Les attentats de Londres du 7 juillet 2005

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Les attentats de Londres du 7 juillet 2005
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Les attentats de Londres du 7 juillet 2005 : un nihilisme « made in the
UK »*
par Bill Durodié
Le « terrorisme » renvoie à un large éventail de causes et de croyances : les
motivations des individus formés dans les camps en Afghanistan diffèrent de celles des
activistes de la bande de Gaza ; et si certains groupes ont des ambitions
internationales, dans la plupart des cas, leur objectif est circonscrit et régional. Ce qui
nous intéresse ici est de comprendre ce qui pousse de jeunes hommes de Birmingham,
Burnley, Leeds ou Luton, qui n’ont aucun lien tangible avec l’Afghanistan, la
Palestine, l’Irak, la Bosnie ou la Tchétchénie, à choisir ou à soutenir le terrorisme. Une
analyse vraiment objective est en l’espèce essentielle, pour éviter d’interpréter leurs
motivations sur la base de leurs seules déclarations, ou à l’aune de nos seuls préjugés,
au risque d’ignorer le rôle de dynamiques plus larges et, finalement, d’aggraver la
situation.
La quête de sens
Le 11 mai 2006, le gouvernement britannique a publié un rapport sur les attentats
survenus à Londres le 7 juillet 20051. Ce document examine les terribles événements
qui ont causé la mort de cinquante-deux personnes, en plus des quatre terroristes
kamikazes. Dans la préface, le rapport est présenté comme un « récit » (narrative), qui
raconte étape par étape ce qui s’est passé, où et quand cela s’est produit, qui a mené
ces actions et même comment. Mais, malgré une année d’enquête et toute une partie
consacrée à la question, le rapport n’est guère explicite sur le pourquoi.
Pourtant, si l’on ne comprend pas ce pourquoi, il est peu probable que l’on puisse
prévenir la répétition de tels actes. Et c’est dès lors la porte ouverte aux experts et
*
Traduit de l’anglais par Miriam Perier.
Report of the Official Account of the Bombings in London on 7th July 2005, HC 1087, HMSO,
Norwich, 2006, <www.official-documents.gov.uk>.
1
analystes autoproclamés, qui proposent, en s’appuyant sur leurs seules convictions
politiques, leur propre théorie afin d’influencer les réactions du gouvernement. Parmi
les explications avancées à chaud par ces experts, la plus courante a été que les
attentats de Londres étaient un acte de vengeance en réaction au soutien apporté par le
gouvernement britannique à l’invasion de l’Irak en 20032. Mais bizarrement, le
principal responsable des attentats suicides, Mohammad Sidique Khan, ne faisait
jamais référence à l’Irak dans sa « vidéo de martyr » diffusée peu après les attentats.
D’autres ont suggéré que les terroristes faisaient partie d’un mouvement islamiste
international radical en pleine expansion, voire d’une conspiration extrémiste. De ce
fait, on a beaucoup épilogué sur l’influence supposée des écoles coraniques. D’autres
explications ont été recherchées dans les origines sociales présumées des poseurs de
bombes3, ainsi que dans leurs profils psychologiques et leurs résultats scolaires. On a
beaucoup glosé sur le fait que deux d’entre eux s’étaient rendus au Pakistan, mais le
rapport indique que l’identité des personnes rencontrées sur place « n’a toujours pas
été établie ». Il y aurait des preuves que ces deux individus y auraient acquis leur
savoir-faire auprès d’une personne qui l’aurait également enseigné à l’un des
responsables de la tentative d’attentat du 21 juillet 2005. Il apparaît en fait qu’ils n’ont
recherché ce soutien et cet appui qu’après avoir décidé de passer à l’action, et que ces
deux groupes ne se connaissaient pas.
En fait, le rapport officiel de mai 2006 décrit les origines des auteurs des attentats
de Londres comme « non exceptionnelles », leur lien prétendu à Al-Qaida comme
manquant de « preuves solides » et leurs méthodes et matériels comme « facilement
accessibles » et ne nécessitant pas de « grandes compétences ».
