DISCOURS BRESSO FR

Transcription

DISCOURS BRESSO FR
AMENAGEMENT DU TERRITOIRE : DE NOUVELLES OFFRES POUR
CORRIGER LES INEGALITES TERRITORIALES
UN POINT DE VUE EUROPEEN
93ème Congrès de l’Association des Maires de France
Paris, 25 novembre 2010
DISCOURS DE MERCEDES BRESSO, PRESIDENTE DU COMITE DES REGIONS
Seul le discours prononcé fait foi
Mesdames, Messieurs,
Je suis très honorée de pouvoir m'exprimer dans cette session
plénière, en tant que Présidente du Comité des régions, qui
représente l’ensemble des collectivités territoriales de l'Union
européenne, et fait entendre leur voix dans le processus
décisionnel communautaire.
Le devenir des territoires ruraux est au cœur des débats
européens actuels, débats qui portent à la fois sur les futures
perspectives financières, sur l'avenir de la politique agricole
commune et sur celui de la politique de cohésion après 2013.
En effet, les négociations budgétaires européennes qui viennent
de commencer auront une grande influence sur le développement
des zones rurales, qui se trouvent à la croisée de deux "grandes"
politiques européennes: la PAC et la politique régionale.
Quels sont les défis actuels des territoires ruraux dans
l'Union européenne à 27 ?
Les zones rurales se caractérisent par une très grande diversité,
depuis les campagnes reculées en proie au dépeuplement et au
déclin jusqu’aux zones périurbaines soumises à la pression
croissante d’expansion des centres urbains. Du point de vue de la
cohésion de l'Union à 27, l'hétérogénéité des situations des zones
rurales constitue un sujet de préoccupation.
Le 5ème rapport sur la cohésion économique, sociale et
territoriale, publié début novembre, fait état des disparités socioéconomiques entre les régions européennes, et des dynamiques
qui s'y jouent.
Il constate que, malgré un phénomène de rattrapage des zones à
prédominance rurale, leur niveau de développement demeure
inférieur à la moyenne communautaire, et très inférieur à celui des
zones à prédominance urbaine.
Cet écart entre zones rurales et zones urbaines est
particulièrement marqué dans les "nouveaux" Etats membres
d'Europe centrale et orientale, où d'ailleurs l'essentiel de la
population vit en milieu rural (41% vit à la campagne, contre 21%
en ville). Quant aux 15 "anciens", le rattrapage économique et
l'homogénéisation des modes de vie tendent à se renforcer, sans
combler totalement l'écart entre ville et campagne.
2
Les chiffres sont très parlants: le PIB moyen dans les territoires
ruraux est inférieur de 73% à celui des territoires urbains dans les
12 "nouveaux" Etats, et de 30% dans les 15 "anciens". Le plus
inquiétant est qu’en Europe centrale et orientale, les écarts se sont
creusés entre 2000 et 2007 1 parce que les villes ont connu une
très forte croissance.
Dans tous les pays européens, les zones rurales rencontrent des
problèmes similaires: l'accessibilité physique, l’éloignement des
centres de décision et de recherche, ainsi que la fracture
technologique. En matière sociale, les territoires ruraux présentent
un taux d'activité plus faible que les zones urbaines et la création
d'emploi y est également moindre. Le maintien des services
publics ou privés de qualité réclame souvent une forte mobilisation
politique, citoyenne et financière, via une péréquation fiscale
renforcée, qui suppose d’activer la solidarité entre tous les
citoyens.
Par ailleurs, les zones rurales sont confrontées à de nouveaux
défis, tels que l’impact du changement climatique, la perte de
biodiversité et la pollution, le grignotage de l’espace rural,
notamment agricole, ou encore le vieillissement de la population,
notamment des exploitants agricoles puisqu'aujourd'hui seulement
7% des agriculteurs ont moins de 35 ans en Europe et 1/3 des
agriculteurs ont plus de 65 ans.
1
5ème rapport sur la cohésion – page 22
3
Quelles perspectives nous offrent les réformes de la PAC et
de la politique de cohésion après 2013 ?
Concernant la PAC et son pilier de "développement rural"
après 2013, la Communication présentée la semaine dernière fait
une large place à la dimension territoriale. C’est une grande
innovation, peut-être plus dans les mots que dans les faits, mais le
Comité des Régions ne peut que s’en réjouir.
