exprime l’oscillation qui peut naître
de l’accompagnement et des compromis qui peuvent en dériver. Elle est heureuse d’être à
certains moments « fille de », membre de la famille, à ce niveau elle apprécie James Bond,
mais si c’est elle qui choisit vraiment le film, ce n’est plus un James Bond. Ce n’est pas le
3
malheur car le choix du film a dû être réalisé par essais et erreurs, et non imposé par l’autorité
parentale.
Une autre adonaissante rend compte aussi de son rôle d’accompagnatrice. Vous allez
découvrir comment elle désigne les musées. Elle accompagne son père pendant les vacances :
lui est plutôt « culture », la mère « shopping » : « Genre visiter des châteaux, mais lui c’est
surtout la visite des églises, des machins comme ça, des musées, des trucs, allons bon, c’est
un peu barbant, mais j’aime bien les trucs comme ça, enfin… » Elle est contente d’être avec
son père, parce que la mère (épouse) refusant cet accompagnement, elle se retrouve seule avec
son père. Elle continue : « C’est pas mal, ça me fait plaisir que mon père sache que je
m’intéresse à ça, même si des fois c’est pas vrai. » Il y a une autre jeune fille qui affirme,
toujours à propos de son père : « Il est pénible, parce qu’il prend tout son temps dans ces
trucs-là. » Son père peut éprouver le même sentiment lorsqu’il va avec sa fille dans les
magasins, le temps en tant qu’acteur principal et en tant qu’accompagnateur n’est pas
identique. Cette jeune fille commente encore : « Ça prend toujours des heures avec lui, mon
père, il traîne ! », et elle en déduit : « Donc on est plus longtemps ensemble, loin de tout
finalement. » Loin de tout, c’est-à-dire loin de la mère et des frères et sœurs. La situation se
retourne puisque l’important n’est plus la nature explicite de l’activité, mais le fait d’être
avec.
Du point de vue d’une pédagogie de l’autonomie, d’une éducation à l’individualisation,
l’accompagnement doit être toujours pensé explicitement. Le père de Groucho s’autorise un
certain accompagnement, dans l’ombre, et il lui faudra bien un jour arrêter d’accompagner, et
donc de surveiller. Et alors Groucho racontera ou non ce qu’il voudra de ses soirées. Il sera
plus autonome. Cela n’interdit pas, soulignons-le, tout rôle d’accompagnateur. Peut-être
Groucho proposera-t-il à sa mère, à son père de les accompagner à un concert.
Un miracle identitaire
Autorisons-nous un exemple personnel. Il y a peu de temps, j’étais en train de finir d’écrire
un livre. Le soir, j’écris. Nous sommes abonnés au Théâtre de la Ville6, et mon épouse me
rappelle : « Ce soir, il y a danse contemporaine. » Je lui demande : « Ne peux-tu pas y aller
avec une copine, je reste travailler. » « Non, non, non, non, tu dois m’accompagner ! »
J’ignore si elle se sert de ce mot, mais elle me redit : « Tu viens avec moi ! » J’y vais donc,
mécontent du point de vue du travail, mais heureux d’être reconnu comme accompagnateur
préféré ! Une fois assis, je me dis : « N’oublie pas, tu étais dans telle page. » J’essaye de me
reconstruire mon monde à moi. Le Théâtre de la Ville ne me fait pas une réduction spéciale, je
paye le même prix que ceux qui sont là à titre principal. Le spectacle commence et c’est un
ravissement, non seulement parce qu’il est bon, mais aussi parce qu’il déplaît à une part
importante du public qui manifeste et qui part progressivement. Cela me rappelle le plaisir
que j’avais en regardant les films de Godard… Le temps passe et je change de statut. À la fin,
une scène est dansée sur une musique très forte, proche du rythme d’une rave party, créant
une émotion corporelle. Je suis dans le ravissement, et je jette un coup d’œil à ma voisine,
mon épouse. Elle ne se sent pas bien, cette musique lui portant au cœur. Si j’étais resté
accompagnateur – cela m’est déjà arrivé à d’autres moments – je me serais dit : « Quelle
chance, je peux sortir. » Or, et il faut l’avouer, pris par le spectacle, je ne suis pas sorti avec
elle. Je n’étais plus accompagnateur. J’étais désormais à titre principal, et à titre principal, je
devais aller jusqu’à la fin du spectacle, parce que les gens auraient pu croire que je n’aimais
pas le spectacle si je m’étais levé. Je voulais démontrer que j’approuvais totalement le
6
Le statut de ce « nous » du point de vue de la théorie de l’accompagnement mériterait aussi d’être interrogé.
4
spectacle. Je ne suis redevenu conjoint que quelques minutes plus tard, en retrouvant ma
conjointe à l’extérieur.
Le changement de statut, le changement qu’a réussi ce spectacle sur moi, cela constitue
votre objectif car l’enfant qui arrivera dans vos musées d’enfants viendra presque toujours
parce qu’on lui aura demandé de venir, et donc viendra en tant qu’accompagnateur.
Contrairement au sens commun, l’enfant avec ses parents les accompagne, et non l’inverse,
même si l’activité est officiellement pour lui. Tout dépend de lui, de son rapport à la pratique.
Au fast-food, ce sont en revanche les parents qui l’accompagnent7. Au musée, s’il vient en
classe avec un enseignant, ce n’est pas un « enfant », c’est un « élève » ; s’il vient avec sa
mère, il est d’abord « fils de » ou « fille de ». Et les spécialistes de l’art, les médiateurs
devront tenter l’impossible, réaliser un miracle, en parvenant à changer l’identité des jeunes,
des enfants qu’ils prennent en charge.
Donc pour en revenir précisément aux énoncés de ce colloque, mettre ce « et » entre les
enfants et les familles revient à occulter le problème central du travail des professionnels de
l’art et de la culture : transformer chacun pour qu’il soit ici et maintenant à titre principal. Il
faut construire des musées pour enfants à titre principal, et donc toujours éviter le « et » afin
que le jeune, l’enfant puisse dire « je ».
Dans une thèse sous ma direction, Claude Poissenot a essayé de comprendre pourquoi des
jeunes adolescents, inscrits en bibliothèque, pouvaient l’année suivante ne pas reprendre leur
abonnement. Il les a suivis plusieurs années, interrogeant systématiquement tous ceux qui
décrochaient. On découvrait qu’une partie de ces jeunes se rendaient tous les mercredis à la
bibliothèque en tant qu’accompagnateurs, ils voulaient ne pas quitter un copain. Or ce dernier
pouvait changer de quartier, moins aimer la lecture. Et aussitôt l’accompagnateur ne va plus à
la bibliothèque. Là ou le bibliothécaire pensait que ce jeune venait pour les livres, c’était vrai
sûrement pour une part, mais il était là à titre principal en tant qu’accompagnateur8. Ce n’est
pas négatif, le lien d’accompagnement, mais les professionnels de l’art et de la culture doivent
le détourner en quelque sorte pour que chaque « usager » puisse aussi découvrir à titre
personnel les œuvres proposées.
À titre principal
Toujours pour mieux appréhender le fait qu’une activité n’a de sens que si on saisit aussi sa
signification pour l’individu lui-même, prenons un exemple, tiré de mon enquête sur l’entrée
dans l’adolescence. Ces jeunes devaient noter sur un carnet tous les déplacements qu’ils
faisaient dans la semaine sans leurs parents. La consigne était précise. L’enquêtrice, ou
l’enquêteur, relisait avec eux ce carnet pour comprendre comment ils se déplaçaient « seuls »
dans la ville. Un des jeunes adolescents demande : « Est-ce que je dois marquer le
Franprix ? » – les entretiens étaient enregistrés – « même si j’y vais pas. » Alors l’enquêteur
se dit : « Tiens, c’est curieux : “même si j’y vais pas”… » Magnifique citation ! Le jeune
reprend : « Enfin, j’y vais pour faire les courses. » Il y va donc en tant que « fils de ». Il se
demande : « Je dois écrire quoi dans mon carnet ? » Il y va sans sa mère, mais il y va en tant
que « fils de », il comprend qu’il ne se déplace pas d’abord pour lui, mais en tant que membre
de la famille. Il insiste encore : « C’est pas un endroit où je vais, alors j’écris ? » Il n’arrive
pas à détourner à titre personnel ces courses qu’il doit faire.
7
Cf. F. de Singly, J. Janet-Chauffier, « En famille au fast-food », in F. de Singly, Libres ensemble, Pocket, Paris,
2004.
8
C. Poissenot, Les Adolescents et la bibliothèque, éditions Centre G. Pompidou, Paris, 1997.
5
Dans le corpus de l’enquête, j’ai la même scène avec une jeune fille qui, elle, par ailleurs, a
beaucoup moins le droit de sortir de chez elle. Il faut quand même qu’elle aille acheter le pain.
Elle se rend chez le boulanger en tant que « fille de », et elle réussit à transformer cette
activité déléguée (elle représente sa famille), en activité personnelle, ou tout au moins en
activité « mixte » (mi-personnelle, mi-familiale). Comment opère-t-elle ce changement ?
Dans les boulangeries, ils ont compris et ils proposent des bonbons, et des bonbons à la bonne
hauteur. Remarquez que vous aurez aussi à mettre les œuvres à la bonne hauteur dans les
musées pour enfants, comme ces confiseries. Là, il y a des Malabar, des Carambar, et d’autres
sucreries. Cette « adonaissante » achète le pain, et après elle s’offre un petit moment à elle :
« Après, je me prends un petit Malabar. » Grâce à la force de ce Malabar, la scène devient
personnelle. Il vous faut donc travailler sérieusement sur les équivalents de ces Malabar dans
les musées pour enfants, surtout s’ils sont accompagnés ? Pourquoi est-ce absolument
nécessaire ? C’est parce qu’en fait pour devenir moi-même, et encore plus dans l’enfance et la
jeunesse, je dois avoir des activités « autonomes », des activités que j’accomplis à titre
personnel. Pour me trouver et devenir moi-même, cette vision philosophique suppose que
l’individu doit apprendre cette autonomie tout autant que l’héritage culturel. Il doit découvrir
des activités par lesquelles il pourra expérimenter son identité. Pour y parvenir, ce jeune doit
avoir à sa disposition un ensemble d’activités qui lui permettront non seulement d’apprendre,
mais aussi et surtout de découvrir ce qui fait résonance avec lui-même. Les adultes conservent
un grand rôle s’ils comprennent qu’ils doivent avant tout être des « incitateurs ». L’enjeu,
dans le cadre de la culture, est tout autant, insistons de nouveau, de fournir un soutien
identitaire – s’exercer à être soi avec d’autres supports que les Malabar, les PlayStation, Fun
Radio – que de transmettre. Plus précisément, la transmission n’a de sens aujourd’hui que si
elle est construite dans une perspective d’un individu autonome9. Le monde culturel ne doit
pas laisser au marché le monopole de l’individualisme. Il y a en effet des instances qui
maîtrisent l’individualisme et le processus d’individualisation dans les sociétés
contemporaines et qui savent très bien qu’un individu veut s’exprimer à titre personnel. Le
marché – donc le capitalisme – c’est une machine individualiste par excellence. Au lieu
d’avoir une télé dont éventuellement le père tient la télécommande, avec le reste de la famille
qui s’ennuie peut-être, le représentant du marché arrive et promet le bonheur en famille en
proposant une télévision pour chacun.
L’art comme support de l’identité personnelle
Le fast-food constitue un bon exemple de ce que le marché a réussi à proposer pour que les
enfants puissent aller au restaurant à titre principal. Tout est fait pour que les « petits » soient
à la bonne hauteur et que les « grands » se sentent décalés. Les jeunes y vont d’abord pour
cela, la nourriture n’est pas leur souci premier. Or certains parents naïfs comprennent mal et
pensent que ces chers petits y vont pour la nourriture. Aussi, pour éviter cette ambiance, ils
achètent du fast-food pour le manger en famille chez eux. Et ils découvrent que le plaisir
n’existe plus, car s’il faut manger proprement, avec une serviette et sans bouger, le hamburger
perd une grande partie de son attraction ! Au fast-food, le restaurant n’est pas pour les enfants
et leurs familles, il est pour les enfants, les adultes sont autorisés à la condition qu’ils jouent le
jeu d’être petits momentanément (par exemple en acceptant de manger pas très proprement).
Le magasin propose des salades, mais avez-vous vu une fois un enfant manger une salade
dans un fast-food ? La mère est rassurée (au moins pour elle), elle est comme la mère de
Groucho. Pendant ce temps-là, les jeunes, les enfants font ce qu’ils ont à faire. Ne vous
moquez pas, à mon sens, de ces espaces car vous devez travailler sur la production de tels
9
Cf. « La crise de la transmission » in Les Uns avec les autres, op. cit.
6
lieux spécialisés où les « petits » n’ont pas le sentiment d’accompagner des « grands », mais
d’être pris à leur hauteur.
Bref, il faut rompre le cercle infernal dans lequel l’enfant est un accompagnateur de ses
parents, il doit devenir lui-même. C’est possible. Une de mes filles m’a fourni ce témoignage.
Il y a quelques années elle a suivi un atelier Ben à Beaubourg. Comme j’étais dans l’angoisse
de la préparation pour cette « ouverture », je l’énonçais à mes proches. Pour m’aider, ma fille
me décrit quelque chose que j’ignorais totalement : « Est-ce que tu sais que ma signature
vient de là ? À l’atelier Ben, on avait appris à faire sa signature. » Il faut rendre hommage
aux animateurs, animatrices de cet atelier. Ma fille avait 11 ans, elle en 23 aujourd’hui. Elle a
conservé ce qu’elle avait découvert à ce moment-là. Or la signature est dans une société
individualiste un élément central, un marqueur identitaire. Il est donc possible qu’une part de
soi s’adosse à une expérience artistique. Seulement dans certaines conditions, ainsi, dans cet
atelier, les parents n’étaient pas autorisés à entrer. Mettons de côté les parents, les professeurs
– en leur proposant à côté des choses à leur hauteur – et laissons vivre les enfants, les jeunes
un temps pendant lequel ils ne sont ni « élèves », ni « fils ou fille de ». Alors ils peuvent
trouver, éventuellement, une partie d’eux-mêmes, grâce à l’art, grâce à la culture, grâce à
vous.
7
POURQUOI DES EXPOSITIONS POUR LES ENFANTS ET LES
FAMILLES ?
Pourquoi une galerie des enfants au
Centre Pompidou aujourd’hui ?
Vincent Poussou, directeur de l’action éducative et des publics et
Patrice Chazottes, chef du service programmation jeune public,
Centre Pompidou Paris.
Pourquoi une Galerie des enfants
au Centre Pompidou aujourd’hui ?
Vincent Poussou, directeur de l’action éducative et des publics
Patrice Chazottes, chef du service programmation jeune public, Centre Pompidou, Paris
1) La Galerie des enfants : démarche et enjeux
Quelle est la logique institutionnelle qui a présidé à la création de ce lieu, et soutient
aujourd’hui son existence ?
D’une superficie de 400 m2, la Galerie des enfants existe depuis la réouverture du Centre
Pompidou, en 2000, après le grand chantier de rénovation qui a duré de 1998 à 2000.
Elle prend la suite d’un autre lieu à forte visibilité dans le Centre, et consacré aux enfants,
l’Atelier des enfants qui, lui, avait ouvert avec le Centre Pompidou en 1977. Danièle Giraudy,
la fondatrice de l’Atelier des enfants, sera modératrice cet après-midi et évoquera peut-être
cette période.
J’aimerais rendre compte maintenant de ce qui s’est transmis de mon point de vue de
« l’Atelier » à la « Galerie », et qui éclaire les missions et la place de la Galerie des enfants au
sein du Centre Pompidou pour en dégager les enjeux actuels. Je m’appuierai pour cela sur des
entretiens menés depuis mon arrivée auprès des responsables de projet qui conçoivent les
expositions, sur mon expérience des deux dernières expositions, ainsi que sur la lecture de
nombreux documents.
Je voudrais commencer par éloigner un premier contresens possible :
La Galerie des enfants n’a pas pour mission d’éveiller les enfants à l’art mais d’éveiller les
enfants au monde par l’art. Il me semble que c’est un premier point, et qu’il est fondamental.
Je crois que si l’on remonte à la création du Centre Pompidou, celui-ci a bien sûr réuni,
pratiquement, une grande bibliothèque, un musée, un centre de création industrielle… mais
tout cela avec l’objectif de favoriser la compréhension du monde contemporain. À un moment
de bouleversement culturel, le Centre devait être un centre d’interprétation et de
renouvellement de la culture contemporaine. Toutes les formes d’art étaient convoquées pour
cela, y compris les œuvres créées dans le cadre de processus industriels. L’Atelier des enfants
représente peut-être l’illustration la plus forte de cette mission : il est pluridisciplinaire, il vise
la transformation de l’enfant considéré comme un futur adulte, il est lui-même producteur
culturel de formes et de mise en résonance de ces formes et du public.
L’Atelier des enfant, cela veut dire – comme l’on dit l’atelier de l’artiste – là où l’enfant
crée, cela veut dire aussi l’atelier où des artistes créent, en présence ou avec des enfants, car
les animatrices qui furent recrutées à cette époque étaient elles-mêmes artistes, et recrutées sur
ce critère.
Les principes de travail sont logiquement en phase avec ce double statut
d’« animartistes » :
- l’expérimentation, prise dans un sens très pratique ; on fait, et on voit ce que cela donne
et si ça marche ;
- la notion de sensible ; ne pas parler qu’à l’intellect, engager la main, le corps, les cinq
sens dans le processus ;
- la création, chaque projet, chaque atelier, étant considéré comme une création en soi.
1
Et donc la démarche part tout naturellement de l’expérimentation, c’est-à-dire des ateliers,
pour aller vers la connaissance, mais une connaissance qui n’est pas une transmission de
savoir imposé, mais une découverte de soi, des autres et du monde. On retrouve toujours cet
esprit dans les deux dernières expositions, Ombres et lumière, qui est née de plusieurs années
d’atelier sur le thème « Art et technologie », et Tête à tête, qui, à partir des représentations de
la face, aborde les thèmes de l’identité, des émotions, du pouvoir, de la mort.
Cette démarche inclut l’enfant, de manière éducative au sens fort, c’est-à-dire consistant à
chercher à lui apporter les éléments nécessaires à son évolution, pour qu’il prenne sa place
singulière dans le monde. Et elle inclut aussi l’adulte, en tant qu’il contient l’enfant qu’il a
été, et que c’est à travers cet enfant qu’il a été qu’il trouve les moyens de communiquer avec
ses propres enfants. L’adulte aussi est en devenir…
Quels sont les enjeux aujourd’hui ? Le premier est un enjeu de transmission, d’essaimage,
de partenariats. C’est pourquoi ces dernières années nous avons travaillé avec plusieurs
partenaires : la Cité des sciences pour Ombres et lumière, le Louvre qui nous accueille
aujourd’hui en ce qui concerne Tête à Tête. En interne également, les collaborations sont plus
fréquentes avec le musée national d’Art Moderne. En 2007 nous allons notamment élaborer
un projet conjoint avec un artiste dans plusieurs espaces, y compris la Galerie des enfants.
Le second enjeu concerne l’élargissement des tranches d’âge : expérimentation menée par
le service programmation jeune public concernant avant tout des publics individuels.
2) La Galerie des enfants : programmation
La programmation de la Galerie des enfants reflète :
- d’une part les compétences acquises au sein de l’Atelier des enfants par les différents
chefs de projet (travaillant dans divers secteurs : design, art contemporain, arts plastiques
et danse, art et technologie…) ;
- d’autre part une expérience de trente ans menée au sein d’ateliers.
Elle s’appuie aussi sur le projet pluridisciplinaire du Centre Pompidou.
La Galerie des enfants se veut un lieu :
- ouvert à la création contemporaine
- développant des dispositifs pédagogiques, des ateliers, des rencontres avec des artistes
afin de permettre à l’enfant de développer son regard par l’utilisation des différents sens
(voir, toucher, écouter, regarder, sentir), de s’approprier le contenu et d’exprimer sa
capacité de création.
Depuis 2000, différentes expositions ont été présentées.
Je vous propose de découvrir ou redécouvrir quatre expositions qui illustrent les objectifs
de cet espace de médiation à la création contemporaine et accessible à un public d’enfants
accompagnés d’adultes dès l’âge de 6 ans jusqu’à l’âge de 11 ans.
Les expositions peuvent associer des artistes à la conception et à la réalisation des
expositions (Penone, Paul Cox, En quête d’objets), des œuvres de la collection du musée
national d’Art Moderne (Les animaux sortent de leur réserve, Tête à tête) ou bien rassemblent
sur une thématique commune des œuvres, des installations d’artistes (Écoute et Ombres et
lumière).
Présentés dans un ordre chronologique, voici quelques exemples :
2
« En quête d’objets » , une approche du design prospectif en janvier 2000
Conçue par Corinne Rozental et élaborée avec le groupe
Glassex, créé en 1998 par deux designers, Matali Crasset et
Olivier Peyricot, et Lisa White, directrice de revues artistiques.
Le groupe a été sollicité pour répondre aux sept thèmes qui
illustrent la journée-type d’un enfant : se réveiller, s’habiller, se
laver, se nourrir, circuler, étudier, se divertir. L’exposition
conçue sous forme de parcours interactifs est complétée par des
dispositifs audiovisuels, des ateliers de création et des concours de
projets.
Cette exposition met en scène les sept projets conçus autour de
ces sept actions de la vie quotidienne. Le visiteur est invité à
découvrir de nouveaux comportements et, de ce fait, de nouvelles
typologies d’objets pour ces actes les plus habituels. Au-delà des
projets des designers, chacun a pu s’interroger et imaginer ses
propres solutions.
Les ateliers de création ont permis aux enfants de développer
leur vision prospective et d’imaginer de nouvelles façons de se
réveiller, s’habiller, etc. Les étudiants de l’École nationale
supérieure de création industrielle ont participé à la conception
des scenari et des dispositifs d’animation afin de permettre aux
enfants d’entrer dans la démarche prospective.
« Matisse et Picasso »
Conçue par Nadine Combet à l’occasion de l’exposition Matisse, Picasso au Grand Palais,
c’est une exposition-atelier qui met en lumière les innovations picturales de ces deux maîtres.
Une scénographie originale permet une approche ludique et thématique. Le sujet du
« modèle dans l’atelier » récurrent dans l’œuvre de ces deux artistes, est à la fois le fil
conducteur de la scénographie de l’exposition et le thème des dispositifs interactifs proposés
aux enfants et à leurs parents.
La mise en scène se déploie du centre vers la périphérie pour amener le spectateur à voir,
écouter, comprendre et agir. Elle nous plonge dans une atmosphère évoquant les ateliers des
deux peintres : fenêtres, portes, miroirs, châssis, fauteuils, tissus… en soulignant ce qui les
unit, les rapproche et les dissocie sans les opposer. Elle conduit le spectateur à prendre
conscience des liens entre le fond et la forme : jeux de construction, déconstruction,
simplification des formes, dynamique de la ligne, expressivité de la couleur.
La volière
Cette volière centrale est le lieu d’accueil, d’échange collectif, de découverte des deux
hommes et de leurs œuvres. Quatorze reproductions d’œuvres choisies parmi celles qui sont
présentées dans l’exposition du Grand Palais, appartenant aux collections permanentes du
musée national d’Art Moderne et du musée Picasso, sont suspendues à différentes hauteurs
comme des oiseaux posés sur leurs perchoirs.
Elles sont accompagnées d’un montage audio – interview imaginaire des deux artistes par
un enfant – écrit à partir des textes originaux des deux artistes qui permet de mieux accéder à
leur rapport à la peinture et à la création.
3
Des fiches-questionnaires sur les œuvres, accrochées à la paroi, sont une
aide pour sensibiliser le jeune public face aux reproductions disposées dans
la volière.
Les dispositifs interactifs… quatre évocations d’ateliers « pour aller des
objets aux signes »
La simplification de la forme
La dynamique de la ligne
La couleur expressive
La construction et déconstruction
Giuseppe Penone, « Dévoiler l’invisible », en 2004
Conçue par Giuseppe Penone et Nadine Combet.
En 1995, dans la série « Un artiste propose », Tony Cragg, à qui le musée consacrait une
rétrospective, collaborait avec l’Atelier des enfants pour la conception d’un espace de
sensibilisation à sa démarche et à son œuvre pour le jeune public.
On renouvela l’expérience avec Penone dont une rétrospective avait lieu en même temps à
la Galerie sud.
L’exposition-atelier met tout particulièrement l’accent sur le travail de réflexion qu’il mène
sur : le temps, grand maître d’œuvre ; l’empreinte et la mémoire de l’empreinte ; le souffle et
la respiration, la fluidité des matériaux ; la forme comme geste et le geste comme forme.
Cette exposition est lieu d’initiation et d’expérimentation à l’univers de l’artiste et à son
processus de création pour « dévoiler l’invisible ».
L’espace est séparé en deux zones distinctes : une galerie et un espace-atelier pour
l’expérimentation.
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Dans la galerie, quelques œuvres, emblématiques de son
travail, sont associées à des dessins préparatoires correspondants
ainsi qu’à des séries de photos le montrant en processus de
création.
Le deuxième espace réservé à la réflexion active et à l’expérimentation. Là, prenant appui
sur les observations et les ressentis face aux œuvres et aux photos, plusieurs dispositifs
ludiques, inspirés des œuvres elles-mêmes, permettent d’aller plus avant dans la découverte
de la démarche de l’artiste :
1) Deux projections de diapos d’empreintes, l’une de paupière, l’autre de peau, sont une
invitation pour les enfants à relever eux-mêmes, de manière simple, leurs propres
empreintes pour ensuite les projeter au mur et les révéler grâce à
un travail graphique. Trois ou quatre petits projecteurs sur pied
permettent aux enfants de réaliser leurs expérimentations.
2) Un dispositif comprenant deux troncs d’arbres dont l’un,
débité en planches, est déployé au sol pour former un plancher
de trois mètres sur quatre. L’autre tronc est coupé en tronçons
de cinquante centimètres. Ce dispositif permet une observation
de la croissance de l’arbre, et tout un travail d’empreintes et de frottages, pour permettre de
mieux comprendre les « arbres écorcés » de Penone, ainsi qu’une réflexion sur le temps et
la mémoire.
3) Un dispositif de branches d’arbres et de feuilles de sureau
fraîches, pour se familiariser avec d’autres frottages et
empreintes utilisés par l’artiste, en particulier dans l’œuvre Le
Vert de la forêt.
« Ombres et lumière : rêves d’Ombre », en 2005
L’expérience de plusieurs mois menée avec le jeune public par l’atelier « Arts et
technologies » du Centre Pompidou, qui a permis de croiser les techniques traditionnelles
d’art plastique avec les nouvelles technologies, est à l’origine de ce projet. Enfin, le désir
d’établir une collaboration avec la Cité des sciences et de
l’industrie a débouché sur une exposition en deux volets. Le
deuxième volet vous sera présenté cet après-midi.
Cette exposition est un parcours initiatique à travers une
scénographie théâtralisée, tel un voyage poétique au pays du rêve
et de l’imaginaire, et plonge le visiteur au cœur de l’ombre et de la
lumière.
Pour finir, cette expérience de deux ou trois expositions par an est passionnante. C’est un
lieu où l’on peut inventer, un lieu actif, imaginatif, un lieu de rencontre avec les artistes, avec
5
les œuvres… et le résultat est chaque fois différent créant ainsi une surprise, une gourmandise
culturelle proposée à tous. L’enjeu est de taille… la Galerie des enfants doit devenir
davantage un lieu où se trame la culture d’hier, d’aujourd’hui et de demain… dans une
véritable diversité des politiques des publics.