Nous ne devrions pas partir de l’idée que les terroristes ont agi au nom d’autres
musulmans. Ils n’ont pas sollicité l’avis d’autres musulmans et ne les ont représentés
en aucune façon. Un rapport parallèle, publié par le Comité Renseignement et Sécurité
2
Cette idée, très répandue dans la classe politique britannique, a été notamment exprimée par le
député du Respect Party George Galloway, très critique de la politique étrangère de Tony Blair (voir à
ce sujet : Bill DURODIE, Frank GREGORY, Adrian GUELKE, Sarah OATES et Paul WILKINSON,
« Security, terrorism and the UK », ISP/NSC Briefing Paper 05/01, Chatham House, Londres, juillet
2005).
3
Rachel BRIGGS, Catherine FIESCHI et Hannah LOWNSBROUGH, Bringing it Home. Communitybased Approaches to Counter-Terrorism, Demos, Londres, 2006.
(Intelligence and Security Committee), relève également que la responsabilité des
attentats, revendiquée par le dirigeant d’Al-Qaida Ayman Al-Zawahiri, n’était
corroborée par aucune « preuve tangible »4.
En interprétant les informations disponibles en fonction de leurs schémas préétablis,
de nombreux analystes finissent par parler à la place des terroristes et par dire à leur
place ce qu’ils sont censés penser. Ils contribuent ainsi à structurer un vide
d’information et une confusion qui auraient autrement été laissés de côté. Leurs
explications peuvent à leur tour encourager et même servir de justifications à la
volonté d’agir d’autres. Mais disent-elles vrai ?
Nous ne saurons jamais avec exactitude ce qui a motivé les poseurs de bombes de
Londres. Ceux qui sont effectivement responsables ne sont plus là pour nous informer.
Plusieurs des prétendues explications semblent vouloir les exonérer de leur
responsabilité. La publication d’un « récit » plutôt limité en lieu et place d’une analyse
politique approfondie montre à quel point il a été difficile pour les autorités de cerner
les mobiles et les motivations des personnes concernées. Ce qui laisse penser qu’une
grande partie des spéculations superficielles ne s’appuie sur aucune preuve solide.
La religion pour canaliser la colère
Rien ne prouve véritablement que Khan ou ses complices (Shehzad Tanweer,
Jermaine Lindsay et Hasib Hussain) aient été particulièrement pieux ou qu’ils aient eu
une connaissance approfondie du Coran, et encore moins qu’ils aient eu des relations
directes avec qui que ce soit en Palestine, en Bosnie ou en Irak. Ils n’ont pas pris la
peine d’aborder ce genre de questions avec leurs familles, leurs amis ou leurs voisins.
C’est pourquoi leur entourage a été profondément bouleversé par leur action.
Les poseurs de bombes se sont rencontrés à la salle de sport du coin et pas à la
mosquée. Ils se retrouvaient pour des activités de plein air et, le jour précédent les
attentats, l’un d’eux a joué au criquet, sport anglais s’il en est, dans le parc de son
quartier. Et, pour finir, ils ont agi seuls. Ils ont participé à la dernière manifestation
« Pas en mon nom » (Not in my name), du nom du slogan utilisé par nombre de ceux
qui, en 2003, se sont opposés à la guerre en Irak mais qui est aujourd’hui également
4
Report into the London Terrorist Attacks on 7 July 2005, Cm 6785, HMSO, Norwich, 2006.
utilisé par les militants d’autres causes (comme les écologistes)5.
Les faits avérés témoignent moins de la planification par un réseau mondial
organisé de fanatiques religieux projetant des actes de destruction massive, que de
l’action d’un petit groupe, agissant de manière isolée et recourant à des moyens
rudimentaires pour donner un sens à leur colère à travers la religion. Dès lors, les
attentats de Londres n’avaient peut-être pas le sens et les objectifs que leur ont donnés
les discours des responsables politiques et des officiels comme ceux des médias et
autres commentateurs. Les poseurs de bombes cherchaient surtout un sens à leur vie,
en adhérant à une cause internationale qui n’était certes pas la leur, mais qui semblait
pouvoir donner une consistance à une fureur largement nihiliste. L’islam était leur
motif, pas leur motivation.
