FESTIVAL ROSSINI PESARO (Italie)

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FESTIVAL ROSSINI PESARO (Italie)
FESTIVAL ROSSINI
PESARO (Italie)
10 - 23 Août 2O11
Un peu d’histoire…
Il y a peut-être dix ans, le C.L.M avait organisé un déplacement qui, outre Vérone, nous avait
fait connaître le Festival ROSSINI de Pesaro, ville natale du compositeur, au bord de
l’Adriatique. La localité consacre annuellement un hommage sous forme d’un Festival -cette
année du 10 au 23 Août- dont la particularité est, outre les œuvres majeures, d’exhumer et de
faire connaître les innombrables « petits » opéra-bouffa que le « Cygne de Pesaro » a
composé au rythme de 4 à 5 par an !
À cette occasion, nous avions pu voir dans différents lieux de la ville -car le Teatro ROSSINI
était alors en réfection- plusieurs pièces : La donna del Lago où débutait sous les hourras le
très jeune ténor péruvien Juan Diégo FLOREZ1, La Gazetta mise en scène de façon très
enlevée par Dario FO et, dans la campagne environnante d’une très belle villa ancienne, Le
Nozze di Teti e di Peleo, un divertissement antique ravissant.
Pesaro…
Pesaro est une petite station balnéaire qui attire les estivants et de nombreux italiens viennent
y prendre les bains le long des plages qui bordent la ville. Le centre historique permet de
visiter, outre la maison natale du compositeur, divers musées et églises typiques aux décors
intérieurs riches. Mais, assez curieusement pour une station balnéaire estivale, l’atmosphère
est très calme et très agréable et le « touriste » est accueilli avec beaucoup de gentillesse.
Depuis notre passage, très exactement en 2002, le théâtre de Pesaro -Teatro ROSSINI- a été
pour la troisème fois entièrement rénové et réouvert au public. Comme la plupart des théâtres
italiens, c’est une réplique de la Scala de Milan avec ses loges à 4 ou 6 places… et les
nombreux poteaux qui, sur les côtés, rendent la vision un peu difficile. La plupart des œuvres
sont jouées dans le Teatro ROSSINI mais les grosses productions se déroulent dans l’Arena
Adriatica, située aux alentours immédiats de la ville. Des récitals de Bel Canto ont également
lieu durant le festival à l’Auditorium Pedrotti.
Le « cygne de Pesaro »…
Si Pesaro fête ROSSINI, en fait, il y vécut très peu. Né le 29 Février 1792 de Guiseppe
ROSSINI et de Anna GUADARINI, il dut quitter précipitemment, en 1797, sa ville natale car
son père se rangea du côté des troupes napoléoniennes qui envahissaient l’Italie pour y
déployer le message révolutionnaire français.
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Vu récemment en retransmission du MET dans le Comte Ory de Rossini.
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A partir de ce moment, les ROSSINI commencèrent une vie d’errance en s’exhibant dans les
théâtres des Marches et de l’Emilia-Romagna puisque la mère du compositeur utilisait son
talent de soprano et son père jouait du cor.
En 1799, les ROSSINI s’établissent à Bologna, puis à Lugo où le jeune Giacchino reçoit des
leçons de basso cifrato et de composition de son père et de Luigi Malerbi. Il découvre alors la
musique de MOZART et de HAYDN et commence à s’exercer au clavecin.
A douze ans, il savait déjà jouer de plusieurs instruments à cordes, il s’exhibait également
comme soprano et devint maître au clavecin. Il fréquente le Lycée Musical de Bologna et il y
étudie le violoncelle, le piano et le contrepoint avec le Père Stanislao MATTEI. En raison de
sa belle voix, il peut entrer à l’Academia Philamonica.
Sa carrière d’opéra s’ouvre le 3 Novembre 1810 -il a donc 18 ans-, avec le début de la farce
La cambiale di matrimonio, pour le théâtre San Moisè de Venezia et le succès tiré de ce
premier essai lui amène de nouveaux contrats notamment pour le Théâtre Corso de Bologna.
C’est à partir de cette période que débute une intense activité créative : cinq opéras en 1812 et
quatre en 1813. La réputation du jeune musicien se répand en Italie et, en 1815, le directeur
du Théâtre San Carlo l’invite à Napoli où il crée Elisabetta Regina d’Inghliterra.
ROSSINI, dans sa période « napolitano-romaine », crée des opéras sérieux pour Napoli et
réserve pour les théâtres de Roma, Milano et Venezia, les opéras bouffes et semi-sérieux qui
firent aussi son succès.
En 1822, il se marie avec la cantatrice espagnole Isabelle COLBRAN et termine sa carrière
italienne avec Sémiramide. Il part à Londres pour diriger ses opéras et en écrire d’autres et,
finalement, s’établit à Paris où il accepte de diriger le Théâtre des Italiens.
