Juillet

Transcription

Juillet
La Lettre du Principal
Réflexions
par Bob Ruud
Juillet 2014
Un point Montessori : bien réussir (et aussi se dire adieu), sur le fond et sur la forme.
C’est toujours un peu le même point que je soulève. Dans sa chanson Spring Wind (Vent de printemps), le fantastique
Greg Brown chante :
Darlin', it's been a hard go, but I think we'll be okay
Chérie, ç’a été dur mais je pense que ça ira.
I know I say that all the time, like everything else I say
Je sais que je dis ça tout le temps, comme tout ce
que je dis
I've been gone so often, but every time I miss you
Je suis parti souvent mais chaque fois tu me
manques,
And I don't really know nothin', 'cept I like to kiss you
Et je ne sais vraiment rien, sauf que je veux
t’embrasser
Love calls like the wild birds; it's another day
L’amour se manifeste comme les oiseaux
sauvages, c’est un autre jour.
A spring wind blew my list of Things to Do away..
Un vent de printemps a fait s’envoler ma liste
de Choses à Faire.
Et même si je n’écris toujours qu’à propos d’une seule chose, vous êtes nombreux à lire chacune de ces lettres,
fidèlement, et à me transmettre des commentaires utiles et plaisants. Vous me motivez à investir mon énergie dans ce
travail. Donc voici encore une lettre, la dernière…
J’espère que c’est une évidence : j’ai le sentiment d’avoir pour mission de faire découvrir ce formidable concept
pédagogique au monde entier. J’essaie de prendre pour exemple George Bailey, dans It's a Wonderful Life (La Vie est
belle). Pourtant, ce n’est pas un enseignant : c’est un administrateur de caisse d’épargne, bien malgré lui. Le narrateur
décrit Henry Potter, l’équivalent du Roi Midas à Bedford Falls, comme étant « l’homme le plus riche et le plus vil du
comté »; George Bailey lui a carrément dit un jour qu’il était « un vieillard perverti et frustré ». Potter fait partie d’un
groupe de personnes qui discute de l’avenir de la Caisse d’Epargne appartenant à la famille Bailey, à présent que Peter
Bailey, le père de George, est décédé. George, outré de l’inhumanité de Potter quitte la réunion très fâché, lançant au
passage :
Cette ville a besoin de cet insignifiant petit établissement, si ce n’est que pour qu’il y ait un endroit où les gens
peuvent venir sans avoir à quémander auprès de Potter.
Henry Potter, avec un peu d’imagination, pourrait bien servir de métaphore pour désigner l’enseignement
traditionnel. Un peu dans la foulée de la déclaration de George, nous pourrions dire que chaque ville a besoin d’une
authentique option pédagogique Montessori, si ce n’est que pour constituer une alternative à l’approche
traditionnelle, qui est de « leur dire ce qu’il faut faire et ils le font ».
Si l’on observe uniquement ce qui est visible, certaines activités peuvent sembler appartenir à l’éducation Montessori.
L’idée d’une vie simplifiée semble conforme aux principes Montessori (et c’est surtout important lorsque les enfants
arrivent à l’adolescence). Une visite au musée est une bonne chose, avec la combinaison prévisible de la chasse au
trésor et de l’atelier permettant de participer à une expérience mémorable ayant une pertinence historique. Aller
quelque part par soi-même, à vélo, en kayak, ou à pied peut être perçu comme étant un excellent exercice
d’autonomie et de travail d’équipe.
Dans un contexte Montessori ou pas, avec des racines Montessori ou simplement en tant que démarches sans source,
ces activités sont très bénéfiques aux enfants.
