LES PREMIERS MÉHARISTES

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LES PREMIERS MÉHARISTES
LES PREMIERS MÉHARISTES
DE LA COLONIALE
dromadaires". Lorsqu'on saura que le laptot
était l'ancêtre du Tirailleur Sénégalais à une
époque ou l'Infanterie de Marine n'était pas encore devenue "La Coloniale", on admettra que
l'on puisse considérer cet officier de marine
comme le lointain père spirituel de nos méharistes.
Mais qui, le premier, créa une unité à dos de
chameau ? On cite le cas du lieutenant Wirth
de Ras-el-Ma qui, en 97, s'étant emparé de quatorze dromadaires, y jucha une partie de ses tirailleurs et entama une poursuite victorieuse ;
mais ce fut. je crois, le lieutenant de Gail qui,
en 1899, à Tombouctou, créa le premier peloton méhariste. Ce fait ne surprend pas, car les
militaires de Tombouctou étaient dans ce domaine, très en avance sur leurs camarades de
Mauritanie et du Tchad.
L
e récent séjour à Paris d'un peloton de méharistes venus du Sud-Algérien donner une touche d'exotisme africain aux Nuits de l'Armée, nous
a remis en mémoire les fêtes qui avaient eu lieu
à Ouargla eu 1953, pour marquer leur cinquantenaire, bien que ce
fut en 1902 qu'eut lieu la
création de trois compagnies sahariennes. Le
décret du 1er avril est leur véritable acte de
naissance.
Du coté Sahara Noir — que nous appelons ainsi parce qu'il se rattache à l'Afrique Noire -— il
n'y eut. pas d'acte de naissance, ce fut plutôt
une génération spontanée, répartie dans le
temps et l'espace, à l'époque où nos anciens
qui appartenaient encore à l'Infanterie de Marine, piétinaient en bordure sud du désert.
Dans ces régions sahéliennes on employait
alors les spahis sénégalais, non sans difficultés, puisque le brave dromadaire était souvent obligé de transporter la ration de mil du
cheval, son noble frère, voire même, en tonnelets, l'eau qui lui était nécessaire.
Le commandant Gillier dans son livre sur la pénétration eu Mauritanie, nous signale qu'en
1820, le capitaine de frégate Montgery faisant
relâche à St-Louis, écrivit ces mots : "II faudrait
former un régiment de laptots montés sur des
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Cette unité à chameau était montée par des
spahis et des auxiliaires ; elle faisait de faibles
randonnées et elle disparut rapidement, gardant
un titre de noblesse : la première reconnaissance d'Araouane. Puis le chameau fut adopté
dans les différents Territoires, au fur et à mesure des nécessités, parfois à l'initiative d'officiers entreprenants, mais, à l'origine, les unités
ainsi créées différeront des unités similaires
d'Afrique du Nord. Les chefs des troupes algériennes, en effet, utiliseront comme méharistes,
pour la pénétration, les populations blanches
des régions pacifiées, tandis que les Coloniaux,
au contraire, pacifiant d'abord des pays peuplés
de Noirs, ne pourront guère employer les Touareg ou les Maures qui ne donnent aucune garantie de fidélité. On essayera successivement des
goums de nomades, des partisans de races sahéliennes, des groupes entièrement sénégalais
niais, en gros, la pénétration, tout entière, sera
faite par des unités mixtes. Elles le resteront
malgré leurs détracteurs et l'histoire prouve
qu'il fallait qu'elles le soient jusqu'à nos jours
du moins. Maintenant que le désert est pacifié
et ses populations sûres, l'on peut enfin songer
à modifier prudemment l'ancien état de choses.
Passons rapidement sur la formation à Tombouctou en 1897. des chameliers du commandant
Klobb (dont les montures ne tardèrent pas à périr) destinés à l'escorte des convois et sur celle
des méharistes sénégalais de la Mission Joalland, dressés par le lieutenant Meynier qui avait
acquis de l'expérience à Bamba, en 1899. et arrêtons nous au capitaine Moll. Nous lui devons
les premiers renseignements sur l'origine des
méharistes.