Cette période française est inaugurée par la cantate scénique Il viaggo a Reims à l’occasion du
couronnement de Charles X et, en 1829, au théâtre de l’Académie Royale, il donne son
dernier opéra Guillaume Tell. A 37 ans , le maître cesse de produire et se débat avec la justice
pour faire reconnaître ses droits dans divers contrats. Il vivra, comme en atteste de
nombreuses caricatures que l’on peut découvrir dans la Casa ROSSINI à Pesaro, des rentes
que lui procureront les droits d’auteurs de ses nombreux ouvrages.
Pendant les 38 ans qui lui reste à vivre, ROSSINI voyage beaucoup, en Espagne, en
Allemagne, en Belgique, rentre finalement en Italie où, à Bologne, il travaillera comme
conseiller et comme directeur du Lycée Musical.
Il revint sur le tard à Paris où il vit dans une confortable maison à Passy et y mourut le 13
novembre 1868, à l’âge de 76 ans. Les dessins que l’on peut voir à la Casa ROSSINI à Pesaro
montrent que de nombreux admirateurs participèrent à ses obsèques. Il fut enterré au Père
Lachaise mais, en 1887, son corps fut transféré dans l’église Santa Croce de Firenze où il se
trouve aujourd’hui.
Le Festival…
De multiples manifestations se déroulent au fil des jours :
- - trois productions : Adelaide di Borgogna, La scala di seta et Mosé in Egitto. Elles se
déroulent au Teatro ROSSINI, pour les deux premières, en raison de leur caractère
intimiste et à L’Arena Adriatica pour la troisième qui est une production plus
imposante.
- - le festival Giovane de l’Accademia ROSSINIANA qui permet à de jeunes chanteurs
de faire leurs premières armes sur la scène du Teatro ROSSINI.
- - des récital de bel canto.
- - et des concerts dans divers lieux de la ville.
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- - le tout se termine par un spectacle vidéo ouvert à tous sur la Piazza del Poppolo pour
un Barbiere di Siviglia qui clôture le Festival.
Il viaggo a Reims…
Cet opéra en 3 parties, créé le 19 Juin 1825, réunit dix chanteurs considérés comme les
meilleurs d’Europe pour une représentation exceptionnelle à l’occasion du couronnement de
Charles X. Quatre représentations ont suivi avant que ROSSINI ne retire la partition.
Trois ans plus tard, il utilisera plusieurs numéros pour son opéra à succès, Le Comte Ory.
Puis, l’ouvrage tombera dans l’oubli jusqu’à ce que des fragments réapparaissent dans les
années 1970. Mais c’est en fait, au Festival de Pesaro, en 1984, que la partition sera
reconstruite et reprise avec un énorme succès.
L’intrigue -un groupe de voyageurs de diverses nationalités en route pour le couronnement
vers Reims se trouvent bloqués dans une ville thermale parce qu’il n’y a pas de chevaux pour
poursuivre leur chemin-, est un prétexte à un déploiement de musique qui ne doit
pratiquement rien à l’élan dramatique mais beauop à la situation et au comique qui s’ensuit.
C’est une suite ininterrompue d’airs qui naissent de la rencontre des personnages et donnent
une des partitions les plus délicieuses et les plus enjouées où ROSSINI laisse aller son
imagination la plus débridée.
Joué sur le devant de la scène (et à 11H du matin), avec un décor simple de terrasse
d’établissement thermal, les jeunes chanteurs s’en donnent à cœur joie pour notre plus grand
plaisir sous la direction très soutenue de YI-CHEN LIN qui fait preuve d’une grande autorité
tant dans la direction des musiciens que dans celle des chanteurs parmi lesquels nous
remarquerons -car ils feront peut-être leur chemin sur les scènes internationales-, Caner AKIN
dans le rôle du Comte di Libenskof et Elier MUNOZ dans le double rôle de Don Alvaro/Don
Prudenzio.
La scala di seta…
Il s’agit d’une farce comique en un acte, créé au Teatro San Moisè de Venise le 9 mai 1812.
C’est le premier des opéras rossinien à être entré au répertoire.
Il fut repris au Festival de Pesaro en 1988 avec dans l’un des principaux rôles……Cecilia
BARTOLI !
Il est très difficile de résumer clairement l’histoire qui est assez compliquée. En son fond, elle
ressemble à celle du Barbier de Séville puisqu’il s’agit d’un tuteur qui veut absolument marier
sa pupille, Giulia, à un homme mûr alors qu’il ignore que cette dernière est déjà mariée
secrètement à Dorvil. Ce dernier visite sa femme tous les soirs et s’échappe de la chambre, au
petit matin, au moyen d’une échelle de soie pendue à la fenêtre de la chambre de Giulia. Il
s’ensuit de nombreux quiproquos en raison du rôle dévolu à Germano, un serviteur, qui, à la
fois, protège Giulia et doit obéir aux ordres de son employeur : le tuteur !
