sans-papiers - Caritas Europa
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sans-papiers - Caritas Europa
Rue De Pascale, 4 1040 Brussels - Belgium Tel: +32 02 280 02 80 Fax: +32 02 230 16 58 Email: [email protected] Web: http://www.caritas-europa.org « SANS-PAPIERS » LA PRECARITE DES ETRANGERS DES PAYS TIERS EN SEJOUR IRREGULIER EN EUROPE POSITION DE CARITAS EUROPA FEVRIER 2006 1 1. Introduction Caritas Europa est un réseau de 48 organisations nationales « Caritas » présentes dans 44 pays européens. Caritas Europa et ses membres sont actives dans les domaines de la pauvreté et l’exclusion sociale, la coopération internationale, l’aide d’urgence, le développement et la problématique de l’asile et de la migration. Les Caritas gèrent des services sociaux, des lieux d’écoute et de conseil social ou juridique pour les demandeurs d’asile, les réfugiés et les migrants. De plus en plus, ces services sont sollicités par des personnes en séjour irrégulier ou « sans-papiers ». Le phénomène des « Sans-Papiers » est en effet une réalité incontournable dans nos sociétés. Dans plusieurs Caritas, les personnes en séjour irrégulier constituent plus de la moitié des étrangers accompagnés. Ce constat donne une indication de l’ampleur de la précarité que rencontrent les Sans-papiers, tant dans les domaines de la santé, du logement, des conditions de travail etc. L’expérience des services de Caritas montre qu’il y a plusieurs « types » de situations de séjour irrégulier… En effet, de multiples circonstances peuvent conduire à se retrouver « sans papiers » ; certaines bien connues de marginalisation qui mène à une grande fragilité. Cette réalité implique de trouver et mettre en œuvre une grande diversité de réponses. Par ailleurs, cette situation est mouvante : on observe des évolutions dans la composition et l’ampleur de la population des « Sans-papiers » mais aussi dans les mesures gouvernementales ; les gouvernements développent une politique globalement restrictive, mais on relève aussi des exemples diamétralement opposés, plus compréhensifs des situations personnelles ou basées sur d’autres motifs : on voit ainsi des régularisations sur base de travail, de famille, de présence de longue durée etc...Ces mesures montrent une certaine prise en compte de la complexité des problèmes par les autorités. Témoin de cette complexité, un vocabulaire nouveau apparaît : « suspension de l’ordre de quitter le territoire », visa de « personne tolérée », « permis de séjour temporaire pour raisons exceptionnelles », statut « de protection humanitaire », « statut spécial de protection », carte de séjour « Vie Privée et familiale », etc. De diverses manières, la présence d'étrangers des pays tiers en séjour irrégulier en Europe soulève des questions complexes où les passions et l'opportunisme concurrencent souvent l'objectivité et la raison. L’opinion publique se forme ou s’appuie plus sur des perceptions que sur des faits concrets. De plus, des partis politiques, organisations gouvernementales, associations, collectifs d'étrangers etc... débattent du problème mais sans parvenir à un consensus, ce qui rend encore plus difficile l’élaboration de solutions. Un exemple de ce débat réside dans la quantification du phénomène est: il n'est en effet pas possible de chiffrer de façon fiable le nombre d'étrangers en séjour irrégulier en Europe. Les estimations peuvent varier considérablement. En tout état de cause, l'Europe a sur son sol plusieurs centaines de milliers d'étrangers des pays tiers en séjour irrégulier, voire plusieurs millions. Le discours sur les étrangers en séjour irrégulier est si confus et si général qu’il empêche de voir ces étrangers comme des êtres humains, bien réels ; et pourtant, beaucoup vivent une précarité effrayante et indigne de la personne humaine. Avant d’aborder ces situations administratives difficiles qui ne sont qu’une conséquence d’une migration forcée, il importe d’en garder certaines causes à l’esprit : 2 - Les guerres, les conflits, les persécutions, les violations des droits de l’homme, les crises économiques, la faillite des structures de l’état et les catastrophes naturelles ou les détériorations de l’environnement entraînent des déplacements forcés. Les inégalités entre le Nord et le Sud s’accentuent dans un monde où la globalisation joue un rôle important. Dans divers pays, des personnes ne voient pas d’amélioration