Cession d`une dépendance du domaine privé : à quel(s

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Cession d`une dépendance du domaine privé : à quel(s
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Lexbase La lettre juridique n˚637 du 17 décembre 2015
[Collectivités territoriales] Jurisprudence
Cession d'une dépendance du domaine privé : à quel(s) prix ?
N° Lexbase : N0437BW4
par Samuel Deliancourt, premier conseiller, cour administrative d'appel de Marseille, Centre Michel de l'Hospital — Ecole de droit — Université d'Auvergne
Réf. : CE 3˚ et 8˚ s-s-r., 14 octobre 2015, n˚ 375 577, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3716NTS)
Dans sa décision n˚ 375 577 du 14 octobre 2015, le Conseil d'Etat rappelle qu'une commune ne peut céder
une dépendance de son domaine privé à un prix inférieur à sa valeur à une personne poursuivant des fins
d'intérêt privé que si cette cession est justifiée par des motifs d'intérêt général et comporte des contreparties suffisantes. Et de préciser -c'est l'apport de cet arrêt qui sera publié au recueil Lebon— que, s'agissant
de cette seconde condition, il appartient au juge d'identifier les contreparties que comporte la cession en tenant compte de leur nature et de leur effectivité. Il doit ensuite estimer si ces contreparties sont suffisantes
pour justifier la différence entre le prix de vente et la valeur du bien cédé.
Dans ce litige était contestée la légalité de la délibération adoptée le 9 décembre 2011 par un conseil municipal
autorisant la cession de plusieurs parcelles communales pour un montant de cinq euros hors taxes par m². L'estimation réalisée par France Domaine était de trente euros par m². Deux habitants ont contesté cette délibération
devant le tribunal administratif de Dijon. La qualité de membre du conseil municipal (1) comme celle de contribuables leur confèrent un intérêt pour agir. Les contribuables sont en effet "personnellement intéressés à ce que
les actes de gestion du patrimoine communal soient accomplis dans les conditions prescrites par la loi" (2). C'est ce
qu'a eu l'occasion de rappeler le Conseil d'Etat dans un arrêt du 10 avril 2015, en jugeant que tout contribuable peut
contester une délibération relative à la gestion du patrimoine de la commune et cédant un élément du patrimoine
de la collectivité, puisque celle-ci est de nature à affecter les ressources communales en cas de sous-estimation
du prix de vente retenu (3).
Le tribunal administratif de Dijon a fait droit à la demande des intéressés par jugement (4) du 5 mars 2013 en
annulant la délibération querellée. La commune a interjeté appel devant la cour administrative d'appel de Lyon, qui
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a rejeté sa requête par arrêt (5) lu le 19 décembre 2013. Elle a certes considéré que cette cession, qui était justifiée
par la volonté de la commune de doter d'un logement décent de nombreuses familles issues de la communauté des
gens du voyage occupant ce terrain dans des conditions d'hygiène et de salubrité sommaires, était justifiée par un
motif d'intérêt général local, mais a estimé que la contrepartie imposée interdisant la vente de ce terrain qu'à prix
coûtant, majoré du coût de la construction éventuellement édifiée, et ce pendant les dix premières années suivant
la vente initiale, ne pouvait être regardée comme constituant une contrepartie suffisante à cette cession inférieure
à sa valeur vénale.
Cet arrêt est annulé pour erreur de droit par le Conseil d'Etat dans la décision rendue le 14 octobre 2015 au motif que
si la cour lyonnaise devait prendre en compte, pour apprécier les contreparties suffisantes, l'obligation de revente à
prix coûtant pendant la décennie suivant la vente, elle devait aussi prendre en considération les autres contreparties
dont la commune se prévalait, à savoir les avantages en matière d'hygiène et de sécurité publiques, la possibilité
d'économiser le coût d'aménagement d'une aire d'accueil pour les gens du voyage, ainsi que les coûts d'entretien
des terrains irrégulièrement occupés jusqu'à présent (6).
I — Les modalités de cession d'une dépendance du domaine privé
Le domaine public des personnes publiques est inaliénable, ainsi que le rappellent les articles L. 3111-1 du Code
général de la propriété des personnes publiques (N° Lexbase : L7752IPS) et L. 1311-1 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L7342HIR), à la différence d'une dépendance du domaine privé.
