La preuve de l`originalité : mission impossible ?
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La preuve de l`originalité : mission impossible ?
LA PREUVE DE L’ORIGINALITÉ, UNE CHARGE COMPLEXE La preuve de l’originalité : mission impossible ? Florence GAULLIER Avocat Pendant de nombreuses années, les questionnements relatifs à l’originalité des photographies tournaient finalement principalement autour de la définition même de l’originalité, comme nous l’avons vu ce matin avec les excellentes interventions de Messieurs Latreille et Vincent. On se demandait quels étaient les critères ou les caractéristiques qui rendent une photographie originale et ceux qui, au contraire, sont indifférents. Et c’est ainsi qu’au fur et à mesure des décisions de jurisprudence, depuis plusieurs dizaines d’années, des critères précis ont été dégagés (angles de prise de vue, choix des focales, contrastes, lumière, pellicule, etc…) que nous avons étudiés ce matin. De sorte qu’aujourd’hui, finalement, la question de la définition même de l’originalité d’une photographie est assez balisée et relativement claire. Certes, il est vrai que, comme on l’a vu, l’application en pratique de la notion d’originalité aux photographies n’est pas toujours aisée et bon nombre de décisions ont parfois du mal à distinguer l’originalité et le mérite. Mais il existe aujourd’hui une définition théorique de l’originalité de la photographie qui est désormais classique et à laquelle on peut faire référence sans trop de difficultés. Le débat, en matière contentieuse notamment, ne porte donc plus sur la définition même de l’originalité mais sur son application à chaque cas d’espèce soumis au juge. Or, dans ce cadre, on s’aperçoit que le débat juridique s’est déplacé depuis peu vers la question de la preuve de l’originalité qui est devenue un enjeu majeur des contentieux en matière de photographie récemment. En effet, la jurisprudence ayant finalement défini clairement l’originalité des photographies et ayant pendant plusieurs années également admis assez largement cette originalité, les plaideurs se sont tournés vers d’autres moyens et notamment vers la question de la preuve. C’est ainsi qu’en défense les plaideurs se sont mis à soulever systématiquement des moyens liés soit à la charge de la preuve (c’est au demandeur de prouver l’originalité de sa ou ses photographies), soit aux moyens de la preuve (il doit décrire l’originalité de chacune de photographie pour laquelle il agit en contrefaçon pour être recevable à agir) et il se trouve que ces arguments ont été entendus par certains juges. Cela a donné naissance à un « courant » jurisprudentiel des juges du fond et plus spécifiquement du Tribunal de grande instance de Paris particulièrement sévère en matière de preuve de l’originalité et plus spécifiquement des photographies. On verra en premier lieu que, si ce mouvement est maintenu, la preuve de l’originalité des photographies s’avèrera véritablement impossible, à tout le moins dans certains cas, notamment de contrefaçon massive (1.). Mais, comme le notait notre confrère Lagarde à l’instant, le tableau n’est pas si noir car, depuis quelques mois, plusieurs décisions semblent revenir sur cette sévérité accrue en matière de preuve de l’originalité des photographies et, si ce second mouvement est confirmé, la preuve de l’originalité des photographies ne devraient alors pas devenir une mission impossible, ce qui nous permet de penser que, malgré son titre un peu alarmiste, la présente intervention ne devrait pas s’autodétruire dans cinq secondes (2.). 1. LA PREUVE DE L’ORIGINALITÉ : UNE MISSION DEVENUE IMPOSSIBLE ? La sévérité accrue de la jurisprudence des juges du fond et surtout du Tribunal de grande instance de Paris, touche aussi bien la charge de la preuve (1.1.) que les moyens de la preuve (1.2.). 1.1. UNE SÉVÉRITÉ ACCRUE QUANT À LA CHARGE DE LA PREUVE La question de la charge de la preuve est un point important puisque celui sur qui pèse la charge de la preuve succombera si un doute subsiste ou s’il ne parvient pas à rapporter la preuve demandée. C’est donc un choix de politique juridique de décider sur qui pèse la charge de la preuve de l’originalité. Pour comprendre le courant jurisprudentiel récent (1.1.2.), il faut revenir rapidement sur les principes qui gouvernaient la preuve de l’originalité avant la naissance de ce courant (1.1.1.). 1.1.1. RAPPEL DES PRINCIPES TRADITIONNELS Le principe n’a jamais changé : la charge de la preuve de l’originalité pèse en principe sur le demandeur. En effet, en vertu de l’article 1315 du code civil, « c’est à celui qui réclame l’exécution d’une obligation de la prouver »1. Par ailleurs, la jurisprudence et la doctrine ont toujours été 1 Par exemple : CA Lyon, 23 mars 1989 : D. 1989, IR, p. 126 : « il appartient au photographe qui se prévaut de sa qualité d’auteur de signaler les particularités de son travail permettant de prétendre qu’il est sorti de la technique pour accéder à re l’art » ; CA Paris, 5 avril 1993 : Expertises, juill. 1993, p. 275 ; Cass. 1 civ., 30 juin 1993 : pourvoi n°91-19672 ; CA Bordeaux, 29 avril 1997 : RIDA juill. 