les myotoxicites medicamenteuses
Transcription
les myotoxicites medicamenteuses
LES MYOTOXICITES MEDICAMENTEUSES Sylvie Besch Il n’est pas de médicaments qui ne présentent des risques d’effets secondaires. Tel est l’enseignement que nous renvoient en permanence les centres de pharmacovigilance, chargés, entre autre, de colliger toutes les données concernant les effets inattendus des thérapeutiques prescrites. Les myotoxicités en sont une des expressions parmi tant d’autres. Pourquoi s’y attarder ? Les troubles musculaires étant un motif fréquent de consultation en médecine générale, médecine du sport et rhumatologie, il convient de savoir reconnaître l’origine iatrogène probable de certains symptômes afin d’éviter les errances diagnostiques et prendre rapidement les mesures thérapeutiques qui s’imposent. Quels sont les médicaments les plus souvent impliqués ? Certaines familles thérapeutiques, par la fréquence de survenue des incidents, se sont révélées plus à risques pour le muscle : - Hypolipémiants, quelle que soit leur nature - Corticoïdes, sous forme injectable ou per os - Certains traitements rhumatologiques, notamment la D Pénicillamine - Antirétroviraux - Antimitotiques - Antidépresseurs - Neuroleptiques - Anesthésiants - Antibiotiques : sulfamides, cyclines, aminosides, antifongiques - Antipaludéens - Laxatifs, diurétiques - Opioïdes - Antihistaminiques - Théophylline - Antithyroïdiens - Anti-acides - Vaccin hépatite B Cette liste est en soi déjà conséquente mais elle est loin d’être exhaustive car il existe pour chaque médicament des effets pouvant varier d’un patient à l’autre ce qui, de principe, rend tout médicament potentiellement responsable. L’origine médicamenteuse d’un symptôme sera donc suspectée sur un faisceau d’arguments : - Chronologiques : date d’apparition des troubles allégués en fonction de l’introduction du médicament et/ou de son changement de posologie ; - Sémiologiques : absence d’autres causes pathologiques pouvant expliquer le tableau clinique ; - Bibliographiques : références aux effets secondaires déjà constatés. Quelle est la nature des lésions ? Toutes n’ont pas été identifiées car seules les formes les plus graves ont justifié une biopsie permettant un diagnostic histologique. Ainsi, on a pu mettre en évidence des lésions de type myopathie nécrosante, polymyosite, rhabdomyolyse, myopathie mitochondriale, myofasciite à macrophages, myopathie inflammatoire. Certains déséquilibres ioniques ont également été incriminés dans la genèse des symptômes: hypophosphorémie provoquée par des anti-acides contenant de l’hydroxyde d’aluminium, hypokaliémie secondaire à la prise de diurétiques ou d’anti-diarrhéiques. Quelles sont les principales manifestations cliniques ? Elles sont variées : - Myopathies douloureuses : .Myalgies : parfois diffuses, parfois localisées à la racine des membres .Myalgies + faiblesse musculaire - Neuromyopathies indolores . Faiblesse musculaire isolée . Faiblesse musculaire avec déficit fonctionnel associé . Dystonie - Hyperpyréxie maligne - Syndrome de loges Particularités selon les classes médicamenteuses Les effets musculaires particulièrement étudiés : de certains médicaments ont été - Hypolipémiants et effets musculaires Parmi les manifestations cliniques musculaires provoquées par cette classe médicamenteuse, les myalgies sont les plus fréquentes : 13% rapportées avec les fibrates, 2 à 7% avec les statines. Quelques cas de rhabdomyolyses ont été répertoriés, principalement avec la cérivastatine (Stator), d’où son retrait du marché en 2001. Il a été clairement démontré que les associations de thérapeutiques hypolipémiantes augmentent le risque de développer des effets secondaires musculaires. Concernant la rhabdomyolyse, des travaux ont évalué le risque à 1/1672 en cas d’association versus 1/22727 s’il s’agit d’une monothérapie. Des facteurs favorisant les complications musculaires ont été identifiés : - Pour les fibrates : hypothyroïdie, insuffisance rénale, hypoalbuminémie, posologie élevée ; 2 - Pour les statines : dosage élevé, association médicamenteuse inhibant le métabolisme hépatique des statines (cyclosporine, érythromycine), certaines infections virales. Les signes cliniques se manifestent le plus souvent dès les premiers jours qui suivent l’introduction du médicament mais ce n’est pas une règle absolue et l’on peut voir apparaître des symptômes musculaires en cours de traitement. L’augmentation des CPK n’a pas