l`expert et l`avocat dans le procés pénal - criminalistique
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l`expert et l`avocat dans le procés pénal - criminalistique
Faculté de Médecine Laboratoire d’Ethique Médicale et de Médecine Légale Directeur : Professeur Christian HERVE L’EXPERT ET L’AVOCAT DANS LE PROCÉS PÉNAL MEMOIRE Diplôme Universitaire de Criminalistique Université de PARIS V DIRECTEUR DU MEMOIRE Lieutenant Colonel VANDEN-BERGHE Directeur adjoint de l’Institut de Recherche Criminelle de la Gendarmerie Nationale PH I L IPP E TH O M A S AN N E E UN IV ER SI TAI RE 2 008/ 200 9 « La science restera toujours la satisfaction du plus haut désir de notre nature, la curiosité ; elle fournira à l’homme le seul moyen qu’il ait pour améliorer son sort. » Ernest Renan 2 INDEX AVANT PROPOS 04 LISTE DES ABBREVIATIONS 05 PLAN 06 INTRODUCTION 08 - 12 TITRE UN 13 - 40 TITRE DEUX 41 – 56 CONCLUSION 57 - 58 BIBLIOGRAPHIE 59 – 61 ANNEXES 62 - 87 3 Avant propos L’expertise dans le procès pénal suit le progrès des techniques scientifiques, elle ne subit pas une mutation à proprement parler mais connaît des difficultés d’intégration dans la forme structurelle de notre droit civiliste, l’appréhension de ce phénomène se décline sous deux aspects, l’interprétation d’une expertise d’une part et les moyens donnés aux parties d’intervenir d’autre part. C’est dans la logique de cette évolution que le principe du contradictoire a été renforcé ces dernières années et notamment depuis la loi du 5 mars 2007, si la procédure reste toutefois complexe et rigoureuse, les avocats des parties doivent pouvoir s’organiser en conséquence. Ce mémoire est divisé en deux parties ; la phase de l’instruction et celle du procès, la première partie est la plus abondante en texte et s’explique par l’importance de l’expertise pendant l’instruction et par une procédure trop lourde à mon sens. La seconde partie expose le déroulement d’un procès pénal, le rôle de ses acteurs et intervenants, il sera notamment souligné l’intervention d’experts aux rapports d’une clarté remarquable qui domineront les débats, jusqu’à ceux d’une dimension plus modeste, qui donneront une impression d’inutile et de confusion propre à tromper la « religion » d’un tribunal ou d’une Cour. C’est aussi le regard du juriste sur les relations entre le juge, l’expert, l’avocat des parties, le ministère public d’un bout à l’autre de la procédure. Le pénaliste doit estimer la cohabitation difficile entre deux sciences différentes mais complémentaires : celle du droit et de la science criminalistique avec pour corollaire le poids de l’expertise dans le procès pénal. Les nouvelles dispositions réglementaires sur l’expertise qui viennent au 1er janvier 2010 sont évoquées mais faute d’un recul nécessaire elles ne seront pas commentées, cela ne signifie pas pour autant que ces travaux soient d’ores et déjà obsolètes, ils reprennent en partie une situation d’aujourd’hui évoquée par le témoin d’une procédure qui mérite d’évoluer dans le sens de l’équité. PHILIPPE THOMAS 4 TABLE DES ABREVIATIONS Art : Article Bull. crim. : Bulletin des arrêts de la Chambre criminelle de la Cour de Cassation CA : Cour d’appel Cass. Crim : Chambre criminelle de la Cour de cassation C. civ. : Code civil CD : Centre de Détention CP : Centre Pénitentiaire Coll. : Collection Comm. : Commentaire CNB : Conseil national des barreaux C. pén : Code pénal CPP : Code de procédure pénale DSP : Dispositif de Soins en Psychiatrie Dr. Pén : Droit pénal Ed : Edition Fasc : Fascicule FNEJ : Fédération national des experts judiciaires Ibid.: Ibidem Id : Idem JURISPR : Jurisprudence NCPC : Nouveau code de procédure civile Obs. Observations RD pén. Crim : Revue de droit pénale et de criminologie Rép. Pén. Dalloz : Dalloz encyclopédie (droit pénal) REV.SC.CRIM : Revue de recherche juridique – Droit prospectif SOMM : Sommaires commentés dans le Recueil Dalloz Supra : Au dessus T: Tome TRIB. CORR : Tribunal correctionnel UCSA : Unités de consultations et de soins ambulatoires SMPR : Service Médico Psychologique Régional 5 SOMMAIRE INTRODUCTION Pertinence de l’enseignement des sciences criminalistiques auprès des auxiliaires de justice ----------------- TITRE 1 L’INSTRUCTION PRÉPARATOIRE DU PROCÈS PÉNAL 1. LA DEMANDE D’EXPERTISE A. Phase préparatoire selon la catégorie d’infraction B. La réquisition judiciaire C. Les expertises judiciaires 1 à la demande du magistrat instructeur 2 à la demande de l’avocat 2. L’EXPERTISE A. Le rapport provisoire 1 les expertises psychiatriques 2 sur les délais des parties 3 sur les observations des parties B. Le rapport définitif 1 les notifications des rapports C. La distinction des expertises complémentaires 1 2 la contre expertise l’expertise complémentaire ou la nouvelle expertise a) le rejet des expertises complémentaires par le juge b) les recours 6 TITRE 2 LE PROCÈS PÉNAL A Les différentes juridictions A.1 EXPOSÉ DES RAPPORTS D’EXPERTISES a. déposition des experts à l’audience b. interrogatoire et contre interrogatoire des experts B.1 EXPOSÉ DES PARTIES CIVILES, DU MINISTÈRE PUBLIC ET DE LA DÉFENSE a. les conclusions des parties au procès b. la démonstration de la preuve 3 CONCLUSIONS L’expertise dans le procès pénal 7 INTRODUCTION Si la criminalistique fascine nos contemporains, c’est par l’image combinée de la science et de l’aventure qu’elle véhicule dans l’imaginaire populaire. Au delà, les applications de cette science participent à la manifestation de la vérité dans une variété de techniques scientifiques multidisciplinaires dont le but est d’identifier le ou les auteurs de faits infractionnels. La série « les experts » a contribué à vulgariser cette science et le taux d’audience télévisuel témoigne de son succès. La recette est simple, celle d’une enquête policière mais réalisée sous le prisme de la police scientifique, bien loin du raisonnement du lieutenant Colombo ! Les personnages de la série sont à l’image de notre époque, froids et méthodiques, avec une rationalité télévisuelle, il importe peu ici de savoir pourquoi un crime a été commis, il s’agit désormais de savoir comment il s’est déroulé ! L’apport des sciences forensiques et criminalistiques en justice est en fait plus difficile qu’il n’y parait, deux modes de pensée s’affrontent, l’une littéraire et l’autre scientifique. Si le premier mode ne pose aucun problème pour le magistrat, l’autre en revanche sera livré à son appréciation sans qu’il ait reçu pour autant une formation adéquate. Le cas est plus remarquable quand il s’agit du jury populaire que le hasard d’une liste électorale a érigé en magistrat d’un jour ou d’un procès et, où sa connaissance des techniques criminalistiques se limite le plus souvent dans le divertissement de séries télévisées incultes. C’est donc sur le rapport de l’expert en particulier que les magistrats professionnels et les jurés devront s’appuyer pour juger de la réalité d’un fait mais aussi dans la pertinence des questions qu’ils n’hésiteront pas à poser. En amont de la procédure, la désignation de l’expert peut déterminer le résultat du procès, cette prérogative du juge d’instruction peut être à l’origine d’une source de conflit quand on sait que certains magistrats nomment invariablement les mêmes experts qui correspondent le plus à leurs façons de penser. 8 Aussi critiquable que soit le mode qui désigne un expert, celui-ci doit être désigné, les parties pourront utiliser d’autres moyens pour compenser tous les déséquilibres de l’instruction et/ou celles de la procédure pénale. Peut être pourrait-on suggérer un tableau de roulement à l’instar de la désignation des juges d’instruction ou un tirage au sort par un juge de l’expertise qui serait à l’écart de toute procédure. La criminalistique est avant toute chose une affaire de vérité qui doit matérialiser l’indice en preuve, la logique scientifique de ses différentes disciplines soulève le problème de son intégration dans le monde juridique. Cette difficulté n’est pas sans rappeler les travaux du doyen Carbonnier dans son opposition au panjurisme après le constat d’une « passion de la République pour plus de droit » 1 La réglementation à outrance n’est pas synonyme de garantie, aussi quand Jean Carbonnier déduit que la culture juridique représente « tout le poids du non droit » 2 il expose sa préférence dans l’approche globale du phénomène juridique qui rejette la conception moniste du droit dogmatique en privilégiant la flexibilité de la règle de droit sur la diversité sociale et culturelle de la nation. La démonstration scientifique est censée remplacer la culture de l’aveu, et si ses applications techniques ne présentent pas de difficulté particulière dans l’enquête policière il n’en est pas de même dans notre tradition juridique et les déductions du Juge. Le magistrat va donc s’entourer d’auxiliaires dont les missions consistent à établir avec loyauté la matérialité de faits, leurs catégories infractionnelles et déterminer une relation de cause à effet qui relie l’infraction à l’infracteur3, 1 Jean Carbonnier : Droit et passion du droit sous la Ve République (ed. Flammarion 2006) Jean Carbonnier : Pour une sociologie sans rigueur (7ème éd. Paris 1992) 3 Infracteur, personne qui commet une infraction, qualificatif employé en criminologie. V. Robert CARIO, Introduction aux sciences criminelles, 6è éd. 2008, p. 260. 2 9 Pierre Dray, Président de la Cour de Cassation écrivait que « L’expert est au temps de sa mission le compagnon de route du juge à la recherche de la vérité », c’est effectivement une relation de confiance qui va sceller l’instruction et/ou le procès en intégrant les conclusions des services de police, de gendarmerie et d’experts. Les méthodes policières aiment toutefois s’affranchir du poids des lois, l’exemple le plus concret est celui du fichier de la police nationale « STIC » puisque ce dernier a fonctionné en toute illégalité à partir de 1995 avant d’être « légalisé » par le décret N° 2001-583 du 5 juillet 2001. La gendarmerie a de son coté, exposé plus tardivement la réalité du fichier « JUDEX » auprès de la CNIL en décembre 2002, celui-ci fonctionnait en effet de manière clandestine depuis 20 ans avant qu’une existence légale ne lui soit reconnue par décret le 22 novembre 2006 4 . Ce souci de légaliser était non seulement indispensable mais permettait de légiférer sur l'interconnexion des fichiers STIC et JUDEX qui devraient se fondre dans un fichier unique et qui répondra au nom d’ARIANE. Si donc ce système « à la marge » est toléré, c’est en raison des résultats qu’il génère, cependant il ne faut pas oublier que l’enquête conduite à l’écart des règles de droit pose un problème sur les garanties du justiciable dans un procès équitable. Ces « écarts » sont généralement sanctionnées par la nullité totale ou partielle de l’enquête ou d’un ou plusieurs PV voire de l’intégralité de la procédure si le visa du parquet est absent au début d’une procédure et/ou si « l’absence » du contrôle du juge compromet durablement les droits du justiciable et de la défense. Notre société admet ainsi une absence de règles dans un « non droit » gérée au sein de notre culture juridique, mais les nouvelles techniques ne peuvent remettre en question l’égalité des armes dont l'objectivité impose le respect de toutes les garanties de régularité dans l’organisation d’un procès. 4 Décret n°2006-1411 du 20 novembre 2006 portant création du système judiciaire de documentation et d'exploitation dénommé " JUDEX ". 10 Des principales cultures juridiques occidentales celle de la « common law » semble la plus adaptée dans l’administration de la preuve scientifique et le caractère contradictoire des expertises au procès. La culture juridique anglo-saxonne est une procédure accusatoire et distingue différemment les garanties juridiques de la procédure pénale française dans le droit à une procédure équitable, celle-ci a pour origine l’habeas corpus de 1272 sous Edouard 1er Roi d’Angleterre, avant d’être légalisé formellement par une loi, l’habeas corpus act de 1679.5 La culture juridique française intègre au 12ème siècle les pratiques du tribunal fondé par l’Eglise dont la mission était de réunir les preuves essentiellement par l'aveu. L’absolutisme inquisitoire est toujours d’actualité dans l’esprit procédural français qui nous vient en ligne directe du droit médiéval, ce droit précisait notamment que « l'aveu rend la chose notoire et manifeste, il devient la preuve incontestable de la culpabilité de l'accusé ».6 La force de l’aveu donne ainsi à l’intime conviction du Juge un moyen de décider de la culpabilité d’un justiciable, cela explique que dans cette configuration procédurale les arrêts des cours d’assises ne comportent aucune motivation et se référent uniquement à l’article 353 du code de procédure pénale « La loi ne leur fait que cette seule question, qui renferme toute la mesure de leurs devoirs : " Avez-vous une intime conviction ? » L’absence de motivation est ici regrettable dans l’articulation d’un jugement car l’intime conviction qui rejoint le serment des jurés prévu à l’article 304 du code de procédure pénale peut défier toutes les lois physiques et autres vérités mathématiques, le procès de Galilée7 est l’exemple parfait de cette forme d’hérésie où la croyance remplace l’évidence. 5 L’ordonnance d'habeas corpus énonce une liberté fondamentale, celle de ne pas être emprisonné sans jugement. Toute personne arrêtée a le droit de savoir pourquoi elle est arrêtée et de quoi elle est accusée- V. Evidentiary Hearings In Federal Habeas Corpus Cases, 1990 B.Y.U. L. REV. 131. 6 Karine Trotel Costedoat, La torture dans la justice criminelle médiévale, Histoire Médiévale, n°18, juin 2001. 7 Le 22 juin 1633 Galileo Galilei, est condamné à la prison à vie par la congrégation du Saint-Office, le bras judiciaire de l'Inquisition. Il a été obligé d’abjurer le système héliocentrique de Copernic 11 Il est probable que notre culture juridique n’échappera pas à ses contradictions dans les réformes qui dénaturent sa tradition civiliste au profit de normes juridiques anglo-saxonnes. De ce fait, l’équité juridique impose une refonte de la procédure pénale qui ne soit pas en opposition avec son histoire. Pour intégrer le volet scientifique dans la démonstration de la preuve, le législateur doit tenir compte d’une culture juridique séculaire avant de l’adapter aux évolutions de la science criminalistique dans les règles du procès équitable. Au delà, l’égalité des armes exige une formation adaptée des magistrats mais aussi des avocats, dans l’accusation comme dans la défense. 