Espagne que nous avons perdue, ne nous perds

Transcription

Espagne que nous avons perdue, ne nous perds
Enfance Violence Exil
par Catherine MILKOVITCH-RIOUX et Rose DUROUX
CELIS, Université Blaise Pascal de Clermont-Ferrand
Colloque international
ENFANCES EN GUERRE. Témoignages d’enfants
sur la guerre
Université Blaise Pascal – Clermont-Ferrand (CELIS)
Université d’Amiens (CHSSC)
7-8-9 décembre 2011
UNESCO
Programme ANR Enfance Violence Exil
enfance-violence-exil.net
« Espagne que nous avons perdue, ne nous perds pas ».
L´histoire de l´exil écrite par les « niños de Rusia »
VERONICA SIERRA BLAS
Espagne que nous avons perdue, ne nous perds pas ;
Garde-nous en ton front abattu,
Conserve en ton flanc le vide encore chaud
De notre amère absence,
Car un jour nous reviendrons, plus véloces,
Sur le dos solide et puissant
De cette mer, les bras ondoyants
Et les remous de la mer dans la gorgei.
Enfance, guerre et évacuations
C´était l´été 1936. C´était un juillet bleu, teinté d´ors violents. C´était la moisson et les baignades dans la
rivière et le ciel étoilé sur nos têtes. […]. C´était l´été en Castille. Je me souviens qu´il faisait chaud, très
chaud […]. Soudain, un matin la catastrophe éclata. Le monde s´écroula. Autour de nous, tout commença
à s´effondrer et nous, les enfants, nous assistâmes épouvantés à la fin de notre enfanceii.
Les bombes, les sirènes et les courses vers les abris ; l’interdiction de jouer dans la rue sans
autorisation ; les maladies résultat du manque de médicaments et de l’insalubrité ; la faim que
ne parviennent pas à rassasier les aliments obtenus lors des distributions de rationnement ; la
séparation d’avec les êtres chers comme conséquence des évacuations, des incorporations
pour le front, des disparitions inexplicables, des morts… Tout cela a été le quotidien des
enfants espagnols lors de l’été torride de 1936.
Si une chose est évidente après les nombreux travaux effectués sur les enfants durant le conflit
armé espagnol, c’est qu’ils subirent la guerre sous toutes ses formes, comme les adultes. Ils en
furent les victimes directes. Rien qu’en 1937, plus de 36 000 enfants de moins de 14 ans ont
péri, ce qui correspond à 28% des morts cette année-là iii . La majorité de ces décès sont
enregistrés comme conséquence de maladies (surtout de type infectieux) mais aussi des
bombardements. Ces derniers sont le motif de nombreux dessins d’enfants et ils constituent
également l’un des thèmes les plus récurrents de leurs écrits, comme on peut le noter, par
exemple, dans les mémoires de María Álvarez del Vayo, de 10 ans, qui habitait à Prague, où elle
et sa famille s´étaient déplacés en octobre 1936 parce que son père travaillant pour la Légation
espagnole dans la capitale tchèque. Il était interdit à María de lire le courrier et la presse qui
arrivaient quotidiennement chez elle. Un jour, elle ne put réprimer sa curiosité et lut un tract
intitulé « Le crime de Guernica » où était décrit le bombardement de la ville basque.
Je ne voulais pas regarder mais du coin de l'œil j'ai tout vu. Des enfants déchiquetés, les vêtements en
lambeaux, couchés en ligne, les uns à côté des autres, les yeux fermés avec un petit écriteau accroché au cou.
Ces images resteront gravées pour toujours, comme le sera le titre du tract : « Le crime de Guernica ». Au
moment de m'endormir, le secret me submerge. Ces enfants, comme moi : que faisaient-ils étendus sur le sol
avec un écriteau au cou ?
– Ils sont au ciel – m'explique maman sans me gronder.
J'ai cru pendant longtemps que pour aller au paradis les enfants devaient porter un écriteau, afin qu'on les laisse
entrer si on ne connaissait pas leur nomiv.
En plus d´être victimes, les enfants espagnols furent la cible privilégiée de la propagande de
guerre. Les enfants étaient non seulement un moyen pour les deux camps d'obtenir des
soutiens au niveau mondial, mais ils étaient aussi considérés comme les héritiers des principes
idéologiques pour lesquels on luttait sur le champ de bataille. Ils devaient, le moment venu,
reprendre le flambeau laissé par leurs aînés, afin de consolider le triomphe de la République
ou d’obtenir la légitimation de l'Espagne nationale et catholique. Faire participer les enfants
au conflit a ainsi été l’un des objectifs principaux de la propagande républicaine et franquiste.