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POURQUOI DES EXPOSITIONS POUR LES ENFANTS ET LES
FAMILLES ?
De la prise en compte des publics dans le projet d’exposition
Didier Frémond
Adjoint au chef du service culturel, responsable du secteur des relations
avec les publics, musée national de la Marine.
À propos de la prise en compte du public des enfants
dans le projet d’exposition
Didier Frémond
Adjoint au chef du service culturel, responsable du secteur des relations avec le public
Musée national de la Marine
Poser la question : « Quelles expositions d’art pour les enfants ? », c’est interroger
l’aptitude des musées à prendre en compte l’enfant visiteur, un public dont on espère et
redoute à la fois la venue.
Sa présence dans les salles n’est jamais ouvertement condamnée. Elle est jugée nécessaire.
Mais on entend souvent dire qu’elle pose problème. Elle nuirait aux autres visiteurs et mettrait
en danger les œuvres en raison d’un comportement incontrôlable, d’un manque d’éducation.
Les coupables désignés étant naturellement au premier chef les parents et les enseignants.
Quelquefois, inversement, on espère l’enfant visiteur avec une bienveillance suspecte. Pour
un peu il légitimerait à lui seul l’institution et l’on se plaint alors que le musée, ou
l’exposition, ne soit pas organisé tout entier autour de sa personne.
Dans les deux cas, l’arrière-plan est toujours le même, c’est l’idée rémanente et plus ou
moins assumée du musée comme lieu d’éducation. L’origine des collections et des lieux de
monstration n’est pas exempte d’une volonté d’édification et d’instruction du public, mais on
oublie trop souvent que cette instruction était tournée vers les adultes. L’histoire des lieux
pèse donc encore fortement sur leur usage et la recherche constante d’élargissement du public
se heurte souvent à une forme apparente d’incompatibilité entre le lieu et ses visiteurs (nous
pourrions faire des constats équivalents en matière de fréquentation touristique).
Cette recherche de développement des visites d’enfants, très récente à l’échelle de
l’histoire des musées et des expositions, crée des obligations nouvelles, parmi lesquelles le
réexamen du discours sur des collections, la recherche de formes nouvelles de médiation
appropriées et quelques ajustements en matière d’ergonomie (hauteur d’accrochage des
œuvres).
Mais, faut-il le rappeler, adapter le lieu à l’enfant visiteur pose un problème majeur que
connaissent bien les éducateurs : l’extraordinaire hétérogénéité de ce public. De quel enfant
visiteur parlons-nous dans cette tranche d’âge située entre la naissance et l’adolescence ? Estil issu d’un milieu qui le porte – où le traîne – vers le musée ? Sa visite est-elle réalisée dans
un cadre familial sur le temps des loisirs ou s’inscrit-elle dans une pratique de groupe avec la
classe ou le centre de loisirs ?
Ces questions simples évoquent une réalité assez complexe et rappellent que l’enfant, s’il
est souvent l’alibi d’une visite au musée, en est très rarement le prescripteur. Contrairement
aux jouets, aux spectacles, aux vêtements ou aux aliments qu’il consomme, sur lesquels il se
forge de plus en plus tôt un avis tranché, la visite d’exposition n’est que très
exceptionnellement formulée parmi ses désirs de consommation, contrairement à l’activité
sportive, par exemple. Ce désir, très exceptionnellement exprimé de façon autonome par
l’enfant, apparaît essentiellement lorsque l’exposition constitue le prolongement d’un centre
d’intérêt, et surtout lorsqu’il recoupe une thématique à la mode parmi les enfants. Il est
évident que les expositions dérivées de l’univers cinématographique, de la bande dessinée, et
autres disciplines artistiques fortement « marketées » et médiatisées peuvent accrocher
directement leur attention. Pour ces événements très spécifiques, les enfants peuvent en effet
1
devenir prescripteurs comme ils le sont pour un parc d’attractions, par exemple. Le succès de
fréquentation est sans doute plus facilement garanti s’il est renforcé par une thématique dont
l’engouement traverse les générations, et plus encore si l’entourage des adultes trouve là une
occasion de plonger dans une forme de nostalgie de sa propre enfance.
On sent bien qu’il est possible de formater des événements qui satisferont un désir de
consommation de la part de l’enfant.
En suivant les engouements successifs pour les thèmes qui font consensus parmi les
enfants, il est possible de décliner à peu près tout et n’importe quoi. La question est donc
moins de savoir si l’on peut créer des expositions pour enfants que de savoir si l’on doit le
faire.
Et, puisque le propos est d’aborder la question de l’exposition d’art, il me semble que la
réponse réside moins dans un thème ou un type d’œuvres qui seraient ou non appropriés pour
un public d’enfants que dans la réflexion sur le sens à donner à cette rencontre entre l’enfant
et l’œuvre d’art. Rencontre pleine de surprises puisqu’elle rassemble un visiteur et une œuvre
qui ne lui est pas destinée (les artistes n’ayant généralement pas produit des œuvres pour
enfants). Ainsi, rassembler spécifiquement des œuvres pour les présenter aux enfants, ou
décréter que certaines œuvres seulement leur sont accessibles, n’est-ce pas les tromper sur la
nature même de la création artistique ?
En poussant un peu loin la provocation, n’est-ce pas parce que les musées et les
expositions ne sont pas conçus pour les enfants qu’ils autorisent les plus belles découvertes ?
L’enfant perçoit bien qu’au musée il empiète sur un territoire réservé aux adultes, et cela
attise sa curiosité. Une curiosité qui se porte aussi bien sur ce qui est montré que sur les rituels
de la visite. Cette étrangeté du lieu est en soi un puissant stimulant propice à l’apprentissage,
une occasion pour lui de sortir un temps de sa condition d’enfant pour s’envisager lui-même
comme visiteur. Ainsi, plutôt que de ramener sans cesse les enfants à leurs goûts supposés, il
me semble plus profitable de relever le défi de la cohabitation harmonieuse des publics dans
l’espace d’exposition, et d’offrir à l’enfant l’occasion de confronter ses interprétations aux
explications d’un adulte. La recherche de la qualité de la médiation humaine entre l’œuvre et
l’enfant est probablement plus essentielle que le choix d’un corpus d’œuvres, d’une
muséographie ou d’une thématique censés le séduire. Le risque patent de l’exposition pour
enfants est aussi que la perception de l’enfant visiteur et de ses goûts se résume souvent à une
série de clichés éculés. Les enfants aiment les animaux. Faut-il restreindre leur accès à la
culture artistique à ce seul thème ? Les enfants sont insouciants. Doit-on écarter toute
représentation du drame ? Les enfants sont des artistes qui s’ignorent. Ils sont naturellement
sensibles à l’art brut, etc.
On pourrait naturellement tenter de surmonter cet obstacle en définissant des projets
d’exposition plus audacieux… Mais le public serait-il au rendez-vous si l’on s’affranchissait
des thèmes les plus stéréotypés ? Probablement non.
Le musée national de la Marine bénéficie, et souffre aussi, de l’un de ces stéréotypes : la
passion supposée des enfants pour les bateaux et pour l’eau. Le musée accueille donc sans
trop de peine un public familial nombreux qui compose le noyau dur de sa fréquentation.
Mais ce stéréotype du bateau associé à l’enfant pèse aussi sur la perception de la collection et
des expositions. Nous devons redoubler d’efforts pour que le public dépasse le stade de cet
émerveillement, un peu superficiel et vite émoussé, pour le modèle réduit de bateau. Nous
tentons donc, en résumé, de profiter de cet engouement assez spontané pour sensibiliser notre
public à l’histoire de la marine, en passant par des expositions fédératrices et
intergénérationnelles : Mille sabords ! Tintin, Haddock et les bateaux, Pirates ! et plus
récemment Jules Verne, le roman de la mer. Ainsi, l’exposition Jules Verne le roman de la
2
mer (mars-août 2005), qui se proposait de présenter les évolutions de la marine à travers le
regard de l’auteur révélait aussi l’influence que le roman Vingt mille lieues sous les mers avait
pu avoir sur des explorateurs, des scientifiques, des architectes au XXe siècle.
Le public s’est manifesté massivement sur cet événement (150 000 visiteurs) bien que le
propos soit en fait assez complexe. Notre choix fut d’orienter nettement l’exposition vers le
public familial en proposant une scénographie reflétant l’univers vernien, mais relativement
sobre, sans dispositif interactif ludique particulier (ni ordinateur, ni artefacts à manipuler),
mais en réalisant un audioguidage basé sur une fiction qui permet d’introduire les différentes
thématiques de l’exposition. Le parti pris consistait à donner la parole à Jules Verne lui-même
(texte écrit par un commissaire de l’exposition, sur la base des romans de Verne, d’interviews
et de sa correspondance). Le discours privilégiait l’explication du lien entre les objets
présentés plutôt que le commentaire sur l’objet lui-même. Le public, enfants et adultes réunis,
s’est montré très réceptif à cette proposition. Le succès de l’exposition a par ailleurs été
facilité par la création d’un commissariat partagé, composé d’une conservatrice, d’une
responsable des bibliothèques et d’un responsable des publics. Le partage des expériences et
la complémentarité des formations ont permis d’assumer de vrais choix, et quelques risques
aussi. Dès l’origine du projet, la question du contenu scientifique et celle des publics ont été
abordées avec la même acuité. Cela a contribué également à organiser plus facilement une
communication et une prospection de public cohérentes avec les orientations du projet.
De cette expérience, je retiens volontiers que la prise de position nette – exposition grand
public orientée vers les familles –, très opérante pour ce public, n’a pas dérouté ni dissuadé les
autres visiteurs. Au contraire, l’effort de clarification du discours pour toucher le public
familial a été profitable à l’ensemble du public. Les visiteurs les plus érudits souvent évoqués
lorsque l’on craint de trop vulgariser ont parfaitement compris et approuvé ce choix.
En conclusion, et à la lumière de cette expérience, considérant que les adultes sont les
principaux prescripteurs des visites d’enfants, je dois bien avouer que je préfère, et de loin,
l’idée de prendre en compte ce public dans le projet global de toute exposition, à l’option qui
consisterait à décréter quelle exposition conviendrait à quel enfant.
3
POURQUOI DES EXPOSITIONS POUR LES ENFANTS
ET LES FAMILLES ?
Impliquer les enfants et les familles dans les dispositifs muséaux
Barbara Meyerson
Directrice des programmes éducatifs
Maricopa Partnership for Arts and Culture, Phoenix, Arizona
Impliquer les enfants et les familles
dans les dispositifs muséaux
Barbara Meyerson
Directrice des programmes éducatifs
Maricopa Partnerships for Arts and Culture, Phoenix, Arizona
I will begin by telling you a bit about myself. I feel that is important because I am living proof
that exposure to art museums as a child can change and direct the course of one’s life.
I began my career at the age of twelve, as the first Junior Aide Volunteer at the Brooklyn
Museum of Art in New York City. That program provided me with special access behind-thescenes of a traditional art museum. I have wonderfully vivid memories of assisting with exhibit
installations, and even though all I really did was carry the Designer’s coffee cup and some of his
papers, I was made to feel special and important. After school, I often spent time in the library
reading about the subjects of upcoming exhibits. I was motivated to learn all that I could about
them and this motivation was entirely self-directed and outside of my traditional sixth-grade
classroom. Looking back on this experience as an adult, I realize how valuable it really was and
how much it set the stage for my career and my philosophy about museum exhibits and
accessibility. The motivation that I felt as a child is the very type of motivation that all of us
grown up museum professionals strive so hard to ignite in our respective museums’ visitors.
Following the necessary education to become an elementary school teacher, it became obvious
to me that the art museum could be an extraordinarily valuable asset to inspire children to learn in
a non-school environment. I taught art in elementary schools in New York City and in Phoenix,
Arizona for a total of ten years before I was granted the opportunity to find out just how
empowering learning in museums can actually be for children and for the adults and families that
accompany them.
Phoenix Arizona is located in the Sonoran Desert in the southwestern part of the United States.
The Phoenix metropolitan area is composed of more than twenty-five cities and is home to nearly
three and a half million people. There are over one hundred languages spoken in the region, and
the average age of the population is thirty-three years old, which is actually lower than the
country’s national average age of 35.3 years. (Dispelling the myth that Phoenix is only for senior
citizens!)
In the last twenty-five years, the number of museums for children across America has grown
steadily. There are now nearly four hundred such institutions dedicated to providing exciting and
stimulating learning experiences for children from birth through the age of twelve (with some
museums even featuring programs for teenagers). Children’s museums vary in size, but all share
a mission dedicated to learning. Unlike their grown-up museum counterparts, which are driven
by the collections they own and maintain, children’s museums are audience-driven. Children’s
museums must present exhibits and programs that are developmentally appropriate, and address
the learning styles of their patrons. Since children are accompanied by adults, children’s
museums must also meet grown-up needs, provide appropriate information and stimulate intergenerational interaction and learning. Given all of the other activities that compete for a family’s
leisure time, this can be a daunting task. It is comforting to know, however, that museum
1
educators are “up” to that challenge and are enjoying some wonderful successes throughout the
world.
I have recently retired after twenty-five years as the founding director of the Arizona Museum
for Youth. That museum occupies a unique place within the museum community in that it is an
art museum (presenting original works on loan from other museums, galleries and collectors)
designed and presented especially for children.
It is my hope that my experiences (both personal and professional) will help to inspire you as I
share some images with you today.
It is truly important to be a good listener and observer of children and their accompanying
adult escorts when designing a museum exhibit. This painting (of a western scene from a cowboy
art exhibit) is a static image to a child … unless you can engage their imagination. What better
way to really examine painting than to pretend to be a part of it! The museum used dress-up
materials, saddles, and even electric campfires to create an environment for the paintings and
sculptures that filled the gallery.
I know that in most museums there is a kind of “struggle” between the museum educators and
the curators. After all, children love to touch things … in fact they often learn that way. Curators,
on the other hand, need to preserve art works and artifacts and fingers are just not permitted.
The Arizona Museum for Youth uses special labels alongside its standard museum labels.
Children are introduced to them upon entering the museum. They learn to look at the label before
interacting with the works. The labels are designed to meet the needs of non-readers through
shapes, icons and colors, as well as the needs of beginning readers.
Artwork needs to be installed (whenever possible) at a child’s eye level. This empowers the
young viewer and makes them feel special, relaxed and ready to learn. (This photo was from an
exhibit about dogs in art that even contained an oversized doghouse. Children made dog masks,
played with special plastic dog bones, and watched a video of artist William Wegman known for
his dog photos.)
Cultural exhibits are an important part of a museum’s presentations. This is an example of a
learning activity from an exhibit about Japan. The large screen pictured was on loan from The
Phoenix Art Museum’s permanent collection. Directly in front of it are slanted drawing tables.
These tables are about twenty-eight inches tall (an average height for a child) and deep enough
and far away enough from the screen to prevent crayons and rubber stamps from reaching the art
work. Children (and their parents) were creating their own screens directly in front of the
original. When inspiration strikes, I believe it is our job as museum professionals to capture that
moment.
This is a replica of a tea house from that same exhibit. It was built to enable children and
parents to perform their own tea ceremonies.
These are works in glass done by an Arizona artist.
This is an adjoining workstation providing paper, yarn, and other materials to capture
moments of inspiration and to enable families to create original works by moving colors and
textures to simulate some of the decisions made by the artist whose work they have just seen.
(Note that a trashcan receptacle was built into the worktable to aid with gallery clean up!)
It is important to remember that museum visiting families often contain multiple children that
can span a variety of ages and abilities. One must therefore be certain to provide age appropriate
activities for as many of those youngsters as possible. If a two-year-old is bored and begins to
2
whine, it is fairly certain that his/her eight-year-old sibling’s ability to learn and to gather
information will be reduced in direct proportion to the severity of the whining. Parents and care
providers need to be able to keep all of their children engaged and learning.
This exhibit was entitled Way Cool: Cold Blooded Animals in Art. Inside “Club Ecto” (at the
center of the photo) was a “nightclub” (complete with glow-in-the-dark, or black lighting to
provide a special environment in which young visitors could dance with oversized cloth lizards!)
A simple way to engage imagination was the “Sketch of the Day.” Children selected a card
from one side, which might have said “Draw a fish.” Then they selected a second card, which
might have said “Wearing eyeglasses.” The results were thought provoking and fun to share, and
they mirrored several of the original works on display in the gallery.
Once again, the use of glow-in-the dark paints and black light was used to simulate being
under water. The space included mirrors and the sounds of the sea while it encouraged movement
(kinesthetic learning).
Listening to your audience is a consistent theme in programming for children and families.
Several years ago, the Arizona Museum for Youth determined that it was not providing enough
learning opportunities for children under the age of five. Brain development research served to
underscore the importance of providing these special opportunities.
ArtVille, a town built out of oversized crayons, pencils erasers and other art supplies was
designed to introduce these early learners to texture, shape, color, and line. These elements of art
are then reinforced throughout the exhibits in the rest of the museum.
In the center of the town of ArtVille, there is an area for children who are not yet walking.
They can crawl over textures, touch shapes, enjoy colors, and follow lines.
Programs for families require special infrastructure. Even restrooms must be able to
accommodate those who are just learning to use the toilet.
Mothers who are nursing their babies need a quiet space, complete with comfortable chairs
and diaper changing facilities.
Teachers and parents are provided with special lesson plans to enable them to extend the
museum visit into the classroom or to the kitchen table at home. These materials can be
downloaded from the museum’s website.
It is vital to listen to children and to provide opportunities for them to learn along with their
adult escorts. Creating opportunities such as these for families is a truly rewarding component of
museum work.
If you take a moment to reflect upon your own childhood, you can probably remember a
special time or an experience that you shared with an adult in your life … a time when you
learned something new … together. Those experiences are the ones you carry with you
throughout your life. They are special and memorable because you shared them and I believe that
is why you can, most likely, recall them so vividly.
I would like to close with a quote from Le Petit Prince (a book I read back in a high school
French class) I believe that it presents a truly valuable strategy for creation of museum exhibits
for children and families.
« Les grandes personnes ne comprennent jamais rien toutes seules, et c’est fatigant, pour les
enfants, de toujours leur donner les explications. »
Merci beaucoup.
3
POURQUOI DES EXPOSITIONS POUR LES ENFANTS
ET LES FAMILLES ?
Quand la famille vient au musée : motivations et logiques de visite
Anne Jonchery
Docteur en muséologie des sciences naturelles et humaines.
Quand la famille vient au musée :
motivations et logiques de visite
Anne Jonchery
Docteur en muséologie des sciences naturelles et humaines
Longtemps considérée uniquement comme un acte solitaire, la visite de musées s’inscrit
dans de nombreux contextes de sociabilité : les visiteurs viennent en groupe, entre amis, en
couple, en famille, dans les musées de sciences et techniques, d’histoire et de société, mais
aussi dans les musées d’art (Mironer, 2001). À la lumière des études et enquêtes de
fréquentation, le public dit « familial » est en progression constante. Il est de plus en plus
considéré, courtisé par les institutions muséales, qui multiplient leurs offres destinées à ce
public, proposant des outils d’aide à la visite, des activités, mais aussi des expositions
spécifiques.
Mais au-delà de l’offre, qu’en est-il des familles elles-mêmes et de leurs motivations ? Que
signifie pour une famille la visite d’un musée ? Qu’est-ce qui se joue quand la famille vient au
musée ? Fournir des éléments de réponse à ces questionnements permet d’aborder plus
largement la place et le rôle des structures muséales dans la société.
Les travaux de Bourdieu à la fin des années 1960, notamment L’Amour de l’art (1969), ont
montré combien la visite de musées était une pratique de distinction sociale, un habitus
culturel : dans cette perspective, la famille se positionnait comme l’instance de socialisation et
d’éducation au musée, l’organe de transmission de la pratique. Au regard des évolutions du
mode de reproduction sociale (passant par un capital plus scolaire que culturel) et considérant
le fonctionnement de la famille contemporaine (de Singly, 1993), dans quelle mesure les
visites en famille ne remplissent-elles pas aujourd’hui d’autres rôles, ne sont-elles pas
animées par d’autres dynamiques et logiques ?
Par ailleurs, l’offre muséale s’est transformée. La « fièvre muséale » (Benhamou, 2000)
qui a touché Paris et les Régions, a vu l’apparition dès la fin des années 1970 de nombreux
musées aux spécialités plus variées que précédemment, plus soucieux du public. Le paysage
muséal actuel se présente mouvant et multiple : les logiques familiales sont-elles différentes
selon le type de musée fréquenté ?
À travers deux enquêtes menées dans trois musées parisiens, nous avons collecté des
données tant sur les profils des familles visiteuses que sur leurs contextes de visites, leurs
démarches et motivations. Choisis pour leurs différentes spécialités, le musée d’Orsay, le
musée national de la Marine et la galerie de Paléontologie et d’Anatomie comparée du
Muséum national d’histoire naturelle ont composé les trois terrains d’enquête. Une enquête
quantitative par questionnaires s’est déroulée auprès de 350 groupes familiaux rencontrés à
l’entrée des trois musées. Une enquête qualitative par entretiens semi-directifs, menés avant la
visite, a permis de constituer un corpus de 112 entretiens de groupes familiaux venus visiter
l’un des trois musées. Il s’agit de présenter ici les résultats relatifs aux motifs et logiques de
visites, afin de mieux appréhender ce qui se joue pour la famille, quand elle se rend au musée.
Quatre types de motivations – qui se combinent entre elles – œuvrent et procèdent à la visite :
chacune d’entre elles se trouve détaillée et analysée suivant les finalités et enjeux qu’elle
recouvre.
1
Venir en famille au musée : un acte éducatif
La motivation éducative est essentielle dans la visite en famille : dans l’enquête
quantitative1, 75 % des groupes l’évoquent et elle apparaît dans la même proportion dans les
entretiens. Fédérant l’ensemble des familles, elle revêt cependant un poids différent selon les
familles et selon les musées. L’éducation s’énonce plus souvent comme une priorité chez les
groupes peu familiers des musées : dans la moitié de ces groupes, elle occupe la première
place – ce qui n’est le cas que dans un quart à un tiers des autres groupes. L’enjeu éducatif
serait ainsi plus prégnant au sein des groupes allant très occasionnellement dans les musées.
Par ailleurs, 40 % des familles rencontrées au musée d’Orsay viennent dans une perspective
d’abord éducative, contre 24 % et 31 % dans les autres musées.
Des motivations éducatives plurielles
La motivation éducative recouvre des significations multiples qui sont loin de l’apparente
homogénéité que les données quantitatives véhiculent2.
D’une part, pour 38 groupes familiaux sur les 112 rencontrés, dont la moitié s’apprêtaient à
visiter la galerie de Paléontologie, la visite s’inscrit dans une démarche d’apprentissage
cognitif, visant l’acquisition de connaissances. Dans la moitié des groupes, le type de
connaissance recherché n’est pas précisé : le musée demeure un lieu symbolique du savoir, au
sens universel et encyclopédique du terme. Cette représentation l’affilie au musée
révolutionnaire, héritier des Lumières, visant l’exhaustivité. Quant l’objet de l’apprentissage
est précisé, les notions d’histoire sont récurrentes, mais il peut s’agir aussi de contenus très
concrets relevant d’une discipline, au sens scolaire du terme, comme l’illustre ce père venu
avec sa femme et ses deux enfants visiter la galerie de Paléontologie et d’Anatomie comparée.
« Alors, pourquoi en famille […] aussi, encore une fois, pour leur apprendre, pour leur
montrer ce qu’est… ce qu’est un animal… pour leur montrer un squelette, parce que derrière
la chair on se demande… les enfants se posent toujours la question : “Qu’est-ce qu’un os ?”
Donc, là, j’espère qu’on va le voir concrètement… ».
Avec une vision plus souple, 53 groupes familiaux – soit la moitié de l’échantillon
qualitatif – attachent aux musées les notions d’éveil, d’ouverture et de découverte. Cette
approche révèle une conception plus libre, multiple et plastique, du savoir exposé dans et par
cette institution. La connaissance s’associe à l’idée d’épanouissement. Les parents considèrent
les musées comme des lieux d’ouverture au monde, au sens large puisque pour certains
parents ils sensibilisent aux réalités sociales tandis que pour d’autres ils développent la
curiosité, voire l’esprit critique. Si cette conception d’un musée-monde, d’un musée reflet du
monde, n’est pas si éloignée de l’image du musée encyclopédique développée ci-avant, c’est
la démarche qui les distingue radicalement puisque d’un côté se détache une démarche
systématique et scolaire d’apprentissage alors que de l’autre il s’agit d’une approche globale
et sensible d’initiation.
Certains parents assimilent leur visite à un éveil à la « culture ». Le mot renferme
différentes valeurs et contenus, allant de la culture générale à la culture cultivée, en passant
par la culture nationale ou plus partiellement la culture artistique. Ce terme recouvre ainsi des
visions éclatées, alors que nous l’aurions plutôt envisagé dans la seule perspective de la
1
Dans le questionnaire, la question des motivations (« Pour quelle(s) raison(s) êtes-vous allés visiter ce musée
en famille ? ») proposait 5 choix multiples : pour être ensemble, pour partager une découverte/ pour faire
plaisir aux enfants/ pour que les enfants apprennent et comprennent de nouvelles choses/ pour satisfaire un
intérêt personnel de l’adulte/ autres raisons.
2
Dans le questionnaire quantitatif, nous sommes dépendants de pratiques déclaratives d’autant moins
approfondies qu’elles répondent dans ce cas précis à une question à choix multiples.
2
culture légitime et dominante. Enfin, pour d’autres parents, la visite familiale vise la
découverte du passé et positionne le musée comme un lieu patrimonial, dont la particularité
réside dans sa dimension matérielle.
Ces motivations éducatives s’appuient, dans les discours des parents, sur les
caractéristiques et l’expérience offertes par l’institution muséale : l’exposition permet une
rencontre avec l’objet, une confrontation visuelle avec le réel, « voir en vrai concrètement »,
« montrer la taille réelle », « voir en volume ce que ça représente une ancre de marine par
exemple ». À l’heure où l’image et le virtuel s’imposent, l’objet exposé suscite de l’intérêt par
sa perception sensible. Cette confrontation dans le réel est d’autant plus valorisée qu’il s’agit
d’un objet authentique, et souvent rare. L’exposition est comparée et mise en balance par les
parents avec d’autres médias de la connaissance, comme la télévision, le livre, mais aussi
l’enseignement scolaire.
