Au service de la Maison Impériale de Russie 1917 – 1941 » HK Graf

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Au service de la Maison Impériale de Russie 1917 – 1941 » HK Graf
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« Au service de la Maison Impériale de Russie 1917 – 1941 » H. K. Graf.
Préambule à la publication de la traduction en français.
Le nom d’Harald Karlovitch Graf était bien connu dans l’émigration russe parmi les
anciens officiers de la marine Impériale Russe et ses talents de « mémoiriste » reconnus.
Dans un style vivant et agréable à lire, il décrit le mode de vie des officiers de la Marine
Impériale Russe, les nombreux événements dont il a été le témoin, la Première Guerre
mondiale, la révolution de Février, le putsch d’Octobre, sa vie dans l’émigration. La
plupart des ouvrages qui traitent de l’histoire de la Marine Russe de cette époque le
citent.
Harald Karlovitch est né à Vyborg, en Carélie (grand-duché de Finlande à l’époque), le 25
décembre1 1885. Son père, Karl Bernhard, noble du duché de Finlande et sa mère, Sofia,
une baronne «suédo-finlandaise», déménagent souvent en raison des impératifs de
travail du père. L’enfance d’Harald Karlovitch se passe à Kalouga, Tcherepovetz, en
Finlande, puis à Saint-Pétersbourg. Les Graf ne sont pas une famille de marins et il est
probable que le jeune Harald se tourne vers la mer, comme d’ailleurs un autre de ses
frères, au contact de l’amiral Vilken, époux de sa tante2. Il est admis à l’Ecole Navale le 1er septembre 1898, non sans quelques difficultés puisqu’il est myope et il faudra
quelques recommandations de haut niveau, comme celle de l’Amiral Kremer, un autre
parent. Ses résultats scolaires ne sont pas brillants. En 1904, il sort 77-ème (sur 128) de
sa promotion nommée « Promotion du Tsar » car l’Empereur Nicolas II a promu
personnellement, avant terme et sans examen, les gardemarines3 au premier rang
d’officier, dans le contexte de l’attaque de Port-Arthur par les Japonais.
Harald Karlovitch est affecté à la flotte de la mer Baltique. Après une courte période de
navigation sur le transport Artelstchik, il embarque sur un des navires de la 2-ème
Escadre prévue renforcer l’escadre Rojestvenski qui marche vers l’Extrême Orient.
Déception, sans doute, puisque ce navire, l’Irtych n’est pas un navire de combat, mais un
important transport de 18 000 t, le plus lent de l’Escadre, armé de quelques petits
canons et chargé de charbon, dont on aura le plus grand besoin, et de bottes. Il est
commandé par le capitaine de frégate Ergomychev et compte parmi ses officiers, un
personnage controversé, le lieutenant Schmitt. A Port-Saïd, le lieutenant Schmitt est
débarqué et, de ce fait, l’organisation du navire est modifiée. Harald Karlovitch occupe
alors la fonction d’intendant. A Djibouti, Harald Karlovitch descend à terre pour
chercher de l’argent et se retrouve seul, sur le quai, avec une valise pleine d’argent,
scrutant l’horizon. L’ Irtych avait précipitamment pris la mer sur ordre impérieux de
l’amiral Rojestvenski, convaincu que le navire transportait les obus dont il avait le plus
grand besoin. Harald Karlovitch rejoint, le croiseur Diana interné à Saigon, et ne
rattrapera son navire que peu de temps avant la catastrophique bataille de Tsushima.
Le 14 mai 1905 l’Irtych, transportant charbon, bœufs, 1500 livres de pyroxiline et
quelques obus, subit un tir japonais dévastateur. Il y a des morts, des blessés et des voies
d’eau. Le commandant tente de rejoindre Vladivostok en longeant la côte Japonaise et en
colmatant les brèches mais le navire embarque l’eau, gîte de plus en plus et commence à
couler. Les vannes de coque sont ouvertes afin de ne donner aucune chance aux Japonais
de récupérer le navire. L’équipage est évacué à terre au Japon où il est emprisonné.
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Les dates sont indiquées dans le texte sont en calendrier julien avant fin 1920
Zigrid Alexeevna, sœur de la mère.
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Elève officier
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2
Officiers de l’Irtych : assis devant, au centre, le lieutenant Schmitt, derrière, debout, légèrement à sa gauche, Harald
Karlovitch Graf et tout à droite, debout, le commandant, le capitaine de frégate Ergomychev.