Les stratégies ont été nombreuses pour parvenir à l'acculturation et à la socialisation de guerre
de l'enfance. Une des plus efficaces fut la représentation des enfants comme victimes de
guerre sur des affiches, des tracts, des timbres et d'autres supports de la propagande. Un autre
moyen utilisé fut la fabrication de jouets guerriers. Ces jouets susciteront le développement de
jeux inspirés par la guerre, de jeux où se reflète à la perfection le processus d’acculturation
guerrière de l´enfance. On peut également citer la diffusion de revues, de contes et de livres
pour enfants remplis de consignes idéologiques, comme nous pouvons le voir dans la
collection de contes publiée par le Ministère de l’Instruction publique entre 1936 et 1937 sous
le titre « Contes pour les enfants antifascistes », qui contenait des messages prosélytiques et
des dessins de combattants signés par l’un des principaux propagandistes républicains, José
Bardasano (ill. 1)v.
Mais c'est surtout la transformation de l'école en une école belligérante qui a été la stratégie la
plus efficacevi. En effet, expliquer et faire comprendre la guerre aux enfants était une des
missions principales des instituteurs, comme le démontrent beaucoup de dessins, de cahiers et
d'exercices scolaires conservés. Par exemple, dans l´école de Hostafranchs, à Lérida,
l’institutrice demande aux enfants de raconter, dans une lettre adressée à la famille qui est loin,
ce qu’ils ont vécu de la guerre.
Hostafranchs, 10 novembre 1936.
Chère sœur,
Je suis désolé à cause de toutes les calamités qui ont eu lieu durant ces quatre mois de guerre. Les
fascistes ont détruit l´Espagne. Je ne sais pas quand finira cette guerre civile qu´ils ont commencée. Ta
famille sait ce qu´est la souffrance. Ton mari est combattant, il est un de nos défenseurs de la République,
notre gouvernement légal. Tu dois avoir de la patience. Je crois que si nous travaillons ensemble sur le
front et aussi à l’arrière, nous pouvons obtenir la victoire et éradiquer le fascisme de notre pays.
Salut et Vive la République !
Ton frère, Josévii.
Une des conséquences les plus importantes de la guerre sur les enfants, outre ce processus de
socialisation guerrière, a sans doute été leur évacuation des zones à risque. Ce phénomène a pris une
dimension particulière durant la Guerre Civile espagnole. En fait, les évacuations des petits
Espagnols – souvent suivies d'exil – constituent l’un des exodes infantiles les plus importants du
XXe siècleviii.
Dès les premiers mois de la guerre, entre septembre et octobre 1936, le gouvernement
républicain organisa plusieurs évacuations d’enfants vers des zones éloignées des fronts,
comme la région de Valence ou la Catalogne. L’objectif étant de les protéger, les nourrir et
d’assurer la continuité de leur scolarisation, que ce soit dans des colonies construites à cet
effet ou dans des maisons d’accueil particulièresix.
Plus tard, à mesure que les troupes franquistes s’emparaient du Nord de l’Espagne, le gouvernement
républicain décida d’envoyer les enfants hors du pays, sous le contrôle permanent de la Délégation
Centrale des Colonies (DCC), organisme dépendant du ministère de l’Instruction publique, créé le
1er mars 1937, et du Conseil National de l’Enfance Évacuée (CNIE), mis en place le 28 août de la
même année. De nombreux pays se proposèrent d’accueillir les enfants espagnols, mais les plus
actifs furent la France, la Belgique, l’Angleterre, la Russie, le Mexique, la Suisse et le Danemarkx.
Les départs et les installations des enfants dans les pays d’accueil étaient toujours précédés
d’importantes campagnes de propagande et de slogans tels que « Aidez les enfants d’Espagne » ou «
Sauvez l’enfance espagnole » qui eurent un très fort retentissement dans le monde entier. Ils créèrent
un consensus émotionnel en faveur de ces évacuations qui devenaient ainsi des preuves évidentes de
l’aide internationale reçue par la République.
Pour Franco, au contraire, ces évacuations organisées par le gouvernement républicain pour sauver
les enfants de ses bombardements et de ses actions offensives étaient une source de grande
inquiétude. En effet, elles donnaient, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays, une image très
négative de son armée. Le « Caudillo » corrigea rapidement cette mauvaise image en mettant en
doute la légitimité et les méthodes du gouvernement républicain, accusant celui-ci d’utiliser non
seulement les départs comme un instrument de propagande mais aussi de réaliser ces évacuations
d’enfants sans le consentement des parents. La représentation graphique ou littéraire d’enfants tristes,
affamés et désemparés transforme l’enfance en victime de la politique républicaine, comme on peut
le voir dans l’extrait de ce tract propagandiste publié après l´évacuation d´une clinique pour enfants
à Górliz (Plentzia) :
L’Espagne rouge et défaite t’a enlevé ton enfant. L’ESPAGNE DE FRANCO TE LE REND. Eux et nous,
avons des desseins bien distincts. Ils détruisent la famille. Nous, nous bâtissons la société sur elle. Cet
émouvant baiser venu du fond de ton cœur que tu déposes sur le front de ton fils est le fruit de l’émotion
chrétienne. Il possède une valeur éternelle que ne peuvent pas comprendre les âmes obscures qui
ordonnèrent ces dramatiques évacuations dictées par Moscouxi.