12 TITRE 1 L’INSTRUCTION PRÉPARATOIRE DU PROCÈS PÉNAL 13 1.1 LA DEMANDE D’EXPERTISE 1.1.A PHASE PRÉPARATOIRE SELON LA CATEGORIE D’INFRACTION Il existe trois types d’infractions : 1. Les contraventions qui relèvent d’infractions mineures, l'article 131-13 du Code pénal dispose que « constituent des contraventions les infractions que la loi punit d'une amende n'excédant pas 3 000 euros ». 2. Les délits qui sont des infractions punies d'une peine correctionnelle, par une amende supérieure à 3750 €, et d'autre part, une peine d'emprisonnement. 3. Le crime qui est la catégorie infractionnelle la plus grave. L’article 79 du code de procédure pénale prévoit que si l’instruction est obligatoire en matière criminelle, elle est facultative en matière délictuelle et exceptionnelle en matière contraventionnelle. L’instruction doit rassembler les preuves d’une infraction et en rechercher les auteurs, ses principes généraux disposent qu’elle est secrète, écrite et non contradictoire mais qu’elle doit être équitable, équilibrée et respecter le droit des parties. C’est dans ce cadre tendancieux qu’intervient l’expert, son ministère se retrouve de l’instruction préparatoire jusqu’au procès pénal, il peut effectivement être requis8 dans une enquête préliminaire et sous le contrôle du ministère public, il peut être nommé par le juge d’instruction9 il peut déposer à la barre du Tribunal correctionnel pour éclairer le juge ou les défenseurs sur les détails techniques d’une expertise. Qu’il soit inscrit ou non sur la liste de la Cour d’appel 10, l’expert agit en qualité d’auxiliaire de justice bien loin du justiciable ordinaire, dans le procès pénal, il est en général présent devant les juridictions statuant en matière correctionnelle et/ou criminelle. 8 Article 60 du code de procédure pénale Article 156 du code de procédure pénale 10 Article 157 du code de procédure pénale 9 14 1.1.B LA RÉQUISITION JUDICIAIRE La réquisition est un ordre ou une injonction donnée par une autorité qui agit dans les limites de sa compétence auprès d’un homme de l’art, ouvrier, manouvrier, experts, ou toutes personnes pouvant prêter son concours dans un cadre administratif ou judiciaire. La réquisition provient soit d'une autorité judiciaire, soit d'une autorité administrative, l’article R.642-1 du code pénal opère une distinction entre la réquisition administrative et la réquisition judiciaire. La réquisition judiciaire dépend des articles 16, 60 et 67 du code de procédure pénale. Les personnes habilitées à agir dans le cadre judiciaire sont : L’officier de police judiciaire (O.P.J.) policier ou gendarme Le magistrat : procureur ou un substitut Un président de Cour d'Assises, en vertu de son pouvoir discrétionnaire. L’autorité judiciaire a la possibilité de requérir, sans restriction alors que récemment, son pouvoir était limité à l’exécution judiciaire par l’article R.30-12 du code pénal. La réquisition Judiciaire est une mesure entourée par un cadre légal définie dans le code de procédure pénale, c’est une injonction ou un ordre qui entraîne une exécution immédiate. L’alinéa premier de l’article 77-1 du code de procédure pénale encadre la réquisition comme suit « S’il y a lieu de procéder à des constatations ou à des examens techniques ou scientifiques, le P.R. ou, sur autorisation de celui-ci, l’OPJ a recours à toutes personnes qualifiées. » Lorsque le juge d’instruction n’a pas été saisi, c’est le procureur de la République qui dirige l’enquête judiciaire. Il possède toute latitude pour recourir à des experts qui assisteront les enquêteurs. 15 C’est ce que la procédure pénale prévoit dans le « recours à des personnes qualifiées ». Ce pouvoir tendra à se renforcer dans le contexte d’une disparition programmée du magistrat instructeur, il permet au procureur d’éviter le recours au juge d’instruction chaque fois qu’un problème technique se pose. Cette possibilité permet au parquet d’associer l’expert au travail des enquêteurs qui sont autorisés à pratiquer la réquisition dans une procédure de flagrant délit11 s’ils possèdent la qualité d’officier de la police judiciaire. Il peut s’agir d’une réquisition pour une prestation de service, qui peut être réalisée par toutes personnes (tiers, professionnel, APJ) sous le contrôle de l’OPJ dans le cadre d’une enquête préliminaire. La réquisition de service est destinée à demander l’exécution d’un travail qui nécessite une connaissance ou une compétence particulière comme l’ouverture de porte par un serrurier, l’enlèvement d’un cadavre par les pompiers, la prise en charge d’un blessé par une ambulance, un renseignement spécifique. Dans ce genre de réquisition, la personne requise ne prête pas serment et ne fournit aucun avis, constat ou rapport. Elle est cependant passible d’une contravention de seconde classe en cas de refus injustifié de déférer à la réquisition. La procédure est justifiée dans une décision de la Cour d’appel de Grenoble en date du 7 juillet 2000 qui précise que si les réquisitions dites « à manœuvrier » entre dans le champ d’application de l’article 77-1 du code de procédure pénale, elles n’exigent pas pour autant le formalisme exigé pour les personnes qualifiées, attendu que les réquisitions dites « de service » sont des actes simples permettant d’orienter utilement l’enquête. 11 Article 62 du code de procédure pénale 16 La réquisition à personne qualifiée doit en effet, observer un formalisme rigoureux en ce qu’elle relève de la compétence d’un OPJ et qu’elle est soumise aux articles 77-1 et 60 du code de procédure pénale et 151 du code pénal. La réquisition à personne qualifiée comporte une mission précise qui doit être signifiée par écrit et doit être signée de l’autorité judiciaire, le visa du parquet ou du magistrat demandeur est un impératif qui vaut à peine de nullité. Le procureur de la République peut requérir une information, notamment pour rechercher les causes d’une mort, si la mort est d'origine criminelle, la procédure de flagrant délit12 permet à l'OPJ de pratiquer la réquisition sous le contrôle du parquet. L’article 60 du code de procédure pénale souligne le caractère d’urgence, il dispose que « s'il y a lieu de procéder à des consultations ou des examens techniques ou scientifiques qui ne peuvent être différés, l'officier de police judiciaire a recours à une personne qualifiée » . La réquisition en ce cas, consiste à pratiquer un ou plusieurs examens techniques qui détailleront la preuve d'une infraction avant que ces dernières ne dépérissent ou disparaissent. Dans le cas de coups et blessures, de découverte d’un cadavre, c’est le corps médical qui sera sollicité pour procéder au constat de la matérialité de l’infraction. Les textes indiquent que la réquisition est impérative et nominative et que le médecin requis est tenu de déférer à cette dernière, celui-ci est « obligé » vis-à-vis des dispositions de l'article R.642-1 du Code pénal13, mais également de celles contenues à l’article L.4163-3 alinéa 2 du code de la santé publique qui prévoit une amende de 3.750 euros si le requis n’a pas fait droit aux réquisitions de l’autorité publique. 12 Article 62 du code de procédure pénale Article R.642-1 du CP « le fait, sans motif légitime de refuser ou de négliger de répondre à une réquisition, est puni de l’amende prévue par les contraventions de 2ème classe. » 13 17 1.1.C LES EXPERTISES JUDICIAIRES Dans le procès pénal, l’encadrement de la procédure expertale s’applique dans un schéma vertical où le juge contrôle la personne qualifiée dans la mission qu’il va lui confier en définissant ses limites par un encadrement de questions précises, l’expert s’y conformera selon la doctrine expertale « la mission et rien que la mission »14 Cette instrumentalisation relève d’une politique souverainiste qui guide la main invisible du droit où l’expertise n’est pas censée s’écarter du cadre fixé par le juge sans le risque d’altérer « la pureté de la fonction juridictionnelle »15 L’avocat doit défendre les intérêts des personnes qu’il représente, dans l’expertise son rôle appuie ou combat les conclusions d’une expertise, son objectif n’est pas de rechercher une quelconque vérité mais d’obtenir l’adhésion même momentanée du juge dans son argumentation qui sera reprise dans la motivation d’une décision. Il s’agit ici d’une stratégie de la règle du contradictoire où un rapport de force s’engage contre « l’adversaire », car le magistrat jouit d’une liberté d’action dans la présentation du rapport d’expertise qu’il peut évaluer, rejeter ou entériner avant d’en faire ou non la source de sa décision. Le recours à l’expert est un recours à « la personne qualifiée », à « l’homme de l’art », c’est le technicien, le comptable, l’artiste, le médecin etc. qui accepte de mettre son savoir au service de la Justice. L’expert judiciaire ne dispose d’aucun statut dans le corps judiciaire, il reste affilié à sa profession et attaché à son organisation professionnelle, la dénomination relève plus d’une qualité que d’un titre selon un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de Cassation en date du 10 janvier 1991. 14 Article 158 du CPP « La mission des experts qui ne peut avoir pour objet que l'examen de questions d'ordre technique est précisée dans la décision qui ordonne l'expertise » 15 Bruno Oppetit « les rôles respectifs du juge dans l’administration de la preuve … » in IEJ 1976 p. 62 18 Son serment est un appel solennel à l’honneur et à la conscience, il s’agit d’un rappel du principe de loyauté qui doit accompagner l’expert dans sa mission et dont les modalités sont prévues par les articles 77-1 al.2, 157 et 160 du code de procédure pénale. La qualité d’expert est ainsi reconnue à toutes personnes qualifiées qui restent soumises à l’article 60 du code de procédure pénale. L’existence de la mission suffit à déterminer la qualité qu’elles soient ou non inscrites sur les listes de la cour d’appel comme le prévoit l’article 157 du code de procédure pénale. C’est ainsi que la jurisprudence définit le rôle de l’expert comme une personne qualifiée désignée par le Juge et qui donne en toute indépendance et impartialité un avis d’ordre technique. Le rapport d’expertise se divise en général en quatre parties distinctes : 1. Un préambule qui rappelle les termes de la mission, un résumé de la procédure avec une distinction des parties en présence et leurs positions respectives. 2. Un exposé des différentes phases de l’expertise 3. Une discussion des éléments recueillis 4. L’avis de l’expert C’est l’absence d’intérêt personnel qui détermine le caractère exceptionnel de la parole de l’expert dont l’acte possède la valeur de la force probante absolue16, le rapport contribue à attester de la réalité ou d’une réalité, il s’agit donc d’une démonstration de causalités qui éclaire une situation qui échappe plus ou moins à la compréhension du Juge. Si la nature exogène de l’expertise dans le procès pénal contribue à l’élaboration d’une décision, elle ne garantie pas pour autant l’infaillibilité des résultats, car comme le souligne Karl Popper, les procédures de l’expert sont soumises au critère de falsification17 . 16 17 Michel olivier « l’expertise en matière civile » de l’expertise et des experts T.2 p.20 Karl Popper « conjonctures et réfutations. La croissance du savoir scientifique » Paris ed. Payot 1985 19 Le principe du contradictoire et de la contre expertise sont par conséquent indispensables tout particulièrement dans les sciences humaines et les sciences appliquées plus favorables à l’interprétation subjective. L’avocat ne doit donc pas sous estimer la force d’un rapport d’expertise défavorable pour son client et doit agir en conséquence, notamment en cas de non respect de la procédure, où quand la qualité du rapport d’expert est de mauvaise qualité, plein d’erreurs où entaché d’un vice de forme. 20 1.1.C.1 LA DEMANDE D’EXPERTISE PAR LE MAGISTRAT INSTRUCTEUR. Le recours à une expertise est prévu par les dispositions de l’article 156 du code de procédure pénale, c’est une décision rendue sous la forme d’une ordonnance de commission d’expert par le juge. Le choix d’un expert dans l’instruction repose donc sur le magistrat, l’expert qui sera désigné peut être inscrit sur la liste des experts inscrits auprès de la Cour d’appel18 mais cela n’est pas obligatoire. Selon le principe « Audiatur et altera pars »19 les parties en présence doivent être entendues. Le secret de l’instruction et la « solitude » du juge tendent à donner à l’expertise un caractère non contradictoire contraire à l’article 6§1 de la CEDH qui détermine la notion d’égalité des armes et qui doit s’appliquer à tout moment de la procédure. Il est possible de désigner plusieurs experts contre un seul, la procédure civile retenait en 1806 le principe d’une collégialité à trois, jusqu’à la loi du 15 juillet 1944 qui décida d’une réduction de cette pluralité à un seul expert. En matière pénale les textes élaborés en 1958 prévoyaient deux experts jusqu’à l’ordonnance du 4 juin 1960 qui autorisait au juge de n’en choisir qu’un seul. La loi du 30 décembre 1985 met fin au principe de collégialité des experts, et l’article 159 du code de procédure pénale reprend pour règle la désignation d’un seul expert. La commission de plusieurs experts sur une même mission par le magistrat instructeur est donc une mesure inhabituelle au regard des textes et doit être spécialement motivée. Cette pluralité ne donnera pas au juge autant de rapport qu’il y a d’expert mais un seul avec cependant les avis de chaque co-expert. 