C – Quelle est l`influence des médias sur les attitudes politiques ?

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C – Quelle est l`influence des médias sur les attitudes politiques ?
C – Quelle est l’influence des médias sur les attitudes politiques ?
1. – Les médias de masse conditionnent l’opinion publique
1.
Les médias acquièrent une importance dans la vie des systèmes politiques dès le XIXe siècle (notamment via
la presse écrite), mais c’est surtout avec l’arrivée de la radio et de la télévision, au cours du XXe siècle, qu’ils
connaissent leur plus grand développement. Les médias constituent une véritable instance de socialisation
politique pour les électeurs même s’il convient de distinguer, à la suite de Marshall Mc Luhan (La Galaxie
Gutenberg - 1962) les médias « chauds » (télévision, radio), qui font plus appel à la communication
sensorielle qu’à la réflexion intellectuelle, des médias « froids » (presse) qui mobilise davantage le cerveau.
En effet, les premiers semblent disposer d’une véritable capacité d’hypnose des électeurs, capacité attestée
par l’intense mobilisation qui en est faite par la propagande des régimes totalitaires. Considérés comme un
quatrième pouvoir (entre autres, par Alexis de Tocqueville), les médias sont donc à la fois convoités et
redoutés.
2.
A partir des années 1920, un certain nombre d’auteurs vont considérer que les « mass media » conditionnent
les attitudes politiques et l’opinion publique. Dans Propaganda Technique in World War I (1927), Harold
Lasswell (1902-1978) propose un modèle d’analyse fonctionnaliste appelé le modèle de la seringue
hypodermique qui voit le récepteur absorber la totalité du message émis par les médias. Un propagandiste
peut ainsi se contenter de diffuser son message pour pouvoir agir sur les comportements des individus. Il est
rejoint par Serge Tchakhotine qui, dans Le Viol des foules par la propagande politique (1939), affirme
également que le pouvoir politique peut endoctriner les masses au moyen de la propagande. Son étude se
nourrit de la théorie du psychologue Ivan Pavlov qui a travaillé sur les réflexes conditionnés chez les animaux
(le chien de Pavlov). Il est possible d'influencer les masses au moyen de la répétition de messages diffusés
dans les médias. Ainsi, lorsque l’écrivain H.G.Wells, le 30 octobre 1938, diffuse une pièce radiophonique
narrant l'invasion des martiens, dont il est l'auteur, un moment de panique s'empare des auditeurs qui croient
en la véracité de l’invasion.
3.
Plusieurs arguments sont invoqués pour soutenir la thèse du conditionnement des citoyens par les médias :
 Les médias « chauds » l’emportent sur le « média froid ». La télévision et la radio sont les médias les plus
utilisés de nos jours au détriment de la presse écrite. Ainsi, en 2010, les français de plus de 15 ans passent
en moyenne 2 h 06 par jour devant la télévision alors qu’ils ne consacrent que 18 minutes pour la lecture.
Comme le montrent, Theodor Adorno et l’Ecole de Francfort, dans « L’industrie culturelle » (1964), les
journalistes de l’audiovisuel sélectionnent les informations en fonction de leur pouvoir émotionnel au détriment
du raisonnement (la prime aux « faits divers », par exemple). En imposant certaines thématiques au détriment
d’autres, les médias sont susceptibles d’infléchir les opinions et les attitudes politiques.
 D’autre part, la télévision élimine les informations qui ne contiennent pas d’images. Ainsi, les massacres au
Burundi à la fin des années 1990 ou la guerre en Syrie ne sont justes qu’évoqués car les journalistes ne
disposent pas d’images contrairement à l’effondrement des tours à New-York le 11 septembre 2001, qui a
saturé l’information par le trop plein d’images. « A la télévision, l’important c’est ce qui se voit et non ce qui se
dit » selon François Mitterrand.
 De plus, l’information donnée par les medias de masse est simplifiée à l’extrême. Par manque de temps, les
journaux radiophoniques ou télévisuels privilégient les faits bruts à l’analyse. La dictature de l’audimat et la
concurrence exacerbée entre les différents médias peut les amener à délivrer de fausses informations qui
n’ont pas été vérifiées (la jeune femme faussement agressée par des personnes de couleur dans le RER en
2004, par exemple).
 De même, les médias ont un pouvoir de manipulation certains selon Vance Packard (La persuasion
clandestine – 1958). Les sujets traités peuvent être présentés de telle façon qu’ils confortent l’opinion du
récepteur. L’objectif de l’émetteur serait d’empêcher le récepteur de penser et de remettre en cause la société
dans laquelle il vit. Les médias de masse seraient les garants de l’ordre établi. Selon Serge Halimi les
représentants du quatrième pouvoir serait en fait « Les nouveaux chiens de garde » (1997) du pouvoir
politique et économique. Son pamphlet dénonce un « journalisme de révérence » et de connivence envers les
hommes politiques.