Mais, une fois achevées les évacuations infantiles massives et après s’être assuré du contrôle
d’une large partie des fronts, Franco change de stratégie. Le rapatriement des enfants devient
son objectif prioritaire. Beaucoup d’enfants évacués à l’étranger rentreront en Espagne par le
biais de la Délégation Extraordinaire du Rapatriement de Mineurs (DERM), dépendant du
ministère des Affaires étrangères, puis, à partir de 1954, par celui du Service Extérieur de la
Phalangexii. Ces rapatriements ne concerneront pas les enfants qui se trouvaient en Russie et
au Mexique. Les gouvernements de ces pays s’opposèrent alors à cette « politique du retour ».
Les « niños de Rusia »
De toutes les expéditions infantiles organisées par le gouvernement républicain durant la
Guerre Civile, celles vers la Russie furent les plus controversées, en raison de la lutte
idéologique acharnée que se livraient le fascisme et le communisme à cette époque non
seulement en Espagne, mais également dans toute l’Europe.
La Russie respecta dans un premier temps le traité de non-intervention. Cependant, la
participation allemande et italienne dans le conflit aux côtés des insurgés fit changer Staline
d’opinion. Les Russes envoyèrent en Espagne des armes, des vivres, des médicaments et du
matériel sanitaire. Ils mirent à la disposition de la République d’importants experts politiques
et militaires. Ils accueillirent également dans leurs écoles des aviateurs républicains, aidèrent
à la création des Brigades Internationales et reçurent plusieurs expéditions d’enfants.
Près de 3.000 enfants, entre 3 et 15 ans, furent évacués en URSS entre le 17 mars 1937 et la
fin du mois d’octobre 1938 ; dates des première et quatrième expéditions officielles
organisées par la Républiquexiii (ill. 2). Les difficultés du voyage, l’accueil chaleureux lors du
débarquement, les attentions reçues pendant les premiers jours du séjour, le processus
d’adaptation à leur nouvelle vie et à leur nouvelle patrie, le quotidien au pays du prolétariat,
tout cela a été consigné dans les quelque deux cents lettres que les enfants enverront à leur
famille et à divers organismes de secours lors des premiers mois en URSS. Ces lettres,
aujourd’hui conservées au Centre Documentaire de la Mémoire Historique de Salamanque,
constituent un véritable trésor documentaire. Elles nous permettent, en effet, de reconstituer
cette évacuation particulière qui, à la différence d’autres restées temporaires, finit par devenir,
contre toute attente, un exil permanent.
Certaines de ces lettres écrites par des enfants peuvent être lues comme des journaux de bord,
car les enfants y racontent tous les détails du voyage, convaincus de vivre une grande
aventure et de jouer un rôle important dans un fait historique sans précédent. Ils racontent, par
exemple, comment s’effectue l’embarquement dans les ports espagnols (Carthagène, Valence,
Bilbao, Barcelone, Gijón), comment se déroulent les adieux, comment ils sont traités à bord,
les repas servis sur le bateau, le peu d’espace disponible, les maladies dont ils souffrent ainsi
que les différentes escales. La lettre que le petit Lucio Rueda écrit à son frère Victoriano,
combattant républicain, offre un excellent exemple :
A présent, je vais te raconter le voyage que nous avons fait. Quand nous sommes partis de Bilbao, et que
nous avons fait nos adieux à maman et à vous tous, nous sommes montés à bord du bateau Habana. Nous
y sommes restés jusqu’au lendemain. À quatre heures du matin, on a levé les amarres et on a commencé à
naviguer. Nous n’avons pas vu la terre pendant une journée entière puis nous sommes arrivés en France.
Avant d’arriver, nous avons aperçu le navire traître Cervera, mais comme nous étions escortés par 5
bateaux français, il a cru que c’étaient des bateaux républicains et il est parti. Nous ne l’avons plus vu.
Ensuite, nous sommes arrivés en France, à Bordeaux. Nous y sommes restés deux jours, toujours à bord
du bateau et le dernier jour, on nous a donné un paquet de bonbons, de biscuits et un petit pain et encore
d’autres choses.
Puis, nous sommes descendus et nous sommes allés à la gare de France. Après, le bateau Sontay est arrivé
et nous avons embarqué de nouveau. Au bout de deux heures, nous avons pris la direction de l’URSS. En
chemin, nous avons vu beaucoup de pays : la Hollande, la Belgique. Un peu plus tard, nous sommes
entrés dans les eaux allemandes qui semblent aussi méchantes qu’eux, car il y a eu de très grosses vagues.
