arrêt de la Cour d`appel de Liège du 3 mars 2016

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arrêt de la Cour d`appel de Liège du 3 mars 2016
Liège, 3 mars 2016, R.G. n° 2014/RG/1483
Sommaire(s)
"DROIT CIVIL"-> "CONTRATS SPÉCIAUX"-> "Louage"
- Action de l'assureur incendie subrogé dans les droits du propriétaire de l'immeuble incendié contre
la locataire sur base de l'art. 1733 du Code civil.
- Le locataire doit établir, à l'égard du bailleur, l'absence de tout comportement fautif ayant
contribué à l'incendie tel qu'il s'est produit.
Incendie accidentel dû à une défectuosité des câbles d'alimentation électrique du lave-vaisselle âgé
de 22 ans et placé dans les lieux loués par le bailleur.
Vice caché du lave-vaisselle dont la locataire était gardienne ;
La locataire est exonérée dès lors que l'incendie est dû, dans les circonstances de la cause, à un vice
dont elle ne doit pas répondre. C'est le bailleur qui doit la garantir du chef du vice caché affectant le
lave-vaisselle équipant les lieux loués en application de l'article 1721 du Code civil. Il est indifférent
que le bailleur n'ait pas eu connaissance du vice.
Texte
Vu la signification par la SA AG Insurance (ci-après AG Insurance) de l'arrêt prononcé le 18/10/2013
par la Cour de cassation cassant l'arrêt attaqué du 15/3/2012 sauf en ce qu'il reçoit l'appel, cassant
l'arrêt attaqué du 24/5/2012 et renvoyant la cause ainsi limitée devant la cour d'appel de Liège, et
la citation devant la cour de céans de Madame Gisèle H. le 22/9/2014 et de la SA KBC Assurances
(ci-après KBC) le 23/9/2014, afin qu'il soit fait droit à l'appel qu'AG Insurance a interjeté à l'encontre
du jugement prononcé le 4/11/2010 par le tribunal de première instance de Charleroi.
Vu la demande incidente formée par la voie de leurs conclusions par Gisèle H. et KBC.
Vu les conclusions et les dossiers déposés par les parties.
Antécédents
1. Les faits et l'objet de la demande sont exactement énoncés par le premier juge dans le jugement
non déféré du 28/5/2009 à l'exposé duquel la cour se réfère.
Il suffit de rappeler que AG Insurance (anciennement SA AG 1824 puis SA Fortis Insurance Belgium)
est l'assureur incendie d'une maison propriété de Christian Baire sise à Solre-sur-Sambre, rue de la
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Gare n° 32 et que cet immeuble, pris en location par Gisèle H. en 1995 et assurée en sa qualité de
locataire par KBC, fut la proie d'un incendie survenu le 4/12/1999.
Gisèle H. et KBC ont initié une procédure en référé pour qu'un expert soit désigné aux fins de
déterminer la cause de l'incendie. Par ordonnance de référé du 11/1/2000, l'ingénieur Pierre
Genard a été désigné en qualité d'expert avec la mission précisée au dispositif de la décision
(dossier AG Insurance, pièce 7). L'expert Genard a rédigé les conclusions de son rapport le
20/10/2003 (dossier AG Insurance, pièce 9-3).
2. Par citation des 4/2/2004 et 6/2/2004, AG Insurance, subrogée dans les droits de son assuré
Christian Baire qu'elle a indemnisé, poursuit la condamnation de la locataire Gisèle H. et de son
assureur KBC solidairement, in solidum ou l'une à défaut de l'autre au remboursement de ses
débours portant sur la somme provisionnelle de 38.940,92 euros, portée en cours d'instance à la
somme de 39.145,30 euros à majorer des intérêts de retard depuis les décaissements.
Gisèle H. et son assureur ont formé chacun une demande reconventionnelle, la première portant
sur la somme de 179,32 euros à majorer de divers intérêts, et la seconde sur la somme de
25.537,20 euros correspondant aux débours consentis par KBC au profit de son assurée, à majorer
des intérêts depuis les décaissements.
Par jugement prononcé le 28/5/2009, le tribunal de première instance de Charleroi a dit la
demande principale recevable et, avant de statuer au fond, a ordonné l'audition de l'expert Genard.