 Enfin, la télévision a tendance à personnifier les problèmes politiques. Ce n’est plus le programme politique
qui est important mais la personnalité de celui qui l’incarne. D’où une « pipolisation du politique » avec la
multiplication dans la presse écrite et les médias d'information de sujets mettant en avant la personnalité et la
vie privée des hommes politiques. On va privilégier son image plutôt que ses idées, ses petites phrases plutôt
que ses grands discours, l’anecdote plutôt que l’action. Ainsi, les émissions politiques deviendraient-elles des
shows où chaque invité fait son numéro, et la campagne électorale une série télévisée qui laisserait le
téléspectateur dans l’angoisse du dénouement.
4. On comprend ainsi les raisons qui poussent les hommes politiques et des chefs d’entreprise (Berlusconi en
Italie, Murdoch en Australie, aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, Bouygues en France…) à s’emparer des
médias. La communication politique a généralement pour vocation d'aider à l'élection de la personne qu'elle
sert avant ou pendant une campagne électorale et à favoriser le soutien de l'opinion publique lors de
l'exercice d'un mandat. Elle constitue un ensemble de stratégies à destination notamment des médias,
s’appuyant sur un ensemble de techniques (sondages, études d’opinion, séances de « média-training » pour
les candidats, organisation d’images émotionnelles pour le 20 heures…).
5. Le modèle de la seringue hypodermique repose sur une certaine vision de la société, qui correspond en partie
à celle de l’entre-deux guerres :
Le modèle de la seringue hypodermique
Emetteur
Message homogène et
répétitif
Société
individualiste


Récepteur
influencé
Individus
passifs
La société est une agrégation d’individus atomisés et passifs qui se laissent influencer par la
propagande ;
Les médias de masse véhiculent un discours homogène ce qui peut être le cas dans des sociétés
totalitaires ou dans des périodes de guerre pendant lesquelles la propagande utilise tous les moyens
de communication pour faire passer une « pensée unique ».
6. Les sondages, en livrant un état des forces politiques en présence, en anticipant les résultats des élections,
sont eux aussi de nature à orienter les votes. Par exemple, un scrutin perçu comme « joué d’avance » dans
les sondages peut pousser à l’abstention.
2
– Les récepteurs du message médiatique ne sont pas passifs
1. Dès les années 1940, Paul Lazarsfeld, associé à Bernard Berelson et Hazel Gaudet, auteurs de The People’s
Choice (1944), va remettre en cause le modèle de Lasswell. Dès 1938, Paul Lazarsfeld, enseignant à
l’Université de Columbia, prend la direction du Princeton Radio Project qui mesure les audiences
radiophoniques. Il met en place une analyse en termes de panels, c'est-à-dire une technique d’enquête visant
à suivre un même échantillon à différents moments de manière à mesurer les variations de comportement.
2. En questionnant les électeurs à la fois sur leurs intentions de vote et sur leurs moyens de s’informer, lors du
vote à l’élection présidentielle américaine de 1940, il révèle que les récepteurs filtrent le message des médias
pour ne pas être en désaccord trop profond avec eux-mêmes (dissonance cognitive). Ce filtre intervient à trois
niveaux :
 L’exposition sélective au message : les individus peuvent plus ou moins s’exposer à l’influence des médias, ils
choisissent quelles émissions écouter ou voir, ils ont tendance à suivre davantage le candidat dont ils se
sentent le plus proche et ils peuvent aussi prêter une attention plus ou moins distraite au message émis ;
 La réception sélective : le récepteur ne sélectionne dans un message que les opinions qui cadrent avec les
siennes et va rejeter ou ne pas entendre les autres ;
 La perception sélective : le récepteur ne va retenir de l’information que ce qui conforte ses idées en ayant
évacué ce qui peut les remettre en cause.
En sélectionnant l’émission
Medias
Le
récepteur
filtre
Le récepteur
est conforté
dans ses
idées
En sélectionnant les idées
En mémorisant des idées
3. Cette capacité de filtrage dépend du capital culturel et du capital social que possède l’individu. Il lui a été
transmis au moment de sa socialisation. Paul Lazarsfeld souligne l’importance du groupe primaire auquel le
récepteur appartient. Cette appartenance à un groupe primaire (famille, groupe professionnel, communauté
de voisinage) aboutit à retraduire les messages émis par les médias et les candidats. La société n’est donc
pas composée d’individus atomisés et passifs. Elle produit des individus plus ou moins outillés pour filtrer
activement les massages.
