Le rap pour résister
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Le rap pour résister
LES ABORIGÈNES UN PEUPLE SANS DESTIN ● Le rap pour résister ■ Calendrier Le calendrier RAW 2008 est le premier du genre. Produit à l’initiative de Nova Peris, la première femme aborigène médaillée d’or aux Jeux olympiques, en 1996, RAW (“à l’état brut”) vise à démontrer que la culture aborigène est aussi faite de beauté. Mannequins, sportives, danseuses ou militantes, les quatorze naïades du calendrier posent presque toutes pour la première fois. Grâce à cette opération, Nova Peris espère que les jeunes Aborigènes vont enfin se voir telles qu’elles le devraient, comme “exotiques et fières de l’être”. On peut acheter le calendrier en ligne sur <http://www.raw20 08.net.au/page11.h tm> Une partie des recettes est reversée à des programmes d’aide à la jeunesse aborigène. La résistance aborigène ne s’exprime pas seulement à travers des textes percutants. La breakdance et les graffitis sont également au cœur de cette nouvelle scène hip-hop et sont aussi des formes (subtiles) de résistance. Ce sont des actes symboliques pour se réapproprier l’espace public, espace qui, pour de nombreux jeunes Aborigènes, se caractérise essentiellement par la surveillance et l’intervention de l’Etat. Dans son étude,Youth and Public Space Report [Rapport sur la jeunesse et l’espace public], Rob White s’est entretenu avec 80 jeunes Aborigènes originaires de Darwin ou d’Alice Springs. A propos de la présence policière, ils exprimaient le plus souvent un sentiment de frustration : “Quand on est noir, les gens pensent qu’on est des délinquants. Les flics n’aiment pas qu’on se rassemble en groupe. Ils nous suivent partout, où que nous allions, en jouant les durs.” Pour échapper à cette surveillance constante, les jeunes se tournent vers des formes d’expression qui leur apportent un sentiment d’appartenance concrète. Leur fierté d’être noirs s’exprime de manière symbolique, dans l’art urbain ou dans la danse dans des endroits publics. Ces interventions peuvent aussi être interprétées de manière abstraite comme une tentative de reconquête de leur espace social, après un passé de spoliation. Les tags, souvent inesthétiques, sont peut-être le moyen le plus efficace de rappeler au public l’existence de ces classes défavorisées, des violences de rue et des discriminations raciales, surtout dans une société qui préfère fermer les yeux sur ces questions. Le hip-hop aborigène est sans conteste un courant culturel complexe. Il serait pourtant réducteur de n’y voir qu’une récupération d’une forme artistique mondiale. En tant qu’expression culturelle, il est, pour ces jeunes défavorisés, une réinterprétation de leur identité. Il s’agit pour eux d’une expérience puissante, voire cathartique, qui leur procure un sentiment d’appartenance et, plus important encore, une voix. La clé d’un avenir meilleur se trouve peut-être dans leurs textes : “Soyez vous-mêmes.” Cristina NotaRpietro-Clarken DR Avec son roman épique Carpentaria, le militant aborigène Alexis Wright vient de rempor ter le Goncour t australien, le Miles Franklin Literar y Award. L’ouvrage raconte le combat d’une communauté aborigène peuplée de personnages surréalistes face à une compagnie minière prête à tout pour les déloger. L’histoire serait un mélange de faits réels et de contes du “temps du rêve”, thème qui explique l’origine du monde selon les Aborigènes. Getty Images/AFP ! Deborah Mailman Que ce soit à la télévision, au cinéma ou au théâtre, il n’existe pas un seul “prix de la meilleure actrice” que Deborah Mailman, 35 ans, n’ait remporté. Devenue célèbre grâce au rôle de Kelly dans Nos vies secrètes, une série télévisée à grand sucès, elle a joué aussi bien dans des pièces de Shakespeare que dans des films indépendants. ! Dale Getty Images/AFP DR ue signifie être aborigène ? Est-ce le fait d’appartenir à une tribu ? Qui est aborigène ? Autant de questions identitaires fondamentales que se posent les jeunes Aborigènes qui ont, pour la plupart, grandi aux marges d’une société “anglocentrique”. Aujourd’hui, ces jeunes tentent de se forger une nouvelle identité culturelle en s’appropriant des caractéristiques de la culture hip-hop commerciale, c’est-à-dire le rap, la breakdance et les graffitis. A première vue, on dirait une simple copie du style gangsta américain, mais à y regarder de plus près on constate que le hip-hop aborigène est