18 19 Article 157 du code de procédure pénale « Qu'on entende l'autre partie également » traduction, se dit à propos d’un procès ou d’une contestation 21 La loi n° 2007-291 du 5 mars 2007 organise le caractère contradictoire dans l’instruction d’un dossier, le juge d’instruction qui ordonne une expertise doit avant de saisir l’expert communiquer la copie de l’ordonnance au Procureur de la République et aux parties. Les nouvelles dispositions de l’article 161-1 du CPP prévoient que la copie de la décision du juge d’instruction ordonnant l’expertise est adressée sans délai au procureur de la République et aux avocats des parties. Cette nouveauté est d’importance car avant la loi du 5 mars 2007, le secret de l’instruction ne permettait pas aux parties de connaître une mesure d’expertise décidée par le juge, ainsi les termes de la mission de l’expert demeuraient parfaitement inconnus par la défense. Enfin l’article 161-2 du CPP permet au juge d’instruction qui accorde à l’expert un délai supérieur à un an, le droit de requérir avant l’expiration du délai un rapport d’étape qui sera notifié aux parties comme rapport provisoire, celles-ci pourront alors adresser au juge et à l’expert des observations en vue du rapport définitif. Le titre IX du code de procédure pénale révisé par la loi du 5 mars 2007 vise donc à renforcer le caractère contradictoire de l'expertise, c’est ainsi que la loi introduit deux importantes dispositions : celle du rapport d’étape et celle du rapport provisoire. Afin de limiter les longueurs de transmission, l’article 166 du code al. 4 offre la possibilité à l’expert de communiquer les conclusions du rapport auprès du ministère public et aux avocats des parties mais toujours avec l’accord du magistrat instructeur. Les nouvelles dispositions permettent au ministère public et aux avocats des parties de demander dans un délai de dix jours suivant une commission d’experts par le juge d’instruction : d'adjoindre un expert à celui ou à ceux désignés par le magistrat modifier ou compléter les questions posées à l'expert. 22 L'association française des magistrats instructeurs s’est montrée particulièrement sévère envers ces mesures qu’elle considère comme « une atteinte à l'efficacité de l'enquête dans la divulgation du contenu des expertises en cours. » Cette appréciation apparaît exagérée dans la mesure où l’évolution de la procédure ne consacre plus le caractère secret de l’instruction et que l’avocat dans la procédure pénale ne peut intervenir que par observations après notification du rapport provisoire ou du rapport définitif. Le projet de loi prévoyait explicitement que la décision ordonnant l'expertise n'est pas transmise aux parties en cas d'urgence ou si cette communication « risque d'entraver l'accomplissement des investigations.» 23 1.1.C. 2 LA DEMANDE D’EXPERTISE PAR L’AVOCAT. Nous savons que les parties disposent depuis 2007 d'une capacité d'initiative accrue en matière d’expertise et le Conseil National des Barreaux avait précédé ces réformes en se rapprochant de la Fédération Nationale des Compagnies d'Experts Judiciaires. Le 18 novembre 2005 une charte de recommandations entre le CNB et la FNCEJ a été signée sur les bons usages entre experts et avocats.20 On doit L’initiative de cette démarche au Conseil nationale des barreaux qui esquissait un rapprochement entre l’avocat et l’expert pour temporiser le défaut du contradictoire qui dénaturait le principe de l’égalité des armes. Sans doute la loi du 5 mars 2007 a modifié une situation tendue qui explique une certaine frustration de l’avocat dans le rapport qu’il peut entretenir avec l’expert. Cela n’emporte pas véritablement une suspicion systématique que l’avocat manifesterait à l’égard des experts, en fait ce que l’avocat redoute le plus est le déficit d’information qui met en péril les moyens de sa défense. Car les moyens d’une partie doivent disposer d’une parfaite liberté et de la maîtrise totale de l’accès des sources d’informations sous peine de formuler à l'issue d'une expertise le reproche de partialité Les parties peuvent aujourd’hui demander au juge d'instruction d'ordonner une expertise sur un aspect du dossier en précisant le choix de leurs questions. Le nouvel article 161-1 du code de procédure pénale installe la discussion des parties qui disposent de dix jours après la notification de la décision du juge d'instruction qui ordonne l'expertise pour lui demander de modifier ou compléter les questions posées à l'expert. L’article prévoit que si les parties l’estiment nécessaire et si les circonstances le justifient, ils peuvent demander d'adjoindre à l'expert ou aux experts déjà désignés un expert de leur choix 20 Recommandations sur les bons usages entre avocats et experts du 18.11.2005 24 qui doit figurer sur la liste nationale dressée par la Cour de Cassation ou sur les listes dressées par les Cours d'appel. Le juge d'instruction ne peut refuser cette demande que par une ordonnance motivée au plus tard dans le délai d'un mois à compter de la réception de la demande Les limites du débat contradictoire dépendent de la bonne ou de la mauvaise interprétation d’une expertise, la multiplication des techniques scientifiques peuvent nous conduire à envisager un nouveau métier de personnes capables de comprendre et traduire le même langage que l’expert judiciaire en jouant un rôle d’interface entre les parties en présence. C’est devant cette évolution que selon toute vraisemblance, les avocats spécialisés supplanteront les avocats généralistes. Mais dans sa culture, l’avocat français admet difficilement son incompétence dans un domaine en particulier, cela concerne plus les avocats généralistes et ce mode de pensée est appuyé par les centres de formation des avocats qui demandent une connaissance générale du droit processuel, cette position explique que la défense d’une partie peut être mal représentée si elle se situe en dehors du débat technique à l’instruction et à l’audience Le risque du hors-jeu est donc permanent quand des difficultés de compréhension apparaissent, ce qui engage la responsabilité professionnelle de l’avocat. Il est utile de rappeler à ce propos que l’avocat qui a prêté serment de probité a moins d'excuses pour le transgresser qu’un simple justiciable. L'avocat qui cause un préjudice à son client peut être envisagé sous différentes hypothèses, il n'a pas été diligent, il a été négligent, inconséquent, absent ou franchement malhonnête et une procédure qui aurait pu être gagnée se retrouve perdue. La loi de 2007 qui crée les pôles spécialisés d’instruction oblige les magistrats et les représentants des parties à se préparer pour mieux appréhender les dossiers qui nécessitent une connaissance particulière. 25 Le décret n° 2009-313 du 20 mars 2009 remplace l’article D15-4-4 du CCP par un nouvel article énumérant les Tribunaux de grande instance dotés de pôles d’instruction et le ressort de compétence territoriale de ceux-ci21 Les pôles spécialisés d’instruction suivent l’exemple réussi des Juridictions interrégionales spécialisées (JIRS) qui traitent efficacement des dossiers de délinquance organisée au niveau interrégional et qui sont chargées des plus gros dossiers de délinquance et de criminalité organisées. La loi n° 2004-130 du 11 février 2004 et le décret 2004-1463 du 23 décembre 2004 modifié le 19 juillet 2007 réforment le statut des experts judiciaires tel qu’il était prévu par la loi du 29 juin 1971, il est désormais indispensable pour un expert judiciaire agréé auprès d’une Cour d'appel de suivre une formation continue. La loi permet non seulement d’évaluer les connaissances de l’expert dans sa spécialité mais contrôle également sa connaissance dans « les principes du procès et des règles de procédure applicables aux mesures d'instruction » Les dispositions des lois de 2007 ci-dessus rappelées permettent de meilleures garanties sur la compétence de l’expert et du magistrat instructeur. Il est dommage que le conseil national des barreaux (CNB) ne prenne pas véritablement en considération l’importante évolution de la situation. Le CNB estimait en 2008 que « La complexité croissante du droit, de la procédure et des contentieux, impose une technicité accrue des avocats. En outre, la réponse aux besoins de notre clientèle, qui réclame toujours plus de compétences, rend nécessaire l’accession du plus grand nombre à une ou plusieurs spécialités. » 21 Le 22 mars 2009, le ministère de la Justice a fait publier au Journal officiel un nouveau décret fixant la liste des 91 pôles d’instruction suite à l’annulation partielle en décembre 2008 du Conseil d’Etat du précédent décret du 16 janvier 2008. Source : Décret n° 2009-313, 20 mars 2009 : JO 22 mars 2009, p. 5188 - F V. http://pratiquepenale.free.fr 26 Mais dans la réalité l’avocat reste seul pour se remettre en question et redéfinir son rôle dans la représentation d’une partie. Nous prendrons par exemple, l’avocat spécialiste en finances, dans la réglementation bancaire avec à l’appui de sa formation juridique une seconde formation d’économiste. Peut-il apprécier avec justesse les conclusions d’une analyse chimique ou de la configuration architecturale d’un logiciel ou bien de la différence qui existe entre l’ADN nucléaire et l’ADN mitochondrial ? C’est pourquoi l’avocat s’attachera à comprendre les tenants et aboutissants d’une expertise et veiller à une description intelligible du rapport qui éclaire les zones favorables aux intérêts du client. 1.1.C.2.a LES EXPERTISES PSYCHIATRIQUES Les expertises qui appellent le plus de réserves sont sans conteste les expertises psychiatriques qui, pour des raisons d’éthiques médicales se situent en dehors du contradictoire, la personne examinée est lors de l’examen sans assistance et entièrement livré à un regard inquisiteur qui va évaluer son degré de conscience. Nous sommes ici loin des vérités mathématiques tant le débat sur la conscience est ici subjectif et où les expertises de ce type se contredisent souvent entre elles. L’enjeu de l’expertise psychiatrique est de déterminer si le sujet présente une dangerosité particulière, s’il est réadaptable, s’il était en état de conscience lors de la commission des faits et s’il est accessible à une sanction pénale. La part de l’intuitif a été dénoncée lors du procès d’Outreau et l’expertise psychiatrique doit pour survivre à ses approximations être entièrement repensée car il ne peut y avoir d’expertise équitable sans possibilité de la contester. Dans le contenu de la loi de 2007, l’article 161-2 du CPP comporte trois dispositions qui renforcent et organisent les droits des parties vis-à-vis des experts. 27 La première permet l’information de l’avocat lors de la fin de l’expertise, la seconde lui permet de poser directement les questions « à toutes les personnes appelées à la barre », parmi lesquelles les experts. Enfin la troisième disposition offre la possibilité aux avocats des parties de saisir directement la chambre de l’instruction si dans un délai d’un mois, le juge d’instruction ne statue pas sur le rejet des demandes de contre-expertise et/ou de nouvelle expertise. Avant la réforme de 2007, c’était effectivement au Président de la chambre de l’instruction d’estimer si l’appel de l’ordonnance du juge d’instruction qui rejette une demande d’actes par l’avocat justifiait la saisine de la chambre de l’instruction. L’appréciation du Juge d’instruction coordonne l’intervention des parties dans l'expertise, il s’agit là d’un lien de subordination qui peut restreindre certaines garanties. Dans la phase de l’instruction, l’avocat doit appréhender avec précisions les éléments d’une expertise et veiller à ce que l’interprétation du juge ne soit pas erronée et qui pourrait tromper la religion d’un Tribunal ou d’une Cour. Il ne resterait alors que l’audience de jugement pour débattre contradictoirement de l’expertise, puisque comme il a été rappelé plus haut, « l'avocat peut interroger l'expert déposant à la barre et lui opposer l'avis d'un autre expert. » 28 1.2 L’EXPERTISE 1.2.A LE RAPPORT PROVISOIRE Si l’instruction peut désormais disposer d’un rapport d’étape prévu à l’article 161-2 du code de procédure pénale, elle peut également obtenir de l’expert un rapport provisoire avant son rapport définitif. Le magistrat instructeur peut s’informer des expertises en cours et demander à l’expert un rapport provisoire, cette mesure prévue à l’article 167-2 du CPP sert à orienter une enquête dans les demandes du juge auprès des services de police. Le dépôt du rapport provisoire est obligatoire lorsqu’il est requis par le procureur de la République ou si l’un des avocats des parties en fait la demande selon l’avant dernier alinéa de l’article 81 du code de procédure pénale. Ce rapport doit faire l’objet d’observations qui doivent obligatoirement intervenir dans des délais fixes. 1.2.A.1 SUR LES DÉLAIS DES PARTIES : L’avocat des parties dispose d’un délai fixé par le juge d’instruction, il ne peut être inférieur à quinze jours ou un mois s’il s’agit d’une expertise comptable ou financière. Les délais pour agir peuvent être volontairement limités par le juge mais dans les limites prévues par la loi, c’est ainsi que le délai commence à courir le jour de l’envoi de l’ordonnance du juge qui fixe le délai à quinze jours. Dans la pratique de l’instruction pénale il n’est pas rare que des magistrats instructeur expédient les ordonnances le vendredi après midi à la veille d’un long week-end. Ainsi l’avocat qui reçoit le rapport provisoire de l’expert le mardi ou mercredi suivant voit les délais dont il dispose, diminués d’un tiers (5 jours pour 15 jours) pour une expertise qui n’est pas financière. 29 La jurisprudence a fait évoluer les délais dont disposaient les avocats des parties en matière d’appel, les rigueurs de la jurisprudence sur l'absence d'avis de réception, ou de la date de présentation du pli au destinataire doivent permettre à l’avocat d’exercer un droit de recours le cas échéant. Dans la mesure ou cette pratique prive l’une des parties au procès d’exercer son droit de recours, elle est contraire à l’article 6§1 de la convention européenne des droits de l’homme. La Cour de Cassation estime que « Les arrêts du 22 mai et du 28 octobre 2008 mettent fin à la jurisprudence retenant comme point de départ pour le délai d'appel contre une ordonnance du juge d'instruction la date de notification indiquée par le greffier sur l'ordonnance. Désormais, doit être retenue la date de remise du pli recommandé à la poste. » Cela ne sera pas suffisant pour limiter l’inflation de règlement de procédure au titre de l’article 175 du code de procédure pénale entre les 15 et 21 juillet. 