forcément une expression clinique : elle peut se voir de manière isolée. De plus, son interprétation prête encore à confusion : 2 études anglo-saxonnes de cohortes (soit 300 000 personnes) ont montré des taux fluctuants pendant le traitement sans corrélation directe avec la clinique. - Corticoïdes et effets musculaires Les produits fluorés : bétaméthasone (Betnesol, Célestène), dexaméthasone (Décadron, Dectancyl), triamcinolone (Kenacort) sont les principaux incriminés. Les complications musculaires liées à la prednisone (Cortancyl) sont beaucoup plus rares. Le tableau clinique typique est le suivant : faiblesse et atrophie musculaire proximale (prédominant sur les quadriceps), symétrique, sans douleur ni déficit neurologique associés. Il se développe en quelques semaines à quelques mois et régresse au changement de traitement. Des formes ont été décrites après administration d’une dose élevée ou lors du sevrage d’une corticothérapie prolongée. L’administration per os semble être la seule capable d’induire ces symptômes, aucune publication n’ayant rapporté de complications similaires avec la forme locale. - D Pénicillamine (Trolovol) et effets musculaires D’après différentes études, 1% des patients sous D Pénicillamine (Trolovol) auraient des manifestations en rapport avec une polymyosite : dysphagie, faiblesse musculaire des ceintures. Elles pourraient survenir dans un délai variable de quelques jours à quelques années. Un terrain génétique a pu être identifié : HLA B18, B35, DR4. La guérison s’obtient avec l’arrêt du traitement. Des manifestations de type myasthénique ont également été rapportées : ptosis, diplopie, occlusion palpébrale inefficace, difficultés ventilatoires au décours d’une anesthésie. - Antipaludéens et effets musculaires Déficit musculaire et amyotrophie ont été décrits avec la Chloroquine (Nivaquine), le plus souvent après un traitement prolongé de plusieurs années mais parfois apparaissant au bout de quelques mois. 3 - Autres médicaments . Interférons, ß bloquants, morphiniques, antibiotiques (cyclines, aminosides…), neuroleptiques, antidépresseurs (Laroxyl, Tofranil, Téralithe), benzodiazépines, halopéridol (Haldol) peuvent également donner des syndromes myasthéniques. . Opioïdes, salicylés, théophylline à forte dose, intoxication par psychotropes ou anti-histaminiques (Nautamine), abus de laxatifs ou de diurétiques ou d’amphotéricine B (Fungizone) (déplétion potassique), injection intramusculaire d’ anesthésiques locaux, d’AINS, de ß Lactamines, de diazépam (Valium) peuvent provoquer des nécroses musculaires. Quelle conduite à tenir en pratique ? - A visée diagnostique La liste des médicaments incriminés dans le risque de troubles musculaires est importante et ne saurait être restrictive compte-tenu de la variabilité de la sensibilité individuelle. L’origine iatrogène d’un symptôme doit donc être systématiquement évoquée chez un patient sous traitement. Comme le souligne si justement Cardon : « L’art de recueillir l’histoire de la maladie et d’examiner correctement le patient demeure le principe fondamental. » car c’est à partir de cette étape que seront échafaudées les hypothèses diagnostiques (Tableaux 1 et 2) déclenchant la prescription éventuelle d’examens complémentaires. Tableau 1 : Causes diverses d’algies diffuses d’après Cardon Rev Rhum 2003 ; 70 : 288-291 Pathologies articulaires inflammatoires : rhumatisme inflammatoire débutant Maladie systémique : lupus érythémateux disséminé, syndrome de Sjögren, pseudo-polyarthrite rhizomélique Fibromyalgie, syndrome de fatigue chronique Syndrome infectieux et post-infectieux : borréliose, toxoplasmose, toxocarose… Endocrinopathie : dysthyroïdie, hyperparathyroïdie, diabète, hypo ou hypercorticisme Causes osseuses : ostéomalacie, myélome, métastases osseuses Causes métaboliques : déficit en fer, potassium, magnésium, vit D… Causes neurologiques : sclérose en plaques, Parkinson, maladie de Charcot, myasthénie Dépression ou pathologie psychiatrique avérée 4 Tableau 2 : maladies musculaires douloureuses d’après Cardon Rev Rhum 2003 ; 70 : 288-291 Myosite : - dermatomyosite et polymyosite - connectivite - sarcoïdose musculaire - myosite virale - myosite à inclusions - myofasciites à macrophages - myopathies nécrosantes paranéoplasiques Atteinte musculaire toxique Myopathie métabolique : - glycogénose - lipidose - chaine respiratoire mitochondriale Dystrophinopathie (hors maladie de Becker et Duchenne) Dysfonctionnement