Mais dans un contexte Montessori, au plus profond de ces activités, les enfants sont impliqués depuis le
commencement. Ils choisissent où aller et que faire. L’enseignante rassemble les enfants bien à l’avance. Elle dit :
« Nous ferons une sortie de trois jours en juin. Nous avons un budget qui nous permet de faire un certain nombre de
choses différentes. Nous avons besoin d’une équipe d’élèves pour réunir les suggestions des autres élèves concernant
nos options, et pour faire eux-mêmes une recherche sur les activités que nous pourrions faire. Les enseignants auront
peut-être aussi des suggestions à faire. La sortie doit s’inscrire dans le budget, et les enseignants pourront écarter
certaines suggestions sans valeur pédagogique (par exemple, les enseignants s’opposeraient à un séjour de trois jours
dans un centre commercial, mais les enfants qui ont fait l’expérience de l’enseignement Montessori sont bien trop
responsables pour suggérer cela). Il nous faut une équipe de cinq élèves pour effectuer ce travail. Y a-t-il des
volontaires ? » La majorité des enfants le sera. La meilleure façon de former un comité est par la sélection aléatoire :
c’est-à-dire, il y a dans la classe un panier contenant les noms des enfants. Quelqu’un tire au sort des noms jusqu’à ce
que ce soit celui d’un de ceux qui se sont portés volontaires. On répète la procédure jusqu’à ce qu’il y en ait cinq. De
cette manière, l’enseignant évite de prendre partie lors de la sélection. Cela donne aux enfants l’opportunité de faire
preuve de leadership, même – surtout! – à ceux qui ne s’avancent pas, ceux qui ne lèvent pas la main pour attirer le
regard de l’enseignant, ceux qui n’inspirent pas bruyamment lorsqu’il est demandé : « Levez la main si… ». Cela
permet de mettre ensemble des enfants qui ne collaboreraient pas d’ordinaire. Avec cinq enfants, il y en a au moins
deux qui sont des meneurs expérimentés et compétents ; quant aux autres, ils feront la précieuse expérience du
leadership. Un enseignant rencontre aussitôt l’équipe et les guide sur la manière de procéder à la recherche, et leur
fixe aussi un délai pour organiser un vote afin de déterminer les choix retenus.
Remarquez la principale différence entre cela et les autres types de classes où, même s’il est question de former un
comité – ce qui n’est que peu probable – l’enseignant regarde généralement la myriade de mains levées et choisit
ensuite cinq élèves dont il ou elle sait qu’ils sont « les meilleurs » pour cette tâche, laissant de nombreux élèves
consignés à ne jamais avoir l’occasion de montrer ou de développer leurs talents de chef.
Les pressions du passage au système public ou à tout autre système sont souvent mentionnées et exprimées en
termes d’avertissement sévère par les directeurs d’école et leurs complices enseignants, afin de contaminer le
système Montessori par la routine ordinaire scolaire. Je m’oppose à cela – comme, je l’espère, vous avez pu constater
– car je suis convaincu que l’approche Montessori est non seulement la plus holistique du point de vue
développemental, mais est aussi plus à même de générer la meilleure performance académique dont l’enfant soit
capable (voir l’article Children at Montessori Schools are Better Educated sur le site web de l’ISN). Heureusement, la
pression d’une préparation au passage dans une autre école n’est absolument pas pertinente lorsqu’il s’agit de
courses d’écoles et de sorties.
Nous devons toujours nous demander : comment les enfants peuvent-ils non seulement être impliqués, mais aussi
responsables, et principaux agents initiateurs dans cette activité ? Nous devrions faire cela pour toutes les activités,
pour les activités académiques tout comme pour les autres, pas seulement pour les sorties. Il ne suffit pas de prendre
une liste de ce qui pourrait se trouver sur un menu et de demander aux enfants de voter « oui » ou « non » aux
bâtonnets de carottes ou aux deuxièmes portions : dire « oui » ou « non » n’est pas s’impliquer. Les enfants doivent
être rassemblés en comités pour calculer le nombre de types de repas, et être guidés, subtilement, dans leur
planification des repas. Il ne suffit pas de désigner des enfants pour monter et démonter des tentes : les tentes, ou au
moins une tente doit être amenée à l’école auparavant, et les enfants doivent être formés à la tâche. La préparation –
de l’environnement et des enfants eux-mêmes – est essentielle (voir ma précédente lettre pour plus d’information).
Bien sûr, dans le cas d’une absence totale de préparation (arrangement de l’espace physique, formation pratique et
vérification que la compétence essentielle est acquise, et provision des outils appropriés – tous trois absolument
nécessaires) les enfants échoueront, et confirmeront les doutes qu’un adulte pourrait avoir (les adultes qui ne
comprennent pas Montessori doutent souvent qu’une entreprise qui place l’enfant en son centre puisse réussir). Un
enfant peut-il apprendre à utiliser des allumettes en toute sécurité ? Tout à fait, et ils seront enchantés par
l’expérience. Un enfant peut-il sans risque retourner des hamburgers sur le grill du barbecue ? Oui, s’ils reçoivent des
conseils adéquats et ont des outils appropriés. Devraient-ils faire ou apprendre à faire ces choses ? Absolument, ils
doivent le faire. C’est un des principaux objectifs de nos sorties. Et cette attitude de l’enseignant est censée faire
partie intégrante du travail quotidien accompli à l’école.