Apparue dans les discours de 10 familles, une autre motivation éducative guide la visite en
famille : il s’agit de familiariser l’enfant au musée. Cette démarche d’éducation muséale
s’assimile parfois simplement à dévoiler l’existence du musée à l’enfant, comme l’exprime
cette mère rencontrée au musée de la Marine : « C’est pour qu’il apprenne un peu que ça
existe, un musée, comment c’est, que c’est intéressant, que c’est pas un truc de vieux. »
Mais cette démarche peut aussi correspondre à une véritable initiation aux contraintes et
aux règles de comportements de cet équipement culturel. Dans cette perspective, les
expositions pour enfants sont appréhendées avec circonspection, risquant de brouiller la
représentation du musée, de compliquer l’acquisition de comportements spécifiques au milieu
muséal. En témoigne cette mère venue visiter le musée d’Orsay avec son fils : « On est allés
dans certains musées comme à Beaubourg où il y a la galerie des enfants qui est spécialement
conçue pour eux, donc là c’est autre chose, c’est plus ludique, c’est fait spécialement pour
eux, donc c’est des choses qu’on manipule, qu’on touche, c’est pas forcément les œuvres
réelles qu’on voit mais des reproductions, donc c’est aussi différent…[…] Alors j’aime bien
faire ça de temps en temps, mais j’aime pas quand c’est uniquement ça parce que c’est pas le
musée habituel, donc… et puis quand c’est trop ludique au bout d’un moment ça ne reflète
plus l’idée de musée, quoi. […] Parce qu’en fait dans un musée, c’est vrai que l’enfant n’a
pas le droit de toucher et dans ce genre d’atelier où on les fait s’habiller, toucher, tourner
autour, et cetera, après c’est étrange, quoi, ils se retrouvent dans un musée dans lequel ils
n’ont pas le droit de toucher, ils n’ont le droit que de regarder ! »
Les enjeux éducatifs de la visite en famille : transmission d’un habitus
ou réussite scolaire ?
Les motivations éducatives décrites précédemment impliquent des finalités différentes. Les
entretiens qualitatifs révèlent d’abord la visée scolaire des visites familiales. Pour une
douzaine de familles, l’enjeu majeur réside explicitement dans la réussite scolaire de l’enfant :
la visite s’inscrit comme un renforcement direct des savoirs scolaires, elle représente un
investissement à court ou à long terme. Si cet objectif n’est pas clairement déclaré,
l’institution scolaire intervient néanmoins, et de manière récurrente, à différents niveaux de la
visite : elle peut être prescripteur ou bénéficiaire, impulser la visite par le biais du professeur,
du programme scolaire, par une visite scolaire de l’enfant. Ces insertions et implications de
l’école dans les logiques de visites reflètent à la fois son poids dans la famille et ses
connexions avec l’institution muséale.
La visite en famille correspond ainsi à une stratégie éducative visant la réussite scolaire de
l’enfant. La finalité est donc celle de la reproduction sociale : dans un mode de reproduction à
composante scolaire où l’école donne la valeur sociale de l’individu par le diplôme, la famille
3
ne peut influer qu’indirectement sur la reproduction sociale (de Singly, 1993). La visite de
musée participe ainsi de cette mobilisation éducative.
D’autres finalités que la réussite scolaire se font jour. D’une part, la visite en famille
ambitionne le développement d’une pratique ultérieure de visites des enfants. Sur les
86 groupes familiaux attribuant des raisons éducatives à leur visite, 20 expriment clairement
cet objectif. Dans la majorité des cas, il s’agit d’une pratique que les parents ont eux-mêmes
développée et qu’ils souhaitent transmettre à leurs enfants. Dans quelques cas, cette pratique
n’est pas familière aux parents mais ils auraient aimé y être familiarisés. Dans tous les cas, la
visite est considérée comme une pratique de classe, socialement connotée. Chercher à la
transmettre ou à l’inculquer relève donc aussi d’un processus de reproduction sociale, c’est-àdire d’une stratégie visant à maintenir – voire à améliorer – la position de la famille dans
l’espace social. Cependant, contrairement à la finalité précédente, il s’agit ici de transmettre
un capital culturel et non scolaire.
Dans ces entretiens, la démarche des parents procède d’une mise en contact de l’enfant
avec le milieu de l’exposition, permettant un retour ultérieur à l’âge adulte. Le discours de
cette mère rencontrée au musée de la Marine est révélateur de cette démarche : « En tant que
parent, je crois… c’est important de les emmener petits… pour qu’une fois plus grands ils y
aillent tous seuls, c’est quelque chose qu’on apprend petit, je trouve… je pense qu’après ils
peuvent y aller plus facilement… il y a moins d’efforts à faire. ». Un principe conduit donc
cette logique : la familiarisation précoce diminue l’effort à fournir une fois adulte. Le temps
de l’initiation à la pratique et celui de sa réactivation sont ainsi bien différenciés.
D’autre part, pour 8 familles, l’enjeu éducatif repose dans la transmission d’un goût, de
valeurs sociales et/ou familiales. Dans le premier cas, ce sont des références familiales que les
parents cherchent à transmettre, dans un but de cohésion et d’intégration familiale ; dans le
second, ils pointent des valeurs propres à un groupe social, comme ce père de famille qui tient à
donner à son fils « le goût des belles choses, des bonnes choses », postulant ainsi l’existence
d’une perception esthétique à intégrer, expression d’une position sociale. Cette socialisation
vise à la différenciation intellectuelle de l’enfant par rapport aux autres, positionnant la visite de
musée comme une pratique de distinction. Une mère l’exprime de manière très directe, venue
avec sa fille au musée d’Orsay, « pour lui donner une vivacité intellectuelle que d’autres n’ont
pas ».
Ainsi, la visite de musées revêt encore le statut d’habitus culturel : la visite s’inscrit, pour
une part des familles, dans un mouvement de transmission d’un capital culturel, corroborant
la théorie de Bourdieu (1969). Néanmoins, ce processus n’est pas unique. La motivation
d’apprentissage des enfants conjuguée aux interventions plurielles de l’école reflète une
mobilisation scolaire importante, chez une grande partie des groupes familiaux. La visite en
famille s’affirme comme un investissement éducatif des parents, répondant à l’évolution des
modes de reproduction sociale (de Singly, 1993).
Les différents musées étudiés voient apparaître tous trois ces enjeux éducatifs. Néanmoins,
c’est au musée d’Orsay que la transmission de valeurs et le développement d’une pratique
ultérieure de l’enfant sont le plus souvent ambitionnés3 et développés. Ainsi, lors de la visite
en famille d’un musée d’art comme le musée d’Orsay, il se jouerait plus la transmission d’un
capital culturel que dans les autres musées.
3
Ils apparaissent dans 11 entretiens sur 32 tandis que ces phénomènes sont moins présents à la galerie de
Paléontologie et d’Anatomie comparée (8 sur 40) et au musée de la Marine (6 sur 40).
4
« Être ensemble » et partager : le musée lieu de sociabilité
familiale
Quantitativement, les trois quarts des groupes familiaux mentionnent le contexte de
sociabilité, le fait « d’être ensemble » comme un motif de leur visite4. Cette motivation est
particulièrement décisive pour les groupes visiteurs du musée de la Marine puisque 52 % la
placent en première position – il demeure qu’ils sont néanmoins 36 et 39 % dans les autres
musées à le faire. Le caractère moins déterminé du musée de la Marine5, ni musée d’art ni
musée de sciences, pourrait expliquer cette importance majeure accordée à l’« être ensemble »
dans un musée dont l’identification malaisée freinerait les motivations éducatives (d’habitude
dominantes), ou du moins leur formulation par les visiteurs rencontrés.
Dans plus de la moitié des entretiens qualitatifs, la sociabilité familiale apparaît comme
facteur de motivation et se distingue par sa variété d’expressions et de modalités. Mais audelà des discours tenus par les familles, l’analyse des activités de substitution à la visite figure
l’ultime preuve de l’importance du contexte de sociabilité. En effet, 100 groupes sur 107
déclarent qu’ils réaliseraient à la place de la visite une autre activité en famille. La visite
s’ancre ainsi résolument dans un temps consacré à la famille. L’organisation de la vie
quotidienne, le rythme et la conciliation des temps sociaux et professionnels expliquent les
enjeux des moments passés en famille : leur rareté génère des exigences de qualité. C’est dans
cette perspective que s’explique la forte attente de sociabilité et de convivialité des familles
rencontrées aux musées.
L’exposition comme terrain de partage
« Être ensemble » est un paramètre essentiel de la visite en famille, sans parfois qu’aucun
intérêt pour les collections, l’exposition ou le bâtiment ne soit évoqué. Pourtant le musée n’est
pas choisi par hasard : il est élu pour son cadre, ses caractéristiques culturelles. Les activités
de substitution à la visite en témoignent : la visite en famille se trouve en concurrence avec
d’autres sorties culturelles (monuments historiques, théâtre, musée etc.) dans près des deux
tiers des groupes, et dans un tiers des groupes un autre musée aurait remplacé celui qui avait
été initialement prévu. Ce résultat souligne la recherche d’un environnement culturel – et
notamment du contexte muséal – comme cadre à la sociabilité familiale.
Dans une douzaine d’entretiens, être ensemble est le motif exclusif de la visite, le type
d’activités réalisées dans le musée étant considéré comme annexe. En témoigne cet extrait
d’entretien mené avec un père et sa fille au musée de la Marine :
Enquêteur : Pourquoi vous avez décidé de visiter ce musée tous les deux ?
Le père : Tous les deux ? Parce qu’on se voit pas beaucoup et donc on en profite… on profite
des moments où on est ensemble pour faire des choses… sa grande sœur est partie chez sa
grand-mère, sa mère travaille la première semaine donc on est tous les deux et on se balade,
voilà.
Enquêteur : D’accord… C’était l’occasion d’aller au musée de la Marine ?
Le père : Oui, oui, mais pas particulièrement celui-là et pas particulièrement un musée…
d’aller là où ça nous chante…
4
Le questionnaire proposait parmi les réponses à la question des raisons de la visite : pour être ensemble, pour
partager une découverte.
5
Les collections du musée de la Marine mêlent objets d’art, instruments scientifiques de navigation, maquettes de
navires, objets plus contemporains, le positionnant ainsi entre musée d’art, musée de société et musée d’histoire.
5
Dans les autres entretiens concernés, apparaît cependant l’idée d’une expérience collective.
La notion de partage est centrale pour la moitié des groupes mentionnant des motivations
sociales. Partager au musée signifie communiquer, échanger, dialoguer : la communication
orale semble essentielle à la visite en famille, il s’agit de « faire du commentaire » pour vivre
l’expérience collectivement (de Singly, 2003). Le partage stipule que chacun apporte quelque
chose à la situation : si les parents fournissent des informations, ils insistent sur l’apport
primordial des enfants par leurs questionnements et leurs réactions durant la visite. Un
processus spécifique se dessine également : il s’agit moins de partager que de faire partager.
Un membre du groupe – adulte ou enfant – souhaite faire connaître une expérience antérieure,
un goût pour un objet, un lieu, comme l’explique cette mère venue au musée de la Marine :
« C’était un désir de mon fils, depuis six mois qu’il voulait me montrer le musée de la
Marine ! Parce qu’il y était allé avec son père voilà deux ans, ça l’a enthousiasmé et depuis il
voulait que sa maman vienne au musée de la Marine. ». Ce processus s’accompagne souvent
d’une forte émotion initiale motivant l’envie de la partager. La visite en famille, en offrant un
terrain de partage, mêle ainsi une expérience tant cognitive qu’affective.
Les enjeux de la convivialité : cohésion familiale, connaissance de l’autre
ou passeport de visite
La sociabilité familiale lors de la visite articule plusieurs types de bénéfices. D’une part,
l’expérience de visite participe à la construction de la mémoire familiale. Si elle occasionne
un partage et des échanges dans l’espace d’exposition, elle engendre aussi un dialogue
ultérieur et prolongé. Ce père de famille narre ainsi comment l’expérience de visite crée du
lien : « On était au musée de l’Homme il n’y a pas longtemps… bon, on a revu à la télé, enfin
on a parlé du musée de l’Homme quand ils ont découvert les empreintes de pas fossiles en
Italie… Il y a une personne du musée de l’Homme qui a parlé, on a reconnu les lieux donc
c’est… c’est bien de pouvoir échanger… de dire ah, tiens, nous on était là-bas ensemble ! »
Le dialogue généré par la visite tient lieu de réaffirmation de l’identité familiale. Il
contribue à maintenir et à réactiver la cohésion du groupe. Au-delà du dialogue, il s’agit
parfois pour les parents de construire des images de la convivialité familiale, des souvenirs de
sorties en famille dont l’enfant se souviendra à l’âge adulte.
Autre bénéfice du contexte familial, la visite de musées offre un terrain de connaissance de
l’autre, d’exploration de son identité. Propulsé dans un environnement inédit et inhabituel,
l’enfant ne se comporte pas comme dans l’univers familial. Le moment de la visite familiale
est ainsi l’occasion pour le parent de découvrir son enfant, ses centres d’intérêts, des facettes
inconnues de son identité. C’est ce qu’envisage cette mère de famille en venant avec son fils
au musée : « C’est pour découvrir avec lui… moi je trouve ça passionnant de regarder un
enfant… je trouve ça passionnant de le voir s’émerveiller… découvrir ou au contraire ne pas
aimer, bon… les goûts ils sont là spontanément, naturellement… donc je trouve ça super ! »
L’observation peut d’ailleurs être mutuelle et les bénéfices s’inscrivent alors dans la relation
familiale, dynamique et continue, traversant la visite.
Enfin, pour certains parents, la pratique muséale ne s’envisage qu’en famille : le contexte
familial est essentiel car les bénéfices et les plaisirs de la visite en sont indissociables. Cette
réponse d’un père rencontré au musée d’Orsay, à la question « Seriez-vous venu sans votre
fils visiter ce musée ? », en témoigne : « Tout seul dans un musée ça fait pas… comment dire,
ça fait pas plaisir de visiter un musée comme ça… Je voulais avoir mon fils avec moi. »
Soit l’expérience des visites avant d’avoir des enfants ne supporte pas la comparaison avec
la modalité familiale de visite (d’où une pratique de visite en famille intensifiée par rapport à
la pratique antérieure des adultes), soit les musées n’ont jamais été considérés autrement que
comme un équipement à pratiquer en famille. Le contexte familial peut avoir une fonction de
6
réassurance pour des adultes peu familiers des musées. Ce rapport aux musées paraît très
distancié de la délectation solitaire longtemps considérée comme le seul mode de visite.
Ces phénomènes montrent ainsi combien la sociabilité familiale peut avoir un effet positif sur
les rapports des adultes à l’institution muséale : elle agit comme une réactualisation du regard
porté sur les musées.
Faire plaisir à l’enfant : épanouissement personnel
et construction identitaire ?
La visite familiale vise aussi à faire plaisir à l’enfant, à satisfaire ses intérêts. Cette
motivation est un peu moins fédératrice que les précédentes, citée par 56 % des groupes
rencontrés. Elle apparaît néanmoins dans près des deux tiers des entretiens qualitatifs. Dans
les deux enquêtes, elle semble tributaire de l’exposition que le groupe s’apprête à visiter : le
plaisir de l’enfant participe plus aux visites de la galerie de Paléontologie (68 % : 35 groupes
sur 40 dans l’enquête qualitative) et du musée de la Marine (55 % : 25 groupes sur 40) qu’à
celles du musée d’Orsay (39 % : 14 groupes sur 32). La visite du musée d’art intègrerait moins
le plaisir de l’enfant que celle du musée de sciences, pour laquelle cet élément est plus
prégnant.
Premier motif de la visite dans seulement 21 % des groupes, le plaisir de l’enfant constitue
rarement l’objectif principal : dans les entretiens, il apparaît subordonné aux autres
motivations, sociales et surtout éducatives. Phénomène isolé mais néanmoins remarquable,
dans 5 entretiens menés à la galerie de Paléontologie et d’Anatomie comparée, les parents
accordent la primauté au plaisir et au contentement de l’enfant. Il s’agit d’un plaisir
assimilable à un divertissement : les parents comparent leur démarche de visite à la sortie au
parc Eurodisney. En témoigne cet extrait d’entretien :
Enquêteur : Qu’est-ce qui vous a donné envie alors de visiter ce musée aujourd’hui ?
Le père : Moi j’en avais entendu parler, je savais qu’on pouvait voir des squelettes de baleines…
et le petit était très intéressé, il avait envie de venir, donc… c’est pour lui, c’est pour lui faire
plaisir.
Enquêteur : C’est pour lui faire plaisir… et vous seriez venu seul ?
Le père : Non, non… c’est pour lui.
Enquêteur : Est-ce qu’il y a d’autres visites de musées que vous pourriez faire en famille
pour cette même raison, pour lui faire plaisir ?
Le père : Euh… à ma connaissance, non… j’en vois pas comme ça.
Enquêteur : Et d’autres activités que vous pourriez comparer, que vous faites en famille
pour lui faire plaisir ?
Le père : Oui… il y a Disneyland, on y était avant-hier… et puis visiter des parcs
zoologiques, oui… avec des animaux…
Comment susciter le plaisir de l’enfant
Faire plaisir à l’enfant ou satisfaire ses intérêts : les parents mêlent souvent ces deux motifs
qui se confondent et s’assimilent parfois dans un même entretien.
Faire plaisir à l’enfant par la visite d’un musée, c’est répondre par cet acte à une de ses
envies, satisfaire un intérêt ou un goût. Cette envie ou cet intérêt se trouve soit exprimé
directement par l’enfant, soit anticipé par les parents. L’envie ou l’intérêt de l’enfant est lié
aux collections ou aux thématiques de l’exposition. La visite de la galerie de Paléontologie et
7
d’Anatomie comparée répond par exemple à une passion de l’enfant pour les fossiles de
dinosaures et les squelettes surtout, pour les animaux, pour la préhistoire quelquefois.
Dans cette démarche, les parents prennent en compte les manifestations, comportements et
goûts personnels de l’enfant. Ils développent attention et écoute pour saisir ce qui lui plaît. La
visite du musée s’inscrit alors comme une réponse à un intérêt ou à une aspiration de l’enfant
décelée par l’adulte, comme l’illustre le discours de cette mère : « Mon fils, par exemple, il est
très avion, il s’intéresse à ce qui est dans le ciel, ce sera l’aviation aussi… donc ce sera le
musée de l’Aviation… » Cette attention se poursuit même à l’intérieur de la visite, quand le
parent explique suivre le rythme et les envies de l’enfant.
L’intérêt de l’enfant précède ainsi la visite. Dans quelques entretiens néanmoins, il s’agit
moins pour les parents d’identifier ses envies que de les devancer, voire de les outrepasser.
Pour la visite du musée d’Orsay, les parents peuvent anticiper la visite et éveiller au préalable
un intérêt pour l’art (par l’achat d’une revue pour enfants par exemple) : ils orientent et créent
une envie de l’enfant en amont. Une certaine ambiguïté entoure alors la motivation de plaisir
de l’enfant, selon que l’envie de l’enfant est réelle ou imaginée par l’adulte.
Les enjeux du plaisir de l’enfant : épanouissement
et construction identitaire
En répondant aux intérêts et aux envies de l’enfant, il s’agit pour le parent de favoriser son
développement personnel. La visite s’inscrit comme l’accomplissement d’une des fonctions
de la famille contemporaine (de Singly,1996) : elle contribue à l’épanouissement individuel et
à la construction identitaire de l’enfant – fonction dévolue à la famille contemporaine avec la
diffusion de la psychologie, le caractère d’une société plus en plus individualiste, et le
développement de l’économie de marché.
Néanmoins, la logique de visite visant l’épanouissement de l’enfant s’accompagne aussi,
sans qu’il soit nécessairement déclaré, d’un objectif de développement intellectuel et culturel.
Il existe finalement peu de visites familiales sans aucune tension pédagogique. Les entretiens
révèlent alors une position ambivalente du parent, lequel souhaite l’épanouissement de son
enfant tout autant que son développement intellectuel : « L’idéal pour les parents soucieux de
tenir les deux bouts de l’éducation moderne est d’avoir un enfant qui apprécie sur ses temps
de loisirs, c’est-à-dire à titre personnel, une activité qui a une résonance culturelle. » (de
Singly, 2003, p.48). Des enjeux de reproduction sociale s’articulent aussi à cette motivation.
Ainsi, faire plaisir aux enfants apparaît comme une motivation fortement liée aux types de
musées, concernant plus les visites de musées scientifiques que celles des musées d’art. Ses
enjeux recouvrent une fonction de la famille contemporaine : contribuer à la production de
l’identité personnelle de l’enfant. Néanmoins, le positionnement de cette motivation s’avère
complexe, voire ambigu : dans le cadre d’une activité culturelle aussi connotée, le
divertissement officiellement recherché pour l’enfant se trouve certes subordonné à son
développement personnel, mais surtout culturel et intellectuel. Quoi qu’il en soit, à travers
cette motivation, l’adulte accomplit son rôle parental.
L’intérêt et le plaisir de l’adulte : abandon, frustration
ou conciliation
L’intérêt personnel de l’adulte correspond à l’attention qu’il développe pour la visite, liée à
ses propres goûts, à sa propre individualité. La satisfaction recherchée en tant que parent ne se
confond pas avec l’intérêt personnel de l’adulte : chacun relève d’une facette identitaire
différente, statutaire d’une part, intime d’autre part.
8
Quantitativement, l’intérêt personnel de l’adulte participe à 32 % des visites en famille et il
apparaît en première position pour 11 % des groupes rencontrés au musée d’Orsay (contre
4 % au musée de la Marine et 1 % à la galerie de Paléontologie). En écho avec ces résultats,
les entretiens qualitatifs montrent combien l’intérêt personnel de l’adulte participe – ou du
moins est déclaré comme tel – de manière secondaire ou accessoire à la visite. Sa relégation
au second, voire au dernier rang, est révélatrice du positionnement identitaire de l’adulte : il se
présente avant tout comme parent, sa dimension statutaire l’emportant sur sa dimension
intime et individuelle. S’il manifeste une curiosité personnelle pour l’exposition, il ne
s’autorise pas à ce qu’elle domine ou même à ce qu’elle égale les motivations « familiales »,
sociales ou éducatives6.
Intérêt personnel de l’adulte et de l’enfant : convergences et tensions
Dans 21 entretiens, l’intérêt personnel de l’adulte converge avec celui de l’enfant. Quand
l’adulte et l’enfant manifestent tous deux une simple curiosité, la visite semble s’appréhender
sans tensions. C’est par l’expérience et la comparaison que ces groupes familiaux identifient
des visites où l’intérêt de chacun des membres se trouve comblé. Le rapprochement avec des
visites plus problématiques – satisfaisant de manière inégale chaque membre – permet de
faire émerger ce phénomène de conciliation des intérêts et désirs de chacun. Ainsi, ce couple
père-fils rencontré au musée de la Marine qui se remémore la visite du musée César, moment
de plaisir pour chacun, ou cet autre père qui évoque les visites de la Cité des sciences et de
l’industrie, lesquelles comblent les adultes comme les enfants.
Dans 4 groupes, les intérêts personnels de chacun des membres convergent, mais, au-delà
d’une simple coexistence, ils génèrent une forme de communion entre les individus, une forte
intimité autour des œuvres. Ce phénomène de communion n’apparaît qu’au musée d’Orsay :
les œuvres d’art, leur dimension sacrée, engendreraient plus ce phénomène que les autres
collections. Dans ces groupes, l’intérêt des membres, en particulier des adultes, est très fort, il
ne se limite pas à une simple curiosité, s’assimile plutôt à une passion pour le domaine, les
œuvres, etc. – le registre du partage et de l’émotion est très développé. Les paroles de cette
mère rencontrée au musée d’Orsay avec son fils en témoignent : « C’est pour être tous les
deux… et puis on a les mêmes passions donc c’est merveilleux, enfin pour moi c’est
merveilleux, parce que je découvre des choses que je n’ai jamais vues encore… et j’ai la
chance que mon bout de chou ait les mêmes goûts que moi, donc ça va ! » La visite cristallise
un moment de transmission intime : l’adulte et l’enfant cherchent à partager un plaisir
commun, ou bien l’adulte souhaite communiquer à son enfant une émotion. La configuration
fractionnée de ces groupes, composés d’un parent et d’un enfant, semble participer à cette
transmission intime.
Certains parents manifestent un intérêt personnel pour l’exposition, mais la visite en
famille ne permet pas de le satisfaire7. Pour eux, la modalité familiale rend inconciliable désir
personnel et statut parental. Cette situation apparaît dans 6 entretiens, générant des tensions,
l’adulte se pliant au rythme de l’enfant sans parvenir à satisfaire sa propre curiosité. On peut
citer ce père de famille, rencontré avec son fils à la galerie de Paléontologie et laissant
échapper, à la question « Seriez-vous venu visiter seul ce musée, sans votre enfant ? » : « À
chaque fois que j’y suis j’ai envie d’être tout seul parce que je me dis là je passerais bien une
6
La pression sociale pesant sur la famille et son rôle éducatif, la volonté de se présenter – dans la situation
d’enquête notamment – comme de « bons parents », sont certainement à l’origine de ce phénomène : à titre
parental, les motivations sociales, éducatives ou du plaisir de l’enfant sont plus valorisantes.
7
Rarement exprimé directement, la question « Seriez-vous venu visiter ce musée sans vos enfants ? » est souvent
un moyen d’aborder l’intérêt personnel de l’adulte. Dans 54 entretiens sur 112, les adultes répondent par
l’affirmative et dans 68 entretiens négativement.
9
demi-heure de plus à regarder ça ou ça, mais… les choses sont ce qu’elles sont. » La visite en
famille engendre ainsi une certaine frustration de l’adulte, à moins qu’un processus de
compensation ne soit mis en place pour pallier cette difficulté. Un moyen d’y remédier
consiste par exemple à réaliser, en parallèle à la visite familiale, des visites du même musée
en solitaire ou sous d’autres modalités d’accompagnement. Ainsi, écarter leur désir personnel
durant la visite en famille n’est pas frustrant étant donné qu’une pratique ultérieure, pour euxmêmes, est possible.
Être présent comme parent
Dans 68 entretiens, les parents ne manifestent pas de réel intérêt personnel pour la visite ou
le musée. Une partie d’entre eux déclare ne pas s’intéresser à ce type d’expositions ou de
collections8. Dans ces groupes, la visite est totalement consacrée à l’enfant. Son plaisir, son
éducation ou encore des motivations sociales justifient une visite explicitement tournée vers lui.
L’adulte se positionne alors uniquement comme parent. La visite peut devenir un moment assez
contraignant, en témoigne cet échange avec cette mère rencontrée au musée de la Marine :
La mère : Ah, je ne serais pas venue seule, c’est pas le genre de choses que je viendrais
voir sans lui, je vais plutôt visiter des expos de peintures et des choses comme ça… donc là
je viens pour l’accompagner…
Enquêteur : D’accord… Vous venez pour lui… ?
La mère : Oui, enfin ça fait aussi partie des choses à faire, c’est l’idée… c’est de faire
quelque chose de culturel, oui de culturel, c’est important…
Enquêteur : Vous dites que ça fait partie des choses à faire ?
La mère : Oui il y a un côté devoir, quand même, quand on va en famille… bon, il y a un
côté loisir, mais il y a aussi un côté devoir… alors que quand je vais seule voir une expo,
par exemple, il n’y a pas ce côté devoir…
Certains adultes gèrent plus facilement cette position : ils compensent par d’autres
pratiques menées à titre personnel. Durant le temps de la visite, l’abandon de leur dimension
intime au profit d’une implication uniquement parentale ne leur pèse pas puisque
parallèlement ils réalisent des visites d’autres musées, qui leur plaisent, cette fois sans leurs
enfants. Cette compensation leur permet de gérer plus sereinement leur rôle lors de la visite en
famille. Ils développent ainsi des pratiques différenciées correspondant à des modalités
d’accompagnement distinctes et à une satisfaction identitaire différente.