1998, p. 260 : « il appartient au photographe d'établir qu'il a joué un rôle déterminant, sinon exclusif, dans la série des actes préparatoires à la prise des clichés, laquelle n'est que le résultat d'un mécanisme et qu'il a été aussi le créateur intellectuel des photographies exécutées » ; CA Dijon, 24 mars 1998 : RIDA oct. 1999, n°182, p. 190 : « il appartient aux sociétés appelantes qui se prévalent d’un monopole d’auteur de démontrer que [l’œuvre] remplit les conditions pour être investie de la protection légale et en particulier, que leur œuvre répond à la nécessaire condition d’originalité » ; CA Paris, 20 mars 2002 : JCP E 2003, n°805 ; TGI Paris, 7 janv. 2003 : Propriétés Intellectuelles avr. 2004, p. 634. C. Caron, Droit d’auteur et droits voisins, Litec, 2006, p. 75 : « la règle s’explique aussi par la nécessité de n’accorder un monopole que sur des créations réellement originales. Il serait en effet incohérent qu’une personne puisse intenter avec succès une action en contrefaçon sans, pour autant, prouver l’originalité de sa création ». unanimes pour affirmer qu’il n’existe pas de présomption légale d’originalité2. Certains plaideurs confondent ou feignent de confondre parfois la présomption légale de paternité posée par l’article L. 113-1 3 avec une prétendue présomption d’originalité mais les juges n’ont jamais accepté une telle interprétation. Toutefois, en pratique, il existait jusqu’à présent des tempéraments jurisprudentiels qui permettaient d’alléger la charge de la preuve ou même de la renverser : - en premier lieu, en l’absence de contestation du défendeur, les œuvres étaient toujours présumées originales4 ; - en second lieu, on considérait en pratique que tout se passait comme s’il existait une présomption d’originalité sauf pour les œuvres utilitaires ou techniques. On citera sur ce point les professeurs Lucas : « tout se passe souvent en pratique comme si l’œuvre bénéficiait d’une présomption d’originalité. (…) C’est seulement dans les cas limites où la nature de l’œuvre fait douter de la possibilité de la protection, par exemple sur des œuvres scientifiques ou techniques, que le débat sur l’originalité revient au premier plan et que les règles de droit commun sur la charge de la preuve reçoivent application »5. Les propos de Carine Bernault vont dans le même sens : « (…) la victime de la contrefaçon, vérifiée ou non, bénéfice d'une présomption 2 CA Dijon, 24 mars 1998 : précité : « [les appelantes] invoquent à tort une présomption d’originalité en faveur de l’auteur ». 3 « La qualité d'auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l'œuvre est divulguée ». 4 Par ex. : Cass. 1re civ., 19 nov. 1991 : Expertises 1992, p. 71 ; JCP E 1992, I, 141, n° 4, obs. M. Vivant et A. Lucas : « les demanderesses au pourvoi sont donc irrecevables à reprocher à la cour d’appel de n’avoir pas spécialement motivé sa décision sur un point de fait que toutes les parties considéraient comme constant ». 5 A. et H.-J. Lucas, Traité de la propriété littéraire et artistique, Litec, 3e éd., 2006, n°85. d'originalité »6. 1.1.2. EVOLUTION DE LA CHARGE DE LA PREUVE DE L’ORIGINALITÉ DES PHOTOGRAPHIES ANNÉES DEVANT LE TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE DEPUIS QUELQUES PARIS Depuis quelques années, le Tribunal de grande instance de Paris est revenu à une application extrêmement stricte de l’article 1315 du code civil7. Il n’applique plus la tolérance qui s’appliquait auparavant aux œuvres non utilitaires ou non techniques. En outre la preuve préalable de l’originalité des œuvres revendiqués s’impose désormais, selon certaines décisions, non seulement lorsqu’elle est contestée en défense mais également quand elle n’est pas contestée ! En effet, certains jugements relèvent d’office le moyen de l’absence d’originalité alors que le défendeur ne l’avait pas soulevé lui-même 8. Par ailleurs, s’agissant de la contestation de l’originalité soulevée par le défendeur, il suffit désormais d’une seule phrase dans les conclusions du défendeur indiquant que l’originalité n’est pas établie ou fait défaut pour que le demandeur soit contraint de démontrer l’originalité des photographies litigieuses. Il ressort de ces décisions que certains magistrats du Tribunal de grande instance de Paris refusent désormais toute présomption d’originalité même simplement jurisprudentielle. 1.2. UNE SÉVÉRITÉ ACCRUE QUANT AUX MOYENS DE LA PREUVE Avant de montrer en quoi la jurisprudence récente est plus sévère (1.2.2.), il faut d’abord rappeler rapidement en quoi consistaient les 6 C. Bernault, Jurisclasseur Propriété littéraire et artistique, Fasc. 1135, n°66. 7 Par exemple : TGI Paris, 18 octobre 2006 : RG 05/13494, inédit ; TGI Paris, 9 septembre 2008, Georges Bartoli c/ AFP : RG n°06/08524, inédit ; TGI Paris, 21 novembre 2008, SAIF et Jacky Bourreau c/ Noé Productions et autres : RG n°06/07073, inédit ; CA Paris, 17 décembre 2008 : RLDI févr. 2009, p. 21. 8 Par exemple : TGI Paris, 2 février 2010, G. Venturini c/ Harlequin : RG n°08/01421, inédit. moyens de la preuve de l’originalité avant ce mouvement jurisprudentiel (1.2.1.). Enfin, on évoquera les conséquences de cette sévérité en pratique (1.2.3.). 1.2.1. LA PREUVE DE L’ORIGINALITÉ AVANT L’ÉVOLUTION RÉCENTE DE LA JURISPRUDENCE Il faut distinguer entre les moyens de la preuve de l’originalité en demande (preuve positive) (1.2.1.1.) et les moyens de preuve de l’absence de l’originalité en défense (preuve négative) (1.2.1.2.). 1.2.1.1. MOYENS DE PREUVE DE L’ORIGINALITÉ EN DEMANDE (PREUVE POSITIVE) La preuve de l’originalité ne posait pas de difficultés majeures. Il suffisait essentiellement de communiquer les photographies litigieuses comme pièces et de décrire rapidement dans ses conclusions en quoi le travail du photographe était original en fonction des critères posés au fur et à mesure par la jurisprudence. Le juge exerçait ensuite son pouvoir souverain d’appréciation de l’originalité au vu des pièces qui lui étaient communiquées. En outre et surtout, les juges acceptaient sans aucune difficulté, lorsque le dossier portait sur plusieurs œuvres photographiques, de raisonner en globalité ou « en bloc » et non pas œuvre par œuvre. A titre d’exemple, on peut citer un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 26 avril 20019 qui portait sur de nombreuses photographies de tableaux de Picasso et dans lequel la Cour résout la question de l’originalité « en bloc » sans examiner l’originalité œuvre par œuvre et en analysant la « démarche globale » du photographe. 