dans la sociologie culturelle états-unienne
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dans la sociologie culturelle états-unienne
Repenser la « critique » dans la sociologie culturelle états-unienne : une alternative pragmatique à la « démystification » Paul Lichte rman Jusqu’à récemment, la sociologie états-unienne a défini la critique sociale principalement en termes de démystification. Certains sociologues, qu’ils soient ou non marxistes, pratiquent cette démystification dans l’esprit de la critique immanente promue par le marxisme. D’autres se sont inspirés de l’implacable stratégie de « démystification » de Pierre Bourdieu. Ces deux modes de sociologie critique s’écartent des interprétations que les individus donnent eux-mêmes de leurs actions, et expliquent celles-ci par des relations sous-jacentes de domination. Lorsqu’il s’adresse à un large public, au-delà du monde universitaire, le champion de la critique immanente espère que ses explications « élèveront » la conscience des individus et qu’ils seront ainsi amenés à comprendre correctement leur place dans la structure sociale et dans l’histoire. De son côté, le champion du « militantisme scientifique » de Bourdieu veut aider les individus à objectiver leur propre situation sociale, afin qu’ils acquièrent une vision réaliste des actions qui sont possibles eu égard à leur position dans les champs sociaux. Deux évolutions récentes de la sociologie états-unienne contribuent au développement d’une vision différente de la critique. L’une d’elles est l’essor fulgurant de ce que les Américains appellent désormais la « sociologie culturelle ». L’autre est le regain d’intérêt pour les écrits du philosophe pragmatiste John Dewey (Dewey, 1922, 1927 ; Joas, 1996 ; Westbrook, 1991) et, malheureusement dans une moindre mesure, de Jane Addams (2002). Cet article rassemble ces traditions intellectuelles disparates au service aussi bien de la critique sociale que des sciences sociales. Il constitue une invitation à une « sociologie culturelle pratique ». On peut établir un parallèle entre cette association d’une sensibilité à la culture et d’une approche pragmatiste, et T R ACÉS 1 3 2 0 0 7 /2 PAGES 7 3 -8 9 PAUL LIC HT ER MA N la sociologie pragmatique française (Boltanski et Thévenot, 1991 ; Thévenot, 2007), bien que cette dernière ne fasse pas appel à la notion de culture. Il est possible que les sociologues américains ressentent une nécessité bien plus pressante de prendre position en faveur de l’étude de la « culture » que leurs homologues français, et ce pour des raisons ayant trait à l’histoire intellectuelle, que je mentionnerai brièvement plus tard. J’affirme cependant que les concepts développés par la sociologie culturelle américaine sont des outils précieux pour tout esprit critique, par-delà même leur utilisation dans les débats sociologiques états-uniens. Pour une sociologie culturelle pratique, la critique ne signifie pas la démystification ou la correction des pratiques quotidiennes. Elle consiste plutôt à accroître la capacité des acteurs à tenir des conversations critiques et réflexives sur ce qu’ils font ensemble, dans l’esprit de cette communauté, imaginée par John Dewey, qui s’interroge, se donne des exigences et se transforme elle-même (Dewey, 1927 ; Stavo-Debauge et Trom, 2004). L’objectif est de produire, dans le domaine des sciences sociales, un savoir qui aide les citoyens ordinaires à réfléchir de manière critique sur leurs projets civiqueset les rend sensibles à l’écart entre les aspirations et les pratiques. Pour comprendre de quel type de savoir en sciences sociales il s’agit, nous devrons tout d’abord examiner la fascination qu’exerce, depuis une période récente, la notion de culture dans la sociologie américaine. Puis nous pourrons explorer la direction pragmatique que prend actuellement un pan de la « sociologie culturelle » américaine, tirant nos exemples de recherches sur la vie civique aux états-Unis, et mettre cette approche en contraste avec la stratégie de démystification. L’expansion du concept de « culture » aux états-Unis : de Durkheim à Dewey Les promoteurs de la « nouvelle sociologie culturelle américaine » (Smith, 1998) se sont délibérément inspirés de plusieurs universitaires européens du xxe siècle tels que Ricoeur (1981), Levi-Strauss (1966) ou Durkheim (1996 [1915]). Cette nouvelle discipline définit la culture comme des modèles schématiques durables de symboles et de significations qui organisent la façon dont les gens parlent et pensent. Ces modèles schématiques exercent leur propre influence sur l’action, et ne sauraient être entièrement réduits aux relations sociales de domination et de subordination. Dans cette optique, la culture n’appartient pas nécessairement à un groupe, une communauté 74 RE P E N SE R L A « C R I T I Q U E » ou une nation spécifique. On trouve potentiellement dans une société de nombreuses cultures ou sous-cultures – certaines plus répandues et plus puissantes que les autres – qui ne sont pas un simple calque des classifications