Entretien avec Christian Rizzo - La Comedie de Clermont Ferrand

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Entretien avec Christian Rizzo - La Comedie de Clermont Ferrand
Entretien avec Christian Rizzo
Moments-clés dʼun parcours hors norme
Avoir accompagné quelquʼun à une audition, avoir été pris à sa place et à cause de
cette chose là, avoir rencontré Mathilde Monnier et commencé la danse de façon
complètement hasardeuse ; ma première pièce qui arrive directement au théâtre de
la ville à Paris ; quasi toutes les rencontres avec les chorégraphes avec qui jʼai
travaillé ; la rencontre de Kerem et Julie ; dʼavoir vu certains spectacles comme
Sankai Juku en 88, And the mine figure de William Forsythe au théâtre du Chatelet,
Tadeusz Kantor ; avoir assisté au concert de My Bloody Valentine dans les années
80 et être retourné à New-York pour les voir vingt-cinq ans après avec exactement le
même set ; une soirée de poésie avec Patty Smith où on est cent à la fondation
Cartier ; un concert de Prince où on est quatre-vingt à Nice, à lʼépoque où il fait
Under the cherry moon quʼil vient tourner là-bas ; ma première soirée au Palace à
Paris ; ma première mise en scène dʼopéra au Capitol à Toulouse ; avoir dansé
sachant que ma grand-mère est dans la salle, pour une fois, avant de mourir ; les
influences de rencontres amoureuses ; des paysages comme la baie de somme, la
baie dʼAlong, traverser le cantal en voiture ; la lecture dʼHenri James, Marguerite
Duras ; la première fois où quelquʼun a posé une main sur mon corps, où jʼai compris
quʼil y avait quelque chose à voir avec la sexualité et dʼun coup, la compréhension de
son corps qui change totalement. Ce sont toutes ces choses qui font quʼà un moment
donné, on se met au travail et quʼon les reconvoque, finalement. Pour moi, la
question de la carrière ne se passe pas à côté de la vie. Elle est totalement incluse
dedans. Je nʼai pas de séparation entre mon travail dʼartiste et ma tentative dʼêtre un
être humain.
Le désir comme impulsion
Je pense que comme je ne suis pas du tout un chorégraphe conceptuel, cʼest-à-dire
que je ne pose pas des idées avant le travail, je me pose plus la question du désir.
Du passage du désir dʼécriture à la nécessité dʼécriture. Je commence par poser des
choses, des espaces, etc. – étonnamment, il y a peu ou pas dʼimages, en tout cas au
départ –, en me disant : « Tiens, jʼai envie dʼécouter ça », « Tiens, jʼai envie dʼappeler
untel » et puis on sʼy met. Jʼessaie dʼénoncer le travail qui se fait au moment où il se
fait et surtout pas dʼêtre dans un principe de dire : « Jʼai posé quelque chose et
maintenant le travail va être de donner une forme à cette idée. » Jʼessaie plutôt de
travailler dʼabord sur quel désir me pousse au travail et de chercher après à
comprendre quelle idée est contenue dans cette forme. Pour moi, faire un projet,
cʼest toujours mʼoffrir un laboratoire réflexif qui passe par la forme. On sent que lʼon
est quand même guidé par quelque chose : il y a un titre, des bouts de choses qui
flottent mais jamais une tentative de dire quelque chose. Je crois beaucoup à
lʼapparition de ce qui doit être adressé.