1.2.1.2. MOYENS DE PREUVE DE L’ABSENCE DE L’ORIGINALITÉ EN DÉFENSE 9 CA Paris, 26 avril 2001, Propriétés Intellectuelles avr. 2002, p. 46. (PREUVE NÉGATIVE) En défense, il ne suffisait pas d’affirmer que les œuvres étaient dépourvues d’originalité, il fallait démontrer, preuves à l’appui, que le photographe était : - un simple technicien, obéissant à des directives précises, et n’ayant aucune marge de liberté lui permettant d’exprimer sa personnalité. A titre d’exemple, on citera un arrêt de la Cour de cassation du 3 février 200410 qui a estimé que la preuve de l’absence d’originalité était suffisamment motivée par la Cour d’appel qui avait « relevé que les photographes étaient postés aux endroits qui leur étaient imposés, et non par choix raisonné, et agissaient selon la technique du déclenchement continu dite “prise en rafale”, ou en se limitant à installer un objectif à l’arrière d’un véhicule muni d’un déclencheur photographique » et qu’il s’agissait de « scènes d’une grande banalité ». Il s’agissait donc en pratique de cas particulièrement marginaux et la preuve de ces critères n’étaient donc pas évidente pour le défendeur. 1.2.2. LA DE PREUVE DE L’ORIGINALITÉ DEPUIS QUELQUES ANNÉES DEVANT LE TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE PARIS Ici encore, on distinguera entre les moyens de la preuve de l’originalité en demande (preuve positive) (1.2.2.1.) et les moyens de preuve de l’absence de l’originalité en défense (preuve négative) (1.2.2.2.). 1.2.2.1. MOYENS DE LA PREUVE DE L’ORIGINALITÉ EXIGÉS EN DEMANDE Depuis environ deux ans, le Tribunal de grande instance de Paris a largement durci les conditions de la preuve de l’originalité des œuvres et plus particulièrement des photographies. 10 Cass. 1re civ., 3 février 2004 : pourvoi n°02-11400. En effet, au fil des décisions, il a exigé que le demandeur, non seulement communique les œuvres aux débats, mais en outre : - qu’il identifie chacune des œuvres revendiquées même si les crédits de l’ouvrage ou du site Internet litigieux sont très clairs ; On citera une décision du 27 janvier 2009 11 dans laquelle la demanderesse avait communiqué aux débats des photocopies d’un ouvrage comportant ses photographies et les crédits photos à la fin de l’ouvrage qui permettaient d’identifier clairement les œuvres dont elle était l’auteur au sein de l’ouvrage par un renvoi aux rubriques de l’ouvrage auxquelles elle avait participé. Les demandes de la photographe ont été rejetées au motif qu’elle n’avait pas identifié les œuvres dont elle revendiquait la paternité au sein de l’ouvrage. Certes, il s’agit ici d’un élément qui relève finalement plus de la question de la paternité que de l’originalité mais les deux points sont souvent très liés en pratique12. - qu’il décrive les œuvres dans ses conclusions (ex : c’est une photographie d’un voilier au milieu d’une mer houleuse et sous un ciel menaçant) ; - qu’il décrive ensuite ce qui rend la photographie originale (ex : le voilier n’est volontairement pas placé au centre de l’image mais à droite pour mettre en valeur la ligne d’horizon et les vagues de la mer en pleine tempête, les contrastes visent à mettre en valeur les nuages gris très foncés et la voile blanche du voilier, les tons sont volontairement un 11 TGI Paris, 27 janvier 2009, Mme Barraja c/ Hachette Illustré et Victoires International : RG n°08/03598, inédit. 12 Voir aussi : TGI Paris, 18 décembre 2007, Jean-Yves Lambert c/ Dailymotion : www.legalis.netwww.legalis.netwww.legalis.netwww.legalis.net : « il ne suffit pas de prétendre subir une contrefaçon d’œuvres dont on prétend détenir les droits, encore faut-il préciser, en les nommant, les dénombrant et les identifiant, les œuvres dont on revendique la paternité pour justifier de sa qualité à agir et de son intérêt à agir ». dégradé de gris afin de mettre en avant la seule touche de couleur constituée par le coque jaune vif du bateau, seul point de couleur au milieu de l’immensité grise de la mer et du ciel qui se distinguent à peine l’une de l’autre, etc…). - qu’il décrive cette originalité œuvre par œuvre, et ce, quel que soit le nombre d’œuvres concernées. Ce mouvement jurisprudentiel, qui avait eu quelques prémisses en 2006, a commencé, comme le note également le professeur Michel Bruguière13, avec une décision rendue le 9 septembre 2008 qui opposait un ancien photographe de l’AFP à l’AFP 14. Ce dernier reprochait à l’AFP d’exploiter ses photographies via une base de données numérique payante accessible en ligne alors qu’il n’avait jamais signé de contrat de cession de droits sur ses images et notamment pas pour les exploitations numériques. Le photographe a été débouté de ses demandes en première instance aux motifs que les 103 photographies revendiquées par le demandeur étaient « mentionnés « en bloc » par le demandeur, aucune n’est décrite, aucun critère d’originalité n’est détaillé, alors que cette exigence doit être justifiée pour chacune des œuvres de l’esprit revendiquée ». Cette sévérité et ces nouvelles exigences en matière de preuve de l’originalité ont été reprises par la suite par le Tribunal de grande instance de Paris dans d’autres décisions15. 13 J.