Cette interprétation offre peu de réconfort aux proches des victimes. Leurs
demandes, également exprimées par d’autres, pour que soit menée une enquête
publique ressemblent plus à une tentative désespérée pour obtenir des explications plus
substantielles ou une responsabilité identifiée là où aucune — jusqu’à maintenant —
n’a pu être trouvée. Cette volonté de comprendre les causes, ou de donner un sens, à
l’adversité est compréhensible, tant il est décourageant et troublant de découvrir qu’un
événement n’avait en fin de compte pas le sens profond qu’on lui avait attribué
initialement — ou qu’il n’avait pas de sens du tout. Un désarroi exprimé par la mère
de Theo Van Gogh, le réalisateur néerlandais assassiné en 2004 par un individu
radicalisé agissant seul et se revendiquant de l’islam : « Ce qui est regrettable, […]
c’est que Theo a été tué par un tel raté, une personne si incohérente. Les meurtres ou
les homicides sont toujours terribles, mais se faire tuer par un tel personnage rend la
chose particulièrement difficile6. »
Reconnaître, comme le fait la mère de Theo Van Gogh, le caractère aléatoire et
imprévisible de ce genre d’événement évite d’y voir un signe précurseur et de réclamer
que la société tout entière se réorganise autour de la possibilité qu’un tel événement se
reproduise. Une telle réorganisation reviendrait en effet à banaliser l’exception et, par
5
Comme l’indique Faisal DEVJI, Lanscapes of the Jihad. Militancy, Morality, Modernity,
Foundation Books, New Delhi, 2005.
6
« Moeder Van Gogh : enige juiste straf », De Telegraaf, 26 juillet 2005.
là, à marginaliser la normalité. Et donc « à faire le travail des terroristes à leur place »
en institutionnalisant l’instabilité — avertissement souvent formulé par le Premier
ministre, le directeur des services de sécurité et bien d’autres. À cela on réplique
généralement que les terroristes, comme l’auraient proclamé les activistes de l’IRA
après avoir échoué à assassiner Margaret Thatcher, « n’ont besoin d’être chanceux
qu’une seule fois », contrairement aux gouvernements et à leurs services de sécurité,
qui doivent en permanence contrer les attaques pour conserver le soutien de la
population. Mais le 7 juillet 2005 tend à montrer que cette perception est erronée :
plutôt que de blâmer les autorités, la plupart des gens étaient surtout soucieux de
reprendre leur travail dès le lendemain des attentats.
L’absurdité n’est pas seulement déstabilisante, elle affaiblit aussi. Comme l’écrivait
le philosophe et survivant de la Shoah Viktor Frankl, « l’homme n’est pas détruit par
la souffrance ; il est détruit par la souffrance dénuée de sens7 ». Notre échec est d’avoir
inscrit des événements aléatoires dans un cadre qui leur font prendre des proportions
catastrophiques, produisant un sentiment de peur et de terreur. Si on connaît le sens
des attentats ou leurs objectifs, on peut les comprendre et les combattre, comme ce fut
le cas pendant la campagne terroriste menée par l’IRA au Royaume-Uni. Dans la
période actuelle, où rien n’est ou ne paraît aussi évident qu’avant, ces événements
accentuent nos doutes.
Les causes de la radicalisation
Certains estiment que ce qui se passe était prévisible. Le concept d’un « choc des
civilisations » emprunté à l’ouvrage de Samuel P. Huntington qui porte ce titre part de
l’idée que les conflits futurs opposeraient de plus en plus l’Orient à l’Occident dans
une sorte de bataille sur des valeurs fondamentalement irréconciliables8. Cette thèse a
connu un regain d’intérêt au lendemain des attaques contre les États-Unis en
septembre 2001. Mais peu de recherches critiques ont été véritablement entreprises sur
les véritables motivations idéologiques de ceux qui ont perpétré des actes de terrorisme
au nom de l’islam.
7
Viktor E. FRANKL, Man’s Search for Meaning, Beacon Press, Boston, 1959.
Samuel P. HUNTINGTON, The Clash of Civilizations and the Remaking of World Order, Simon &
Schuster, New York, 1996 (traduction française : Le Choc des civilisations, Odile Jacob, Paris, 1997).
8
D’autres ont fait preuve de plus de circonspection dans leurs propos, mais le
présupposé reste le même. Dans un discours prononcé début 2006 au Foreign Policy
Centre de Londres, Tony Blair a déclaré au sujet de la guerre contre le terrorisme : « Il
ne s’agit pas d’un choc entre civilisations. C’est un choc à propos de la civilisation.