sociales, qu’elles soient ethniques, religieuses ou linguistiques. Si cette idée de la culture peut sembler abstraite ou énigmatique, et étrangère en dépit de ses racines européennes et souvent mêmes françaises, c’est qu’elle est le produit du milieu intellectuel qui nourrit la sociologie américaine. Jusqu’aux années quatre-vingt, le courant dominant de la sociologie, prudemment ancré dans l’empirisme, tout comme les sociologies critiques, regardaient la culture avec mépris, pour des raisons propres à chacune : pour le courant dominant, la culture était un objet trop vague ou trop métaphysique pour la recherche sérieuse en sciences sociales. Les chercheurs qui prétendaient étudier la culture enquêtaient sur les attitudes des individus dans leur vie privée ou sur leurs « valeurs » (Almond et Verba, 1963). Pour les penseurs plus radicaux, l’intérêt majeur de la culture résidait dans sa fonction idéologique de dissimulation ou de déformation de la vérité de la domination de classe. Donc la bonne sociologie pouvait soit éviter la culture, soit la pénétrer et la disséquer. En cherchant l’inspiration du côté des sciences sociales européennes, les sociologues américains ont pris les modèles schématiques symboliques de plus en plus au sérieux, comme des réalités sociales que nous devons comprendre plutôt que neutraliser. C’est ce qui fait la « nouveauté » de cette sociologie culturelle dans le contexte états-unien. Beaucoup de ces sociologues de la culture cherchent des modèles schématiques symboliques dans des vocabulaires partagés ou dans des récits à caractère moral. Dans toute société, les gens disposent de relativement peu de vocabulaire ou de récits pour donner sens à leur identité collective, ou pour formuler leurs intentions particulières à l’aide de mots et d’histoires que les autres peuvent comprendre facilement (Wuthnow, 1992). Par exemple, lorsqu’ils discutent entre eux, les Américains disent souvent que c’est bien de participer à la vie civique locale parce que « nous renvoyons l’ascenseur à la communauté qui nous a soutenus », ou parce que « ça fait tellement de bien d’aider les autres », ou parce que « j’accomplis l’œuvre de Dieu ». Ce sont ces répertoires lexicaux que les sociologues américains appellent « culture », pour insister sur le fait qu’il ne s’agit pas seulement de combinaisons de mots arbitraires ou originales, mais que de nombreuses personnes les reconnaissent et les utilisent, et qu’elles ont une structure prédictible. Plusieurs millions d’Américains sont bénévoles dans des associations civiques, et pourtant il n’y a qu’une demi-douzaine de façons communes d’expliquer pourquoi faire 75 PAUL LIC HT ER MA N du bénévolat est une bonne chose (Wuthnow, 1991). C’est comme cela que fonctionne la culture. Cependant, les sociologues américains affirment de plus en plus que nous devons étudier la manière dont les individus utilisent leurs répertoires lexicaux et narratifs pour résoudre des problèmes dans différentes situations quotidiennes. Cela implique d’aller par-delà ces répertoires et d’observer la culture en mouvement. Lorsque les gens mettent ces histoires à l’épreuve de la pratique, ils doivent coordonner ensemble leur action, et j’ai constaté à de nombreuses reprises que les groupes s’installent dans des styles d’action qu’ils tiennent pour acquis la plupart du temps. Les pragmatistes, qui donneraient probablement à ces styles le nom d’« habitudes » (Dewey, 1922), ont suggéré que dans une société vraiment démocratique, les gens mèneraient une réflexion sur leurs habitudes et les modifieraient à la lumière de découvertes nouvelles et de relations nouvelles (Addams, 2002 [1902], Dewey 1922, 1927, 1939). Je considère que ces habitudes sont « culturelles » et les appelle « coutumes » (Lichterman, 2005) parce que des recherches sur la vie de groupe ont montré à de nombreuses reprises qu’elles sont significatives, régulières et souvent durables plutôt que constamment réinventées. Certaines coutumes civiques ont une très longue histoire et font partie de la culture politique des états-Unis (Lichterman et Cefaï, 2006). Les gens les soumettent rarement à examen, même lorsqu’ils sont critiques à l’égard du monde social. Elles sont simplement « la façon dont nous faisons les choses ici ». En mettant en lumière ces styles coutumiers d’action et en fournissant aux gens un langage dans lequel ils peuvent en discuter, le sociologue culturel espère aider les citoyens à mener, par la discussion, la critique de la relation entre leur répertoire lexical et narratif et leur action – même si, bien sûr, nul ne peut jamais formuler toutes les significations potentielles de son action. Cet article se concentre sur le problème de la création de relations civiques,qui intéresse de nombreux chercheurs en sciences sociales et auquel font également face de nombreux Américains qui parlent constamment de « construire la communauté ». Ce problème ancien a pris une urgence nouvelle pour les associations civiques à caractère religieux que j’ai étudiées dans la ville de Lakeburg, dans