Le premier juge a dit les actions reconventionnelles prescrites.
Par jugement prononcé le 4/11/2010, le tribunal a dit la demande principale non fondée et
condamné AG Insurance aux dépens.
3. AG Insurance a interjeté appel de ce jugement dont elle postule la réformation. Elle demande
qu'il soit fait droit à son action originaire.
Par un arrêt prononcé le 15/3/2012, la cour d'appel de Mons retient que la locataire démontre que
le lave-vaisselle litigieux était affecté d'un vice caché et, avant dire droit, ordonne d'office la
réouverture des débats pour que les parties produisent la copie du contrat de bail.
Par arrêt prononcé le 24/5/2012, la cour dit l'appel non fondé, confirme le jugement entrepris et
condamne AG Insurance aux dépens.
4. AG Insurance se pourvoit en cassation à l'encontre des deux arrêts.
Par arrêt prononcé le 18/10/2013, la Cour de cassation casse l'arrêt du 15/3/2012 sauf en ce qu'il
reçoit l'appel, et casse l'arrêt du 24/5/2012. La cour réserve les dépens pour qu'il soit statué sur
ceux-ci par le juge du fond et renvoie la cause ainsi limitée devant la cour de céans.
AG Insurance a procédé à la signification de cet arrêt et cité Gisèle H. et KBC devant la présente
cour, postulant qu'il soit fait droit à son appel.
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Gisèle H. et KBC demandent de dire l'appel non fondé, de confirmer le jugement entrepris du
4/11/2010 et de condamner l'appelante aux dépens d'appel, soit l'indemnité de procédure de 2.750
euros à majorer des intérêts judiciaires à dater du prononcé de l'arrêt. Elles sollicitent en outre
l'exécution provisoire de l'arrêt à intervenir. A titre subsidiaire, les intimées forment une demande
incidente par conclusions afin que la responsabilité de l'assuré d'AG Insurance soit retenue sur base
des articles 1382 et 1383 du Code civil et qu'il doive supporter les 9/10e de son dommage, les
dépens devant être compensés.
Discussion
I. L'expertise
Les conclusions de l'expert Genard sont les suivantes :
1. Le foyer initial d'incendie est disposé à l'intérieur du meuble lave-vaisselle.
2. Une tresse de câbles électriques se situe à la base de la porte et assure la jonction entre le
tableau de commande et les appareils permettant le fonctionnement du lave-vaisselle.
3. Une défectuosité d'un ou de plusieurs de ces câbles a créé un court-circuit et a donné naissance à
un arc apte à engendrer une augmentation de température suffisante pour donner naissance à un
foyer initial d'incendie aux matériaux environnants.
4. Le développement de ce foyer initial d'incendie dans la cuve du lave-vaisselle a été relativement
lent, ce qui a permis que l'incendie n'envahisse pas totalement l'immeuble.
5. Seule cette disposition a épargné cet immeuble de larges dégradations.
6. Une défectuosité des câbles d'alimentation électrique du lave-vaisselle est dès lors la cause de
cet incendie accidentel.
7. Aucune certitude ne peut être énoncée quant à l'éventuelle intervention d'une personne
extérieure sur les circuits électriques du lave-vaisselle, ni la période à laquelle ces travaux furent
éventuellement réalisés, ni quant à l'identité de la personne les ayant éventuellement commandés
(p. 25 du rapport).
Lors de son audition du 4/2/2010, l'expert Genard a confirmé les conclusions de son rapport et il a
précisé les éléments suivants :
- il n'a pas décelé la présence d'un câble étranger au câble d'origine, ce qui ne signifie pas qu'un tel
câble n'existait pas mais il n'a pu le constater personnellement ;
- il ne sait rien dire sur la question de savoir si le lave-vaisselle était ou non utilisé lors des faits, il ne
peut préciser son type d'utilisation et il n'a pas constaté la présence de vaisselle à l'intérieur ;
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- sur base des éléments objectifs dont il dispose, il ne peut dire si on est effectivement intervenu sur
le lave-vaisselle ni quand cette intervention, à la supposer acquise, aurait eu lieu ;
- sur interpellation quant au rôle de la vétusté de l'appareil, l'expert énonce qu'il faut avoir égard au
type d'utilisation, l'usure est d'autant plus rapide que l'usage est fréquent. Il est concevable que
l'usure soit ici en cause et en toute hypothèse si des câbles ont été changés, ils ont pu tenir
quelques années pour autant qu'ils aient correspondu aux normes requises et qu'ils n'aient pas été
endommagés au moment de leur installation (procès-verbal d'audition de l'expert, pièce 13 du
dossier de procédure d'instance).