de leurs conditions de vie ce qui les pousse à émigrer vers des lieux où ces conditions et le respect des droits économiques, politiques et sociaux sont meilleurs que chez eux. Ces perspectives sont fortement encouragées par une réelle demande de main d’œuvre bon marché en Europe. - L’égoïsme des pays riches entrave le développement d’une partie des autres pays, victimes en plus de l’émigration de leurs ressortissants. Les conditions économiques et sociales dans divers pays d’émigration permettent parfois difficilement d’envisager un avenir conforme à une réelle dignité humaine, voire à satisfaire les besoins de base. - Les moyens de communication actuels incitent à ne pas se résigner à des conditions de simple survie. L’espoir d’une solution par l’émigration est amplifié par la rumeur ou l’exemple de compatriotes qui ont « réussi » à l’étranger, et fortement encouragé par des intermédiaires ou des exploiteurs : pour gagner leur vie et celle de leur famille, beaucoup dépensent l’ensemble de leurs économies et s’endettent, parfois à vie … Lutter contre l’immigration irrégulière en Europe, c’est d’abord lutter contre les causes de l’émigration forcée, car nul ne quitte son pays sans raison. Caritas Europa veut encourager toutes les parties concernées (les gouvernements des pays d’origine et de destination, les migrants, les communautés locales et la société civile) à trouver des solutions à des situations dégradantes et à baser leurs actions sur un respect total de la dignité humaine. Caritas Europa procède d’abord à une définition des « sanspapiers », puis donne un aperçu des instruments législatifs internationaux, européens et nationaux relatifs à la protection des droits et de la dignité de l’être humain. La partie suivante rappellera les motivations de l’engagement de Caritas Europa pour le respect de la dignité des étrangers en séjour irrégulier. Enfin la dernière partie présentera les recommandations de Caritas Europa, qui se traduisent en demandes concrètes adressées aux Eglises, aux hommes politiques et aux différents acteurs sociaux. 2. Clarification des concepts utilisés dans ce document Dans ce document, Caritas Europa définit le « Sans-papiers » comme « un ressortissant d’un pays tiers ou un apatride qui se trouve dans un pays dont il n’a pas la nationalité et qui ne dispose pasou plus d’un document en cours de validité autorisant son séjour dans ce pays ». Cette définition inclut une grande variété de situations. En effet, des personnes n’obtiennent pas ou perdent une autorisation de séjour pour des raisons très diverses : aléas des réglementations des pays d’accueil, lenteurs ou dysfonctionnements administratifs, méconnaissance de la législation, perte d’un travail, situation de droit ou de fait dans le pays d’origine, impossibilité matérielle de présenter un document d’état civil, etc. Cette expression « Sans-papiers » couvre ici par extension les enfants mineurs, même si dans certains pays ils n’ont pas besoin d’avoir de « papiers » personnels de séjour. 3 3. De la proclamation des Droits de l’Homme à leur réalité L'article 1er de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme affirme que tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns avec les autres dans un esprit de fraternité. Les articles qui suivent énumèrent une série de droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels. Cette Déclaration Universelle n'est pas un instrument juridique contraignant mais elle inspire divers conventions et traités internationaux 1 , constitutions et législations nationales 2 qui mettent ces droits en œuvre. Force est pourtant de constater que l'affirmation de droits et de libertés est une chose et que l'effectivité et la garantie de ces droits en sont une autre. La primauté de l'intégrité et de la dignité de la personne humaine est le moteur principal de l'action des Caritas auprès des étrangers, quelle que soit leur situation administrative de séjour. Cette primauté trouve son fondement dans le message évangélique et dans l'enseignement social de l’Église Catholique 3 . L'universalité de la dignité humaine, comprise comme l'exigence fondamentale selon laquelle chaque personne a des droits simplement parce qu'elle est un être humain, n’est pas pleinement reconnue dans la pratique des États. Même si elles reconnaissent l'universalité de la dignité humaine, les constitutions, lois nationales et conventions internationales contiennent des dispositions autorisant les États à en limiter le champ d'application (dispositions dérogatoires et réserves) 4 . Ces dispositions permettent aux États de faire des distinctions entre les droits des étrangers selon qu’ils sont en séjour régulier ou irrégulier, d'autant que le droit de contrôler l'entrée et le séjour des non-nationaux sur leur territoire est une composante essentielle de leur souveraineté. Mais elles ne devraient pas permettre aux États de priver les migrants de l’exercice de leurs droits fondamentaux. 