La Terre selon Socrate

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La Terre selon Socrate
La Terre selon Socrate
Extrait du Lycées de Fécamp
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La Terre selon Socrate
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- La Terre est-elle ronde ?
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Date de mise en ligne : lundi 2 novembre 2015
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La Terre selon Socrate
Nous étudions ici un extrait du Phédon de Platon. C'est un dialogue qui évoque les ultimes échanges de Socrate
avec ses disciples avant sa mort en - 399. Il est la suite directe de l'Apologie de Socrate et du Criton. Le philosophe
condamné à mort y évoque le corps périssable et la destinée des âmes qu'il affirme immortelles.
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Texte et traduction
Dans le passage qui nous intéresse, d'une manière moins détaillée que dans le Timée, l'intervention de Socrate
porte sur la forme de la Terre. Elle comporte deux parties distinctes et notre commentaire reposera sur cette
composition : d'une part, la Terre affecte selon lui une forme parfaite, donc sphérique ; d'autre part, sa véritable
nature échappe à notre perception. Pour retrouver le texte de Platon et sa traduction, cliquer sur l'icône ci-contre.
La Terre, une sphère parfaite
Pour Platon, l'univers est une sphère vivante. Cette forme est en effet Àq½Äɽ ĵ»µ}ıĿ½ A¼¿¹yıÄy½ ĵ
±PÄx ±ÅÄ÷ ÃÇ·¼qÄɽ [1], c'est-à-dire « la plus parfaite et la plus semblable à elle-même ». Sa perfection, c'est
d'inclure l'ensemble des mondes et des créatures : rien n'existe en-dehors de lui, et tout ce qu'il contient participe à
sa perfection : le démiurge qui créa le monde Äs»µ¿½ º ĵ»sɽ ÃɼqÄɽ Ãö¼± À¿w·Ãµ½, « fit un corps parfait,
composé de tous les corps parfaits ».
La Terre participe de la perfection cosmique. Tout, dans la démonstration platonicienne, ramène à la géométrie, aux
notions de sphère, de centre et de symétrie, y compris l'équilibre même de la première réplique de Socrate, tout
entière comprise entre À-Àµ¹Ã¼±¹ Ä¿¯½Å½ et Ä¿æÄ¿ À-Àµ¹Ã¼±¹. Disons-le tout de suite : cette prise de position
est davantage esthétique que scientifique...
Parfaite, la Terre l'est parce qu'elle est au centre : µ0 ÃĹ½ ½ ¼-Ãó Ä÷ ¿PÁ±½÷ [! ³Æ] semble n'être à première
vue qu'une hypothèse mais le recours à l'indicatif indique assez que la condition est supposée remplie [2]. Parfaite,
elle l'est aussi parce qu'elle n'a besoin d'aucun secours extérieur : le jeu des négations (¼·´r½... ¼®Äµ... ¼®Äµ...)
insiste sur la stabilité de cette sphère, qui « n'a besoin, pour ne pas tomber, ni d'air ni d'aucune autre pression du
même genre », et qui détient au sein de l'univers une place exceptionnelle : « La terre, notre nourrice, roulée autour
de l'axe qui traverse tout l'univers, a été faite pour être la productrice et la gardienne du jour et de la nuit ; elle est le
premier et le plus ancien des dieux nés sous le ciel. [3] »
Mais quelle vertu garantit donc la Terre d'une chute cosmique ? C'est « l' homogénéité », notion si importante qu'elle
est évoquée successivement sous forme de nom, d'adjectif et d'adverbe par les termes A¼¿¹Ìķı, A¼¿¯¿Å puis
A¼¿¯ÉÂ. Puisqu'à la perfection du Tout répond la perfection de ses différentes parties, la Terre partage avec
l'univers les mêmes caractéristiques de stabilité : « Faisant tourner le monde constamment sur lui-même et sur un
même point, Dieu lui imprima ainsi le mouvement de rotation, et lui ôta les six autres mouvements, ne voulant pas
qu'il fût errant à leur gré. [4] » La stabilité de la Terre, pour sa part, est garantie par deux choses : la stabilité du ciel
qui l'environne : Ät½ A¼¿¹Ìķı Ä¿æ ¿PÁ±½¿æ ±PÄ¿æ, et la sienne propre : ÄÆ ³Æ ±PÄÆ Ät½
0ÿÁÁ¿À¯±½. C'est ce que prétend affirmer la démonstration qui clôt la première réplique de Socrate, laquelle, non
contente de reprendre les termes que nous venons de souligner, réaffirme la stabilité terrestre par un jeu très serré
de négations (¿PÇ ¾µ¹ ¼¶»»¿½ ¿P´½ 'ÄÄ¿½, ¿P´±¼Ìõ) et une antithèse, puisque º»¹½r ¼µ½µÖ s'oppose à
º»¹¸Æ½±¹.
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La Terre selon Socrate
Une terre méconnue
De cette Terre, nous n'avons qu'une connaissance approximative.