II. Fondement de l'action originaire
AG Insurance fonde son action contre la locataire Gisèle H. sur base des articles 1147, 1302 et plus
spécifiquement 1733 du Code civil, ainsi que sur les articles 1382, 1383 et 1384 de ce code. A
l'égard de l'assureur de Gisèle H., l'appelante, fonde son recours sur l'action directe dont dispose la
victime d'un sinistre, aux droits de laquelle elle est subrogée, contre l'assureur du responsable.
Responsabilité de la locataire Gisèle H.
1. Le preneur répond de l'incendie. Cette obligation spéciale découle de l'obligation contractuelle
de restitution en fin de bail qui est une obligation de résultat. Le preneur qui, suite à un incendie, ne
peut restituer le bien loué en est responsable sur base contractuelle. Il est en faute du seul fait de
l'inexécution de l'obligation de restituer et n'est libéré que s'il prouve la cause étrangère qui ne
peut lui être imputée.
L'article 1733 du Code civil dispose que le preneur répond de l'incendie, à moins qu'il ne prouve que
celui-ci est survenu sans sa faute. Il suit de cette disposition que le locataire doit établir, à l'égard du
bailleur, l'absence de tout comportement fautif ayant contribué à l'incendie tel qu'il s'est produit.
De quelle manière le locataire doit-il fournir cette preuve ?
Le preneur peut apporter une preuve positive en démontrant directement la cause étrangère. Il
peut également apporter la preuve négative de son absence de faute, soit la preuve par induction
que l'incendie ne peut être dû qu'à une cause étrangère : on peut induire d'un ensemble de
présomptions graves, précises et concordantes que le sinistre résulte d'une cause étrangère au
locataire (Cass., 30 juin 1977, Pas. 1977, I, 1109 ; Y. Merchiers, op. cit., n° 295, p. 224 et réf. citées).
La preuve directe de la cause étrangère résulte généralement des circonstances mêmes dans
lesquelles l'incendie s'est produit ou de l'expertise.
Lorsque la cause de l'incendie demeure douteuse ou inconnue, le preneur se trouve dans
l'impossibilité d'établir la cause réelle de l'incendie et, partant, que cette cause ne lui est peut-être
pas imputable. La preuve de la non responsabilité du preneur peut alors être faite de manière
inductive, à la condition d'être décisive (De Page, Traité élémentaire de droit civil belge, T.IV, Les
principaux contrats,1ère partie, n° 700, C, 2°, p. 727).
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2. Il résulte à suffisance du rapport de l'expert Genard qu'une défectuosité des câbles
d'alimentation électrique du lave-vaisselle est la cause de l'incendie qui est accidentel. L'expert
précise en page 20 de son rapport :
« L'utilisation répétée de ce lave-vaisselle et en particulier l'ouverture de cette porte est de nature à
créer quelques dégradations au travers des gaines de protection de ces câbles. Cette disposition est
de nature à favoriser la naissance d'un court-circuit en cette implantation. Selon toute
vraisemblance, un court-circuit répété en suite de l'état de ces câbles dénudés a créé un arc
suffisant pour assurer une augmentation de température et une énergie apte à donner naissance à
un foyer initial d'incendie aux matériaux l'environnant ».
3. Les intimées considèrent que le sinistre est intervenu sans que la locataire Gisèle H. en soit
responsable et qu'elles rapportent la preuve inductive que l'incendie est dû à une cause étrangère à
la locataire, laquelle n'est donc pas tenue d'indemniser AG Insurance subrogée aux droits du
bailleur.
Les intimées invoquent, à titre de présomptions de l'absence de faute de la locataire H. , les
éléments suivants.