Début 1906, Harald Karlovitch rentre à Saint-Pétersbourg et reprend du service. Suit
une multitude d’affectations. Ses états de service sont globalement plutôt bons mais on
lui reproche son manque d’énergie, d’être enclin au mal de mer et d’avoir une « petite
santé ». Harald Karlovitch ne se laisse pas démonter et profite de son retour à SaintPétersbourg pour améliorer ses compétences.
Du 17 septembre 1907 au 17 septembre 1908, il achève les Cours de spécialisation des
mines et torpilles. Il est promu lieutenant le 6 décembre 1907, puis il connaît à nouveau
de nombreuses affectations de courte durée. La plus longue est celle sur l’Amour, un
mouilleur de mines sur lequel il sert en qualité d’officier principal des mines et torpilles.
Si le premier commandant du navire, le capitaine de frégate Stepanov est assez réservé
dans ses appréciations concernant le jeune officier, le second, Vesselkine, ne tarit pas
d’éloges. C’est pendant son affectation sur l’Amour qu’il épouse Nina Viktorovna le 27
septembre 1909. Sa fille, Lydia, naît le 14 septembre 1910. Le bonheur sera de courte
durée, l’épouse d’Harald Karlovitch décède en 1917 et sa fille, en 1927.
Harald Karlovitch connaît à nouveau plusieurs affectations, dont une d’environ un an,
de 1910 à 1911, sur le vieux cuirassé Empereur Alexandre II en qualité d’officier
principal des mines et torpilles, après quoi, de 1911 à 1913 il reprend des études à
l’Académie Navale Nicolas où il fait connaissance du grand-duc Vladimir Kirillovitch
(cette rencontre aura une grande importance dans sa vie en émigration). Ensuite, il fait
des conférences pour les Cours de spécialisation des mines et torpilles pour officiers et
également à l’Ecole des Mines et torpilles pour les hommes d’équipage. En parallèle il est
officier des mines et torpilles du navire-école Dvina.
3
A partir de l’été 1914, la carrière d’ Harald Karlovitch prend une autre dimension, du
fait, bien entendu, de la guerre, mais aussi du fait de sa rencontre avec un navire
extraordinaire - le Novik. Ses rapports avec ce navire seront bien particuliers.
Au début du siècle dernier, la Russie est à la pointe du progrès dans de nombreux
domaines. La construction navale russe lance la fabrication de quelques navires
particulièrement réussis. Un de ces navires est le contre-torpilleur Novik qui entrera en
service en 1913. Il s’agit du navire de guerre la plus rapide au monde. Il a atteint une
vitesse supérieure à 37 nœuds, extraordinaire pour l’époque. Il est puissamment armé
de 4 canons de 102 mm, de 4 lance-torpilles de 400 mm et peut prendre à son bord
jusqu’à 60 mines.
Le Novik
Nul doute qu’Harald Karlovitch a ardemment souhaité obtenir son affectation sur ce
navire exceptionnel puisqu’il accepte, alors qu’il peut prétendre être un spécialiste
expérimenté de haut niveau, d’occuper le poste de second officier des mines et torpilles
en surnuméraire. Malgré son « déclassement » il écrira « je jubilais ». Les appréciations
du commandant du Novik, le capitaine de frégate Paletski, sont excellentes. Paletski sera
ensuite remplacé par le capitaine de frégate Mikhail Andreevitch Behrens4.
4
Bien connu dans l’émigration russe, commandant par intérim de l’escadre russe à Bizerte
4
Les officiers du Novik en 1915. De Gauche à droite : Mikhaïl Andréevitch Zlobine (lieutenant de vaisseau,
chef mécanicien), Nikolaï Vladimirovitch Kemarski (lieutenant, navigateur), Pavel Nikolaevitch
Bergstresser (mitchman, intendant), Nikolaï Dimitrievitch Melnitskij (lieutenant, officier d’artillerie),
Harald Karlovitch Graf (lieutenant, 1-er officier des mines et torpilles), Mikhaïl Andréevitch Babitsine
(lieutenant de vaisseau, commandant en second), Vassily Valeriévitch Berdiaev (mitchman, mécanicien en
second), Mikhaïl Andréevitch Behrens (capitaine de frégate, commandant).
Les opérations se succèdent et certaines resteront dans les annales de l’histoire de la
marine russe.