Son étendue d'abord nous échappe : elle est immense (À¬¼¼µ³¬), ce qui forme antithèse avec l'expression ü¹ºÁ÷
Ĺ½¹ ¼¿Á¯ó, qui caractérise le monde connu des Grecs. Ce monde est évoqué à travers ses deux limites
occidentale et orientale : les Colonnes d'Hercule ()Á±º»µ¯É½ ÃÄ·»ö½) et le Phase [5] (¦¬Ã¹´¿Â). C'est par une image
teintée d'humour et de vérité que Socrate réduit à de plus saines proportions l'orgueil des Grecs, répandus sur les
bords de la Méditerranée eÃÀµÁ ÀµÁv Ä-»¼± ¼ÍÁ¼·º±Â " ²±ÄÁ¬Ç¿Å ÀµÁv Ät½ ¸¬»±Äı½ ¿0º¿æ½Ä±Â, «
comme des fourmis ou des grenouilles autour d'un étang. » Le choix des animaux, leur petitesse, ainsi que le
recours au mot Ä-»¼± (étang) concourent à l'ironie souriante du passage. On songe à Voltaire, qui verra dans notre
planète un « globule ». Socrate joue ensuite sur les adjectifs »»¿Â et À¿»ÍÂ, associés pour créer un effet de
grandeur : »»¿Å »»¿¸¹ À¿»»¿z ½ À¿»»¿Öù Ä¿¹¿ÍÄ¿¹Â ÄÌÀ¿¹Â ¿0ºµÖ½ : « beaucoup d'autres peuples
habitent ailleurs en beaucoup d'endroits semblables ».
Notre place sur ce globe nous échappe aussi. C'est que nous vivons dans des « creux » (º¿Ö»±) eux aussi
nombreux (À¿»»p) et variés (À±½Ä¿´±Àp). Si l'on comprend bien le texte, la Terre n'est d'ailleurs vivable que dans
ces régions innombrables mais limitées en taille. En effet, les conditions de la vie, que Socrate résume en trois
termes, à savoir l'eau (Äx U´ÉÁ), le brouillard (Ät½ A¼¯Ç»·½) et l'air (Äx½ -Á±) se limitent à ces zones : le reste est
invivable dans sa pureté même : ±PÄt½ ´r Ät½ ³Æ½ º±¸±Áp½ ½ º±¸±Á÷ ºµÖø±¹ Ä÷ ¿PÁ±½÷, « la terre pure se
trouve dans le ciel pur ». L'éther [6] (±0¸-Á±) dont il est question dans le texte, est elle-même une forme purifiée de
l'air. On ne peut donc songer à quitter ces lieux ni même à tisser des liens avec les habitants des autres contrées
isolées.
Pourquoi cette vie dans les creux ? On songe inévitablement, chez Platon, au Mythe de la Caverne : il existe un
autre monde, un monde idéal, mais victimes des apparences, les hommes ignorent tout de cette réalité que seul le
philosophe, au péril de sa vie, peut appréhender. Le verbe »µ»·¸-½±¹, infinitif parfait de »±½¸¬½É, « ne pas se
rendre compte » témoigne en particulier de cette ignorance. Une comparaison entre notre situation et celle de gens
qui vivraient sous l'eau souligne davantage encore notre infirmité : « nous croyons (¿4µÃ¸±¹) habiter en haut de la
terre, comme si quelqu'un vivant au milieu du fond de l'Océan se croyait (¿4¿¹ÄÌ) logé à la surface de la mer et,
voyant le soleil et les astres à travers l'eau, prenait la mer pour (!³¿ÖÄ¿)le ciel ». On remarque les deux optatifs
successifs, marque d'une condition supposée possible : il faut toujours compter avec l'erreur ! L'image repose de
l'abstraction et permet surtout de comprendre combien notre perception du monde est déformée.
Le texte fait donc partie des spéculations platoniciennes sur le monde, spéculations parfois ahurissantes pour un
lecteur moderne. Néanmoins, ce passage a le mérite de conforter la vision d'une terre sphérique et infiniment plus
grande et plus peuplée que ne l'imaginaient peut-être les contemporains de Platon.
[1] Pour le commentaire de cette citation, voir Raoul J. Mortley, Plato's choice of the sphere. In : Revue des études grecques, tome 82, 1969
[2] E. Ragon, A. Dain, Grammaire grecque, J. de Gigord, 1979, § 324
[3] Platon, Timée, 40c
[4] Platon, Timée, 34a
[5] Ce fleuve de Géorgie se nomme aujourd'hui Raoni. Connu des Grecs anciens en tant que Phase pour son cours inférieur, et Rhéon pour son
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cours supérieur, on considérait jadis qu'il marquait l'extrême limite orientale des mers navigables.
[6] « À l'origine, Éther est un dieu primordial de la mythologie grecque, personnifiant les parties supérieures du ciel, ainsi que sa brillance. »
(Wikipédia)
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