1
Son élude, écrite à Zinder, datée du 1er avril
1901, est le résultat des deux ans et demi d'une
expérience commencée par conséquent en
1899. L'auteur nous dit "qu'ayant monté sa
compagnie sur des méhara, il a obtenu les meilleurs résultats. une mobilité extrême et un rayon
d'action considérablement étendu pour sa
troupe, ainsi qu'une indépendance complète
pour ses reconnaissances qui, emportant avec
elles eau et vivres, n'avaient plus à se préoccuper que dans une faible mesure, des ressources
des pays traversés".
Toutefois, en plaçant ses tirailleurs sur la bosse
d'un chameau, il n'a pas pensé en faire des méharistes dans l'acception actuelle du terme, qui
auraient toujours été inférieurs aux nomades ; il
a employé le chameau comme un moyen de
transport destiné à étendre son rayon d'action,
à augmenter sa mobilité et son indépendance et
à diminuer les fatigues et les privations de sa
troupe.
Nous relevons dans son étude que les officiers et
les sous-officiers seuls montent la rahla pour leur
prestige, mais la masse des tirailleurs monte
l'aouïa, bât aménagé confortablement.
dont on a affublé les cravaches et lanières qui
servaient, en divers lieux, à cingler les chameaux.
Détail piquant, les Tirailleurs montaient à méhari
au commandement : A cheval !
A
ussi étrange que cela puisse paraître à
première vue, e'est à un administrateur colonial
que nous devons les premiers méharistes de
Mauritanie. Officier en disgrâce, comme on le
verra, M. Theveniaut venu des méharistes du
Soudan commandait le cercle du Trarza en
1905, année où le ministre des colonies venait
d'admettre, en Afrique Noire, le principe d'unités à chameau. Il va employer son expérience
à la création d'unités méharistes dont le besoin se
fait durement sentir sur un territoire où lu pénétration pacifique vient d'échouer. Des essais satisfaisants sont tentés à Boutilimit en novembre
et décembre 1905. Dès le début de 1906 la 1re
section méhariste hors cadre officiellement
créée à Kroufa est confiée à l'adjudant Bovier
Lapierre.
Une seconde section hors cadre également,
formée l'année suivante, fut réunie à la précédente pour constituer le premier peloton, confié
au lieutenant Berger, de l'Infanterie Coloniale.
Cette unité, par dédoublement, en engendrera
une autre qui sera confiée au lieutenant Gouspy en
1907. pendant que le lieutenant Schmitt(1) organisera à Boutilimit la première section de tirailleurs
sénégalais méharistes.
A seize mois de la création des premiers méharistes. le bilan de ces trois unités sera : sept
mille kilomètres, neuf engagements, vingt reconnaissances ou tournées de police, aucun
échec.
Méhariste du Tchad (1925)
Il est dit, sur la monte, d'autres détails intéressants mais le plus curieux concerne à coup
sûr la choukroth tige de cinquante centimètres
munie d'un manche en bois et terminée en trident, dont on égratignait la peau de l'animal
pour l'activer. C'est sans doute la déformation
du mot choukroth qui a donné le mot chicote
Un tel succès devait conduire à la formation d'autres unités. Un quatrième peloton fut en effet
créé au Brakna sous le commandement du lieutenant Aubert et un autre, en 1908, au Tagant
sous les ordres du capitaine Georges Mangin,
frère du grand Colonial. Le 14 juin 1908 Georges Mangin qui avait fait une retentissante expérience au Zinder et au Tchad vit son détachement écrasé à El-Moïnan. Tué au combat, il
eut la tête tranchée. Un seul de ses tirailleurs fut
épargné par les Maures afin qu'il puisse aller annoncer la nouvelle aux Français. Les Télamides
lui attachèrent sur la tête celle du capitaine, lui
lièrent les mains dans le dos et l'envoyèrent
complètement nu vers Talmest où il fut recueilli à
demi mort d'épuisement et de frayeur(2).