Harald Karlovitch continue sa carrière sur le Novik, occupe le poste difficile et ingrat de
second du navire et reçoit plusieurs décorations avec glaives pour faits de guerre. En
février 1917, il occupe la fonction d’officier porte-drapeau de l’Etat-major de défense par
mines et sera témoin du massacre5 des officiers de la marine de février- mars 1917 à
Helsinki, qu’il décrira ultérieurement. Il sert le Gouvernement provisoire mais sans
enthousiasme ni conviction. Il est promu capitaine de frégate pour excellence le 28
juillet 1917.
Après le putsch d’Octobre, devant son impossibilité à servir les bolchévistes, la carrière
d’Harald Karlovitch dans la marine s’achève en avril 1918, juste avant l’Expédition des
glaces6 à laquelle il ne participe pas. Il ne participe pas non plus à la lutte armée contre
les bolchevistes. Né en Finlande, il peut rester à Helsinki et demander la nationalité
finlandaise.
Il rencontre à nouveau en Finlande le grand-duc Kirill Vladimirovitch qu’il suit en
Allemagne puis en France. En 1924, Kirill Vladimirovitch se proclame Kirill I-er,
Empereur de toutes les Russies et Harald Karlovitch devient son secrétaire particulier et
chef de la chancellerie de l’Empereur.
Harald Karlovitch est l’auteur de nombreux textes dont une tétralogie.
1- « A bord du Novik. La flotte de la mer Baltique dans la guerre et la révolution », édité
en langue russe à Münich en 1922. Traduit en français « La Marine russe dans la guerre
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Une centaine d’officiers de la marine et plusieurs dizaines d’officiers mariniers seront assassinés dans les
ports de la mer Baltique.
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Les forces terrestres allemandes menacent la flotte Russe de Revel et Helsinki, immobilisée dans les ports par
la glace. Un groupe d’officiers, mené par le capitaine de vaisseau Stchasny, prend alors l’initiative de convoyer
environ 200 navires à Cronstadt et Petrograd alors que la navigation est fermée en raison des glaces. Stchasny,
extrêmement populaire, sera fusillé sur ordre de Trotsky après un simulacre de procès.
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et la révolution 1914-1918 », par le capitaine de vaisseau de réserve, A. Thomazi –
Payot, Paris 1928.
2- « Les marins. Episodes de la vie d’un officier de la Marine », édité en langue russe aux
Imprimeries Navarre, Paris 1930.
3- « Au service de la maison Impériale de Russie 1917 – 1941 », traduit en anglais par
Vladimir Graf et Alexandre Dunn, édité aux USA en 1978
4- « La flotte Impériale de la Baltique entre les deux guerres 1906 – 1914 », édité en
Russie aux éditions Blitz en 2006.
Ces ouvrages seront interdits en Union Soviétique mais, après la Perestroïka, l’édition
des quatre livres ne se fera pas attendre.
La traduction en français de l’ouvrage « Au service de la maison Impériale de Russie
1917 – 1941 » est le fruit de rencontres improbables. En 1950, une étudiante en anglais
à la Sorbonne, Mireille Massip, boursière Fullbright, quitte la France pour les USA sur le
paquebot Ile de France pour se rendre au Connecticut College for Women de New
London (université). Elle y rencontre un homme d’exception, le professeur de russe
Alexandre Kasem-Bek, ex-responsable du parti des Mladoross, qui, ayant vécu en France
et parlant couramment français, tient maison ouverte chaque année à la nouvelle
étudiante française du « college ». Quarante ans plus tard, Mireille Massip, restée en
contact avec la famille Kasem-Beg, écrira la biographie de ce personnage hors du
commun dans "La vérité est fille du temps. Alexandre Kasem-Bek et l'émigration russe
en Occident. 1902-1977", Georg, Genève. 1999. Son livre lui vaudra de rencontrer de
nombreux russes émigrés dont le fils d’Harald Graf d’un second mariage, Vladimir. Une
amitié naîtra de cette rencontre et Mireille Massip traduira en français « Au service de la
maison Impériale de Russie 1917 – 1941 » pour rendre service à son ami. L’ouvrage sera
traduit de l’anglais, mais Vladimir Graf vérifiera le français par rapport au russe. La
traduction sera terminée peu avant son décès.
C’est cet ouvrage qui relate la biographie d’Harald Karlovitch après son départ du Novik,
que nous proposons à l’attention du lecteur.
Nous adressons nos plus vifs remerciements à Madame Mireille Massip qui nous
autorise à placer sur notre site cet ouvrage inédit en français, qui présente un grand
intérêt pour les amateurs d’histoire de la Marine Impériale et de l’émigration russes.
Paul Loukine