le Midwest. Ces associations, liées à des églises1, voulaient réagir aux changements drastiques survenus en matière de politique d’aide sociale en 1996, et qui 1 76 Près de la moitié des associations de bénévoles aux États-Unis sont liées à des églises ou à des institutions religieuses (Putnam, 2000). Les associations religieuses y sont considérées comme des associations civiques parce qu’elles fonctionnent de manière identique et que la participation à des activités à caractère religieux a toujours été bénévole et indépendante de l’État. RE P E N SE R L A « C R I T I Q U E » limitent à un maximum de cinq ans l’assistance financière (les « allocations ») fournie par le gouvernement fédéral à tous les citoyens des états-Unis. Les associations espéraient qu’en créant plus de liens sociaux entre les églises, les services sociaux et les personnes à faible revenu (« renforcer la communauté »), elles pourraient contribuer, ne serait-ce qu’un peu, à pallier le retrait de l’état. Peu de membres de ces associations approuvaient ces nouvelles politiques, mais ils se disaient décidés, en tant que citoyens et en tant que croyants, à faire quelque chose face aux conséquences effroyables des réformes sociales. Pendant trois ans, j’ai observé ces associations et participé à leurs activités en tant qu’ethnographe (Lichterman, 2005). Dans la plupart des cas que j’ai étudiés, les membres des associations n’ont pas réussi à créer les nouvelles relations civiques qu’ils désiraient, en dépit de la coopération des services sociaux. Cet échec est en partie dû à l’incapacité des membres de ces groupes à discuter de leurs relations avec d’autres associations ou avec les services sociaux de manière réflexive et critique vis-à-vis d’eux-mêmes. Ils mettaient en œuvre des styles d’action qui « se solidifiaient en coutumes et habitudes », comme l’aurait dit Jane Addams (2002 [1902]). La sociologie culturelle offre les outils qui permettent d’étudier ces coutumes. La méthode Les coutumes qui nous intéressent ici sont celles qui donnent aux groupes des moyens routiniers de se coordonner et de définir ce que signifie l’appartenance au groupe, lorsqu’il est actif 2. Habituellement, les groupes tracent des frontières entre eux-mêmes et d’autres entités sur une carte sociale imaginaire ; ils maintiennent des liens qui définissent les obligations d’un bon membre envers le groupe ; ils observent des normes langagières, qui définissent les significations que prend la parole en leur sein. Il existe différents ensemblesde coutumes qui permettent la préservation d’un groupe – toutes les frontières ne sont pas semblables, par exemple. Les sociologues découvrentles coutumes de manière inductive, par l’ethnographie, parce que celles-ci étant des styles implicites de coordination des actions, les gens ne seraient pas en mesure de parler clairement des coutumes lors d’entretiens (voir par exemple Eliasoph, 1998 ; Lichterman, 1996, 2005 ; Faucher-King, 2 Voir Eliasoph et Lichterman (2003) pour un guide de l’étude des coutumes dans les interactions quotidiennes. Ils nomment ces coutumes « style du groupe ». J’emploie ici le terme « coutumes » au lieu de « style du groupe » pour signaler plus clairement le lien avec la pensée pragmatiste. 77 PAUL LIC HT ER MA N 2005 ; Mische, à paraître). L’identification des coutumes est un acte d’interprétation. En prêtant une oreille attentive et en participant aux activités des gens qu’il étudie, l’ethnographe apprend ce que c’est qu’être un bon membre du groupe. Ce qui permet d’identifier le plus facilement les coutumes d’un groupe, c’est lorsqu’un individu les viole, ce qui arrive fréquemment (Goffman, 1961 ; McCall et Simmons, 1978). Différents ensembles de coutumes rendent possibles ou neutralisent différents types de conversations et cultiventdifférentes idées du bien. Les coutumes de la plupart des groupes que j’ai étudiés rendaient difficile toute discussion et toute réflexion au sujet des relations entre le groupe et le reste du monde, parce que ce genre de conversation menaçait le sentiment de cohésion du groupe. Ainsi, les formes de solidarité spécifiques au groupe, ses coutumes propres, rendaient plus difficile la résolution du problème de la création de nouveaux liens civiques avec des personnes extérieures au groupe. Des scènes de la vie des associations civiques américaines, capturées par l’ethnographe, révèlent comment fonctionnent les coutumes. Le problème de la création des relations civiques : visions et coutumes Une des associations que j’ai étudiées est la Humane Response Alliance (HRA), l’alliance pour une action humaine, un groupe de responsables religieux de Lakeburg qui créaient des foyers pour les sans-abri, aidaient à distribuer de la nourriture gratuite aux affamés grâce à des soupes populaires et organisaient des ateliers à but éducatif pour informer les gens des injustices engendrées par la réforme de l’aide sociale. Comme d’autres responsables locaux et certains universitaires américains, Donald, le directeur de HRA, parlait souvent de la