A — L'estimation de France Domaine, un élément d'information des élus
Le conseil municipal étant seul compétent pour administrer les propriétés communales (7), l'assemblée délibérante
peut autoriser la cession d'un immeuble relevant du domaine privé et autoriser le maire à signer la vente. Lorsque
la commune comprend plus de 2 000 habitants, l'article L. 2241-1, alinéa 3, du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L2287IEG) exige que la cession donnant lieu à délibération, laquelle doit être motivée et
porter sur les conditions de la vente et ses caractéristiques essentielles, soit précédée de la consultation de France
Domaine. Cet avis doit être demandé en temps utile et il est réputé délivré à l'issue d'un délai d'un mois à compter de
sa saisine. Les informations délivrées aux élus, en particulier lorsque la commune compte plus de 3 500 habitants
et qu'une note de synthèse doit leur être préalablement envoyée (8), doivent être suffisantes pour leur permettre
de se prononcer en toute connaissance de cause (9). Cependant, l'avis de France Domaine n'a pas à leur être
communiqué, seulement sa teneur (10), à moins que les membres du conseil municipal demandent expressément
à en prendre connaissance préalablement à la séance du conseil municipal (11). Cette consultation a donc pour
seul objet d'informer les élus (12). C'est pourquoi, alors que l'avis de France Domaine est considéré comme une
garantie en matière de préemption (13), il n'en est pas une dans le cadre d'une cession d'un immeuble du domaine
privé, ainsi qu'il l'a jugé dans l'arrêt de Section du 23 octobre 2015 (14). Il s'agit seulement d'un élément d'information destiné à éclairer le conseil municipal afin que cette assemblée puisse se prononcer en connaissance de
cause (15). Aussi, en cas de litige, "il appartient [...] au juge saisi d'une délibération prise en méconnaissance de
cette obligation de rechercher si cette méconnaissance a eu une incidence sur le sens de la délibération attaquée"
(16).
La procédure de cession n'a pas à être précédée d'une quelconque procédure, ni le terrain à être cédé au plus
offrant (17). En effet, aucune disposition législative ou réglementaire ne fait obligation aux communes ou à leurs
établissements publics de recourir à une adjudication publique pour l'aliénation de biens immobiliers relevant de
leur domaine privé (18). La seule exception concerne l'hypothèse où la cession est comprise dans une opération
soumise aux obligations de publicité et de mise en concurrence résultant des principes généraux du droit de la
commande publique (19).
B — Nature du contrat de cession et acte détachable
Le contrat de cession (20) conclu présente le caractère d'un contrat privé (21), à moins qu'il ne comporte des
clauses exorbitantes du droit commun (22), c'est-à-dire une "clause qui, notamment par les prérogatives reconnues
à la personne publique contractante dans l'exécution du contrat, implique, dans l'intérêt général, qu'il relève du
régime exorbitant des contrats administratifs" (23). La juridiction judiciaire est compétente pour connaître des actions
qui y seraient relatives. Telle est la position rappelée par le Conseil d'Etat dans un arrêt du 29 avril 2013 : "les
contestations portant sur le contrat de vente d'un bien appartenant au domaine privé d'une personne publique
doivent, sauf dispositions législatives contraires et dès lors que ce contrat ne comporte pas de clause exorbitante
du droit commun, être portées devant le juge judiciaire" (24).
La juridiction administrative est en revanche compétente, comme en l'espèce, pour connaître de la contestation de
la délibération autorisant la cession. D'une part, une telle délibération constitue un acte détachable du contrat de
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cession (25) susceptible d'être contestée par la voie du recours pour excès de pouvoir. D'autre part, un acte de
cette nature affecte le périmètre et la consistance du domaine privé, dans la lignée de la jurisprudence "Brasserie
du Théâtre" (26).
Le contrôle juridictionnel est limité à l'erreur manifeste d'appréciation s'agissant du principe comme du montant de
la cession (27). Ainsi que l'a résumé le Conseil d'Etat, "l'appréciation à laquelle se livrent leur organes délibérants
lors de ces cessions, placée sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, doit être exempte d'erreur de droit,
d'inexactitude matérielle des faits, d'erreur manifeste ou de détournement de pouvoir" (28).
En cas d'annulation de la délibération, la collectivité devra déterminer les conséquences à tirer de cette annulation
en fonction de la nature de l'illégalité commise. S'il s'agit par exemple d'un vice de forme ou de procédure affectant
les modalités selon lesquelles la personne publique a donné son consentement, elle pourra procéder à sa régularisation, indépendamment des conséquences de l'annulation sur le contrat lui-même. La collectivité concernée
pourra dans ce cas adopter un nouvel acte d'approbation avec effet rétroactif (29). Il s'agit de purger le vice affectant
l'acte détachable afin de garantir le maintien du contrat (30) et, par là-même la transaction et la sécurité juridique
des cocontractants.