Le paradoxe et autres éléments essentiels
Jʼarrive toujours au plateau avec des projets différents donc des problématiques
différentes, des systèmes dʼécritures différents et je dirais, des visions de prétextes
différentes. Les projets ne commencent jamais de la même chose, du même endroit
et jʼarrive avec des choses qui, des fois, ne sont pas coordonnées du tout. Voire
même volontairement paradoxales parce que cʼest ce qui mʼintéresse dans la
question de lʼécriture : plutôt que dʼaller chercher tout ce qui irait dans le même sens,
poser des choses qui sont paradoxales et voir comment elles peuvent cohabiter. Une
écriture doit avoir lieu pour que tout tienne ensemble. Cʼest presque comme une
équation mathématique à résoudre : on a un problème parce que lʼon a deux choses
paradoxales incluses dans le même problème et il faut trouver une équation pour
quʼelles aient chacune leur place dans la rencontre. Je mʼaperçois très souvent que
quand je commence une pièce, il y a toujours quelque chose + un paradoxe. Cʼest
lʼécart entre une chose et une autre nʼayant rien à faire là qui devient finalement mon
espace dʼobservation et du coup, mon espace dʼécriture. Chez moi il y a aussi des
fantômes, toujours. Toujours une place qui nʼest pas occupée, une béance volontaire
qui est laissée. Toujours un espace qui nʼest volontairement pas pris, une chose qui
nʼest volontairement pas dite. Quelque chose qui est très lié pour moi à lʼinvisible. Il y
a souvent quelque chose de lʼordre du rituel, quand même. Et quelque chose qui a à
voir avec la contemplation. Avec la gravité, aussi. Mais au sens propre du terme :
cʼest-à-dire comment le sol est un combat quotidien puisque le danseur ne volera
pas, jamais. Contrairement au rêve de la danseuse classique. Chez moi, cʼest
vraiment la question du comment on est constamment rattrapé par la chute. Je
pense quʼil y a la question de la chute, aussi. De lʼabandon à un moment donné, du
contrôle et de lʼabandon. Et encore plus maintenant sur la question du contrôle et
quand lʼabandon arrive, en fait.
Une composition immédiate et en conditions
Depuis deux trois ans, je commence tout de suite à écrire, à poser des règles
dʼécriture. Au maximum – quand je peux -, tout de suite dans la lumière, tout de suite
dans la scénographie. Parce quʼun acte fait ici ou dans la scénographie nʼa pas du
tout la même portée. Ce qui mʼintéresse, cʼest de voir comment il peut apparaître
dans les conditions où il sera rejoué. On avance dans des situations de lumières,
dans des situations spatiales et jʼobserve comment les espaces entre les choses qui
sont posées sont modulés. Je dirais que cʼest à partir de là que je commence à
écrire. Comment compresse-t-on un espace entre un corps et un espace, entre un
corps et un objet, entre deux corps, entre plusieurs ? Jʼobserve toujours la forme qui
est produite par la contre-forme, dans lʼespace. Du coup, je suis toujours dans cette
chose là qui est une espèce de manipulation ou construction sculpturale de lʼespace
entre les choses. Et cʼest ça qui est bougé, cʼest pour ça quʼil a du mouvement, que
les gens traversent. Je suis obligé dʼécrire tout de suite parce que je me fiche un peu
des matériaux en tant que tels. Je prends souvent lʼexemple de quelquʼun comme
Marguerite Duras : elle nʼa pas inventé un seul mot, elle a inventé une écriture. Cʼestà-dire une composition, une rythmique. Je mʼintéresse à comment on écrit les
mouvements, tout de suite. Pour faire ça, on compose une musicalité visuelle. Il y a
des temps, des retenues, des respirations, des suspensions, des accélérations et en
fait, on construit des courbes à la fois dynamiques et spatiales. A un moment donné,
– après, cʼest très subjectif, un peu comme la cuisine – on y va, on observe. Dʼun
coup, on goûte et là on dit : « Stop, pas plus : là, cʼest bon. » Et on répète, on prend
la gomme et on enlève. Mais très vite, jʼai une structure formelle qui est là et je dis :
« Maintenant on sʼarrête, cʼest ça la pièce. » Alors on creuse là-dedans.