En effet, pour le Comité, c’est seulement par une approche
intégrée des politiques publiques que pourront être relevés les
défis économiques, environnementaux et sociaux qui se posent à
chaque territoire européen et plus particulièrement aux zones
rurales.
Or le rattachement de la politique européenne de développement
rural au 2ème pilier de la PAC depuis 2000 a affaibli sa dimension
territoriale au profit d'une approche plus sectorielle. Actuellement,
seulement 1/5 du FEADER est véritablement destiné aux activités
rurales non-agricoles.
Les moyens disponibles dans le cadre du FEDER et du FSE, bien
que probablement plus importants, sont essentiellement orientés
vers les dépenses de compétitivité et d'innovation, et touchent
relativement peu les territoires ruraux.
En analysant les évolutions de la PAC, y compris celles apportées
par la programmation 2007-2013, il apparaît que cette politique
4
ne peut pas être le seul outil du développement des
territoires ruraux.
La décroissance de l’emploi agricole est une problématique
prioritaire des territoires ruraux justifiant pleinement le maintien
d’une politique agricole commune. Mais la multifonctionnalité de
l’agriculture, si elle contribue efficacement au développement rural,
n’est pas suffisante; les autres secteurs socioprofessionnels
doivent être mobilisés pour un développement durable, diversifié
et équilibré de la société rurale.
Une véritable politique de développement rural n'est concevable
qu'à condition de prendre en considération la totalité des acteurs,
c'est-à-dire l'ensemble des acteurs non agricoles.
La proposition d’un Cadre Stratégique Commun, qui couvrirait le
FEDER, le FSE, le Fonds de cohésion, le FEADER et le FEP, à partir
de 2013, rencontre directement nos souhaits et je crois savoir que
ce sont aussi les vôtres depuis longtemps.
Concernant la politique de cohésion après 2013, vous savez
sûrement que le Traité de Lisbonne a doté l’Union européenne
d’un objectif politique nouveau et ambitieux: celui de la cohésion
territoriale.
Dès lors, en tant que décideurs politiques - que nous agissions au
niveau européen, national, régional ou local - nous nous devons de
tout mettre en œuvre pour que les disparités entre territoires
(ruraux et urbains, notamment) soient progressivement gommées,
et que nos concitoyens – quel que soit leur lieu de résidence –
aient accès à des conditions de vie équitables.
5
Je n'ai pas dit identiques, ou égales, mais équitables, dans le sens
où chaque individu doit pouvoir accéder à des standards de vie
dignes de l'Union Européenne et du 21ème siècle.
Dans cette optique, nous plaidons, et continuerons de le faire,
pour une plus grande solidarité entre les territoires, et donc pour
le maintien d'une politique de cohésion forte et destinée à
l'ensemble des régions de l'Union. A cet égard, il nous faudra
maintenir notre vigilance quant à l'orientation de la future politique
de cohésion, telle qu'elle se dessine dans le 5ème rapport sur la
cohésion.
Quels seront les écueils à éviter dans les prochains mois ?
J’en vois personnellement trois, après une lecture attentive du 5ème
Rapport Cohésion et de la communication sur la PAC.
Premièrement,
la
nécessaire
concentration
des
fonds
structurels: bien qu'il y ait un large consensus pour éviter le
saupoudrage des fonds, il ne faudrait pas aboutir à ce que les
interventions structurelles de l'Union se limitent aux "grands
projets"
structurants.
Cette
concentration
exclurait
automatiquement les projets en milieu rural, en raison de la plus
faible densité de population et de l’absence de masse critique.
6
Comment y remédier ? Par une gouvernance renouvelée,
sur des échelles territoriales plus larges, incluant à la fois les zones
rurales et les villes avec lesquelles elles sont en relation.
En effet, les expériences menées avec le programme LEADER,
dans le cadre du 2ème pilier de la PAC, sur des territoires de projet
pertinents avec une population suffisante pour lancer des projets
ayant la taille nécessaire pour entraîner une dynamique territoriale,
montrent que des stratégies de développement intégré
constituent une réponse adéquate à cette question.
La perspective, annoncée dans le 5ème rapport Cohésion, d’un
renforcement du soutien au développement local intégré pour tous
les types de territoires et d’une meilleure coordination entre
FEDER, FSE, FEADER et FEP me semble très bonne.
Il nous appartiendra de veiller à une mise en œuvre la plus simple
possible pour en garantir l’accès à tous les acteurs, notamment
ceux qui manquent des capacités institutionnelles et techniques.