C’est la bataille ancienne du progrès contre la réaction, de ceux qui embrassent le
monde moderne et le regardent comme une chance contre ceux qui rejettent son
existence ; de l’optimisme et l’espoir d’un côté contre le pessimisme et la peur de
l’autre9. »
Mais les idées et les protagonistes que Tony Blair semble avoir en tête lorsqu’il
parle de « choc à propos de la civilisation » sont tous d’origine étrangère ou, du moins,
tournés vers l’étranger. Il poursuit : « Les racines du terrorisme international et de
l’extrémisme sont effectivement profondes. Elles s’inscrivent dans des décennies
d’aliénation, de souffrance et d’oppression politique dans le monde arabe et
musulman. »
Dans la même veine, le rapport gouvernemental Countering International
Terrorism. The United Kingdom’s Strategy, paru en 2006, évoque une nécessaire
« bataille sur le front des idées susceptible de contrer les motivations idéologiques par
lesquelles les extrémistes justifient le recours à la violence10 ». Le fil conducteur de
cette stratégie est décrit dans des termes qui visent uniquement les musulmans ou les
communautés musulmanes. Si la plupart des responsables politiques et des hauts
fonctionnaires ont fini par accepter le fait que de nombreux auteurs d’attaques
terroristes sont nés ou ont étudié dans un pays occidental, ils persistent à croire que ce
qui les pousse est une idéologie ou des intentions que seuls les musulmans peuvent
comprendre ou auxquelles eux seuls peuvent réagir. Tel est en tout cas le point de vue
réaffirmé peu après par Tony Blair devant le Comité de liaison de la Chambre des
députés et par son ministre de l’Intérieur, John Reid11.
9
Tony BLAIR, « Not a clash between civilisations, but a clash about civilisation », Foreign Policy
Centre, Londres, 21 mars 2006, <fpc.org.uk>.
10
Countering International Terrorism. The United Kingdom’s Strategy, Cm 6888, HMSO,
Norwich, 2006.
11
Tony BLAIR, « Uncorrected transcript of oral evidence to the House of Commons Liaison
Committee », 4 juillet 2006, <www.publications.parliament.uk> ; et John REID, « Speech to Muslim
groups in East London », 20 septembre 2006, <press.homeoffice.gov.uk>.
Mais s’agit-il vraiment d’un problème de « choc à propos de la civilisation » ou
même, comme le suggérait le ministre de l’Intérieur, du fait que nous aurions à subir
les effets d’un conflit se jouant au sein de l’islam ? D’une certaine façon, il semble que
nous soyons plutôt confrontés à une crise culturelle profonde « chez nous ». Et il n’est
pas facile pour les sociétés et les dirigeants occidentaux de le reconnaître : cela
nécessiterait en effet de comprendre dans quelle mesure nombre des idées qui inspirent
le terrorisme nihiliste auquel nous sommes confrontés aujourd’hui ont été le plus
souvent conçues et se sont développés à l’intérieur de nos frontières.
S’ils en viennent finalement à reconnaître que la plupart des auteurs d’attentats, et
ceux qui en projettent, sont de plus en plus d’origine occidentale, l’idée généralement
partagée par ces analystes, et par Tony Blair, est que ces individus ont été influencés
par des idées et des idéologies réactionnaires venues d’Orient. De fait, une méthode
empirique — pour le moins paresseuse — est employée pour identifier les prétendus
« facteurs de risque » qui conduiraient ces individus à se « radicaliser » : on part d’une
conclusion pour rechercher ensuite les preuves qui la corroborent. Une approche
profondément non scientifique qui passe sous silence l’environnement social dans
lequel évoluent la plupart de ces individus, c’est-à-dire les sociétés occidentales
avancées.
Il n’est pas surprenant que de nombreux chercheurs voient leurs préjugés confirmés
par cette méthode. À les entendre, écouter la rhétorique enflammée d’un obscur
prêcheur
ou
être
issu
d’un
milieu
déshérité
constituent
des
influences
« radicalisantes ». Par ailleurs, ils s’accordent tous à dire qu’un profond sentiment
d’injustice régnant au Moyen-Orient y participe fortement12. On pourrait leur objecter
à cet égard qu’être milliardaire, rouler en Mercedes ou gérer l’entreprise familiale sont
aussi des facteurs de risque significatifs — ces trois éléments ont fait partie de la vie
d’Oussama Ben Laden. Partir d’une réponse pour relier les points entre eux est un jeu
d’enfant qui n’offre aucune clé d’analyse au-delà des conclusions supposées.