3.1. La vétusté du lave-vaisselle
L'expert Genard relève en page 7 du procès-verbal de la visite du 3 février 2000 que le lavevaisselle, disposé au sud du meuble sous évier, est de marque SCHOLTES et a environ 22 ans.
Les intimées font valoir que la durée de vie habituelle d'un lave-vaisselle est d'environ 10 à 15 ans
et qu'il aurait été préférable que le bailleur, Christian Baire, procède au remplacement de l'appareil.
Elles considèrent que la cause de l'incendie est due à la vétusté du lave-vaisselle (p. 9 de leurs
conclusions).
Contrairement à ce qu'affirment les intimées, l'expert Genard ne conclut pas que l'usure du lavevaisselle est la cause la plus plausible du sinistre (p. 9 de leurs conclusions). L'expert a clairement
énoncé que la seule certitude pouvant être formulée est que la cause de l'incendie est due à une
défectuosité du circuit d'alimentation électrique interne du lave-vaisselle (p. 21 de son rapport), ce
qu'il a confirmé lors de son audition du 4/2/2010 (P.V. d'audition de l'expert, p. 3). Certes, interpellé
sur le rôle de la vétusté de l'appareil, l'expert Genard répond qu'il faut avoir égard au type
d'utilisation (plus l'usage est fréquent, plus l'usure est rapide) et qu'il est concevable que l'usure soit
ici en cause (P.V. d'audition de l'expert, p. 4). Le fait que l'expert Genard ait envisagé, sur
interpellation, l'hypothèse de l'usure de l'appareil ne permet pas pour autant de considérer comme
établi que l'incendie trouve sa cause dans l'usure du lave-vaisselle.
Il sera relevé à cet égard que le locataire précédent, Monsieur Marino, précise dans un courrier
adressé au conseil des intimées qu'il a été locataire du bien du 1/7/1988 au 30/6/1995 et que
pendant cette période, il a utilisé le lave-vaisselle qui se trouvait dans la cuisine équipée garnissant
les lieux loués. Il précise que l'appareil a été réparé, à une date qu'il ne peut préciser, par Monsieur
Francq, technicien électro-ménager habitant dans la rue, pour un problème relatif à la pompe à eau
de l'appareil, et pas pour un problème électrique (dossier des intimées, pièce 6a).
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Gisèle H., qui a pris le bien en location le 1/7/1995 et l'occupe avec son compagnon et leurs deux
enfants, affirme qu'elle n'a jamais utilisé le lave-vaisselle et qu'elle n'a fait procéder à aucune
réparation (p. 10 du rapport). L'expert a relevé, lors de sa visite des lieux après le sinistre, que la
fiche permettant le raccordement électrique du lave-vaisselle était branchée à une prise de courant
disposée le long du mur est à l'arrière du meuble sous évier (p. 7 du procès-verbal de la visite du 3
février 2000). Il a déclaré lors de son audition qu'il ne pouvait préciser si le lave-vaisselle était ou
non utilisé à l'époque des faits et n'avoir pas constaté la présence de vaisselle à l'intérieur. Ce seul
élément ne permet toutefois pas de tenir pour établi que le lave-vaisselle n'a jamais été utilisé par
la locataire H., laquelle n'avait pas débranché l'appareil. Le fait de laisser un appareil électroménager équipant la cuisine louée branché ne peut constituer une faute, cet appareil étant en
principe destiné à l'usage du locataire.
3.2. L'intervention sur les circuits électriques du lave-vaisselle
Dans un courrier du 27/12/1999, Carlo Mella, conseil technique de KBC, énonce que l'installation
électrique de l'habitation était correctement réalisée et qu'une intervention sur un câble de
distribution interne du lave-vaisselle SCHOLTES a eu lieu dans les années précédant l'incendie (p. 10
du rapport).
L'expert n'a pas décelé la présence d'un câble étranger au câble d'origine (P.V. d'audition de
l'expert, p.3). L'expert Genard a relevé qu'aucune certitude n'existe quant à la nature ou la date
d'une éventuelle intervention d'une tierce personne au sein du lave-vaisselle. Tant le propriétaire
que la locataire certifient ne pas être intervenus sur le circuit électrique alimentant l'appareil.