II — Les conditions de cession d'une dépendance du domaine privé pour un montant inférieur à sa valeur
vénale
La cession d'une dépendance du domaine privé communal à une personne privée, physique ou morale, entreprise
ou association, doit être en principe réalisée au prix de la valeur vénale, c'est-à-dire celle du marché. Il s'agit de ne
pas brader le domaine privé, étant rappelé que les collectivités publiques sont astreintes au respect du principe de
bonne gestion de celui-ci (31).
Le prix fixé ou convenu peut cependant être inférieur à la valeur du marché, mais la jurisprudence constitutionnelle
comme administrative ont posé les conditions cumulatives énoncées plus avant : la cession doit motivée un motif
d'intérêt général et doit également comporter des contreparties suffisantes ou appropriées.
A — La protection constitutionnelle du droit de propriété des personnes publiques
La protection du droit de propriété par les articles 2 (N° Lexbase : L1366A9H) et 17 (N° Lexbase : L1364A9E) de
la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 ne concerne pas seulement la propriété privée des
particuliers, mais aussi la propriété de l'Etat comme celle des autres personnes publiques (32). C'est pourquoi le
Conseil constitutionnel a jugé dans sa décision n˚ 86-207 DC du 26 juin 1986 que "la Constitution s'oppose à ce que
des biens ou des entreprises faisant partie de patrimoines publics soient cédés à des personnes poursuivant des
fins d'intérêt privé pour des prix inférieurs à leur valeur ; que cette règle découle du principe d'égalité invoqué par
les députés auteurs de la saisine ; qu'elle ne trouve pas moins un fondement dans les dispositions de la Déclaration
des Droits de l'Homme de 1789 relatives au droit de propriété et à la protection qui lui est due ; que cette protection
ne concerne pas seulement la propriété privée des particuliers mais aussi, à un titre égal, la propriété de l'Etat et des
autres personnes publiques" (33). Il réaffirmera que "ces principes font obstacle à ce que des biens faisant partie du
patrimoine de personnes publiques puissent être aliénés ou durablement grevés de droits au profit de personnes
poursuivant des fins d'intérêt privé sans contrepartie appropriée eu égard à la valeur réelle de ce patrimoine" (34).
A cette exigence de contrepartie appropriée imposée par le Conseil constitutionnel (35), le Conseil d'Etat contrôle
l'existence de contreparties suffisantes.
B — Les cessions à un prix symbolique en contrepartie de la création d'emplois
Un immeuble communal, construit ou non, peut, sous conditions, être cédé à une personne privée pour un prix
inférieur à la valeur du marché. Eu égard à la position constitutionnelle susrappelée, le Conseil d'Etat exige, ainsi qu'il
le rappelle dans la décision présentement commentée, que l'opération soit justifiée par une finalité d'intérêt général
et que la collectivité cédante dispose de contreparties suffisantes (36). Ce sont ces dernières qui ont vocation à
rééquilibrer le prix de la cession afin que l'opération de vente ne puisse être considérée comme une libéralité, ce
que ne peut jamais faire une personne publique (37). C'est ainsi qu'une vente au profit d'une société "à un prix très
inférieur" à l'estimation du service des domaines, par exemple 30 %, a été considérée comme entachant d'illégalité
la délibération (38). Est également illégale la délibération autorisant un échange entre l'immeuble d'un particulier
au profit de la commune qui lui cède le sien, sans que le particulier ne participe à la poursuite de l'intérêt général,
alors que l'estimation de son immeuble est cent fois moindre que l'immeuble communal (39).
La cession pour un euro symbolique (40) peut l'être au profit d'une entreprise lorsque cette dernière va s'installer,
grâce au terrain cédé par la commune, sur le territoire de cette dernière et permettre ainsi localement la création
d'emploi(s). Il s'agit d'une forme d'incitation à l'implantation, une aide à l'immobilier d'entreprise. La contrepartie est
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constituée par la garantie de la création d'emplois et, si tel est le cas, elle est suffisante. C'est ce qu'a jugé le Conseil
d'Etat dans un arrêt du 3 novembre 1997 (41), dans lequel il a considéré que "la cession par une commune d'un
terrain à une entreprise pour un prix inférieur à sa valeur ne saurait être regardée comme méconnaissant le principe
selon lequel une collectivité publique ne peut pas céder un élément de son patrimoine un prix inférieur à sa valeur
à une personne poursuivant des fins d'intérêt privé lorsque la cession est justifiée par des fins d'intérêt général et
comporte des contreparties suffisantes" (42). Dans cette affaire, la légalité de la délibération a été admise au motif
que la cession autorisée par le conseil municipal avait pour contrepartie l'engagement de l'entreprise de créer cinq
emplois dans le délai de trois ans, assortie, en cas d'inexécution de cet engagement, de l'obligation de rembourser
à la commune le prix du terrain tel qu'il avait été évalué par le service des domaines. Les contreparties devant
être justifiées et effectives, il a été jugé qu'une cession pour un montant symbolique ayant pour unique contrepartie
l'engagement de l'acquéreur du terrain, de créer, dans un délai de deux ans, deux emplois de nature indéterminée
dans l'établissement devant être édifié sur ce terrain, ne pouvait être regardée comme suffisamment importante,
même en prenant en compte la taxe professionnelle versée par la société exploitant les bâtiments, compte tenu de
l'avantage ainsi consenti et de la valeur vénale du terrain en cause (43).