Certains de ces pelotons, après le succès de la
colonne Gouraucl sur l'Adrar (1909) changeront de
zones de nomadisation.
—————
(1) Quelques années plus tard, le lieutenant Schmitt, avec une audace et un allant extrêmes, allait se transformer en un véritable explorateur du Rio de Oro et des régions au nord et au nord-est de l'Adrar atteignant Bir Moghrein (Fort Trinquet), explorations pour lesquelles
il obtint une médaille d'or de la Société de Géographie.
(2) Cf. "Autour du Capitaine Mangin" de Geneviève M. Wuillemin. Revue d'Histoire des Colonies -- Tome XXXVIII.
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2
Ou aura alors le peloton du Trarza, le peloton
d'Atar, le peloton de Chinguetti, celui du Tagant
et celui de Tichit. c'est-à-dire une implantation
qui ne recevra, jusqu'à la pacification, que des
modifications de détail, mais dont la composition et l'équipement seront améliorés après la
surprise de Liboirat (1913) et le combat de
Treyfia (1925).
Du côté du Soudan, mise à part l'expérience de
Gail, le lieutenant Jerusalemy fut le créateur en
1903 de la première section de tirailleurs méharistes. Cette unité qui n'avait aucun caractère légal, trouva vite à s'employer, en 1904, lors de la
première liaison avec les Algériens, à Timiaouine.
Dès que le ministre des colonies eut admis le
principe des unités méharistes, la 4e compagnie
du 2° R.T.S. stationnée à Ras-el-Ma devint compagnie méhariste, sous les ordres du capitaine
Gauvin, et utilisa les méharistes de Jerusalemy
qui lui étaient rattachés, mais eu 1906, le général commandant supérieur adopta le principe
d'une section méhariste par compagnie stationnée sur les confins sahariens. On eut ainsi, en
1908, cinq sections Kiffa. Ras-el-Ma, Sokolo,
Bamba, Gao qui furent bientôt transformées en
pelotons, lesquels, après divers changements
tendirent, comme ceux de Ras-el-Ma et Gao
vers leur implantation définitive — Oualata et
Kidal — lorsque nous eûmes pacifié ces régions.
Du côté du Niger, des méharistes officieux existaient au début du siècle avec le capitaine
Moll. L'histoire de la conquête mentionne leur
emploi dans des poursuites, des escortes ou la
pénétration. Ils provenaient d'unités d'infanterie,
dont les hommes étaient montés sur des chameaux pris aux Touareg ; on eut ainsi trois sections méharistes des cercles de Taboua, Zinder,
Gouré.
Comme le dit le commandant Gadel dans son
élude sur les méharistes de la Section ZinderTchad en 1906(1) où l'on relève, en passant,
que l'Européen peut monter à chameau, non
point pied nu, mais chaussé d'une légère botte
indigène en cuir souple, ayant un doigt pour
l'orteil, comme un gant, il devenait urgent de
fixer l'effectif de ces méharistes et celui des chameaux. Le 1er janvier 1907 ces sections furent
enfin créées officiellement ; elles formeront plus
tard les pelotons méharistes de Tahoua, d'Agadez
et de N'Guigmi.
