Antoine Compagnon, Petits spleens numériques et L`année

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Antoine Compagnon, Petits spleens numériques et L`année
Culture, le magazine culturel en ligne de l'Université de Liège
Antoine Compagnon, Petits spleens numériques et L'année Baudelaire
Entre 2012 et 2013, Antoine Compagnon a tenu un blog sur le pur player
Huffington Post dans lequel il s'est intéressé, en se prenant comme exemple, «aux péripéties de notre
vie numérique, c'est-à-dire la manière dont nos mœurs, notre pensée, jusqu'à notre corps, sont affectés
par les nouvelles technologies et s'y adaptent avec plus ou moins de bonheur». Une quarantaine de ses
billets sont réunis dans Petits Spleens numériques, collection petit format où ont déjà paru ses «étés» avec
Montaigne, Proust et Baudelaire (poète qui ouvre d'ailleurs le volume). L'universitaire affirme d'emblée
son intérêt pour la tablette qui lui permet, par exemple, de relire Guerre et Paix lors d'un voyage en avion
ou L'Éducation sentimentale sans l'avoir «prémédité». Pour autant, il ne croit à pas à la mort du livre, se
référant à l'exemple du livre de poche (dont il dit être «un enfant») très contesté au début des années 1960.
Il avoue aussi son addiction au haut-parleur raccordé à son ordinateur, à sa tablette et à son téléphone,
devenu, selon le mot de sa compagne qui s'en irrite, ses «prothèses». Par contre, il dézingue le PowerPoint
et adhèrerait «volontiers» à ceux qui veulent en finir avec ce qui contribue «à l'abêtissement général des
populations» s'il n'y recourait lui-même dans ses cours, «un peu moins sottement que d'autres», espèret-il. Cette rubrique a entraîné de nombreux et virulents commentaires, s'étonne-t-il. Il parle également des
applications (souvent inutiles) téléchargées sur son téléphone, de Gallica, la bibliothèque numérique de la
BnF qui lui permet d'avoir accès à des «trésors incommensurables», de «perversion wikipédiennes», des
MOOCS (cours en ligne gratuits) et de toute une série d'autres choses encore, avec l'intelligence, l'humour
et la lucidité qui lui sont propres. Et au détour d'une réflexion, il lance cette question qu'aujourd'hui se pose
tout individu de plus de 30 ans: «Comment diable travaillions-nous dans le passé?»
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On le sait, l'auteur des Antimodernes est un familier de Baudelaire
auquel il a consacré en 2012 un séminaire au Collège de France sous le titre «Baudelaire moderne et
antimoderne», tirant de ces leçons l'ouvrage Baudelaire l'irréductible (Flammarion, 2014). Il y déploie l'idée
selon laquelle l'auteur des Paradis artificiels est «à la fois irrémédiablement engagé dans la modernité
et résistant furieusement à la modernisation du monde». Au cours de ce séminaire et du colloque qui l'a
conclu, plusieurs chercheurs sont intervenus et leurs contributions sont réunies dans le volume 18/19 de
L'Année Baudelaire. Comme l'écrit Antoine Compagnon dans sa préface, si tous n'épousent pas strictement
sa thèse, la question de la modernité du poète reste néanmoins omniprésente.
Pour Patrizia Lombardo («Baudelaire et l'expérience de pensée»), il ne fait aucun doute que Baudelaire est
moderne et antimoderne, «selon les situations, les sujets et les angles de vision». Car, écrit-elle, tout en
cherchant «la «modernité» en littérature et dans les arts (…), il n'a pas arrêté de critiquer la bêtise de son
siècle et de s'insurger (…) contre l'idée de progrès et contre les bons sentiments démocratiques». De son
côté, Marielle Macé parle à son propos d'«esthétique de l'existence», discernant chez lui «un extraordinaire
appétit pour les formes et l'expérience, en même temps qu'une conscience de leurs enjeux et de leurs
périls».
On sait Baudelaire sensible à l'art, comme en témoignent ses recueils consacrés aux Salons de 1845, 1846
et 1859 ainsi que ses textes sur Delacroix ou sur des caricaturistes français. Pierre Brunel s'interroge sur la
place de la musique chez lui, et plus spécifiquement de la chanson, rappelant par exemple qu'il considérait
Béranger «comme le représentant d'une esthétique surannée». Jean-Claude Bailly s'intéresse quant à lui
à ses rapports avec la photographie, «l'invention la plus caractéristique de l'âge industriel» avec le chemin
de fer à laquelle Baudelaire consacre un chapitre dans Salon de 1859. On retrouve la même ambivalence
qu'entre modernité et anti-modernité : le poète la critique tout en y prêtant «une attention assez grande».
Il est par exemple le premier écrivain de France, et même d'Europe, «à nous parvenir ainsi, accompagné
avec une telle fidélité par son fantôme argentique» (il est photographié dès 1854 par Nadar et le célèbre
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cliché de Carjat date de 1862). Et, remarque Bailly, la «métaphore du photographique» est présente à de
nombreuses reprises dans son œuvre.
Dans sa contribution, Paolo Tortonese s'attache à une notion peu abordée par la critique baudelairienne,
le romantisme, et donc l'antiromantisme, remarquant que, parmi les onze «visages» énumérés par Antoine
Compagnon, seulement deux s'y rattachent «indubitablement», le satanique et l'essentiel. Mathieu Vernet
se penche sur ce qui reste de la modernité du poète dans l'œuvre de Proust qui en est «l'un des premiers
relais en prose». Jean-Luc Steinmetz étudie la temporalité chez celui qui a régulièrement fait du temps
un «ennemi» ou un personnage néfaste. Et Alain Vaillant, qui rappelle que la question d'un Baudelaire
moderne ou antimoderne date de la parution des Fleurs du mal en 1857, estime qu'il ne faut pas, à son
sujet, «opposer l'antimoderne au moderne mais, plus précisément, un classicisme antimoderne à un
romantisme moderne».
Antoine Compagnon, Petits spleens numériques (Équateurs parallèles) et L'année Baudelaire (Honoré
Champion)
Sorties de presse des ULgistes - Printemps 2016
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