Aucun indice ne permet de départager ces déclarations contradictoires. L'expert ne peut dès lors se
prononcer quant à ces éventuels travaux et relève que la seule certitude est que la cause de
l'incendie est due à une défectuosité du circuit d'alimentation électrique interne de l'appareil (p. 21
du rapport).
3.3. Le vice du lave-vaisselle
Les intimées font valoir que le lave-vaisselle, appartenant au bailleur Christian Baire qui l'a placé
dans les lieux loués, était affecté d'un vice caché et que de surcroît, l'installation électrique, assez
vétuste, n'était pas équipée d'un différentiel. Selon les intimées, l'incendie a été provoqué par le
vice de la chose louée dont le bailleur doit répondre (article 1721 du Code civil).
La mise en cause de l'installation électrique n'est pas suffisamment démontrée. Le conseil
technique de KBC, Carlo Mella, a lui-même admis que l'installation électrique de l'habitation est
correctement réalisée et l'expert Genard ne relève nullement un problème de différentiel au sein
de l'installation électrique.
L'article 1721 du Code civil dispose que le bailleur doit sa garantie au preneur pour tous les vices ou
défauts de la chose louée qui en empêchent l'usage, quand bien même le bailleur ne les aurait pas
connus lors du bail. La garantie des vices cachés de la chose est une application de la garantie de la
jouissance paisible que le bailleur doit à son locataire.
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Constituent un vice de la chose les imperfections, les défauts ou inconvénients de la chose, qui
rendent le bien loué impropre à son usage normal ou qui en restreignent l'usage attendu par le
preneur (Y. Merchiers, op. cit., n° 208, pp.188-189 ; M. De Smedt et M. Higny, « Le bail de droit
commun : questions choisies », Actualités en droit du bail, CUP, vol. 147, n° 13, p.22).
Dans les circonstances concrètes de la cause, il y a lieu de considérer que le lave-vaisselle litigieux
était atteint d'un vice. En effet, l'expert Genard a démontré que la gaine de protection d'un ou
plusieurs câbles électriques situés à la base de la porte du lave-vaisselle était endommagée et qu'un
court-circuit, en suite de l'état de ces câbles dénudés, a créé un arc suffisant pour donner naissance
à un foyer d'incendie qui a endommagé la cuisine et les lieux loués (voir les photos jointes au
premier rapport de visite de l'expert, pièce 9-1 dossier de l'appelante).
Ce vice était caché dès lors que la porte en façade avant du lave-vaisselle dispose de deux parois
métalliques et que les câbles d'alimentation électrique et de commande du lave-vaisselle se
trouvent entre ces deux parois (p. 7 du procès-verbal de la visite du 3 février 2000). Ils n'étaient
donc pas visibles pour les locataires, qui ne pouvaient se rendre compte du fait qu'un ou plusieurs
câbles électriques étaient dénudés ni, par conséquent, du risque que cela présentait.
Il ne peut être fait grief à la locataire H. d'avoir fait preuve de négligence, par exemple en
n'avertissant pas le bailleur de l'existence du vice caché affectant le lave-vaisselle, dès lors qu'elle
n'avait pu se rendre compte de ce vice. Il importe dès lors peu que la locataire H. n'ait pas mis le
bailleur en demeure de remplacer le lave-vaisselle. Par contre, le bailleur Christian Baire est censé
connaître l'état de la chose qu'il donne en location, de sorte qu'il est indifférent que le vice soit
connu ou non du bailleur (article 1721 du Code civil).
Les constatations de l'expert Genard ne permettent pas de tenir pour établi que la locataire H. a
procédé à des modifications du lave-vaisselle en y faisant réaliser des travaux.
Il n'est pas contesté que le lave-vaisselle litigieux est la propriété du bailleur qui l'a placé dans la
cuisine équipant le bien loué. Cela n'implique pas pour autant que l'assuré d'AG Insurance était le
gardien du lave-vaisselle affecté d'un vice caché.
Le gardien d'une chose, au sens de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil, est celui qui use de cette
chose pour son propre compte, en jouit ou la conserve avec pouvoir de surveillance, de direction et
de contrôle.