Le spectateur, cet inconnu
Je crois que je suis le premier spectateur de ce que jʼai envie de montrer et que ce
que jʼai envie de rendre, cʼest toujours le moment que moi je rencontre pendant les
répétitions, en train dʼobserver la chose en train de se donner. Jʼessaie de mettre en
place des moyens pour espérer arriver à rendre ce que jʼai reçu et donc gardé. Très
souvent, cʼest plutôt là quʼintervient lʼécriture. Il faut ajouter ou enlever des choses
pour changer lʼadresse puisquʼelle va aller vers un anonyme, quelquʼun que je ne
connais pas et que je ne cible surtout pas. Je pense que lʼon écrit toujours à un
inconnu, pas pour quelquʼun. Et cet inconnu, cʼest le public qui est une multitude
dʼinconnus. On ne sait pas, de fait, où ça se logera et cʼest ce que je trouve
absolument fantastique. Cʼest presque écrire des lettres à des adresses improbables.
Réapprendre à regarder
Je pense quʼil nʼy a pas de forme accessible ou pas accessible. Je suis arrivé à la
danse très tard. Je venais du rock, des arts-plastiques, jʼai commencé à danser
jʼavais vingt-six ans, je venais dʼun milieu ce quʼil y a de plus middle-class. Pourquoi
moi, je réagis ? Cʼest bien sûr aux artistes mais aussi à tout le discours qui peut être
fait sur lʼart de dire que lʼon a tout intérêt à développer une capacité à regarder. Je
trouve que si on regarde, des choses arrivent. Où est-ce que lʼon en est, aujourdʼhui,
face à une espèce de surcharge de choses ? On passe des heures sur internet – ça
mʼarrive comme tout le monde – à chercher « rien » à sʼen faire vibrer lʼœil. Si on
prend cinq minutes, que lʼon sʼassoit dehors, que lʼon se tait et que lʼon regarde
vraiment ce quʼil se passe, la vie nʼest pas élitiste. On voit des choses assez cinglées
que je nʼarrive pas à comprendre, mais elles sont là. On peut voir sur des plateaux
des choses quʼon considérerait comme élitistes quand au quotidien, on en croise qui
sont dʼune étrangeté…
Triptyque pour double histoire
Là, je suis en train de faire une nouvelle pièce, donc Ad Noctum, et je suis encore
étonné de me dire : « Mais en fait, jʼai toujours rien compris, quoi ». Cʼest absolument
fantastique, rien nʼest donné une bonne fois pour toutes donc ça veut dire que le
champ est encore un champ dʼexpériences. Cʼest, je pense, ce quʼest lʼart : des
artistes qui font des expériences pour que des publics fassent des expériences. Jʼai
en ce moment un questionnement sur le fait que lʼon soit fait dʼune double histoire.
Une que jʼappelle de « pratique anonyme » et une autre, une « pratique dʼauteur ». Il
y a eu Dʼaprès une histoire vraie, sur les danses folkloriques. Il y a maintenant Ad
Noctum, sur les danses de couples. Et il y aura Le syndrome Ian, sur un moment
précis du clubbing en 1979 au regard de lʼhistoire dʼauteur que je porte. Pas de moi
en tant quʼauteur mais en tant que je suis fait dʼautres auteurs. Fabriqué par une
double histoire, je nʼexclue ni lʼune ni lʼautre et je vois comment elles cohabitent dans
lʼavancée de mon processus dʼécriture. Si on décontextualise les pratiques dites
populaires ou anonymes de danse, même si elles ont des noms – le tango, le pasodoble, la valse…-, si on gomme tout ce qui est autour, il reste un motif de quelque
chose. Et ce motif-là mʼintéresse parce que cʼest une vraie structure pour repenser
mes systèmes dʼécriture de danse. Je pense que jʼai intégré une histoire de danses
dʼauteurs mais aussi ces motifs-là. Ils se superposent et donnent des axes de travail.