1.2.A.2 SUR LES OBSERVATIONS DES PARTIES Dans la pratique pénale, l’expert doit respecter les dispositions de l’article 164 du CPP s’il souhaite recueillir des observations de la personne mise en examen, du témoin assisté ou de la partie civile. L’article 164 prévoit en effet l’autorisation préalable du juge d’instruction ou du magistrat désigné par la juridiction pour recueillir leurs observations. Ainsi quand l’expert dépose son rapport provisoire, il doit tenir compte des observations qui lui seront soumises. Un arrêt de la Cour de Cassation en date du 17 janvier 2006 rappelle cette règle et expose que « l’expert désigné ne peut recevoir, à titre de renseignement et pour le seul accomplissement de sa mission, les déclarations de la personne mise en examen, du témoin assisté ou de la partie civile, que si le juge d’instruction l’y a autorisé. » Si le rapport contient des inexactitudes et/ou des conclusions préjudiciables pour le mis en cause ou la partie civile, l’avocat doit soumettre à l’expert des questions pertinentes et utiles aux intérêts de la partie qu’il représente 30 En l’absence d’observation dans les délais fixés, le rapport provisoire est considéré comme définitif. L’article 165 du code de procédure pénale permet aux parties de demander pendant le cours de l’expertise qu’il soit prescrit à « l’expert de procéder à certaines recherches ou auditions leur paraissant utiles au plan technique ». Un arrêt de la chambre criminelle en date du 11 avril 1965 précise les limites des dispositions qui entourent les observations des parties, ainsi dés lors qu’une personne a été inculpée (mise en examen) à la suite du rapport d’expertise, la Cour de Cassation considère qu’il n’y pas de violation des droits de la défense attendu que la personne a toute latitude pour solliciter une contre expertise ou expertise complémentaire.22 La personne ne peut plus faire des observations mais seulement une demande d’expertise complémentaire conformément à l’article 167 du CPP dans les délais fixés par le magistrat instructeur. Ces conditions très restrictives ne permettent pas d’apprécier la pertinence du caractère contradictoire dans la procédure, c’est donc sur le résultat d’une première expertise que le Juge devra statuer sur l’opportunité d’en ordonner une seconde. 22 Crim.11 avril 1970 : Bull. crim. n° 118 31 1.2.B LE RAPPORT DÉFINITIF Avant la rédaction de son rapport définitif, l’expert doit puiser les éléments de ses conclusions dans les notes de synthèse et/ou du rapport provisoire, il est regrettable en l’espèce que l’avocat ne puisse avoir accès à ces notes pour évaluer les progrès d’une expertise. La procédure pénale devrait s’inspirer de la procédure civile où l’avocat peut effectivement s’investir dans l'expertise en cours en demandant de statuer sur des incohérences, des contradictions ou des aspects du dossier qui seraient occultés, cette procédure est écrite comme le prévoit les dispositions de l’article 276 du Nouveau Code de Procédure Civile (NCPC), ces écrits sont appelées « dires ». Quand l’expertise est terminée, l’expert rédige un rapport qui contient le détail des expertises ainsi que leurs conclusions, si les parties ont versé leurs observations à l’issue d’un rapport provisoire, l’expert doit en tenir compte et répondre aux interrogations et aux questions posées. Il arrive que plusieurs experts soient d'avis différents, les réserves formulées sur des conclusions en commun doivent indiquer les motifs propres à ces réserves, le rapport est remis au greffe du juge d’instruction ou de la juridiction qui a ordonné l’expertise, ce dépôt fait l’objet d’un procès-verbal. 1.2.B.1 LES NOTIFICATIONS DES RAPPORTS Ce rapport peut être directement adressé aux différentes parties par l’expert avec l'accord du juge d'instruction, mais la règle veut que ce soit le juge d'instruction qui communique les conclusions des experts aux parties et aux avocats après les avoir convoqués comme le prévoit le deuxième alinéa de l'article 114 du CPP. La copie intégrale du rapport est remise aux avocats des parties sur demande faite par lettre recommandée, les conclusions du rapport d’expertise peuvent aussi être notifié par lettre recommandée ou par les soins du chef de l'établissement pénitentiaire lorsque la personne mise en cause est détenue. 32 Les avocats des parties qui disposent d'un télécopieur et/ou d’une adresse électronique peuvent se faire adresser l'intégralité du rapport par télécopie et/ou courriel selon les modalités prévues par l'article 803-1 du CPP 33 1.2.C DISTINCTION DES EXPERTISES COMPLÉMENTAIRES Les différentes expertises complémentaires peuvent être distinguées en deux catégories. 1. la contre expertise 2. l’expertise complémentaire En considérant dans une première hypothèse, que les conclusions de l’expert soient contraires à la logique de l’enquête judiciaire, les avocats des parties, le ministère public et même le juge d’instruction peuvent demander une contre expertise. Dans une seconde hypothèse, la mission de l’expert n’apporte pas les réponses souhaitées ou bien la mission n’est effectuée que partiellement voire être jugée inacceptable, les avocats des parties peuvent demander une nouvelle expertise ou une expertise complémentaire. L’information de l’enquête peut conduire à une nouvelle expertise, ce peut être le cas quand le magistrat en charge du dossier estime que la mission ne l’a pas renseigné d’une manière satisfaisante. Pendant l’information le dossier évolue et des nouvelles circonstances peuvent exiger d’autres expertises. Nous avons précédemment évoqué les limites d’une mission d’expertise tenue à la règle doctrinale « la mission et rien que la mission ». Si donc de nouveaux éléments apparaissent, l’expert reste enfermé dans les limites de sa mission, il ne peut se substituer au juge en évoquant la nécessité d’une extension de sa mission ou celle d’une nouvelle expertise. Sans doute, pourrait-il habilement suggérer de l’utilité d’une nouvelle mission sans forcer le trait ou bien se gardera t’il de le faire pour ménager d’éventuelles susceptibilités. Ce n’est que vers la fin d’une mission soit après la notification du rapport provisoire, du rapport d’étape ou du rapport définitif que les avocats peuvent intervenir pour « ajuster » l’expertise dans l’intérêt des parties qu’ils représentent. 34 L’expertise peut rencontrer des difficultés et l’expert peut solliciter du juge l’aide d’un sapiteur23 dont les compétences spécifiques permettent d'apporter un avis éclairé sur un aspect de la mission d’expertise, il doit prêter le serment prévu par la loi nº 71-498 du 29 juin 1971. Il s’agit ici plus d’un consultant que d’un second expert, son avis se limite en général à une partie spécifique de la mission et non pas à la mission dans son ensemble. Aux termes de l’article 162, alinéa 3 le rapport du sapiteur doit être intégralement annexé au rapport de l’expert. Le Juge adresse les conclusions de l’expertise par voie de notification, au prévenu ou l’accusé et aux avocats des parties selon les modalités prévues par l’article 803-1 du code de procédure pénale, l’intégralité du rapport peut être adressé par lettre recommandée ou par courriel à la demande de ces derniers. L’article 167 du CCP dispose que dans tous les cas, « le juge d'instruction fixe un délai aux parties pour présenter des observations ou formuler une demande, notamment aux fins de complément d'expertise ou de contre-expertise. » 23 : Michel OLIVIER - Mesure d’instruction confiée à un technicien - Répertoire de procédure civil - Ed Dalloz – 1997. page 26 35 1.2.C.1 LA CONTRE EXPERTISE Le principe en droit pénal reste l’intime conviction du juge, cela implique que l’expertise n’aboutira pas systématiquement à une condamnation, le rapport de l’expert qui sert à l’accusation doit dans un autre moyen servir à la défense. Il importe pour les avocats des parties d’étayer les éléments issus des moyens de l’enquête qui leurs seront favorables, ainsi lorsqu’une expertise est contraire aux intérêts de l’une des parties au procès pénal, la contre expertise peut être demandée pour rétablir un déséquilibre ou à tout le moins atténuer une responsabilité. Les demandes de complément d’expertise et de contre expertise doivent être formées dans le délai fixé par le juge d'instruction, le silence des parties au-delà des délais entérine le rapport et il n’est plus possible de solliciter une demande de contre-expertise, de complément d’expertise voire d’une nouvelle expertise sur les mêmes faits. Cette demande doit être formée conformément aux dispositions du dixième alinéa de l'article 81 du code de procédure pénale. Le nouvel article 175 du code de procédure pénale prévoit désormais que le parquet et les parties disposent ensemble des mêmes délais d’un mois si le mis en cause est en détention ou trois mois s’il est en liberté, pour présenter les réquisitions pour le parquet et les observations et demandes d’actes pour les avocats des parties. Il est donc possible aux parties d’adresser des observations écrites au juge, observations qui doivent être communiquées au ministère public qui peut y répondre. A l’expiration de ces délais, le parquet et les parties disposent d’un délai de 10 jours si la personne est détenue ou d’un mois si elle est libre pour adresser des réquisitions ou observations complémentaires en réponse aux observations qui leur ont été précédemment communiquées. Ainsi s’il apparaît que de nouvelles circonstances dans l’enquête exigent une ou plusieurs missions d’expertise l’avocat doit présenter une requête en ce sens et à l’issue de ses 36 observations, cependant il ne semble pas possible de solliciter une mission d’expertise déjà ordonnée par le juge et où le rapport définitif de l’expert n’a pas fait l’objet d’une mesure de contre expertise. Les demandes d’expertises complémentaires ne peuvent être sollicitées que sur des faits qui n’ont pas fait l’objet d’une mission expertale. Le sénat avait lors des discussions parlementaires de la loi du 5 mars 2007 envisagé la reconnaissance de la demande de contre-expertise comme un droit, la procédure pénale contenant déjà des dispositions en ce sens dans l’expertise psychiatrique. L’article 167-1 prévoit que les conclusions de l’expert qui relèverait l’irresponsabilité mentale24 d’un mis en cause peut faire l’objet d’observations de la partie civile qui peut demander une contre expertise qui est de droit, elle doit être accomplie par au moins deux experts. Elle est également de droit dans le cadre de la loi très contreversée de la rétention de sûreté. L’article 706-53-15 du code de procédure pénale dispose que « dans le débat contradictoire… et, si le condamné le demande, public, au cours duquel le condamné est assisté par un avocat choisi ou commis d’office. La contre-expertise sollicitée par le condamné est de droit » La contre expertise est en fait une source d’appel dans la contestation de l’une des partie s’il estime le rapport d’expert partial ou erroné, et cela ne reste qu’une possibilité laissée à l’appréciation souveraine du juge sauf dans les cas rappelés plus haut. Le principe du contradictoire ne s’est pas étendu partout malgré les mérites de la loi du 5 mars 2007, elle ne permet pas une contre expertise de droit comme le prévoit le droit anglo saxon. 24 Article 122-1 du code pénal « N'est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes. » 37 1.2.C.2 L’EXPERTISE COMPLÉMENTAIRE Il est regrettable que le complément d’expertise en procédure pénale ne soit pas distingué de la contre expertise et que cette mesure prévue à l’article 167 du code de procédure pénale se confonde dans la contre expertise. Pourtant les professionnels du droit s’accordent à penser que le complément d’expertise ne remet pas en cause une expertise sur le fond ou la forme, mais qu’elle est sollicitée lorsque certaines questions demandent des réponses supplémentaires dans le rapport de l’expert. Cette distinction apparait dans la procédure civile où l’examen et la critique d’un rapport d'expertise judiciaire appartient au tribunal, les demandes de contre expertise sont adressées au tribunal, qui statue sur le fond du dossier et le juge de la mise en état peut ordonner un complément d'expertise, dans le cadre de l'instruction du dossier et sans préjuger du fond. Il ne s’agit pas ici de refaire une expertise mais d’ajouter des renseignements à une expertise cette mesure va se focaliser sur un ou plusieurs éléments clefs qui sont essentiels à l’évaluation des responsabilités. L’expertise complémentaire est donc une démarche qui contribue à améliorer la transparence d’une instruction et par ce biais, accroître l’efficacité d’un rapport d’expertise tout en garantissant le droit à l’équité. Le droit à un procès équitable, à l’égalité des armes n’est pas un concept nouveau, mais sa codification ne signifie pas pour autant que ce principe soit respecté. L’article 6 de la convention européenne des droits de l’homme reprend dans ses dispositions la garantie du procès équitable qui a été ratifié par la France, pourtant les nombreuses condamnations de la France par la commission européenne des droits de l’homme expose la l’application de notre droit dans des tergiversations que le législateur a bien du mal à gérer. 25 25 O. Dutheillet de Lamothe - L’influence de la Cour Européenne des droits de l’homme sur le conseil constitutionnel – Rapport en annexe 38 1.2.C.1.a LE REJET DES EXPERTISES COMPLÉMENTAIRES Le juge d’instruction peut rejeter la demande d’une expertise complémentaire ou de contreexpertise, il doit cependant motiver son ordonnance et sa décision doit intervenir sous un mois à compter de la réception de la demande. Le rejet peut être partiel, par exemple, le juge d'instruction commet un expert alors que le demandeur en a sollicité plusieurs. Il devra donc statuer dans le délai rappelé plus haut, faute de quoi la partie peut saisir directement la chambre de l'instruction. La règle n’est toutefois pas la même selon le statut du mis en cause, soit il est mis en examen, soit témoin assisté, dans ce dernier cas le magistrat instructeur n’est pas tenu de rendre une ordonnance motivée s'il estime que la demande n'est pas justifiée La seule solution envisageable reste pour le témoin assisté de demander à être mis en examen en application de l'article 113-6 du code de procédure pénale. 