Faut-il instaurer des mesures de discrimination positives sur le
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Faut-il instaurer des mesures de discrimination positives sur le
Faut-il instaurer des mesures de discrimination positives sur le marché du travail ? par Grégor Chapelle, directeur général d’Actiris En 2009, le Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme a traité 389 dossiers de discrimination à l’embauche. Dans 45 % des cas traités par le Centre, le critère racial est mis en cause. Suivent le handicap (20 %), l’âge (11 %) et l’orientation sexuelle (7 %). L’intégration des minorités passe-t-elle par l’instauration de mesures de discriminations positives sur le marché du travail ? 1. Contexte Les faits justifient que la question soit posée. A (sous-)qualification égale, un jeune issu du croissant pauvre bruxellois a deux fois plus de chances d’être au chômage. 1 Le seul argument de l’infraqualification des jeunes ne suffit donc pas à expliquer l’exclusion du marché de l’emploi, les jeunes infraqualifiés issus des quartiers cossus de la capitale ayant deux fois moins de chances d’être au chômage que leurs voisins des quartiers pauvres ayant le même niveau de (sous-)qualification. Certes, les pouvoirs publics doivent investir massivement dans la formation. Mais ce n’est pas l’objet de cette fiche, qui vise à adresser la problématique de l’exclusion du marché du travail dont font l’objet un certain nombre de minorités sociales indépendamment de leur niveau de qualification. Néanmoins, le faible niveau de qualification de certaines catégories de la population bruxelloise indique que l’exclusion commence bien avant le seuil de l’emploi. Les phénomènes de reproduction sociale décrits par P. Bourdieu sont toujours d’actualité, n’ont en rien été résolus depuis 40 ans, et ne peuvent se résumer à la seule question de l’inclusion sur le marché de l’emploi. 1 Les jeunes face au chômage en RBC sous l’angle des disparités territoriales, Observatoire bruxellois de l’Emploi, mars 2012. 1 En effet, pour que la diversité soit inclusive dans une société, celle-ci doit s’articuler conjointement autour de quatre piliers : l’enseignement (véritable machine active de la reproduction sociale), les médias (où les référents positifs issus des minorités sociales manquent cruellement et ne suffisent pas à compenser la représentativité de ces mêmes minorités dans les rubriques de faits divers), les forces de l’ordre (qui ont énormément progressé dans leur politique de recrutement d’agents issus des minorités visibles) et l’emploi (à la fois réceptacle et miroir de la société). Les exemples de politique active en faveur de la diversité proviennent essentiellement d’Amérique du Nord. Il est évident que, sans les politiques de discrimination positive (affirmative action policies) mises en place depuis les années 1960 aux Etats-Unis (années Kennedy), Barack Obama ne serait pas président à cet instant. Pire, si les politiques de diversité n’avaient été appliquées que dans le monde du travail (equal employment opportunities), il n’aurait pas eu davantage de chances d’être promu à la plus haute fonction publique américaine. En effet, avant d’être une question d’inclusion sur le marché du travail, la question de la diversité est d’abord et avant tout apparue, aux Etats-Unis, comme une question sociale à la fin de la ségrégation. Les Etats-Unis ont dès lors attaqué le problème sur les quatre fronts précités, essentiellement au moyen de quotas. Ce n’est qu’au tournant des années 1980 que le monde de l’entreprise a commencé à utiliser la diversité comme un outil de management et de marketing social. Aujourd’hui, en Europe, et singulièrement en Belgique, la question de la diversité reste cantonnée principalement au monde de l’entreprise. Avant de nous plonger dans la question de l’actuelle existence de mesures de discrimination positive, il est cependant essentiel de prendre conscience de ce que l’entreprise seule ne peut réparer les inégalités sociales. En effet : même si l’on imposait demain des quotas de travailleurs issus des minorités culturelles au sein des entreprises, celles-ci auraient bien du mal à remplir leurs obligations, tant la ségrégation opère avant même l’arrivée sur le marché du travail. C’est donc en amont qu’il faut travailler la question de la diversité, singulièrement en milieu scolaire (avancer l’âge de l’obligation scolaire à 4 ans, imposer la mixité sociale dès l’école primaire, investir massivement dans les filières de remédiation, investir dans l’accompagnement scolaire individualisé des enfants issus des milieux défavorisés, investir dans l’accès à la 2 culture, investir dans les programmes d’échanges et d’inclusion par le sport et les loisirs collectifs, revoir le système des bourses dans une perspective de promotion sociale, enfin investir dans un enseignement public bilingue par immersion