Les tâches de nettoyage révèlent souvent à quel niveau l’enseignement Montessori est appliqué. Les enfants ne
devraient pas faire le ménage sans la participation des adultes et vice-versa. Les adultes non-Montessori obéissent
souvent à ce raisonnement : « Ce sera plus rapide et mieux fait si je m’en charge ». Quiconque parle ainsi n’est pas un
enseignant Montessori. Les enseignants Montessori utilisent beaucoup de petites blagues et d’expressions, pour
autant qu’elles aient un sens. Dans ce cas précis : « Ils font de leur mieux et nous finissons après eux », ce qui signifie
que les enfants participent pleinement jusqu’au moment de rentrer à la maison, et ce qui reste incombe à
l’enseignant. Si la tâche peut être effectuée par des enfants, les enfants doivent la faire, ayant reçu auparavant une
solide préparation et, seulement si nécessaire, des conseils subtils relatifs à la tâche. Si, au moment de ranger, les
adultes travaillent et les enfants s’échangent des cartes Pokémon, ce n’est pas un véritable programme Montessori.
Dans l’enseignement Montessori, nous devons tous travailler ensemble jusqu’à ce que la tâche soit effectuée.
L’enseignant détermine et annonce à quel moment le travail est terminé, et ensuite les enfants peuvent avoir une
pause, pas avant. Ce que les enfants doivent apprendre c’est que le travail est la responsabilité de tous : ils doivent
faire leur part individuelle puis aider leurs amis. Si les enfants voient les adultes se charger des tâches de nettoyage, ils
seront nombreux à s’échanger leurs cartes Pokémon. C’est là une éducation négative : les enfants apprennent par
cette expérience que les adultes s’occuperont du nettoyage peu gratifiant, et qu’ils peuvent échapper à leur part de la
corvée. Ils apprennent le contraire de ce qu’ils devraient, et cela prend beaucoup de temps et un effort considérable
pour défaire cette croyance.
Tout à fait par hasard, la stratégie psychologique des Montessoriens constitue une efficace promotion du programme.
Les non-Montessoriens feraient bien de développer le réflexe de consulter leur spécialiste Montessori le plus proche
pour obtenir des données sur cette notion importante. Ou du moins, devraient-ils lorsqu’ils exigent quelque chose de
l’enfant se poser quelques questions de base, par exemple : « Pourrais-je légitimement exiger d’un adulte raisonnable
ce que je viens d’exiger – d’ordonner! – à cet enfant de faire ? Pourrais-je parler à un adulte raisonnable en utilisant
les mots et le ton que je viens d’employer avec ces enfants? ». Les Montessoriens essaient de conclure chaque session
de programme (chaque journée d’école, par exemple, ou chaque sortie) par une activité amusante et pédagogique
mémorable, ou au moins par une conversation qui résume en douceur les moments passés ensemble. Lorsque
l’enfant rejoint ses parents, et que le parent demande : « C’était comment ? », l’enfant ne dira pas « Oh, c’était
ennuyeux/c’était un cauchemar/c’était tellement dur !». L’enfant devrait dire : « C’était génial, la meilleure expérience
de ma vie en fait ! Pourquoi faut-il que ça prenne fin ? »
Les Montessoriens sont parfois accusés de ne pas comprendre les fondements culturels du milieu communautaire de
l’école. Cela peut être une notion délicate, mais le fait est que l’éducation Montessori peut absorber de nombreuses
caractéristiques locales, peut être dispensée dans toutes les langues, peut célébrer des événements culturels, etc.
Mais en plus, dans le respect et la patience, elle n’adoptera pas de pratiques qui la modifieraient de façon radicale.
Quelqu’un peut bien dire : « Ici, dans notre culture, nous disons à nos enfants ce qu’ils doivent faire et ils le font ».
Un véritable Montessorien doit répondre, avec respect : « Nous ne faisons pas cela. Nous donnons aux enfants un
choix quand c’est possible, ce qui est quasiment toujours le cas. » En répondant de la sorte, et en prenant cette
position, ils indiquent qu’ils comprennent la culture dans laquelle ils travaillent. Etant à la base ouverts d’esprit, ils
adoptent sans aucun doute la culture régionale de manière ferme dans leur vie privée. Mais à l’école, dans un
véritable environnement Montessori, plutôt que d’adopter entièrement cette culture, ils retiennent les essentiels de
Montessori qui sont en contraste, voire en opposition avec la culture locale. Ils rejetteront forcément, poliment et
respectueusement les principes de la culture qui sont en opposition avec la pratique Montessori. Ils maintiennent le
principe que leur mission est de garantir aux enfants l’opportunité précieuse de recevoir une véritable éducation
Montessori, et ils savent que les principes fondamentaux de l’éducation Montessori transcendent les cultures. Ils
transcendaient certainement la culture italienne lorsque Maria Montessori les a établis il y a plus de cent ans.