-M. Bruguière, Propriétés intellectuelles juil. 2009, p. 260. Mais voir peut de temps avant déjà TGI Paris, 18 octobre 2006 : RG 05/13494, inédit : « en se contentant de revendiquer l’originalité d’une œuvre globale qui serait constituée par l’ensemble des clichés (…), alors que l’originalité doit s’apprécier œuvre par œuvre et ne saurait se déduire de la conduite de l’auteur, Mr. P n’établit pas que les œuvres dont il est l’auteur sont originales ». TGI Paris, ord. réf., 28 octobre 2008, Klein c/ M6 : inédit. Voir aussi en doctrine : A. et H.-J. Lucas, op. cit., n°85 et s : « l’originalité ne pouvant s’attacher à un genre, elle doit (…) être constatée au cas par cas ». 14 TGI Paris, 9 septembre 2008, Georges Bartoli c/ AFP : RG n°06/08524, inédit. 15 Par exemple : TGI Paris, 16 juin 2009, Gilles Philippot c/ SNOECK UITGEVERIJ : www.lexbase.frwww.lexbase.frwww.lexbase.frwww.lexbase.fr ; TGI Paris, 2 février 2010, Agnès Arnau c/ François Bourcier : RG n°06/02820, inédit (concernant une adaptation théâtrale mais dont la motivation est particulièrement représentative de ce mouvement jurisprudentiel) : « (…) il se déduit de ces dispositions le principe de la protection d’une œuvre sans formalité et du seul fait de la création d’une forme originale. Cependant chaque personne ayant créé ce qu’elle revendique comme œuvre de l’esprit doit démontrer, pour se voir reconnaître le statut d’auteur, en cas de contestation par le défendeur, l’empreinte de sa personnalité sur chaque œuvre revendiquée car c’est bien la forme particulière de chaque réalisation qui est seule protégeable. En conséquence, toute personne revendiquant des droits sur une œuvre doit la décrire et spécifier ce qui la caractérise et en fait le support de la personnalité de son auteur, tâche qui ne peut revenir au tribunal qui n’est par définition pas l’auteur des œuvres et ne peut substituer ses impressions Sans les citer ici toutes, il convient d’en relever quelques unes qui ont un apport spécifique. Le 9 septembre 2008, le Tribunal de grande instance de Paris a rejeté les demandes d’un photographe au motif que le demandeur « ne donne aucune précision dans ses écritures sur les photographies dont il est l’auteur, ne les décrit pas de sorte que le tribunal est dans l’impossibilité (…) d’évaluer l’indemnisation à laquelle il pourrait prétendre. En conséquence, M. Hoî PHAM DINH sera débouté de sa demande d’indemnisation comme mal fondée »16. Ce qui est intéressant dans cette décision c’est que la description des œuvres est ici exigée non pas au titre de la recevabilité de l’action mais au titre du calcul des dommages et intérêts alors qu’il n’y a aucune raison de relier la question de la description des œuvres à l’évaluation des dommages et intérêts. En outre, à supposer que le magistrat ait besoin de voir les photographies pour évaluer les dommages et intérêts, il lui suffit de se reporter aux pièces mais il est excessif de solliciter une description des œuvres au stade de l’évaluation du préjudice. Deux autres jugements du même Tribunal, l’un du 21 novembre 2008, qui ne portait pas sur des photographies mais sur des dessins 17, et l’autre du 20 mars 2009, qui portaient sur les photographies réalisées en trente ans de carrière par un photographe spécialisé dans les courses de chevaux18, réitèrent les exigences d’identification précises des œuvres tout à fait subjectives aux manifestations de la personnalité de l’auteur. Ainsi, le tribunal ne peut qu’apprécier le caractère protégeable de l’œuvre au vu des éléments revendiqués par l’auteur et des contestations émises par ses contradicteurs ». 16 TGI Paris, 9 septembre 2008, Hoî Pham Dinh c/ Editions Maisonneuve et Larose : RG n°06/14316, inédit. 17 TGI Paris, 21 novembre 2008, SAIF et Jacky Bourreau c/ Noé Productions et autres : RG n°06/07073, inédit : « (…) attendu qu’il appartient au demandeur de démontrer en quoi les dessins qu’il revendique sont des œuvres originales ouvrant droit comme telles à la protection au titre des droits d’auteur (…) ; que si [le demandeur] identifie en l’espèce deux des dessins qu’il revendique, il ne saurait revendiquer la protection d’un genre, celui des dessins d’enfants, en ne procédant pas à la description des œuvres elles-mêmes, ni encore renvoyer le tribunal à examiner lesdits supports au vu des pièces produites en dehors de toute description de sa part ; Attendu dès lors que les demandes formulées au titre de la contrefaçon des droits d’auteur sur les dessins à l’encre noire sur fond blanc ne peuvent prospérer ». 18 TGI Paris, 20 mars 2009, Drevet c/ Editions en direct : RG n°08/04053, inédit : « Attendu (…) qu’il appartient au demandeur de démontrer que les photographies qu’il revendique sont des œuvres originales ouvrant droit comme telles à la protection au titre des droits d’auteur, et non à la défenderesse de combattre une quelconque originalité qui serait présumée ; qu’en l’espèce Monsieur DREVET expose « qu’il est incontestable que ses photographies bénéficient de la protection par le droit d’auteur, qu’en effet il est reconnu depuis plus de 30 ans comme l’un des meilleurs photographes évoluant dans le revendiquées et de description des œuvres et de leur originalité, œuvre par œuvre, et insistent tout particulièrement sur le fait qu’« il n’appartient pas au tribunal d’examiner lui-même les photographies concernées ni les magazines incriminés en dehors de toute description par le demandeur dans ses écritures de chacune des œuvres qu’il revendique ». Ces affirmations sont toutefois juridiquement très discutables car le juge est saisi tout autant par les conclusions que par les pièces, voire plus par les pièces que par les conclusions, et qu’il peut exercer son pouvoir souverain au vu des pièces comme nous l’avons vu précédemment. Enfin, il convient de préciser que ce courant jurisprudentiel a également eu des répercussions sur les décisions de la Cour d’appel de Paris qui, dans un arrêt