1.2.C.1.b LES RECOURS La chambre de l'instruction, saisie du règlement de la procédure peut à la demande des parties ordonner un complément d’expertise ou de contre-expertise sans qu’on puisse leur opposer l'expiration du délai prévu par l'article 167, alinéa 3, du CPP. C’est en effet au moment du règlement que la jurisprudence se montrera intéressante pour l’avocat d’une partie qui souhaite apurer les difficultés sur ses demandes d’expertises complémentaires ou de contre expertises La jurisprudence va dans le sens de ces dispositions, la Cour de Cassation en date du 19 septembre 1995 a en effet décidé que « la demande de complément d’information n’est soumise devant la chambre d’accusation à aucune condition de recevabilité »26 26 Crim. 19 sept. 1995 – Bull. crim. n°272 39 La chambre criminelle précisera le 2 octobre 2001 que le complément d’expertise ou la contre expertise peuvent être demander par les parties à la chambre d’instruction « sans que le délai prévu à l’alinéa 3 de l’article 167 du code de procédure pénale puisse leur être opposé »27 27 Crim. 2 oct. 2001 – Bull. crim. n° 184 40 TITRE 2 LE PROCÈS PÉNAL 41 2.A DISTINCTION DES TRIBUNAUX CORRECTIONNELS ET DES COURS D’ASSISES Dans le vocable judiciaire le tribunal correctionnel doit être distingué de la Cour d’assises. Le tribunal est compétent pour juger des délits commis par des personnes majeures, les délits commis par les mineurs sont jugés par le tribunal des enfants. Les personnes qui comparaissent devant le tribunal correctionnel sont des prévenus qui sont susceptibles d’être retenus dans les liens de la prévention, la compétence du tribunal s'étend aux complices et coauteurs de l'infraction. La présomption d'innocence est la règle que doivent observer les tribunaux. Les victimes qui entendent demander la réparation d’un préjudice par l'infraction peuvent se constituer auprès du procureur avant l’enquête, pendant la phase d’instruction mais doivent obligatoirement se constituer partie civile à l’audience pour être reçu en cette qualité par les Juges. Les débats sont publics mais à la demande de l’une ou l’autre des parties, le huis clos peut être ordonné, il s’agira notamment de veiller à une publicité qui peut être préjudiciable à l'intérêt des tiers ou porter atteinte à la dignité d’une personne. Les conclusions de nullité ou d'incompétence du tribunal sont obligatoirement déposées avant tout débats sur le fond, le tribunal peut délibérer sur le champ ou joindre l'incident au fond et statuer au moment du délibéré sur ces exceptions de nullité. Le prévenu est interrogé, les témoins sont entendus les experts peuvent être cités à la demande des parties, la partie civile expose ses prétentions, le procureur de la République fait son réquisitoire, l'avocat du prévenu plaide pour son client et enfin c’est le prévenu qui a la parole en dernier. Le tribunal correctionnel rend des jugements susceptibles d’appel qui doivent être interjetés dans les dix jours. 42 La Cour d’assises connaît les affaires de crime, on parle de session de Cour d’assises car cette juridiction n’est pas permanente et comprend des jurés qui sont des magistrats non professionnels tirés au sort sur les listes électorales et qui représentent le peuple français. La justice est toujours rendue au nom du peuple français et compte dans les audiences criminelles la présence de neuf jurés en première instance et douze en appel, avec trois magistrats du siège : deux assesseurs et un président. Le ministère public est représenté par l’avocat général qui assure la défense de la société, la partie civile est représentée par un avocat qui défend les intérêts civils de la victime, il y a en général autant d’avocats que de parties en présence. L’avocat fait face à la Cour pour défendre l’accusé, car il s’agit non pas d’une prévention de faits délictuels mais d’accusation de faits criminels, ce qui explique le qualificatif d’accusé que beaucoup confondent avec celui de prévenu dans les tribunaux correctionnels. La présence des jurés dans les Cours d’assises pose le problème de l’inexpérience et de la compréhension des enjeux, l’argumentation soulevé au début de ce mémoire sur l’intime conviction et le manque de motivation a été discuté au sénat en 2004 par des parlementaires qui ont proposé la modification de l’article 304 du code de procédure pénale. Dans l’argumentation ils exposaient que « De lourdes condamnations ont été prononcées par des cours d'assises alors qu'apparemment la preuve absolue de la culpabilité n'avait pas été rapportée", que "La référence de l'article 304 du code de procédure pénale à l'intime conviction donne, en effet, souvent lieu à contresens, et que pour beaucoup, intime conviction signifie que l'on peut être persuadé de la culpabilité alors même que la preuve n'en est pas rapportée. » Que « l'intime conviction ne peut se forger que par les preuves qui sont administrées » Faut-il pour autant s’aligner sur nos voisins Suisses qui viennent d’estimer à plus de 64% la disparition d’une institution de 1794 et ont renvoyé le Jury populaire des prétoires au profit de magistrats professionnels ? 43 Si la question ne se pose pas encore en France c’est d’abord à cause des nombreuses hésitations politiques et de la refonte complète de la procédure pénale qui ne se fait que petits bouts par petits bouts. Les règles sur le huit clos, le dépôt des conclusions des parties avant tout débat sur le fond sont à peu prés dans les mêmes formes que celles des tribunaux correctionnels. La Cour d’assises rend un arrêt qui peut faire l’objet d’un pourvoi en cassation, ce pourvoi doit être fait dans un délai de cinq jours. Cette procédure est particulière car il ne s’agit pas d’une juridiction du 3éme degré mais d’un pouvoir de contrôle qui estime si la forme du droit a bien été appliquée et que la décision ne prive pas la Cour d’exercer son contrôle et par exemple pour un défaut de motivation. La Cassation prévoit la méconnaissance d’un texte qui empêche la Cour d’exercer son contrôle, et sous un angle qui nous intéressera d’avantage la Cour de cassation retient l’exemple de la dénaturation d’un rapport d’expertise par les juges qui a conduit à la condamnation d’un accusé devant la Cour d’assises ou d’un prévenu devant le Tribunal correctionnel28 ou la Cour d’appel. . 28 La Cour de cassation peut connaître des Jugements du Tribunal correctionnel 44 2.A.1 EXPOSÉ DES RAPPORTS D’EXPERTISES Le rapport d’expertise est le terme de la mission confié par le magistrat ou l’OPJ et ses modalités sont prévues par l’article 168 du code de procédure pénale. L’article prévoit sa présence à l’audience qui peut être demandé par le juge pour exposer son rapport et éventuellement se soumettre aux questions des parties en présence. A l’audience d’un procès au tribunal correctionnel, le magistrat connaît déjà la teneur du ou des rapports d’expertise, l’affaire a été « synthétisée » par le Ministère public et le Juge anticipe les difficultés qui pourraient intervenir à l’audience. Le dossier d’instruction contient toutes les demandes des parties et les réponses du magistrat instructeur aux requêtes, aussi quand l’une des parties n’a pas obtenu satisfaction il n’est pas rare de voir un expert cité à comparaître. Le principe du contradictoire incombe normalement au tribunal, deux exigences majeures sont retenues : le droit de comparaître et la recevabilité de la preuve, et c’est sur le principe du contradictoire que les parties ont le droit de faire citer un expert pour faire entendre leur cause. Dans l’enceinte d’une Cour d’assises les jurés attendent beaucoup de l'expert, c’est lui qui éclaire les zones d’ombres techniques par les éléments de réponse qu’il va fournir. Les problèmes de l’expertise vont devoir être résolus pendant le délibéré, c’est sans doute un rôle que certains membres du jury craignent, juger une personne n’est pas une chose facile, c’est même une épreuve. Mais les obligations et le sens d’un devoir dû à la société ne doivent pas faire perdre au juré le sens des réalités avec le besoin absolu de comprendre l’expertise 45 2.A.1.a DÉPOSITION DES EXPERTS À L’AUDIENCE L'arrivée de l'expert est un moment important lors des sessions d’assises, ce n’est pas pour le juré une personne ordinaire, il y a une certaine déférence qui semble le mettre à égalité avec les magistrats professionnels, il représente la connaissance et donc dans l’esprit des jurés une vérité considérée avec attention. Le Président chargé de l’organisation des débats présente l’expert qui prête serment prévu à l’article 168 du code de procédure pénale « d’apporter son concours à la justice en son honneur et conscience », ce n’est pas le même que celui des témoins, c’est celui d’un professionnel qui apporte le savoir de sa discipline avec son expérience, sa réputation et ses titres. Un arrêt de la chambre criminelle en date du 25 septembre 2002 29 distingue le témoin et l’expert et expose que l’article 310 du CPP n’étant applicable qu’aux seuls témoins, il résulte que « les experts ne sont jamais entendus à titre de simples renseignements » L’expert n’est pas à l’audience par hasard, il va déposer en confirmant son rapport, il infirmera un fait ou critiquera une autre expertise sans pour autant contredire la sienne. L’attitude de l’expert est ici dominatrice, celui-ci a la conviction de ce qu’il a écrit et éludera tout ce qui peut poser un problème, ou bien il tentera de semer « l’adversaire » en s’appuyant sur le versant purement scientifique de l’expertise et même en utilisant un langage très scientifique. Chaque partie a l’opportunité d’intervenir pour appuyer ou critiquer le rapport d’expertise aux moyens de questions qui pourront contenir des observations et qui soulèvent des points importants. Si des observations ont déjà été déposées, chacune des parties doit en tenir compte avec le rapport qui détaille les faits et parfois détermine la relation de cause à effet entre l’infraction et un auteur supposé. 29 Crim. 25 sept. 2002 : pourvoi n° 01-87.647 46 L’avocat doit bien connaître le rapport d’expertise avant de reprendre les points qui posent un problème à son client, il peut s’agir de contradictions entre le rapport et les conclusions, d’un procédé expertal décrié, d’erreur de calcul, ou d’interprétations qui sont personnelles. Il s’agit aussi de préparer la plaidoirie finale et d’essayer de redimensionner un rapport en adaptant un vocabulaire plus accessible dans un sens plus favorable à la partie que l’avocat représente. 47 2.A.1.b INTERROGATOIRE ET CONTRE INTERROGATOIRE DES EXPERTS L’interrogatoire et le contre interrogatoire ne doivent pas être confondus avec le « direct examination » ou (examination in chief) le « Cross examination » et le « redirect examination » qui sont des pratiques d’audiences anglo-saxonnes différentes du contre interrogatoire français. Ce droit connaît des limites soumises à la police du Président du tribunal ou de la Cour, son principe est d’apporter au juge un autre regard sur la pertinence d’une preuve et de sa valeur dans l’influence qu’elle peut avoir pour les suites d’un procès. Il s’agit pour l’avocat de déterminer la crédibilité d’une expertise qui apparaît comme un élément de preuve, ainsi lorsque cette dernière acquière une valeur préjudiciable à son client, l’avocat doit viser la légitimité de l’expertise et exposer les risques de la dénaturation. Le contre interrogatoire doit être considérée comme une garantie fondamentale du procès équitable, avant la loi du 15 juin 2000, le Président et le procureur de la République interrogeait directement lors de l'audience pénale les témoins ou experts, les questions des avocats des parties devaient être posées au Président du tribunal ou de la Cour qui les reposait à la personne présente à la barre. Ce formalisme plaçait les parties en position d’infériorité et a été supprimé depuis le 1er janvier 2001, désormais, l’avocat peut poser directement des questions comme le prévoient les dispositions de l’article 442-1 du code de procédure pénale : «…le ministère public et les avocats des parties peuvent poser directement des questions au prévenu, à la partie civile, aux témoins et à toutes personnes appelées à la barre… » La possibilité d’interroger directement les experts constitue un élément du procès équitable auquel le prévenu ou l'accusé a droit dans le principe de la présomption d'innocence. Il donne au prévenu ou l’accusé un moyen qui lui permet de présenter une défense adéquate lorsque l’enjeu central du procès repose sur la crédibilité d’une expertise. 48 C’est le Président du tribunal ou de la Cour qui pose les questions en premier à l’expert, en général le magistrat se livre à un exposé du rapport d’expertise qui conclu à une évidence qu’il demandera ensuite à l’expert de commenter. Il n’existe aucun formalisme sur la déposition de l’expert et sur l’avis de ses conclusions, le détail de l’expertise livrée à l’audience ne doit porter que sur la mission et non sur l’innocence ou la culpabilité du mis en cause. Si les dépositions des témoins à l’audience sont en contradiction avec les conclusions de l'expert, le Président demande alors aux experts, au ministère public, à la défense et s'il y a lieu à la partie civile, de présenter leurs observations. Les tribunaux ou les Cours peuvent alors décider, soit de passer outre le témoignage qui viendrait contredire une expertise, soit de décider le renvoi du jugement à une date ultérieure ainsi toute mesure complémentaire d'expertise pourra être demandée. Lorsque l’accusation repose sur l’expertise, l’affaire est renvoyée pour un complément d’expertise, cependant le budget du ministère de la Justice et l’encombrement des tribunaux ne favorisent pas ce genre de décision. Sans renvoi, l’avocat doit se débrouiller avec ce qu’il a, c’est à dire un rapport d’expertise contredit par les témoignages, l’habilité du plaideur doit seconder habilement la parfaite connaissance du rapport d’expertise. Au procès d’Outreau les invraisemblances relevées lors de la déposition des enfants contredisaient tous les rapports d’expertise sur la crédibilité de ces derniers. Le 5 mars 2004 le Figaro reprenait l’intervention des avocats contre le collège des experts psychologues. « …Mme Gryson manie, à toute vitesse, une langue étrange, qui n'est ni celle de la Tour du Renard ni, à coup sûr, celle des jurés. «Morphologie sémantique traumatique», «soulagement libératoire»... Aïe : elle parle psy. 49 Me Dupond Moretti qui, lui, sait parler à des jurés et va immédiatement les déculpabiliser de n'avoir pas saisi un traître mot : «Votre rapport a un mérite essentiel, il me remet à ma juste place. Je n'ai rien compris. Une question simple : Kévin dit-il la vérité ? L’expert : Ce n'est pas ma mission de répondre, mon expertise est phénoménologique. L’avocat : Qu'est-ce que ça veut dire ? L’expert : C'est une méthode enseignée à Lille-III et qui sera codifiée dans un ouvrage à paraître en septembre. L’avocat : Vous écrivez, page 12 de votre rapport (il s'approche de la barre, le témoin semble rétrécir : c'est bien votre signature ?) : «Rien ne permet de penser que Kévin impute des faits à des personnes non concernées.» Donc, il dit la vérité ?» Mme Gryson noie le poisson. Le président, étonnamment ferme : «Expliquez-vous, Madame». L’expert : « Je vais essayer de rester sereine... Je ne suis qu'une petite psychologue de terrain. Cela fait dix ans que je suis agressée comme cela... Ce métier n'apporte aucun confort moral ou financier...» Le président : « On vous a posé une question précise ». L’expert : « Je n'ai pas de réponse précise.» L’avocat : « Pourquoi ne répondez-vous pas, puisque vous l'avez écrit ?» L'expert : « C'est une dualité d’experts.» A bout d'arguments, Mme Gryson en appelle aux livres à succès comme ceux de David Servan-Schreiber qui n'a pourtant cautionné, que l'on sache, aucune détention provisoire devant la chambre de l'instruction de Douai30 Le cas évoqué n’a rien d’exceptionnel mais témoigne du comportement de certains experts en mal de publicité, Florence AUBENAS journaliste à libération concluait 18 novembre 2005 « Et comme s'il fallait une ultime farce, VIAUX a déclaré, en sortant de l'audience : « Tant que la justice paiera les experts comme des femmes de ménage, elle aura des expertises de femmes de ménage.» 