1 Parmi les conventions internationales, nous relevons plus particulièrement: le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (1966), le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (1966) et la Convention sur les droits de l'enfant (1989). Au niveau européen : La Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'homme et des libertés fondamentales (Conseil de l’Europe 1950) et La Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. 2 A titre d’exemples : - en Allemagne : Article 1er de la Loi fondamentale : "La dignité de l'être humain est intangible (…). En conséquence, le peuple allemand reconnaît à l'être humain des droits inviolables" - en Belgique : Article 23 de la Constitution : "chacun a le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine" et énumère les droits qui sont garantis : droit à la sécurité sociale, à la protection de la santé et à l'aide sociale, médicale et juridique ainsi que le droit au logement - en France : Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 : “le peuple français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés. Il réaffirme solennellement les droits et libertés de l'homme et du citoyen consacrés par la Déclaration des droits de 1789 […] La Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement.” - en Italie : Article 2 de la Constitution du 27 décembre 1947 : "La République reconnaît et garantit l’inviolabilité des droits humains tant aux individus qu’aux groupes sociaux pour le développement de la personnalité, et recherche l’accomplissement des obligations indéniables d’une solidarité politique, économique et sociale", et dans l’Article 3 : "Tous les citoyens sont égaux en dignité sociale et devant la loi, sans distinction de sexe, de race, de langue, de religion, d’opinion politique et de condition personnelle et sociale " 3 Voir l’Annexe 1 4 Exemple : Article 191 de la Constitution belge : "Tout étranger qui se trouve sur le territoire de la Belgique jouit de la protection accordée aux personnes et aux biens, sauf les exceptions établies par la loi". Le législateur s'appuie sur cet article pour refuser aux personnes en séjour irrégulier l'aide qui devrait leur être accordée. 4 Sans documents de séjour, les étrangers en séjour irrégulier ne peuvent généralement pas bénéficier des droits sociaux. Lorsqu'ils sont victimes d'exploitation ou de discrimination, ils peuvent difficilement faire valoir leurs droits, même fondamentaux, dans les mêmes conditions que les nationaux ou les étrangers en situation régulière. Dans la plupart des États européens, les Sanspapiers n'ont légalement pas accès à l'aide sociale ou à la garantie de satisfaction minimale des besoins essentiels. Parfois, ils n'ont même pas la possibilité d'accéder à un minimum de soins. En matière de "besoins de base" nécessaires pour la survie et le respect des droits humains, tout se passe comme si les droits sociaux et la dignité des personnes en séjour irrégulier étaient accordés dans le discours mais pas dans la pratique. En outre, la législation de certains Etats exige des fonctionnaires de dénoncer les personnes en séjour irrégulier ou permet de pénaliser les personnes qui apportent une aide humanitaire aux sans papiers. Des droits, même pour les sans papiers Des conditions de vie respectueuses de la dignité humaine et donc l'exercice de certains droits doivent être garantis à chacun, quelle que soit sa situation administrative de séjour. Même si le droit international admet des dérogations et des restrictions à l'exercice des droits humains, certains sont intangibles et imposent des obligations absolues pour les États qui ne peuvent donc en refuser l'accès aux personnes en séjour irrégulier. Quatre de ces droits se retrouvent conjointement dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et dans