4. En définitive, les medias tendent à renforcer les opinions préexistantes, ils produisent peu d’influence directe
sur les choix individuels. Ils ne font que conforter les choix initiaux des individus.
5. Paul Lazarsfeld et Elihu Katz, dans Personal Influence (1955), vont prolonger le modèle du filtre culturel par la
théorie de la communication à deux étages (two step flow of communication) :
 Le premier niveau concerne les personnes qui sont les plus intéressées par le message des médias qu’elles
filtrent selon leur niveau social et culturel. Ce sont les « leaders d’opinion » qui peuvent être les hommes
politiques, les éditorialistes, les syndicalistes mais aussi les pères de famille, les chefs d'entreprise, etc. Ils
possèdent des caractéristiques sociales particulières (niveau de diplôme élevé, statut social favorisé), mais ils
occupent surtout une position centrale dans un groupe et ont une capacité à nouer des contacts à l’extérieur
de celui-ci. Ils s’exposent davantage aux médias et en retraduisent les discours, de manière plus simple, aux
moins intéressés. Ils jouent donc un rôle de « garde-barrière » (gate keeper) en filtrant et en simplifiant les
messages à destination d’un public plus large.
 Le second niveau concerne les personnes qui sont moins directement intéressées par le message
médiatique. Elles ne peuvent être influencées par les médias que si leur massage a d’abord transité par les
leaders d’opinion. Un certain nombre d’électeurs choisissent donc de voter pour un candidat en fonction de
leur entourage.
Le leader sélectionne le
message
Emetteur
Filtre social
Le leader simplifie le message
Filtre
culturel
Message
reçu par le
récepteur
Le leader transmet le
message
6. Ce modèle s’oppose à celui de la seringue hypodermique et dépasse celui du filtre culturel car l’influence des
médias se fait dans ce cas de manière indirecte, en deux étapes :
 Tout d’abord, ce sont les relations interpersonnelles, celles du groupe d’appartenance (famille, amis…), qui
sont déterminantes dans la construction de l’opinion et des comportements politiques des individus et non les
médias de masse ;
 Ensuite, les relations personnelles sont influencées par le leader d’opinion. Le message délivré par les médias
est reçu et plus ou moins assimilé par le leader d’opinion qui fait partager son choix de vote aux personnes
qu’il connaît.
7. Cette théorie remet en cause l’idée selon laquelle les médias auraient un fort pouvoir d’influence et défend
plutôt une vision des médias ayant une influence faible sur les individus. Dans Sociologie du journalisme
(2001), Erik Neveu souligne que les leaders d’opinion médiatiques (acteurs politiques ou éditorialistes) sont
finalement les plus attentifs aux messages des médias, et donc les plus exposés à en subir l’emprise.
Certains messages sont d’ailleurs directement émis en direction non pas du grand public, mais de catégories
de dirigeants. Les médias eux-mêmes constituent un système interactif où les journalistes politiques
spécialisés s’écoutent et s’influencent mutuellement.
8. En définitive, le modèle de Columbia démontre que le comportement électoral est socialement déterminé par
le statut socio-économique, la religion et le lieu de résidence autrement dit par les groupes d’appartenance et
que ce sont les interactions (conversations informelles) au sein des groupes primaires (famille, amis, voisins,
etc.) qui, plus que les médias, influencent la formation des préférences politiques.
9. A partir de ce constat, une sociologie de la mémorisation s’est développée ces dernières années. Brigitte Le
Grignou dans Du Côté du public. Usages et réceptions de la télévision (2003) montre qu’il n’existe pas de
téléspectateur type, mais plusieurs publics, différenciés selon les clivages de classe sociale, de niveau de
formation, d’appartenance générationnelle, sexuelle, voire ethnoculturelle. Les destinataires de messages ne
sont ni des masses, formant un public captif et manipulable, ni des individus souverainement libres,
d’accepter ou de critiquer ce qu’ils regardent et écoutent. Même si les messages sont constitués en fonction
de données sociales, les publics cibles ne les absorbent pas passivement, mais réalisent un travail
d’exclusion ou d’euphémisation, car les messages qui les sollicitent sont jugés pertinents ou non selon une
grille d’analyse subjective. En revanche, Brigitte Le Grignou remarque que des corrélations élevées entre le
message émis et les opinions formulées sont obtenues lorsque le média tient le langage attendu par les
récepteurs. Cela ne signifie pas que les journalistes ont une influence unilatérale, mais que les messages
persuasifs sont ceux qui canalisent des passions ou des désirs préexistants. Ils provoquent essentiellement
des effets de renforcement ou d’activation sur des segments limités du public.