nécessité d’un « renouveau civique ». Il affirmait que les dirigeants religieux devaient travailler avec d’autres associations et avec les collectivités locales pour « reconstituer la communauté sociale », et développer de nouveaux liens sociaux qui pourraient assister les personnes à faibles revenus tout en donnant aux riches un sentiment de responsabilité vis-à-vis de leurs concitoyens victimes des nouvelles politiques d’aide sociale. Le projet de Donald pour HRA ressemblait trait pour trait à l’idéal, proposé par John Dewey, des interactions flexibles dans la vie publique (1927) : les membres des groupes parleraient continuellement de la façon dont leurs différents groupes sont liés les uns aux autres et à d’autres organisations de Lakeburg, et par l’intermédiaire de ces conversations, les membres 78 RE P E N SE R L A « C R I T I Q U E » redéfiniraient sans cesse leur rôle de citoyen. à l’intérieur de HRA, les responsables des foyers d’accueil d’urgence et du programme de distribution de nourriture verraient leur savoir enrichi et leur horizon élargi grâce à la critique sociale menée par la Justice Task Force, le groupe de travail pour la justice. De son côté, ce dernier enracinerait sa critique sociale très intellec tuelle dans les luttes quotidiennes des habitués de la soupe populaire et des hôtes des foyers, telles qu’elles leur seraient rapportées par les bénévoles travaillant dans ces lieux d’accueil. Cependant, les énergies étaient dépensées autrement lors des réunions de HRA. Les membres faisaient brièvement connaissance avec les autres membres au lieu d’apprendre au contact des autres et de découvrir qu’ils pouvaient compter les uns sur les autres. Ils créaient des réseaux de relations, faisaient du networking comme l’appellent les Américains, une façon coutumière d’organiser des groupes lâches. La plupart d’entre eux pensaient que HRA ne faisait qu’épauler l’action des travailleurs sociaux au service du gouvernement, et que ceux-ci pouvaient diriger les efforts de HRA, indiquer à ses membres ce qui requérait l’attention la plus urgente. Le vocabulaire de renouveau civique employé par Donald était difficilement conciliable avec les coutumes dont il supposait qu’elles feraient advenir ce renouveau civique. Donald mettait en œuvre les normes langagières du networking, qui sont plus adaptées aux réunions d’affaires orientées vers l’accomplissement de tâches qu’aux délibérations de la vie civique. Il me dit, lors d’une des premières réunions, qu’il espérait pouvoir « reconstituer la communauté sociale sans passer par trop de réunions ». L’objectif était d’identifier des tâches concrètes puis de les accomplir, pas de discuter de leur accomplissement. Le style du networking décomposait la grande vision qu’avait Donald de la solidarité civique en morceaux « accomplissables ». Au cours d’une réunion, par exemple, une animatrice de quartier membre d’une association de citoyens de Lakeburg reprocha aux églises de ne pas voir plus loin que le pas de leur porte et de refuser de développer des relations plus fortes avec d’autres associations. Lorsqu’elle suggéra aux responsables d’une grande congrégation protestante de rediriger une partie de leurs donations vers un quartier plus pauvre situé dans une autre partie de la ville, « ils refusèrent de l’écouter et noyèrent ses appels sous les rires » ! Ils pensaient que leurs donations devaient rester dans leur quartier, bien que les affamés fussent plus nombreux ailleurs. Donald et les autres auraient pu comprendre le plaidoyer de cette femme pour plus de « responsabilité » comme un appel urgent à mener une discussion critique au sujet des relations entre églises et quartiers. Au lieu de cela, la conversation se réorienta tout de suite vers le 79 PAUL LIC HT ER MA N genre familier de langage qui consiste à identifier des tâches et à donner aux gens pour objectif de faire le boulot. Qui avait de la nourriture à donner ? Qui prendrait contact avec les différentes soupes populaires et leur demanderait si elles avaient besoin de plus de nourriture ? Le groupe ne discuta pas de la manière dont les bénévoles et les églises créeraient de nouvelles relations. Après des tentatives infructueuses pour développer de nouveaux liens civiques,l’association se désintégra dans l’amertume au bout d’un an. Une autre association, Park Cluster, le rassemblement de Park, réunissait les représentants de plusieurs paroisses cossues qui voulaient porter secours aux habitants à faibles revenus, appartenant en grande majorité à des minorités ethniques, du quartier de Park. Tout comme HRA, Park Cluster employait le vocabulaire de la « solidarité avec nos voisins » et voulait créer de nouveaux liens civiques par-delà les divisions raciales et économiques. Les membres du groupe pensaient que c’était leur devoir, en tant que citoyens mais aussi en tant que bon chrétiens, de construire ces relations publiques. On pourrait dire qu’ils justifiaient leurs efforts dans un langage où la vertu civique côtoyait l’inspiration religieuse (Boltanski et Thévenot, 