A
u Tchad où nous étions fixés depuis 1900, date
de la chute de l'Empire de Rabah, nous n'avions pas
eu à utiliser le chameau du fait que nous avions réparti nos forces dans des postes autour du Lac,
dans une attitude plus défensive qu'offensive vis-à-vis
des tribus pillardes du Kanem, à l'exception des
spahis sénégalais au rayon d'action limité dans un
pays où les points d'eau étaient rares. La nécessité
de mettre les populations noires des régions sahéliennes à l'abri des incursions des Touareg, des Toubous et des Arabes, et bientôt le besoin de riposter
à ces raids, conduisirent le colonel Largeau à charger le capitaine Fouque commandant la 4° compagnie du "Régiment d'Infanterie Indigène du
Congo" alors stationnée à Fort Pradié (Bir Allali) de
créer une unité méhariste. La première sortie de tirailleurs à chameau date du 30 novembre 1902.
sous les ordres du commandant de compagnie. Ce
n'est qu'en janvier 1904 que le "Journal des marches et opérations" de la compagnie emploiera le
mot "méharistes" mais à cette date les Français
n'avaient pas encore été conquis par la monture
dégingandée et bossue, si l'on en croit le capitaine
Fouque, "Toutes les reconnaissances se font a
Partisans maures
cheval pour l'Européen, à chameau pour le tirailleur" écrivait-il alors.
Fort Pradié, puis Zigueï où le lieutenant-colonel
Largeau avait fait construire un poste, constituèrent les berceaux des méharistes du Tchad
dont il ne fut pas question de multiplier les unités
avant que nous n'ayons conquis le Borkou, le
Ouaddaï et l'Ennedi. Le peloton du Kanem
changea plusieurs fois de chef, au gré des relèves
coloniales. Le lieutenant Mangin, qui devait être
tué en Mauritanie, en fit une redoutable unité
méhariste et le premier monta très loin vers le
nord puisqu'il atteignit l'oasis de Faya le 28
mai 1906, randonnée d'une hardiesse étonnante.
—————
(1) Revue des Troupes Coloniales - 1909 2e semestre.
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Le capitaine Cornet lui succéda et le lieutenant Ferrandi vint après. Dans son livre sur le
centre africain français, cet officier, alors colonel,
nous dit que durant sept années, le peloton
méhariste du Kanem fut officiellement ignoré
au point de vue budgétaire.
Pendant ce temps nous progressions vers l'Est
créant des postes en bordure du désert. Le
capitaines Rivières, à Yao en 1905, monta
une opération avec une unité dont quarante
huit tirailleurs étaient à chameau et le capitaine Jerusalemy, ancien méhariste du Soudan,
effectua deux ans plus tard une opération avec
quatre vingt dix tirailleurs méharistes, de Bokoro au Mortcha, parcourant deux cents kilomètres en soixante heures.
Chacun connaît les grandes lignes de notre
expansion dans ces régions : notre appui donné
à Acyl, cousin du sultan du Ouadaï, Doud
Mourrah, contre qui nous luttâmes pendant dix
ans, progressant lentement vers Abéché que
nous prîmes le 2 juin 1909.
Quelques douloureux revers s'ensuivent : 4 janvier 1910 guet-apens de l'Ouadi Kadja où
meurt le capitaine Fiegenschuh, 9 novembre
1910, combat de Dorot où périt le lieutenantcolonel Moll. La colonne Moll comprenait
vingt-neuf chameaux de convoi que l'on fit
rentrer des l'alerte et qui contribuèrent à la
défaite. Alors qu'une horde de quatre mille
hommes se précipitait sur le camp, les chameaux défilaient devant la face menacée.
D'une voix calme le colonel ordonna de les
faire baraquer, mais les chameaux effrayés par
la fusillade, les hurlements, le canon, défoncèrent la zeriba d'épineux qui entourait le camp,
bousculèrent une section, affolèrent les chevaux
et mirent un désordre qui favorisa l'irruption de
l'ennemi.
Tombe des européens tués à la prise d’Ain Galakka en 1913
Le désastre de Dorot et la mort du lieutenantcolonel firent tant de bruit en métropole que
le gouvernement s'aperçut qu'un bataillon à
quatre compagnies tenait et conquérait un pays
aussi grand que la France ! Le régiment du
Tchad fut alors créé, pour être donné au colonel
Largeau qui faisait là-bas son troisième séjour.