Ensuite, nous avons vu la Suède et encore d’autres nations. Un peu plus tard, nous avons vu de navires de
guerre avec des grues et d’autres choses. Puis un autre bateau identique et après un bateau des garde-côtes
s’est approché et son capitaine est monté à bord et ils nous ont filmés. Ensuite, de loin, nous avons vu une
partie de l’URSS et en chemin beaucoup de bateaux de commerce. En nous rapprochant de l’URSS, nous
avons vu beaucoup de bateaux de guerre russes et 5 sous-marins arrêtés. Un peu plus tard, environ deux
heures, nous sommes arrivés à Leningrad et nous nous sommes arrêtés au portxiv.
L’arrivée en Russie restera inoubliable pour les enfants. Ce fut, sans aucun doute, un des
souvenirs les plus gais de cette période marquée par le déracinement et la séparation. Les
débarquements ont été filmés et photographiés de très nombreuses fois. Ils ont fait la Une de
beaucoup de journaux nationaux et internationaux. Chaque fois qu’une expédition infantile
entrait dans le pays, le peuple russe décorait de fleurs et de guirlandes les ports de Leningrad et
de Yalta ainsi que les différentes gares traversées par les petits évacués. Ces derniers étaient
également accueillis par de la musique et des danses traditionnelles. Comme le décrit le petit
Emiliano Aza dans la lettre à sa famille, les enfants étaient reçus, et je cite ses propres mots, «
comme si nous étions des héros revenant de la guerre et comme si nous avions réalisé des
exploits extraordinaires »xv.
À peine arrivés, les enfants étaient l’objet de nombreux égards et de soins : un bon bain, un
examen médical, de nouveaux vêtements (des uniformes pour tous) et des repas succulents – avec
même du caviar au menu. Avant de découvrir leur nouvelle maison, ils faisaient même un séjour
dans un sanatorium pour se reposer de leur périple. C’est ce que raconte la lettre du petit Marcos
Alcón adressée à ses parents le 24 juin 1937 :
En arrivant à l’infirmerie, nous avons pris une douche et nous avons mangé deux gâteaux de pain avec du
beurre et du fromage, du pain avec de la confiture, un gâteau et du chocolat. On nous a donné des
chaussettes, un pantalon long, un maillot de corps, un caleçon mauve qui ressemble à un pagne, et une
chemise verte identique à celles qui sont jaunes, mais plus légère et avec des manches longues pour être
portée avec une cravatexvi.
Les seize Maisons d’Enfants, que le Narkompros (le Commissaire du peuple pour
l’Enseignement Soviétique) avait créées spécialement dans différentes provinces de la
Fédération Russe et en Ukraine pour les enfants espagnols évacués, ont été de véritables oasis
de bonheur (ill. 3). D’ailleurs, la majorité des enfants qui ont écrit leurs mémoires et leurs
autobiographies consacrent toujours un chapitre à la description des Maisons où ils vécurent,
comme par exemple, Bernardo Clemente del Río, qui habitait à la Maison numéro 7 de
Moscou :
Notre maison d’enfants de Moscou se trouvait à l’angle des rues Bolshaya Piragóvskaya et Alsufelskaya.
C’était un ancien bâtiment restauré et transformé avant notre arrivée […]. Par le passé, ce devait être la
demeure d’un grand de Russie. Au rez-de-chaussée, se trouvaient l’entrée, la penderie pour les manteaux,
les bonnets et les sabots. Il y avait une petite fontaine de marbre avec des poissons de couleurs, le petit
bureau de la comptabilité, trois grands dortoirs pour les garçons, les toilettes, les douches, une pièce
destinée au rangement du linge de maison, des draps et des vêtements, la grande salle du réfectoire et la
cuisine.
On accédait au premier étage par un large escalier de marbre blanc. À cet étage, il y avait le bureau de la
directrice et du zampolit (directeur adjoint chargé de l’éducation politique), deux grands dortoirs pour les
filles et leurs toilettes, une grande salle de conférences avec une scène, un rideau en velours rouge et un
piano à queue. Dans cette salle, nous faisions notre gymnastique du matin, mais aussi des fêtes et des
réunions, etc. À cet étage, il y avait les pièces pour faire les devoirs de l’écolexvii.
Une fois installés dans leur nouveau foyer, les enfants bénéficiaient d’égards particuliers. , Il
régnait dans ces maisons une sorte de « microclimat espagnol ». Sur un total de plus de 1 000
personnes chargées d’encadrer les petits, 111 étaient espagnolesxviii. Les enfants suivaient des
cours d’espagnol ; des manuels scolaires russes furent même traduits en castillan pour eux. Ils
participaient à des groupes de danse, de théâtre, de musique ou de littérature espagnole. Ils
gardèrent également le contact avec de nombreux dirigeants du Parti Communiste qui les
considéraient comme le futur de l’Espagne et qui leur faisaient croire qu’ils étaient destinés à
diriger le pays une fois que tout serait terminé et que la République aurait gagné la guerre. Cet
espoir se manifeste clairement dans les choix des études entreprises après l’école. Dans leur
grande majorité, ils se sont dirigés vers des carrières de pilotes, de marins, de médecins et
d’infirmières.