la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. Ces quatre droits inaliénables sont des droits individuels relatifs à l'intégrité physique et morale de la personne humaine et à sa liberté : le droit à la vie, le droit de ne pas être soumis à la torture ni subir des traitements inhumains ou dégradants, le droit de ne pas être tenu en esclavage ou en servitude et le droit à la non-rétroactivité de la loi pénale. Les clauses, dites de « nécessité », qui permettent de déroger aux droits des personnes en séjour irrégulier sont très cadrées : les États doivent respecter un certain nombre de critères : le but poursuivi doit être légitime et les moyens mis en œuvre doivent être en proportion de l'objectif légitime poursuivi. L’interprétation de ces critères et leur application dans les législations nationales sont confiées aux Tribunaux et aux Cours de justice. Quelques migrants sans-papiers obtiennent des droits en « allant en justice », créant ainsi une jurisprudence qui se traduit parfois par des modifications positives mais rares des législations. En ce sens, la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et la Cour européenne des droits de l’homme qui en assure le contrôle juridictionnel donnent effectivement vie à certains droits fondamentaux pour les personnes en séjour irrégulier. En effet, l’article 1er de la Convention vise à protéger toute personne sur laquelle les États contractants ont un quelconque pouvoir, ceci indépendamment de sa nationalité, sa résidence ou son statut administratif. Une grande part des arrêts rendus par la Cour, en matière d’étrangers, concerne des étrangers en séjour irrégulier. Ces décisions sont souvent basées sur l’examen de la proportionnalité entre l’intérêt des Etats à contrôler l’immigration et le droit du requérant. Si le droit de chaque individu de mener une vie conforme à la dignité humaine est à la base des autres droits, ce premier droit « fondamental » sans lequel il n’est pas possible à l’individu d’exercer ses autres droits n’a pas encore fait l’objet d’une jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. 5 4. les recommandations de Caritas Europa Les mouvements migratoires ont toujours existé, avec des aspects incontestablement positifs pour les sociétés. Mais tant que des inégalités déraisonnables existent et s’accroissent entre les pays en ce qui concerne les droits économiques, sociaux et politiques, des personnes seront forcées à émigrer, à la recherche d’une vie meilleure. Caritas Europa et ses organisations membres veulent dénoncer la précarité des migrants en situation irrégulière, promouvoir leurs droits fondamentaux et contribuer à des solutions pour le respect intégral des droits humains et les conditions d’une vie digne dans leur propre pays, ce qui peut éviter de contraindre des populations à l’émigration. Mais, aujourd’hui, les Caritas constatent que des centaines de milliers d’étrangers de pays tiers vivent en Europe dans la clandestinité et l’extrême précarité. Au-delà de toute autre considération, elles rencontrent, dans toute l’Europe, des hommes, des femmes, des enfants dans des situations infra-humaines ici. Au regard de leur expérience auprès des étrangers en situation irrégulière en Europe, nos organisations Caritas font les recommandations suivantes : 1. Le respect de la dignité et de l’intégrité de l’être humain Tout d’abord, il est urgent et primordial de rendre effectif le droit de tout être humain en Europe au respect et à la reconnaissance de sa dignité. Ceci inclut notamment l’accès à la survie alimentaire, aux soins, à l’hébergement, à l’éducation, à une vie familiale… Pour les mineurs en particulier, la Convention des Droits de l’Enfant doit trouver une application entière et concrète dans la législation nationale, y compris la protection des mineurs non accompagnés. Le respect de la dignité et de l’intégrité de tout homme doit être garanti en toutes circonstances 5 . 