du 27 janvier 2010, opposant l’agence Sipa Press à l’un de ses anciens photographes, a repris ces principes en jugeant que la protection de principe des œuvres originales, sans formalités, « suppose, s’agissant, comme en l’espèce, de plusieurs milliers de clichés, la reconnaissance, pour chacun d’eux, qu’il résulte d’une création intellectuelle portant l’empreinte de la personnalité de son auteur »19. Quant à la Cour de cassation, certains auteurs estiment qu’elle confirme ce mouvement jurisprudentiel, en invoquant un arrêt du 4 monde du cheval et plus particulièrement dans celui des courses hippiques, que sa connaissance de ce monde très particulier alliée à la maîtrise parfaite de l’art de la photographie attribue indéniablement à ses photographies un caractère original ; ainsi qu’en attestent les clichés versés aux débats ; qu’il ajoute qu’il convient de faire état de la jurisprudence constante applicable en ce domaine qui reconnaît le caractère original d’une photographie présentant des caractéristiques identiques aux siennes, qu’il a toujours pu librement choisir sa façon de travailler, son matériel. son emplacement, le choix de sa focale, le choix de la lumière (notamment en jouant sur les contre jours eu fonction de l’emplacement, le choix de la vitesse d’obturation, de la sensibilité, de l’angle de vue, du cadrage ou encore de la profondeur de champ, que l’originalité de ses photographies dépend ainsi de la combinaison de choix techniques, esthétiques et artistiques à laquelle s’ajoute « son expérience du cheval et dont seule la compréhension de la psychologie comportementale peut permettre d’en sublimer la représentation » ; Mais attendu que si des photographies qui répondent en droit aux critères précédemment exposés par le demandeur, sont susceptibles de bénéficier de la protection par le droit d’auteur (…), encore faut-il que ces photographies soient identifiées ; Or attendu que Monsieur Drevet, qui contrairement à ce qu’il soutient, n’a pas lui-même versé aux débats les photographies qu’il revendique, mais des exemplaires des journaux et magazines qu’il incrimine ou leurs couvertures, dont la liste ne serait pas exhaustive, seule la société défenderesse ayant produit un certain nombre de planches photographiques et de cartons de photographies, ne précise pas ceux, parmi ces supports, qui seraient éligibles à la protection par le droit revendiquée en les identifiant, et ne démontre pas en quoi, en l’espèce, les différents éléments qui caractérisent chacun d’eux seraient originaux et traduiraient un parti pris esthétique et l’empreinte de sa personnalité, en dehors de considération d’ordre général sur sa notoriété, sa technique de prise de vue ou ses méthodes de travail ; (…) il n’appartient pas au tribunal d’examiner lui-même les photographies concernées ni les magazines incriminés en dehors de toute description par le demandeur dans ses écritures de chacune des œuvres qu’il revendique ». 19 CA Paris, 27 janvier 2010, SIPA Press c/ Gérard Gastaud : www.lexbase.frwww.lexbase.frwww.lexbase.frwww.lexbase.fr . novembre 2008, dans lequel la Cour de cassation a cassé un arrêt de la Cour d’appel de Paris ayant condamné sur le fondement de la contrefaçon « sans rechercher si et en quoi chacune des œuvres, dont la protection était sollicitée, résultait d'un effort créatif portant l'empreinte de la personnalité de leurs auteurs, seul de nature à leur conférer le caractère d'une œuvre originale protégée, comme telle, par le droit d'auteur »20. Mais il apparaît difficile de voir dans cet arrêt une véritable consécration du courant jurisprudentiel précité car : - il a été rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation ; l’arrêt n’avait pas même évoqué la question de l’originalité et était partie du principe que les éléments graphiques et rédactionnels du site Internet litigieux étaient protégeables ; il était question d’œuvres dont l’originalité est sujette à caution ; la Cour de cassation ne fait pas mention d’une obligation pour le demandeur de décrire chacune des œuvres et leur originalité mais simplement de l’obligation pour le juge de motiver sa décision. 1.2.2.2. MOYENS DE LA PREUVE DE L’ABSENCE D’ORIGINALITÉ Aujourd’hui, il suffit pour le défendeur : - d’affirmer dans ses conclusions en une phrase que les photographies ne sont pas originales ou que la preuve de leur originalité n’est pas rapportée pour être dédouané de tout acte de contrefaçon. - s’il souhaite un peu argumenter, il lui suffit de dire que les sujets des photographies sont banals ; - ou encore il peut communiquer aux débats des photographies similaires 20 Cass. crim, 4 nov. 2008 : CCE fév. 2009, comm. 11, note Caron. à celles qui font l’objet du débat afin de démontrer leur banalité 21 ; - ou encore, si les photographies sont publiées avec des photographies d’autres photographes, arguer du fait que l’on ne parvient pas à reconnaître la « patte » du photographe parmi toutes les photographies publiées22. Ce type de décision montre que les juges ne distinguent pas toujours bien la notion d’originalité de celle de nouveauté. L’originalité ne devrait pas en principe se déduire de l’absence « d’antériorités » mais uniquement de l’analyse objective de la photographie en question. 1.2.3. CONSÉQUENCES La sévérité récente de la jurisprudence des juges du fond rend la preuve de l’originalité plus contraignante mais pas impossible lorsque quelques œuvres sont concernées. En revanche cette sévérité rend la preuve de l’originalité quasiment impossible voire impossible en présence d’actes de contrefaçon importants ou « massifs ». Or, c’est justement une des spécificités majeures des photographes de créer un nombre d’œuvres extrêmement importants par rapport par exemple à un musicien, un écrivain ou encore un réalisateur de cinéma. Les cas de contrefaçon massive sont donc très fréquents en matière de photographie23. 