unique en son genre et constitue un élément à part entière de la culture, de l’histoire politique et de la résistance des jeunes indigènes. Les langues traditionnelles aborigènes n’ont jamais connu l’écriture. Leur tradition orale mêle récits, musique, danses et autres formes d’expression. Certains artistes de talent rappent dans leur langue, ce qui les rapproche du style lyrique du hip-hop. Pour MC Wire, un rappeur d’origine gumbayngirr vivant à Bowraville, sur la côte nord de la Nouvelle-Galles du Sud, c’est ce mélange explosif de tradition et de modernité qui fait le “corroboree moderne”. “C’est mon salut artistique. Je ne veux plus être blessé et je ne veux pas vivre à l’ancienne. Je suis un Noir de notre époque, ceci est mon temps des rêves. Le hip-hop, c’est les clapsticks d’aujourd’hui [bâtons en bois frappés pour marquer le rythme], le nouveau corroboree.” La scène hip-hop aborigène regorge également d’auteurs exprimant leur ressentiment face au racisme, à la ségrégation et à la discrimination. Les rappeurs insistent sur les contradictions internes de l’Australie blanche, et dénoncent les réminiscences de son passé colonial qui percent dans la politique assimilationniste du gouvernement actuel. Les textes de nombreux artistes aborigènes appellent ouvertement à l’action politique et saluent le combat contre une Australie raciste et monoculturelle. L’artiste Bex n’hésite pas à utiliser la métaphore guerrière dans ses textes : “Si la mort est universelle, pourquoi a-t-on si peur d’elle alors que ce pays d’Australie a subi la furie depuis le début ? Les vies des gens de mon peuple ont été arrachées à leurs océans et jetées au rivage et plus loin encore, pourquoi tant d’humiliation, pourquoi nous faudrait-il nous habituer à être embrigadés pour le bien d’un autre ordre du monde ? Dites-moi pourquoi cette p… de guerre ? La guerre – pour quoi faire ? Cette guerre, la guerre de la rue Mon peuple qui meurt, mon peuple qui crie : C’EST LA GUERRE – la guerre, pour quoi faire ? Aujourd’hui, pour mon peuple et son génocide, Ouvre les yeux et entends Le cri de notre route poussiéreuse Cri lancé aux rues des villes, Aux entreprises à la fierté calculée Ça fait réfléchir. DR Q Melbourne ! Alexis Wright Richards Il y a huit ans, lorsqu’un ami lui a prêté sa première planche, Dale Richards était loin de s’imaginer qu’il serait un jour l’une des stars du circuit du sur f australien. A 19 ans, ce jeune prodige est le premier sur feur aborigène à s’être qualifié pour le Championnat du monde. ! Johnathan Thurston Getty Images/AFP ARENA (extraits) Comme une photo aux couleurs passées Une épreuve qui s’efface Chaque jour je m’endors sur des souvenirs, En proie à des besoins démesurés. L’énergie de la terre Est tout ce qu’il nous faut. L’espoir s’envole au loin avec les nuages Comme notre aigle du désert vole dans le ciel de minuit. L’aube se meurt Emportée par les suicides culturels urbains Disant d’insidieux mensonges A présent optimisés. Ces gens déguisés Racontent l’histoire comme s’ils en méritaient la gloire A se démener pour nous rabaisser. Valeur montante de cette jeunesse culturelle, On croit voir le dollar tout près Mais à travers des yeux sincères C’est le témoin de ces crimes blancs Qui change le cours des événements Pendant que les occasions s’en vont en fumée Comme les scènes d’hier Dans un jeu d’homme blanc. Personne n’entend un frère crier en vain : C’EST LA GUERRE – la guerre, pour quoi faire ?” Le capitaine des Nor th Queensland Cowboys, qui a réussi à hisser son équipe à la tête de la Ligue nationale de rugby deux ans de suite, vient de gagner pour la deuxième fois la médaille “Daily M” du meilleur joueur de l’année. Considéré comme l’un des rugbymen les plus sexy du pays, Johnathan Thurston, 24 ans, est le premier joueur aborigène à avoir signé un contrat de plus de 1 million de dollars australiens (626 280 euros). ! Linda DR Les jeunes Aborigènes se posent des questions sur leur identité. Ce qu’ils expriment dans le hip-hop. Cinq personnalités PORTRAITS Burney Première Aborigène élue au Parlement de NouvelleGalles du Sud, Linda Burney est aussi depuis peu la première Aborigène à être nommée ministre d’un Etat, en l’occurrence ministre du Commerce équitable, de la Jeunesse et du Volontariat. C’est à l’initiative de cette militante acharnée de la réconciliation que 250 000 personnes avaient traversé à pied le pont de la baie de Sydney, en l’an 2000.