2. Lutter contre les causes de l’émigration forcée Si le droit de quitter son pays est un droit reconnu 6 , chaque personne a aussi le droit de vivre dans son propre pays. De nombreux migrants quittent leur pays parce que celui-ci est incapable de leur assurer la simple survie ou de leur proposer un avenir décent en termes d’emploi, d’éducation ou de droits civils. Alors que l’on trouve des moyens financiers de plus en plus importants notamment pour contrôler l’immigration en Europe, les aides pour un vrai développement des pays les plus pauvres sont notoirement insuffisants pour créer les conditions d’un réel avenir ; les engagements internationaux sur l’aide au développement pris par nos pays ne sont pas pleinement honorés. Parmi les membres les plus dynamiques dans la société, certaines personnes n’entrevoient alors d’autre alternative que d’émigrer. Une politique de développement engagée doit inclure une politique explicite de respect des droits de l’homme, une volonté réelle de créer des échanges commerciaux internationaux équitables et un contrôle plus sévère sur les ventes d’armes. Lutter contre les causes de l’immigration forcée présuppose fondamentalement que des politiques engagées et globales avec des mesures concrètes permettent aux gens de voir des perspectives d’avenir dans leur propre pays. Nous demandons à chaque gouvernement de s’engager pleinement à atteindre les Objectifs du Millénaire pour le Développement. 5 6 Article 1 de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme. La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, article 13- 1 et 2 6 3. Une législation juste et efficace… La complexité des réglementations relatives à l’immigration et les facilités qu’elles offrent à certains migrants qualifiés, entraîne un manque de lisibilité préjudiciable à tous. De plus, dans leur volonté de traquer l’immigration clandestine, les réglementations ont tendance à criminaliser tout étranger de pays tiers en situation administrative irrégulière et ne font guère place aux circonstances individuelles. Nos organisations rencontrent souvent des personnes qui subissent des effets indirects et pervers des réglementations sur l’immigration et l’asile. Avant d’adopter une nouvelle réglementation, il faut lancer des études pour repérer les incidences négatives pour les migrants et proposer des aménagements ; en tout état de cause, les personnes qui perdent brusquement leur autorisation de séjour devraient pouvoir bénéficier d’une bienveillance par l’administration qui rende possible des dérogations. Les étrangers que nos organisations rencontrent se trouvent souvent dans des situations singulières qui réclament des traitements particuliers. Un refus de séjour ne devrait pas être prise sans l’avis d’une commission avec un travailleur social. Certains ne font plus aucune démarche car ils pensent à tort ou à raison qu’ils risquent un renvoi au pays ; citons à titre d’exemple les femmes venues rejoindre leur mari ne remplissant pas, à l’époque, les conditions du regroupement familial : depuis lors, elles se terrent dans la clandestinité souvent par ignorance de la réglementation en vigueur. Une législation juste et efficace doit éviter que des personnes en situation régulière tombent dans l’irrégularité du fait d’exigences administratives. Tout migrant en situation irrégulière doit avoir accès à des services compétents et gratuits de conseil social et juridique. Tout migrant en situation irrégulière doit pouvoir bénéficier de la satisfaction de ses besoins de base (éducation, hébergement, nourriture, soins). Caritas Europa demande aux gouvernements de ratifier la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille Par ailleurs, les Eglises, les associations et divers acteurs humanitaires ne doivent pas être pénalisés pour leur action d’assistance et de soutien envers des étrangers en situation irrégulière. Caritas demande aux autorités en place de reconnaître les actions de conseil aux migrants par la société civile. Caritas Europa et ses Caritas membres ont un rôle important à jouer en suivant l’évolution de la réglementation et ses conséquences sur les personnes concernées. 4. … à visage humain L’autorisation de séjour pour les étrangers de pays tiers n’est souvent examinée que sous l’angle de leur utilité pour nos pays. Certains, perdant leur travail, perdent du même coup leur droit au séjour. Parfois ils n’ont plus aucune véritable attache dans leur pays alors qu’ils ont créé des racines stables en Europe Parmi les migrants en séjour irrégulier, beaucoup sont ou deviennent victimes d’exploiteurs voire de réseaux et les sanctions les frappent souvent plus que ceux qui les exploitent. Des mesures ont été prises pour protéger certaines victimes si elles dénoncent leurs exploiteurs, mais l’effectivité de ces mesures est bien faible au regard des risques encourus par les personnes victimes de la traite. 