21 On relèvera à cet égard une décision de la Cour d’appel de Paris, rendue le 9 juin 2009 qui a jugé, dans l’espèce qui lui était soumise qu’il s’imposait « de constater, à l'examen de l'abondante production soumise par lui à l'appréciation de la Cour, que s'y trouve d'autres photographies de même genre que [celles du demandeur] ; qu'ainsi en particulier dans l'ouvrage Sopad Nestlé "La Planète gourmande" (…), il n'apparaît pas à la comparaison visuelle, sans se reporter à l'indication finale nominative des divers photographes ayant participé à sa réalisation, possible d'isoler un ou plusieurs éléments identifiants spécifiques de la personnalité de M. Bruno VALARIN, par exemple entre les photos faites par lui des pages 6,20-21,22 et les prises de vues d'autres photographes aux pages 23,24,49, 76-77 ou 69 » et d’en déduire l’absence d’originalité desdites photographies : CA Paris, 9 juin 2009, Bruno Valarin c/ Nestlé France : RG n°07/05385 : www.lexbase.frwww.lexbase.frwww.lexbase.frwww.lexbase.fr . 22 Par exemple : CA Paris, 4 septembre 2009, La Martinière www.lexbase.frwww.lexbase.frwww.lexbase.frwww.lexbase.fr . Groupe c/ Claude Gaspari : 23 Par exemple, dans l’affaire opposant 23 photographes de l’AFP à l’AFP, plus de 400.000 œuvres étaient en cause. Par exemple, dans le dossier SAIF c/ Google, il s’agit de plusieurs millions d’œuvres en cause. Or, même dans un tel cas, le Tribunal de grande instance de Paris a jugé que la SAIF était irrecevable à agir au nom de ses membres « faute de (…) décrire la contrefaçon auteur par auteur »24. Il n’était pas question de l’originalité des œuvres en l’espèce mais la caractérisation de la contrefaçon est une question très proche. Si l’on pousse ce raisonnement jusqu’au bout, c’est une véritable prime à la contrefaçon de masse : les contrefacteurs auraient en effet intérêt à contrefaire un très grand nombre d’œuvres puisqu’ils rendraient ainsi toute action en contrefaçon techniquement impossible pour le titulaire des droits ! La situation serait ainsi véritablement catastrophique ou en tout cas inquiétante si la jurisprudence décidait de continuer sur sa lancée. Mais il existe plusieurs décisions récentes qui semblent clairement revenir sur la rigueur imposée depuis deux ans et qui ouvrent des perspectives plus heureuses pour les photographes et leurs avocats. 2. LA PREUVE DE L’ORIGINALITÉ : UNE MISSION FINALEMENT POSSIBLE ? Nous allons d’abord évoquer le contenu des décisions récentes qui sont venues rééquilibrer le débat en matière de preuve de l’originalité (2.1.) pour ensuite nous intéresser à la pertinence juridique de ces décisions (2.2.). 2.1. ANALYSE DE QUELQUES DÉCISIONS RÉCENTES Les évolutions peuvent être constatées aussi bien concernant la charge de la preuve (2.1.1.) que les moyens de la preuve de l’originalité (2.1.2.). 2.1.1. SUR LA CHARGE DE LA PREUVE 24 TGI Paris, 20 mai 2008, SAIF c/ Google : Juris-Data n°2008-362899. Certaines décisions récentes sont revenues à des solutions plus classiques quant à la charge de la preuve. Par exemple, un jugement du 21 janvier 2009 a déduit l’originalité des photographies en cause du seul fait de l’absence de contestation du défendeur25. D’autres décisions semblent exiger une véritable contestation de la part du défendeur de l’originalité des œuvres avant de « renverser » la charge de la preuve et non pas une simple affirmation de principe dans les conclusions du défendeur. Ainsi, dans un arrêt du 22 mai 2009, la Cour d’appel de Paris relève que le défendeur « conteste globalement l'originalité des photographies dont il s'agit ; qu'elle fait valoir qu'elles ne constituent que de simples réalisations techniques reproduisant « mécaniquement » leurs sujets » et en déduit que l’originalité des œuvres n’est pas sérieusement contestée 26. La Cour d’appel de Paris est même allée encore plus loin en affirmant, dans un arrêt du 26 février 201027 : - que le photographe demandeur n’avait pas « contrairement à ce qu’ont affirmé les premiers juges « à rapporter la preuve de l’originalité de ses œuvres » » ; que la défenderesse, en l’occurrence l’AFP, ne contestait l’originalité des photographies que « de manière globale » et que « le propos [de l’AFP sur ce point] manque de pertinence par sa généralité » ; que « ce faisant, elle n’apporte pas de réponse précise à l’analyse faite par l’appelant de sa démarche et des choix qu’il a 25 TGI Paris, 21 janvier 2009, Alexandre Fernandes www.lexbase.frwww.lexbase.frwww.lexbase.frwww.lexbase.fr c/ Association Chandanse des sourds : : « Il convient de noter que l’association ne conteste pas l’originalité des photographies de M. Fernandes, dans ces conditions, les photographies litigieuses sont protégées au titre du droit d’auteur ». 26 CA Paris, 22 mai 2009, Joachim Maria SIMAO c/ Papèteries Hamelin : www.lexbase.frwww.lexbase.frwww.lexbase.frwww.lexbase.fr . 27 CA Paris, 26 février 2010, Georges Bartoli c/ AFP : www.lexbase.frwww.lexbase.frwww.lexbase.frwww.lexbase.fr . opérés » ; « qu’il incombait pourtant à l’AFP de démontrer dans quelle mesure le fruit du travail de Monsieur Bartoli, serait le fruit d’opérations contingentes et ne laisserait pas place à l’expression de son regard personnel, ce qu’elle ne fait pas » ; et que « cette exigence était d’autant plus nécessaire qu’elle a exploité lesdites œuvres et qu’elle ne prétend pas avoir soutenu à sa clientèle qu’elles étaient libres de droits ». Cet arrêt est très important car il revient à la solution classique en matière de charge de la preuve : en pratique c’est au défendeur de contester l’originalité des œuvres revendiquées de manière circonstanciée et non pas par des propos généraux en quelques lignes. 