Ainsi, l’intérêt personnel de l’adulte participe de manière plus inégale à la visite familiale
que les autres motivations – éducatives, sociales ou destinées à faire plaisir à l’enfant – décrites
précédemment. Les différents phénomènes décelés révèlent la conciliation et la gestion
difficiles du statut parental de l’adulte et de son identité intime. La dimension statutaire,
parentale, apparaît souvent pesante, et quelquefois frustrante, que l’adulte s’intéresse
personnellement à l’exposition ou qu’à l’inverse il y porte peu d’intérêt, à moins que des
processus de compensation ne soient mis en œuvre. La visite en famille cristallise ainsi une
problématique identitaire, liée directement aux fonctions familiales et à l’autonomie des individus.
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Précédemment, nous avons vu combien la reconnaissance de l’importance de l’intérêt personnel de l’adulte
dans les motifs de visite pouvait être délicate en raison des fonctions parentales à assumer dans le contexte
familial. Une autre difficulté semble embarrasser certains adultes pour exprimer leur peu d’intérêt personnel : il
peut leur être malaisé de reconnaître devant leurs enfants qu’à titre personnel ils portent peu d’intérêt à ce
musée alors que, en tant que parents, ils les incitent à la visite.
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En conclusion
Les motivations décelées révèlent la complexité de la visite en famille. Conjuguant enjeu
scolaire, transmission culturelle et construction identitaire, les finalités de la visite l’inscrivent
au cœur des fonctions de la famille contemporaine – visant reproduction sociale et
épanouissement personnel de l’enfant.
Mais la quête et l’intégration de l’intérêt ou du plaisir d’un ou plusieurs membres du groupe
familial – la satisfaction personnelle de tous étant difficile, voire illusoire – font aussi apparaître
la visite comme un acte identitaire. En effet, selon les motivations déclarées, la visite
correspond à différentes dimensions identitaires des individus concernés, chacun s’affirmant
et/ou étant considéré dans sa dimension intime, personnelle, ou dans sa dimension statutaire
(parentale ou filiale). Lahire (2004) a montré combien les pratiques culturelles revêtent une
fonction de distinction de soi. Dans la pratique familiale, cette fonction se trouve enrichie et
complexifiée par la présence de l’autre et par l’identité du groupe. L’acte de visite peut être à la
fois reconnaissance de l’autre (d’une de ses dimensions identitaires) et affirmation de soi,
positionnement affiché et déclaré (ce n’est pas le cas dans la visite solitaire) car réfléchi par
l’autre, transmis à l’autre. Il peut aussi s’inscrire comme transmission ou actualisation d’une
identité familiale. Le jeu entre ces différents registres identitaires engendre, suivant la gestion
qui en est faite, des phénomènes de tension, de frustration et de conciliation dans la visite.
La problématique identitaire de la visite en famille, révélée par l’analyse des motivations,
ouvre des pistes de recherches sur les effets du contexte familial sur les pratiques muséales.
Sans développer l’ensemble de ces effets, il est notamment apparu que le contexte familial
autorisait un accès au musée à des adultes peu familiers, qui s’y rendaient grâce à leur identité
parentale. Les motivations visant les bénéfices personnels et éducatifs de l’enfant attachent la
visite au futur, à un avenir proche ou lointain : l’investissement de cette temporalité
faciliterait l’accès aux musées des adultes, contribuant à les affranchir d’une certaine timidité
sociale, à surmonter les obstacles culturels. La parentalité ouvre ainsi de nouvelles
potentialités dans les rapports aux musées et dans les horizons de visites, engendre une
réactualisation du regard sur l’institution.
Enfin, les motivations de la visite en famille éclairent les rapports spécifiques entretenus à ce
moment par les adultes avec l’institution muséale. Elles montrent combien les rapports aux
musées sont en construction tout au long de la vie de l’individu. Ils peuvent se trouver
bouleversés, réaménagés, par des rencontres ou transformations sociales comme la parentalité,
faisant écho aux travaux d’Eidelman (2002) sur la notion de « carrière » de visiteur. En termes
d’accessibilité à la culture, ces données qualitatives dessinent un tableau positif et positionnent
le contexte familial comme un moment crucial d’évolution potentielle des rapports aux musées.
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BIBLIOGRAPHIE
BENHAMOU (F.), L’Économie de la culture, Paris, La Découverte, 2000.
BOURDIEU (P. ), DARBEL (A.), L’Amour de l’art, les musées d’art européens et leur public,
Paris, Éditions de Minuit, deuxième édition revue et augmentée, 1969.
EIDELMAN (J.), CORDIER (J.-P.), LETRAIT (M.) et al., L’Espace muséal et ses publics :
catégories administratives, catégories de la recherche et catégories « spontanées » des
visiteurs, Rapport de recherche en réponse à l’appel d’offres du Département évaluation et
prospective, Centre de recherche sur les liens sociaux, CNRS, 2002, 191 p.
LAHIRE (B.), La Culture des individus – Dissonances culturelles et distinction de soi, Paris,
Éditions La Découverte, 2004.
MIRONER (L.), Cent musées à la rencontre du public, Cabestany, France Édition, 2001.
SINGLY (F. de), Sociologie de la famille contemporaine, Paris, Nathan, 1993.
SINGLY (F. de), « La famille individualiste face aux pratiques culturelles », in Le(s) public(s)
de la culture, sous la direction de O. Donnat et P. Tolila, Paris, Presses de Science Po, 2003,
pp. 43-59.
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QUEL ROLE JOUE L’OEUVRE D’ART DANS LE
DEVELOPPEMENT DE L’ENFANT ?
Entrer dans les images et les transformer
Serge Tisseron
Psychiatre et psychanalyste,
Directeur de recherche à l’université Paris-X.
Entrer dans les images et les transformer
Serge Tisseron
Psychiatre et psychanalyste
Directeur de recherche à l’université Paris-X
Pour commencer, je tiens à préciser que je ne travaille pas sur les images, mais sur les
relations que nous entretenons avec elles. Vous pouvez penser que c’est plus ambitieux, ou au
contraire plus modeste. C’est à vous de juger. En tout cas, ce n’est pas du tout la même chose.
C’est ce que je vais essayer de vous montrer.
Ce matin, on a abordé beaucoup de questions et j’ai parfois un peu eu l’impression que les
trois pôles entre lesquels nous travaillons – à savoir les enfants, les œuvres d’art et les
parents – sont aussi difficiles à mélanger que l’eau, l’huile et le mercure ! On a assisté, il me
semble, à plusieurs tentatives de simplifier le problème en excluant l’un des trois pôles, si ce
n’est deux. François de Singly a ainsi proposé de laisser les parents à la porte du musée et
madame Meyerson nous a montré des enfants, des parents et des dispositifs éducatifs, mais
très peu d’œuvres. Elle nous a donné l’impression qu’on pourrait à la limite concevoir un
musée éducatif sans œuvres d’art réelles.
Notre cerveau, première machine à produire des images
Pour éclaircir ce débat, je vous propose de revenir à la façon dont l’enfant découvre les
images. Pour le comprendre, il faut avoir à l’esprit que si les images nous intéressent autant,
c’est parce que nous sommes chacun un dispositif d’images, et même le premier dispositif
d’images avec lequel nous sommes chacun entrés en relation. Notre cerveau est une machine
à produire des images le jour, et surtout la nuit à travers notre vie onirique. C’est la raison
pour laquelle l’être humain a toujours été passionné par les images : il n’a de cesse de vouloir
en regarder, mais aussi en fabriquer, qu’il s’agisse de peinture, de photographie ou,
aujourd’hui, de création numérique.
Mais, justement, parce que les images nous habitent bien avant que nous ne leur donnions
une forme matérielle concrète, notre relation à elles est ambivalente.
J’en viens au titre que j’ai donné à cette communication : « Entrer dans les images et les
transformer. »
Entrer dans les images, tout d’abord. Cette préoccupation est bien compréhensible. Nos
images psychiques sont à l’intérieur de nous, mais nous y entrons et y naviguons en pensée.
Aussitôt que l’être humain crée des images matérielles, qu’il considère plus ou moins à juste
titre comme des reflets de ce qui l’habite, il a aussi le désir d’y entrer. Quand nous regardons
une image, il nous semble bien sûr que nous sommes devant, et c’est vrai du point de vue de
la position de notre corps devant elle. Mais c’est faux du point de vue du désir qui nous
anime. Quand nous sommes « devant » une image, nous nous imaginons en réalité toujours
être « dedans » ! J’irai même plus loin : nous disons que nous sommes « devant » pour nous
masquer l’illusion que nous désirons y entrer, parce que ce désir n’est pas très rassurant !
C’est très important de garder cela présent à l’esprit, parce que nous pouvons alors envisager
autrement tous les dispositifs imaginés pour inviter les enfants à entrer dans les images, par
exemple en y introduisant leur ombre, une représentation de leur squelette, ou même un clone
virtuel d’eux-mêmes. Ces dispositifs ne sont pas seulement attrayants pour les enfants. Ils
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nous séduisent tous parce que nous avons tous le désir d’être dans les images. Et c’est
pourquoi les travaux qui imaginent comment « faire entrer » les enfants dans les œuvres nous
permettront certainement, un jour, de repenser aussi les expositions pour les adultes.
Le désir d’entrer dans les images est donc essentiel à notre relation à elles. Mais nous en
avons un autre, celui de les transformer. Là aussi, ce désir est liée à la relation qui nous unit à
nos « images du dedans ». N’oublions pas que les images de nos rêves nous mènent bien plus
que nous ne les menons. Nous nous sentons leur théâtre bien plus que leur metteur en scène.
Et c’est ce que nous voulons éviter avec les images que nous créons ! Nous entendons en
rester le maître. Nous acceptons bien sûr qu’elles nous transforment, mais à condition que
cela soit selon nos propres objectifs. Car nous tenons d’abord à les garder en notre pouvoir,
c’est-à-dire à pouvoir toujours les transformer à notre gré.
Résumons-nous. Pour avoir du plaisir avec les images, il faut accepter d’y entrer, mais,
aussitôt que nous y entrons, nous craignons de ne plus pouvoir en sortir. Alors nous cherchons
à rétablir notre pouvoir sur elles, et la meilleure manière d’y parvenir est de les transformer.
Vous voyez pourquoi entrer dans les images et les transformer sont les deux désirs
essentiels qui nous habitent dans nos relations aux images : nous voulons y entrer comme
dans nos « images du dedans », mais aussi les transformer pour nous assurer d’en rester
toujours le maître.
Revenons maintenant aux enfants. Ces deux désirs vont trouver des manifestations
différentes tout au long de leur évolution. Et ces différentes manifestations vont laisser
chacune leur empreinte sur notre relation « adulte » aux images. Je vais donc maintenant
décrire les moments successifs par lesquels passe un enfant par rapport aux images. Et vous
verrez comment ces moments continuent à nous habiter tous dans nos relations à elles.
Quatre phases successives
L’enfant passe par quatre phases successives. La première est celle dans laquelle il apprend
à distinguer les images du dedans des images du dehors. Elle se déroule aux alentours des
premiers mois de la vie et joue un rôle capital dans la relation que nous entretenons chacun
avec les images. Son franchissement ouvre en effet chez chacun d’entre nous une indicible
nostalgie de ce qui l’a précédé. C’est d’ailleurs à mon avis pourquoi l’image a pu être dite par
certains auteurs « nostalgique ». C’est en réalité la nostalgie de ce qui l’a précédée et qu’elle
ravive.
La deuxième phase consiste dans la joie immense que l’enfant éprouve à laisser ses
premières traces. Ce sont celles que les adultes appellent un peu rapidement des gribouillages.
La troisième phase advient lorsque l’enfant découvre la possibilité que ce qu’il gribouille
puisse signifier quelque chose pour l’adulte.
Enfin, la quatrième phase importante survient beaucoup plus tardivement, aux alentours de
cinq six ans. C’est lorsque l’enfant découvre que les images peuvent être intégrées dans des
récits.
La nostalgie de l’hallucination
Commençons par la première de ces phases. C’est celle où l’enfant âgé de quelques mois
découvre qu’il existe une différence entre l’image qu’il peut se faire de quelque chose en son
absence – en général c’est de sa mère dont il s’agit – et l’image qu’il peut se faire d’elle
lorsqu’elle lui fait face. L’une est sous la dépendance de l’imagination nourrie par le souvenir,
tandis que l’autre dépend de la réalité, et ce sont ses sens qui l’en informent. Auparavant,
l’enfant était dans la confusion à ce sujet parce qu’il avait la possibilité de vivre des états
2
hallucinatoires. Cela veut dire qu’un tout petit bébé a la possibilité de se consoler des
frustrations qu’il vit en se plaçant lui-même dans l’état qui serait le sien s’il avait reçu la
gratification qu’il attendait. Prenons un exemple très banal : un petit bébé a faim, il crie, il
pleure, il gesticule, il montre qu’il a faim. Il n’y a personne qui arrive pour le nourrir. Que se
passe-t-il ? Des recherches ont montré que le petit bébé adopte tout d’un coup, les gestes, les
attitudes, les mimiques et les postures d’un enfant rassasié. Comment expliquer cela ? En fait,
l’enfant s’est plongé dans un état hallucinatoire dans lequel il vit sensoriellement,
corporellement et visuellement exactement les mêmes choses que ce qu’il vivrait s’il avait été
nourri en réalité. Évidemment, cela ne dure pas très longtemps. La frustration est forte, et très
vite, à nouveau, il crie, il gesticule, il appelle. Naturellement, il y a en général quelqu’un qui
vient pour le nourrir. Mais le bébé tout petit a cette capacité-là. Ensuite, il l’abandonne, sauf si
les frustrations sont trop grandes, auquel cas il peut s’y installer et cela donne diverses formes
de pathologies mentales. Mais, en général, il dépasse cette phase et il fait une découverte à la
fois merveilleuse et terriblement frustrante : il apprend à faire la différence entre l’image
formée par ses sens et l’image qu’il se fabrique en imagination quand quelque chose n’est pas
là. C’est une découverte formidable, parce qu’il s’aperçoit qu’il a ce qu’on appelle en
psychanalyse une « réalité interne ». Mais c’est une découverte terriblement frustrante parce
qu’il perd la possibilité de se consoler avec des hallucinations.
Revenons maintenant à cette hallucination visuelle pour comprendre ce qu’elle est, car
cette période va laisser une empreinte très importante dans notre fonctionnement psychique.
L’hallucination est une image, mais pas seulement visuelle. C’est un ensemble formé par du
visuel, du sensoriel, de l’émotionnel, du kinesthésique, et c’est quelque chose dans lequel on
se trouve. Comment nous représenter l’hallucination ? Pour y parvenir, on n’a eu pendant très
longtemps qu’un seul modèle, celui du rêve : si, pendant la nuit, je rêve que je suis en voiture,
je peux m’imaginer totalement dans ma voiture, et pourtant c’est moi qui produis l’image de
moi dans ma voiture. Je suis le siège du rêve dans lequel je me vois. C’est comme des
poupées gigognes emboîtées. Mais, depuis quelques années, nous avons un autre modèle pour
nous représenter l’hallucination : c’est celui des espaces virtuels. Les espaces virtuels comme
ceux qu’on trouve au Futuroscope ne sont pas seulement visuels. Ils intègrent aussi des
éléments sonores, kinesthésiques, et moteurs, avec des espaces en mouvement.
Je pense que vous comprenez mieux maintenant l’importance de la première phase
hallucinatoire par laquelle passe le tout petit bébé. C’est à cause d’elle que nous ne nous
satisfaisons pas d’être « devant les images », et que nous voulons y entrer, comme dans un
rêve ou une hallucination, et non seulement y entrer, mais y évoluer et y ressentir ce que nous
ressentirions si nous étions dans un paysage réel équivalent. Nous voulons non seulement voir
une étoffe rugueuse, mais la sentir sous nos doigts, en imagination. Et face à un tableau
représentant un champ écrasé par le soleil, nous ne pouvons pas nous empêcher de ressentir la
chaleur.
La possibilité d’entrer dans une image n’est donc pas seulement la possibilité d’entrer dans
du visuel. C’est celle de plonger dans un environnement multisensoriel. Nous avons dû
chacun faire le deuil de l’hallucination primitive, sinon nous n’aurions pas pu nous socialiser
et vous ne seriez pas ici à m’écouter et moi à vous parler. Mais en revanche, ce deuil laisse
une indicible nostalgie, celle de pouvoir entrer dans nos rêves et nos désirs comme dans la
réalité. C’est pourquoi l’être humain fabrique des images. Pour avoir la jouissance d’y entrer
et d’y évoluer comme si c’étaient des hallucinations. En même temps, nous savons bien que
ça n’en est pas, c’est-à-dire que nous avons la possibilité d’en sortir à tout moment et de nous
placer devant. De telle façon que, avec les images, nous sommes toujours alternativement
dedans et devant, puis dedans à nouveau, dans une oscillation sans fin.
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C’est valable pour nos relations à toutes les formes d’images. Prenez la publicité, par
exemple. Les publicistes se posent énormément de questions pour savoir comment ménager
des portes d’entrée dans les publicités, parce que si les gens n’ont pas une porte d’entrée ils
restent totalement à l’extérieur de la publicité, et elle n’a pas d’influence sur eux. L’idée,
qu’on avait il y a une cinquantaine d’années, qu’il suffirait de montrer une publicité pour que
les gens soient influencés par elle, ne marche pas, on le sait maintenant. Il faut qu’il y ait une
porte d’entrée.
Pour en finir avec les conséquences sur nous de cette première phase, disons encore
quelques mots sur les différents aspects de notre désir d’être « dans » les images. Il a en effet
plusieurs aspects. Je ne les développe pas, je vous les cite simplement : c’est le désir d’entrer
dans les images comme dans des territoires réels ; c’est celui de pouvoir toucher les objets que
ces images contiennent et les utiliser, les manipuler comme des objets réels ; et c’est enfin le
désir d’être dans ces images avec d’autres. Ce dernier aspect est très important, et c’est à juste
titre qu’il a été beaucoup évoqué ce matin.
En effet, la famille partage aujourd’hui très peu de choses, sauf peut-être des images. Vous
savez que, longtemps, les familles ont partagé la promenade dominicale en voiture. Ça a été
mon cas ! Depuis ce matin, chacun raconte un petit souvenir, pourquoi pas celui-là ? Quand
j’étais enfant, donc, toute la famille partait en voiture le dimanche. On faisait un petit tour,
souvent le même d’ailleurs, parce qu’il n’y avait que deux ou trois possibilités. Mais on savait
qu’on était une vraie famille parce que tous les dimanches on se retrouvait ensemble dans la
même voiture à faire la même promenade. Vous savez, comme moi, qu’aujourd’hui c’est le
cinéma qui joue ce rôle-là, et certaines émissions de télévision. Ce n’est pas parce qu’il y a
beaucoup de postes dans les chambres d’enfants qu’il n’y a plus de spectacle regardé en
famille. Mais c’est programmé à l’avance. On décide de se retrouver tel jour à telle heure tous
devant le même poste. Mais il y a aujourd’hui un autre rituel d’images. C’est la visite du
musée, avec l’idée que l’on va voir ensemble les mêmes choses. Bien sûr, quand on discute à
la sortie, c’est comme après être allé à plusieurs au cinéma. On s’aperçoit que chacun a vu
« son » exposition, parce que chacun n’a vu que ce qui l’intéressait, avec ses repères propres
et son histoire propre. Donc personne n’a vu la même exposition, de la même façon que
personne n’a vu le même film, mais l’illusion d’avoir vu la même chose est fondamentale. Et
vous voyez que cette illusion remonte aux premiers mois de la vie, lorsque nous pouvions
croire qu’une image était un espace de partage. Donc ces pouvoirs de l’image, que j’appelle
pouvoirs d’enveloppement, ont plusieurs aspects, et on pourrait, si on avait plus de temps,
développer chacun d’entre eux par rapport à leurs spécificités, face à la télévision, au cinéma
ou à l’œuvre d’art.
Le bonheur des traces
Venons-en maintenant à la seconde expérience fondatrice par rapport aux images. Je vais
être beaucoup plus rapide parce qu’à mon avis elle a été évoquée indirectement par ce qui a
été dit ce matin. C’est la découverte que fait l’enfant du bonheur de laisser des traces. Le tout
petit enfant, dès qu’il vient au monde, laisse des traces, ne serait-ce que dans sa couche. Dès
qu’il bouge la main, dès qu’il rencontre de la bouillie, de la terre, évidemment ça laisse des
traces, et dès qu’il marche dans le sable aussi, il laisse des traces. Mais ces traces-là ne
l’intéressent pas. Ce qui est au contraire important aux alentours d’un an et deux trois mois,
c’est qu’il va regarder ses traces et qu’il va en jubiler. Il y a quelque chose d’une jubilation
phénoménale chez un petit enfant quand il découvre que ses traces restent après son geste.
C’est le moment où il va se mettre à patouiller, à mettre ses mains ou ses pieds dans un peu
tout ce qui se présente, et regarder ensuite les traces qu’il a laissées. Plus il en laisse, et plus il
est content, ce qui donne parfois à ses parents un certain désespoir… Dans ce premier temps,
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l’enfant ne contrôle rien. C’est seulement après que la possibilité du contrôle advient.
D’abord, il accède à la possibilité de contrôler visuellement son geste. Puis, dans un second
temps, il contrôle visuellement son tracé : ça veut dire que si vous lui donnez un feutre, il ne
va pas se contenter de gribouiller, il va s’appliquer. Mais s’il n’y avait pas au départ le
bonheur de laisser des traces, et le bonheur de les découvrir, on n’aurait pas l’Action Painting
et peut-être pas d’artistes peintres du tout.
La rencontre figurative
La troisième expérience fondatrice consiste dans la rencontre avec le figuratif. L’enfant fait
un gribouillage qui ne représente pas un objet, mais plutôt un mouvement – ou une intention.
Mais un adulte, en général son père ou sa mère, lui dit : « C’est formidable, tu as dessiné le
soleil », ou « Tu as dessiné papa [ou maman, ou le chien] ». L’enfant est tout ébahi de
découvrir que son dessin peut représenter quelque chose et il s’engage alors dans la
production de traces figuratives.
Là aussi, c’est une expérience formidablement exaltante et structurante : l’enfant découvre
que ce qu’il trace peut représenter quelque chose du monde. Mais, là aussi, cette expérience
fondatrice n’est pas seulement exaltante. Elle a aussi un aspect terrible : dès que l’enfant
découvre que ce qu’il trace peut représenter quelque chose, il va s’appliquer à toujours faire
en sorte que ce qu’il dessine représente quelque chose. Il entre dans ce qu’on appelle le
figuratif, et après, comme vous le savez, on a beaucoup de difficulté à l’en faire sortir. C’est
pour cette raison que les enfants, avant l’âge de quatre ou cinq ans, sont beaucoup plus
sensibles à l’art abstrait que peuvent l’être les pré-ados, les ados, ou même les adultes. C’est
parce qu’ils sont encore dans cette période très proche de la petite enfance où le figuratif,
c’était un luxe. C’était quelque chose qui intéressait éventuellement les adultes, mais qu’ils ne
maîtrisaient pas suffisamment pour en faire leur miel. Dès qu’ils arrivent à peu près à
maîtriser le figuratif, c’est-à-dire vers quatre cinq ans, ils s’y engagent souvent pour la vie, et
demandent sans cesse, devant un tableau : « Qu’est-ce que ça représente ? » Vous connaissez
là aussi, je n’insisterai pas, tous les conseils qu’ont donnés des artistes pour dégager leur main
de leur œil et faire en sorte qu’elle retrouve sa liberté. Parce que l’œil nous permet de voir,
mais nous empêche souvent de faire autre chose que ce que nous avons déjà vu.
La découverte narrative
Enfin, la quatrième expérience fondatrice de l’enfant est celle où il découvre que des
images peuvent être intégrées dans une succession. Vous savez, on emmène beaucoup les
enfants jeunes au cinéma, voir parfois des long métrages d’une heure et demie, une heure trois
quarts. Mais il faut savoir que quand un enfant de moins de six ans voit un long métrage, il est
dans la situation d’un adulte au cirque ou au music-hall. Il voit une succession de numéros, et
même éventuellement une succession de morceaux de numéros. Il n’arrive pas à construire
une chronologie sur plus de quelques minutes. Le spectacle peut lui plaire, mais il n’a pas la
notion d’une œuvre qui se déroule dans la durée. C’est à partir de six ans qu’il acquiert la
capacité de comprendre la succession.
C’est d’ailleurs l’âge de la passion pour les récits en images, notamment la bande dessinée.
Et c’est donc à partir de cet âge qu’il est intéressant d’intégrer cette notion en pédagogie,
notamment en insistant sur la chronologie des œuvres. Mais s’il n’y avait pas ce plaisir pris à
la succession et à l’enchaînement des images, il n’y aurait pas de formation possible dans ce
domaine !
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Quels musées pour les enfants ?
J’en viens à présent à l’aspect pratique : à quoi peut servir ce que je viens d’énoncer ? Cela
peut servir à des choses que l’on a déjà évoquées ce matin et peut-être à des choses qu’on n’a
pas encore évoquées.
1. Par rapport aux choses que l’on a déjà évoquées : bien sûr, le fait que les œuvres doivent
être présentées de manière à ce qu’elles répondent à l’univers sensoriel de l’enfant. On aurait
pu aussi parler des mallettes pédagogiques que Manon Potvin connaît bien. Elles permettent
un travail sur les sensorialités, notamment le toucher et l’audition, en rapport avec une image.
Dans tous ces dispositifs, c’est le corps réel, physique et sensible qui est réintroduit dans
l’appréhension de l’image.
2. Une deuxième chose également importante a été moins évoquée. Il ne s’agit plus du
corps réel physique, mais du corps imaginé et rêvé. C’est important aussi que l’enfant puisse
rêver son corps, rêver qu’il s’intègre dans l’espace d’une œuvre. Cela peut se faire en jouant
sur son ombre, ou bien avec une silhouette découpée et collée, ou encore par une image prise
de lui par une caméra numérique et projetée dans l’œuvre, ou même par une image de
synthèse. C’est jubilatoire pour un enfant de voir son corps dans une œuvre. Et ce n’est pas
jubilatoire seulement pour l’enfant, puisqu’il y a de grands réalisateurs de cinéma comme
Kurosawa qui ont joué à faire entrer des personnages réels dans des grandes œuvres de
l’histoire de la peinture. Le désir d’entrer dans les images existe à tout âge, et il est très
important de le rendre légitime chez l’enfant. Or, pour cela, le mieux est de donner à ce désir
un support matériel. On lui montre ainsi que ce désir n’est pas absurde, qu’il n’est pas
déplacé. En lui donnant un début de réalisation pendant la durée de l’exposition, on lui permet
d’y rêver plus facilement en dehors de celle-ci, et notamment lorsqu’il sera confronté à des
œuvres sans la médiation d’aucun dispositif pédagogique.
3. Il y a un troisième point important qui a été à mon avis insuffisamment évoqué. C’est la
nécessité de privilégier des œuvres qui soient prises du point de vue de la hauteur visuelle de
l’enfant. Je vais vous raconter un petit souvenir. J’ai beaucoup aimé les bandes dessinées de
Tintin, étant petit, et j’ai été éclairé sur ce plaisir le jour où j’ai compris comment Hergé
travaillait. Hergé ne voyageait pas. Il travaillait uniquement d’après des photographies faites
par des photographes professionnels des années 1920-1930, des gens qui travaillaient à la
chambre. Or, quand vous travaillez à la chambre, l’objectif se trouve à peu près à un mètre
trente du sol. Hergé, sans le savoir, reproduisait donc des photographies prises à la hauteur
d’un regard d’enfant !
