Cass. 3 civ., 1 juill. 2015, n° 14-19826 et n° 14

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Cass. 3 civ., 1 juill. 2015, n° 14-19826 et n° 14
Cass. 3e civ., 1er juill. 2015, n° 14-19826 et n° 14-50038
Contrat d’assurance – Droit commun - C. assur., art. L. 113-1, al. 2 – Faute dolosive – Défaut de
caractérisation de la volonté de l’assuré de causer le dommage tel qu’il est survenu
Obs. : Faute intentionnelle exclusive de garantie : apport de la Troisième Chambre civile.
Si nous avons déjà pu, dans les colonnes de cette revue, apporter de vives critiques à la
définition donnée par la Deuxième Chambre civile de la faute intentionnelle de l’article L. 113-1,
alinéa 2 du Code des assurances (V. not. « Crêpage de chignons autour de l’article L. 113-1 C. ass.
(à propos de Cass. Civ. 2e, 16 janv. 2014) », www.actuassurance.com, mars-avril 2014, n° 35, act.
jurisp.), nous sommes contraints aujourd’hui de modérer nos reproches à la lecture de cette
décision. Que celle-ci soit rendue par la Troisième Chambre civile explique peut-être notre
acceptation de la solution émise ici et qui s’éloigne quelque peu des dérapages passés de la
Deuxième Chambre. Cet éloignement tient moins à la différence de formulation – la Troisième
Chambre reprenant l’attendu de principe de la Deuxième Chambre – qu’à la différence de
perception des faits.
Il était reproché à un bureau d’études, agissant en qualité de maître d’œuvre, d’avoir avalisé
des travaux non conformes à ceux qu’il avait préconisés en vue de mettre fin à des désordres
affectant une maison. Pour combattre un certain nombre de fissures relevées sur les façades,
escaliers et certaines pièces de la maison, le bureau d’études avait en effet demandé à
l’origine à ce que soit créé un joint de rupture et de dilatation et que 26 micropieux soient mis
en place. Or, les travaux confortatifs et de reprise des fondations se sont avérés totalement
différents de ceux initialement préconisés et, finalement, moins coûteux. Le bureau d’études a
laissé ces travaux se réaliser mais, plus largement, aurait faussement attesté de leur
conformité. Du fait de la persistance des désordres et de la survenance de nouveaux, le bureau
d’études fut mis en cause.
La Cour d’appel d’Aix-en-Provence a considéré que l’assureur du bureau d’études était fondé
à invoquer l’exclusion de garantie prévue à l’article L. 113-1, alinéa 2 du Code des
assurances. Les juges du fond ont considéré que l’aléa avait disparu suite au comportement
dolosif de l’assuré, lequel a délibérément et consciemment violé ses obligations
professionnelles : validation de travaux non conformes à ceux initialement recommandés,
fausse affirmation de la conformité de ces travaux et fausse attestation de la bonne réalisation
des travaux.
Nonobstant la réalité de ces éléments à charge pour la société mise en cause, la Troisième
Chambre civile casse l’arrêt de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence pour absence de base
légale ; la Cour de cassation reproche en effet aux juges du fond de ne pas avoir caractérisé
chez l’assuré la volonté de créer le dommage tel qu’il est survenu.
Si, dans la plupart des cas, nous estimons que cette formule est abusivement utilisée par la
Cour de cassation alors même que l’assuré fait part d’une malveillance manifeste devant – à
notre sens – permettre une stricte application de l’article L. 113-1, alinéa 2 du Code des
assurances, la reprise par la Troisième Chambre civile de cet énoncé trouve ici une pleine
légitimité. Bien que l’on ne puisse passer sous silence les nombreux manquements
professionnels commis par l’assuré, il ne faut toutefois pas les exacerber ou, du moins, leur
attribuer des conséquences qu’ils ne peuvent raisonnablement générer. Si la malveillance est
tournée vers le suivi des travaux, elle ne peut en revanche – au regard des éléments invoqués
devant les juges – être constatée au regard de la survenance de désordres nouveaux. Or, c’est
précisément à leur encontre qu’est demandée la garantie de l’assureur. On peut certes
reprocher à la société assurée de ne pas avoir pris les précautions nécessaires dans l’exercice
de son activité professionnelles et d’avoir, ainsi, fait preuve de dysfonctionnements
coupables. Cela étant, on ne peut lui reprocher une quelconque recherche volontaire de
dommages nouveaux ou une intention de faire persister des dommages initialement constatés.
Même si l’on peut supposer que l’assuré ne pouvait pas ignorer les conséquences de son
laxisme, celui-ci doit-il pour autant être assimilé à une recherche intentionnelle des
dommages effectivement survenus ? Rien n’est moins sûr.
Déjà, suivant la jurisprudence de la Deuxième Chambre civile, la décision des juges du fond
ne permet pas ici de s’assurer que l’assuré ait souhaité créer le dommage tel qu’il est survenu.