1991). Au début, Park Cluster avait adopté un style qui donnait priorité à l’action,semblable en cela à celui de HRA. Et comme HRA, les membres de Park Cluster se considéraient comme de simples soutiens ou compléments, « apportant leur contribution » à des tâches définies par les travailleurs sociaux au service du gouvernement. Cependant, dès les premières réunions auxquelles j’ai assisté, j’ai vu que les membres de Park Cluster connaissaient deux ensembles différents de coutumes permettant d’organiser des associations civiques, coutumes qu’on ne pouvait pas simplement prédire à partir de ce qu’ils racontaient de leur rôle dans le quartier de Park. Au cours des deux années durant lesquelles j’ai étudié Park Cluster, le groupe a défini de plus en plus son rôle civique comme celui de « partenaire » plutôt que comme auxiliaire ou soutien. Les frontières du groupe bougèrent. Ayant cessé de se voir comme de simples auxiliaires des services sociaux du gouvernement, les membres parlaient désormais de Park Cluster comme d’un groupe autonome qui devait participer activement à la création de relations avec différents groupes et différentes sortes de gens dans le quartier. Park Cluster était en train de « découvrir le public », comme l’aurait dit John Dewey (1927). En tant que « partenaires », les membres de Park Cluster s’impliquèrent dans des projets différents de leurs efforts initiaux, lesquels consistaient principalement à récolter de l’argent, des manteaux pour l’hiver et des conserves de légumes pour les habitants à faibles revenus de Park. Par exemple, ils 80 RE P E N SE R L A « C R I T I Q U E » financèrent la présence d’une infirmière chargée de la santé publique dans le quartier, quelqu’un capable de prodiguer des conseils aux habitants de Park en matière de tension artérielle, de traitement contre le cancer ou de dépendance vis-à-vis des drogues. C’était une entreprise risquée : dans une ville où les relations raciales sont tendues, voilà que des bénévoles blancs venus des quartiers aisés financent la présence d’une infirmière afro-américaine pour subvenir aux besoins d’un quartier multiracial. La décision de financer cette infirmière fut l’objet d’une longue réflexion et de nombreuses discussions. Ces discussions guidèrent le groupe vers de nouvelles relations, de nouveaux projets et un sentiment nouveau de responsabilité civique. Pour la première fois, des habitants de Park commencèrent à assister aux réunions du groupe, et l’un d’eux en devint même l’animateur. Park Cluster était en train de devenir un groupe différent. Il s’appuyait de plus en plus sur des membres qui pouvaient communiquer avec différentes sortes de gens et faire le lien entre Park Cluster et des ressources qui pourraient bénéficier aux habitants de Park, et de moins en moins sur des gens dont la vertu principale était qu’ils travaillaient dur et qu’ils « faisaient le boulot », des gens comme Ned. Ned se servait comme les autres du vocabulaire de la « solidarité avec [ses] voisins », mais pour lui, être un partenaire signifiait faire partie d’un groupe qui « donnait un coup de main », comme il disait. Au cours d’une des discussions au sein de Park Cluster concernant les relations du groupe avec la maison de quartier de Park, Ned prit la parole de manière abrupte : « Dans les premiers temps [de l’existence de ce groupe], ce que j’imaginais c’était : des gens qui se réunissent pour donner un coup de main… Aujourd’hui, je me demande à quoi sert ce groupe. » D’autres membres firent part de leur désaccord, en disant qu’il fallait respecter les responsables de la maison de quartier de Park et s’enquérir de ce que ces derniers souhaitaient, plutôt que d’agir sur la base de suppositions. Ned, de son côté, ne pensait pas que Park Cluster devait se préoccuper de distinguer sa propre vision des choses de celle des responsables de la maison de quartier. Au final, Park Cluster devait recueillir des manteaux pour l’hiver, des couches-culottes et des restes de pain pour les habitants de Park dans le besoin, et quiconque se souciait réellement de ces gens aurait bien fait de s’occuper de ce travail urgent et d’écourter la phase de réflexion et de préparation. Ned me dit plus tard, au cours de mes recherches, qu’il voulait quitter Park Cluster et se porter volontaire directement auprès des services sociaux du gouvernement, parce que les services sociaux « savaient ce qu’ils faisaient ». Des bénévoles comme Ned – et il en existe beaucoup aux états-Unis – définissent la bonne association comme celle dont les membres accomplissent 81 PAUL LIC HT ER MA N leur tâche de manière efficace et sans trop de discussions. Ils pensent que c’est à quelqu’un d’autre de se préoccuper de la vision d’ensemble et de questionscomplexes comme qui est au service de qui, comment, et pourquoi. Si les coutumes vers lesquelles inclinait Ned avaient prévalu, Park Cluster aurait cessé d’exister, et le quartier de Park n’aurait pas pu bénéficier des biens publics générés par le travail de discussion et d’organisation de Park