Les enfants apprirent aussi le russe, non sans quelques difficultés. Ils participèrent à de
nombreuses activités et fêtes avec des enfants soviétiques. Ils firent partie du mouvement des
pionniers, et ainsi profitèrent de multiples excursions à travers tout le territoire qui leur
permirent de mieux connaître et apprécier leur nouvelle patrie et de se familiariser avec les
mœurs du peuple russe (ill. 4). Tout ceci se reflète dans les lettres, qui peuvent être lues comme
une chronique de la vie quotidienne de ces jeunes au cours de leurs premières années en Union
Soviétique, mais aussi dans d’autres documents qui ont été conservés, telles les rédactions
scolaires, comme celle que nous pouvons voir de la petite Amelia de Quirós, écrite à l’École de
Moscou en janvier 1938 :
Je dois raconter ce qui me plaît le plus. Nous vivons actuellement à Moscou. Depuis 5 mois que nous
sommes installés dans la capitale de l’URSS, nous avons vu plein de choses intéressantes, par exemple la
parade du 7 novembre pour le XXe anniversaire de l’URSS. J’ai aussi été très émue de voir le mausolée de
Lénine. Mais ce qui m’a le plus impressionnée de tous les monuments de Moscou, c’est le métro. C’est
une chose que je n’avais jamais vue de toute ma vie, surtout la station [Kievskaya], construite en un an par
les jeunesses communistes. C’est la plus belle. J’ai beaucoup aimé aussi le Kremlin car c’est un
monument très ancien, mais à mon avis c’est le métro qui est le plus extraordinairexix.
Malgré tout, les enfants n’oublièrent jamais que leur pays était alors en guerre et que leurs
parents et leurs proches couraient de grands périls chaque jour. Beaucoup se souviennent
encore de l’angoisse, du désespoir et de la tristesse de ne pas recevoir de nouvelles des leurs.
Des mois entiers pouvaient s’écouler avant que les enfants ne reçoivent des lettres de chez eux.
La censure, la désorganisation du courrier due à la situation de guerre, la perte de missives et
le perpétuel changement d’adresse des proches (certains sur le front, d’autres réfugiés ou
encore emprisonnés, disparus ou morts), tous ces facteurs rendaient difficile le maintien d’une
correspondance suivie.
Le silence de leurs parents les rendait malades, à tel point qu’ils pouvaient écrire des phrases
comme celle de la petite Visitación Urquijo à la fin d’une de ses missives : « maman, écrivez-moi,
parce que si vous ne m’écrivez pas, je crois que vous êtes morts » xx . Les enfants ne
renonçaient pas à joindre leurs êtres chers même lorsque le fil des nouvelles s’était interrompu.
C’est ce que montrent, par exemple, les demandes de recherche adressées à plusieurs
organismes républicains, comme celle du petit Ignacio Ruano, qui écrit au « camarade »
Joaquín Bustos, chargé de la Délégation d’Assistance Sociale d´Euzkadi, dans le but de
localiser ses parents et son frère (ill. 5) :
Cher camarade Joaquín Bustos, je vous écris cette lettre en tant qu’enfant espagnol qui se trouve en Russie à
cause de la guerre en Espagne. Cela fait un an que je suis parti et que je réside en Russie, depuis lors je n’ai
pas pu découvrir l’endroit où sont mes parents et j’espère que vous pourrez m’aider. Ma mère s’appelle
Magdalena Pajares. Mon père Daniel Ruano et j’ai un frère de 16 ans, Alejandro Ruano. Retrouvez le
domicile d’un des trois.
Ici, nous sommes très heureux. Nous avons de tout, on s’occupe de nous très bien. Nous sommes
dispersés dans différentes villes. Moi, j’habite à la ville de [Jarkov]. Grâce à votre aide, beaucoup
d’enfants ont pu retrouver l’adresse de leurs parents. Dans l’attente de vous lire, un élève espagnol qui
n’oublie jamais l’Espagnexxi.
Les parents, ainsi que les autorités républicaines, étaient persuadés que la séparation ne serait
que temporaire. Une fois que les hostilités cesseraient en Espagne, les enfants rentreraient
chez eux. Personne ne pensait évidemment en une possible défaite et encore moins à
l’impossibilité du retour provoqué par l’éclatement de la Seconde Guerre mondiale. Cette
dernière donna l’occasion aux enfants espagnols, devenus alors adolescents, de pouvoir
montrer leur reconnaissance au peuple russe. La Grande Guerre Patriotique marqua la fin de
l’enfance perdue des Enfants de Russie. Ils virent là non seulement un moyen de déclarer leur
amour au pays qui les avait sauvés des bombes, mais aussi l’opportunité de reprendre le
flambeau dans la lutte contre le fascisme.
