Enfin un gène pour le syndrome de Rett

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Enfin un gène pour le syndrome de Rett
DERNIÈRE HEURE
médecine/sciences 1999 ; 15 : 1334-5
Enfin un gène pour le syndrome de Rett
u cours de ces dernières
années, alors que de plus en
plus de gènes impliqués dans
des maladies humaines étaient
découverts, le syndrome de Rett
(RTT) restait une énigme, embarrassante pour les chercheurs, douloureuse pour les familles de malades
(m/s 1996, n° 11, p. 1280).
Il faut reconnaître que la tâche
n’était pas facile. Cette encéphalopathie progressive, qui ne touche
presque exclusivement que les filles,
est sporadique dans plus de 99 % des
cas. Les enfants atteintes semblent
normales à la naissance et au cours
des premiers mois de vie. Vers 18
mois apparaît une régression, parfois
rapide, des premières acquisitions,
puis un profond retard mental ainsi
qu’une ataxie s’installent progressivement. En l’absence de tout signe
biologique, des critères cliniques
d’inclusion très stricts ont été définis
pour asseoir le diagnostic : retard de
développement de –2DS du périmètre crânien (généralement normal à la naissance), perte des mouvements volontaires des mains avec
enlacements des doigts et accès
d’hyperpnée, entre autres.
Que le syndrome de Rett soit génétique, personne n’en doutait, mais
l’impossibilité d’effectuer des analyses de ségrégation, faute de
familles multiplex, a d’abord
conduit à proposer de nombreux
modèles. Le plus simple était évidemment la survenue d’une mutation dans un gène dominant lié à
l’X, létal chez le garçon. Contrairement aux autres maladies de ce type,
aucune diminution du nombre des
garçons dans les familles à RTT n’est
observée. Il fallait donc admettre
l’hypothèse d’une fréquence très
élevée de mutations, puisque l’incidence du syndrome de Rett est
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d’environ 1 sur 10 000 à 15 000 naissances de filles.
De nombreuses et laborieuses analyses de l’inactivation de l’X chez les
filles RTT et leurs mères furent réalisées sans résultat concluant. Devant
l’impossibilité de parvenir à trouver
un locus, les études comparatives des
haplotypes de quelques sœurs et
demi-sœurs RTT existant dans le
monde finirent par donner une carte
d’exclusion de l’X qui épargnait la
région Xq28 [1]. Celle-ci devenait
alors une région d’intérêt que de
nombreuses équipes se mirent à
explorer, sachant que la découverte
du gène en cause aurait, comme
pour la maladie de l’X fragile, des
implications dépassant largement le
cadre de cette maladie.
Des chercheurs américains (Houston
TX, Stanford, CA, USA), qui travaillaient depuis longtemps sur le syndrome de Rett et la région Xq28 viennent enfin de découvrir un gène dont
les mutations sont indiscutablement
responsables de cas de RTT [2].
Il s’agit du gène MECP2 qui code
pour une protéine MeCP2 identifiée
en 1992 en raison de sa propriété de
se lier à l’ADN méthylé. Elle se lie
sélectivement aux résidus 5-méthylcytosine des dinucléotides CpG répartis dans tout le génome des mammifères. Ces résidus sont localisés de
préférence dans les régions promotrices des gènes soumis à la répression transcriptionnelle après méthylation. MeCP2 contient deux
domaines fonctionnels, un domaine
MBD (methyl CpG binding domain)
nécessaire pour la liaison à la 5méthylcytosine et un domaine de
répression transcriptionnelle (TRD)
qui interagit avec une histone désacétylase et le co-répresseur transcriptionnel SIN3A [3]. Cette interaction
entraîne une désacétylation des his-
tones et un blocage de la transcription [4].
Dans cinq cas sporadiques sur 21 analysés, des mutations dans la région
codante touchant l’un et l’autre
domaine ont été observées. MeCP2
possède une longue région 3’ non
transcrite dont certaines séquences
sont très conservées au cours de
l’évolution et qui doit jouer un rôle
dans la régulation post-transcriptionnelle de MeCP2. [5]. Cette région 3’
UTR mériterait d’être aussi explorée
dans les autres cas de syndrome de
Rett. Dans les quelques cas familiaux,
l’absence de mutation chez les
parents (en particulier chez une
mère vectrice obligatoire) suggère
l’éventualité d’une mosaïque germinale et, d’une façon plus générale, une fréquence élevée des mutations.
Dans cette maladie touchant exclusivement les filles, la découverte de
la perte de fonction d’un facteur
intervenant dans la régulation épigénétique a de quoi séduire. C’est la
première fois qu’un tel gène est
impliqué dans une maladie humaine.
D’autres gènes semblables mais autosomiques (en particulier les gènes
codant pour des répresseurs à
domaine MBD [6]) peuvent être
impliqués dans d’autres retards mentaux non syndromiques [7].
Reste à comprendre comment agit
ce répresseur transcriptionnel ubiquitaire pour entraîner une atteinte
aussi spécifique du système nerveux.
On sait que les disomies fonctionnelles de l’X (par perte du XIST
dans des chromosomes X délétés,
par exemple) ont un retentissement
très sévère sur le phénotype, et spécialement sur le développement psycho-moteur (m/s 1990, n° 5, p. 481 et
1995, n° 8, p. 1188). Parmi beaucoup
d’autres, une hypothèse peut être
m/s n° 11, vol. 15, novembre 99
RÉFÉRENCES
1. Siriani N, Naidu S, Pereira J, Pillotto RF,
Hoffman EP. Rett syndrome confirmation
of X-linked dominant inheritance, and localisation of the gene to Xq28. Am J Hum
Genet 1998 ; 393 : 1552-8.