Cluster. Pourquoi étudier les associations civiques au lieu de les démystifier ? Le sociologue démystificateur affirmerait peut-être que les habitants de Lakeburg précédemment mentionnés ne voyaient pas où était le vrai problème, et que les sociologues n’ont pas à se préoccuper des raisons pour lesquelles leur association a réussi ou échoué. Du point de vue de la sociologie démystificatrice, les associations de Lakeburg se sont résignées à un nouveau contrat social (« la réforme de l’aide sociale ») dont de nombreux penseurs critiques diraient qu’il s’agit simplement d’une autre percée de l’économie néolibérale. Ils ont essayé de s’adapter à de nouvelles politiques brutales au lieu de les critiquer et d’organiser un mouvement en faveur du changement social. La réponse pragmatique est que les gens ne peuvent pas plaider en faveur d’un contrat social différent s’ils ne sont pas en mesure de discuter de leur propre place dans un réseau complexe de relations sociales. Je ne veux pas dire par là que la critique démystificatrice a tort au sujet des méfaits de la réforme de l’état social. Je n’affirme en aucun cas que les associations de citoyens peuvent ou même devraient prendre en charge l’aide sociale. Cependant, le rôle du sociologue ne devrait pas être d’identifier les « vrais » problèmes que les gens doivent résoudre. La sociologie culturelle pratique part des problèmes que posent les gens et observe comment ils les résolvent. Les membres de HRA, ne parvenant pas à avoir de discussion sérieuse sur le rôle du groupe à Lakeburg, recouraient à de vieilles habitudes associatives, qui n’étaient plus adéquates pour les temps nouveaux. Dans le contexte états-unien marqué par un état relativement faible et décentralisé et par une forte tradition associative, il n’est pas surprenant que les membres de Park Cluster aient pris en charge le « problème » de créer des liens sociaux plus forts. Ils n’ont pas amélioré les conditions de vie des habitants de Park de manière très significative, mais les habitants ont acquis une meilleure 82 RE P E N SE R L A « C R I T I Q U E » compréhension d’eux-mêmes en tant que concitoyens, et ils ont été amenés à réviser certains de leurs présupposés à propos d’eux-mêmes. D’un point de vue pragmatique, c’est un bien sur le plan démocratique. La démystification contribue très peu au changement social si les citoyens ne peuvent discuter ensemble, publiquement, de ces idées critiques et se les approprier. Les membres du groupe de travail pour la justice – précédemment mentionné – étaient tout à fait capables de mener une discussion critique au sujet des intérêts des grandes entreprises, mais incapables de s’interroger sur leurs propres présupposés et sur la façon dont ils communiquaient avec d’autres personnes. Le simple fait de questionner ces présupposés aurait constitué une remise en cause des coutumes de leur groupe, lesquelles encourageaient les membres à s’exprimer avec véhémence si possible (normes langagières), à rejeter les gens qui ne partageaient pas le même attachement à une idéologie de gauche (liens qui unissent le groupe) et à se voir comme un groupe de prophètes solitaires face au pouvoir des grandes entreprises, à l’arrogance des représentants de l’état et aux images mensongères propagées par les moyens de communication de masse (frontières du groupe). Ils faisaient souvent fuir les gens qui ne partageaient pas leur style, même des gens qui auraient pu être d’accord avec leur vision du monde. Le groupe de travail pour la justice mit ainsi en place des ateliers à but éducatif qui visaient à enseigner aux paroissiens de Lakeburg que la réforme de l’aide social profitait aux riches et aux entreprises, au détriment des pauvres. Au cours d’une réunion, douze d’entre nous écoutâmes un membre du groupe de travail discourir, pendant plus d’une heure, du néolibé ralisme au service des entreprises. L’animateur d’une émission de radio libre engagée vint à la réunion, demeura longtemps assis sans rien dire, puis nous dit finalement en haussant la voix qu’il représentait une race – les Afro-Américains – qui vivait au jour le jour : « Il y a beaucoup de Noirs qui se soucient assez peu de l’idéologie. » Il pensait que le groupe devrait être capable de « s’appuyer sur [sa] foi pour mener son action ». Et finalement il s’exclama : « Nous savons qui est le plus grand des activistes, celui qui a tout risqué – Jésus ! » Il y eut un silence gêné. Personne d’autre n’intervint en faveur de Jésus. On ne revit jamais l’animateur radio à une réunion du groupe. Le groupe de travail pour la justice pensait qu’une association qui se préoccupait réellement des politiques d’aide sociale devrait être unie par la solidarité entre gens de gauche, pas par la croyance en Jésus. Ils ne prenaient pas en compte le fait que, historiquement, certains Afro-Américains aient pu préférer, pour formuler des critiques similaires à l’encontre des politiques d’aide sociale, un style de groupe différent, fondé sur des liens de nature plus 83 PAUL LIC HT ER MA N religieuse. Des idées