Quand Hitler envahit l’Union Soviétique le 21 juin 1941, la majorité des enfants espagnols
avaient entre 10 et 15 ans. Toutes les Maisons d’Enfants étaient situées sur l’axe de l’invasion
allemande et durent donc être abandonnées. Les enfants furent évacués, une fois encore, vers
des zones plus sûres xxii . La petite Ariadna Pascual se souvient, dans ses mémoires encore
inédites, de cette nouvelle évacuation et note même l’heure à laquelle elle apprit la nouvelle par
un des instituteurs espagnols de la Maison d’Enfants de Moscou où elle habitait et de laquelle
elle fut évacuée vers Kuibyshev dans la nuit du 15 octobre 1941 :
Le 22 juin 1941 : à 4:00 du matin l’Armée d’Hitler a traversé la frontière. J’avais seulement huit ans, mais
je me souviens parfaitement de ce dimanche-là. Nous étions en train de faire la fête dans la salle de
conférences de la Maison, nous jouions et nous dansions. Comme toutes mes camarades, je portais une
robe bleue et des collants jaunes. Soudain, un de nos professeurs espagnols est brusquement entré dans la
pièce en nous disant que la fête était finie. La guerre avait commencé ; elle nous poursuivait où que nous
allionsxxiii.
La plupart des jeunes espagnols participèrent activement à la Seconde Guerre mondiale :
travaillant dans les usines pour satisfaire les besoins matériels de la guerre, collaborant aux
tâches de l’arrière, participant aux moissons des nombreux kolkhozes disséminés sur tout le
territoire soviétique ou rejoignant l’Armée Rouge comme infirmières ou comme combattants.
C’est le cas du capitaine Francisco Gullón, qui écrit ceci dans son journal :
[Juin, 1942] Gavrilovo, région de Smolensk. Je suis de nouveau sur le front. Je suis ici avec deux
camarades espagnols, Alberca et Uztarro, dans un régiment de soldats rouges [...]. Actuellement je suis
capitaine de l’Armée Rouge. On m’a assuré que l’on me donnera bientôt un bataillon. Il est indispensable
de lutter, de lutter comme jamais. On dit que nous vivons la situation la plus difficile de toute la guerre. Je
tiens à écrire aujourd’hui ce que je pense d’elle afin de lire mes notes à la fin de la guerre [...]. J’ai vingtdeux ans et le plus grand désir de vivre [...]. Je veux encore revoir ma chère ville de Madrid. Je veux
rentrer en Espagnexxiv.
Entre 50 et 65 « enfants de Russie » perdirent la vie sur les champs de bataille. Plus de 500
moururent de froid ou de faim, de manque de médicaments ou lors de bombardementsxxv. Les
survivants durent affronter les difficultés de l’après-guerre. Ce fut un changement brutal avec
leur vie antérieure. Les Maisons d’Enfants avaient disparu et chacun devait prendre sa vie en
main. Le moment était venu de s’intégrer à la société soviétique dans toutes ses dimensions :
académique, professionnelle, politique, économique ou familiale. Les destins furent variés,
mais le désir et l’espoir du retour ne disparurent jamais.
Dès la fin de la Guerre et jusqu’à la mort de Staline en 1953, peu d’enfants purent rentrer en
Espagne. Ce ne fut qu’en 1956-1957 que les autorités russes et espagnoles leur offrirent la
possibilité de rentrer dans leur pays natal. Jusqu’à sept expéditions officielles de retour furent
mises sur pied. La première, composée de 667 « enfants », arriva à bord du Crimea au port de
Valence, le 28 septembre 1956.
Cependant, la moitié d’entre eux retournèrent peu de temps après en Russie en raison de la
difficulté à vivre paisiblement dans l’Espagne franquiste : familles brisées, retrouvailles
frustrées, problèmes pour trouver du travail et pour obtenir l´homologation de leurs diplômes
russes, non reconnaissance de leurs mariages civils, interrogatoires constants de la police,
persécutions, emprisonnements xxvi , etc. L´histoire des retours est, en réalité, une histoire de
silences, de méprises et de promesses flouées.
Aux rapatriements officiels des années 50, succéderont ceux organisées pendant la Guerre Froide.
Le retour continua après le mort de Franco en 1975, mais il faudra attendre les années 90 pour que le
nouveau paysage politique et économique de l’ancienne URSS oblige de nombreux « enfants » à
émigrer de manière forcée et précipitée, non seulement pour fuir une Russie qu’ils ne reconnaissent
plus mais également pour rentrer en Espagne et accomplir un dernier souhait : celui de mourir chez
eux.