Aujourd’hui, les photographies sont rarement prises à la chambre. Elles le sont plutôt avec
des appareils à visée oculaire, c’est-à-dire avec un point de vue situé à un mètre soixante-dix
du sol. Et, du coup, il est très difficile à un enfant d’y entrer ! Mais quand un photographe
privilégie la visée ventrale, les enfants sont beaucoup plus à leur aise. Vous voyez où je veux
en venir. Très souvent, les tableaux sont peints à hauteur d’adulte. Je crois qu’il faut imaginer
des dispositifs, peut-être virtuels, pour prolonger les tableaux vers le bas, ou les faire
légèrement pivoter. Si ces choses sont encore un peu compliquées sur le plan de la technique,
elles vont beaucoup se simplifier avec le numérique. C’est important de faire cela pour faire
comprendre à l’enfant que s’il ne rentre pas dans un tableau, ce n’est pas forcément parce que
ce qui est montré le déroute, ou que la technique le rebute. Ça peut tout simplement être parce
que le point de vue de l’auteur n’est pas le sien. Du coup, souvent, un enfant ne peut entrer
dans un tableau même très simple que comme dans une chose étrange qui ne lui rappelle rien
de son expérience. Mais quand on peut reconstituer le point de vue de l’enfant par rapport à
un tableau par des « bricolages » numériques, on fait d’une pierre deux coups. On montre à
6
l’enfant pourquoi il a tellement de peine à entrer dans le tableau, et on lui permet aussi d’y
entrer en adoptant un autre point de vue. Pour lui permettre de comprendre cela, on peut, par
exemple, lui permettre de regarder une chose en étant sur un tabouret haut, et puis ensuite la
lui laisser regarder à son point de vue normal, et voir quelle est la différence. Enfin, à chaque
âge correspond son intérêt. Et à partir de cinq ou six ans, c’est très important de faire une
grande place à la succession et à la chronologie.
4. Un quatrième point concerne le rôle de la famille. À mon avis, il est très important
d’associer la famille à la visite d’une exposition, mais de ménager aussi des moments où
l’enfant est seul. Associer la famille, la raison en est évidente. Il y a beaucoup d’enfants qui
n’iront jamais au musée si la famille ne les y emmène pas et beaucoup de familles qui
renâcleront à emmener un enfant sans faire de ce moment un partage d’images. Je le dis
d’autant plus volontiers que c’est le titre de notre rencontre. Pour beaucoup de familles, aller
au musée, c’est avoir la possibilité de partager quelque chose avec leur enfant, donc il ne faut
pas les en priver en leur disant : « Vous emmenez votre enfant, puis vous l’attendez dans une
pièce spéciale », Jadis, ça aurait été un fumoir, maintenant ce serait plutôt la librairie du
musée, mais c’est pareil. Il faut que l’exposition soit conçue pour la famille. Mais en même
temps, il faut que dans cette exposition conçue pour la famille, il y ait un ou plusieurs
« espace(s) enfants ». Des espaces où les adultes n’ont pas le droit d’aller, et pour cela, il
suffit d’en faire la porte toute petite. Pourquoi les adultes ne doivent-ils pas avoir le droit d’y
aller ? Parce qu’on va pouvoir montrer là, à l’enfant, des choses en ne se souciant que de lui,
sans être préoccupé du commentaire éventuel de ses parents. L’enfant sera, comme quand il
pianote sur ses jeux vidéo, confronté seul à des questions. En revanche, quand il sortira de cet
espace, il retrouvera sa famille avec laquelle il va évidemment être incité à échanger puisque
les parents vont lui dire : « Alors qu’est-ce que tu as vu, raconte-nous ? » Il y a bien sûr ceux
qui vont être heureux de raconter à leurs parents ce qu’ils ont vu. Il y a aussi ceux qui vont
refuser de répondre parce qu’ils pensent que cet espace est seulement pour les enfants, et que
les idées qu’ils ont eues les concernent eux seuls. C’est tout à fait légitime. Il faut que les
enfants aient ce droit-là. Et puis il y a encore une troisième catégorie d’enfants. Ce sont ceux
qui vont raconter des salades, dire qu’ils ont vu des choses qu’ils n’ont pas vues et ne pas
parler de celles qu’ils ont vues. Bref, qui vont construire comme un écran de fumée entre leurs
parents et eux. Dans tous les cas, les deux pôles de l’individualisation, à savoir le groupe –
représenté ici par la famille – et l’individu – représenté ici par l’enfant –, seront respectés.
5. J’en arrive enfin à mon dernier point. Vous avez remarqué que tout ce que je vous ai dit
s’appliquait aux images de l’art. Mais vous avez remarqué que ça peut s’appliquer aussi à
toutes les formes d’images. Il faut comprendre que, pour l’enfant, il n’y a pas des images qui
seraient de l’art et d’autres qui ne seraient pas de l’art. Il y a des images dont on lui dit :
« C’est de l’art », alors, comme il est bon enfant, il est prêt à le croire. Et puis il y a des
images dont on ne lui dit pas que c’est de l’art, alors il pense que ça n’en est pas. D’ailleurs
après coup, parfois, il peut regretter qu’on ne lui ait pas dit que c’était de l’art, parce qu’il a
l’impression que son intuition était juste et qu’il en a été détourné. Par exemple, il a déchiré
des bouts d’affiches sur les murs quand il était enfant pour les mettre dans sa chambre. Ses
parents lui ont dit « Jette ça ! » Trente ans plus tard, il va au musée, et il découvre que
d’autres ont fait comme lui, qu’ils les ont mis dans des cadres et qu’ils sont devenus
« artistes ». Alors il se dit : « Mes parents n’auraient pas dû me dire aussi précisément ce qui
était de l’art et ce qui n’en était pas. » Vous savez qu’aujourd’hui il y a une crise, parce que
tous les enfants qui ont appris il y a vingt ou trente ans ce qu’est l’art sont devenus des adultes
confrontés aujourd’hui à ce qu’on appelle l’art contemporain. Et ils y voient des choses dont
on leur avait dit jusque-là que ce n’était pas de l’art : une voiture accidentée, comme celle
qu’on peut voir chez le carrossier, ou un tas de vêtements sales mis dans une corbeille à linge.
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Évidemment, ces adultes sont très déroutés dans leurs repères. Que l’enfant ne sache pas ce
qu’est l’art n’est donc pas forcément un handicap, et c’est même certainement un avantage
pour aborder l’art à venir.
En revanche, il est important de développer une appréhension spécifique des œuvres. Il
faut qu’on apprenne à l’enfant à les utiliser pour ce qu’elles peuvent lui apporter et que les
autres images ne lui apportent pas. C’est très important pour moi de comprendre en quoi
chaque image est irremplaçable. Le cinéma a quelque chose d’irremplaçable, la télévision
aussi, et maintenant les jeux vidéo… Chaque type d’image a quelque chose d’irremplaçable,
sinon l’être humain ne se fatiguerait pas à en créer toujours de nouvelles. Il se contenterait de
celles qui existent. Or celles qui existent ne le satisfont pas complètement, c’est pourquoi il en
crée de nouvelles et cela ne rend pas pour autant les anciennes moins utiles, bien au
contraire ! Mais cela oblige à choisir à chaque fois celles qu’on désire vraiment. Il y a des
moments où on choisit un film, d’autres où on préfère un livre d’art ou une exposition, et
d’autres encore où on fait ses propres photographies. Ce qui est important, c’est que l’enfant
ressente, et comprenne, ce qu’il y a d’irremplaçable dans sa relation avec une œuvre d’art.
Car, alors, il en intégrera le désir spécifique dans son paysage intérieur.
Alors, qu’est-ce qui est irremplaçable dans la relation à l’œuvre d’art ? À mon avis, trois
choses. D’abord, elle nous introduit à une communauté qui n’est pas seulement celle des
copains ou de la famille, mais qui est l’humanité entière. Si je regarde un dessin animé, je suis
en pensée avec mes copains qui le regardent, et le lendemain j’en parle avec eux ; si je regarde
un film pour adultes avec mes parents parce que j’ai l’âge, je suis en pensée avec ma famille,
même peut-être avec tous les adultes qui le regardent ; mais si je regarde une œuvre d’art, je
suis en pensée non seulement avec tous ceux qui peuvent la voir aujourd’hui parce qu’ils sont
vivants, mais aussi avec tous ceux qui l’ont vue par le passé si elle est ancienne, et même avec
tous ceux qui la verront dans l’avenir. C’est pour cela qu’il est très important de toujours
indiquer à l’enfant la date d’une œuvre, pour qui elle a été faite, où elle a été placée, par qui
elle a été vue, et d’évoquer le nombre de ceux qui l’ont admirée. … Ces choses peuvent
paraître bêtes pour un adulte, mais elles introduisent l’enfant à la conscience qu’il voit
quelque chose que beaucoup de gens ont vu, ce qui veut dire, rappelez-vous ce que je vous ai
dit tout à l’heure, qu’il est « avec » toutes ces personnes. Et en étant avec eux en pensée, il
accède à l’idée d’une conscience universelle.
En même temps, l’œuvre d’art n’est pas qu’universelle, c’est aussi du particulier. C’est sa
seconde caractéristique. D’un côté, il faut dire à l’enfant que l’œuvre d’art a cette dimension
universelle, mais d’un autre côté, il faut lui dire aussi qu’elle peut le toucher pour des raisons
intimes qu’il ne peut pas forcément expliquer. C’est pour cela qu’il ne faut pas toujours
demander à l’enfant : « Bon ça t’a plu, pourquoi ça t’a plu ? » C’est la question qui tue ! Il
faut laisser la possibilité à l’enfant qu’une œuvre lui ait plu pour une raison qu’il ne peut pas
dire, et que peut-être il ne saura que dix ans plus tard, voire jamais. Par exemple, j’ai connu
un enfant qui avait été en Turquie au moment d’un terrible tremblement de terre, il y a une
dizaine d’années. Il n’avait jamais pu en parler, et il n’a pu commencer à le faire qu’après
avoir vu une sculpture dans laquelle il y avait une maison à l’envers. C’est ça qui lui a rendu
la mémoire du tremblement de terre. C’est ce genre de chose que l’œuvre d’art a le pouvoir de
faire, de donner un abord latéral, détourné de choses importantes pour nous, mais dont on ne
va forcément pouvoir parler tout de suite. Il faut le dire aux enfants, on ne va pas forcément
leur demander de parler de ce qu’ils auront vu au musée. Sinon, on va les angoisser, et ils ne
voudront pas y aller !
Enfin, les œuvres d’art ont une troisième particularité par rapport à toutes les autres formes
d’images. Elles nous introduisent de façon privilégiée à une représentation de nous-mêmes.
Dans ce que nous a dit madame Meyerson, il y a beaucoup de choses passionnantes, mais j’ai
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l’impression que c’est toujours une introduction de l’enfant à l’action, au mouvement, ou à la
sensorialité. Je pense que ce qui caractérise l’œuvre d’art, ce n’est pas de nous introduire au
corps en action, même si on peut passer par le corps en action pour introduire l’enfant à
l’œuvre d’art, c’est autre chose. Le propre de l’œuvre d’art, ce n’est pas de nous confronter au
corps en action, c’est de nous confronter à la représentation de l’humain.
Je terminerai par l’exemple de l’exposition Tête à tête qui a lieu actuellement à l’espace
enfants du Centre Pompidou. Il y a dans cette exposition des œuvres et des dispositifs de
transformation d’image où les enfants sont invités à transformer leur apparence filmée par une
caméra : ils se pixellisent, se solarisent, se déforment, ils adorent ! On trouve également dans
cette exposition un autre dispositif extrêmement intéressant et qui pourrait être développé.
C’est un dispositif dans lequel l’enfant voit un visage qui commence à grimacer, et se
transforme en masque. Or ces masques sont de grands masques de l’histoire de l’art ou de
l’histoire des cultures. C’est formidable, parce que l’enfant est ainsi introduit à l’art par la
représentation qu’il a de lui-même. Il est donc introduit à l’art comme au domaine privilégié
de la représentation de l’humain. Ce dispositif pourrait connaître beaucoup de prolongements.
On pourrait montrer les masques correspondants en réalité, et pas seulement leur image ; on
pourrait aussi inviter l’enfant à choisir un masque, puis à déformer l’image de son propre
visage pour tenter de s’en approcher ; etc. Il y a là quelque chose de très important : passer de
la représentation informe que l’enfant a d’abord de lui-même à une figure unique et
reconnaissable, mais en passant par des représentations culturelles que d’autres humains se
sont données d’eux-mêmes,
Vous voyez qu’il y a beaucoup à faire, et que c’est passionnant
Merci de votre attention.
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QUEL ROLE JOUE L’OEUVRE D’ART DANS LE
DEVELOPPEMENT DE L’ENFANT ?
Pourquoi des oeuvres d’art à l’école ?
Philippe Coubetergues
Formateur à l’IUFM de Paris, critique d’art
Pourquoi des œuvres d’art à l’école ?
Philippe Coubetergues
Formateur à l’IUFM de Paris
Critique d’art
Résumé
On remarque que les œuvres d’art ne trouvent pas réellement leur place à l’école, que ce
soit sous leur forme originale ou reproduites, mis à part quelques exceptions, trop rares et trop
locales. Pourtant, les œuvres issues d’arts visuels devraient s’imposer comme un référent
précieux de tous les apprentissages, aussi bien pour apprendre à voir, à regarder, à lire, à
écrire qu’à s’exprimer. Il règne autour des œuvres certains malentendus qui expliquent cette
réserve de la part des enseignants. La culture et l’éducation restent perçues comme deux
sphères bien distinctes quand elles relèvent en réalité d’un seul et même désir de connaissance
et de découverte.
À l’IUFM de Paris, nous avons mis en place un projet de prêt d’œuvres, une collection de
dessins d’artistes contemporains que l’on met à disposition des enseignants et des élèves, pour
concevoir de petites expositions dans leurs classes, en rapport avec le travail qu’ils sont en
train de faire. Car nous pensons que l’école doit être contemporaine de l’expression artistique
de son temps, autant que curieuse et investigatrice des formes artistiques du temps passé.
Cette question induit plusieurs remarques :
Sous une forme ou sous une autre, reproduite ou originale, y a-t-il des œuvres d’arts
visuels dans les écoles, les collèges ou les lycées ?
Cela mériterait une étude statistique. À ma connaissance, il n’y en a pas eu de faite. Et, à
défaut, je m’appuierai sur une impression d’ensemble. En tant qu’enseignant, puis formateur,
j’ai traversé ces dernières années bien des établissements et bien des classes, et je constate, à
mon grand regret, qu’il n’y a pas d’œuvres d’art dans les écoles, ni dans les classes.
Y a-t-il des exceptions ?
Oui, il y en a et, en tant que telles, elles confirment la règle. Je mettrai de côté les affiches
annonçant ici ou là, sur les murs des couloirs ou ceux des fonds de classe, de très anciennes
expositions généralement impressionnistes. Mis à part cela, donc, j’ai rencontré des
enseignants passionnés d’art et n’hésitant pas à faire partager leur passion aux élèves tout au
long de l’année. Je pourrais témoigner de projets ambitieux et fédérateurs au cours desquels
les élèves furent véritablement sensibilisés aux œuvres d’art. Mais malgré tout ces efforts trop
ponctuels, je reste frappé par l’absence quasi générale de l’œuvre d’art au cœur des
apprentissages. Mon optimisme me laisse à penser que les choses évoluent dans le bon sens,
mais ce n’est pas certain.
Qu’entend-t-on par « œuvres d’art à l’école » ?
En ce qui me concerne, j’entends autre chose qu’un simple saupoudrage culturel. Il ne
suffit pas d’emmener sa classe une fois dans l’année au musée et d’en rapporter une affiche et
trois cartes postale pour satisfaire une telle ambition. Il ne suffit pas non plus de s’arrêter
parfois sur une reproduction d’œuvre figurant dans le livre d’histoire ni de louer souvent la
finesse de telle ou telle illustration d’album. Il s’agit de faire apparaître les œuvres d’art
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d’aujourd’hui et d’hier comme de véritables objets privilégiés de connaissance, capables de
fédérer et d’harmoniser bien des objectifs de formation et d’éducation, depuis la maternelle
jusqu’à la terminale.
Pourquoi devrait-il y en avoir ?
Les œuvres d’art sont à mes yeux des objets très particuliers, riches de qualités
incomparables à celles des autres objets du monde, qui les rendent précisément exemplaires
en tant que référents des divers apprentissages qu’ambitionne l’école. En d’autres termes, je
trouve que les œuvres d’art ont prioritairement leur place dans la formation de l’élève et je
suis sincèrement surpris, si j’en juge les faits, que cela n’apparaisse pas comme une évidence.
Il y a sans doute des raisons à cela et nous y reviendrons.
Quelles qualités de cet objet le rendent donc si incontournable à mes yeux ?
J’en vois au moins cinq :
C’est un objet témoin. Il témoigne de son temps, de son contexte, de sa civilisation, bref,
de son origine. Il n’en est pas le rapporteur, il en est l’indice. La différence, c’est qu’à tout
moment il peut de nouveau révéler quelque chose, nous apprendre quelque chose, ce qui rend
son étude d’autant plus excitante.
C’est un objet polysémique. Il n’établit pas un sens, mais des sens. Sa capacité à générer
du sens n’est en fait jamais épuisée. Il n’est réductible à aucune lecture, aucun savoir, aucun
décryptage, aucun texte, aucune exégèse.
C’est un objet ouvert, ouvert à toutes les approches, toutes les interprétations, sans en
reconnaître ni n’en garantir aucune. Il autorise chacun à dire ce qu’il voit, ce qu’il comprend,
ce qu’il pense. Il n’interdit aucune appropriation et n’en justifie aucune.
C’est un objet dialectique. Il témoigne moins d’une idée ou d’un message que d’une
pensée en action. Il est un objet muet qui continue à réfléchir. Il est discutant, discutable et
discuté. Son contact génère une sorte d’échange parfois simplement intérieur et intime,
parfois partagé et public.
C’est un objet autonome. Il n’est l’exclusivité d’aucun domaine de pensée. Il déborde
toujours largement les domaines de rattachement auxquels on l’assigne. Il peut avec une
incomparable éloquence représenter une conviction religieuse, un fait historique, une scène
mythologique ou un phénomène climatique, ce n’est jamais de façon exclusive. Il ne peut être
confondu (il ne doit pas être confondu) avec ce dont il témoigne.
Un objet doté de telles qualités devrait à mon sens s’imposer aux fondements mêmes des
apprentissages. En tant qu’objet témoin, il est garant d’une certaine impartialité dans l’étude
des civilisations, des sociétés, de l’histoire. Polysémique et ouvert, il engage chacun à prendre
parti. Dialectique, il suscite la prise de parole et l’échange. Autonome, il est transdisciplinaire,
il s’affranchit de tous les cloisonnements disciplinaires de l’école. Il concerne aussi bien les
maths que le français, les sciences, l’histoire, la géographie et les arts visuels (qui possèdent et
conservent une spécificité qu’il s’agirait de décrire).
Mieux que tout autre référent, l’œuvre d’art devrait donc s’imposer quand il s’agit
d’apprendre à parler, à écrire, à compter, à réfléchir, à s’ouvrir, à s’exprimer, à s’extérioriser,
à débattre, à mesurer, à évaluer, à analyser, à regarder et à voir. Mieux que tout autre, elle
devrait apparaître comme un recours permanent quand il s’agit de découvrir le monde actuel
et celui d’hier, quand il s’agit d’accepter les autres dans leur différence, de susciter la
curiosité, l’invention, l’expression.
Il existe une œuvre d’art adaptée à l’approche de chaque question abordée à l’école, de
l’étude de la croissance des plantes à celle de la guerre de Troie en passant par la question des
proportions en mathématiques. Et pourtant, les enseignants restent méfiants, sceptiques et peu
enclins à y avoir recours. Alors, pourquoi ?
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Quelques malentendus qui – me semble-t-il – règnent
autour des œuvres d’art dans le monde de l’éducation
Tout d’abord, les œuvres d’art apparaissent comme des objets complexes réservés à des
spécialistes. Les enseignants ne se sentent pas facilement autorisés à en parler. Ils peuvent
sans difficulté aborder la tectonique des plaques, même si leur connaissance dans ce domaine
est limitée, alors qu’ils seront toujours gênés de devoir s’exprimer sur Le Serment des
Horaces ou Les Demoiselles d’Avignon.
Les œuvres d’art leur apparaissent comme des référents flous et instables, inappropriés
dans le cadre de l’école, qu’ils conçoivent comme un lieu d’acquisition de savoirs fixes et
indiscutables.
Les œuvres d’art leur apparaissent comme des phénomènes culturels, extérieurs à l’école,
ponctuellement enrichissants. Elles peuvent venir compléter une étude, accompagner une
recherche dans le meilleur des cas. Mais elles restent à la marge au titre générique
d’illustration.
Par ailleurs, l’art, les œuvres, les musées et le culturel en général leur semblent attachés à
la sphère du loisir et du divertissement, qu’ils préfèrent parfois maintenir distincte de leur
sphère professionnelle.
Les œuvres d’art leur apparaissent comme des objets prioritairement attachés à des
principes d’ordre esthétique et marchand. En discuter revient, au final, à se prononcer sur
l’intérêt, la beauté et la valeur de l’objet, ce qui se révèle vain et impossible à départager.
« Des goûts et des couleurs… », « j’aime, j’aime pas… ».
Comment dissiper ces malentendus ?
Tout d’abord, il faudrait cesser de présenter l’art comme la « cerise sur le gâteau ». Ce
n’est pas seulement une récompense qui intervient à la fin de l’année sous la forme d’une
sortie, ou au lendemain des échéances importantes du cursus scolaire. L’art, c’est peut-être du
plaisir, mais c’est aussi plus que ça. L’enseignant doit extraire les œuvres de l’espace des
loisirs ou du divertissement auquel elles se trouvent assimilées. Par ailleurs, le goût, l’intérêt,
la valeur que l’on accorde à l’œuvre peuvent être considérés par l’enseignant et ses élèves,
comme des conséquences. Cela engage librement et profondément les individus, peut-être
même intimement ; cela ne doit pas nécessairement être partagé en classe. En d’autres termes,
il sera toujours temps de juger les œuvres, de dire qu’on les aime ou que l’on ne les aime pas,
de dire qu’elles sont belles ou laides, trop chères ou pas assez, commençons à l’école par les
regarder, les discuter et les comprendre.
Le problème de l’art vu comme « culturel » à la différence de l’école : c’est un problème
certainement concomitant de l’apparition, au 20e siècle, de l’« industrie culturelle » ou de
l’« ingénierie culturelle ». La culture est devenue une sorte de marché, alors, par effet
d’exclusion, l’école s’est sentie en dehors de la culture. Mais l’éducation et l’école sont en fait
des phénomènes tout aussi culturels que les expositions et les musées ; enseigner, créer,
imaginer, voir, faire voir, comprendre, apprendre, tout cela relève d’un même élan, d’une
même énergie, d’une même dynamique de découverte et de connaissance. Ce sont des
domaines assez proches, et même, pour tout dire, intrinsèquement liés. En d’autres termes, on
ne peut pas apprendre à lire sans montrer comment cet apprentissage donne accès à des textes
littéraires, entre autres. On ne peut pas apprendre à regarder sans montrer comment cet
apprentissage donne, entre autres, accès à des œuvres d’art, qui sont elles-mêmes les témoins
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d’un effort et d’un désir intarissable d’explorer le monde. Et l’apprentissage ne doit pas
précéder cette découverte des œuvres, comme certains s’évertuent à le croire, il doit se faire
dans le même temps que cette découverte. La découverte des œuvres doit motiver les
différents apprentissages de l’école et, inversement, ces apprentissages rendent possibles ces
découvertes.
Mais pour cela, il ne faut pas regarder les œuvres d’art comme des objets morts, des
contenus fixes et figés. Plutôt que de les aborder comme des événements achevés, entièrement
décryptés, des objets classés, répertoriés, évalués, conservés et étiquetés, que la lecture d’une
fiche signalétique suffirait à dévoiler entièrement, il faut apprendre aux enseignants à
questionner les œuvres d’art, à les analyser comme des phénomènes spécifiques, à repérer et
énoncer leur richesse sémantique, à les révéler en somme dans leur qualité d’œuvre. L’étude
d’une œuvre d’art, confortée ou non par des recherches périphériques, doit permettre de
questionner notre propre savoir – y compris notre rapport au savoir –, d’établir des
hypothèses, de les vérifier ou de les infirmer en les confrontant entre elles, pour déboucher sur
une connaissance enrichie, un nouvel « état de connaissance de l’œuvre et du monde ». Le
savoir n’est jamais définitif ; ce que l’on sait n’est « juste » ou « exact » ou « vrai » que
relativement à ce que l’on peut apprendre, demain, plus tard, ultérieurement. Au bout du
raisonnement, il y a toujours une question qui demeure… Il est essentiel que l’élève en soit
conscient et il n’est pas de référent plus adéquat que l’œuvre d’art pour l’y aider. L’œuvre
d’art est sans doute le référent le plus approprié pour aider les élèves à adopter un rapport
constructif au savoir.
Reste ce malentendu des œuvres d’art perçues comme la propriété des spécialistes. Il faut
simplement rappeler aux enseignants que « les œuvres d’art appartiennent à tout le monde ».
Il existe dans ce domaine des spécialistes comme dans tous les autres domaines de
connaissance. Ils étudient les œuvres d’art et leur contexte comme des phénomènes objectifs
et selon des méthodes parfaitement comparables à d’autres domaines scientifiques. Les fruits
de leurs recherches sont consultables et enrichissants, mais l’accès direct, spontané et non
averti aux œuvres reste également autorisé, encouragé, nécessaire. En d’autres termes, les
œuvres existent au-delà des discours et autres commentaires qu’elles génèrent. Il n’est pas
nécessaire d’être savant pour en parler et cela n’est pas interdit non plus. Il faudrait que les
enseignants et leurs élèves étudient les œuvres d’art comme ils étudient les choses de la
nature, avec la même curiosité, le même esprit d’observation, le même désir
d’approfondissement, la même spontanéité et avec encore moins d’a priori, si cela est
possible.
Quels moyens peut-on se donner ?
Comment faire pour que les choses évoluent ?
Il faut réconcilier les enseignants, toutes disciplines confondues, avec les œuvres d’art et
les démarches artistiques. Cela passe sans doute par la formation des enseignants eux-mêmes.
Ont-ils une culture artistique ? Connaissent-ils quelques œuvres, lesquelles ? Sont-ils capables
de faire des liens entre les contenus qu’ils enseignent et des œuvres d’art ? Cela leur est-il
demandé au moment des concours ? (J’ai bien peur que le public soit très déçu par les
réponses que je pourrais apporter à toutes ces questions, je les passerai donc sous silence.) Il
faudrait également que l’institution soit exigeante de ce point de vue à travers les
programmes, les instructions officielles, les textes qui encadrent ces enseignements (même
commentaire que précédemment, bien que l’on repère, ici et là, certaines exigences qui vont
dans ce sens.) C’est un vaste chantier, qui n’est peut-être pas à l’ordre du jour. Est-ce
compatible ou contradictoire avec ce que l’on appelle « un recentrement sur les
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fondamentaux » ? Lire, écrire, compter et connaître Nicolas Poussin et Annette Messager, ou
devrais-je dire : lire, écrire, compter en découvrant Nicolas Poussin et Annette Messager. Cela
va faire débat.
Plutôt que de le rendre optionnel, ce qui est la tendance actuelle, il faut maintenir et
renforcer l’enseignement obligatoire des arts visuels à l’école primaire, au collège et au lycée.