Ces jurisprudences sont toutefois considérées comme étant devenues obsolètes depuis l'intervention du législateur
et la rédaction de l'article L. 1511-3 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L2696IX7) modifié à
la suite du vote de l'article 1er de la loi n˚ 2004-809 du 13 août 2004, relative aux libertés et responsabilités locales
(N° Lexbase : L0835GT4) (44). Selon la rédaction actuelle de cette disposition, "le montant des aides que les
collectivités territoriales et leurs groupements peuvent attribuer, seuls ou conjointement, sous forme [...] de rabais
sur le prix de vente [...] de terrains nus ou aménagés ou de bâtiments neufs ou rénovés est calculé par référence
aux conditions du marché, selon des règles de plafond et de zone déterminées par décret en Conseil d'Etat. Ces
aides donnent lieu à l'établissement d'une convention et sont versées soit directement à l'entreprise bénéficiaire,
soit au maître d'ouvrage, public ou privé, qui en fait alors bénéficier intégralement l'entreprise [...]". Le montant est
fixé par référence à la valeur vénale des terrains et bâtiments d'après les conditions du marché (45).
C — La cession à un prix inférieur à la valeur de l'immeuble au profit de particuliers ou d'associations
La cession peut aussi être réalisée au profit de personnes publiques (46), comme elle peut également l'être au
profit de particuliers. A par exemple été jugée légale la délibération d'un conseil municipal décidant de vendre des
terrains communaux à des prix différents selon si les acheteurs étaient ou non de jeunes ménages envisageant d'y
édifier leur résidence principale, eu égard à l'intérêt que présente pour une commune l'installation de ceux-ci sur
son territoire afin de la revitaliser par une augmentation et un rajeunissement de la population sédentaire (47). Cet
objectif a été regardé comme n'étant pas étranger aux intérêts généraux dont la commune a la charge.
Les bénéficiaires de la vente peuvent encore être des associations. Selon les principes posés et réaffirmés dans un
arrêt du 25 novembre 2009 (48), "si la liberté reconnue aux collectivités territoriales par les dispositions précitées du
Code général des collectivités territoriales d'accorder certaines aides ou subventions à des personnes privées pour
des motifs d'intérêt général local ne peut légalement s'exercer que dans le respect des principes constitutionnels,
la cession par une commune d'un terrain à une association locale pour un prix inférieur à sa valeur ne saurait être
regardée comme méconnaissant le principe selon lequel une collectivité publique ne peut pas céder un élément
de son patrimoine à un prix inférieur à sa valeur à une personne poursuivant des fins d'intérêt privé lorsque la
cession est justifiée par des motifs d'intérêt général, et comporte des contreparties suffisantes". Le Conseil d'Etat
a admis dans cette affaire la légalité de la cession autorisée en considérant que la différence de prix, sensible,
entre l'estimation de l'immeuble par France Domaine à hauteur de 137 500 euros et le prix de cession convenu
avec les associations pour 35 065 euros, s'analysait comme une aide apportée à ces dernières. Bien que le prix
ne corresponde pas à la valeur du bien, la Haute juridiction administrative considère que la première condition est
remplie dès lors que cette cession répond au double motif d'intérêt général tendant tant à une meilleure insertion
d'habitants d'origine étrangère au sein de la commune par la création d'activités collectives que par le renforcement
de la sécurité publique notamment pour la circulation en centre ville. Le second critère, celui de la contrepartie
suffisante, est également satisfait : cette opération "a pour contreparties suffisantes, de permettre à ces associations
de mener à bien, dans le cadre de leurs statuts, leurs projets et de disposer d'un lieu de réunion adapté à la
réalisation de ceux-ci par sa dimension et ses accès ; qu'ainsi, en déniant à cette opération un caractère d'intérêt
communal, la cour a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis". Ainsi que le relevait le Professeur F.