Le dispositif scénique -moderne- est particulièrement ingénieux même si l’action est ramenée
à notre époque. Au lieu de différents lieux, on est en présence d’un décor unique -décidément
très en vogue chez les metteurs en scène actuels-, qui représente le plan architectural de la
maison dans laquelle se déroule l’action. Le metteur en scène -Diamiano MICHIELETTOoblige donc les chanteurs à mimer les ouvertures et fermetures de portes lorsqu’ils changent
de pièce. Ce parti pris scénique est assez ingénieux car il ralentit mécaniquement une action
prête à s’emballer et évite ainsi que l’œuvre ne glisse du côté du vaudeville avec ses portes
qui claquent et ses fausses entrées. Le chant est ainsi préservé et l’on peut alors apprécier
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toute la finesse et la beauté des différents airs qui ne sont pas étouffés par une accélération
comique des personnages.
Les chanteurs sont particulièrement bien dans leurs rôles mais je donnerais une mention
spéciale au valet, Germano, interprété par Paolo BORDOGNA qui crée une composition fort
pittoresque où le comique ne nuit pas du tout à la beauté du chant. Il faudrait aussi citer Hila
BAGGIO (Mezzo-Soprano) dans le rôle de Giulia et Juan Francisco GATELL (Ténor) dans
celui de Dorvil.
Adelaide di Borgogna…
Opéra historique créé le 27 Décembre 1817, au Teatro Argentina de Rome. Il se situe entre
Armida, créée aussi en 1817, et Moisè in Egitto, en 1818. Il a été composé en un mois et demi
par le compositeur après la première d’Armida à Naples.
En 950, Lotario, roi d’Italie, meurt prématurément en laissant veuve Adélaïde de Bourgogne.
Berengario qui avait pris en main le gouvernement du royaume réussit à se faire élire comme
successeur. Mais sur lui pèse le soupçon d’avoir provoqué la mort du roi. Aussi, cherche-t-il à
légitimer son pouvoir et à neutraliser les revendications d’Adélaïde en imposant à la jeune
femme de s’unir à son fils, Adelberto. Refusant le marché, elle est persécutée et doit fuir dans
des contrées inhospitalières. Elle trouve refuge auprès d’Iroldo dans la forteresse de Canossa.
Quand celle-ci est assiégée par Berengario, elle appelle à son secours l’empereur Ottone en lui
promettant sa main et les droits acquis par elle sur la coronne du royaume d’Italie.
La mise en scène de PIER’ALLI respecte la nature historique du drame et propose un
dispositif scénique -costume, décors, lumière- tout à fait en accord avec l’époque évoquée
dans l’argument de l’opéra.
La distribution sous la houlette du chef Dimitri JUROWSKI est très homogène même si le
ténor d’Adelberto, Bogdan MIHAI, manque un peu d’ampleur et de précision. On remarquera
surtout le très beau timbre d’Adélaïde, Jessica PRATT, qui sait à la fois allier les prouesses
techniques du rôle et une très grande sensibilité dans l’interprétation de cette femme qui se
défend des violences dont elle est l’objet.
Moisè in Egitto…
Créé au Téatro San Carlo de Naples le 5 mars 1818, donc immédaitement après Adelaide di
Borgogna, pour celle qui allait devenir son épouse, la soprano Isabella COLBRAN. Le
librettiste A.L.TOTTOLA accomplit une sorte d’exploit en faisant du rôle d’Anaï, la nièce de
Moïse, le pivot autour duquel s’articulait l’antagonisme entre Moïse et le Pharaon. Le propos
n’est donc pas simplement le redéploiement d’un passage historico-biblique mais sert de
cadre, entre autre, à la relation entre Anaï et le fils du Pharaon, Aménophis.
L’opéra remporta un succès encore plus grand lorsqu’il fut repris un an plus tard -honneur fort
rare à l’époque-, avec l’addition de la fameuse prière du dernier acte « Des cieux où tu
résides, grand Dieu ». On raconte que cet air, lors des premières représentations, mit les
spectatrices italiennes dans un tel état nerveux qu’il fallut appeler des médecins pour les
calmer !
C’est, pour l’anecdote, cet air qui fut interprété sur les marches de Santa Croce, à Florence,
quand les cendres de ROSSINI furent ramenées de Paris, en 1887.
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Je ne résumerai pas l’intrigue de Moisè in Egitto car, grosso modo, elle reprend l’épisode
biblique de la fuite d’Egypte des Juifs, sous la houlette de Moise qui les mène vers la Terre
promise.