Le procès, début 2007, du « groupe de Crawley », petite ville du sud-est de
l’Angleterre, qui était accusé d’avoir planifié d’autres atrocités terroristes (ses
12
Towards a Community-Based
<www.wiltonpark.org.uk>.
Approach
to
Counter-Terrorism,
WPSO6/5,
2006,
membres avaient acheté de grandes quantités d’engrais à base de nitrate d’ammonium)
est assez révélateur de ce point de vue. Leur liste de cibles présumées comprenait des
clients de grandes surfaces, des consommateurs d’alcool, des supporteurs de foot et
des « salopes » de boîtes de nuit13. Or, cette idée que ces derniers représentent un
véritable problème contre lequel il faut agir, on la trouve davantage chez certains
responsables politiques dans leur peur exacerbée du désordre social, que dans les
versets du Coran. Comme le montre l’universitaire Marc Sageman dans une étude qui
fait autorité sur les motivations des partisans d’Al-Qaida, il n’existe pas d’influences
de radicalisation claires ou de facteurs de risque identifiables qui prédisposent à ce
type d’engagement dans le terrorisme14. Les seuls point communs éventuellement
identifiables, c’est que ces individus tendent à venir des classes moyennes ou
supérieures, qu’ils évoluent dans un environnement laïc et qu’ils sont plutôt éduqués.
Autant de caractéristiques qui placeraient pas mal de monde dans la « catégorie à
risque »…
Aliénation et confusion
Il faut souligner en outre que les individus concernés ont rarement été recrutés par
une organisation. Il semble plutôt qu’ils se soient eux-mêmes organisés pour trouver
des réseaux terroristes ou des groupes sectaires. Certains ne se sont convertis à l’islam
qu’ensuite. Cela semble confirmer leur désir d’être partie prenante de quelque chose.
On peut seulement se demander pourquoi ils n’ont pas pu trouver ce quelque chose
plus près de chez eux.
Le cœur du problème n’est donc pas ce qui pousse une minorité issue de milieux
variés, y compris assez privilégiés, à rejoindre des organisations islamistes
extrémistes. Mais plutôt pourquoi nos sociétés et nos cultures ne parviennent pas à
offrir à des individus jeunes, ambitieux, éduqués et énergiques une motivation claire et
un but collectif vers lequel ils pourraient orienter leur vie et qui leur permettrait de
réaliser leurs aspirations. Ces individus cherchent ailleurs ce but et cette motivation, y
compris, pour certains, dans des systèmes de croyance obscurs et dévoyés.
13
« Gang ‘planned to bomb London nightclub », The Guardian, 25 mai 2006.
Marc SAGEMAN, Understanding Terror Networks, University of Pennsylvania Press,
Philadelphie, 2004.
14
À certains égards, les criminels nihilistes qui ont fait sauter leurs bombes
rudimentaires à Londres pendant l’été 2005 reflètent les sentiments d’autres individus
et groupes mécontents dans le monde industrialisé actuel. Leurs actes semblent
davantage s’apparenter à la tuerie du lycée américain de Colombine ou à d’autres
événements de ce genre, au cours desquels de jeunes hommes respectables, nés et
éduqués dans un pays occidental, décident pour des raisons diverses — ou sans que
nous ne parvenions à en identifier aucune — de se tuer et, avec eux, des dizaines des
civils.
Nous devrions reconnaître les dimensions nationales du terrorisme au Royaume-Uni
au lieu d’imaginer que ses causes premières émanent toujours de l’étranger ou reflètent
une idéologie étrangère. Contrairement à ce que certains peuvent penser, il n’est pas
seulement déterminé par une situation de privation ou d’exclusion sociale, et il n’est
pas non plus l’unique conséquence de l’influence de certains individus. Il semble
refléter également un sens plus large d’aliénation et de confusion qui aurait saisi le
monde occidental. De nombreuses personnes aujourd’hui recherchent un sens à leur
vie à mesure que s’érodent les anciennes affiliations identitaires (nationales,
religieuses ou laïques). Les doutes et les questionnements de notre époque en ont mené
plus d’un à s’inquiéter de l’action humaine, à encourager une misanthropie destructrice
qui a fonctionné sur certaines personnes chez qui le sentiment de victime était
exacerbé. C’est cette culture dystopique dominante, la nôtre, qui doit être examinée si
nous voulons vaincre le terrorisme.