Ce qui mʼintéresse également, cʼest de partir par le milieu et de voir comment une
seule chose est toujours traversée par un passé et un avenir. Ce qui est toujours le
cas dʼun mouvement car il naît de quelque chose mais se projette toujours dans un
temps qui est autre.
Images numériques et abstraction
Les images numériques me renvoient à un imaginaire abstrait. Cʼest-à-dire que ça
décolle de lʼimage qui reproduit quelque chose dʼexistant, ça va chercher finalement
essentiellement dans la technique, dans un espace qui nʼest en fait pas tangible à
part par lui-même. Et puis jʼaime bien le côté graphique, ça mʼoffre des paysages
mentaux, des projections mentales où la question de lʼimage en tant que telle est
évacuée. Cʼest quelque chose qui se construit par lignes, par recouvrements et qui a
beaucoup à voir avec lʼabstraction. Cʼest aussi, à la base, un matériau qui ne
mʼintéressait pas du tout. Mais je crois quʼil y a plein de rencontres que lʼon fait où
quelquʼun arrive à nous convaincre de lʼintérêt dʼespaces qui ne nous intéressait pas
et la rencontre avec Iuan-hau Chiang est de celles-là. La première fois que lʼon a
travaillé ensemble, cʼétait il y a dix ans et je lui disais : « Mais pourquoi tu fais des
images de synthèse ? Franchement, ça nʼa aucun intérêt ». Il mʼa répondu : « Ça
dépend de comment tu lʼenvisages parce que si tu considères le bit informatique
comme de la terre glaise, tu rentres dans un système dʼécriture et un rapport
complètement différent avec cette matière non matérielle ». Et là je me suis dit :
« Viens-là, toi, il faut quʼon discute ». Parce que ça ouvre un espace que je ne
connais pas et que je ne maîtrise pas. On dialogue beaucoup mais cʼest lui qui
produit des images. Moi, je nʼai aucune connaissance pour pouvoir les produire et
puis je nʼai pas du tout envie de de ça en plus. Ce nʼest quand même que du calcul et
de lʼattente. On a fait un film au Japon et on a passé un mois et demi en résidence, à
attendre derrière un ordinateur pour voir les résultats et pouvoir avancer. Comme je
suis quelquʼun de lʼimmédiateté, je nʼai absolument pas la patience de ça.
Une philosophie du starter
Prenons Ad Noctum. Au tout début, je sens que jʼai envie de faire une pièce
nocturne : « Écoutons les nocturnes. Les nocturnes sont de Chopin. Mais il nʼy aura
pas les nocturnes de Chopin. Tout comme il nʼy aura pas de tango même si on
travaille sur le tango. Et demandons à un groupe que jʼaime beaucoup, Cercueil/Puce
Moment, de travailler sur les nocturnes de Chopin en lui demandant de ne surtout
pas les écouter. » Quʼest-ce qui lui reste ? Quʼest-ce que ça veut dire de ne pas
écouter une chose ? Quand on est compositeur et sans les écouter, quʼest-ce que ça
veut dire « nocturnes de Chopin » ? Le groupe sʼest pris au jeu de dire : « Tiens,
écrivons des nocturnes nous-mêmes, en fait ». Pour moi, il y a toujours ces trucs là.
Je pense que les textes qui sont envoyés sont des prétextes de mises en œuvre, des
starters. Je pense quʼil y a toujours ce truc chez moi qui est très fort et qui est le fait
de mettre en place des starters posés comme ça : « tango », « Chopin », « image de
synthèse », rien qui nʼa à voir ensemble. Quʼest-ce quʼil faut mettre en place pour
que ça cohabite ? Un monolithe en suspension avec des danses très posées au sol,
un couple. Encore faire une pièce de couple, quʼest-ce que ça veut dire ? Est-ce que
finalement cʼest un couple, est-ce que cʼen nʼest pas un ? Surtout que cette pièce est
assez spécifique dans son système dʼécriture. Elle est découpée au moins en deux
parties qui sʼobservent et nʼont vraiment rien à voir. Ni dans lʼimage ni dans lʼécriture
ni dans la musique.