Les enfants espagnols évacués vers la Russie en 1937 et 1938 ont partagé durant leur enfance et leur
adolescence beaucoup d´événements qui ont marqué leur vie adulte et ils ont tissé d´importants
réseaux de solidarité et de relations sociales et familiales qui les maintiennent toujours unis. Leur
identité collective a été construite historiquement, au long du temps et contre le temps. Cette
construction a été possible grâce aux lieux de mémoire qu´ils ont créés, aux nombreux actes qu´ils
ont célébrés, aux associations qu´ils ont fondéesxxvii, grâce aussi à la lutte infatigable pour la
reconnaissance publique de leurs droits et pour la préservation de leur histoire.
Nous, nous avons toujours été différents, partout. Pour les Russes, nous étions à vie des Espagnols […],
pour les Espagnols, quand nous y allions, nous étions des Russes […]. Il me semble que la guerre a gâché
toute notre vie. Toute notre vie d’enfants à penser à l´Espagne, à penser que nous étions des Espagnols, à
penser à rentrer en Espagne. De même pour l´adolescence. Plus tard, quand nous nous sommes rendu
compte de cela, nous étions déjà vieux, et nous sommes les enfants de la guerre, et de toutes façons […],
nous sommes toujours en train de penser à faire nos valisesxxviii.
(Article traduit par THOMAS BOSC)
i
Pedro GARFIAS, « Entre España y México. A bordo del Sinaia », Poesías completas, Madrid, Alpuerto, 1996, p.
297.
ii
Josefina RODRÍGUEZ ALDECOA, El semanal, 11 août 1996, s.p.
iii
Tomás VIDAL BENDITO, Joaquín RECAÑO, « Demografía y Guerra Civil », Historia 16, nº 14, 1987, p. 68.
iv
María ÁLVAREZ DEL VAYO, Los últimos días. Recuerdos y reflexiones de una niña del exilio, Madrid,
Fondation Pablo Iglesias, 2003, p. 35.
v
Jaime GARCÍA PADRINO, Libros y literatura para niños en la España contemporánea, Madrid, Fondation
Germán Sánchez Ruipérez, 1992.
vi
Alejandro MAYORDOMO, Juan Manuel FERNÁNDEZ SORIA, Vencer y convencer. Educación y política. España,
1936-1945, Valence, Université de Valence, 1993.
vii
Cahier de roulement de l´école de Hostafranchs (Lérida). Exercice épistolaire de l´écolier José Vila, 10
novembre 1936. Dossier de ‘purge’ de la maîtresse Ramona Albareda Escudé. Archives Générales de
l´Administration (AGA), Alcalá de Henares. Fonds Ministère d´Éducation et Culture (MEC), dossier 235, nº
49.800.
viii
Alicia ALTED, « Las consecuencias de la Guerra Civil española en los niños de la República : de la dispersión
al exilio », Espacio, tiempo y forma. Revista de la Facultad de Geografía e Historia de la UNED, série V, nº 9,
1996, pp. 207-228.
ix
José Ignacio CRUZ, « Colonias escolares y Guerra Civil. Un ejemplo de evacuación infantil », in A pesar de todo
dibujan. La Guerra Civil vista por los niños, Madrid, Bibliothèque National d´Espagne, 2006, pp. 41-52 ; et Cristina
ESCRIVÁ MOSCARDÓ, Rafael MAESTRE MARÍN, De las negras bombas a las doradas naranjas. Colonias escolares,
1936-1939, Valence, l´Eixam Éditions, 2011.
x
Pour une bibliographie plus exhaustive voir Alicia ALTED, Roger GONZÁLEZ, María José MILLÁN (eds.), El
exilio de los niños. Catálogo de la exposición, Madrid, Fondation Pablo Iglesias, Fondation Francisco Largo
Caballero, 2003 ; et Verónica SIERRA BLAS, Palabras huérfanas. Los niños y la Guerra Civil, Madrid, Taurus,
2009.
xi
Un episodio de la guerra española. Evacuación y repatriación del Sanatorio de Górliz, Bilbao, Publications de
la Députation Provinciale de Biscaye, Imprimerie Provinciale de Biscaye, 1937, p. 23.
xii
Alicia ALTED, « Le retour en Espagne des enfants évacués pendant la Guerre Civile espagnole : la Délégation
extraordinaire au rapatriement des mineurs (1938-1954) », in Enfants de la guerre civile espagnole. Vécus et
représentations de la génération née entre 1925 et 1940, Paris, L´Harmattan, Fondation Nationale des Sciences
Politiques, 1999, pp. 47-59.