Melleray, la seconde condition se confond avec la première (49). L'intérêt de cet arrêt vient du fait que l'intérêt
général poursuivi par le bénéficiaire de la cession a trait à son activité en elle-même.
D — L'appréciation du caractère suffisant des contreparties lorsque l'opération répond à un intérêt général
Dans l'affaire présentement commentée soumise au Conseil d'Etat, le prix de cession était six fois moindre (cinq
euros le m² pour une valeur vénale de trente euros le m²), ce qui nécessitait des contreparties. Ce qui pose difficulté
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en pratique pour les praticiens, qu'ils soient élus, services administratifs, conseils, avocats ou juges, est l'appréciation de leur nature et de leur caractère suffisant lorsqu'elles ne revêtent pas un caractère onéreux (50). Les
contreparties attendues ne présentent en effet pas toujours un caractère monétaire. C'est justement sur ce point
que l'arrêt du 14 octobre 2015 apporte des précisions. Le Conseil d'Etat explicite le raisonnement à tenir une fois que
la cession est justifiée par un motif d'intérêt général, qui constitue le premier temps du raisonnement, la condition
première à remplir. Le second temps porte alors sur les modalités d'appréciation des contreparties invoquées par
la collectivité cédante : il s'agit d'"identifier, au vu des éléments qui lui sont fournis, les contreparties que comporte
la cession, c'est-à-dire les avantages que, eu égard à l'ensemble des intérêts publics dont la collectivité cédante
a la charge, elle est susceptible de lui procurer, et de s'assurer, en tenant compte de la nature des contreparties
et, le cas échéant, des obligations mises à la charge des cessionnaires, de leur effectivité ; qu'il doit, enfin, par
une appréciation souveraine, estimer si ces contreparties sont suffisantes pour justifier la différence entre le prix
de vente et la valeur du bien cédé". C'est pour méconnaissance de ce principe que le Conseil d'Etat annule pour
erreur de droit l'arrêt rendu par la cour administrative d'appel de Lyon.
Cette dernière a commis une erreur en estimant que ni les avantages en matière d'hygiène et de sécurité publiques, ni la possibilité d'économiser le coût d'aménagement d'une aire d'accueil pour les gens du voyage et les
coûts d'entretien de terrains irrégulièrement occupés, dont la commune se prévalait devant elle, ne pouvaient être
comptés au nombre des contreparties de la cession. Les conditions d'intérêt général et de contreparties suffisantes
se confondent, à l'instar des faits ayant donné lieu à la décision "Commune de Mer" du 25 novembre 2009 citée
plus avant (51). Les contreparties à prendre en considération ne se limitent pas au prix de cession, mais portent
également sur les avantages autres pour la collectivité cédante que va lui procurer la vente du terrain ou, de manière
plus générale, de l'immeuble. En l'espèce, les trois éléments mis en avant par la commune -hygiène et sécurité publiques, baisse des coûts d'entretien et économie quant à la réalisation d'une aire d'accueil des gens du voyage—
devaient être pris en compte dans l'appréciation des deux conditions et devront l'être par la juridiction de renvoi. Les
considérations ayant trait à l'hygiène relèvent des obligations de la commune, que ce soit au titre du service public
s'agissant de l'hygiène (assainissement, etc.) et/ou de la police administrative s'agissant de la sécurité, devaient
être prises en compte dès lors que la cession constitue un moyen de les satisfaire. Les deux autres étaient relatives aux finances locales et aux économies susceptibles d'être réalisées dès lors que la commune n'aura plus à
supporter la charge financière des terrains devant être cédés et que cette opération réduit en même temps son
obligation quant à la réalisation d'une aire d'accueil des gens du voyage qui pourra avoir une taille moindre, les
bénéficiaires de la cession étant de gens de voyage sédentarisés. Les contreparties ne s'analysent donc pas que
comme le versement du prix, mais également sur les avantages financiers (gains, et économies) espérés grâce à
la cession opérée. Il s'agit d'un principe de compensation largement apprécié destiné à équilibrer la cession d'un
immeuble communal à un prix inférieur à sa valeur vénale. Mais dès lors que ces contreparties attendues ont trait
aux obligations d'une commune, s'agissant d'obligations légales dont certaines relatives aux services publics, il
devient difficile de considérer que l'activité par laquelle une personne publique gère son domaine immobilier privé
ne constitue pas une mission de service public (52) dès lors que cette gestion y participe.
(1) CE, 24 mai 1995, n˚ 150 360 (N° Lexbase : A4125AN4), rec. p. 208.
(2) Voir CE, 6 avril 1906, Balliman, rec. p. 328 ; CE 9 novembre 1917, Buneau et autres, rec. p. 703.