7 Caritas Europa demande que les critères humains, familiaux et humanitaires soient pris en compte dans l’examen des possibilités d’accorder le séjour. Toute personne connue pour avoir fait une demande de séjour ne doit pas être laissée sans réponse ou dans une situation « grise » : une autorisation de séjour doit lui être accordée, au moins provisoirement, lui donnant accès au marché du travail et aux soins. Les procédures d’examen excédant un délai raisonnable doivent donner lieu à une autorisation de séjour. 5. Le droit à la protection internationale Beaucoup de « sans-papiers » le deviennent ou le sont devenus à cause d’une demande de protection réalisée ou traitée dans des conditions inéquitables. Beaucoup d’étrangers sont contraints à l’irrégularité du fait de dysfonctionnements administratifs ou d’exigences trop difficiles à réunir. Certains n’ont pu présenter leur demande dans de bonnes conditions, mal conseillés, ignorants de la langue et des subtilités de la procédure dans le pays de leur demande, en l’absence de traducteurs et d’interprètes qualifiés et accessibles. D’autres sont victimes de provisions et régulations (procédures accélérées, règlement Dublin par exemple) qui les obligent à effectuer leur demande d’asile dans des conditions défavorables ou à se cacher pour pouvoir l’introduire dans un pays où ils ont des liens. Lorsqu’un réfugié demande le rapprochement familial, après avoir déjà patienté longtemps pour que le statut de réfugié lui soit reconnu, il lui faudra encore attendre souvent plusieurs années, surtout si l’état civil du pays d’origine est défaillant, alors qu’il sait sa famille en danger dans le pays d’origine… Les lenteurs ou exigences administratives s’accordent mal avec la réalité de la vie. La volonté de vivre avec sa famille en Europe s’accommode mal des contraintes des réglementations du regroupement familial : pour bénéficier de leur droit de vivre en famille, certains vont alors anticiper l’autorisation administrative et faire venir la famille, prenant de ce fait des risques importants pour leur propre séjour. Certains étrangers remplissent parfois les conditions pour obtenir un titre de séjour, mais la perte ou l’absence d’un document les empêche de le prouver. Les témoignages divers, comme les attestations d’organismes au-dessus de tout soupçon, ne suffisent pas pour convaincre l’administration. Toute demande de protection internationale doit être examinée dans une procédure juste et efficace et des conditions respectant la situation socioculturelle et psychologique du demandeur. Toute procédure dépassant une certaine durée doit donner lieu à une autorisation de séjour. 6. Les régularisations Nous observons et accueillons avec bienveillance que divers pays réalisent des opérations de régularisation, parfois collectives, parfois au cas par cas. Mais celles-ci sont souvent présentées comme des actes de pure générosité sans que l’opinion ne soit sérieusement informée pour en comprendre la logique et le bien-fondé. Ces opérations négligent souvent la mise en place d’une politique d’intégration conséquente : logement, accompagnement des intéressés, infrastructures etc 7 Des étrangers sont tolérés en séjour irrégulier par les autorités : 7 cf Document de Caritas Europa “L’intégration : un processus qui concerne tout le monde” (mars 2004) 8 A cause de diverses conventions internationales (droit à vivre en famille, droits de l’enfant, pays de renvoi profondément troublé ou bafouant notoirement les droits de l’homme…) ou pour diverses autres raisons indépendantes de leur volonté, certains étrangers ne peuvent pas être expulsés ni repartir. Pour leur survie, ils sont alors souvent contraints à une économie parallèle, dépendant complètement d’exploiteurs. D’autres, gravement malades, ne peuvent matériellement avoir accès à un traitement médical au pays. Caritas appelle à des mesures de régularisation sous certaines conditions, pour éviter l’exploitation et la dégradation des conditions de vie pour les êtres humains. Caritas Europa recommande que les critères de régularisation incluent des mesures pour les familles avec enfants, pour raisons médicales, pour les étrangers présents depuis longtemps et qui n’ont plus de lien au pays d’origine, et pour ceux qui sont tolérés dans le pays où ils résident. Des autorisations provisoires de séjour doivent couvrir la période nécessaire pour l’examen des demandes de séjour et les recours induits. Caritas Europa demande que l’opinion soit éclairée sereinement sur la question de l’immigration et que le débat public soit lancé sur des bases objectives. 