3
– Mais les médias ne sont pas sans influence sur l’opinion publique
1. A partir des années 1970, les politistes vont mettre en valeur un certain nombre d’effets indirects des médias
sur l’orientation du vote et sur les attitudes politique.
2. Tout d’abord, un effet d’agenda : dans "The Agenda-Setting Function of Mass Media" (1972), Maxwell
McCombs et Donald Shaw mènent une étude empirique qui a pour but de mesurer la relation entre la
couverture de l’élection présidentielle américaine de 1968 dans les actualités et les thèmes clés perçus
comme importants par le public. Les médias doivent, en effet, trier parmi l’actualité afin de construire une liste,
souvent par ordre d’importance, des différents événements. La sélection opérée (choix des titres en Une,
choix des sujets, durée accordée au cours du journal, etc.) aboutit à focaliser les enjeux sur certains éléments
et à en mettre d’autres de côté.
 Dans leur étude, les auteurs observent ainsi une corrélation entre les thèmes ressortant d’une analyse de
contenu de différents médias de masse et ceux considérés comme importants par un panel d’électeurs
indécis. Par conséquent, la focalisation des médias sur certains thèmes a amené leur public à les considérer
comme plus importants que d’autres. Cette approche peut se résumer de la façon suivante : si les médias
n’imposent pas ce qu’il faut penser, ils disent cependant à quoi il faut penser. En classant l’information, ils
définissent un ordre du jour. Cela peut influencer les élections : en 2002, le thème de l'insécurité a été
sélectionné par les médias. Ce qui a pu bénéficier aux partis jugés plus « crédibles » par les électeurs sur
cette thématique (droite ou extrême droite).
 Il reste que des écarts peuvent apparaître entre les attentes des électeurs et les priorités affichées par les
médias. Dans « La campagne : la sélection des controverses politiques » (1986), Jean-Louis Missika et
Dorine Bregman soulignent que le classement des priorités de l’opinion publique, relativement stables, portent
sur des préoccupations économiques et sociales (l’emploi, la crise, etc.), alors que les thèmes prioritaires des
médias, en relation avec la campagne, ont été la cohabitation, la communication et la place de la France dans
le monde, thèmes qui traditionnellement, mobilisent peu l’opinion publique.
3. Ensuite, un effet de cadrage : l’influence des médias ne tient pas seulement au choix des sujets traités, mais
aussi à la façon dont ils le traitent. L’effet de cadrage des médias correspond à la façon dont ceux-ci vont
généralement présenter un sujet, à l’« angle » qu’ils vont choisir selon la terminologie journalistique (exemple :
le chômage est-il présenté comme un phénomène individuel ou comme résultant de logiques économiques
plus globales ou un traitement épisodique de la pauvreté faciliterait une imputation de la responsabilité aux
pauvres, alors qu'un traitement thématique et approfondi favoriserait la reconnaissance d'une responsabilité
collective et d'une défaillance des politiques publiques). L’effet de cadrage joue un rôle important sur la façon
dont le public va percevoir le sujet en question.
4. Enfin un effet d’amorçage : plus un sujet est visible dans les médias, plus il y a de chance pour qu'il soit
présent à l'esprit des récepteur, et pour que ceux-ci choisissent donc de l'utiliser comme un critère de
jugement. Ainsi, la tendance à stigmatiser les quartiers sensibles à partir de la montée de l’islamisme, des
voitures brûlées ou de la pauvreté font apparaître ses habitants comme des classes dangereuses au même
titre que les ouvriers au XIXe siècle. Or, dans The Spiral of Silence (1974), Elisabeth Noëlle-Neumann fait
apparaître que les médias de masse diffusent une opinion majoritaire qui conduit à marginaliser les personnes
qui tentent de penser différemment. Pour éviter cela, nombreux sont les individus qui, se trouvant en
désaccord avec l’opinion dominante, finissent par changer d’avis ou bien par se taire (le « Voice ou Exit » de
Albert.O.Hirschman). Ce phénomène conduit ensuite à une spirale où les opinions minoritaires le deviennent
de plus en plus jusqu’à ce qu’elles s’éteignent ne disposant plus de soutien.
A qui
appartiennent
les médias ?
L’électeur est
conforté dans
son jugement
Quels sont les
rapports entre
journalistes et le
pouvoir ?
Message
médiatique
Filtre des leaders
d’opinion
Effet de
renforcement
Quelle est la
sociologie des
journalistes ?
Effet d’agenda
Effet de cadrage
Effet
d’amorçage
L’électeur est influencé sur l’ordre des priorités

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