C'est à ce moment, 1911. que fut formé à Arada (au nord d'Abéché) le peloton méhariste du
capitaine Arnaud bientôt suivi d'un second,
dont l'utilité se manifestera la même année
lors de l'opération du commandant Hilaire sur
l'Ennedi (combats de Sini et de Beskéré contre
les Senoussistes et les Touareg).
Les importantes modifications apportées aux forces du Tchad et à leur stationnement entraînent la première véritable ossature méhariste
qui, par la suite, devait se porter plus au Nord.
C'est ainsi qu'en 1912 le bataillon du Kanem à
quatre compagnies à Fort Lamy, Mao, Moussoro et Ati ; la compagnie de Moussoro comprend un peloton méhariste, celle d'Ati une
section méhariste et celle de Mao une section
rattachée à Ziguéi. Le bataillon du Ouadaï a
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une compagnie méharisle stationnée à Arada.
Les méharistes du Kanem devaient particulièrement se distinguer à la prise d'Aïn Galakka, le
21 avril 1907, parle capitaine Bordeaux, au second combat d'Aïn Galakka de septembre 1908
où le capitaine Cellier échoua contre une garnison
de cent vingt Sennoussistes, et enfin, à la prise
définitive de leur Zaouïa en novembre 1913,
par la colonne Largeau qui poussa jusqu'à Gouro
et Ounianga. Il ne restait plus qu'à créer des
postes et à assurer la liaison entre l'Ennedi et
le Borkou puis le Tibesti où la colonne Löffler
avait occupé Zouar en juin 1914. Le lieutenant
Dufour, le capitaine Lauzanne et le commandant
Tilhio furent les principaux artisans de cette
conquête.
A
insi, lentement, au cours des années, un
grand nombre d'initiatives, coordonnées de façon parfois lointaine par le haut commandement, se manifestant sur la rive sud du Sahara, entre l'Atlantique et le Soudan AngloEgyptien, c'est-à-dire dans des unités dispersées sur une distance de deux mille cinq cents
4
kilomètres, ont conduit l'outil méhariste colonial
vers son sommet.
Né sous forme de petits groupes de nomades
ou de sections de Noirs, il devint rapidement le
Peloton Méhariste dans lequel entraient environ
un tiers de sahariens pour deux tiers de tirailleurs et il engendra, en 1926, les fameux Groupes Nomades composés d'un goum entretenu
par le budget local, d'une section de mitrailleurs et
d'un nombre variable de sections de fusiliersvoltigeurs. En 1928, conséquence des progrès
de la radio et des enseignements du combat de
Treyfia, ils furent dotés de postes émetteursrécepteurs E 16 nécessitant pour leur transport
une demi-douzaine de chameaux.
Des postes E R 26 à ondes courtes vinrent remplacer ces encombrants engins en 1930.
L'actuelle organisation est différente de celle de
ces Groupes Nomades qui ont achevé la pacification du Sahara. Des pelotons méharistes
comprenant une section de commandement,
une section méhariste et un goum dépendent de
Compagnies Sahariennes Motorisées composées
elles-mêmes de deux pelotons de FusiliersVoltigeurs et d'un peloton de mitrailleurs et d'engins(1).
Ces unités modernes sont séparées des méharistes de Klobb, Meynier, de Gail, Moll et Fouque par plus d'un demi-siècle.
Durant cette longue moisson d'héroïsme, nous
sommes constamment restés au contact des
nomades, ennemis d'abord, puis soumis. Ils ne
nous gardent pas plus rancune de nos coups,
que nous n'en gardons des leurs. C'étaient de
beaux adversaires mais qui ne comprenaient pas
pourquoi noua interdisions les pillages et la
traite des esclaves. A nos côtés ou face à nous,
ils nous ont vus à l'œuvre, ils nous ont estimés et
il est certain qu'en beaucoup d'endroits, les méharistes qui ont conquis le désert ont en même
temps conquis des cœurs.
