Discours de la FIACAT aux Nations Unies

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Discours de la FIACAT aux Nations Unies
26 juin 2003 : Journée internationale de soutien aux victimes de la torture
Palais Wilson, Genève
Intervention de Patrick Byrne, président de la FIACAT
en présence de M. Bertrand Ramcharan, Haut Commissaire adjoint pour les droits de
l'homme, de M. Theo van Boven, Rapporteur spécial sur la torture, et de M. Ivan Tosevski,
Président du Fonds volontaire pour les victimes de la torture
Mesdames et Messieurs,
Je suis heureux de vous adresser quelques mots au nom de la Fédération internationale de
l'ACAT, en solidarité avec les autres membres de la Coalition des ONG internationales contre
la torture. Je vous parle aussi au nom de tout le réseau des ACAT, qui oeuvrent dans une
trentaine de pays, et qui, comme tant d'autres groupes à travers le monde, célèbrent en ce
moment la Journée internationale de soutien aux victimes de la torture. Les associations
membres de notre fédération travaillent en vue de l'abolition de la torture par des actions de
"vigilance" (suivi des conditions de détention et de situations présentant des risques de
mauvais traitement), de dénonciation d'abus, d'information et de sensibilisation des
populations et, dans certains cas, de soins aux survivants de la torture.
Il est bon de souligner que cette Journée internationale est dédiée non pas aux ONG, ni même
aux Nations Unies qui l'ont institutée, mais aux victimes elles-mêmes, à toutes ces personnes
qui souffrent directement, qui ont souffert ou qui sont menacée par ce fléau qu'est la torture.
Et l'exposition que nous inaugurons aujourd'hui nous le rappelle, à travers ces œuvres
réalisées par certains survivants, profondément atteints dans leur dignité.
En pensant à ces personnes, je revois une image, celle d'une rencontre que j'ai faite il y a deux
ans. Cela se passait dans un pays d'Afrique, lors d'une des sessions de formation que notre
association organise régulièrement pour formateurs aux droits de l'homme. Un jour, j'aperçois
à l'entrée du campus où nous nous trouvions la silhouette d'une vieil homme, accompagné
d'un homme plus jeune, son neveu. Ils étaient venus de la campagne, ayant appris qu'une
rencontre internationale se tenait en ville sur le thème de la torture. Et ils voulaient partager
avec nous un drame qu'ils venaient de vivre. Quelques jours auparavant, le fils de ce vieil
homme avait été arrêté dans un bar, maltraité, puis abattu par des gendarmes. Son cousin, le
jeune homme qui était devant nous, avait ensuite été torturé par ces mêmes gendarmes, et il
nous montrait les plaies encore ouvertes laissées par les barres de fer qu'on avait enfoncées
dans ses bras et ses jambes. Et le vieux père accablé nous posait une question déchirante : "Je
sais que mon fils et mon neveu n'étaient pas des anges. Mais, enfin, qu'on les maltraite de
cette manière, qu'on les torture et qu'on abatte mon fils, ce n'est pas normal, n'est-ce pas ?"
Non, ce n'était évidemment pas normal. Et nous avons passé du temps à le lui confirmer et à
insister que ce genre d'agissement est absolument interdit.
Cette scène douloureuse, qui me hante depuis je l'ai vécue, est symbolique des souffrances de
tant de survivants de la brutalité, que nous évoquons en cette Journée internationale. Quelle
image la communauté internationale renvoie-t-elle d'elle-même à ce vieil homme, et à tous
ceux qui connaissent des expériences semblables, lorsqu'elle se met à hésiter au sujet de
l'interdiction absolue de la torture, comme elle le fait ces derniers temps ? Ce genre de
traitement serait-il acceptable dans certaines conditions et pas dans d'autres ?
Quel message voulons nous adresser aujourd'hui à toutes ces personnes qui souffrent d'avoir
été écrasées physiquement et psychiquement ? Je propose que ce soit un message de clarté et
de fermeté au sujet de la pratique de la torture, un message de solidarité, un message d'espoir.
Un message clair et ferme : Il nous faut dire et redire que la torture est interdite en toutes
circonstances. La remise en cause de cette interdiction – pour des raisons sécuritaires, antiterroristes ou autres – représente une nouvelle menace, une nouvelle atteinte à la dignité des
personnes confrontées au risque de la torture. Voilà pourquoi cette Journée internationale est
tellement importante : il nous faut sans cesse redire que rien ne peut justifier de telles
violations du droit le plus fondamental de chaque être humain.
Un message de solidarité : Il nous faut, par tous les moyens, chercher à rompre le silence et
l'anonymat qui caractérise la condition du torturé. Et tous sont appelés à participer à cette
démarche : c'est là une des devises de notre mouvement. Tous ont un rôle à jouer : ce n'est pas
simplement une affaire de juristes ou de spécialistes. Notre solidarité peut s'exprimer par des
moyens différents, y compris par des témoignages artistiques tels que les œuvres qui nous
entourent aujourd'hui et qui nous parlent, de manière impressionnante, de la souffrance
profonde des torturés. Il nous faut, par solidarité, ensemble exiger que les gouvernements
mettent leurs actions en cohérence avec leurs paroles.
Un message d'espoir ! L'éradication de la torture est, certes, difficile et lente, mais n'oublions
pas qu'elle est possible. Il ne s'agit pas d'une montagne insurmontable, d'une lutte dans
laquelle nous aurions toujours des années de retard sur la dure réalité. Non, il nous faut
célébrer chaque victoire dans cette voie. Nous avons même la possibilité aujourd'hui
d'anticiper l'acte tortionnaire, de contribuer à une réelle prévention. C'est cela que permettra le
Protocole facultatif à la Convention contre la torture, dont nous célébrons l'adoption cette
année ! C'est une bonne nouvelle pour les militants qui luttent sur le terrain, souvent dans des
conditions difficiles et dangereuses, et qui se sentiront ainsi appuyés dans leur travail de
vigilance. C'est une bonne nouvelle aussi et avant tout, pour les détenus qui connaissent le
risque de la torture. Grâce à cet instrument, des lieux fermés, isolés, s'ouvriront aux regards
du monde extérieur. Grâce à cet instrument, d'autres voix s'élèveront pour parler de ces lieux
trop souvent caractérisés par le silence et l'anonymat.