30 Stéphane Durand Souffland - Le Figaro - 05 juin 2004 50 Loin du partage de l’éthique et du sens du devoir, ces propos désobligeants envers les techniciennes de surface n’ont semble t-il pas ému la Cour d’appel de Rouen qui, siégeant en formation disciplinaire le 29 mai 2006, a estimé que le professeur Jean-Luc VIAUX, expert dans l’affaire d’Outreau n’avait commis aucune faute susceptible d’entraîner sa radiation, dont acte ! 51 2.A.2 EXPOSÉ DES PARTIES CIVILES, DU MINISTÈRE PUBLIC ET DE LA DÉFENSE Après le débat sur la forme et l’examen du fond et avant que le tribunal ou la Cour ne se retire pour délibérer elle doit entendre la partie civile dans ses demandes puis le réquisitoire du ministère public et enfin écouter la plaidoirie de l’avocat qui défend le prévenu ou l’accusé. La partie civile peut être présente ou représentée par un avocat qui se constitue à l’audience au nom de la victime, c’est la partie lésée, le plaignant, celle qui a subi un préjudice, l’article 2 du code de procédure pénale désigne la victime comme celle qui a « personnellement souffert du dommage directement causé par l’infraction ». Certaine affaire de petite envergure ne nécessite pas la présence d’un avocat et la constitution de partie civile peut se faire directement auprès du tribunal par lettre. Le code de procédure pénale reste muet sur la définition de la victime dans le procès pénal elle apparaît donc un peu oubliée et ne peut demander qu’une condamnation sur les seuls intérêts civils qui résultent d’un préjudice moral et/ou matériel et non sur le quantum de la peine. L’argumentation doit être motivée et reprendre la charge de la preuve et la relation qui existe entre les faits et son agent, cette démonstration doit reprendre les éléments du dossier d’instruction et le cas échéant les conclusions du rapport d’expertise. A l’issue de la plaidoirie de la partie civile, un dossier contenant la demande au principal et demandes accessoires ainsi que les pièces justificatives sont remis au président du Tribunal. C’est le procureur de la République ou l’avocat général qui peut requérir une peine d’emprisonnement et/ou d’amende et demander de recevoir la partie civile, car le ministère public est à la source du procès pénal, c’est donc lui et lui seul qui représente la société et parle en son nom pour défendre ses intérêts lésés dans son ensemble. 52 Pour développer l’argumentation de son réquisitoire il doit reprendre l’imputabilité des faits contenus au dossier du procès pénal, ses demandes sont consignées par le greffier sous forme de notes d’audience. Après le réquisitoire, c’est à la défense de prendre la parole, le rôle de l’avocat en défense est de veiller aux intérêts du prévenu ou de l’accusé et de revenir sur l’imputabilité des faits qui sont reprochés au client. L’art de la plaidoirie dans les audiences pénales c’est tout d’abord du talent mais aussi de l’expérience, au fil des audiences l’avocat prend de l’assurance et appréhende plus facilement le schéma de pensée du magistrat dans l’argumentation qu’il va développer. 53 2.A.2.a LES CONCLUSIONS DES PARTIES AU PROCÉS La souveraineté des Juges ne garantie pas l’équité dans un procès, c’est donc à l’avocat de veiller au principe du contradictoire, c’est ainsi qu’il soumettra ses conclusions qui oblige le juge à une réponse tant sur la forme que sur le fond. Le dépôt des conclusions par voie écrite n’est pas obligatoire mais fortement conseillé, l’argumentation de l’avocat et les motifs du jugement pourront être repris devant la Cour d’appel qui doit répondre aux conclusions de l’avocat sur les exceptions de forme et expliquer la motivation qu’elle adopte pour prononcer son arrêt, si la Cour d’appel ne répond pas aux conclusions des parties au procès, la cassation est encourue. Dans la procédure criminelle, la Cour d’assises ne connaît pas de motivation, cette disposition qui enferme les raisons d’une condamnation dans le secret des délibérations est contraire au principe contradictoire du procès. La Cour de Cassation peut décider qu’une expertise n’a pas été comprise par les juges qui ont « dénaturé » le rapport d’expertise, mais les motifs de cassation sont limités, il s’agit principalement de la méconnaissance d’une règle de procédure mais pas de la portée d’un article du code pénal. Ainsi la dénaturation d’une expertise pourra être considérée comme un problème de forme et non comme un problème de fond que la Cour de Cassation ne peut connaître. 54 2.A.2.b LA DÉMONSTRATION DE LA PREUVE La démonstration d’une preuve doit s’entourer de faits réels et non supposés, il s’agit plus ici de l’explication d’une technique qui s’impose à tous et qui ne doit pas être confondue avec la preuve qui est d’ordre empirique. La forme de la démonstration est à l’origine, un concept de Platon31 qui distingue le coté mathématique d’une part, du coté concret qui sert de base aux hypothèses, d’autre part. La preuve est un fait, on trouve le portefeuille de Y dans la poche de X, il s’agit ici d’un constat, sera t-il suffisant pour établir que X a soustrait le portefeuille de Y ? La démonstration doit ainsi être distinguée de l’argumentation qui tient un raisonnement mathématique et philosophique. Kant estime qu’ « il n’y a que les mathématiques qui contiennent des démonstrations, parce qu’elles ne dérivent pas leurs connaissances de concepts, mais de la construction de concepts, c’est-à-dire de l’intuition qui peut être donnée a priori comme correspondant aux concepts »32 L’exigence de la démonstration écarte donc le système intuitif, la structure du raisonnement doit être discursive, cette rigueur se retrouve dans le théorème de Bayes qui affirme que la probabilité a posteriori est proportionnelle au produit de la probabilité a priori par ce que le physicien HAWCKING appelle « la vraisemblance de l’hypothèse »33 Le juge retient la charge de la preuve par l’existence des faits, leurs catégories infractionnelles et leurs imputabilités à un auteur. Mais le raisonnement juridique distingue l’infraction intentionnelle de l’infraction non intentionnelle, l’imputabilité exige la réunion de l’élément moral, c'est-à-dire la volonté de commettre l’acte et celui de l’élément matériel, le résultat de l’infraction. 31 Philosophie et religion. Platon, Euthyphron, Paris, Vrin, 2005, p. 13-31. Emmanuel KANT Critique de la Raison pure, Théorie transcendantale de la méthode, chapitre 1 33 Martine Quinio BENAMO – Probabilités et statistiques aujourd’hui – Ed. L’Harmattan – Page 15 32 55 L’imputabilité entend donc la faute intentionnelle qui suppose la capacité de comprendre et de vouloir, en dehors de ces critères il ne peut normalement y avoir de responsabilité pénale. Force est d’admettre l’existence d’un concept rationnel qui se situe entre les vérités mathématiques et le raisonnement philosophique. Nous avons compris que l’expertise peut devenir un moyen qui prouve l’existence de faits infractionnels et qui peut désigner ses auteurs, mais la relation entre l’expertise et l’administration de la preuve est parfois ténue et ne permet pas de dégager de certitudes. C’est ici que le principe du contradictoire apparaît essentiel dans l’instruction comme au procès car sans la possibilité de comprendre, d’expliquer, de compléter et/ou de rectifier, les rapports d’expertises peuvent mener les juridictions pénales dans l’impasse. 56 CONCLUSION L'expertise dans le procès pénal se mesure à l’intérêt que lui porte le législateur, et il n’existe pas une inflation de textes dans la procédure pénale entre les articles 156 à 169-1, depuis que la réglementation des opérations d'expertises s’est imposée pendant les travaux parlementaires du code de procédure pénale en 1957. Si depuis, les textes se sont succédés, ils n’ont pas comblé l'absence de définition de l'expertise qui se résume à l'article 156 du CPP qui précise qu'il est recouru à l'expertise « dans le cas où se pose une question d'ordre technique ». La place dans l’expertise au procès pénal ne peut être négligée, elle est déterminante dans la démonstration de la preuve. Elle doit donc être contradictoire d’un bout à l’autre de la procédure et chacune des parties doit comprendre son rôle en étant particulièrement vigilant sur la compréhension des rapports d’experts. La doctrine en matière de loyauté interdit l’utilisation de ruses ou de stratagèmes, cette nécessaire exigence s’applique à toutes les parties et notamment aux autorités judiciaires qui doivent respecter les règles qu'elles imposent aux autres. Le doyen CARBONNIER relevait qu’en matière de loyauté « Les coups bas sont interdits, les simples ruses de guerre ne le sont pas » Cette réflexion semble aujourd’hui revêtir un caractère très fluctuant. Sans conteste, les dispositions de la loi de 2007 réformant le caractère contradictoire des parties dans l’instruction, renforcent de manière significative l’égalité des armes dans les étapes essentielles d’un procès. 57 Les applications de cette loi tendent à une modification des pratiques judiciaires dans le sens d’un plus grand respect de l’intérêt commun, il s’agit d’un progrès estimable mais remis en question depuis le rapport LEGER sur la disparition programmée du juge d’instruction.34 L’avenir nous dira si les nombreuses difficultés soulevées dans ce mémoire pourront être surmontées et si la politique judiciaire française s’adaptera à une prise en compte égalitaire des droits de chaque partie dans l’esprit de la sauvegarde des droits de l’homme sans pour autant perdre son âme. Paul VALERY écrivait « Les demeures de la justice doivent parler aux yeux de la rigueur et de l'équité de nos lois35 » les enjeux actuels sur l’avenir de l’instruction pénale nous rappellent la justesse de ses propos. 34 35 Rapport LEGER - http://pratiquepenale.free.fr/Rapport_Leger.pdf Eupalinos ou l'architecte – Paul Valery - ed. Gallimard 1921. 58 BIBLIOGRAPHIE . 1. Jean CARBONNIER Flexible Droit, Pour une sociologie sans rigueur Ed. LGDJ 10ème édition 2001 2. Jean CARBONNIER Droit et passion du droit sous la Ve République – Ed. Flammarion 2006 3. Robert CARIO Introduction aux sciences criminelles Ed. L'Harmattan 6ème édition. 2008, p. 260 4. Charles WEISSELBERG University of California, Berkeley Evidentiary Hearings In Federal Habeas Corpus Cases, 1990 B.Y.U. L. REV. 131. 5. Charles WEISSELBERG Confessions and Coercion, Habeas Corpus Resource Center Fall Conference: An Inside Look; Examining the Worlds That Shape Our Clients’ Lives, San Francisco, California, November 2003. 6. Karine TROTEL COSTEDOAT La torture dans la justice criminelle médiévale, Histoire Médiévale, n°18, juin 2001. 7. Michel FOUCAULT Surveiller et punir, Ed. Gallimard 1975 8. Serge COSSERON GALILEE 22 juin 1633, la science en question Ed. Acropole 2001 9. Martine BENAMO Probabilités et statistiques aujourd’hui Ed. L’Harmattan 59 10. Emmanuel KANT Critique de la Raison pure Ed. PUF Collection : Quadrige Grands textes 11. Karl POPPER Conjonctures et réfutations. La croissance du savoir scientifique Ed. Payot Paris 1985 12. Michel OLIVIER Mesure d’instruction confiée à un technicien Répertoire de procédure civil Ed Dalloz – 1997. 13. Karl POPPER Conjonctures et réfutations. La croissance du savoir scientifique Ed. Payot Paris 1985 14. Jean Yves TREPOS La sociologie de l’expertise ED. PUF Coll. Que sais je ? Paris 15. Bruno OPPETIT Les rôles respectifs du juge dans l’administration de la preuve IEJ 1976 16. Paul VALERY Eupalinos ou l'architecte Ed Gallimard Paris. 1923. 17. Pierre CHAMBON, Christian GUERRY Droit et pratique de l'instruction préparatoire Ed. Dalloz 2007/2008 18. Le rapport LEGER La Pratique Pénale In http://pratiquepenale.free.fr 19. Recommandations sur les bons usages entre avocats et experts du 18.11.2005 : http://www.fncej.org/listes/documents/Charte_avocats_112005.pdf (Pièce annexée) 60 20. Code de procédure pénale Ed. Dalloz – 2009 21. Code pénal 2009 Ed. Dalloz – 2009 22. Jurisclasseurs Ed Dalloz – 1976 – 2007 23. Code de procédure civile Ed. Dalloz – 2008 24. Code civil Ed. Dalloz – 2009 25. Stéphane DURAND SOUFFLAND Le journal du Figaro article du 05 juin 2004 26. Jean-Yves CHATEAU Philosophie et religion. Platon, Euthyphron, Paris, Vrin, 2005, p. 13-31. Formation continue – Académie de Nantes http://www.pedagogie.acnantes.fr/13800330/0/fiche___ressourcepedagogique/&RH=1160559858734 27. Olivier DUTHEILLET DE LAMOTHE De la Cour européenne des droits de l’homme sur le Conseil Constitutionnel Mémoire (joint en annexe) 61 ANNEXES . 