2.1.2. SUR LES MOYENS DE LA PREUVE DE L’ORIGINALITÉ Plusieurs décisions reviennent très clairement sur la sévérité précitée concernant les moyens de la preuve de l’originalité. - S’agissant d’abord de l’exigence d’identification précise des œuvres litigieuses, la Cour d’appel de Paris a jugé que la communication d’un ouvrage qui mentionne les crédits photographiques suffit à permettre l’identification des œuvres28. - S’agissant de l’exigence de description œuvre par œuvre des photographies et de leur originalité : - plusieurs décisions se prononcent de manière globale sur plusieurs œuvres sans procéder à une analyse œuvre par œuvre 29. 28 Décision réformée en appel : CA Paris, 26 mars 2010, Hoî Pham Dinh c/ Editions Maisonneuve et Larose : www.lexbase.frwww.lexbase.frwww.lexbase.frwww.lexbase.fr : « Considérant que la simple lecture de l’ouvrage qui contient les reproductions litigieuses, renseigne sur la qualité de l’appelant qui d’une part, est cité dans les remerciements pour ses « photographies et illustrations » et dont d’autre part, le nom figure expressément en dernière page aux crédits photos pour 31 pages bien individualisées sur lesquelles plusieurs de ses photographies sont reproduites ; Considérant que, comme le relève la correspondance échangée entre l’appelant et l’éditeur, le nombre total de photographies de l’appelant reproduites dans l’ouvrage s’élève à 117 ; Qu’il suit que les photographies sont parfaitement identifiées ». 29 CA Paris, 22 mai 2009, Joachim Maria SIMAO c/ Papèteries Hamelin : www.lexbase.frwww.lexbase.frwww.lexbase.frwww.lexbase.fr : « Considérant que les nombreuses photographies qui ont été reproduites par la société D. DISTRIBUTION ainsi que les clichés utilisés par la société PAPETERIES HAMELIN donnent à voir de jeunes mannequins, seuls ou en groupe, ou bien le styliste Mohamed DIA, ou - d’autres décisions présument l’originalité des photographies à partir des faits qui sont soumis aux juges et sans procéder à une analyse même globale des œuvres litigieuses : - On citera en ce sens, d’abord, une décision du Tribunal de grande instance de Paris du 26 août 2009 qui concernait encore un ancien photographe de l’AFP qui agissait contre cette dernière 30. Alors que la question de l’originalité représentait une quarantaine de pages dans les conclusions du demandeur et une quinzaine de pages dans les conclusions de la défenderesse, le tribunal tranche ce point, de manière incidente ainsi : « étant relevé que l’originalité de ses clichés ne peut sérieusement être contestée puisqu’ils ont été choisis pour leurs caractéristiques originales ». - Il faut également citer une autre décision, cette fois de la Cour d’appel de Paris du 9 juin 200931, dans un conflit opposant 23 photographes de l’AFP contre l’AFP. La Cour d’appel de Paris a jugé que les photographies des demandeurs étaient présumées originales et qu’il n’y avait donc pas lieu de décrire leur originalité œuvre par œuvre. Elle s’est fondée pour cela sur les motifs suivants : - « en prévoyant dans les contrats de travail l’existence d’une clause de cession de droits d’auteurs dont elle revendique l’application dans toute sa généralité, l’AFP a considéré que les photographies de ses salariés auteurs bénéficient d’une présomption d’originalité sans distinction ; que cette présomption s’impose d’autant plus qu’elle porte, pour la plupart des intéressés, sur quelques milliers de photographies qui ont rejoint le fonds photographique de l’AFP et qu’elle-même s’attache, visà-vis des tiers, à défendre les droits d’auteurs qu’elle tire de cette clause, sans distinction entre les œuvres ». bien encore d'autres personnalités arborant des produits vestimentaires de la marque DIA ; que les expressions et les poses des sujets photographiés qui relèvent du choix de Monsieur SIMAO de même que la mise en scène, l'éclairage et le cadrage révèlent l'empreinte de la personnalité de celui-ci et confère à chacune des photographies en cause un caractère original qui en fait des œuvres protégeables par le droit d'auteur ». Voir aussi mais moins nets : CA Paris, 4 mars 2009, Claude Gaspari c/ Lagardère : www.lexbase.frwww.lexbase.frwww.lexbase.frwww.lexbase.fr ; CA Paris, 27 janvier 2010, SIPA Press c/ Gérard Gastaud : www.lexbase.frwww.lexbase.frwww.lexbase.frwww.lexbase.fr ; CA Paris, 19 mai 2010, Marc Robin c/ 123 Multimedia : www.lexbase.frwww.lexbase.frwww.lexbase.frwww.lexbase.fr . 30 TGI Paris, 26 août 2009, Jean-Claude Delmas c/ AFP : RG n°07/10770, inédit. 31 CA Paris, 9 juin 2009, Andrieu et autres c/ AFP : Juris-Data n°2009-377767. Voir aussi dans le même sens CA Paris, 26 février 2010 : précité. Il faut préciser que cette idée n’est pas une idée nouvelle : il existait déjà des décisions plus anciennes, dont certaines validées par la Cour de cassation, qui avaient écarté l’objection du défaut d’originalité, en opposant au défendeur qu’il n’était pas fondé à dénier une originalité qu’il avait antérieurement reconnue32. Toujours dans le même sens, on citera une ordonnance de référé du 11 février 200933 dans laquelle le magistrat relève que, en l’espèce, le demandeur « ne définit pas cliché par cliché, les caractéristiques originales de celui-ci. Toutefois, un examen rapide des photographies litigieuses permet de constater que pour la plus grande partie d’entre elles, elles sont protégeables au titre du droit d’auteur compte-tenu des caractéristiques de lumière et de cadrage qui ont été choisies par le photographe. Dès lors, le caractère protégeable de ces photographies n’apparait pas sérieusement contestable ». En l’occurrence, il s’agissait de près de 3500 photographies d’œuvres d’art. - Enfin, il faut aussi rappeler que la décision Infopaq de la CJUE du 16 juillet 2009 devrait également avoir un impact sur l’allègement de la preuve de l’originalité en donnant une interprétation plus large et plus objective de la notion d’originalité qui devrait la rendre plus facile à prouver. Je renvoie sur ce point à l’excellente intervention de Monsieur Michaux. 