Seul, l’adjonction de l’amour qui lie la nièce de Moïse au fils du Pharaon, Aménophis, vient
complexifier l’intrigue qui, de ce fait, n’est pas simplement « que » la transcription historique
du drame biblique.
Opéra à grand spectacle, il se déroulait en raison de l’importance du dispositif scénique dans
l’Arena Adriatica. Je rappellerais, pour mémoire, que le C.L.M avait eu l’occasion de voir cet
ouvrage dans une très belle version, lors d’un déplacement à l’Opéra de Monte Carlo pour un
festival ROSSINI.
Transposant l’histoire dans notre époque actuelle, le metteur en scène Graham VICK prend un
parti résolument politique -et fort discutable- puisqu’il tente de transposer l’histoire biblique
en la ramenant subrepticement au conflit qui oppose actuellement Palestiniens et Israéliens.
Le décor mêle à la fois le palais du Pharaon symbolisé par des escaliers en tous sens et, en
fond de scène, le mur construit, il y a peu, par l’État hébreu pour séparer les territoires
palestiniens des terres d’Israël.
Le décor est planté qui indique, peu ou prou, la nature du propos et la ligne de pensée qui a
présidé à la direction de la mise en scène.
Le texte biblique -pour ne pas dire historique-, est donc totalement subverti ( on serait tenté de
dire perverti) puisque le metteur en scène inverse l’histoire. Il transforme finalement les
Israéliens en agresseurs alors que dans l’épisode biblique ils sont les victimes de l’esclavage
que leur impose les Égyptiens. Le metteur en scène veut donc nous faire comprendre que
l’histoire est un perpétuel mais tragique recommencement : les agressés d’hier deviennent les
oppresseurs de demain.
Pourquoi pas ! Mais pour parvenir à cette démonstration, il est obligé de tordre le texte par le
contexte, en déployant en différents points de la scène et pendant les arias de nombreux foyers
d’actions parallèles au déroulement de l’action qui parasitent incontestablement l’œuvre -et
surtout les très beaux airs qui l’émaille-, mais renforcent le propos du metteur en scène.
Au départ le chœur des Hébreux qui expriment leur désir d’être libérés de l’esclavage voit la
salle envahie par les choristes qui, à l’instar des réfugiés, montrent au spectateurs des photos
de personnes disparues. Mais 60 personnes qui marchent en tous sens dans une salle, cela fait
que l’on n’entend plus vraiment ce très beau chœur !
Puis entrent les Égyptiens qui sont coiffés du caftans mis en vedette par Y.ARAFAT, les
esclaves hébreux qui nettoient le palais du Pharaon sont coiffées du tchador, les hommes
israélites apprennent tout au long du déroulement de l’œuvre à se transformer en bombe
humaine pour, à la fin, faire sauter le palais du Pharaon en guise de Mer Rouge qui se referme
sur les soldats égyptiens et, last but not least, dernière image de l’opéra : un soldat actuel de
l’armée israélienne tend une plaque de chocolat à un enfant dont on comprend qu’il est
égyptien ou palestinien et qu’il s’est transformé en bombe humaine. Il se colle au soldat pour
le détruire alors que 70 figurants en costumes militaires envahissent à nouveau la salle pour
braquer des mitraillettes sur les spectateurs !
Reste la musique fort bien dirigée par Roberto ABBADO et des interprètes au premier rang
desquels se dégagent le Pharaon, Alex ESPOSITO, Moïse, Riccardo ZANELLATO, Anaï,
Enéa SCALA et Aménophis, CHIARA AMARÙ.
La réaction du public fut, on le devine, très partagée entre applaudissements nourris et sifflets
intempestifs. Mais beaucoup de spectateurs, comme moi, quittèrent la salle assez rapidement
avec, je crois, un sentiment mitigé pour ne pas dire nauséeux.
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Récital de Bel-canto
L’auditorium PEDROTTI accueillait Marina REBEKA une soprano lettone qui fit ses grands
débuts à Pesaro en 2008 dans le rôle d’Anna de Maometto II puis dans le Viaggo a Reims en
2009.
Depuis, cette cantatrice a fait son chemin et se produit sur les scènes les plus prestigieuses du
monde dont Covent Garden.
Son récital « I colori dell’anima » dresse un vaste panorama des chants français, allemand et
italien, uniquement consacré à ROSSINI, avec une reprise de l’aria d’Anaï « Giusto ciel »,
pour terminer en beauté par des chants russes où l’on sent la cantatrice très à l’aise même si
l’émotion qu’elle met dans son interprétation est sensible dans les divers registres.
Ciao, Pesaro et mille grazie !
Jean-Pierre VIDIT
Vice-Président du C.L.M
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