coutumières sur ce qui fait un bon groupe empêchaient le groupe de travail pour la justice d’être autre chose que petit, marginal et socialement homogène, incapable de discuter même avec des gens qui auraient partagé sa critique de la politique d’aide sociale « sur le papier ». La question du pouvoir dans la sociologie culturelle pratique La sociologie culturelle pratique est une sociologie partielle, et non pas une analyse totale du problème de la répartition inégale des ressources ou de l’accès inégal à celles-ci. Il ne fait aucun doute que les circonstances politiques, la distribution des ressources et le discours mensonger propagé par les moyens de communication de masse affectent la capacité des gens à créer des associations fortes et démocratiques3. D’autres sociologies sont nécessaires pour mesurer l’impact de ces contraintes socio-structurelles sur la vie associative. De son côté, une sociologie culturelle pratique montre comment les gens subissent les contraintes sociales et parfois même intègrent les modalités de cette domination dans leur propre identité collective. On peut voir le pouvoir à l’œuvre dans les manières coutumières dont les groupes définissent leurs propres frontières. Deux courts exemples fournis par les groupes précédemment évoqués me permettront d’illustrer mon argument. Tout d’abord, dans le cas de HRA, les membres partaient de l’hypothèse que leur association n’était qu’un auxiliaire de l’état, et travaillerait donc à l’intérieur des catégories qui étaient celles des politiques étatiques. Comme le disait un des responsables de HRA, le groupe devait trouver un rôle à l’intérieur des politiques « déterminées par les administrations locales ». Certes, les membres de HRA ne pouvaient pas se proposer de remplacer les services sociaux et d’usurper l’autorité du gouvernement sans conséquences. Cependant, ils n’avaient pas besoin de se définir eux-mêmes aussi fortement à partir des catégories de l’état, dans les termes propres à l’état, surtout dans un contexte états-unien où les gens pensent habituellement que les citoyens sont libres de s’associer 3 84 C’est un vaste sujet qui sort du cadre assigné à ce court article. Pour ne mentionner qu’un seul des travaux empiriques réalisés récemment, il apparaît qu’on peut expliquer en grande partie le déclin de la participation à la vie civique aux États-Unis, depuis les années soixante-dix, par le retrait des groupes socialement subordonnés (faibles revenus, minorités raciales) de la vie associative (Wuthnow, 2002). Wuthnow émet l’hypothèse selon laquelle ces groupes ne disposeraient pas du niveau élevé de capital culturel que requiert de plus en plus la participation à la vie civique aux États-Unis. RE P E N SE R L A « C R I T I Q U E » en vue de réaliser des projets civiques autonomes. D’ailleurs, un employé des services sociaux suggéra que HRA organise des forums pour permettre à des personnes auxquelles l’assistance financière venait d’être supprimée de parler directement aux agents des services sociaux et d’évoquer leurs difficultés. La recherche du pouvoir au sein de la définition donnée par HRA de ses relations et frontières – ses coutumes – révèle une image des relations de pouvoir plus nuancée et plus utile que l’affirmation selon laquelle « l’état dominait HRA ». Un second exemple montre que l’attention que porte la sociologie culturelle aux coutumes peut révéler des relations de pouvoir surprenantes. L’animateur radio venu assister à la réunion du groupe de travail pour la justice semblait dire que la critique idéologique continuelle à laquelle se livrait le groupe réduisait au silence des gens comme lui, des Afro-Américains qui « se soucient assez peu de l’idéologie ». Ses remarques suggèrent que les membres bien intentionnés du groupe de travail exerçaient une sorte de domination symbolique. Ils n’étaient pas capables d’élargir le cercle de leur solidarité à un visiteur qui, tout en partageant les mêmes préoccupations, se reconnaissait dans la foi religieuse autant que dans la véhémence propre aux gens de gauche. L’animateur radio se sentait exclu, rabaissé par des gens qui auraient dû être pour lui des camarades sur le plan politique. Les coutumes du groupe de travail pour la justice ne sont pas exclusivement caractéristiques de ce groupe, elles sont répandues. L’histoire de la gauche américaine fournit de nombreux exemples de tensions entre des gens qui partagent les mêmes principes, mais se divisent au sujet des coutumes qui régissent la vie du groupe et ne parviennent pas à formuler et évoquer ensemble les problèmes de communication qui en résultent (par exemple, voir Lichterman, 1995 ; Gitlin, 1987). Pourquoi ce nom de « sociologie culturelle » ? Si les coutumes sont puissantes et incarnent différents types de pouvoir, pourquoi nous faut-il les appeler « culturelles » ? Les raisons sont à chercher en partie du côté du contexte intellectuel américain présenté plus haut. Jusqu’à récemment dans la sociologie états-unienne, l’étude empirique des symboles et des significations s’est