Des homosexuels réagissent aux résultats del`"Enquête presse gay"

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Des homosexuels réagissent aux résultats del`"Enquête presse gay"
Des homosexuels réagissent aux résultats del'"Enquête presse gay"
Revue critique
de l'actualité scientifique internationale
sur le VIH
et les virus des hépatites
n°91 - mars/avril 2001
ENQUETE
Des homosexuels réagissent aux résultats
del'"Enquête presse gay"
Isabelle Célérier
(Pistes)
L'augmentation des prises de risque répétées - voire régulières chez les homosexuels et plus particulièrement en Ile-de-France,
chez les jeunes gays, les multipartenaires et les séropositifs
(déclarée dans l'enquête) correspond-elle à une réalité
perceptible par l'ensemble de la communauté ou se restreint-elle
à une minorité? Sans pour autant prétendre, comme Patrick, que
"le relapse s'est démocratisé" (lire l'aticle "réflexion d'un adepte
des relations non protégées"), la tendance semble apparemment
se confirmer.
"Ces résultats ne m'étonnent pas du tout." Pour Jean-Christophe,
qui vit en couple avec Laurent depuis plusieurs années, les gens
ont, en effet, "moins le sentiment que le sida est mortel. Il est en
quelque sorte "rentré dans les mœurs", on en parle moins, il est
devenu anodin".
Dubitatif quant à la représentativité de l'échantillon ayant
répondu à l'enquête - "il faut déjà lire cette presse et répondre
au questionnaire, ce qui en fait une population non passive
ayant envie de s'exprimer alors que les gens sont de plus en plus
passifs" -, l'informaticien reconnaît cependant que ces résultats
semblent conformes à la réalité : "On fait de moins en moins
gaffe, et c'est plutôt représentatif d'un état d'esprit général."
Un abandon progressif des comportements de prévention
attribué pêle-mêle au désintérêt du public, et en particulier des
médias, à la lassitude vis-à-vis du préservatif, ou encore - et peut
être surtout - à l'arrivée des trithérapies.
"Le sida est moins vendeur, martèle Jean-Paul, la trentaine,
ancien militant d'Act Up. Il y a dix ans, quand quelqu'un
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Des homosexuels réagissent aux résultats del'"Enquête presse gay"
mourait du sida (Rock Hudson, Klaus Nomi, Cyrille Collard...)
les journaux en faisaient leur Une. Maintenant, ça n'intéresse
plus personne. Or les médias ont un effet amplificateur, ils ont
tendance à faire flipper. Et cette moindre médiatisation fait que
les gens se sentent moins concernés."
Autre "accusé" et non des moindres dans cette tendance au
relâchement, les trithérapies. "Avec les nouveaux traitements,
explique Jean-Paul, on meurt beaucoup plus tard et les gros
problèmes sont de plus en plus rares. Un bienfait, certes, mais
qui a aussi un effet pervers: les gens sont rassurés. "
Médecin au centre de dépistage anonyme et gratuit du Figuier
dans le Marais, à Paris, Philippe Dhotte confirme que "cette
enquête met sur le papier ce que l'on entend dire depuis au
moins deux ans par nos consultants". Selon le praticien, il
semble effectivement que, pour ce qui est de la communauté
gay, "on décrit probablement plus souvent maintenant la
répétition de comportements à risque fort, comme les
pénétrations anales non protégées". Compte tenu de la
prévalence importante du VIH dans cette communauté, les
conséquences de ce relâchement pourraient donc se faire sentir
plus rapidement que dans la population générale.
En janvier dernier, le CDAG du Figuier qui, de par sa
localisation géographique, reçoit une importante communauté
homosexuelle et, en moyenne, de 40 à 80 personnes par
après-midi, a ainsi rendu 10 tests positifs contre 3 durant la
même période l'année précédente.
Une hausse importante mais, comme le souligne Philippe
Dhotte, il importe désormais de voir si cette tendance se
confirme. Cependant, "elle est tout de même inquiétante, car ces
cas de séropositivité concernaient principalement des jeunes
contaminés récemment".
"Depuis 2000, poursuit-il, on observe un rajeunissement relatif
d'une partie de la population gay qui prend des risques forts. Et
pour ce qui les concerne, on peut supposer que la lassitude du
préservatif est loin d'en être la seule cause."