(3) CE 3˚ et 8˚ s-s-r., 10 avril 2015, n˚ 370 223, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5030NGE),
Contrats-Marchés publics, 2015, comm. n˚ 156, note J. — P. Pietri, RFDA, 2015, p. 926, concl. B. Bohnert.
(4) TA Dijon, 5 mars 2013, n˚ 1 200 312.
(5) CAA Lyon, 19 décembre 2013, n˚ 13LY01 144 (N° Lexbase : A2098NZQ).
(6) Arrêt rapporté, BJCP, 2015, p. 294, concl. B. Bohnert, Contrats et marchés publics, 2015, comm. n˚ 156, note
J. — P. Pietri, JCP éd. A, 2015, act. 871, note M. Touzeil-Divina.
(7) CGCT, art. L. 2122-21 (N° Lexbase : L9560DNE).
(8) CGCT, art. L. 2121-13 (N° Lexbase : L8562AAD).
(9) Voir CE, 8 juin 2011, n˚ 327 515 (N° Lexbase : A5427HT8), au recueil, Contrats-Marchés publics, 2011, comm.
n˚ 304, note J. — P. Pietri ; CE 3˚ et 8˚ s-s-r., 10 avril 2015, n˚ 370 223, préc..
(10) CE, 11 mai 2011, n˚ 324 173 (N° Lexbase : A8717HQW), rec. tables, p. 802, BJCL, 2011, p. 409, concl. N.
Boulouis, Contrats-Marchés publics, 2011, comm. n˚ 269, note G. Eckert, JCP éd. A, 2011, 2282, note D. Dutrieux.
Voir B. P. — Vantol, L'avis du service des domaines dans les transactions immobilières des collectivités territoriales,
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Defrénois, 2008, art. 38 736, p. 624.
(11) CAA Marseille, 7ème ch., 22 avril 2014, n˚ 12MA00 012 (N° Lexbase : A1513MMY), BJCL 6/2014, p. 391, nos
concl..
(12) CGCT, art. L. 2121-13. Voir par ex. CAA Marseille, 2 décembre 2014, n˚ 11MA04 789 (N° Lexbase : A2625NZA).
(13) CE, 23 décembre 2014, n˚ 364 785 et n˚ 364 786 (N° Lexbase : A8047M8K), rec. tables, p. 900, RD imm.,
2015, p. 147, obs. P. Soler-Couteaux.
(14) CE, 23 octobre 2015, n˚ 369 113 (N° Lexbase : A0318NUC), Contrats et Marchés publics, 2015, comm. n˚ 292,
note M. Ubaud-Bergeron.
(15) Voir par ex. CAA Marseille, 7ème ch., 21 décembre 2012, n˚ 11MA00 149 (N° Lexbase : A4426I4P), Droit de
la voirie et du domaine public, 2013, n˚ 173, p. 138, nos concl..
(16) CE, 23 octobre 2015, n˚ 369 113, préc..
(17) CE, 12 juin 1987, n˚ 71 961 (N° Lexbase : A3798APD), rec. tables, p. 629 ; CE, 8 février 1999, n˚ 168 043
(N° Lexbase : A4629AXQ) ; CE, 27 janvier 2010, n˚ 313 247 (N° Lexbase : A7555EQU), rec. tables, p. 763, AJDA,
2010, p. 1282, note A. Legrand.
(18) CE, 24 janvier 1994, n˚ 127 873 (N° Lexbase : A9293ARM).
(19) CAA Marseille, 25 février 2010, n˚ 07MA03 620 (N° Lexbase : A1458E77), AJDA, 2010, p. 1200, concl. F. Dieu.
(20) Lire nos obs., Les contrats de cession d'immeubles du domaine privé, La Gazette des communes, 27 octobre
2008, p. 56.
(21) T. confl., 10 mai 1993, n˚ 02 850 (N° Lexbase : A5900BKQ), rec. p. 399.
(22) T. confl., 15 novembre 1995, n˚ 03 144 (N° Lexbase : A6678A7H), rec. p. 478 ; T. confl., 8 décembre 2014, n˚
3979 (N° Lexbase : A6242M7C).
(23) T. confl., 13 octobre 2014, n˚ 3963 (N° Lexbase : A6721MYL), rec. p. 471, RFDA, 2014, p. 1068, concl. F.
Desportes, AJDA, 2014, p. 2180, chron. J. Lessi et L. Dutheillet de Lamothe, RDP, 2015, p. 869, note A. Basset,
Contrats et Marchés publics, 2014, comm. n˚ 122, note G. Eckert.