7. Retours et rapatriements Caritas Europa conteste que la politique des rapatriements forcés soit LA solution du problème du séjour irrégulier. De plus, l’exécution d’une mesure de renvoi forcé vers le pays d’origine augmente le risque de violation des droits de l’homme. Les retours forcés au pays se réalisent souvent dans des conditions déplorables, dans un contexte d’humiliations, et le rapatriement dans de telles conditions affecte durablement les perspectives de réinstallation. Ö Lorsqu’un rapatriement forcé est décidé, les mesures sont en effet prises pour l’exécution de la décision sans souci de préserver la dignité avant, pendant et après cet éloignement ou rapatriement. Ö certains étrangers, du fait de leur extrême précarité, souhaitent repartir chez eux mais ne le peuvent matériellement pas (frais de transport, réinstallation) ; s’ils sont frappés d’une décision de retour forcé, l’administration ne sait leur proposer des alternatives. Dans le cas de rapatriement volontaire et « humanitaire », une assistance doit être prévue sans être entravée par des exigences tatillonnes. Caritas Europa appelle à une politique de retour humaine et respectueuse de la dignité. Le retour volontaire, avec des programmes de réinstallation, doit être l’option prioritaire de retour. Si les autorités exigent le retour, des conditions respectueuses de la dignité et des droits doivent être garanties pendant toute la période nécessaire à l’organisation de ce retour ainsi que lors du retour et de la réinstallation dans le pays d’origine. La détention ne doit être utilisée qu’en dernier recours pour un retour contraint. *** En conclusion, Caritas Europa appelle les autorités et les services compétents à développer leur politique sur base d’une approche respectueuse des droits de l’homme, qui tienne compte de la réalité qui induit ces migrations. Il faut que nos pays d’Europe reconnaissent officiellement qu’ils sont des pays d’immigration, qu’ils ont besoin de migrants et qu’une politique d’immigration bien 9 pensée et bien planifiée peut être source d’une richesse économique, sociale et culturelle pour qui sait l’accueillir dignement. Mais cette immigration ne doit pas se faire au détriment du développement des pays d’origine : elle doit prendre en compte les intérêts divers pour ainsi produire un bien commun universel. Bruxelles, Février 2006 Annexe 1 - Le message chrétien : Fondement de l’action des Caritas L’option pour les pauvres Nos Caritas ont adopté une option préférentielle pour les pauvres, les personnes fragiles ou en risque de fragilité. La Bible présente trois visages principaux du pauvre : la veuve, l’orphelin et …l’étranger (Ex 22/20, Dt 24/17-21, Dt 27/19, etc). Dans l’Évangile, le Christ nomme diverses catégories de pauvres de son époque : ceux qui ont faim et soif, ceux qui n’ont pas de vêtement, les malades, les prisonniers et … les étrangers, auxquels Il va jusqu’à s’assimiler, au point qu’ils deviennent un critère pour le jugement dernier : « J’étais un étranger et tu m’as accueilli » (Mt 25/31-46). L'accueil de l'étranger revêt pour ainsi dire, un caractère incontournable. La famille humaine Par et en Jésus-Christ, Dieu est Père de tous les hommes, fondant ainsi la fraternité de toute l'humanité. L'apôtre Paul revient sur cette paternité et cette communion des hommes entre eux: "Vous êtes tous fils de Dieu par votre foi en Jésus-Christ... Il n'y a plus ni Juif ni Grec, il n'y a plus ni esclave ni homme libre … " (Ga 3, 26 et 28). Droit à la vie au pays, à l’immigration et devoir d’accueil : De tous temps, l’Église, dans son service de l’Homme, s'est préoccupée des étrangers. Cette permanence historique, même si elle a varié dans l'espace et le temps, s'est exprimée dans de multiples documents. Le premier droit du migrant est celui de pouvoir vivre dans son pays : « II me semble opportun, dans ce contexte (de complexification et d'aggravation des migrations) de réaffirmer qu'il s'agit bien d'un droit fondamental de l'homme que de vivre dans sa propre patrie. Ce droit devient toutefois effectif si on tient constamment sous contrôle des facteurs qui poussent à l'émigration » (Jean-Paul Il au Congrès