Mais au-delà de cet élément, les faits de l’espèce semblent indiquer que l’assuré non
seulement ne pouvait pas – précisément – vouloir créer le dommage tel qu’il a été finalement
constaté, mais ne voulait pas la survenance de ces dommages. Les juges du fond présument
des défaillances lourdes de l’assuré dans l’accomplissement de sa mission une volonté de
créer les dommages consécutifs. Par cet arrêt de cassation, la Troisième Chambre civile
sanctionne cette présomption et impose une caractérisation de la volonté chez l’assuré de
créer le dommage (très discutable en l’espèce) et de l’avoir souhaité tel qu’il est effectivement
survenu.
La vision de la Troisième Chambre civile émise dans cette décision (confirmé dans un arrêt
du même jour : V. Cass. 3e civ., 1er juill. 2015, nos 14-10.210, 14-11.971, 14-13.403 et 1417.230) mérite à notre sens un regard plus appuyé que celui qui consisterait à percevoir cet
arrêt comme une simple poursuite de la jurisprudence de la Deuxième Chambre. Dès lors,
n’en viendrait-on pas à soutenir que c’est la technicité du contentieux de la construction qui
permettrait de donner une cohésion à la jurisprudence relative à la faute intentionnelle et
dolosive de l’article L. 113-1, alinéa 2 du Code des assurances ?
Loïc de GRAËVE
L’arrêt :
LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Joint les pourvois n° D 14-50.038 et Q14-19.826 ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 13 février 2014), que M. et Mme X... ont
confié, en 1989, la construction d'une maison à une société, assurée par la société Groupama ;
qu'après une déclaration de sinistre en 1998, la société Saretec, expert amiable, a indiqué que
des fissures affectaient toutes les façades, l'escalier extérieur et certaines pièces ; que le
Bureau d'études 2 PI, assuré auprès de la SMABTP, a préconisé l'exécution d'un joint de
rupture entre la zone compacte et la zone compressible et la mise en place de vingt-six micropieux à une certaine profondeur ; que la société Groupama a versé, en novembre 1999, une
indemnité de 308 467,53 francs (47 550,49 euros) à M. et Mme X... ; qu'au cours du mois de
mars 2001, les travaux confortatifs ont été réalisés par une entreprise assurée par la société
Sagena, sous la maîtrise d'oeuvre de la société 2 PI, pour un montant de 13 720,41 euros ;
que, parallèlement, des travaux d'extension de la maison ont été confiés à une société assurée
auprès de la société Covéa Risks ; que M. et Mme X... ont vendu leur villa à la SCI Les
Aubarides (la SCI) ; que dénonçant l'existence de fissures, la SCI a, après expertise, assigné,
notamment, M. et Mme X..., la société Sagena, le liquidateur chargé de la liquidation
judiciaire de la société 2 PI, et la SMABTP aux fins de les voir, sur le fondement des articles
1641 et 1792 du code civil, condamnés à payer certaines sommes au titre du coût des travaux
de reprise et des préjudices financier et de jouissance ; que M. et Mme Y... agissant tant en
leur nom personnel qu'en qualité de représentants légaux de leur fils mineur (les consorts
Y...), associés de la SCI, sont intervenus volontairement à l'instance ;
Sur le premier moyen, ci-après annexé :
Attendu qu'ayant relevé, par motifs adoptés, que M. et Mme Y... avaient vécu dans un
immeuble affecté de fissures traversantes, de problèmes de menuiseries et subi la présence
d'étaiements de mise en sécurité, la cour d'appel a souverainement évalué le montant de la
réparation due au titre du préjudice de jouissance ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le second moyen :
Vu l'article L. 113-1 du code des assurances ;
Attendu que pour déclarer la SMABTP fondée à opposer le dol de son assuré, l'arrêt retient
que la société 2PI a, en toute connaissance de cause, avalisé, en sa qualité de maître d'œuvre,
des travaux non conformes à ceux qu'elle avait personnellement recommandés pour mettre fin
aux désordres, a faussement affirmé que les travaux étaient conformes aux prescriptions du
cabinet Saretec et à l'étude de sol et attesté que les travaux réalisés avaient été bien exécutés,
alors que les vérifications techniques démontrent le contraire, que ces manquements graves de
la société 2PI, qui n'ignorait pas les conséquences du défaut de respect de ses propres
préconisations, quant à la survenance de nouveaux désordres, qui se sont révélés, caractérisent
la faute dolosive par la violation délibérée et consciente de ses obligations professionnelles,
faisant disparaître l'aléa qui est de l'essence même du contrat d'assurance ;
Qu'en statuant ainsi, sans caractériser la volonté de la société 2PI de créer le dommage tel
qu'il est survenu, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision de ce chef ;
PAR CES MOTIFS :
Rejette les demandes de mise hors de cause de M. et Mme X... et de la société Covéa Risks ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare la SMABTP fondée à opposer le
dol de son assuré, l'arrêt rendu le 13 février 2014, entre les parties, par la cour d'appel d'Aixen-Provence ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se
trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;
Condamne les sociétés SMABTP et Sagena aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne les sociétés SMABTP et Sagena à
payer la somme globale de 3 000 euros aux consorts Y... et à la SCI Les Aubarides ; rejette les
autres demandes ;

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