puisque l’on sait que l’apprentissage des langues, facteur pourtant essentiel à l’intégration par le travail, est le plus souvent porté par… les parents de classes sociales favorisées, etc.). Les discriminations Belgique positives sont déjà pratiquées en Un système de quotas destinés à pratiquer la discrimination positive existe-t-il en Belgique ? La réponse est oui. Un tel système existe déjà, dans une certaine mesure, sur le plan linguistique (quotas dans la fonction publique et dans la représentation politique), sur le plan des genres (quotas dans la représentation politique, les entreprises européennes de plus de 250 personnes et cotées en Bourse devront atteindre un quota de 40% de femmes pour tous les postes d'administrateurs non exécutifs d'ici 2020), sur le plan de l’âge (conventions premier emploi), sur le plan du handicap (quotas de travailleurs handicapés, loi du 16 avril 1963 jamais appliquée). Il est par ailleurs utile de rappeler que depuis le « Décret du 18 mars 2010 modifiant le décret du 24 juillet 1997 définissant les missions prioritaires de l'enseignement fondamental et de l'enseignement secondaire et organisant les structures propres à les atteindre, en ce qui concerne les inscriptions en première année du secondaire », les établissements doivent réserver au moins 20% de leurs places aux élèves issus des écoles à indice socio-économique défavorisé, indice calculé selon le quartier d’origine des élèves. Ces « discriminations positives » ne sont pas celles qui provoquent les débats les plus sensibles. Elles semblent en réalité acceptées par la plus grande partie de nos concitoyens en ce qu’elles visent à rééquilibrer des réalités ou à réparer des inégalités « objectivement » identifiées. Le débat relatif à d’éventuelles discriminations positives relatives aux origines est, pour les raisons que l’on connaît, nettement plus sensible (voir « Enjeu » ci-dessous). 3 Cela implique-t-il que les quotas sur la base des origines sont inexistants en Belgique ? Non. Plusieurs exemples d’utilisation d’une telle catégorisation existent. Le Monitoring socio-économique pratiqué par le Centre pour l’égalité des chances depuis 2007 se base sur un croisement des données du registre national et de la Banque Carrefour de la Sécurité Sociale pour prendre en compte d’une part les personnes ayant été naturalisées et d’autre part les personnes dont l’un des parents est né à l’étranger. Depuis les années 90, le VDAB (équivalent flamand du Forem et d’Actiris) pratique en matière d’emploi une politique « d’actions positives » en faveur des « allochtones ». Cette catégorie est définie au moyen d’une base de données de noms à consonance étrangère ainsi que, pour les jeunes sortant des études, par la nationalité des parents. Par ailleurs, une formule d’autoidentification reste possible sur suggestion du personnel du VDAB. L’AR du 24 décembre 1999 en application de la Loi en vue de la promotion de l’emploi (plan Rosetta de Laurette Onkelinx) a défini, en vue de les favoriser, une catégorie de jeunes « d’origines étrangères » en incluant dans cette catégorie toute personne « qui ne possède pas la nationalité d’un Etat de l’UE ou dont au moins un des parents ou un des deux grands-parents ne possède pas, ou ne possèdait pas à la date de leur décès, cette nationalité. » Enfin, il convient de noter que les Lois fédérales du 10 mai 2007 tendant à lutter contre la discrimination, qui transposent les directives européennes 2000/43/CE et 2000/78/CE2, autorisent expressément les autorités à mettre en place des mesures d’action positive et à opérer, dans ce but, des distinctions directes ou indirectes basée sur la prétendue race, l’origine ethnique ou nationale (Article 10, § 1). Ces lois prévoient toutefois que « les hypothèses et les conditions dans lesquelles une mesure d’action positive peut être mise en œuvre » seront déterminées par arrêté royal (Article 10, § 3). Presque six ans après le vote de ces lois, cet arrêté royal n’a toujours pas été adopté. L’absence de cet arrêté royal empêche la 2 Loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination, loi du 10 mai 2007 modifiant la loi du 30 juillet 1981 tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme et la xénophobie. 