2.2. PERTINENCE JURIDIQUE DE CES DÉCISIONS 32 Voir par exemple : TGI Paris, 20 janv. 1993 : Expertises 1993, p. 187: « sa qualité d’auteur est expressément mentionnée au titre IV de la note du 25 juillet 1988 établie par [le défendeur] » ; CA Paris, 23 sept. 1997 : Expertises 1997, p. 398 : « elle a signé sans réserve des contrats de licence faisant état de la protection de ces logiciels au titre de la législation sur le re droit d’auteur » ; Cass 1 civ., 27 avril 2001 : Propriétés Intellectuelles avr. 2002, p. 48 (à propos de l’originalité d’un logiciel) : la Cour d’appel pouvait se contenter de la reconnaissance contractuelle des droits sur le logiciel pour en déduire le droit pour le titulaire désigné d’en « revendiquer l’exploitation » à l’encontre de son partenaire, et elle n’avait pas « à se prononcer sur l’originalité d’un apport personnel conventionnellement tenu pour constant par les parties ». 33 TGI Paris, Référé, 11 février 2009, Stéphane Briolant c/ ARTPRICE : inédit. D’un point de vue juridique, on s’aperçoit que le fondement implicite de ces décisions est l’article 1353 du code civil ou plus généralement les présomptions du juge. En effet, l’article 1353 prévoit que le juge peut se fonder sur des présomptions non légales qui « sont abandonnées aux lumières et à la prudence du magistrat ». Il ne doit admettre que des « présomptions graves, précises et concordantes ». Ces présomptions du juge, que l’on dénomme aussi « présomption du fait de l’homme » ou « présomption de fait » ou « présomption du juge » ou « preuve par indice » sont des déductions faites par le juge sur la base d’indices apportés par le ou les plaideurs. La spécificité de ces présomptions est qu’elles ne renversent pas la charge de la preuve puisque c’est toujours au demandeur de rapporter la preuve des faits qu’il allègue mais elles allègent la charge de la preuve en permettant au plaideur de prouver un fait par la preuve d’autres faits ou indices qui indirectement permettent de déduire l’existence du fait principal. À cette fin, le juge peut même former sa conviction sur un fait unique si celui-ci lui paraît de nature à établir la preuve nécessaire 34. Ces présomptions ne sont admises comme mode de preuve que lorsque la preuve est libre. Or la preuve de l’originalité peut être rapportée par tout moyen car il s’agit d’un fait juridique et peut donc être prouvée par le biais de présomptions. Ce moyen de preuve est d’autant plus admissible lorsque l’on est en présence d’une preuve impossible ou preuve diabolique, ce qui est le cas 34 Cass. 3e civ., 28 nov. 1972 : pourvoi n°71-12044 ; Cass. 1re civ., 5 fév. 1991 : pourvoi n°89-13584. lorsque le nombre d’œuvres en cause ne permet pas de procéder à une description œuvre par œuvre de l’originalité. Les décisions précitées qui fondent l’originalité des œuvres qui leur sont soumises sur une présomption du juge – et non sur une présomption légale – sont donc tout à fait fondées et pertinentes juridiquement. Elles ne remettent pas en cause la charge de la preuve qui demeure sur le demandeur et sont donc conformes aux exigences de la Cour de cassation. Elles ne font que faciliter les moyens de la preuve, sur la base du pouvoir souverain des juges du fond en matière d’originalité. L’équilibre est donc retrouvé. Reste à savoir quels sont les indices qui, à l’avenir, seront retenus comme permettant de fonder une présomption du juge d’originalité. Ce point sera abordé par mon confrère et associé Gilles Vercken, donc je ne vais pas m’étendre sur ce sujet. J’indiquerai simplement que, à mon sens, un des cas où le juge doit pouvoir se fonder sur une simple présomption d’originalité est celui de l’action d’une société de gestion collective. Autrement dit, dès lors qu’une société de gestion collective agit, elle ne doit pas rapporter la preuve de l’originalité de son répertoire. Il existe d’ailleurs une jurisprudence abondante et ancienne sur ce point 35 qu’il est important de défendre et qui ne doit pas être remise en cause. Enfin, autre indice qui pourrait être intéressant, que la jurisprudence n’a pas encore utilisé : la preuve par échantillon en cas de contrefaçon massive (sans que les dommages et intérêts ne soient limités aux œuvres dont l’originalité aura été prouvée). re re Cass. 1 civ., 3 décembre 1985 : pourvois n°84-13591, n°84-13592 et n°84-13593 ; Cass. 1 civ., 22 mars 1988 : RIDA avr. 1989, p. 210. La chambre criminelle de la Cour de cassation adopte également la même solution de principe : Cass. crim., 31 mars 1987 : RIDA, avr. 1989, p. 198 rejetant le pourvoi qui soulevait le même argument selon lequel « la décision attaquée n'indique nullement les œuvres qui auraient été diffusées dans l'établissement du demandeur ». Voir aussi : re er Cass. 1 civ., 1 mars 1988 : RIDA avr. 1989, p. 208 ; CA Toulouse, 25 mai 1997 : RIDA janv. 1998, p. 323 ; TGI Paris, 15 mai 2002 : RIDA oct. 2002, p. 388. T. Desurmont et C. Guernalec, Jurisclasseur Propriété littéraire et artistique, Fasc. 1560 ; Ficsor, « Gestion collective des droits d’auteur et des droits voisins – Rapport préparé par le Bureau international de l’OMPI », DA 1989, p. 327, spéc. p. 363, n°266. 35