1 Demande complément d’expertise par l’avocat d’une partie civile P. 63 – 65 2 Demande complément d’expertise par l’avocat du prévenu P. 66 – 68 3 Mémoire sur l’expertise tendant au non lieu par l’avocat du prévenu P. 69 – 70 4 L’influence de la Cour Européenne des droits de l’homme sur le Conseil constitutionnel par Olivier Dutheillet de Lamothe P. 71 – 75 5 Recommandations sur les bons usages entre avocats et experts du 18.11.2005 P. 76 – 81 6 Décret n° 2009-313 du 20 mars 2009 fixant la liste des pôles de L’instruction P. 82 - 87 62 DEMANDE D’UN COMPLEMENT D’EXPERTISE PAR LA PARTIE CIVILE 1/3 63 DEMANDE D’UN COMPLEMENT D’EXPERTISE PAR LA PARTIE CIVILE 2/3 64 DEMANDE D’UN COMPLEMENT D’EXPERTISE PAR LA PARTIE CIVILE 3/3 65 DEMANDE DE COMPLEMENT D’EXPERTISE TOXICOLOGIQUE – (Notre demande – DEFENSE) Madame le Juge d’instruction, A la suite de l’instruction du 20 mai 2008 dans l’affaire citée en référence et en application de l’article 167 du code de procédure pénale, j’ai l’honneur de solliciter un complément d’expertise dont le but est d’éclairer le dossier en demandant à l’expert chargé des analyses en toxicologie des réponses simples nécessaires à la compréhension du dossier et à la manifestation de la vérité. Le prier de bien vouloir répondre aux questions suivantes : QUESTIONS A L’EXPERT: 1°) Un prélèvement de cheveux appartenant à Mlle COULON en date du 21 juin 2007 a fait l’objet d’une analyse, cette dernière révèle que Mlle COULON prenait du RIVOTRIL dans une période comprise entre 10 jours à 15 mois avant le 19 juin 2007 et que la concentration toxique était de 105 pg/mg (D157/4) Q.1 : L’expert peut-il confirmer que Mlle Aude COULON a consommé du RIVOTRIL avant le 19 juin 2007 ? Q.2 : Dans l’affirmative, combien de temps avant le 19 juin 2007. (environ) Q.3 : Le pic de 105pg/mg indique t-il que Mlle COULON a consommé avant le 19 juin 2007 de grosses quantités de RIVOTRIL ? 2°) Un prélèvement de cheveux appartenant à Mlle COULON en date du 3 janvier 2008 à fait l’objet d’une analyse, cette dernière est décrite en cote D157/3, Elle expose que Mlle COULON consomme habituellement du RIVOTRIL par la positivité des 3 segments de cheveux. De 0 à 4 cm De 4 à 8 cm De 8 à 12 cm (après les faits) (époque des faits) (avant les faits) De 0 à 04 cm De 4 à 08 cm De 8 à 12 cm 1 époque ème 2 époque ème 3 époque ère historique entre 0 et 4 mois historique entre 4 et 8 mois historique entre 8 et 12 mois « 03/01/2008 – 03/03/2007 « 03/09/2007 – 03/05/2007 « 03/05/2007 – 03/01/2007 (3.01.2008 – 3.09.2007) (3.09.2007 – 3.05.2007) (3.05.2007 – 3.01.2007) : taux RIVOTRIL = 13 pg/mg : taux RIVOTRIL = 28 pg/mg : taux RIVOTRIL = 15 pg/mg Q.1 : L’expert peut-il confirmer que Mlle Aude COULON a consommé du RIVOTRIL après le 19 juin 2007 ? Q.2 : Dans l’affirmative combien de temps après le 19 juin 2007 ? 3°) Sur les rapports d’analyses effectuées sur les échantillons de cheveux de Mlle COULON prélevés respectivement, le 21 juin 2007 et le 3 janvier 2008, il ressort plusieurs prises de RIVOTRIL par Mlle COULON à différentes époques. Q.1 : L’expert peut-il nous indiquer si Mlle COULON est une consommatrice habituelle de RIVOTRIL ? Q.2 : Dans l’affirmative et sachant que Mlle COULON ne dispose d’aucun traitement médicamenteux prescrit par un médecin, à quel usage probable serait destiné ce médicament ? 66 4°) Sur le deuxième échantillon de cheveux prélevés le 3 janvier 2008, le laboratoire relève un taux de RIVOTRIL qui n’excède pas 28 pg/mg, soit de « un à deux cachets » du dit médicament (D 157/3). Q.1 : L’expert peut-il nous indiquer si un à deux cachets de RIVOTRIL est suffisant pour plonger une personne dans une perte de connaissance ou dans le coma, sachant qu’il s’agit d’un sujet de sexe féminin de 25 ans environ qui ne souffre d’aucune pathologie, d’un poids et d’une taille standard et selon ses dires n’ayant pas consommé d’alcool ? Q.2 : Même question avec la précision suivante ; s’il s’agit d’une personne consommant habituellement du RIVOTRIL ? Q.3 : sachant que la posologie doit tenir compte de l'âge, du poids du malade et de la sensibilité individuelle : 0,05 à 0,1 mg/kg et par jour en traitement d'entretien, le surdosage estil envisageable pour un ou deux cachets de RIVOTRIL ? 5°) L’analyse toxicologique en cote D 157/3 révélerait une consommation habituelle de RIVOTRIL par Mlle COULON. Q.1 : Cette analyse a-t-elle permis de révéler d’autres médicaments ou toxiques ? Je vous remercie par avance de cette mesure, et dans l’attente, vous prie de croire, Madame le Juge d’instruction, en l’expression de ma respectueuse considération. Avocat 67 MEMOIRE DE LA DEFENSE TENDANT AU NON LIEU SUR L’IMPOSSIBILITÉ D’UNE SOUMISSION CHIMIQUE Mlle Aude COULON pense avoir été soumis chimiquement le 19 juin 2007 et victime d’un viol. Deux prélèvements aux fins d’analyses toxicologiques ont été réalisés sur Mlle COULON le 21 juin 2007. 1. Un prélèvement sanguin 2. Un prélèvement de cheveux Par la suite un deuxième prélèvement de cheveux a été effectué sur Mlle COULON le 03 janvier 2008 aux fins de recherche de tous toxiques susceptibles d’avoir été administrés le 19 juin 2007 (cote D157/7) DISCUSSION : SUR L’ANALYSE TOXICOLOGIQUE SANGUINE : Le rapport d’expert du 18 janvier 2008 indiquerait que Mlle COULON n’a pas été soumise ni au RIVOTRIL ni à aucun toxique ou solution médicamenteuse le 19 juin 2007. L’expertise du Docteur AKNOUCHE en page 4 de la cote D144 du dossier est explicite et expose que le principe actif du RIVOTRIL (le Clonazépam) « persiste jusqu’à 96 heures dans le sang » poursuivant, l’expert indique « l’absence de rivotril dans le prélèvement sanguin de 48 heures tend à montrer l’absence d’absorption de ce produit » Cependant l’analyse faite par le laboratoire CHEM TOX expose une trace du RIVOTRIL à la concentration de 37nanogrammes par millilitre, ce qui, d’après l’expertise équivaut à la prise d’un à deux comprimés au moment des faits (D157/3). Bien que ces rapports soient contradictoires, nous exposerons que l’incidence d’une prise d’un à deux comprimés de Rivotril ne peut en aucun cas plonger une personne adulte dans un processus de soumission ou dans un état comateux tel que le rapporte Mlle COULON. En effet la posologie indiquée dans le Vidal indique qu’un comprimé contient 2mg de Clonazépam PRESENTATION Comprimé quadrisécable à 2 mg (blanc) : Étui de 40 Solution buvable à 2,5 mg/ml : Flacon de 20 ml, soit 500 gouttes. Solution injectable à diluer à 1 mg/1 ml : Ampoules de 1 ml de solution + ampoules de 1 ml de solvant, boîte de 6 + 6. COMPOSITION Comprimé : p cp : Clonazépam (DCI) 2 mg Excipients : lactose, amidon de maïs, talc, stéarate de magnésium. Solution buvable : p goutte Clonazépam (DCI) 0,1 mg POSOLOGIE Formes orales : Dose : La posologie doit tenir compte de l'âge, du poids du malade et de la sensibilité individuelle : 0,05 à 0,1 mg/kg et par jour en traitement d'entretien. Cette posologie devra être atteinte progressivement. Solution buvable en gouttes : cette forme est particulièrement adaptée à l'utilisation chez l'enfant de moins de 6 ans. 68 Sur le dosage, il est indiqué que l’administration du médicament doit être au maximum de 0,1mg/kg donc la prise quotidienne d’un sujet pesant 50 kilos ne doit pas dépasser 5 mg par jour. Cette posologie est confirmée par l’expert en page 9 de la cote D147 Le surdosage ne peut ainsi être envisagé, d’autant qu’il devrait être supérieur à 15 mg en une seule prise (source laboratoire Roche) or, le taux de concentration relevé dans l’analyse sanguine de Mlle COULON démontre qu’elle a été exposée à un dosage allant de 2 mg à 4 mg au maximum, et que nous sommes très éloigné d’un surdosage. SUR L’ANALYSE TOXICOLOGIQUE DES CHEVEUX Les cheveux sont la mémoire biologique de ce qu’absorbe un individu en matiére toxicologique, le cheveu pousse environ de 1 centimètre par mois et c’est par une segmentation de trois à quatre centimètres (un trimestre) que la preuve d’une absorption peut être démontrée dans le temps. (D157/4) Il convient cependant d’interpréter l’analyse des cheveux avec prudence car cette analyse ne fait qu’indiquer une période de temps supposée, qui peut se situer au alentour de deux semaines avant ou après les faits, selon la pousse du cheveu qui varie selon chaque personne. (D157) Deux prélèvements de cheveux ont eu lieu sur Mlle COULON 1) le 21 juin 2007 2) le 3 janvier 2008 Ainsi que l’expose très justement l’expert, (D157/4) le prélèvement des cheveux de Mlle COULON le 21 juin 2007 ne pouvait pas établir la prise de Rivotril le 19 juin 2007, il convenait d’attendre de trois à cinq semaines pour prélever une mèche de cheveux à partir du cuir chevelu. Analyse du prélèvement du 21 juin 2007 Cette analyse était primordiale pour la manifestation de la vérité, En effet, les cheveux prélevés le 21 juin 2007 ont été analysés et cette analyse révéle que Mlle COULON prenait du RIVOTRIL dans une période comprise entre 10 jours à 15 mois avant les faits et que la concentration toxique était de 105 pg/mg (D157/4) Cette concentration démontre que Mlle COULON a pris, 10 jours à 15 mois avant le 19 juin 2007, des doses massives de RIVOTRIL cinq fois supérieures à la concentration relevée à l’époque des faits reprochés à Monsieur Yannick MARRY et qui était de 28pg/mg. CONCENTRATION RIVOTRIL CHEVEUX PRELEVES LE 21 JUIN 2007 : CONCENTRATION RIVOTRIL CHEVEUX PRELEVES LE 3 JANVIER 2008 : 105 pg/mg 28 pg/mg Analyse du prélèvement du 3 janvier 2008 L’analyse des cheveux prélevés le 3 janvier 2008 chez Mlle COULON est décrite en cote D157/3 Elle expose que Mlle COULON est une consommatrice habituelle du RIVOTRIL par la positivité des 3 segments de cheveux. De 0 à 4 cm De 4 à 8 cm De 8 à 12 cm (après les faits) (époque des faits) (avant les faits) De 0 à 04 cm De 4 à 08 cm De 8 à 12 cm 1 époque ème 2 époque ème 3 époque ère historique entre 0 et 4 mois historique entre 4 et 8 mois historique entre 8 et 12 mois « 03/01/2008 – 03/03/2007 « 03/09/2007 – 03/05/2007 « 03/05/2007 – 03/01/2007 (3.01.2008 – 3.09.2007) (3.09.2007 – 3.05.2007) (3.05.2007 – 3.01.2007) : taux RIVOTRIL = 13 pg/mg : taux RIVOTRIL = 28 pg/mg : taux RIVOTRIL = 15 pg/mg 69 Cette exposition indique sans conteste que Mlle COULON absorbe du RIVOTRIL, soit par prescription médicale pour soigner une pathologie, soit pour un autre usage qu’il conviendrait d’expliquer. Sur le premier échantillon de cheveux prélevés le 21 juin 2007 nous relevons un pic de RIVOTRIL qui indique que Mlle COULON a ingéré ce produit à dose massive, soit 105 pg/mg avant les faits supposés du 19 juin 2008. Sur le deuxième échantillon de cheveux prélevés le 3 janvier 2008, nous relevons un taux de RIVOTRIL d’un taux normal et qui n’excède pas 28 pg/mg soit de « un à deux cachets » du dit médicament. C’est ainsi qu’il sera soutenu que la tache retrouvée sur le pantalon de Mlle COULON provient en toute vraisemblance de sa consommation habituelle et qu’elle est antérieure aux faits supposés du 19 juin 2007. (Page 8 cote D147) Si Mlle COULON niait avoir absorbé du RIVOTRIL, avant ou aprés les faits, nous serions alors dans l’obligation d’admettre qu’elle ne dit pas la vérité, et que les motifs de sa plainte peuvent s’expliquer dans un autre but. CONCLUSIONS Le RIVOTRIL est un médicament de la classe des benzodiazépines comme le LEXOMIL, c’est un antianxiolitique léger qui se prescrit en particulier aux personnes épileptiques notamment en raison de son rôle anticonvulsant, mais ce médicament se prescrit aussi pour des douleurs cérébrales, dorsales, pour les problèmes d’acouphène etc. . Le surdosage ne peut être envisagé pour trois raisons : 1. Mlle COULON est une consommatrice habituelle du RIVOTRIL et son organisme était déjà habitué, bien avant les faits au Clonazépam, principe actif de ce médicament, et à dose massive puisqu’il a été retrouvé une concentration avant les faits de 105pg/mg au lieu des 28 pg/mg relevés à l’époque des faits supposés. 2. La dose relevée par le laboratoire CHEM TOX est en deca de la dose maximum autorisé pour une personne de 50 kilos (5 mg / jour pour une personne adulte de 50 kilos) 3. Son absorption en deca de la posologie recommandée ne pouvait lui occasionner un coma. Sous le bénéfice de ces observations ; Il convient de constater que Mlle COULON n’a pas été soumis chimiquement à son insu au RIVOTRIL, ni à aucun produit toxique mais qu’elle consommait déjà ce produit à des doses massives bien avant les faits supposés. Que l’absence d’agression sexuelle et de viol peut être retenue sur le manque de preuve probante, et notamment : Sans traces de spermatozoïdes sur les vêtements et sous vêtements de Mlle COULON. Sans rapport d’un examen gynécologique qui aurait établi un rapport sexuel. Sur les déclarations confuses de Mlle COULON. Il sera demandé à Madame le Juge d’instruction prés le Tribunal de Grande Instance de Grasse d’envisager le non lieu au bénéfice de Monsieur Yannick MARRY et à tout le moins sa mise en liberté immédiate. SOUS TOUTES RESERVES 70 L’INFLUENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME SUR LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL Par Olivier Dutheillet de Lamothe Cette influence devrait être a priori nulle puisque, en vertu d'une jurisprudence constante, le Conseil constitutionnel refuse d'examiner la conformité des lois qui lui sont déférées à la Convention européenne des droits de l'homme. Dans sa décision du 15 janvier 1975 sur la loi relative à l’interruption volontaire de grossesse, le Conseil constitutionnel a jugé que, malgré le principe de la primauté des traités sur les lois posé par l’article 55 de la Constitution, il n’était pas compétent pour examiner la conformité des lois avec les engagements internationaux de la France et notamment la Convention européenne des droits de l’homme. « Il n’appartient pas au Conseil constitutionnel, lorsqu’il est saisi en application de l’article 61 de la Constitution, d’examiner la conformité d’une loi aux stipulations d’un traité ou d’un accord international » (Décision n° 74-54 DC du 15 janvier 1975, recueil p. 19). Cette décision est fondée sur deux arguments essentiels : - Un argument de droit, tiré d’une interprétation stricte de l’article 61 de la Constitution : « L’article 61 de la Constitution ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d’appréciation et de décision identique à celui du Parlement, mais lui donne seulement compétence pour se prononcer sur la conformité à la Constitution des lois déférées à son examen ». Si les dispositions de l’article 55 de la Constitution confèrent aux traités une autorité supérieure à celle des lois, « elles ne prescrivent ni n’impliquent que le respect de ce principe doive être assuré dans le cadre du contrôle de la conformité des lois à la Constitution prévu par l’article 61 de celle-ci ». - Un argument pratique : selon la Constitution, le Conseil constitutionnel dispose d’un délai d’un mois pour rendre ses décisions. Il serait très difficile d’examiner dans un délai aussi bref la conformité des lois avec les très nombreux engagements internationaux souscrits par la France. Dans des décisions ultérieures, le Conseil constitutionnel a explicité ce qui n’était qu’implicite dans la décision de 1975 : si le contrôle de la supériorité des traités par rapport aux lois ne peut être effectué dans le cadre du contrôle de constitutionnalité des lois, il doit être effectué par les juridictions ordinaires sous le contrôle de la Cour de Cassation et du Conseil d’Etat. (Décision n° 86-216 DC du 3 septembre 1986, recueil p. 135 ; n° 89-268 DC du 29 décembre 1989, recueil p. 110). La Cour de Cassation a répondu très vite à cette invitation dans une décision du 24 mai 1975, c’est-à-dire quelques mois seulement après la décision du Conseil constitutionnel du 15 janvier. (Chambre mixte 24 mai 1975, Société des Cafés Jacques Vabre, Dalloz 1975 p. 497, conclusions Touffait). Le Conseil d’Etat a pris beaucoup plus de temps, pratiquement 15 années, pour reconnaître la suprématie d’un traité sur une loi postérieure. (Assemblée plénière 20 octobre 1989 Nicolo, recueil p. 190, conclusions Frydman). Contrôler la conformité des lois à la Convention européenne des droits de l’homme est donc désormais, une tâche quotidienne des juridictions judiciaires et administratives. 