Écriture globale, une partition
Il y a ce monolithe en suspension et des corps soumis à la gravité. Mais lʼécriture est
globale. La lumière est très présente, le son est très présent. Il sʼagit dʼune
composition frictionnelle qui sʼobserve. Ce nʼest pas une chose qui dialogue avec
une autre. Je crois quʼil y a plutôt des systèmes de relais qui sʼobservent, qui
avancent ensemble, qui avancent à contre-courant. Par exemple, il y a des moments
où la danse nʼest pas visible : la lumière éclaire des espaces où les danseurs ne sont
pas. Je pense que dès que lʼon parle dʼobscurité, on parle de fait de quelque chose
qui nʼest pas là. Je ne crois pas aux choses qui existent en tant que telles. Elles
existent toujours au regard dʼautre chose. On aime beaucoup – avec Cathy Olive, qui
fait les lumières de tous les projets et avec qui je suis en dialogue depuis maintenant
dix-sept ans -, la question de ce que la lumière permet de révéler et ce quʼelle permet
de cacher. Ce qui nous intéresse le plus, cʼest la capacité à avoir une lumière qui a
sa propre autonomie et une vraie dramaturgie. Cʼest-à-dire une vraie écriture, quʼelle
ne soit pas là juste pour voir ou ne pas voir. Je conçois toujours une pièce comme
une pièce musicale pour orchestre. Ce qui veut dire quʼil y a des cymbales, des
trompettes, tout ce quʼon veut, et cʼest lʼorganisation de lʼensemble qui, à un moment
donné, permet une écoute x. Je pense que la question de la lumière, du son,
éventuellement des objets, des corps, contribue à écrire un ensemble, une partition.
« I.C.I », le projet du CCN
Si je devais synthétiser, le projet cʼest dʼêtre une maison qui accueille des dialogues
entre artistes et publics. On a la chance dʼêtre un lieu de création. Ce qui veut dire
que lʼon produit des savoirs tout neufs, on en collecte des existants et quʼen même
temps que lʼon produit ces savoirs ou quʼon les collecte, on les met en partage. A
partir de là découlent tous les moments où des processus, des pratiques, des
ressources, des résultats contiennent en eux une adresse à lʼautre. Avec la volonté,
comme cʼest un centre, de le décentrer. De commencer à essayer de voir où est-ce
que ça peut aller et comment, une fois ramené ici, quelque chose qui a été déplacé a
pris une autre configuration et du coup, ramène cet ailleurs. Cʼest aussi pour ça que
jʼai appelé « I.C.I » le projet du CCN. Cʼest lʼenvie également quʼil y ait des capacités
pour le public à rencontrer plein dʼétapes de ce quʼest une pratique artistique. Cʼestà-dire dʼêtre inclus dans un processus jusquʼà regarder une chose terminée mais
aussi de partager les questionnements sur ce que sont les pratiques en invitant des
gens de conférence, en espérant assez vite pouvoir montrer des images, des
installations dʼartistes ; de ré-ouvrir EXERCE sur lʼextérieur avec des cours pour la
communauté de la danse ici ; dʼinventer des projets de transmission impossible avec
des amateurs. Jʼai envie que ce soit un archipel dʼexpériences dans le sens où
même si les choses paraissent très singulières, elles sont quand même rattachées à
un territoire commun qui sʼappelle « ici ». Il nʼest volontairement pas nommé, son
nom cʼest parce que lʼon y est. Il sʼagit de fabriquer un territoire par sa présence.
Le CCN, un laboratoire en partage
Je pense que cʼest également la fonction quʼont ces lieux là que dʼêtre aussi des
mini-ruches : dʼinventer, de rater. En plus, comme on nʼest pas un lieu de diffusion,
on peut faire des gestes dont la portée sʼarrête là, faire des expériences.