Et ils transcendent aujourd’hui les cultures de par le monde (bien qu’il faille constater que certaines cultures sont plus
proches de tous ces principes que d’autres). A nouveau, le contraste. Quelqu’un pourrait dire « Ici dans notre culture,
nous disons aux enfants quoi faire et ils le font. S’ils ne le font pas, nous les grondons. S’ils ne le font toujours pas,
nous les grondons plus fort. L’éducation consiste pour les enseignants à faire faire aux enfants des tâches ennuyeuses,
inutiles et assommantes. C’est notre façon de faire. » A quoi les Montessoriens répondent : « Il se peut bien que ce
soit un aspect de votre culture. La véritable mise en application de la méthode Montessori va non seulement
confronter et empêcher la pratique d’ordonner chaque action d’un enfant, elle prendra soin des enfants qui
s’opposent à ce genre de traitement irrespectueux, voire abusif et qui refusent d’être relégués à un statut de citoyen
de seconde classe. Puisque les enfants ne peuvent pas se défendre eux-mêmes, véritablement et de manière réaliste,
contre l’enseignement totalitaire, ils doivent souvent se soumettre au pouvoir arbitraire de l’autorité adulte. («Fais-le
parce que je l’ai dit !»). Puissent ces enfants rebelles à l’autorité tyrannique trouver un véritable adulte Montessorien
à leurs côtés pour les défendre de l’oppression, et leur « permettre » de se développer naturellement, au mieux de
leur potentiel.
Lorsque la méthode Montessori est pratiquée de bonne foi, lorsque les praticiens adultes ont un instinct aiguisé pour
mettre les enfants au centre, il va presque sans dire que les enfants en sont les bénéficiaires : ils s’élèvent plus haut
sur l’échelle de l’humanité qu’ils ne l’auraient fait autrement. Mais comme je l’ai dit, répété, ad infinitum, ad
nauseum, peut-être que les adultes qui lâchent prise, et commencent à apprécier d’être proches et d’observer les
enfants déployer une autonomie fantastique, respectueuse, énergique, intelligente, attentionnée, motivée,
disciplinée, peut-être que ces adultes en bénéficient aussi. Ils s’élèvent eux aussi davantage sur l’échelle de l’humanité
qu’ils ne l’auraient fait autrement. Nous devons prendre note que l’approche Montessori n’existe pas naturellement
dans la culture de la plupart des enfants. Dans la majorité des cas au niveau mondial, les enfants se voient ordonner,
dire exactement quoi faire à quel moment (mais pas pourquoi) ; ils sont harcelés, frustrés, et grondés pendant la plus
grande partie de leur vie. Si nous pouvons faire que la méthode Montessori ait une influence sur leur vie, ce sera pour
eux comme une pépite qui nourrira le développement dont ils n’auraient jamais fait l’expérience autrement.
Je vous souhaite de pouvoir faire de cela une réalité pour vos enfants.
Il y des années, j’ai écrit ceci :
Contemplate the bounty that's been given to you
That you did nothing to earn
Think of something loving and kind to do
And measure what you've done by what you learn
Contemple le trésor qui t’es donné
Bien que tu n’aies rien fait pour le mériter
Pense à quelque chose d’aimable et de
charitable à faire
Et tire des leçons de ce que tu as appris
Et finalement ceci, dans une version légèrement adaptée :
Edelweiss, edelweiss
Edelweiss, edelweiss
Every morning you greet me
Chaque matin tu me salues
Small and white, clean and bright
Petite et blanche, propre et lumineuse
You look happy to meet me
Tu as l’air heureuse de me rencontrer
Blossom of snow
Fleur de neige
May you bloom and grow
Puisses-tu éclore et grandir
Bloom and grow forever
Eclore et grandir pour toujours
Edelweiss, edelweiss
Edelweiss, edelweiss
Bless our moment together
Veille sur les moments que nous avons passés ensemble
John Dewey a dit : « L’éducation n’est pas une préparation à la vie, l’éducation c’est la vie elle-même. » Nous devons
aller à l’école en vacances, ou vivre une vie – ou serait-ce le contraire, je ne sais plus !
Bob
PS : Les paroles originales d’Edelweiss ont été écrites par Richard Rogers et Oscar Hammerstein pour le film La
Mélodie du Bonheur. La dernière ligne du texte original est « Veille sur mon village ».