71 Celles-ci n’hésitent plus à écarter la loi ou le règlement qu’elles estiment contraire à la convention. L'influence de la Convention européenne des droits de l'homme et de la Cour de Strasbourg sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel est donc purement intellectuelle. Elle tient seulement à l'autorité persuasive de la jurisprudence de la Cour et à l'inspiration que trouve le Conseil dans un catalogue de droits beaucoup plus récent que la Déclaration de 1789. Cette influence est difficile à percevoir dans la mesure où, conformément à la tradition française, le Conseil constitutionnel ne se réfère pas expressément à d'autres décisions de justice et notamment aux arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme. Le Conseil constitutionnel ne l'a fait qu'une fois : dans sa décision du 30 novembre 2004 sur le projet de traité instituant une Constitution européenne, il s'est référé expressément à l'arrêt de la Cour du 29 juin 2004 dans l'affaire Leyla Sahin c. Turquie, décision à laquelle s'est substituée, à la suite du renvoi de l'affaire devant la grande chambre, un arrêt de la grande chambre du 10 novembre 2005, heureusement dans le même sens. Et pourtant, la Convention européenne des droits de l'homme et la jurisprudence de la Cour de Strasbourg exercent une influence très importante sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Le Conseil constitutionnel s'inspire directement de la Convention européenne des droits de l'homme et de la jurisprudence de la cour de Strasbourg, et ceci de quatre façons. 1. En premier lieu, la Convention européenne des droits de l'homme a contribué à l'émergence de droits nouveaux. Les droits nouveaux que le Conseil constitutionnel a déduits des dispositions très anciennes et souvent très générales de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 correspondent, dans de nombreux cas, aux droits reconnus par la Convention européenne des droits de l'homme et par la jurisprudence de la Cour de Strasbourg. On peut citer par exemple : - le droit au respect de la vie privée garanti par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme qui constitue, pour le Conseil constitutionnel, une composante de la liberté personnelle garantie par l’article 2 de la Déclaration de 1789 (Décision n° 99-416 DC du 23 juillet 1999, recueil p.100) ; - la liberté du mariage, garantie par l'article 12 de la Convention européenne, qui constitue également une composante de la liberté personnelle protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789 (Décision n° 2003-484 DC du 20 novembre 2003, recueil p. 438) ; - le droit de mener une «vie familiale normale» qui trouve sa source, selon le Conseil constitutionnel dans le 10e alinéa du préambule de la Constitution de 1946, en s'inspirant directement de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg (Décision n° 93-325 DC du 13 août 1993, recueil p. 224) ; - le principe de la dignité de la personne humaine déduit par le Conseil constitutionnel du préambule de la Constitution de 1946 (Décision n° 94-343/344 DC du 27 juillet 1994), s'inspire également de la jurisprudence de Strasbourg. 2. En second lieu, la jurisprudence de Strasbourg a sensiblement enrichi la conception française de certains droits. On peut en donner deux exemples : 72 La liberté d'expression, «l'un des droits les plus précieux de l'homme», pour reprendre la formule de la déclaration de 1789, ne se résume plus dans nos sociétés modernes d'information à la liberté d'exprimer ses opinions et à l'interdiction de la censure. Elle implique également l'accès à des sources pluralistes d'information : cette idée, clairement exprimée dans la jurisprudence de Strasbourg (arrêt Handyside du 7 décembre 1976), est maintenant totalement intégrée dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui se réfère expressément à la notion de pluralisme des courants de pensée et d'opinion (Décisions n° 86-217 DC du 18 décembre 1986, recueil page 141 ; n° 89-271 DC du 11 janvier 1990, recueil page 21) ; Pour définir la portée du principe selon lequel, en vertu de l'article 66 de la Constitution de 1958, l'autorité judiciaire est gardienne de la liberté individuelle, le conseil constitutionnel s'est référé implicitement aux termes de l'article 5 c) de la Convention européenne des droits de l'homme pour juger que « en dehors des cas où ils agissent sur réquisition de l'autorité judiciaire, les agents habilités ne peuvent disposer d'une personne que lorsqu'il y a des raisons plausibles de soupçonner qu'elle vient de commettre une infraction ou lorsqu'il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité et de l'empêcher d'en commettre une » (Décision n° 2003-467 DC du 13 mars 2003, considérant 10, recueil page 211). 3. En troisième lieu, la jurisprudence de Strasbourg a eu un impact majeur sur les procédures judiciaires et notamment sur la procédure pénale. Le Conseil constitutionnel a été amené à reconnaître, sur le fondement relativement ténu de l'article 16 de la déclaration de 1789 relatif à « la garantie des droits », un «droit à un recours juridictionnel effectif», qui s'inspire directement de l'article 6 de la Convention (Décision n° 99-416 DC du 23 juillet 1999, recueil p. 100). En jugeant que le principe du respect des droits de la défense, qui résulte de l’article 16 de la Déclaration de 17891, « implique, notamment en matière pénale, l’existence d'une procédure juste et équitable garantissant l'équilibre des droits des parties » (Décision n° 89-260 DC du 28 juillet 1989, recueil page 71), le Conseil constitutionnel s’est clairement inspiré de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme relative au droit à un procès équitable et à la nécessaire égalité des armes entre les parties qui en découle (arrêt Delcourt C/Belgique du 17 janvier 1970 ; arrêt Golder du 21 février 1975). L'élargissement par la Cour européenne du champ d'application des principes du droit pénal et de la procédure pénale à tout pouvoir de sanction (arrêt Luedicke du 28 novembre 1978 ; arrêt Oztürk du 21 février 1984) a incité le Conseil constitutionnel à imiter cette démarche (Décisions n° 8-155 DC du 30 décembre 1982, recueil page 88 ; n° 87-237 DC du 30 décembre 1987, recueil page 63). Plus largement, le Conseil constitutionnel a étoffé sa jurisprudence en matière pénale dans sa décision du 22 janvier 1999 relative à la Cour pénale 1 Décision n°2006-535 DC du 30 mars 2006, recueil p.50. internationale (Décision n° 98-408 DC du 22 janvier 1999, recueil page 29) par une interprétation directement inspirée de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme 2. En hissant au niveau constitutionnel le principe de publicité des débats judiciaires (considérant 25), le Conseil s'est inspiré directement de la jurisprudence européenne relative à l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme (arrêt Axen du 8 décembre 1983). Il en est de même à propos de l'exigence constitutionnelle d'impartialité et d'indépendance des juridictions (considérant 27), également inspirée de la jurisprudence de la Cour (arrêt Bulut du 23 février 1996). Enfin, en considérant que l'obligation pour une juridiction de motiver ses arrêts est «également de nature à éviter l'arbitraire» (considérant 22), le Conseil constitutionnel, tout en rattachant cette règle au principe de légalité des délits et des peines, tient compte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme en matière de procès équitable (arrêt Higgins et autres contre France du 19 février 1998). 73 Tout récemment, en se fondant, dans sa décision du 21 février 2008, pour censurer l’application rétroactive de la rétention de sûreté, sur le fait que cette mesure privative de liberté est prononcée « après une condamnation par une juridiction », le Conseil constitutionnel s’est référé implicitement à l’article 5 § 1 a) de la Convention (Décision n° 2007-562 DC du 21 février 2008, considérant Genevois, « Le Conseil constitutionnel et le droit pénal international. A propos de la Décision n° 98-408 DC du 22 janvier 1999 », RFDA 1999, p. 285. 8 Enfin, dans un domaine au moins, la jurisprudence de Strasbourg a conduit le Conseil constitutionnel à modifier sa jurisprudence: il s'agit des validations législatives. Par une décision n° 93-322 DC du 13 janvier 1994 (au recueil page 21), le Conseil constitutionnel avait admis la conformité à la Constitution de l’article 85 d’une loi du 18 janvier 1994, qui avait validé le montant d’une indemnité instituée en 1953 au profit des personnels des organismes de sécurité sociale des départements d’Alsace- Moselle. Or, postérieurement à cette décision, la Cour Européenne des Droits de l’Homme a développé une jurisprudence admettant de façon beaucoup plus restrictive les validations (arrêt Raffineries grecques Stran et Stratis Andreadis contre Grèce, du 9 décembre 1994 ; arrêt Papageorgiou contre Grèce, du 22 octobre 1997 ; arrêt National and Provincial Building Society contre Royaume Uni du 23 octobre 1997). Dans le prolongement de cette jurisprudence, la Cour Européenne des Droits de l’Homme a été amenée par un arrêt du 28 octobre 1999 (affaire Zielinski, Pradal, Gonzales et autres contre France), rendu donc cinq ans plus tard, à estimer que l’article 85 de la loi du 18 janvier 1994 était contraire à l’article 6 paragraphe 1 de la Convention européenne des droits de l’Homme relatif au droit à un procès équitable. La Cour a estimé que l’article 85 avait purement et simplement entériné la position adoptée par l’Etat dans le cadre d’une procédure pendante et réglé en réalité le fond du litige. Cette décision, fondée sur le principe de la séparation des pouvoirs, opérait ainsi un contrôle de proportionnalité entre l’intérêt général invoqué et l’atteinte portée aux droits individuels du justiciable. Par une décision n° 99-422 DC du 21 décembre 1999 (au recueil p. 143), rendue moins d’un mois plus tard, le Conseil constitutionnel a adapté sa jurisprudence dans le sens de celle de la CEDH, en estimant que « si le législateur peut, dans un but d’intérêt général suffisant - on notera la nuance entre impérieux et suffisant mais en pratique le contrôle est le même, valider un acte dont le juge administratif est saisi, afin de prévenir les difficultés qui pourraient naître de son annulation, C’est à la condition de définir strictement la portée de cette validation, eu égard à ses effets sur le contrôle de la juridiction saisie ; qu’une telle validation ne saurait avoir pour effet, sous peine de méconnaître le principe de la séparation des pouvoirs et le droit à un recours juridictionnel effectif, qui découlent de l’article 16 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, d’interdire tout contrôle juridictionnel de l’acte validé quelle que soit l’illégalité invoquée par les requérants ». Le Conseil constitutionnel s’est ainsi fondé explicitement sur le principe de la séparation des pouvoirs pour exercer, comme la Cour Européenne des Droits de l’Homme, un contrôle de proportionnalité entre l’intérêt général invoqué et l’atteinte portée au droit au recours du justiciable. Quelques jours plus tard, le Conseil constitutionnel devait appliquer ce contrôle de proportionnalité à deux dispositions de validation en matière fiscale (décision n° 99-425 DC du 29 décembre 1999, recueil p. 168). Depuis lors, le Conseil constitutionnel fait preuve de la plus grande vigilance en matière de validation législative pour apprécier si le motif d’intérêt général invoquée lui paraît suffisant dans l’espace (Décision n° 204-509 DC du 13 janvier 2005, recueil p. 33) ou dans le temps (Décision n° 2001-458 DC du 7 février 2002, recueil p. 80) 74 Ainsi, bien que le Conseil constitutionnel ait expressément jugé qu'il n'examine pas la conformité des lois qui lui sont déférées à la Convention européenne des droits de l'homme, on voit qu'il s'inspire directement et dans de nombreux cas de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg. Comment expliquer ce paradoxe ? La réponse est simple : la Convention européenne des droits de l'homme et la jurisprudence de la Cour de Strasbourg constituent aujourd'hui le principal élément fédérateur des différentes formes de protection des droits et des libertés qui s'exercent en France. Dans le cadre du contrôle de conventionalité, c'est à dire de conformité des lois à la Convention européenne des droits de l'homme, que le Conseil constitutionnel leur a abandonné, le Conseil d'État et la Cour de Cassation sont tenus de se conformer à la jurisprudence de Strasbourg, sous peine de voir leurs décisions désavouées et la France condamnée pour violation de la Convention. Le Conseil constitutionnel, s'il veut garantir l'unité de l'ordre juridique français et la sécurité juridique qui en découle pour les justiciables, est donc tenu de s'inspirer, lui aussi, étroitement de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg. Le Conseil constitutionnel n'échappe donc pas à une certaine contradiction : il interprète les principes constitutionnels à la lumière des droits fondamentaux garantis par la Convention européenne des droits de l'homme mais refuse d'étendre les normes de référence de son contrôle à celle-ci. La question qui se pose mais c’est une question ouverte pour l’avenir est dès lors de savoir si le Conseil constitutionnel ne devrait pas un jour faire de façon explicite ce qu'il fait déjà de façon implicite, c'est-à-dire une interprétation du préambule de la Constitution à la lumière de la Convention européenne des droits de l'homme. 75