Ce nʼest pas juste venir être spectateur de quelque chose mais plutôt rentrer dans un
parcours. Idem pour les artistes. Quand ils viennent ici, ils peuvent montrer un
spectacle existant mais également inventer ce qui sʼappelle les « par-ici » : des
adresses un peu incongrues au public, des choses qui ne sont pas destinées à
tourner mais presque faites juste pour ici. Ils vont aussi enseigner dans le Master. Et
il y a un projet qui sʼappelle « le club de danse » : huit fois par an, une prise en
charge tout public de deux heures par un artiste. Arrive ce qui arrive. Ce sont des
lieux où des communautés différentes, avec des publics différents, des artistes
différents, peuvent dialoguer. Dans le choix des artistes que lʼon a fait pour « parici », il y a quand même quelque chose de lʼordre du fantastique, du rituel. Je sens
quʼil a quelque chose comme ça qui nʼest volontairement pas nommé et qui réunit
tous les artistes qui font ces expériences là avec le public. Par exemple, Vincent
Dupont, qui va être artiste associé pendant deux ans, est toujours en train de décaler
les images quʼil produit avec le son, il y a des systèmes comme ça de décalages, de
déplacements. Je pense que lʼon est vraiment un lieu pour ça. Tout comme la
formation est un lieu expérimental. En tout cas je le tiens comme tel. On lʼinvente, on
invente les adresses, on fait des tentatives.
La formation E.X.E.R.C.E
Cʼest un groupe de dix dont neuf nationalités. Ce qui est déjà une expérience
absolument dingue parce quʼil y a dix histoires, neuf géographies, des parcours
totalement différents, qui vont à la fois traverser un enseignement commun et
travailler sur leurs recherches personnelles dans une forme de tutorat et
dʼaccompagnement. On passe ensemble un pacte, celui dʼêtre autant ressources
pour les étudiants quʼils le sont pour nous. On invente avec eux cette formation parce
que même si lʼon a posé un cadre de projet, ce cadre est malléable, repositionnable,
déplaçable. On est là aussi pour suivre des recherches personnelles qui émergent,
vont émerger ou ont peut-être déjà émergé. On accompagne cet état de recherche.
On parle beaucoup sur cette formation non pas tant de la recherche que de lʼétat de
recherche. Cʼest ce qui nous intéresse le plus. Ca veut dire quoi, se mettre en état de
recherche ? Sachant quʼil y a la question dʼune écriture-plateau, dʼune écritureécriture, on essaie dʼêtre le plus open possible sur les systèmes dʼécriture. On tente
de déterminer ce que serait un « artiste-étudiant-chercheur ». On a gardé ce truc à
rallonge parce que lʼon nʼa pas envie dʼinventer un mot. Je trouve que déjà, ça pose
une chose complexe à mettre en place qui nʼest pas cadrée, puisque tous les artistes
qui sont là sont des gens qui ont déjà eu des expériences professionnelles et
décident dʼen sortir pour venir mener une recherche pendant deux ans. Ce qui veut
dire que cʼest un vrai choix que de sortir du parcours professionnel pour sʼoffrir une
chance de requestionner cette chose là. Comment un artiste peut-il se considérer
aussi comme un chercheur ? Nous, on leur dit : « Vous nʼêtes pas des artistes en
résidence parce que vous recevez un enseignement, quʼil y a des règles. Mais en
même temps, vous êtes là pour faire une recherche personnelle quʼon essaie
dʼaccompagner avec mobilité et sur place. » Et puis ce Master ne sʼinscrit pas
seulement là mais aussi dans tout lʼenvironnement qui renseigne la formation, les
recherches personnelles et inversement. Jʼaime bien lʼidée dʼacadémie. Tout le CCN
est une académie expérimentale. Et un caravansérail puisquʼon est également là
pour se croiser et partager.
Publié par blogvignette
Propos recueillis par Jennifer Ratet
09 Décembre 2015

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