Parmi les jeunes consultants âgés de 18 à 30 ans ayant pris des
risques récents, forts et répétés, le praticien distingue deux
catégories :
- Ceux qui connaissent les risques, qui ont, pour la plupart, déjà
subi des tests négatifs, et qui mettent, du même coup, à mal les
objectifs dévolus au counselling entourant la remise du résultat :
une "prévention individuelle qui consiste à amener la personne à
comprendre les causes possibles de ces prises de risque pour
trouver en elle-même les moyens de se remettre dans une
attitude de prévention" ;
- Et ceux qui sous-estiment le niveau de risque, aux "nombreuses
notions inexactes qui dénotent probablement d'une défaillance
d'information". Comme supposer qu'il n'y a pas de risque
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lorsque le partenaire séropositif est traité et présente une charge
virale indétectable, lors de pénétration active, ou encore lorsqu'il
n'y a pas éjaculation. "Ce qui est totalement faux", rappelle le
jeune médecin.
Comme le montrent les résultats de l'enquête, les premiers
concernés par ce relâchement ou ce "niveau de protection
parfois médiocre" seraient donc les jeunes mal informés, qui
n'ont pas - ou peu - connu les messages de prévention, et qui,
contrairement aux homosexuels âgés de plus de 30 ans, ne
fréquentent pas de personnes malades et n'ont pas été confrontés
à un grand nombre de décès. En résumé, des jeunes pour
lesquels "le sida est invisible".
"Les moins de 25 ans n'ont pas connu la terreur, l'"hécatombe"",
renchérit Jean-Paul qui, sans parler de "ceux qui sont
complètement "pétés" en fin de soirée", comprend "le jeune de
20 ans qui, comme moi à l'époque, est très fleur bleue,
amoureux... bref, prêt à faire de grosses conneries".
"Il faut retaper du poing sur la table, s'emporte-t-il, et le premier
point à mettre en avant c'est la prévention. Faire des spots
clairs, ciblés et pour tout le monde. Mettre des distributeurs de
préservatifs partout, dans les toilettes hommes /femmes, dans les
lycées, et ne pas oublier qu'un certain nombre d'adolescents se
retrouvent contaminés lors de leurs premiers rapports. Il faut
leur donner la possibilité de se prévenir. Les jeunes ont besoin
d'anonymat. Même moi, en tant qu'adulte, je préfère éviter
d'avoir à aller à la pharmacie pour acheter des préservatifs."
Mais aussi, reprend Jean-Christophe, "ne pas confondre le
bareback - une démarche volontaire qu'on pourrait résumer à
"j'ai envie de baiser, avec qui et comment m'est complètement
égal" - et le séronégatif qui serait amoureux d'un séropositif et
qui voudrait avoir des relations non protégées". Et encore moins
"faire l'amalgame avec les Dustan et autres Remès"* qui ne sont
pas représentatifs de la communauté homosexuelle. "Ce qui est
grave, c'est la portée de leur discours, en particulier sur les
adolescents qui sont quand même fragiles."
Enfin, "il faut aussi leur dire que la trithérapie n'est pas une
finalité, même si elle permet de vivre mieux". Une nécessité que
souligne également Philippe Dhotte : "Il faut les informer du fait
que même si les trithérapies sont un grand progrès, c'est souvent
une contrainte extrêmement lourde sur de nombreux plans que
de vivre la séropositivité au jour le jour." Pour le praticien, il
faut donc non seulement renouveler les messages de prévention
mais aussi relancer l'effort d'information sur le plan national, et
"un effort de prévention communautaire, par et pour les
communautés particulièrement concernées, les gays, les
hétérosexuels multipartenaires, les bisexuels..." Selon lui, ces
initiatives devraient aussi toucher les personnes plus âgées dont
le relâchement pourrait, de même, être pour partie imputable à la
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lassitude du "tout préservatif" et à l'espoir suscité par les
nouveaux traitements.