Pendant ces conquêtes se confirmaient chez les
soldats noirs dont nous tentions de faire des nomades, des vertus de fidélité, de dévouement et
de courage, et l'attachement réciproque se forgeait. Comme disait à son chef, non sans orgueil, un Sénégalais du début du siècle, le
Français est le premier des Blancs, le Soudanais
le premier des Noirs.
La corvée d’eau. Adrar 1928
Chez les Européens, ce demi-siècle d'apprentissage permanent (au prix de quelles hécatombes de chameaux !) révèle une accumulation de
privations, de fatigues, de souffrances et d'abnégation, en un mot un idéal qui dénote un déploiement constant de qualités éminemment
françaises : le courage, l'endurance, l'initiative et
le dépassement de soi. Le Sahara s'avéra une pépinière de braves au point qu'en passant en revue les noms des méharistes d'antan on pourrait y relever des dizaines de véritables héros.
—————
(1) Les liens de stationnement de ces unités sont :
1° En A.O.F. :
à Atar la C.S.M. n° 1 avec le P.M. d'Atar et le P.M. de Chinguetti.
à Nioro la C.S.M. n° 2 avec le P.M. du Hodt.
à Tombouctou la C.S.M. n° 3 avec le P.M. d'Araouane.
à Gao la C.S.M. n° 4 avec le P.M. du Timetrine.
à Agadez la C.S.M. n° 5 avec le P.M. de l'Aïr.
à N'Guigmi la C.S.M. n° 6 avec un P.M. au nord du Tchad.
2° En A.E.F. :
à Abécher, les 1er et 3e C.S.M.
à Largeau la 2° C.S.M. et la 6° C.M.T.C. avec le groupe nomade du Borkou-Tibesti.
à Fada, la 7° C.M.T.C., avec le groupe nomade de l'Ennedi.
à Zouar, la 8e C.M.T.C.
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A
rrêtons nous au souvenir de l'un d'eux et écoutons — nous sommes en 1908 — le lieutenant
Vallée parler de son chef le capitaine Grosdemange : "Un jour, qu'il avait l'ait comme d'habitude, cinquante kilomètres à pied dans la nuit
précédente pour s'entretenir physiquement
dans la pratique de l'effort, le capitaine me racontait sa vie. Nous étions couchés côte à côte
sous la tente et des rafales brûlantes nous poussaient du sable sans trêve dans les oreilles, dans
les yeux, dans la bouche — "Moi, voyez-vous,
me dit-il en guise de conclusion je trime inutilement. Au Soudan comme en Indochine, au Sahara comme au Tchad je suis arrivé trop tard
pour me battre. Je suis foutu de crever dans
mon lit comme tout le monde !"
eut le pied gauche fracassé mais continua à
commander. Il reçut une deuxième balle qui lui
brisa la colonne vertébrale et, comme le combat
tournait mal, il engagea, par deux fois, son lieutenant à l'abandonner et à se replier sur son convoi.
Il poussa l'héroïsme jusqu'à plaisanter sur ses
blessures, puis, se voyant mourir, il exprima le
désir de reposer à Tombouctou. Exaltés par son
attitude, ses tirailleurs réagirent contre l'ennemi
mordant qui dut reculer et l'on put écrire(1) que
ce fut vraiment la grande âme du capitaine
Grosdemange qui avait vaincu à Achorat.
Comme tant d'autres qui l'avaient précédé, et
tant d'autres qui devaient suivre son exemple,
son destin n'avait pas été de mourir dans un lit,
comme tout le monde.
Le capitaine méhariste Grosdernande n'acheva
pas son séjour. L'année suivante, à Achorat, il
Lt-Colonel Guy LE RUMEUR.
Le premier méhariste sénégalais
(Almanach des marsouins 1896)
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