C’est un vœu pieux qui va sans doute à l’inverse de la tendance actuelle, mais je tiens malgré
tout à le formuler ici, dans ce lieu symbolique – s’il en est – de l’amphithéâtre du Louvre. La
didactique de cette discipline a beaucoup évolué ces dernières années, elle évoluera encore.
Mieux qu’hier sans aucun doute, on sait aujourd’hui, en arts visuels, faire découvrir des
œuvres d’art aux élèves, on sait les faire pratiquer en référence à ces œuvres, on sait aussi les
aider à se constituer une culture artistique. On sait faire de l’histoire de l’art à l’école, mais à
condition que l’on nous en donne les moyens. Les professeurs des écoles doivent intégrer
cette compétence disciplinaire au cœur de leur polyvalence, et les professeurs du secondaire,
certifiés ou agrégés dans cette discipline, doivent approfondir cette spécialité professionnelle,
l’articuler aux autres et la défendre au sein de la communauté éducative. Mais, bien sûr, tout
cela n’est pas envisageable si les enseignants ne bénéficient pas d’une formation
professionnelle digne de ce nom, qui ne tient pas, hélas, dans une poignée d’heures. Mes
excuses auprès de ceux que ces petites revendications, dans ce cadre qui est le nôtre,
agaceraient, mais c’est néanmoins un aspect incontournable du problème.
Mais, soyons raisonnables – du moins réalistes – et défendons aussi l’idée que chacun
agisse, dans le respect du cadre prescrit, avec ses propres moyens et ses propres convictions.
Un chef d’établissement fera l’acquisition pour l’école d’un jeu très complet de grandes
reproductions d’œuvres art (bien légendées, correctement reproduites), qu’il mettra à
disposition des élèves et des enseignants. Un enseignant prendra l’initiative d’un partenariat
avec un musée où il programmera des visites régulières en rapport avec les sujets qu’il
compte aborder. Pour ce qui nous concerne à l’IUFM de Paris, nous avons pris l’initiative de
constituer une collection de dessins d’artistes contemporains que l’on met à dispositions des
classes de l’académie de Paris. C’est un projet assez modeste que l’on a appelé « Dessins
d’artistes à l’école ». C’est un projet de sensibilisation à l’art contemporain qui mise sur une
relation directe aux démarches artistiques par le biais de dessins originaux. Ces dessins nous
ont été gracieusement prêtés par les artistes eux-mêmes. Ils sont une soixantaine à avoir
accepté, ce qui fait que la collection contient près de 150 œuvres. Nous sommes soutenus par
la DRAC dans ce projet, ce qui a permis en particulier d’acheter des encadrements de qualité
qui rendent possibles à la fois la conservation des dessins et leur exposition dans de bonnes
conditions. Cet ensemble d’œuvres, conservé à l’IUFM qui est – rappelons-le – un institut
universitaire de formation, fait donc l’objet de diverses exploitations qui intègrent la
formation initiale et continue des enseignants des premier et second degrés. Mais il est surtout
destiné à être montré aux élèves dans le cadre d’expositions organisées par ces enseignants
stagiaires dans les établissements scolaires et pendant leur année de formation à l’IUFM.
Pourquoi des dessins ? Tout simplement parce que l’on a estimé que le dessin était une
forme d’expression très proche des élèves et de ce qu’ils font habituellement. Par ailleurs,
nous avons pensé que le dessin était le vecteur commun de bien des démarches, qu’il pouvait
témoigner efficacement de pratiques aussi diverses que l’installation, la peinture, la sculpture,
l’architecture, la haute couture, etc. La collection est constituée de dessins préparatoires, de
dessins œuvres, de dessins sur supports informatiques, et même de quelques dessins sur toile.
Pour être honnête, nous avons laissé les artistes décider du ou des dessins qu’ils souhaitaient
nous prêter, et parfois nous avons été surpris de leur proposition, tout en les acceptant.
Pourquoi des originaux ? Parce que cela n’a rien à voir avec la reproduction. C’est assez
banal de le dire mais c’est vrai. Il y a une qualité de matière, une visibilité de la trace, une
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lisibilité de la facture, une relation indicielle à l’auteur qui font qu’un dessin original apparaît
immédiatement comme quelque chose de rare, d’unique, de presque sacré, dont les gens se
sentent assez proches et qui force le regard, la curiosité, l’intérêt. Cela n’a rien à voir avec une
image. Les œuvres d’art ne sont pas seulement des images. Quand cela est possible, il vaut
mieux s’en approcher au plus près pour qu’ait lieu avec l’œuvre une vraie rencontre, un
véritable mise en contact avec une matérialité authentique et non pas transposée. Mais cela
n’exclue pas l’usage de reproductions à d’autres moments, à condition que l’on ne confonde
pas (j’insiste) la reproduction avec l’original, l’image avec l’œuvre, le document avec le
monument (ce qui a lieu la plupart du temps). Les reproductions ont parfois même des
qualités que les originaux n’ont pas, et bien des artistes du 20e siècle se sont intéressés à ce
phénomène de la reproductibilité, mais c’est encore autre chose.
Enfin, ce qui fait la différence entre ce projet « Dessins d’artistes à l’école » et d’autres
projets de prêts d’œuvres de musée ou d’artothèques, c’est que nous ne prêtons pas un dessin,
nous prêtons plusieurs dessins à la fois. L’enseignant, avec les élèves, choisit dans la
collection un certain nombre de dessins (entre 5 et 15, admettons) en fonction d’un projet,
d’un thème sur lequel ils travaillent. Ils conçoivent leur exposition, leur accrochage dans la
classe, pendant une durée définie (deux ou trois semaines). C’est la première année de
fonctionnement de ce projet, les expositions dans les classes sont prévues pour les semaines
qui viennent. Je n’ai donc pas d’images, de constats photographiques à vous montrer. Mais
pour témoigner de cette expérience nous sommes en train de finaliser un site Internet
accessible sur le site de l’IUFM de Paris, qui viendra témoigner de tout cela, c’est-à-dire à la
fois des œuvres de la collection et des exploitations qui en sont faites.
Conclusion
On aura compris que je suis un fervent défenseur des œuvres d’art dans la formation de
l’élève, des œuvres d’art à l’école sous une forme originale ou sous une forme reproduite. Ce
n’est pas, à mon sens, un accompagnement optionnel de l’éducation, un « plus » réservé à
certains élèves, une récompense qui intervient quand le travail est terminé. L’école est le lieu
d’inscription naturel des œuvres d’art. Pour des raisons de conservation, de sécurité, pour des
raisons d’organisation, pour des raisons pratiques en somme, les écoles ne sont pas des
musées et l’on ne peut pas faire l’école au musée. C’est vrai. Mais cela ne doit pas décourager
les enseignants de considérer les œuvres d’art comme les outils incontournables de leur
mission. L’école doit être contemporaine de l’expression artistique de son temps autant que
curieuse et investigatrice des formes artistiques du temps passé.
6
DONNER A VOIR LES OEUVRES AUTREMENT ?
Récits d’expériences
« Tête à Tête » : croiser deux expériences pour exposer
autrement ?
Caroline Delabie
Chef de projet
Isabelle Frantz-Marty
Chef de projet
Centre Pompidou, Paris
Frédérique Leseur
Chef de service adjoint des activités éducatives et culturelles,
musée du Louvre, Paris
« Tête à tête » :
croiser deux expériences
pour exposer autrement ?
Frédérique Leseur, musée du Louvre
Caroline Delabie, musée du Louvre
Isabelle Frantz-Marty, Centre Pompidou
©Centre Pompidou
©musée du Louvre/M.Chassat
©musée du Louvre/M.Chassat
L’exposition Tête à tête a lieu à la galerie des Enfants du Centre Pompidou de février à
septembre 2006. Elle a été conjointement organisée par le musée du Louvre et le Centre
Pompidou.
©musée du Louvre/M.Chassat
©musée du Louvre/M.Chassat
©musée du Louvre/M.Chassat
Ce projet a l’ambition d’offrir une activité inédite jusque-là au public, par le biais d’un
accrochage spécifique pour les enfants et les familles. L’objectif est, pour les équipes des
deux musées qui ont travaillé en partenariat, de réfléchir à la pratique de ce type d’exposition,
à travers ce projet.
Ce travail de plus d’une année, vise trois grands points : le premier est de concevoir et de
s’interroger ensemble sur ce que peut être une exposition avec des œuvres originales, pour les
enfants et les familles ; le second point d’unir intimement toutes les conditions matérielles et
scientifiques nécessaires à la bonne conservation des œuvres en y associant très étroitement
tous les outils de médiation ; et le troisième, enfin, de jouer ce jeu du triangle que constituent
à la fois l’enfant spectateur, l’enfant acteur de sa visite face aux œuvres, mais aussi l’enfant
dans sa relation avec l’adulte.
Comprendre, certes, et bien faire percevoir et regarder des œuvres d’art, mais aussi
appréhender le monde et l’appréhender autrement en passant par cette analyse et par cette
1
découverte de l’œuvre. Une autre originalité dans ce projet est que le commissariat a été
confié aux deux services pédagogiques des deux institutions. Celui-ci s’est réalisé avec la
collaboration étroite et indispensable des scientifiques de ces institutions, en l’occurrence un
conservateur au centre Pompidou et chacun des référents de chacune des périodes concernées
au musée du Louvre.
Frédérique Leseur et Patrice Chazottes ont piloté le projet. Caroline Delabie, Isabelle
Frantz-Marty et Marc Archambault sont les principaux concepteurs de cette opération.
©Centre Pompidou/J.C.Planchet
©Centre Pompidou/J.C.Planchet
La tranche d’âge désignée comme destinataire principal de cet accrochage, même si elle est
non exclusive, est un public âgé d’environ cinq à douze ans. L’accueil des groupes n’est pas
exclu même si la scénographie n’est pas destinée prioritairement à ce type de pratique. Des
travaux et des visites avec des partenaires sont d’ailleurs conduits en même temps qu’une
sensibilisation des enseignants qui veulent travailler sur ce projet.
Enfin, cette exposition est complétée dans chacune des institutions par des pratiques
d’atelier en lien étroit avec le sujet et avec les œuvres présentés dans l’exposition. Celles-ci
peuvent se faire en complément de la visite.
Le thème de la tête réunissait plusieurs paramètres indispensables au déroulement de ce
projet. D’une part, il permettait aisément de balayer les époques les plus variées dans les
collections des deux musées, d’autre part, il offrait la possibilité de présenter des objets
réalisés dans des matériaux, des dimensions, sur des supports et avec des techniques les plus
divers. Cela va du marbre taillé à des périodes préhistoriques jusqu’aux vidéos les plus
récentes.
Ce thème est très lié aux enjeux de cet aller-retour permanent entre la représentation de soi
et l’image de la figure humaine. Le sujet de la tête n’est pas le portrait. Ce n’est pas la notion
même d’histoire de l’art qui justifie le titre de l’exposition et qui préside au choix des œuvres.
C’est cette partie du corps qui pose justement le problème de la partie par rapport au tout. La
représentation en volume permet une approche beaucoup plus variée que la simple
représentation en deux dimensions de la tête peinte ou dessinée.
2
Le plan de l’exposition se présente en trois parties qui correspondent aux trois grandes
questions qui se sont posées pour définir la tête :
• « Qu’est-ce qu’une tête ? » C’est la question de la description de la tête.
• Ensuite dans le couloir orange qui sépare les deux pièces principales, la question devient :
« Pourquoi représente-t-on une tête ? » On s’interroge sur les fonctions de la représentation
de la tête.
• Et enfin dans la troisième partie : « Qu’exprime-t-on avec la tête ? » Ou : la tête miroir de
l’âme.
Ces trois parties ont défini une trame de travail sur laquelle a été bâtie l’exposition.
Cependant, les enfants peuvent la visiter en commençant par la première partie, mais aussi par
la troisième en passant par le couloir de côté, et revenir ensuite dans la deuxième ou la
première partie. L’exposition est conçue par modules, intégrés dans ces trois parties.
La scénographie a été réalisée par 5©5 designers.
©Centre Pompidou/J.C.Planchet
©Centre Pompidou/J.C.Planchet
©Centre Pompidou/J.C.Planchet
Toutes les œuvres sont protégées, principalement par des vitrines. Ceci permet la libre
circulation des enfants dans l’espace sans avoir de contraintes sur ce qu’ils peuvent ou ne
peuvent pas toucher. Ainsi, il n’y a pas d’ambiguïté entre les dispositifs et les œuvres.
Les modules ont été conçus à hauteur d’enfant, tant pour ce qui concerne les objets
présentés dans les vitrines que pour l’accrochage des peintures, dessins et photographies.
©Centre Pompidou/J.C.Planchet
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Les scénographes ont choisi un mobilier de couleurs vives, qui définissent les modules plus
que les trois parties.
©musée du Louvre/M.Chassat
©musée du Louvre/M.Chassat
Ils ont également créé avec humour certaines ambiances. Par exemple dans la deuxième
partie située dans le couloir central, les murs sont tapissés de papier peint, restituant ainsi
l’ambiance d’un intérieur de maison où seraient accrochés des portraits de famille.
©Centre Pompidou/J.C.Planchet
Des petites niches très colorées avec un éclairage bien particulier attirent le regard et
permettent d’attirer particulièrement l’attention sur certaines œuvres.
©musée du Louvre/CD
D’autres sont présentées sur des socles anthropomorphes ou placées dans un certain
contexte propre à leur fonction. Par exemple, les têtes de rois sont posées sur des tribunes
symbolisant le pouvoir.
©musée du Louvre/CD
4
L’exposition propose un tête-à-tête avec les œuvres : ainsi, les visiteurs sont invités à
s’asseoir face à une tête de Calder et de Chattaway comme pour engager la conversation.
©musée du Louvre/M.Chassat
Certains modules permettent une intimité entre l’enfant et les objets. Dans le module
« Tour de tête », les enfants sont en relation étroite avec les œuvres puisqu’ils sont placés au
sein du dispositif. Ils sont ainsi cernés par les peintures, dessins, photographies…
©Centre Pompidou/J.C.Planchet
Il a été choisi délibérément par les concepteurs de cette exposition de ne pas isoler les
dispositifs par rapport aux œuvres.
©musée du Louvre/M.Chassat
©musée du Louvre/M.Chassat
Cette exposition est avant tout l’occasion d’offrir une expérience aux enfants, de favoriser une
rencontre avec les œuvres, en préservant une spontanéité, une liberté dans la circulation et
dans la découverte des œuvres et des dispositifs.
©musée du Louvre/M.Chassat
©musée du Louvre/M.Chassat
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Tous les éléments scénographiques sont des outils pour, favoriser cette rencontre,
développer une sensibilité, aiguiser une curiosité, susciter des comparaisons, des
rapprochements, offrir une liberté de regard, questionner sur les notions de représentation,
d’identité, de diversité.
Tout ceci n’est pas forcément verbalisé, nommé sur le moment mais, à l’image des
jardiniers, on sème et on espère que cela va germer, petit à petit, au fur et à mesure des
rencontres qu’ils feront tout au long de leur vie.
Cette exposition propose des œuvres et des dispositifs, intiment liés. Il est évident que les
enfants appréhendent plus facilement les dispositifs où ils doivent manipuler, agir, bouger, où
ils peuvent parler, rire… mais comment quantifier le regard, le questionnement et tout ce qui
se passe dans leur tête au moment où il regarde une autre tête ! Cette rencontre-là se passe
parfois de commentaires.
©Centre Pompidou/J.C.Planchet
©Centre Pompidou/J.C.Planchet
La scénographie repose sur cette notion de tête-à-tête, de dialogues : les dialogues
d’œuvres, les dialogues entre l’œuvre et le visiteur, les dialogues entre les visiteurs. Le
parcours propose des échanges, des moments de partage entre enfants, entre l’enfant et
l’adulte, crée des lieux où le visiteur peut se questionner lui-même face à la représentation de
sa propre tête, vivre une expérience.
Dans ce module autour de l’image pour l’éternité, on souhaite aborder la question de
l’image de la tête après notre mort. L’œuvre est mise en situation sur un socle sarcophagecercueil, dans un espace sombre fermé par un lourd rideau de velours noir.
Cette question de la mort est délicate et la mise en scène permet de susciter une émotion,
de faire passer une information et de suggérer sans expliciter.
L’œuvre ne doit pas être perçue comme un modèle, quelque chose d’ennuyeux, difficile à
comprendre. Les enfants n’ont pas de réelles connaissances historiques et il ne s’agit donc pas
de se fonder dessus, mais plutôt de se servir de l’œuvre comme une source d’émotion, comme
d’un tremplin vers de nouvelles expériences. Les œuvres ouvrent des pistes, donnent accès à
cette sensibilité et, dans cette confrontation, les enfants peuvent trouver leur propres repères,
inventer des images, voir autrement.
©Centre Pompidou/J.C.Planchet
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Le sujet de la tête pose cette question de l’image qu’on a de soi, de l’autre, de l’image
perçue par l’autre. Un sujet qui fait écho au questionnement de l’enfant, qui participe de son
développement, de sa construction et qu’il s’approprie naturellement : « La tête, celles des
artistes mais aussi la mienne, celles de ma famille, de mes amis… celles que je connais,
reconnais… »
Un questionnement qui crée des liens et qui favorise un aller-retour entre les œuvres et
l’enfant.
Tout au long de l’exposition, on retrouve des dispositifs liés à l’image de l’enfant avec des
jeux de miroirs, fixes et en triptyque pour se voir sous toutes les coutures et faire l’expérience
du point de vue ou du cadrage. Autant d’expériences pour aiguiser leur regard, développer
leur sens de l’observation, enrichir leur vision d’eux-mêmes et du monde et les inciter à
regarder autrement les œuvres et la diversité des représentations de la tête.
©Centre Pompidou/J.C.Planchet
©Centre Pompidou/J.C.Planchet
©Centre Pompidou/J.C.Planchet
©Centre Pompidou/J.C.Planchet
Le dispositif « Toucher pour voir » se présente sous la forme d’une table tactile. Les
enfants s’assoient autour de cette table et glissent les mains dans les ouvertures pour toucher
les moulages dissimulés à l’intérieur de la table. Des mots de vocabulaires écrits sur la table
leur permettent de les aider à décrire ce qu’ils ressentent au bout de leurs doigts.
©Centre Pompidou/J.C.Planchet
Plusieurs sens sont sollicités. Le module « Détails » est, entre autres, un dispositif sonore.
Les enfants entendent des mots définissant des parties de la tête : mots d’argots ou mots
savants, expressions sur des parties de la tête ou un extrait de texte comme la tirade du nez de
Cyrano de Bergerac.
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©musée du Louvre/M.Chassat
©Centre Pompidou/J.C.Planchet
Le photomaton orange, ouvrant la deuxième partie de l’exposition, est un dispositif où
l’enfant met en scène sa propre image. Pendant qu’il entend le mythe fondateur du portrait
raconté par Pline l’Ancien dans ses Histoires naturelles, le jeune visiteur voit sa propre image
se couvrir d’argile tel le visage de l’amoureux de la fille du potier Butadès de Sycione. Le
jeune homme s’en allant au loin, la jeune fille veut garder en mémoire son image. On dit que
c’est le premier portrait.
©Centre Pompidou/J.C.Planchet
Dans la troisième partie, d’autres dispositifs mettent en scène l’enfant qui joue avec sa
propre image. C’est le cas par exemple de « Maquillage de lumières » ou d’un jeu de
transformation du visage : solarisation, pixellisation.
©musée du Louvre/CD
©Centre Pompidou/J.C.Planchet
©Centre Pompidou/J.C.Planchet
Des dispositifs vont aussi permettre de transformer, déformer leur image. En parallèle de
l’œuvre de Bacon, des grotesques de Smyrne, de la vidéo de Schmidt… les enfants sont
amenés à modifier leur propre image par un jeu de miroir déformant, par exemple…
Dans le dispositif interactif « Grimasque », créé par Alphastudio, on retrouve le travail de
l’expression du visage et la relation du visage au masque, en écho aux œuvres présentées dans
cette troisième partie. Des œuvres qui explorent les multiples expressions du visage humain,
8
véritable miroir de l’âme. Une occasion pour faire un travail sur le mime et exprimer ses
émotions, celles que l’on ressent ou celles que l’on « plaque » sur son visage.
La question des commentaires sur les œuvres est un sujet qui revient souvent et qui reste
ouvert. Les cartels des œuvres répondent à des codes de présentation dans les institutions et
doivent reprendre un certain nombre d’informations.
©musée du Louvre/M.Chassat
©musée du Louvre/M.Chassat
On retrouve donc sur ces cartels le titre, l’auteur, la matière, la date… Avec la réunion
d’œuvres de deux institutions couvrant des champs historiques très éloignés, la question de la
chronologie, du repère temporel nous a semblé importante. Il fallait rendre vivant,
compréhensible cette notion de temps et donc ramener ces indications à quelque chose que
l’enfant peut connaître, la durée.
On a proposé un petit « thermomètre » qui situe l’œuvre par rapport à l’enfant,
aujourd’hui, en 2006.
Telle œuvre a été réalisée, il y a 2 ans, 100 ans, 1 000 ans… une façon d’essayer de donner
à l’enfant une notion dans le temps de ces différentes œuvres.
©musée du Louvre/M.Chassat
On a aussi ajouté quelques cartels développés, une façon d’apporter une information sur
une technique, un matériau, de resituer l’œuvre dans son utilisation ou d’expliciter un titre…
pour des œuvres du Louvre qui font parfois référence à des divinités ou héros de la
mythologie dont les enfants n’ont pas forcément connaissance.
©musée du Louvre/M.Chassat
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Certaines informations écrites sont là afin qu’il n’y ait pas de confusion sur ce que les
enfants sont en train de regarder. Dans le cas du duo Brancusi et de la tête des Cyclades, il est
écrit : « 5 000 ans séparent ces deux œuvres ». Ces deux œuvres sont rapprochées
plastiquement mais n’ont pas du tout été créées à la même époque.
©Centre Pompidou/J.C.Planchet
D’autres informations écrites figurent dans ce parcours, comme les titres des modules qui
sont placés à hauteur d’adulte. Ce sont des textes courts, des mots-clés qui désignent les
modules et qui permettent de situer dans quelle zone de l’exposition le visiteur se situe et
quelle notion est abordée.
©musée du Louvre/M.Chassat
©musée du Louvre/M.Chassat
©Centre Pompidou/J.C.Planchet
Certains dispositifs sont accompagnés de textes qui sont là pour aider à la compréhension
d’une consigne, par exemple : « Viens jouer avec ton image. »
©musée du Louvre/M.Chassat
©musée du Louvre/M.Chassat
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Des fiches-jeu plastifiées sont à la disposition du jeune visiteur dans un présentoir. Chaque
fiche montre quatre détails différents d’œuvres présentées dans l’exposition. Le jeu consiste à
retrouver ces œuvres. La consigne passe par un texte très court.
©musée du Louvre/M.Chassat
Un tiré à part a été publié à l’occasion de cette exposition. Il s’agit de Mon Quotidien
des éditions Play Bac. C’est un petit livret distribué à l’entrée de l’exposition qui est un objet
à emporter chez soi, qui résume ce qui a été vu dans le parcours et les grandes notions qui y
sont abordées. Ce journal s’adresse aux enfants et emploie un vocabulaire adapté. Il est plutôt
destiné à être lu après la visite, en complément de ce qui a été vu dans l’exposition.
©musée du Louvre/M.Chassat
Une évaluation a été conduite pendant trois semaines sur cette exposition, à l'aide de
questionnaires, d'observations et d'entretiens auprès d'enfants et de leurs parents. Une analyse
des résultats a été faite. Il apparaît que le public est satisfait de cette expérimentation par le
caractère d’abord ludique de ce parcours. Cette étude témoigne aussi d'un partage très fort
entre les parents et les enfants. En revanche dans les 20 entretiens avec les enfants et les 20
avec les adultes, la notion d'apprentissage n'apparaît qu'en troisième position. Pour répondre à
certaines questions qui se sont posées en cours d’élaboration de ce projet ; par exemple la
place du texte dans ce type de parcours ; 40% des enfants, certes, lisent ou se font lire les
cartels, mais dans tout ce parcours, où les œuvres sont nombreuses, ils n’en lisent en moyenne
que 4 environ.
Enfin il est également satisfaisant que les enfants comprennent très nettement mais en
l’exprimant autrement, ce qui est de l’ordre des oeuvres et ce qui est de l’ordre des dispositifs.
Il reste néanmoins une question : les dispositifs sont plébiscités et les œuvres sont regardées
plus rapidement que ceux-ci. Le travail engagé se poursuit afin de faire en sorte que ce qui est
mobile, ce qui est coloré et insolite, ne « mange » pas définitivement les autres types
d’œuvres.
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DONNER A VOIR LES OEUVRES AUTREMENT ?
Récits d’expériences
L’ombre à la portée des enfants : une enveloppe sensible
pour éduquer le regard
Xavier Limagne
Commissaire d’exposition
Cité des sciences et de l’industrie, Paris
Philippe Leduc
Graphiste et scénographe, du groupe Lucie Lom
« L’ombre à la portée des enfants :
une enveloppe sensible pour éduquer le regard »
Xavier Limagne, commissaire d’exposition, Cité des sciences et de l’industrie, Paris,
Philippe Leduc, graphiste et scénographe, atelier Lucie Lom, Angers
CSI – Sophie Chivet
Xavier Limagne
D’où vient l’idée ? – L’idée d’Ombres et lumière nous
vient du Centre Pompidou, au départ d’une pratique de
la galerie des Enfants, de Janet Destailleurs qui était
l’amie d’Orna Cohen à la Cité des sciences. C’est
important de dire que les projets partent d’idées entre
les gens. J’ai ensuite porté ce projet d’exposition,
c’était évidemment un beau sujet. Mais entre une
simple idée : « Tiens, pourquoi ne pas faire une expo
commune sur l’ombre et la lumière entre Beaubourg et
la Cité des sciences ? » et le moment où l’on ouvre l’exposition, il se passe trois ans. Il
faut bien sûr être un peu têtu pour que ce genre d’idées aboutissent.
Les enfants chercheurs – Nous avons donc proposé une exposition art et science. Ce
qui m’a semblé précieux, c’était la pratique de départ avec les enfants. Nous avons
beaucoup entendu parler aujourd’hui du statut de l’œuvre d’art, mais ce qui m’intéresse
davantage, c’est la pratique, d’une activité artistique ou scientifique. Pour inventer,
trouver quelque chose. Si par exemple on joue d’un instrument de musique, on a plus de
chances de comprendre la composition et le contrepoint. La pratique éveille à la culture,
en tout cas c’est mon hypothèse. Personnellement, les arts m’amusent et j’aime essayer
de les « patouiller ».
Une exposition en deux volets – Nous avons
présenté une exposition Ombres et lumière,
avec un premier volet au Centre Pompidou, et
un deuxième à la Cité des sciences et de
l’industrie. Deux volets, c’est une chose
compliquée pour la communication, qui s’est
arrachée les cheveux. Ils nous ont demandé :
« Alors, d’un côté ce sont les sciences, et de
l’autre les arts ? » … Si vous voulez, mais dans
la réalité c’est plus compliqué que ça. C’est
vraiment ce qu’il peut y avoir de commun, avec
ce thème de l’ombre et de la lumière, entre les
arts et les sciences.