Ouverte en décembre dernier en plein cœur du Marais, la galerie
d'art et d'information sur le sida, les MST et les hépatites,
"Au-dessous du volcan" - où Philippe Dhotte assure également
des permanences régulières - pourrait, dans cette optique,
s'avérer une bonne idée pour "promouvoir l'usage des
préservatifs dans toutes les sexualités et les stratégies de
réduction des risques", le tout, en dehors du cadre strictement
médical d'un cabinet de ville, d'une consultation hospitalière ou
d'un centre de dépistage. "Il conviendra d'évaluer son efficacité
sur le long terme, mais les premiers retours sont très favorables
et le niveau de fréquentation tout à fait correct", indique le jeune
médecin.
Reste que si cette étude montre une diminution - que ce soit en
ou hors couple - des comportements de prévention chez des
personnes a priori séronégatives, elle la révèle également chez
des personnes séropositives, avec des causes vraisemblablement
similaires, à l'exception peut être de la sous-information, sans
doute moins fréquente dans cette population.
Une tendance retrouvée au CDAG du Figuier, qui conduit
directement ou presque au dernier sujet polémique de la
communauté : le bareback, que Philippe Dhotte définit comme
des "comportements de non protection convenue qui peuvent
contribuer à l'extension de l'épidémie de façon non-accidentelle
puisqu'ouvertement acceptés, voire recherchés". Et le praticien
a, en l'occurrence, un avis bien tranché : "S'il faut probablement
que les personnes séronégatives cherchent rapidement la cause
de ce relâchement majeur afin d'éviter de devenir séropositives,
il me semble que l'accord de ces séronégatifs - ou supposés tels pour avoir un rapport non protégé ne dédouane pas les
personnes séropositives de leur transmettre un virus mortel dont
elles se savent atteintes."
"Au niveau des CDAG, reprend-il, nous essayons sans cesse
d'améliorer la qualité de l'information donnée et le contenu
psychologique des entretiens, et il est actuellement question de
tenter de mettre en place des consultations à l'intention des
personnes séropositives - traitées ou non - qui ont des difficultés
pour se protéger." L'enjeu étant à la fois d'éviter la transmission
du VIH à des personnes séronégatives ou celle de souches
résistantes aux traitements à d'autres personnes séropositives.
* deux défenseurs du "bareback"
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Réflexions d'un adepte des relations non protégées
Revue critique
de l'actualité scientifique internationale
sur le VIH
et les virus des hépatites
n°91 - mars/avril 2001
TEMOIGNAGE
Réflexions d'un adepte des relations non
protégées
Isabelle Célérier
Contaminé en 1985, Patrick, 45 ans, est un adepte des relations
non protégées. Non pas un "intégriste de ces pratiques", tient-il
à préciser, mais, après 5 ans de "tout préservatif" entre 1985 et
1990, son goût pour les rapports non protégés s'est peu à peu
"confirmé", l'amenant à ne plus rechercher désormais
qu'exclusivement ou presque des relations sans préservatif.
Morceaux choisis.
Ses pratiques
"Je fréquente des endroits où il y a surtout des hommes mariés,
donc bisexuels, qui tendent logiquement plus souvent à se
protéger. Mais dans les endroits plus spécifiquement gay, il y a
sans doute - même si c'est difficile à évaluer - 30 à 40% de
rapports non protégés. Dans les établissements, on distribue des
préservatifs mais on ne sait pas s'ils sont utilisés. Et quand Act
Up intervient, on se dit : "qu'est-ce que c'est que cette police du
sexe ?".
J'ai eu mes premiers rapports avant 1980 et, comme on dit, "il
n'y a pas photo" entre le plaisir qu'on peut prendre avec ou sans.
J'ai l'impression qu'une relation sexuelle protégée n'est pas une
relation sexuelle aboutie.
Ses raisons
C'est une sorte de roulette russe. C'est lié aux traitements actuels,
au fait de pouvoir se dire qu'on trouve des solutions. Le paravent
des traitements est très démobilisateur. Je crois que, pour
beaucoup, les choses sont redevenues comme avant, qu'on pense
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Réflexions d'un adepte des relations non protégées
"ça peut arriver à tout le monde sauf à moi".
Il y a aussi l'incertitude : on nous dit qu'on n'est certain de rien
en ce qui concerne les surcontaminations, donc on en profite.
Advienne que pourra.
L'augmentation des prises de risque
Je crois que cela a toujours été comme ça. Il y a plusieurs
"escroqueries" comme de dire qu'utiliser des préservatifs peut
représenter un jeu érotique, un jeu renouvelé... Je n'y crois pas
du tout. On n'est pas né avec le préservatif et, qu'on soit homo ou
hétéro, on a tous goûté au plaisir "naturel".