focalisée sur les significations qui émergentau sein de groupes particuliers, tels que la sous-culture de la faculté de médecine (Becker et al., 1961) ou la sous-culture des activités sportives pour enfants (Fine, 1987). Prononcer le mot « culture », c’est affirmer que certains symboles et certaines pratiques sont plus durables et plus répandus 85 PAUL LIC HT ER MA N que les sous-cultures qui émergent des groupes. Prononcer le mot « culturel », c’est aussi signaler qu’il existe des limites à l’exploration et au déploiement de la créativité sur lesquels les pragmatistes mettent l’accent (Joas, 1996). On peut le faire sans tomber dans l’excès inverse : l’hypothèse selon laquelle, dans une culture commune, toute transformation est impossible. Mais il est possible que la sociologie culturelle présente un intérêt qui dépasse les seules préoccupations américaines. Une sociologie culturelle pratique fait l’hypothèse, analogue à celle d’Habermas (1989, 1987, 1984), que la communication et l’effort collectif pour nous comprendre nousmêmes sont au cœur d’une communauté véritablement démocratique. Cela se comprend aisément, vu la propre dette d’Habermas envers la philosophie pragmatiste. Pourtant, la sociologie culturelle pratique rajoute à l’éthique habermassienne de la discussion qu’il y a des conditions de possibilité culturelles de la communication publique. Ces conditions informent les paroles que nous pouvons échanger et la manière dont nous pouvons, ensemble, coordonner notre action au sein d’associations libres. Certains sociologues ont déjà souligné que les récits à caractère moral et les répertoires lexicaux fixent certaines de ces conditions culturelles (Bellah et al., 1985 ; Wood, 2002). Les coutumes fixent aussi ces conditions, et c’est sur elles que j’ai insisté ici, parce que la sociologie les a examinées moins souvent. La notion de culture peut se révéler très utile si nous souhaitons comprendre pourquoi des associations de citoyens existant dans le monde réel se rapprochent ou non des idéaux normatifs. Si la « culture » nous oriente vers des répertoires lexicaux et des pratiques de groupe partagés, durables et réguliers, de ceux que les gens tiennent souvent pour acquis, alors nommer et distinguer différents types de cultures peut nous aider à les approcher de manière critique, à les prendre pour objets d’un examen critique. Dans une démarche pratique, le sociologue culturel s’efforce d’interpréter, pas de dénoncer ou de démystifier. Souvent, les sociologues critiques jugent les actions quotidiennes en leur appliquant une grille de lecture sociostructurelle et en les expliquant en termes d’intérêts ou d’habitus profondément ancrés qui reproduisent la position sociale de l’acteur. Le sociologue culturel pratique fonde sa contribution non pas sur une connaissance de la structure sociale supérieure à celle des gens qu’il étudie (bien que cela puisse être souvent le cas), mais sur son aptitude supérieure à interpréter les modes de communication. Il suppose que les formes culturelles sont relativement autonomes par rapport aux possibilités et ressources socio-structurelles, plutôt que de simples réflexions ou composantes de la structure sociale. Cela veut dire que des gens dans la même position sociale disposent généralement 86 RE P E N SE R L A « C R I T I Q U E » de plus d’une façon de légitimer leur propre action, et de plus d’une façon de coordonner l’action d’un groupe, d’autant plus que les mêmes individus peuvent s’exprimer de manière différente dans des cadres sociaux différents (Eliasoph et Lichterman, 2003). Si nous assignons différentes coutumes culturelles à des positions sociales finement différenciées, suivant en cela la logique de la théorie sociale de Pierre Bourdieu (1990, 1984, 1977), alors nous réduisons la multiplicité des cadres de la vie sociale à des « champs », et nous assimilons la culture et la structure sociale. Il en résulte que la communication sociologique elle-même n’est plus qu’une autre stratégie de distinction dans un champ de pouvoir social. D’autres sociologies critiques présentent l’avantage de proposer un langage qui nous aide à identifier des relations de pouvoir objectives, mais ces sociologies ne nous aident pas à comprendre les conditions qui facilitent ou rendent plus difficiles la communication au quotidien de ce savoir aux citoyens. C’est pourquoi ces sociologies ne sont pas « pratiques » au sens deweyen du terme. Une sociologie culturelle pratique ne dira jamais aux gens comment redistribuer le pouvoir objectivé des champs sociaux. Elle peut, cependant, aider les citoyens à mener des discussions et une réflexion plus approfondies au sujet de leur action collective et de leurs objectifs, et à rendre les associations plus démocratiques et plus audacieuses. Traduit de l’anglais (américain) par Marc Lenormand Bibliographie Addams Jane, 1910, Twenty Years at Hull-House, New York, Macmillan. — 2002[1902], Democracy and Social Ethics. With an Introduction by Charlene H. 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