1
CSI – Lucie Lom
Un personnage de fiction – Nous avons imaginé un
personnage de fiction, Archibald Ombre. Le Centre
Pompidou a présenté Rêves d’Ombre, le premier volet, de
juin 2005 à janvier 2006, de monsieur Ombre ; c’est en
quelque sorte le lieu de son imaginaire. D’autre part, à la Cité
des sciences, nous présentons sa maison, son atelier. C’est
là qu’il est né, qu’il habite, qu’il vit, qu’il travaille. Cette
maison, un peu délabrée, il l’a sans doute héritée de sa
grand-mère Bianca, et il l’a transformée depuis son enfance
en maison des ombres. Il l’habite de manière fantaisiste et
baroque en la transformant au fil du temps en lieu incroyable.
Il a acheté et installé des œuvres, construit des expériences,
c’est un passionné, un « honnête homme » de l’ombre.
CNAC-GP
Intérêt d’une coproduction – On vient de le voir avec l’exemple de l’exposition Tête à
tête et c’est la même chose avec Ombres et lumière, c’est l’intérêt de monter une
coproduction. C’est une démarche enrichissante qui permet de voir son établissement
d’un autre œil. Je conçois des expositions depuis maintenant douze ans et ce qui
m’anime c’est d’essayer de ne pas toujours faire la même. Une manière de s’en donner
les moyens, c’est de décider de travailler avec d’autres, autrement, de se confronter à
d’autres pratiques. Que, d’une part, des gens de Beaubourg soient venus à la Cité des
sciences pour voir entrer et sortir à chaque séance des flux de 600 enfants, à une
échelle toute « industrielle » qui peut faire peur. Qu’ils puissent en même temps
comprendre que c’est grâce à ce fonctionnement, qui génère des ressources, que nous
avons la capacité d’investir dans un nouveau projet comme Ombres et lumière avec une
certaine ambition. Et que, d’autre part, la Cité des sciences assiste au déroulement des
ateliers de la galerie des Enfants avec des petits groupes d’enfants, qui reviennent
souvent plusieurs séances, ça a vraiment donné lieu à des échanges intéressants. Il m’a
semblé que ces approches complémentaires, et ce « trésor » de la galerie des Enfants
disposant de cette expérience pratique de l’ombre et de la lumière avec les enfants
pendant deux ans, constituaient un vrai capital.
Le sexe des expos – Voici, photographiées dans la
deuxième salle de Rêves d’Ombre, les personnes du
Centre avec lesquelles nous avons travaillé : Christine
Herpe-Mora, Janet Destailleurs et Marie-Claude Beck.
Et aussi, il n’est pas sur la photo mais il est ici dans la
salle, Boris Tissot, artisan du début. Il s’est retiré sur la
pointe des pieds pour porter un autre projet
d’exposition. Aura-t-il été effrayé par les trois muses
de l’ombre ? Nous savons que les expositions
destinées aux enfants sont souvent conçues par des
femmes. Avec Philippe Leduc et Marc-Antoine
Mathieu, nous nous sommes serré les coudes pour défendre aussi le point de vue d’une
écriture masculine. Une intervenante nous a présenté hier une étude de publics, qui
révèle que les pères en visite au musée avec leurs enfants semblent être de piètres
médiateurs. Peut-être simplement parce que nous choisissons de les laisser
tranquilles ? Je plaisante, mais je pense qu’il y a aussi une dimension masculine à
intégrer dans la conception des expositions destinées aux enfants. Dans la composition
générale du groupe de concepteurs, j’ai veillé à cet équilibre masculin/féminin. Au sein
de la petite équipe de commissariat d’exposition à la Cité des sciences, j’ai également
travaillé avec deux femmes, Perrine Wyplosz et Sophie Manoff.
Le programme commun – Revenons sur les objectifs du « programme commun », art
et sciences entre le Centre Pompidou et la Cité des sciences pour cette exposition en
deux volets. Évidemment, cela a fait l’objet de longs débats :
2
CSI – Bailly-Maitre-Grand
- « Utiliser l’ombre et la lumière comme outils de création et découvrir des artistes
contemporains travaillant autour de cette problématique. » La création, c’est aussi la
pratique avec les enfants. Nous sommes partis d’une matière élaborée avec eux. Il faut
rappeler que deux personnes de l’équipe du Centre Pompidou sont artistes par ailleurs,
Janet Destailleurs est photographe et Marie-Claude Beck est peintre. Bien sûr, quand
elles ont travaillé avec les enfants en atelier, elles ont mené avec eux une recherche
plastique originale. C’est ce que j’ai demandé à voir quand nous avons commencé à
concevoir l’exposition. C’est dans cette ligne que nous avons continué la conception, en
essayant de confronter, de faire cohabiter la pratique des enfants avec celle des artistes.
Nous avons recherché qui en photographie, en arts
numériques, en peinture, en sculpture, en bande
dessinée travaillait l’ombre et la lumière. Quels étaient
les autres artistes monomaniaques de l’ombre, comme
Archibald pouvait l’être. Nous n’avons pas demandé à
des artistes de répondre à des commandes, nous
sommes allés voir les gens qui par passion, par
nécessité, s’étaient exprimés sur l’ombre avec
différents médias.
- « S’immerger dans un univers poétique. » Nous avions la volonté de plonger les
enfants dans un univers poétique. Nous ne voulions pas d’abord « expliquer » l’ombre et
la lumière, nous voulions en donner une perception. Une exposition sur l’ombre où l’on
essaye d’apprendre à voir.
- « Inciter aux questionnements tant sur le plan scientifique, symbolique que
métaphysique. » L’ombre nous permet cette chose merveilleuse, parce que sa
perception en est subtile, de nous emmener tantôt vers l’imaginaire, tantôt vers le réel.
Tantôt « pour de rêve », ou tantôt « pour de vrai ». Cela s’explique par le fait que, du
passage de la 3D à la 2D, c’est-à-dire d’un objet en volume exposé à la lumière à sa
silhouette projetée, il y a une perte d’information que le cerveau interprète. On cherche à
reconstruire l’image, on se fait une idée consciente ou inconsciente de l’objet à l’origine
de l’ombre portée. Parfois on reconstruit l’image de façon imaginaire, parfois l’ombre
nous intrigue au point de nous faire prendre le temps de la comprendre rationnellement.
- « Donner des clés pour comprendre les phénomènes essentiels liés à l’ombre. » C’est
l’aboutissement de la démarche d’éducation du regard, après la sensibilisation au
thème, le moment de l’explication.
CSI – Lucie Lom
Archibald, esprit du lieu – En travaillant ce personnage de fiction, Archibald, avec
Philippe Leduc, et Marc-Antoine Mathieu, ils nous ont plutôt incité à l’atténuer, à le
représenter « en creux » pour stimuler davantage l’imaginaire des enfants. Le lieu révèle
Archibald, mais on ne le voit jamais plus que ce que vous pouvez entrevoir sur ce
portrait : un homme fuyant, un peu timide. Il reste insaisissable, cependant les enfants
l’imaginent ; sur le livre d’or à la fin du parcours, ils s’adressent à lui et nous disent qui il
est.
La théorie d’Archibald – Archibald a aussi la
prétention d’être un scientifique. Je voulais présenter
aux enfants le célèbre « théorème d’Archibald »,
référence à son confrère Archimède, mais les
conseillers scientifiques de la Cité m’en ont dissuadé.
Il y avait tout de même risque de confusion. Le
théorème a donc été « dégradé » en simple théorie,
une hypothèse de recherche dont Archibald poursuit
l’étude. Cette « théorie » résume de manière très
simple le propos de l’exposition : « Pour faire apparaître une ombre, il faut : une source
de lumière, un objet dans la lumière, et une surface sur laquelle on peut voir l’ombre. »
3
CSI – Sophie Chivet
Cela représente tout de même trois éléments en mouvement dans l’espace à se
représenter et à manipuler, quatre si l’on ajoute le point de vue de l’observateur. Il m’a
semblé que c’était tout à fait suffisant comme propos. Ensuite, on décline ce propos de
quarante manières différentes dans l’exposition, à l’échelle du corps, à l’échelle de petits
objets sur des tables, avec des objets du quotidien ou des jouets, de manière à
permettre aux enfants de se l’approprier par des manipulations concrètes.
L’ombre du corps – La première notion est de
s’approprier l’ombre au sol. Les gens qui nous ont aidé à
comprendre cette appropriation corporelle de l’ombre par
les enfants viennent du théâtre. Il s’agit de la compagnie
du Teatro Gioco Vita, implanté en Italie. Nous les avons
rencontrés à l’occasion de la Biennale de la marionnette à
la Villette. Ils sont spécialistes du théâtre d’ombre depuis
plus de vingt ans et ont l’habitude de sensibiliser les
enfants à l’ombre. Ici encore, le projet d’exposition se nourrit des pratiques de l’ombre.
Ils nous ont appris que l’ombre au sol était la première chose à montrer aux enfants.
Dans un deuxième temps, l’ombre du corps projetée sur le mur était déjà une ombre qui
raconte quelque chose, avec laquelle on s’invente des histoires, une ombre qui se
dédouble, celle d’un personnage qui échappe.
CSI – Jean-François Rabillon
Le parti de l’ombre – Nous avons choisi délibérément le parti de l’ombre plutôt que
celui de la lumière, un peu aveuglante. Car c’est d’abord une exposition pour apprendre
à voir, pour apprendre à regarder, pour aiguiser finement le regard. À l’époque de
l’image numérique, nous avons fait le choix d’une exposition « low-tech ». On est
vraiment avec juste une lampe de poche, un objet, on observe.
Mais la difficulté, et c’est le travail du début de
l’exposition, c’est de faire en sorte que les enfants
perçoivent effectivement les ombres, que l’ombre
devienne un objet, sans quoi il n’y a pas d’exposition.
De la même façon, il a fallu convaincre l’institution de
l’intérêt de ce parti de l’ombre, et de la richesse du
thème. À la Cité des enfants, on sait donner à toucher,
faire tourner des manivelles, mais l’ombre nous ne
savions pas comment la faire empoigner. Il fallait donc
apprendre à la regarder sans pouvoir la toucher, apprendre à verbaliser sa vision, mettre
des mots, conceptualiser ce que l’on voit pour échanger avec l’autre.
L’ombre est quelque chose d’universel. J’avais l’intuition que c’était comme l’eau ou le
sable, une source inépuisable de jeux pour les enfants.
Une scénographie d’ombres – La très belle scénographie de Lucie Lom n’est
finalement pas du tout celle que j’avais imaginée au départ. Malgré tout, c’est une
scénographie d’ombres. Quand on éteint le soir l’éclairage d’expo pour basculer sur les
fluos de ménage, il n’y a plus d’exposition, les ombres disparaissent. La scénographie,
sa déambulation ne tiennent que par les ombres.
L’ombre est une matière fragile, plus difficile à traiter encore que l’image vidéo projetée.
Il a été difficile de régler convenablement l’installation de toutes ces ombres dans
l’exposition, de déterminer la position précise de chaque source pour contrôler chaque
image, d’obtenir le bon cadrage, la bonne intensité, le bon contraste. C’est vraiment,
techniquement, un grand travail.
L’immersion dans un univers – Nous voulions plonger l’enfant dans un univers,
comme une enveloppe, un écrin, qui le rendrait sensible au propos et aux notions
intelligibles que, par ailleurs, nous souhaitions lui transmettre. Délibérément, il n’y a
aucune frontière entre les œuvres d’éclairage, les œuvres d’art ou les manipulations
4
interactives. Le sujet de l’exposition, c’est l’ombre, son expression, sa pratique. Voici
une vue du hall de la Cité des sciences, vaste aérogare. Vous voyez, quand on sort de
l’expo, de son ambiance particulière, on ressent une frustration, on quitte avec regret un
ailleurs où l’on se sentait bien.
Subtilité des ombres – Apprendre à voir c’est porter attention à ce que l’on voit. Il y a
peu de sujets en sciences qui permettent d’observer des phénomènes simples. L’ombre
et la lumière, c’est vraiment basique, mais du point de vue des perceptions visuelles
c’est vraiment très compliqué. En sciences, on a tendance à définir l’ombre de manière
théorique comme une absence de lumière, donc un noir absolu. Or pour l’humain, cette
situation théorique n’existe pas. Même la nuit, il ne fait jamais parfaitement noir. Quand
on commence à regarder, on se rend compte que l’ombre, c’est translucide, que les
valeurs ne sont pas homogènes, qu’il y a toutes les valeurs de gris, tous les gris colorés,
les dégradés subtils. C’est un truc incroyable, très complexe. Les éclairagistes le savent,
et Hervé Gary, avec qui nous avons travaillé, nous le disait : « Cela fait trente ans que je
suis avec les ombres, et je ne comprends pas toujours dans la rue quand je marche
comment elles se fabriquent, il y a toujours des cas qui étonnent. » C’est vraiment de
haut niveau, les ombres, une source inépuisable d’observation, à la fois sensible et
scientifique.
CSI – Lucie Lom
Le parcours initiatique – L’exposition est un parcours initiatique. Et comme il est d’une
certaine longueur, sur 700 m2, ça permet de construire une déambulation qui ménage
des surprises.
Au fil des pièces, les ambiances
scénographiques et l’activité physique
proposée à l’enfant sont différentes.
L’Entrée (1) et le Vestibule (2) sont des
sas de mise en condition. Le Grand
Salon (3) a pour mission de faire
comprendre à l’échelle du corps que
l’ombre est un sujet. Le Cabinet de
curiosités (4) présente des choses
étonnantes sur l’ombre, parfois vraies,
parfois fausses. Le Laboratoire (5)
constitue le cœur de la didactique
scientifique : on se trouve à l’échelle de
petites manips sur tables. Le Labo photo (6) évoque rapidement le domaine de la
photographie. La Cuisine (7) propose des expériences plastiques pour filtrer la lumière
et colorer l’ombre. La Serre (8) change d’échelle, avec l’ombre de la Terre et de la Lune,
éclairées par le Soleil. Le Jardin (9) et la Cour (10) sont des lieux qui incitent à la rêverie.
En résumé, au début on défoule le corps ; ensuite on surprend ; puis on demande un
moment d’attention plus intense à l’enfant. Dans la fin du parcours, on relâche la
pression, on se contente d’inciter à rêver.
Je vous trace l’itinéraire en accéléré. Nous n’avons pas le temps de nous y attarder,
mais je vous invite bien sûr à venir à la Cité des sciences ; l’exposition y sera présentée
jusqu’à l’été 2007.
L’ombre du corps – Un mot cependant pour le Grand Salon. Nous avons voulu que
cette pièce ressemble à une sorte de Gymnase Club de l’ombre. Ici, pour reproduire
l’ombre au sol dessinée sur le tapis, l’enfant doit retrouver la bonne posture. Si nous
avions demandé aux enfants de bouger dans l’espace sans le prétexte de l’ombre, cela
aurait été beaucoup plus difficile, mais ici ce n’est pas l’enfant qui fait le mouvement,
mais son ombre. C’est assez facile d’impliquer son ombre, ça n’engage à rien.
5
CSI – Sophie Chivet
Pour l’ombre au mur nous avons utilisé des œuvres multimédias. Ici Dominique
Pasqualini et le collectif MMM qui présente cette œuvre qui s’appelle l’Haptomat. Ça se
passe en deux temps, il y a d’abord une action, un geste qui porte ombre sur l’écran,
puis une restitution du geste de l’enfant au ralenti. L’enfant laisse une trace sensible,
son geste prend de l’ampleur. L’œuvre permet à l’enfant de s’essayer au mouvement, de
voir son geste magnifiquement « chorégraphié » par l’installation, l’incitant à renouveler
l’expérience.
Ici une autre œuvre, Central Mosaic de Scott Snibbe, où
chaque fenêtre représente l’ombre en mouvement d’un
visiteur, captée par la caméra. On peut voir l’intervention
des 50 derniers visiteurs passés devant l’écran. Le
dernier se trouve au centre en plus grand format. Scott
Snibbe habite en Californie. Nous avons travaillé avec
lui uniquement par email. Il est ensuite arrivé avec son
programme sous le bras une semaine avant l’ouverture,
c’était un peu risqué, mais cela a marché !
Ces dispositifs auraient pu êtres développés par le
département multimédia de la Cité des sciences, mais le
fait qu’ils soient proposés par des artistes leur donne une dimension sensible. Il ne
s’agissait pas de commandes, ce sont des gens qui travaillaient l’ombre avant nous et
qui continueront après.
CSI – Jean-François Rabillon
Ces deux œuvres acquises récemment par Archibald sont tout à fait « high-tech », mais
il y a des choses beaucoup plus simples dans cette même pièce, qui sont tout
simplement des ombres portées.
L’ombre sur table – Traversons à grands pas les deux
pièces suivantes, et arrêtons-nous autour de la grande
table du Laboratoire construite par Archibald pour
expérimenter l’ombre. Ici, les objets utilisés sont plutôt
des jouets d’enfants. Cinq poupées russes, par exemple,
installées en ligne sur un plateau tournant en face d’une
lampe. On peut voir les cinq ombres confondues en une
seule ou cinq ombres distinctes. Chaque manipulation
comporte une consigne, une explication et un dessin.
CSI – Jean-François Rabillon
Juste un mot de ce masque en fil. Il ne s’agit pas d’un Calder, donc on peut le donner à
toucher. Mais quand même, j’étais un peu agacé de le voir sans cesse de travers,
légèrement incliné sur le côté, toujours dans le même sens. Chaque fois que je passais
je le redressais. Mais il finissait par casser et il fallait le réparer très souvent, c’était un
peu fatigant. Et puis au fil des mois, on apprend à vivre en bonne intelligence avec les
enfants. J’ai interrogé un enfant qui m’a expliqué : « Il faut que l’ombre soit droite. » Et
effectivement, du fait de l’angle de projection, il fallait que le masque soit penché pour
que l’ombre portée sur l’écran soit verticale et bien cadrée. Cela me dérangeait un peu
de trouver le masque incliné, mais cet enfant m’a rappelé que nous étions dans une
exposition sur l’ombre !
Cuisiner les ombres – Un mot sur la cuisine, parce
qu’il s’agit d’expériences directement transposées de
ce qui avait été fait à la galerie des Enfants du Centre
Pompidou où les enfants avaient utilisé des ustensiles
de cuisine. Ici, Archibald a complètement transformé
tout ce qui pouvait servir à égoutter les nouilles, pour
filtrer la lumière. Il a installé ce petit théâtre d’ombres
devant la fenêtre de cuisine, avec comme accessoires
un presse-purée et une écumoire.
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CSI – Sophie Chivet
CSI – Jean-François Rabillon
L’ombre des planètes – Dans la serre, pour
représenter la rotation de la Terre devant la source de
lumière qu’est le Soleil, il y a tout simplement ce globe
terrestre qui tourne sur lui-même, posé sur un
guéridon devant la lumière d’un projecteur. On peut
voir beaucoup d’enfants qui semblent comprendre
pour la première fois par ce procédé très simple le
phénomène de l’alternance jour/nuit. Ils comprennent
que la Terre est ronde, avec la moitié de la surface
plongée dans l’ombre et l’autre exposée à la lumière. Les enfants l’avaient certainement
déjà entendu dire. Mais le déclic peut se faire ici parce que l’élément se trouve au bon
moment du parcours de l’exposition. Les enfants sont préparés par les salles
d’expositions antérieures ; ils ont alors toutes les chances de saisir le propos. Quand on
est comme ça plongé dans un univers sensible, ça aide à comprendre.
S’adresser aux enfants – Je peux faire une révélation maintenant que l’expo est
ouverte, qu’elle marche bien pour les enfants. C’est que, jusqu’à la veille de l’ouverture,
je me demandais si elle intéresserait les enfants. On a beau faire des tests préalables,
des prototypes, c’est seulement au moment où, comme quand dans un circuit d’eau en
plomberie, on met la pression, en l’occurrence quand on fait entrer un groupe d’enfants,
que l’on s’aperçoit si ça marche ou pas. Et si jamais
par malheur ils n’avaient pas vu l’ombre d’un bout à
l’autre de l’exposition… effectivement, ça aurait pu se
faire ! Parce que nous n’avons pas fait une exposition
pour enfants, c’est une exposition pour tout le monde,
qui peut amuser, intéresser, surprendre, enfants et
adultes. Et chaque semaine, dans le sac de Philippe et
Marco, je glissais un petit Post-it : « Penser à faire une
expo enfants », néanmoins. Parce que, quand même,
il y avait des questions de compréhension et de dimensionnement, des choix qui
auraient pu exclure les enfants. Mais nous n’avons pas fait une expo McDonald’s jaune
et rouge, et pourtant elle intéresse les enfants, parce qu’elle est complexe, parce qu’elle
a de l’épaisseur. Chaque type de public, enfant ou adulte, y trouve quelque chose, et les
uns à côté des autres, ils échangent.
Je passe maintenant la parole à Philippe, qui signe avec Marc-Antoine Mathieu la
scénographie de cette très belle exposition. Il va nous expliquer plus en détail la
démarche de l’atelier Lucie Lom pour concevoir, à chaque fois, des ambiances qui nous
touchent.
Philippe Leduc
Raconter une histoire – Je représente ici Lucie Lom, un atelier dont je fais partie avec
mon collègue Marc-Antoine Mathieu, deux hommes qui depuis vingt ans signent sous
une appellation féminine, Lucie Lom, pour brouiller les pistes, parce que nous aimons
bien raconter des histoires. Or une scénographie d’exposition, à la base c’est déjà
raconter une histoire. C’est se situer radicalement et de manière assumée du côté de
l’interprétation. Tous les sujets ne se prêtent pas à l’interprétation, je pense récemment
au musée des Beaux-Arts d’Angers qui nous a demandé de scénographier Niki de Saint
Phalle, je pense qu’il n’y a pas là d’interprétation et de commentaire superflu à faire de
la part d’un scénographe, que là on a davantage besoin d’une muséographie soignée.
Je distingue donc bien l’intervention du muséographe, et celle du scénographe par
l’interprétation du sujet que permet la scénographie.
7
CSI – Jean-François Rabillon
Les sujets gourmands – Notre intervention en tant que scénographes, part avant tout
de la gourmandise que l’on peut avoir pour un sujet : si un sujet nous inspire, nous parle
au point que l’on ait envie de le médiatiser, et d’être porteur de ce qu’il a pu nous
inspirer, de ce en quoi il nous a nourris, nous nous sentons alors en mesure de réaliser
une scénographie. C’est pourquoi nous avons répondu à l’invitation à la fois du Centre
Pompidou et de l’équipe de la Cité des sciences, pour réaliser ce travail sur l’ombre et la
lumière, qui par nature est un réel sujet qui se prête à la scénographie.
Pas d’expos pour enfants – Je vais revenir tout de
suite à l’histoire des enfants. Dans notre pratique, à
travers les quelques images que je vais vous projeter,
nous ne nous sommes pas déclarés, (même quand
nous nous sommes rencontrés avec Xavier)
spécialistes des expositions pour enfants. Nous
partons du principe que nous sommes en mesure par
une scénographie, dès lors que nous avons nousmême goûté et gourmandé le sujet, de toucher la
capacité à s’émerveiller, tant des enfants que des adultes. Et nous partons du principe
qu’il y aura vraisemblablement, au cœur de l’exposition, au cours de la visite, des
échanges fructueux, entre enfants, entre enfants seuls ou entre enfants et adultes, entre
familles, etc. Mais nous sommes, d’une manière générale et un petit peu rebelle, contre
le principe de ciblage qui est plutôt l’objet de la publicité. Nous sommes contre le
principe de ciblage et de spécialisation et des expositions formatées pour enfants qui
ressemblent à des jeux de Lego.
Lucie Lom – Jean-François Rabillon
Lucie Lom – Jean-François Rabillon
De la lumière – Nous sommes pour le mystère, et nous aimons cultiver cette idée que,
une exposition scénographiée, c’est aussi une question de lumière. Une exposition qui
dit tout, qui dévoile tout comme dans un supermarché, qui montre tout les objets de
quelque nature qu’ils soient, mais tous au même niveau d’éclairage, prive chaque
regardeur, chaque public, chaque individu, de sa lecture très particulière. Nous aimons
faire en sorte que les conditions d’éclairage, fassent en sorte qu’on puisse aborder les
choses intimement, recréer cette intimité que l’on peut avoir avec une œuvre.
Impressions polonaises – Ici c’est une exposition sur
l’affiche polonaise, c’est la première exposition que
nous avions scénographiée, en 1988 à Angers. Celleci a été faite avec peu de moyens puisque c’est une
exposition que nous avions portée nous-mêmes par
intérêt pour le sujet : les affiches polonaises. Nous
avions jugé qu’il n’était pas décent d’exposer ces
affiches les unes à côté des autres sur un mur blanc,
épinglées comme des papillons morts, alors que le
propre d’une affiche c’est d’exister dans la rue, et en relation avec une société et
l’histoire d’une société, en l’occurrence la Pologne des années 1940 à 1980. Nous
avions choisi c’était notre première exposition, de la scénographier pour faire ressentir
par ce climat lumineux, la bande sonore, etc., les liens que l’on peut trouver entre les
affiches et la culture dont elles sont issues. Une autre image, une autre vue de cette
exposition.
Opéra bulle – Ici c’est une exposition que nous avions
réalisée à Paris qui s’appelait Les Français en
vacances, c’était une expo très caustique à la Grande
Halle de la Villette, dans une opération qui s’appelait
Opéra bulle qui comprenait quatre volets dont nous
avions la direction artistique pour Les Français en
vacances, ou comment les auteurs de bande dessinée
regardent ce sujet. Nous avions recréé dans la Grande
8
Lucie Lom – Jean-François Rabillon
Lucie Lom – Jean-François Rabillon
Lucie Lom – Jean-François Rabillon
Halle 6 000 m2 de camping : les éléments qui sont symboliques d’un camping, les
éléments sur lesquels on peut raccrocher notre imaginaire et notre mémoire d’un lieu
comme celui-ci. Le sable, un bunker comme bureau d’accueil, et puis des caravanes,
l’intérieur d’une caravane, des objets ou des lieux qui sont propices à de petites
histoires, et des aventures personnelles. Chacun pouvant dans ce type de lieu, retrouver
ce qu’il a pu déjà vivre ou entendre dire sur le camping. Ici, une autre vue des sanitaires.
L’institution Fumetti – Voici une autre exposition, qui
s’intéresse à la bande dessinée Italienne des années
1950-1960. La bande dessinée Italienne, c’est Zambla,
Blek le Rock, etc., des petits fascicules qui
s’achetaient dans les gares. Notre propos n’était pas
de reconstituer, de représenter ce que l’on trouve déjà
dans ces bandes dessinées, mais plutôt de
s’intéresser à ce que le sujet peut évoquer au public.
Nos expositions fonctionnent comme un parcours dans
un film, avec un certain nombre d’impressions, un nombre de choses qui touchent les
émotions. Et là, nous avons imaginé recréer un dortoir, un dortoir un petit peu sinistre de
pensionnat, dans lequel on n’a surtout pas le droit de lire des bandes dessinées. Et on
se rendait compte, en se promenant dans ce dortoir, que les élèves supposés, il n’y a
jamais de représentation des élèves mais on suppose qu’ils ont dû quitter le matin leur
dortoir, que les élèves supposés ont caché des bandes dessinées dans les tables de
nuit ou dans les armoires, ou sous les couvertures. Et peu à peu, toutes ces petites
ruptures avec l’interdit rendent ce dortoir complètement onirique. On y voit des lits qui
passent au travers les miroirs, les chaises qui s’envolent, et au fil du parcours l’ordre
établi s’évader. C’était une expo très intéressante sur le rapport entre les générations.