Il y a dix ans, c'était la peur et l'hécatombe, mais les gens
baisaient sans capote et ne s'en vantaient pas. Ils ne voulaient pas
l'avouer. Aujourd'hui, sur certains sites internet, dans les
annonces et dans les lieux gais, on sait parfaitement que ce genre
de pratiques sont très suivies. Dans l'anonymat le plus complet
des backrooms, il est presque implicite que les rapports ne sont
pas protégés.
Les moins de 25 ans
J'ai eu l'occasion de rencontrer un jeune de 24 ans il n'y a pas
longtemps. En le voyant, je me suis dit que j'allais le protéger
mais c'est lui-même qui m'a demandé - en prétextant je ne sais
quelle douleur - d'enlever le préservatif. Alors j'ai accepté et je
me suis rendu compte qu'il était apparemment adepte de telles
pratiques.
Autre anecdote : une fois, j'étais avec un garçon dont le
préservatif a craqué. Pour lui c'était la catastrophe, pour moi pas.
Mais la fois suivante, on n'a plus mis de préservatif. Ce n'était
donc pas si catastrophique que cela.
La prévention
Je comprends tout à fait les arguments d'un Didier Lestrade, c'est
vrai que le préservatif protège de tout. Mais derrière tout cela,
l'hédonisme prend le dessus, la volonté de jouir sans entrave, de
ne plus être condamné au préservatif ad vitam aeternam, d'avoir
à dire adieu à toute fusion. Le préservatif protège peut être "de
tout, sauf de l'amour". Mais il n'est pas toujours question
d'amour, il est question de prendre son pied.
Les discours de prévention ont raison, mais je ne crois pas qu'ils
soient très appropriés, notamment ceux qui se basent sur la
morale. Ça ne marche pas chez les jeunes.
Celui qui veut se protéger a tout compris et il a la tête sur les
épaules. Mais ce n'est pas du tout mon truc. Entre deux
partenaires qui me proposent des rapports avec ou sans, je
choisirai celui sans. C'est clair.
Contaminer quelqu'un
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Réflexions d'un adepte des relations non protégées
Je pars du principe que les gens sont suffisamment informés,
mais je ne me reconnais pas du tout dans les porte-drapeau du
bareback, comme Dustan, que je trouve absolument lamentable.
Dire, par exemple, que les séropositifs n'ont qu'à baiser
ensemble sans capote et les séronégatifs de même, c'est de
l'escroquerie complète, parce qu'un séronégatif qui baise sans
capote a très peu de chances de rester séronégatif. Comment
savoir - à part avec des signes visibles de la maladie - que son
partenaire est séronégatif ?
Vivre séropositif
Dans mon cas, personne ne dirait que c'est invivable mais, en
même temps, je ne le souhaiterais pas à mon pire ennemi. C'est
un traitement contraignant, qui marque, avec des effets
secondaires... Effectivement, il faut informer les jeunes. Mais
quand on lit des annonces pour des rapports non protégés
précisant "séropositif s'abstenir", on se dit qu'ils sont conscients
du risque et que si c'est cela, ils n'ont qu'à aller jusqu'au bout et
donc se protéger.
J'ai aussi vu des annonces comme "j'ai envie de me faire
plomber" ou "demande de conversion rapide", et là, j'ai du mal à
comprendre. Ce n'est pas une situation enviable. Pourtant, on en
voit de plus en plus.
L'avenir
Je n'ai pas peur mais je suis très lucide et très conscient des
risques. Il peut m'arriver une tuile. Quand j'ai été contaminé, en
1985, on ne parlait déjà que du sida, mais je n'y croyais pas.
Maintenant, j'en suis exactement au même point. Je me dis "on
verra bien", qu'il ne peut pas m'arriver quelque chose de grave et
qu'en même temps tout est possible. Mais si cela arrivait, je ne
m'en prendrais qu'à moi.
Le virus s'est démocratisé. Maintenant, on peut aussi dire que le
relapse s'est démocratisé. Cela devait forcément arriver. Mais on
n'en serait pas là s'il n'y avait pas eu les progrès médicaux."
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