Le bail consenti par Christian Baire porte sur l'immeuble sis rue de la Gare 32 à Solre-sur-Sambre
comprenant notamment « une cuisine équipée en parfait fonctionnement ; elle dispose d'un lavevaisselle... » (dossier des intimées, pièce 17).
En sa qualité de locataire, Gisèle H. était la gardienne de ce lave-vaisselle dès lors qu'elle pouvait en
user à sa guise et qu'elle conservait un pouvoir de surveillance et de contrôle de l'appareil faisant
partie du bien loué et de son cadre de vie quotidien, et ce même si elle n'en était pas propriétaire et
qu'elle n'avait pas installé l'objet dans les lieux.
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La circonstance que la convention de bail ne comporte pas de dispositions particulières quant aux
obligations d'entretien et de réparation incombant aux parties au contrat et que l'article 1755 du
Code civil met à charge du bailleur les réparations locatives causées par la vétusté - étant rappelé
qu'il n'est pas démontré que l'incendie est dû à la vétusté du lave-vaisselle -, ne permet pas de
considérer pour autant que le bailleur était le gardien du lave-vaisselle.
En tant que gardien de la chose, le preneur est exonéré lorsque l'incendie est dû au vice de la chose
dont il ne doit pas répondre (Y. Merchiers, op. cit., n° 299, p. 226). Dans les circonstances concrètes
de la cause, c'est le bailleur, assuré de AG Insurance, qui doit sa garantie du chef du vice caché
affectant le lave-vaisselle équipant les lieux loués, et ce par application de l'article 1721 du Code
civil. Il est indifférent que le bailleur n'ait pas eu connaissance du vice : c'est sa propre chose qu'il
loue et il lui incombe de la connaître (De Page, op. cit., n° 622, C, p. 640).
4. Il suit des considérations qui précèdent que la locataire Gisèle H. établit, à l'égard du bailleur
Christian Baire aux droits duquel AG Insurance est subrogée, l'absence de tout comportement fautif
ayant contribué à l'incendie tel qu'il s'est produit in concreto. L'incendie trouve en effet son unique
cause dans le vice caché affectant le lave-vaisselle équipant les lieux loués dont la locataire H. était
la gardienne, vice dont elle ne devait toutefois pas répondre dans la mesure où le bailleur a manqué
à son obligation de garantie des vices cachés édictée par l'article 1721 du Code civil.
L'action diligentée par AG Insurance à l'encontre de Gisèle H. et de KBC demeure dès lors non
fondée.
Il n'y a donc pas lieu d'examiner les observations formulées à titre subsidiaire par les intimées quant
à l'existence d'un cas fortuit, quant à la responsabilité extra-contractuelle du bailleur aux droits
duquel AG Insurance est subrogée et quant à la demande d'anatocisme formulée par l'appelante.
PAR CES MOTIFS,
Vu l'article 24 de la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues,
La cour, statuant contradictoirement dans les limites de sa saisine après renvoi de la cause par la
Cour de cassation,
Dit l'appel formé par la SA AG Insurance non fondé,
Confirme, pour d'autres motifs, le jugement entrepris prononcé le 4/11/2010 en ce qu'il dit non
fondée l'action diligentée par la SA AG Insurance à l'encontre de Gisèle H. et de la SA KBC
Assurances et la condamne aux dépens des défenderesses liquidés en totalité à 5.581,50 euros,
Condamne l'appelante aux dépens d'appel des intimées liquidés à l'indemnité de procédure de base
de 2.750 euros, et aux intérêts au taux légal sur ces dépens à dater du prononcé du présent arrêt, et
lui délaisse ses propres dépens,
Dit n'y avoir lieu à l'exécution provisoire du présent arrêt, le pourvoi en cassation et le délai pour se
pourvoir n'étant pas suspensifs.
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Ainsi jugé et délibéré par la VINGTIEME (a) chambre de la cour d'appel de Liège, où siégeaient le
conseiller faisant fonction de président Evelyne DEHANT et les conseillers Martine BURTON et Alain
MANKA, et prononcé en audience publique du 03 mars 2016 par le conseiller faisant fonction de
président Evelyne DEHANT, avec l'assistance du greffier Jean-Louis KINNARD.
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