Comment des gens qui avaient 70 ou 80 ans, qui avaient pu connaître ce type de
pensionnat, pouvaient aussi échanger avec des jeunes de 20 ans ou de 12 ans, parce
que finalement pour eux aussi ça existe toujours.
La bibliothèque – Ici, une exposition sur le
témoignage que portaient les auteurs de bande
dessinée en Argentine pendant la dictature dans les
années 1980, et comment à travers l’échange avec les
Espagnols et les Italiens, ils ont pu témoigner de ce
qu’ils vivaient. Là, c’était une expo dans laquelle le
public déambulait, voyait des livres qui sortent de
cages, sortent et vont à la rencontre d’autres livres. Le
public se promenait à l’intérieur de ce paysage, à
l’intérieur de cette image. Cela nous intéresse ici, et très souvent, de rentrer dans une
image, de donner d’abord une image, un cadre, quelque chose d’assez théâtral, et de
quand même pouvoir rentrer à l’intérieur, et là de pouvoir lire un certain nombre
d’images qui sont exposées.
Gare centrale – C’est le même principe ici pour une exposition
consacrée au roman noir, à Bastia. Je dois rappeler que ce sont
des expositions, tant la précédente avec les livres qui s’envolent
que celle-ci, pensées aussi pour les enfants puisque c’est le
cadre des Rencontres de bande dessinée de Bastia qui ont lieu
tous les ans. Depuis dix ans nous faisons des expositions làbas sur place, et nous avons pu en rencontrant comme ça
chaque année beaucoup de classes, beaucoup d’enfants qui
ont réalisé et visité toutes ces expositions, les questionner et
recevoir leur retour quelques années après. Voilà, j’en finirai
avec une dernière image, c’est la fin, voilà merci, j’ai fait un peu
court, mais je voulais laisser la parole à mes consœurs, merci !
9
DONNER A VOIR LES OEUVRES AUTREMENT ?
Récits d’expériences
Les expositions de la Youth Wing : une porte sur le musée
Nurit Shilo-Cohen
Conservateur en chef détaché à l’action éducative
Israel Museum Youth Wing, Jérusalem
The Exhibitions of the Youth Wing:
a Door to the Museum
Nurit Shilo-Cohen
Senior Curator-at-Large for Museum Education
The Israel Museum, Jerusalem
I am very happy and excited to be here and take part in this symposium, and would like to
thank you for inviting me.
In my talk I will first describe the setting of the Israel Museum and the unique role that the
Youth Wing has in it, then I will show some examples from our thematic annual exhibitions
and raise a few questions, and I will end with a five minutes film on one of our exhibitions
and its connections to the museum.
The Israel Museum in Jerusalem, which opened in 1965, is a leading cultural institution in
Israel. It is an international encyclopedic museum, containing collections of art, archaeology,
Judaica and ethnography. It sits on a hill, like an Arab village and can grow just like it; it has
more than doubled its size since it was opened.
1
The campus includes the Shrine of the Book, which
holds the Dead Sea Scrolls …
… and a sculpture
garden, designed by Isamu
Noguchi, with terraces
that allow the sculptures
to be seen against the sky.
We see it as a place for
people, for children aged
one to ninety.
The first area when you enter the campus is the Youth Wing. It
serves as the education wing of the museum, as an art school and
creates its own exhibitions for the whole family.
In many ways, it is a door to the museum.
Although the wing is only 10% of the total museum area, some
3,500 sq. meters, it attracts 50% of the total number of museum
visitors, 250,000 a year. Those visitors are welcomed by two friendly
figures standing on the roof, Musi and Musa,
driven from the logo of the museum, who characterize the role of the
Youth Wing: to add a smile to the seriousness of the museum, to make the
visit a fun and enjoyable one.
A seated sculpture of a human figure stands right at the entrance; it is
loved by everybody; it is at a child’s eye level you can see here a “tête-atête” experience.
By opening a friendly door to the museum experience, we feel that we
nourish museum literacy.
A hundred staff members work in the wing, including artists, educators, curators and
teachers, who are 25% of the museum staff.
The core of the Youth Wing is the annual thematic
exhibition. Our exhibitions always include original works of
art and artifacts from the museum’s collections, as well as
art installations especially commissioned by us from
contemporary artists. The works of art are exhibited right
next to interactive hands-on areas, and spaces where you
2
could make art. All together they create total environments, and make a gestalt.
We approach the themes of the exhibitions from many angles
and one does not leave the exhibition thinking, feeling, knowing or
experiencing the subject as before entering the show.
The subjects of the exhibitions are simple, they have included
themes such as: time, food, mirrors, boxes, hands, sports, earth and
more. Our next exhibition will open next month and it will be about
shadows.
In the Hands exhibition, for example, the first gallery was an
installation by Gary Hill, surrounding the visitors. The installation functions as an
experimental space for the visitors, young and old, the children use the projections to play
with, situate, or to compare the size of their own hands. It was also used as a performance
space. Is this Gary Hill experience in the Youth Wing context different from an
experience of the same work in a contemporary art museum or an art gallery setting?
We think it is.
The exhibition included hands-on areas where one could
experience and question how the hands work, by using
different handles, and more quiet areas, where one could sit
on hands and read about hands. We like to think of our
exhibitions as hands-on/minds-on experiences, is this
young visitor having a mind-on-hand, or a hand-onmind, or simply a hands-on-hand experience?
The exhibition Big and Small enabled the visitors to experience and learn about relative
size in works of art and with their own bodies. This huge Roman foot, from our archaeology
collection, does not look so big next to a Chuck Close painting, but to this young one it is
enormous. This same foot can be seen in a different context in an exhibition in the museum;
here you are not allowed to touch. Are we confusing our visitors by having a hands-on
space in hands-off conventional museum environment?
3
In the exhibition Mirrors the artist Dani Karavan was
invited to create an outdoor interactive sculpture, using
mirrors and olive trees, two of his favourite subject matters.
He used the olive tree that grows in front of the entrance to
the Youth Wing for this purpose. When children entered,
they were afraid to walk on it. When they left the
exhibition, after going through the whole experience, even
a class of very well-behaved girls from an Arab school in
East Jerusalem enjoyed passing over it.
The artist Yaacov Kaufman, who was also the designer
of the exhibition, created an homage to Brancusi, it could be
experienced in one way by young ones who gave it a closer
look, or in a different way when seen from a distance, the
mirrors reflected an illusionary effect of a real Brancusi.
In another area you could sit and draw your own portrait
looking in a mirror, another “tête-à-tête” experience.
This is the word “earth” in Hebrew dug into the lawn in front of the Youth Wing. The
exhibition designer and curator, Efrat Nathan who is an artist in her own right, made it. At
first it was a design statement, but as the months went by, and she took care of it, watered it
and trimmed it, she began to regard it as her own work of art, an earth-work, and a museum
label was added to it. When is a work defined as a work of art? What are the boundaries
between art and design?
Another interesting project in the same show was the
work of Micha Ullman, an Israeli artist who uses red sand
in his installations. In the project he did for the exhibition in
the Youth Wing, he wanted the children to touch it and play
with it, an approach very different from his usual one. He
told us that, in a way, working with us evoked the inner
child in him.
By coincidence, at the same time as the Earth exhibition, other works by the same artist
were exhibited in the contemporary art gallery of our museum. There, you were not allowed
to touch them; the artist wanted the surfaces of his works to stay very tidy and clean. I
wonder if we are confusing our visitors by letting them touch in one area of a museum
when most of the museum environment is a do-not-touch
one, a hands-off environment, or are we giving them an
added value? Will a child who saw, played and touched
a Micha Ullman in the Youth Wing always remember
this experience in association with this artist or will he
just remember it as a great indoor sand box experience?
In another part of the exhibition children could make
their own little works of art using red sand mixed with
4
water, which they used instead of paint.
In an outdoor yard, children and their parents created adobe houses all summer long, a
project conducted by Anat Hanes, an artist-teacher on our staff.
That same outdoor yard was used as a “shuck” (market)
in another exhibition, the Food exhibition. The next few
slides will demonstrate different aspects of the exhibition.
The entrance; an art workshop area, the recycling room,
where children and their parents create with ready-made
materials. The place was transformed to look like a
restaurant; some used it
as a place to eat real
food. They spent a long
time in the exhibition and got hungry; a big kitchen at the
entrance of the exhibition, where we held cooking
workshops with chefs for children and for adults; in the
kitchen drawers one could discover small works of art from
the museum’s collection; and, on the walls, some others.
The visitors could walk through the installation by
Dimitrivich, which included a work by Magritte, black hats and coats and many real apples.
Upstairs an Impressionistic picnic area was set, there one could dress up and play make
believe games for hours; a work of art done from candy by artist Michal Shamir, very
tempting and difficult to resist; a play area with Pop Art; a huge supermarket cart by artist Ido
Bruno which contains the annual food consumption of one person during one year. This
project provoked many discussions among the visitors not only about diets but also about
socioeconomic issues; a festival of cakes created by children and some costumes are more on
the light side.
In Sports, an exhibition that took place during the
Olympic Games in Athens, a Cor-ten track ran through the
whole exhibition.
A video installation by Buki Greenberg, which showed
an athlete’s long jump from screen to screen, attracted
young and old; the ping-pong tables with irregular shapes
by Ido Bruno were a challenge for the players, and also
raised questions about rules, and playing by them. On the walls there were works of art from
the museum’s collection, using balls. An interactive installation by a computer artist was a
real three dimensional computer game, the visitors were the players, the camera above read
the colors of the hats and the points were scored. This was enjoyed by kids and adults alike.
Children could experience riding a Greek chariot in another area.
In our recent exhibition, which was dismantled last week,
Books, a large tower of books, built by the Check artist
5
Matej Crane, was constructed from over 10,000 used books collected from local libraries.
When peeping into it and looking up or down, one got the feeling of an endless tower, from
the sky to the bottom of the earth, of course this is created by mirrors. A train is a place to
read books to pass the time, by having areas where you can sit and relax, we prolong the stay
in the exhibition, at the same time one can enjoy a projection of a video installation in the
windows, made by artist Ariel Efron, that was taken during a train ride from Jerusalem to Tel
Aviv.
Our special library of illustrated children’s books fits very well into the theme of this
exhibition, the different generations could easily interact there.
All the work does not happen by itself nor by little
dwarves at night. The staff, which makes all this come true,
some 100 artists, curators, educators, designers, teachers
and art historians can sometimes look like a happy family. It
is difficult to get everybody to be in one place at the same
time in order to have a group photo taken; in this one, taken
during the Hands exhibition you can see about half the staff.
In conclusion, I think we have to continually ask questions and evoke issues concerning
artists as well as museums. I believe that the way we tackle our exhibition subjects, and the
close work with contemporary artists, prepare our young visitors, and their parents, for a
greater intimacy with, and understanding of contemporary art, which is itself less defined
today and whose boundaries are now more diffuse and blurry.
We believe that these “hands-on/minds-on” exhibitions, which create total environments,
open a door to understanding art and enjoying the museum experience by creating dialogues
and triggering questions.
I will end this presentation with a short film, which was taken a few years ago, during our
exhibition about boxes. It speaks for itself.
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DONNER A VOIR LES OEUVRES AUTREMENT ?
Récits d’expériences
Quinze ans d’expérimentations orientés vers les jeunes :
quel bilan ?
Hélène Nadeau
Chef du service de l’éducation et des programmes publics,
musée des Beaux-Arts de Montréal
Quinze ans d’expérimentations orientés
vers les jeunes : quel bilan ?
Hélène Nadeau
chef du service de l’éducation et des programmes publics
musée des Beaux-Arts de Montréal
Transcription d’une conférence donnée au Louvre en mai 2006
Je me propose de survoler ce que nous faisons au musée des Beaux-Arts de Montréal en
termes d’expositions pour les enfants, ou plutôt pour les novices. Je commencerai en effet en
vous disant que nous n’organisons pas des expositions pour les enfants, mais pour les novices,
ces visiteurs de tout âge qui souhaitent ouvrir des portes, découvrir, apprendre, mais s’amuser
aussi !
Tout d’abord, le contexte : le musée des Beaux-Arts de
Montréal est un musée encyclopédique. C’est un des plus vieux
musées du Canada – je vous rappelle cependant que « vieux
musée » au Canada ne se compare pas à « vieux musée » en
Europe ; en fait le musée a été fondé en 1879, au cœur d’un
quartier qui pendant longtemps était appelé le Golden Square
Mile, quartier de riches anglophones à la fin du XIXe siècle. C’est un musée en multiples
pavillons. On a d’ailleurs encore un projet qui consiste à acquérir à côté une église pour la
transformer en pavillon d’art canadien. Nous avons des
collections encyclopédiques : art contemporain, art européen, art
canadien, une très importante collection d’art décoratif
historique, mais aussi moderne, avec
une grande collection d’objets de
design. Nous avons également une
collection
d’antiquités,
petite
comparée à celle du Louvre, et une bonne représentation des
différentes cultures du monde : salle chinoise, salle africaine, salle
islamique, œuvres de la période précolombienne.
Au service de l’éducation et des programmes publics, nous
travaillons essentiellement sur quatre axes très différents les uns
des autres.
Pour les organismes communautaires, le musée est fier de
grands projets de muséologie sociale que nous réalisons depuis
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sept ans, et qui consistent à offrir aux organismes communautaires
des activités éducatives et culturelles, dont je pourrais vous parler
longtemps, mais, comme ce n’est pas le sujet, je vous dirai juste
qu’on retrouve ces organismes dans les salles d’exposition, de la
même manière qu’on va y retrouver notre clientèle familles, notre
clientèle scolaire, et même quelquefois, incognito, notre clientèle
adulte.
Historique
Depuis le début des années 1980, le service de l’éducation réalise ce qu’on appelait à ce
moment-là des installations didactiques. Cela a commencé chez nous avec des panneaux sur
lesquels on collait des images et un peu de « Letraset », et on
travaillait souvent à côté des salles d’exposition, en offrant une
forme d’interprétation en annexe, et non pas dans la salle
d’exposition. Pendant très longtemps, nous avons été étroitement
liés à ce qui était présenté dans les salles. Cela explique que je
parle de quinze ans d’expérimentations, parce que, finalement, ce
n’est que depuis 1991 que l’on considère que l’on réalise vraiment
des expositions.
J’insiste donc beaucoup sur le fait que les destinataires concernés sont certes les enfants,
mais surtout les visiteurs novices. Vous le remarquerez, nous ne mettons pas en avant des
dispositifs qui seraient typiquement adaptés aux enfants mais nous sommes très concernés par
l’adaptabilité de l’exposition à toutes les clientèles : les enfants, bien sûr, mais aussi les
personnes handicapées, et les personnes âgées dans certains cas.
En 1991, au moment de l’ouverture de la nouvelle aile, le pavillon Jean-Noël Desmarais, le
service de l’éducation s’est vu doté de quatre magnifiques salles d’exposition, entièrement
sous notre responsabilité, et on nous a mandatés pour les animer par des expositions, avec la
limitation, aujourd’hui comme hier, de travailler essentiellement avec des œuvres de la
collection du musée, qui est le bassin où nous puisons pour nos
expositions. Nous y avons fait des expositions éducatives, des
expositions thématiques, des expositions qui accompagnaient les
expositions temporaires, des expositions pour les groupes
scolaires aussi, et c’est là que commencent les jeux et les bornes
informatiques, toujours autour de la même question qui depuis
quinze ans constitue le cœur de notre pratique en termes
d’expositions : « Comment le matériel éducatif et interactif peut-il aider le visiteur à
découvrir et apprécier les œuvres exposées ? » J’ai d’ailleurs participé à une session de
travail avec des collègues ici, et la magnifique exposition Tête à tête nous a encore une fois
confrontés à cette difficile réalité avec laquelle nous devons apprendre à travailler : les jeunes
sont profondément attirés par le matériel interactif. J’ai retenu que quelqu’un a dit hier : « Les
jeunes agissent, et vont penser ensuite. » Traditionnellement, les
adultes penseraient avant d’agir. Je crains de devoir dire que je ne
suis pas certaine de correspondre à cette description… Je retiens
que cette action que l’on pose avant une réflexion est une piste
avec laquelle on aime beaucoup travailler, que l’on veut
encourager. C’est une approche qui est très liée à l’instinct de
chacun et au désir qui nous habite d’explorer le monde qui nous
entoure.
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Pour nos expositions nous travaillons sur cinq pistes : on souhaite une mise en pratique de
concepts théoriques, une expérimentation personnelle, on veut encourager le visiteur à
développer une approche ludique face à l’œuvre d’art, on veut aussi évidemment fournir un
cadre de références socio-historiques pour l’approche de l’œuvre, et enfin rendre accessible
une documentation de base.
Je travaille dans un musée où, comme au Louvre et dans plusieurs grandes institutions, on
entre par un grand escalier magistral à colonnade. Il m’arrive de penser que cet escalier qui
annonce à tous qu’il s’agit d’un lieu important et sérieux est peut-être une des choses avec
lesquelles nous avons le plus de difficulté à composer. On aime bien que les gens aient du
musée une image plus conviviale, plus sympathique, tout simplement, et on souhaite que le
musée soit un lieu de vie, d’expérimentation, de mise en commun, de socialisation.
Quelques exemples d’expositions
Voici, décrites rapidement, quelques expositions que nous avons organisées. Vous
remarquerez une certaine évolution dans la scénographie des choses. On a pendant longtemps
été un musée très « pur » dans la présentation des objets, et je me rends compte, en regardant
les expositions éducatives, que cette tradition a tout de même perduré.
« Spectre de couleurs »
Spectre de couleurs était notre première exposition interactive, c’est d’ailleurs la
conception de cette exposition qui a valu au musée un prix au
Canada ; un peu à la façon des expositions de la Cité des sciences
ou d’autres expositions, on offrait aux visiteurs des manières de
découvrir la couleur. Ne cherchez pas les œuvres d’art, il n’y en
avait aucune dans cette exposition.
Alors, vous voyez, on est passés d’une étape avec des
panneaux, des installations éducatives à côté des expositions, à une deuxième étape
d’expositions interactives sans œuvres.
On a conçu plusieurs expositions à partir des questions des visiteurs. On a une activité
familles le dimanche, et un livre sur lequel les visiteurs peuvent laisser des commentaires, et
pendant longtemps on a invité les visiteurs à nous poser des questions. On leur disait en
quelque sorte : « Posez-nous des grandes questions sur lesquelles on va travailler ! »
Une question qui est revenue souvent, c’est : « Pourquoi créer des œuvres d’art ? », cette
grande question de la raison même de l’acte de création. C’était une exposition relativement
classique dans sa présentation, que l’on visitait une feuille à la main en répondant à un
questionnaire, et cela ressemblait étrangement à une enquête. On s’était donc calqués sur le
modèle de l’étude de comportements, sauf que nos visiteurs, avec cette étude d’enquête,
devaient parcourir toute l’exposition.
« Figures dans l’espace »
Avec Figures dans l’espace, en 1993, on voit apparaître un
amalgame entre des moyens didactiques, assez classiques, et des
œuvres ; vous noterez la présentation transdépartementale des
objets, qui est quelque chose que l’on a presque toujours fait. Il y
a six conservateurs au musée des Beaux-Arts. Les expositions
sont conçues sous la responsabilité du service de l’éducation.
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C’est en général moi ou un éducateur commissaire invité qui agit à titre de commissaire
général. Cependant notre collaboration avec les conservateurs est importante, ce sont les
spécialistes de l’objet, et ce sont souvent eux qui vont nous aider à repérer des objets qui vont
venir soutenir ou approfondir un propos que l’on souhaitait développer. Alors, de manière
générale, le travail de conception va se faire à partir d’un message, d’un contenu, qu’ensuite
on affinera en regardant le type d’œuvres dont nous disposons. Une des contraintes étant la
mise en valeur des collections du musée. Cette contrainte s’est aussi avérée une grande source
de créativité, car, avec notre collection encyclopédique de près de 35 000 objets, les propos
peuvent être soutenus très facilement.
« Processus de création »
Processus de création est une autre exposition qui répond à
une question des visiteurs, cette question mystérieuse de savoir
comment l’artiste fait pour créer. On n’y a pas répondu, on a fait
rebondir la question chez les membres du public, entre autres en
leur proposant des activités qui leur permettaient de s’interroger
sur leurs propres processus de création, avec en regard sur un mur
noir une grande série de textes, de citations d’artistes. On avait
donc sélectionné une variété d’œuvres et de citations d’artistes qui décrivaient rapidement
quels étaient leurs processus de création.
« Toucher du bois »
Toucher du bois suit une piste d’exposition tout à fait différente, beaucoup plus classique
et très technique. On est ici dans l’installation éducative très didactique, à la nuance près que
les gens pouvaient manipuler, ce qui chez nous est quelque chose qui est demeuré
révolutionnaire assez longtemps : cette idée que le visiteur puisse toucher ; même encore
aujourd’hui, cela pose des belles questions et suscite de belles discussions…
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« Images d’objets, objets d’images »
Images d’objets, objets d’images : une approche très « histoire de
l’art », une approche relativement didactique, un propos que l’on
souhaite transmettre, des questions que l’on souhaite renvoyer au
visiteur, des visites d’exposition que l’on souhaite sous forme de
dialogues.
« Secrets d’ateliers »
Secrets d’ateliers est une autre exposition qui part sur la piste des expositions plus
techniques. Là encore, c’est une question, ce sont des questions pour être plus exacte, de nos
visiteurs qui nous ont fait réaliser que tous ces matériaux, avec lesquels nous sommes si à
l’aise, sont quelquefois très peu « évidents » pour eux. Nous
avons voulu leur montrer les différences d’effets entre le pastel,
l’aquarelle, etc., d’une manière très simple, sans mélanger avec
d’autres éléments, comme le style ou la manière. C’est quelque
chose que nos visiteurs ont beaucoup apprécié. Dans la salle d’à
côté, il y avait évidemment une salle d’expérimentation où, après
avoir visité un espace qui présentait chacun des matériaux – je
vous avoue que ça ressemblait un peu à une salle de vendeur de matériaux d’art, ça en avait
un peu l’allure –, les visiteurs pouvaient rencontrer des éducateurs qui animaient des séances
d’expérimentation. Vous ne connaissiez pas le pastel gras, etc., vous aviez l’opportunité de
l’essayer.
Le Studio
En 2000, il y a eu de grands changements au musée. Pendant plusieurs années, le musée a
loué des espaces au musée des Arts décoratifs de Montréal, des espaces qui étaient à
l’intérieur du musée. En l’an 2000 la collection entière du musée des Arts décoratifs a été
donnée au musée des Beaux-Arts. Le musée des Arts décoratifs n’existe plus aujourd’hui que
dans l’histoire de Montréal, techniquement nous l’avons absorbé. Cela a amené un grand
réaménagement de nos collections pour bien mettre en valeur les quelque 5000 objets, entre
autres de design contemporain, qui sont entrés dans la
collection. Et à ce moment-là, quelques années après l’arrivée
de Guy Gogeval le directeur de 1998 à 2006, on en a profité
pour réorganiser les espaces et créer ce que j’appellerais un pôle
éducation jeune public. Donc c’est le service de l’éducation qui
a déménagé dans les espaces du musée des Arts décoratifs. Et
dans ce magnifique espace « ingrat », c’est la meilleure manière
de le dire, dans cet espace aménagé par l’architecte Frank Gehry, un espace spectaculaire qui
a toutes les apparences d’un atelier, beaucoup plus que celles d’une salle d’exposition, depuis
2001, on continue nos expérimentations, on continue de construire des laboratoires que nous
mettons à la disposition du public, toujours avec cette même liberté que nous explorons
depuis le début, avec tous ces laboratoires où nous expérimentons, où nous offrons des
possibilités, et où nous attendons de voir les réactions. Cet espace incite vraiment à l’action. Il
est très chaleureux pour les gens ; on souhaite s’y attarder, s’y installer. C’est presque
l’antithèse des grandes salles d’exposition majestueuses, il s’apparente à un endroit ou l’on
souhaite faire des choses.
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On y a alors créé le Studio, lieu de rencontres, d’accueil, de jeux, d’exploration, et
d’animation, qui est aussi un lieu d’où l’on part quand on veut visiter le musée.
On y a présenté l’exposition Toucher l’art, réalisée pour les
personnes aveugles. Dans cette aire d’exposition, on accroche
des œuvres de la collection, des expositions scolaires, des
expositions réalisées par nos organismes communautaires.
Mais à côté de cet espace-là, on a aussi installé en 2001 une
série d’ordinateurs avec une plate-forme informatique qui avait
été développée sur une base de simulateurs. Sur cette plateforme, les gens avaient accès à une série de jeux, qu’on pourrait qualifier de simulateurs –
c’est le meilleur descriptif – qui leur permettaient de découvrir un aspect du monde de l’art.
Mais c’était en 2001, et depuis le monde informatique a évolué à une vitesse telle que nous
nous sommes complètement retirés de cette approche, pour deux raisons. Premièrement parce
que les visiteurs nous ont clairement signifié qu’ils n’avaient pas besoin de nous pour faire ça.
La deuxième raison était un malaise ; on se trouvait très loin du monde de l’art, et on
souhaitait s’en rapprocher.
Depuis, on est revenus à des espaces interactifs manuels ;
ce sont maintenant des salles où, à partir des œuvres de la
collection, et toujours étroitement en lien avec les œuvres de
la collection, les visiteurs peuvent faire des activités. En
2003, cette zone devient ce que l’on appelle maintenant un
« expo-atelier », c’est-à-dire, comme son nom l’indique, une
exposition et un atelier dans le même lieu. Tous les ans, on
choisit un thème. Actuellement, c’est « Les objets », une thématique très large, mais
également classique en art, parce qu’évidemment qui dit objet dit presque nature morte, et
c’est une formule très ouverte avec des tables d’expérimentation et des vitrines où sont
exposés des objets, même s’il y en a aussi sur les murs. Ces objets sont les stimulants, les
déclencheurs à partir desquels les gens vont s’arrêter pour expérimenter en les regardant, en
s’en inspirant, en réagissant, tout simplement.
Un éducateur est là toutes les fins de semaine, qui circule dans la salle et propose aux gens
différents types d’activités d’expérimentation. Certaines
personnes y restent cinq minutes, d’autres deux heures ; on y
vient seul, on y vient en famille, on y vient une fois, on y vient
tous les samedis. On a une famille qui est là presque toutes les
fins de semaine. Ce sont d’ailleurs eux qui nous signalent qu’il
est temps de changer de thème… Ils m’ont téléphoné
dernièrement en me disant : « Et c’est pour quand le
prochain ? »… C’est vraiment un espace où, certes, les œuvres sont protégées derrière des
vitrines, mais où l’on s’installe, où l’on s’approprie.
Conclusion
On est donc revenus, avec le Studio, la zone pour les plus jeunes, qui établit un lien avec
les objets de design et d’art décoratif, à ce qui est le propre de l’œuvre d’art. On maintient une
approche que je qualifierais d’assez classique : l’œuvre d’art est issue d’un travail d’atelier, et
c’est cette notion que nous avons choisi de favoriser, de rendre accessible au visiteur, de
manière à faire en sorte que la personne qui visite le musée sente dans ses mains, dans ses
bras l’expérimentation qu’elle a eu l’occasion de réaliser et s’en aille ensuite dans le musée à
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la recherche de pastels, de gravures, avec une vision renouvelée et profondément enrichie par
une expérimentation très simple, très réelle et très… conviviale.
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