xiii
Sur les évacuations vers la Russie voir Enrique ZAFRA, Rosalía CREGO, Carmen HEREDIA, Los niños
españoles evacuados a la URSS (1937), Madrid, Éditions de la Torre, 1989 ; Marie Jose DEVILLARD, Álvaro
PAZOS, Susana CASTILLO, Nuria MEDINA, Los niños españoles en la URSS (1937-1997) : narración y memoria,
Barcelone, Ariel, 2001 ; Alicia ALTED, Encarna NICOLÁS, Roger GONZÁLEZ, Los niños de la guerra de España
en la Unión Soviética. De la evacuación al retorno (1937-1999), Madrid, Fondation Francisco Largo Caballero,
1999 ; Susana CASTILLO, Mis años en la escuela soviética. El discurso autobiográfico de los niños españoles en
la URSS, Madrid, Los libros de la Catarata, 2009 ; et Immaculada COLOMINA LIMONERO, Dos patrias, tres mil
destinos : vida y exilio de los niños de la Guerra de España evacuados a la Unión Soviética, Madrid, Cinca
Éditions, Fondation Francisco Largo Caballero, 2010.
xiv
Lettre du Lucio Rueda à son frère Victoriano. Odessa, 12 février 1938. Centre Documentaire de la Mémoire
Historique, Salamanque (CDMH). Fonds Politique et Social (PS) de Santander, série O, boîte nº 51, dossier nº 7,
documents nº 83-89.
xv
Lettre d’Emiliano Aza à ses parents et frères. Odessa, 31 janvier 1938. CDMH, PS Santander, série O, boîte nº
51, dossier nº 7, document nº 6.
xvi
Lettre du Marcos Alcón à ses parents. Leningrad, 24 juin 1937. CDMH, PS Bilbao, boîte nº 5, dossier nº 11,
document nº 6.
xvii
Bernardo Clemente DEL RÍO SALCEDA, 20.000 días en la URSS. Recuerdos, descubrimientos y reflexiones de
un niño de la guerra, Madrid, Fondation Francisco Largo Caballero, Entrelíneas, 2004, pp. 46-47.
xviii
Cf. Susana CASTILLO, Memoria, educación e historia : el caso de los niños españoles evacuados a la Unión
Soviética durante la Guerra Civil española, Madrid, Université Complutense de Madrid, 1999, p. 280.
xix
Rédaction écrite par Amelia B. de Quirós. École de Moscou, 13 janvier 1938. CDMH, PS Barcelone, boîte nº
87, dossier nº 17, document nº 1.
xx
Lettre de Visitación Urquijo à ses parents et à sa sœur. Misjor, 9 septembre 1937. CDMH, PS Santander, série
O, boîte nº 51, dossier nº 7, document nº 124.
xxi
Lettre d’Ignacio Ruano adressée à Joaquín Bustos, chargé de la Délégation d’Assistance Sociale d’Euzkadi.
Jarkov, 5 juillet 1938. CDMH, PS Bilbao, boîte nº 206, dossier nº 8, document nº 19.
xxii
Nosotros lo hemos vivido. Homenaje de los « Niños de la Guerra Española » al Pueblo Ruso, Madrid,
Ministère des Affaires Sociales, Imprimerie Garso ; Clinique Le Retour, 1995, p. 32.
xxiii
Extrait du journal d´Ariadna Pascual, Moscou, 22 juin 1941, cf. Dorothy LEGARRETA, The Guernica Generation.
Basque Refugee Children of the Spanish Civil War, Reno, Université de Nevada, 1984, pp. 266-267.
xxiv
Extrait du journal de Francisco Gullón, juin 1942, cf. Eusebio CIMORRA, Isidro R. MENDIETA, Enrique
ZAFRA, El sol sale de noche. La presencia española en la Gran Guerra Patria del pueblo soviético contra el
nazi-fascismo, Moscou, Progreso, 1970, pp. 66-67.
xxv
Rafael MIRALLES, Españoles en Rusia, Madrid, Éditions et Publications espagnoles (EPESA), 1947, pp. 201-202 ;
et En memoria de los combatientes y niños españoles muertos junto al pueblo ruso con motivo de la Segunda
Guerra Mundial, 1941-1950, Madrid, Fondation Nostalgia, 2000, s.p.
xxvi
Carmen GONZÁLEZ MARTÍNEZ, « El retorno a España de los “Niños de la Guerra Civil” », Anales de Historia
Contemporánea, nº 19, 2003, pp. 75-100.
xxvii
Jesús J. ALONSO CARBALLÉS, « Las organizaciones de memoria de “los niños del exilio” : de la memoria a la
historia », Amnis, nº2, 2011 [http://amnis.revues.org/1501].
xxviii
Macrina García Santana : entrevue réalisée par Roger González Martell, La Havane (Cuba), décembre 1998, cf.
Alicia ALTED, La voz de los vencidos. El exilio republicano de 1939, Madrid, Aguilar, 2005, p. 197.

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