mondial de 1998). En 1963, l'encyclique "Pacem in terris" du Pape JEAN XXIII avait érigé l'émigration au rang de droit, même s’il est conditionnel : « Tout homme a droit à la liberté de mouvement et de séjour à l'intérieur de la communauté politique dont il est citoyen ; il a aussi le droit, moyennant des motifs valables, de se rendre à l'étranger et de s'y fixer.» (n° 25). Le catéchisme de l’Église Catholique en 1992 fait le lien entre les droits fondamentaux et le bien commun tant local qu’universel avec le devoir d’accueil. "Les pouvoirs politiques sont tenus de respecter les droits fondamentaux de la personne humaine. (2237). "Il revient à l’État de défendre et de promouvoir le bien commun de la société civile, des citoyens et des corps intermédiaires" (1910). « L'unité de la famille humaine, rassemblant des êtres d’une dignité naturelle égale, implique un bien commun universel. Celui-ci appelle une organisation de la communauté des nations capable de pourvoir aux divers besoins des hommes, aussi 10 bien dans le domaine de la vie sociale (alimentation, santé, éducation...) que pour faire face à maintes circonstances particulières qui peuvent surgir ici ou là (par exemple : subvenir aux misères des réfugiés, l’assistance aux migrants et à leurs familles)" (1911). "Le bien commun comporte trois éléments essentiels: le respect et la promotion des droits fondamentaux de la personne, la prospérité ou le développement des biens spirituels et temporels de la société, la paix et la sécurité du groupe et ses membres" (1925). C'est très précisément parce que, dans de nombreux pays, le bien commun souffre de graves lacunes, parce que les processus de développement vers le bien commun sont partiellement ou totalement entravés, que l'enseignement de l’Église érige au niveau d'un droit le droit d'immigrer et au niveau d'un devoir l'accueil des étrangers qui quittent ces pays: "Les nations mieux pourvues sont tenues d'accueillir, autant que faire se peut, l'étranger en quête de sécurité et de ressources vitales qu'il ne peut trouver dans son pays d'origine. Les pouvoirs publics veilleront au respect du droit naturel qui place l'hôte sous la protection de celui qui le reçoit" (2241). Même s’il est vrai que "les autorités politiques peuvent, en vue du bien commun, subordonner l'exercice du droit d'immigration à diverses conditions juridiques, notamment au respect des devoirs des migrants à l'égard du pays d'adoption" (2241), ces conditions ne peuvent constituer une limitation ou une entrave au droit d'immigration. L'Église reconnaît la légitimité des législations : un État a le droit de définir les conditions d'entrée et de séjour d'étrangers sur son territoire. Jean-Paul II rappelle : « Il est de la responsabilité des autorités publiques d'exercer un contrôle sur les flux migratoires en fonction des exigences du bien commun. L'accueil doit toujours se réaliser dans le respect des lois et donc se conjuguer, si nécessaire, avec une ferme répression des abus ». (Exhortation apostolique, L'Église en Europe, juin 2003, n° 101) Si l’État viole les Droits Fondamentaux de l'Homme, la désobéissance s'impose alors: "Le citoyen a l'obligation morale de ne pas respecter les dispositions des autorités de l’État si celles-ci contreviennent aux exigences de l'ordre moral, aux droits fondamentaux de l'homme ou aux enseignements de l’Évangile. Le refus d’obéissance aux autorités civiles lorsque leurs exigences sont contraires à celle de la conscience droite trouve sa justification dans la distinction entre le service de Dieu et le service de la communauté de l’État. "Rendez donc à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu! (Mt 22,21). "il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes" (Ac 5,29)." (2242) Ces messages des Écritures et l'enseignement de l’Église fondent largement l'action des Caritas d’Europe auprès des étrangers, qu’ils soient en séjour régulier ou irrégulier. Pour nos Caritas, le respect de la dignité revêt de multiples facettes : depuis les besoins de base pour assurer la simple survie tant matérielle que spirituelle jusqu’au droit à mener une vie familiale normale, en passant par l’accès aux soins ou la préparation des enfants à leur vie d’adulte. Mais exiger le respect de la dignité de chacun ne consiste pas à aider des personnes à cacher leur identité ou négliger les démarches pour se mettre « en règle ». 11