(24) CE, 29 avril 2013, n˚ 364 058 (N° Lexbase : A8818KCL), rec. tables, p. 592-764, JCP éd., A 2013, n˚ 2327,
note J. — F. Giacuzzo.
(25) Par ex. CE, 5 octobre 1988, n˚ 171 737 (N° Lexbase : A8370ASS) ; CE, 8 février 1999, n˚ 168 043 (N° Lexbase :
A4629AXQ).
(26) T. confl., 22 novembre 2010, n˚ 3764 (N° Lexbase : A4408GLT), rec. p. 590, BJCP, 2010, p. 55, concl. P. Collin,
RJEP, 2011, comm. 13, note G. Pélissier, Contrats-Marchés publics, 2011, comm. 26, AJDA, 2010, p. 2423, chron.
D. Botteghi et A. Lallet, Dr. adm. 2011, comm. 20, note F. Melleray, AJDA, 2010, p. 841, note O. Févrot, JCP éd. A,
2011, act. 537, obs. G. Eveillard.
(27) Par ex. CE, 8 février 1999, n˚ 168 043 (N° Lexbase : A4629AXQ) ; CAA Paris, 21 mars 2003, n˚ 01PA03 769
(N° Lexbase : A0775B7T) ; CAA Versailles, 15 octobre 2009, n˚ 08VE00 072 (N° Lexbase : A8304ENU).
(28) CE, 24 janvier 1994, n˚ 127 873 (N° Lexbase : A9293ARM).
(29) CE, 8 juin 2011, n˚ 327 515, préc..
(30) Voir par exemple pour le défaut de transmission de l'avis de France Domaine, CE 3˚ et 8˚ s-s-r., 10 avril 2015,
n˚ 370 223, préc..
(31) CE, Sect., 10 mars 1995, n˚ 108 753 (N° Lexbase : A2925ANN), rec. p. 123, RFDA, 1996, p. 429, concl. H.
Savoie, CJEG, 1995, p. 192, concl. H. Savoie, Dr. adm., 1995, comm. n˚ 577.
(32) Cons. const., décision n˚ 2010-67/86 QPC du 17 décembre 2010 (N° Lexbase : A1870GNL), JCP éd. A, 2011,
n˚ 2002, note P. Yolka, Dr. adm., 2011, comm. n˚ 30, note J. Marchand.
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(33) § 58, JORF, 27 juin 1986, p. 7978, AJDA, 1986, p. 575, note J. Rivero.
(34) Cons. const., déc. 24 juillet 2008, n˚ 2008-567 DC (N° Lexbase : A7893D99), AJDA, 2008, p. 1164, note Dreyfus,
BJCP, 2008, p. 310, note Terneyre, Contrats-Marchés publics, 2008, repère 8, obs. Llorens et Soler-Couteaux ; D.,
2008, J., p. 2356, note Apelbaum et Debouzy, Gaz. Pal., 8-9 août 2008, p. 2, note Linotte, JCP éd. A, 2008, n˚
44, p. 37, note Gardères et Labayle-Pabet, LPA, 7 août 2008, p. 11, note Mouannès, RFDA, 2008, p. 1233, note
Roblot-Troizier ; Cons. const., décision n˚ 2010-67/86 QPC du 17 décembre 2010, préc..
(35) Voir également Cons. const., décision n˚ 2010-67/86 QPC du 17 décembre 2010, préc., § 3.
(36) Voir à ce sujet, T. Rombauts, La relance des contreparties, Dr. adm., 2010, Etude 13.
(37) CE, Sect., 19 mars 1971, n˚ 79 962 (N° Lexbase : A2915B8H), rec. p. 265, concl. M. Rougevin-Baville.
(38) Par ex. CE, 25 septembre 2009, n˚ 298 918 (N° Lexbase : A3326ELR), rec. tables, p. 639-947, JCP éd. A, 2009,
act. 1112, chron. C. Chamard-Heim, Dr. adm., 2009, comm. 148, F. Melleray (annulant une délibération cédant un
bien estimé entre 710 000 euros et 770 000 euros, cédé pour un montant de 533 571 euros).
(39) TA Clermont-Ferrand, 27 février 2007,n˚ 0 601 642, LPA, 14 septembre 2007, n˚ 185, p. 9, nos obs..
(40) Voir C. Bosgiraud, Les ventes à l'euro symbolique consenties par les personnes publiques, JCP éd. A, 2011,
n˚ 2359 ; S. Damarey, Le prix symbolique en droit public, AJDA, 2003, p. 2298.
(41) Voir P. Yolka, Sur un Lazare contentieux : l'arrêt Commune de Fougerolles, AJDA, 2010, p. 51.