Deuxième écueil, la concentration sur les objectifs de la
Stratégie Europe 2020: il nous faudra ici être vigilant sur
l'interprétation
intelligente"
qui
fondée
sera
sur
faite
des
l'innovation
notions
et
de
"croissance
l'économie
de
la
connaissance. Pour la période actuelle de programmation 20072013, une conception trop souvent "technologique" de l'innovation
a empêché certains projets, pourtant innovants, d'être soutenus
par le FEDER en milieu rural.
7
Comment y remédier ? Par une participation active à
l’élaboration du Cadre Stratégique Commun et des lignes
directrices qui seront données aux Etats membres.
Il nous faut reconnaître aux territoires ruraux un véritable statut
de pôle de développement durable, et non plus uniquement
d'espace naturel et agricole. Les atouts dont ils disposent
devraient être mieux reconnus, en particulier dans les futurs
règlements des fonds structurels établissant la liste des dépenses
communautaires éligibles. Nous veillerons, au Comité des Régions,
à ce que les possibilités offertes à l'ensemble des régions et
territoires
soient
suffisamment
décideurs
locaux
et
larges
régionaux
pour
d’arrêter
permettre
des
aux
programmes
opérationnels adaptés à leurs spécificités.
En d'autres termes, pour les territoires à dominante rurale:
 il sera important de pouvoir investir dans leurs potentialités
endogènes, telles que les agri-activités, les produits et les
techniques
HQE
(haute
qualité
environnementale),
la
biomasse, etc.
 il faudra également pouvoir réaliser les investissements
nécessaires au maintien de la qualité de vie de leurs
habitants, tels que l'accès aux services dans les domaines de
la santé (maisons médicales), l'éducation (maintien des
écoles en milieu rural), les technologies de l'information et
de la communication (haut débit en tous points des
territoires ruraux…)
8
Troisième écueil, le fléchage urbain tel qu’il est esquissé dans le
5ème Rapport Cohésion : s'il est vrai que les villes constituent des
moteurs de la croissance en Europe, les territoires ruraux
constituent un facteur majeur de cohésion sociale et territoriale.
Or, si la plupart des efforts des politiques publiques se concentrent
sur les villes, parce qu’elles ont le meilleur rendement en termes
d’accroissement de la compétitivité ou parce qu’elles ont besoin de
rétablir leur cohésion sociale interne, il est évident que les
investissements nécessaires au développement des territoires
ruraux ne pourront être soutenus.
Nous risquons alors d’encourager une métropolisation accrue,
allant à rebours de ce que nous recherchons comme modèle de
développement – à savoir un développement territorial équilibré,
entre villes et campagnes, entre centre et périphérie.
Comment y remédier ? Nous devons absolument éviter
d’opposer les territoires urbains aux territoires ruraux, car
leurs interrelations sont fortes. Je reprendrais volontiers l’idée
développée par le réseau RED (Ruralité, environnement et
développement), qui estime que "si l'on veut éviter une
surconcentration urbaine génératrice de problèmes sociaux et
environnementaux, il faut favoriser en milieu rural l'émergence de
structures partenariales de gestion locale et des méthodes
d'animation favorables à la mise en œuvre d'actions collectives et
multisectorielles" 2 .
2
"Propositions pour une politique européenne des territoires ruraux après 2013" – RED, Ruralité, EnvironnementDéveloppement
9
Les territoires ruraux doivent s’affirmer comme des territoires
d’équilibre et, pour ce faire, avoir accès aux moyens financiers et à
l’assistance technique qui leur permettront de devenir des
partenaires à part entière des villes.
Mesdames et Messieurs,
Pour conclure, je souhaite vous assurer que le Comité des régions
insistera auprès de la Commission européenne pour qu’elle
traduise en actes ses bonnes intentions sur le Cadre Stratégique
Commun, ce qui devrait aboutir à l’harmonisation des règles
d’éligibilité et de mise en œuvre des différents fonds.
Il est également capital de mieux définir l'articulation entre la
politique de développement rural et la politique régionale, afin
d'assurer la cohérence des interventions de même nature au sein
d'un territoire.
Enfin, soyez certains que le Comité mettra toute son énergie pour
que les Contrats de partenariat pour le développement et
d’investissement qui seront négociés au plan national avec la
Commission soient élaborés en partenariat avec les collectivités
locales, et pour que la place et le rôle des territoires ruraux dans le
développement économique et la cohésion de l'Union européenne
soient pleinement reconnus et pris en considération.
Je vous remercie de votre attention.
10