2. Amir RE, Van den Veyver IB, Wan M,
Tran CQ, Francke U, Zoghbi HY. Rett syndrome is caused by mutations in X-linked
MECP2, encoding methyl-CpG- binding protein 2. Nat Genet 1999 ; 23 : 185-8.
3. Jones PL, Veenstra GJC, Wade PA, et al.
Methylated DNA and MeCP2 recruit histone deacetylase to repress transcription.
Nat Genet 1998 ; 19 : 187-91.
4. Taddei A, Almouzni G. Les acétyl-transférases et désacétylases des histones : des corégulateurs de la transcription. Med Sci
1997 ; 13 : 1205-11.
5. Coy JF, Sedlacek Z, Bächner D, Delius H,
Poustka A. A complex pattern of evolutionary conservation and alternative polyadenylation within the long 3’-untranslated region
of the methyl-CpG-binding protein 2 gene
(MeCP2) suggests a regulatory role in gene
expression. Hum Mol Genet 1999 ; 8 : 1253-62.
6. Hendrich B, Abbott C, McQueen H,
Chambers D, Cross S, Bird A. Genomic
structure and genomic mapping of the
murine and human mbd1, mbd2, mbd3, mbd4
genes. Mamm Genome 1999 ; 10 : 906-12.
7. Willard HF, Hendrich BD. Breaking the
silence in Rett syndrome. Nat Genet 1999 ;
23 : 127-8.
8.Tate P, Skarnes W, Bird A. The methylCpG binding protein MeCP2 is essential for
embryonic development in the mouse. Nat
Genet 1996 ; 12 : 205-8.
Simone Gilgenkrantz
9, rue Basse, 54330 Clerey-sur-Brenon,
France.
CONFÉRENCES DE PHILOSOPHIE ET HISTOIRE DE LA MÉDECINE - Année universitaire 1999/2000
Ces conférences auront lieu les mardis de 17 h à 19 h
au Centre de documentation d’Histoire de la Médecine - 15, rue de l’École de Médecine - 75006 Paris - Pavillon 4
Renseignements : Professeur Robert Zittoun ✆ 01 42 34 69 48/01 42 34 69 65
Dates
9 novembre 1999
16 novembre 1999
23 novembre 1999
30 novembre 1999
14 décembre 1999
4 janvier 2000
11 janvier 2000
18 janvier 2000
25 janvier 2000
1er février 2000
22 février 2000
29 février 2000
7 mars 2000
14 mars 2000
21 mars 2000
18 avril 2000
25 avril 2000
2 mai 2000
m/s n° 11, vol. 15, novembre 99
Philosophie médicale
17 h 00-18 h 00
Philosophie de la médecine : Introduction
Robert Zittoun
Épistémologie : Le normal et le pathologique
Corinne Pieters
Paradigmes médicaux et révolutions épistémologiques
Bernard-Marie Dupont
Pourquoi y a-t-il des médecines parallèles ?
Marcel-Francis Kahn
La décision entre probabilités et incertitudes
Robert Zittoun
Éthique : Les fondements de l’éthique médicale
Daniel François-Wachter
Éthique médicale contemporaine
Daniel François-Wachter
Éthique de fin de vie
Paula La Marne
Enjeux biologiques et éthique du clonage
Henri Atlan
Engagement et responsabilité médicale
Marie-Sylvie Richard
Ontologie : Être humain ou l’essence d’une vie
Bernard-Marie Dupont
Temps du SIDA
Catherine Zittoun
Psychologie : L’angoisse
Jean Carpentier
La relation soignant-soigné
Martine Ruszniewski
Psychopathologie de l’enfant malade
Danièle Brun
Anthropologie et sociologie : Anthropologie et sociologie médicale
Marie-Frédérique Baqué
Le risque iatrogène
François Ewald
Économie de santé et gestion du soin : justification et enjeux
Anne-Laurence Le Faou
Histoire de la médecine
18 h 00-19 h 00
Histoire de la pensée médicale : La médecine dans l’Antiquité
Armelle Debru
La médecine du MoyenAge
Michel Leporrier
Le vitalisme et le mécanisme
Corinne Pieters
William Harvey
Jean-Noël Fabiani
A propos de quelques victoires médicales
François Dagognet
Naissance de l’anesthésie
Patrick Conan
Les révolutions biologiques
Jean-Claude Ameisen
Histoire de la gériatrie
Alain Lellouch
Médicalisation de la procréation
Pierre Jouannet
Jacques Monod
Patrice Debré
Histoire de l’autopsie
Jacques Diebold
Jonathan Mann, santé publique et droits de l’homme
Emmanuel Hirsch
La psychiatrie à Vienne autour de 1900
Christine Lévy
Histoire de l’architecture hospitalière
Jacques-Louis Binet
Korczak ou comment aimer les enfants
Stanislas Tomkiewicz
Anthropologie raciale et national-socialisme
Benoît Massin
Pratiques alimentaires et émergences de nouvelles maladies
Olivier Robain
L’émergence d’une culture de la santé publique
Julien Faure
D E R N I E R E H E U R E
proposée : la région 3’ UTR de
MeCP2 est dotée d’une polyadénylation alternative, avec une variété de
transcrits dont certains sont fortement exprimés dans le cerveau. La
perte de fonction d’une de ces protéines dans les neurones post-mitotiques pourrait entraîner une surexpression de gène(s) qui serait
dommageable pour la maturation
du système nerveux. L’invalidation
du gène Mecp2 chez la souris montre
le caractère létal de la perte du gène
chez les mâles [8]. La création
d’une lignée conditionnelle, où
Mecp2 serait spécifiquement invalidé
dans le cerveau, serait un bon
modèle pour l’étude du syndrome
de Rett.
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