des canaux ioniques Répétons le encore une fois : l’origine médicamenteuse d’un symptôme sera suspectée sur un faisceau d’arguments : chronologiques sémiologiques - bibliographiques - A visée thérapeutique Une fois la iatrogénicité des symptômes admise, il convient en général d’arrêter la prise du médicament responsable ou d’en changer la posologie, si cela est possible, car bien évidemment il faut savoir évaluer les risques encourus par une telle décision (cf antimitotiques…). La résolution des symptômes se fait en général progressivement sans que l’on puisse en déterminer avec précision le délai. Concernant les hypolipémiants, une conduite stéréotypée semble avoir été adoptée par plusieurs auteurs : - Dosage des CPK dés l’apparition de symptômes musculaires. - Pour les fibrates : l’arrêt du traitement est conseillé en cas de : - Douleurs musculaires dés la début du traitement. - Augmentation des Transaminases à plus de 3 fois la normale. - Augmentation des CPK > 5 fois la normale ou augmentation progressive. - Augmentation de la créatinémie. - Persistance des myalgies malgré un taux de CPK normal. - Pour les statines : l’arrêt du traitement est conseillé en cas de : - Augmentation des CPK à plus de 5 fois la normale ; en cas de taux inférieur, évaluation du bénéfice-risque pour le patient. - Myalgie invalidante. 5 Lorsqu’il s’agit de sujets sportifs, des questions se posent : - sur quels critères s’appuyer pour conseiller raisonnablement une reprise sportive : indolence clinique ? Taux de CPK normal ? - la fragilisation musculaire est-elle totalement réversible Ù ces patients font-ils ou non davantage d’accidents musculaires sportifs par la suite ? - Faut-il leur proposer un programme de réadaptation à l’effort avant de reprendre leur activité ? La littérature n’apporte pour l’instant aucune réponse. - A visée préventive Il s’agit avant tout de bon sens : toute prescription doit être pleinement justifiée (tant sur le choix du médicament que sur sa posologie) ; on trouve encore trop d’observations de patients mis sous hypolipémiants en première intention à dose élevée, sans que des mesures diététiques d’accompagnement n’aient été prises. Par ailleurs, il convient de rechercher systématiquement toutes contreindications et de les respecter rigoureusement. Les hypolipémiants étant largement utilisés (environ 3 millions d’utilisateurs /jour en France), les mesures préventives ont davantage été étudiées : - le dosage systématique des CPK n’est pas justifié. En revanche, il convient de le faire sur des terrains à risques : sujet âgé de plus de 70 ans, insuffisance rénale, hypothyroïdie, antécédent personnel ou familial de maladies musculaires, événements musculaires indésirables. Dans ces caslà , le traitement sera débuté seulement si le taux de CPK est inférieur à 5 fois la normale ; - en cas d’association médicamenteuse, vérifier la compatibilité entre les produits. - un dosage systématique des transaminases et des CPK est recommandé 1 mois après le début d’un traitement par fibrates ; ce contrôle est renouvelé tous les 3 mois la première année puis annuellement. - l’association statines-jus de pamplemousse est déconseillée. - devant tout symptôme musculaire, il faudra contrôler les CPK. En ce qui concerne la pratique sportive, rien, au vu des observations rapportées, ne permet de penser qu’elle pourrait favoriser la survenue d’accidents musculaires. Il convient même de l’encourager, notamment chez les patients ayant une dyslipidémie. Conclusion La myotoxicité médicamenteuse intéresse un grand nombre de médicaments et peut revêtir des formes cliniques très variées, parfois très graves. Elle démontre toute la iatrogénicité potentielle que contient un acte de prescription et souligne la prudence et la rigueur qu’il convient d’avoir devant cet acte professionnel dont la routine pourrait faussement rassurer. 6 QUELQUES REFERENCES - Bannwarth B. Myopathies toxiques et médicamenteuses. Rev Rhum 2008;75:160-65 - Soubrier M, Roux C. Les statines en rhumatologie. Rev Rhum 2006; 73:237-47 - Bannwarth B. Pathologie musculaire iatrogène. Rev Rhum 2002;69: 411-6 - Bannwarth B, Coquet M. Atteintes musculaires médicamenteuses. Rev Rhum 1999, 66, sup, 181-85 - Guis S. Bendahan D, Mattei JP. Conduite à tenir devant un patient présentant des douleurs musculaires et/ou une rhabdomyolyse sous hypolipémiants. Rev Rhum 2008;75:133-36 - Cardon T. Diagnostic des algies diffuses. Rev Rhum 2003;70:288-91 7