4 mise en place de mesures d’actions positives par les organisations publiques et privées concernées puisqu’elles ignorent les conditions à respecter pour garantir la légalité de telles mesures. Face aux discriminations structurelles qui affectent certaines populations, la lutte contre la discrimination doit à nos yeux passer par les mesures volontaristes visées par la notion d’action positive. ������� �� ������������ ������� ��� 2. Enjeu L’enjeu politique posé à tous les progressistes est clair. La discrimination à l’embauche sur base de l’origine constitue la réalité quotidienne et inacceptable de nombreux de nos concitoyens. On le sait, « à formation égale, des écarts considérables existent entre le taux de chômage, d’une part des ressortissants européens (d’origine) et, d’autre part, des personnes issues des minorités ethnique et culturelles, des nouveaux arrivants et des personnes de nationalité étrangère. Les personnes rattachées à ces minorités qui sont titulaires d’un diplôme de l’enseignement supérieur risquent en moyenne deux fois plus de se retrouver au chômage que les autres Belges de même niveau de diplôme » (Rapport des assises de l’interculturalité, p.27). Alors que dire de la réalité des personnes infra-qualifiées rattachées à ces minorités ? Osons le constat : la question de la diversité ne se poserait pas s’il ne s’agissait que d’inclure les épouses des chefs d’entreprise japonais (ou d’ailleurs des époux des Japonaises cheffes d’entreprises – on peut rêver !) des quartiers huppés de la capitale, les enfants américains des soldats de l’Otan ou les diplômés de Solvay fils et filles d’ambassadeurs africains. La question de la diversité, et donc de la mise en œuvre de mesures de discrimination positive, est bien à étudier sous l’angle de la lutte des classes. Cela doit se faire. Mais cela ne se fera qu’en pleine conscience de ce que l’enjeu de la « discrimination positive en faveur des minorités » ne peut être discuté sans aborder le débat légitimement, et nettement, plus sensible, vu l’utilisation historique de tels fichiers, des critères de définition de ces catégories et des limites à poser à leur utilisation. La multiplicité même des termes « politiquement corrects » et leur évolution selon les époques n’est-il pas le révélateur des difficultés rencontrées par notre société pour se positionner par rapport à cette question. Les personnes concernées ont été, sont ou seront alternativement qualifiées d’étrangers, d’allochtones, de migrants, 5 de minorités ethniques, d’immigrés, de personnes issues de l’immigration ou encore de personnes immigrées de la 2ème ou 3ème génération… (« Eléments en vue d’un débat sur les statistiques à caractère ethnique, Stéphane Thys, Observatoire Bruxellois de l’Emploi, Juin 2000)… L’enjeu politique est donc double : a) En réponse aux discriminations dont sont victimes quotidiennement certaines minorités, et en particulier les personnes issues de l’immigration, faut-il oui ou non instaurer une politique de discrimination positive ? Si la réponse est négative, il est urgent d’attaquer le problème par d’autres biais : Incitants en faveur de plans de diversité régentés pas les pouvoirs publics ; Subvention de programmes de promotion de l’interculturalité en entreprise ; Conditionnement de l’octroi de marchés publics à des entreprises apportant la preuve d’une politique de diversité et non-discrimination en son sein ; Investissement massif dans les programmes de formation en entreprise ; Etc. b) En cas de réponse affirmative par contre, se pose alors une question indispensable : quels critères utiliser en vue d’une définition opérationnelle de cette minorité ? 3. Propositions concrètes Cette fiche ne visant pas à clore mais bien à ouvrir le débat, nous opterons pour deux propositions concrètes délibérément simples. Ce choix vise à permettre à tous, citoyens ou militants, de se positionner rapidement dans un débat dont la complexité et les nuances risqueraient d’étouffer la recherche de solutions opérationnelles concrètes qui puissent facilement, rapidement et réalistement être mises en œuvre. a) A la question de savoir si les discriminations sur le marché du travail dont sont victimes quotidiennement les personnes 6 issues de l’immigration justifient ou non d’instaurer une politique de discrimination positive, nous répondons un oui clair et sonore. Oui, si nous voulons lutter contre les inégalités issues de la naissance, il se justifie de réserver ou de favoriser l’utilisation d’un certain nombre de mesures d’aides à l’embauche en faveur des minorités discriminées. Oui, il se justifie, comme l’encourage la politique des cadres linguistiques dans les administrations publiques à Bruxelles ou au Fédéral, de réserver aux personnes issues de ces minorités, pendant une période transitoire qui prendra fin dès que l’objectif d’éradication de ces discriminations aura été atteint, un nombre d’emplois proportionnels à leur représentation dans la population. Oui, il se justifie de conditionner l’octroi d’un certain nombre d’aides économiques, financées par l’impôt de tous les citoyens, au respect par les entreprises privées qui en bénéficient de quotas temporaires représentatifs de la diversité de nos sociétés. b) Se pose alors la question plus difficile des critères à utiliser pour définir la catégorie concernée. Nous pensons que ce débat doit être tranché. La pureté génère toujours le pire. En se cantonnant au refus du débat et à la réaffirmation du tabou pour raisons historiques légitimes, le Parti Socialiste, se