(42) CE, 3 novembre 1997, n˚ 169 473 (N° Lexbase : A5175ASH), Rec. p. 391, D. 1998, J., p. 131, note J. — F.
Avignon, JCP éd. G, 1998, II, 10 007, note R. Pastria, CJEG, 1998, p. 16, concl. L. Touvet, RFDA, 1998, p. 12, JCP
éd. E, 1998, p. 270, note F. Chouvel, Dr. adm., 1997, comm. n˚ 387, obs. L.T., LPA, 6 février 1998, n˚ 16, p. 13, note
J. Calvo.
(43) CAA Bordeaux, 8 novembre 2005, n˚ 02BX00 744 (N° Lexbase : A6103DLM), JCP éd. A, 2006, n˚ 1041.
(44) Sur le mécanisme d'aide et l'impossibilité pour les commune d'accorder des rabais sur le prix de vente des
immeubles qu'elles cèdent aux entreprises dans la limite de 25 % de la valeur vénale évaluée aux conditions du
marché, voir CE, 27 février 1995, n˚ 143 050 (N° Lexbase : A2858AN8), rec. p. 108 ; RDImm., 1995, p. 738, note J.
— B. Auby. Dans cette affaire était concernée la cession par la commune de deux locaux pour le franc symbolique à
une société civile immobilière en vue de la réalisation d'une librairie, mais le plafond posé par le texte règlementaire
n'était pas respecté. L'annulation de la délibération est confirmée, après que la Haute juridiction administrative a
écarté comme étant inopérants les moyens tirés de ce que ces locaux, dont les charges de copropriété pesaient
lourdement sur le budget communal (soit 190 000 francs), n'auraient trouvé aucun preneur depuis quinze ans et
que l'opération aurait permis de redonner vie aux commerces du centre-ville pour justifier légalement ce prix de
vente, alors que l'immeuble était estimé à 1,4 millions de francs.
(45) CGCT, art. R. 1511-4 (N° Lexbase : L3285I33), R. 1511-12 (N° Lexbase : L6419I37) et R. 1511-14 (N° Lexbase :
L2672IG3).
(46) Voir, par exemple, s'agissant de la cession par une commune de trois parcelles, à un prix symbolique pour l'une
et à une valeur moindre que la valeur vénale, au profit de la communauté urbaine afin que cette dernière puisse
réaliser des équipements, telle qu'une piscine communautaire et permettre la construction d'un carrefour giratoire
servant à la desserte d'une zone d'activité économique, CE, 15 mai 2012, n˚ 351 416 (N° Lexbase : A0943IMU),
jugeant que "la commune tirera de la construction de la piscine communautaire et de la réalisation du carrefour
giratoire des avantages importants ; que si le prix de vente des parcelles est effectivement, pour l'une d'entre elle,
symbolique, pour les deux autres, inférieur au prix du marché, le bénéfice attendu pour les habitants de la commune
de ces équipements d'intérêt général est de nature à constituer une contrepartie suffisante à l'économie générale
de cette cession".
(47) TA Nantes, 28 avril 1998, n˚ 97-4256 (N° Lexbase : A3652BTG), rec. tables, p. 773, Dr. adm., 1998, comm. n˚
243. Confirmé en appel par CAA Nantes, 30 juin 2000, n˚ 00NT00 040 (N° Lexbase : A6394BHB), rec. tables, p.
814-857-986, AJDA, 2000, p. 951 et 885.
(48) CE, 25 novembre 2009, n˚ 310 208 (N° Lexbase : A1309EP8), rec. p. 472, AJDA, 2010, p. 51, note Ph. Yolka,
Dr. adm., 2010, comm. 23, note F. Melleray, JCP éd. A, 2010, 2031, note C. Chamard-Heim, Contrats et Marchés
publics, 2010, comm. n˚ 41, note G. Eckert.
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(49) F. Melleray, note préc..
(50) Voir par ex. CAA Marseille, 22 novembre 2010, n˚ 08MA03 509 (N° Lexbase : A7999GS3), AJDA, 2011, p.
171, nos concl. (pour un désistement dans le cadre d'une action en rétrocession en contrepartie d'une cession
d'une dépendance communale).
(51) CE, 25 novembre 2009, n˚ 310 208, préc..
(52) Par ex . en ce sens, T. confl., 24 novembre 1894, Loiseleur, rec. p. 631, D., 1896, III, 3 ; T. confl., 18 juin 2001,
n˚ 3241 (N° Lexbase : A5606BQP), p. 743, Bull. civ. I, n˚ 16, D., 1896, III, 3 ; T. confl., 19 janvier 2004, n˚ 3375
(N° Lexbase : A9910DT9), rec. p. 510.
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