rendrait à nos yeux complice par omission de prévoyance d’une réalité intolérable du point de vue des individus qui en sont les victimes mais également insoutenable sur le plan collectif et sur celui de la défense de la cohésion sociale. Dans ce débat, il faut avancer. Chaque proposition connaît ses inconvénients. Il faudra en débattre. Mais l’important n’est pas là. L’important est d’enfin fournir aux acteurs un outil opérationnel clair et partagé. C’est la raison pour laquelle nous nous rallions à la définition élaborée dans le cadre du Plan Rosetta de la Ministre de l’emploi Onkelinx : inclure dans la catégorie des personnes d’origine étrangère toute personne « qui ne possède pas la nationalité d’un Etat de l’UE ou dont au moins un des parents ou au moins deux grands-parents ne possède pas, ou ne possédait pas à la date de leur décès, cette nationalité. La preuve de la réponse à cette définition pourra être prouvée par 7 les personnes concernées par toutes voies de droit y compris la déclaration sur l’honneur. » Dans ce contexte, pour les jeunes sortant des études, nous proposons de favoriser les chercheurs d’emploi dont les revenus des parents ne dépassent pas, sur les deux dernières années, le montant conditionnant l’octroi d’une bourse d’étude. Ce débat tranché, il sera enfin possible, certes imparfaitement, de mesurer objectivement, et donc de démontrer les discriminations à l’embauche dont sont victimes les personnes d’origine étrangères. Il sera également possible de calibrer, puis de mettre en œuvre une véritable politique de discrimination positive à l’embauche visant à éradiquer cette inégalité due à la naissance. Enfin, les transferts de compétences réalisés dans le cadre de la VIème Réforme de l’Etat permettront aux Régions de définir les groupes-cibles à soutenir en matière d’emploi. Nous recommandons aux Régions d’utiliser pleinement ce levier afin de réorienter ces mesures en faveur des publics les plus défavorisés et discriminés sur le marché de l’emploi dans leur Région. 4. Synthèse La question des discriminations ne se pose pas que sur le marché du travail. Celui-ci ne couvre qu’une partie de la problématique, qui doit immanquablement se poser dans un cadre plus large. Le monde du travail seul ne parviendra pas à rétablir les inégalités de naissance. Réduire les pistes de solution à l’imposition de quotas serait peu productif. Il existe en effet d’autres pistes à mettre en œuvre (Incitants en faveur de plans de diversité régentés pas les pouvoirs publics, subvention de programmes de promotion de l’interculturalité en entreprise, conditionnement de l’octroi de marchés publics à des entreprises apportant la preuve d’une politique de diversité et nondiscrimination en son sein, etc.) Mais cela ne suffira pas. Faut-il dès lors, bon gré mal gré, briser le tabou des quotas ? Notre réponse est positive. On a tendance à l’oublier, mais des quotas sont déjà d’application en Belgique dans le monde du travail, de manière très marginale 8 (handicap, origine des jeunes sortant des études) ou plus représentative (genre, régime linguistique). Il reste donc à s’entendre sur l’extension des quotas aux minorités ethniques et culturelles, voire à d’autres minorités dans le monde du travail. Tenter de répondre à cette question, c’est ouvrir un débat passionné avec le risque de polariser davantage la société civile au moment où il est précisément urgent de la rassembler. Mais, après plusieurs décennies de frilosité en la matière, ne pas y répondre serait se rendre coupable de complicité dans cette machine à broyer les minorités qu’est la reproduction sociale. Aujourd’hui, le Parti socialiste doit se positionner sur cette question, au risque de froisser, de faire mal, de mécontenter les uns ou les autres. Toute question visant à faire tomber les privilèges nécessite du courage. Au cours de l’histoire, le Parti socialiste (et avant lui le POB) a dû faire preuve de courage lorsqu’il s’est agi d’étendre des droits aux opprimés ou de protéger les plus faibles (interdiction du travail des enfants et instruction obligatoire dans un contexte de misère inhumaine, création des premiers centres de planning familial, création des syndicats et des mutualités, dépénalisation de l’avortement, ouverture du mariage et de l’adoption aux couples de même sexe, etc.) A d’autres moments, le Parti socialiste a failli dans son devoir d’émancipation des minorités sociales. Souvenons-nous de l’accès des femmes au suffrage universel, que les partis laïques (libéral et socialiste) ont tenté de freiner pendant trente ans. Le Parti socialiste du XXIème Siècle doit retrouver ses racines émancipatrices à l’égard des nouveaux opprimés que sont les personnes issues de l’immigration. Alors oui, de notre point de vue, le Parti socialiste doit se prononcer en faveur de l’instauration de mesures de discrimination positives sur le marché du travail. 9