« Tolérances, limites et effets de seuil »

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« Tolérances, limites et effets de seuil »
112e table ronde nationale jurisprudentielle - CNEAF
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« Tolérances, limites et effets de seuil »
Interprétation et usage qui en sont faits par le maître d’ouvrage, le
constructeur, l’expert et le juge
-
1.
Académie d’architecture (Paris), 21 novembre 2003 -
LES TOLERANCES RENCONTREES DANS L’ACTE DE CONSTRUIRE .................................. 2
1.1.
La notion de tolérance............................................................................................................. 2
1.2.
Les règlements d’urbanisme .................................................................................................. 3
1.2.1.
1.2.2.
1.2.3.
1.3.
Seuils liés à l’intervention de l’architecte et au permis de construire ............................................3
Quelques cas tirés du POS de la communauté urbaine de Lille...................................................3
Monuments historiques, loi Carrez et loi SRU...............................................................................4
Echanges avec la salle ............................................................................................................ 4
1.3.1.
1.3.2.
1.3.3.
1.3.4.
Le juge et l’esthétique....................................................................................................................4
Tolérance zéro...............................................................................................................................4
Tolérance et seuil ..........................................................................................................................4
Garde-corps...................................................................................................................................5
1.4.
Règlements et normes particulières à certains types d’ouvrage ........................................ 5
1.5.
Règles juridiques ..................................................................................................................... 6
1.6.
Règles de sécurité ................................................................................................................... 6
1.7.
Matériaux naturels et tolérance .............................................................................................. 6
1.8.
Règles de construction ........................................................................................................... 6
1.9.
Règles de réception ................................................................................................................. 7
1.10.
2.
Quatre catégories de règles ................................................................................................ 7
LE DROIT FACE AUX NOTIONS DE TOLERANCES .................................................................. 8
2.1.
Préalable ................................................................................................................................... 8
2.2.
Délais et règles de procédure ................................................................................................. 8
2.3.
Les appréciations laissées au juge ........................................................................................ 8
2.4.
Le juge est souverain .............................................................................................................. 9
2.5.
Qu’attend le juge ?................................................................................................................... 9
3.
ECHANGES AVEC LA SALLE ..................................................................................................... 9
3.1.
Parking ...................................................................................................................................... 9
3.2.
Non conformité de l’existant................................................................................................. 10
3.3.
L’expert pédagogue ?............................................................................................................ 10
3.4.
Acoustique et tolérance ........................................................................................................ 11
Paris – 21 novembre 2003
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OUVERTURE
JEAN-XAVIER LOURDEAU
PRESIDENT DU CONSEIL REGIONAL DES EXPERTS-ARCHITECTES D’ILE-DE-FRANCE
En construction comme ailleurs, cerner le réel, c’est lui donner des limites, des dimensions et des valeurs.
La « tolérance zéro » est à la mode, mais les architectes ont besoin de cette tolérance pour tenir compte
du réel.
Comment les experts-architectes et les juges appréhendent-ils les notions de seuils et de tolérances au
cours des expertises et des contentieux ?
1. Les tolérances rencontrées dans l’acte de construire
ALAIN DELCOURT
ARCHITECTE EXPERT, PRESIDENT DU COLLEGE DES EXPERTS ARCHITECTES PRES LA COUR D’APPEL DE DOUAI
1.1.
La notion de tolérance
Tout matériau de construction possède des caractéristiques propres. Les matériaux sont en effet conçus,
en usine, en atelier ou au chantier, avec des machines plus ou moins bien réglées, du personnel plus ou
moins bien formé, dans des conditions atmosphériques plus ou moins adéquates. Ainsi, deux objets
théoriquement destinés à la même fonction auront des caractéristiques (matière et dimensions)
différentes.
[NOTA : sollicitées par le conférencier, deux binômes parmi les participants ont mesuré séparément la
surface de la salle de conférences : leurs résultats sont sensiblement différents. Cette expérience illustre
les limites de la capacité de mesure : des opérateurs différents obtiennent des résultats différents.]
La notion de tolérance a donc été inventée et définie par la norme P04101 :
« le concept de tolérance est bien connu dans toutes les branches d’activités où il est procédé à des
assemblages dont le succès est étroitement conditionné par une limitation suffisante d’écarts
dimensionnels survenant au cours de toute opération au cours du processus de fabrication. Toutefois,
dans le domaine du bâtiment, ce concept de tolérance apparaît sous un aspect particulier, dans la
mesure où les intervenants participent à la réalisation d’un ouvrage commun, suivant des techniques
diverses et par des actions souvent indépendantes dans le temps et dans l’espace. Ainsi la précision de
fabrication de produits en usine et en atelier n’est pas directement liée à la précision de leur mise en
œuvre ou mise en place sur le chantier et à la précision de la réalisation des ouvrages existant ou à venir
dans lesquels ils doivent s’assembler ».
La norme prend donc en compte l’évolution des matériaux dans le temps (retrait du béton, séchage du
bois). Cette évolution et des tolérances doivent donc être prévues pour que le matériau continue
de remplir la fonction prévue.
Il ne s’agit pas seulement de tolérance dimensionnelle mais aussi d’une tolérance de composants :
- dosage de béton (eau, sable, caillou, ciment)
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- dosage de colorants et pigments dans une peinture
- aspect brut ou fini des matériaux (la perception d’un parement n’est pas la même pour le professionnel
ou pour le maître d’ouvrage).
La tolérance se définit en fonction d’un seuil limite. Si les magistrats, eux, ne connaissent qu’une
limite, les architectes constatent des tolérances admissibles ne nuisant pas au bon fonctionnement de
l’ouvrage. Certaines tolérances, en revanche, doivent être strictes. C’est le cas pour les garde-corps
d’escalier, de balcons, de paroi.
1.2.
Les règlements d’urbanisme
Les règlements d’urbanisme indiquent des seuils et effets de seuil. On peut cependant s’interroger sur la
validité de certains seuils inscrits dans ces règlements.
1.2.1. Seuils liés à l’intervention de l’architecte et au permis de construire
Pour un ouvrage à édifier, au-delà d’une Surface hors œuvre nette (SHON) de 170 m², la loi impose le
recours à un architecte. Pourtant, de plus grands ouvrages peuvent très bien se passer d’architecte, alors
que certaines petites surfaces (en deçà du seuil) exigent la participation d’un architecte. C’est le cas pour
une véranda dont l’impact sur l’environnement naturel ou construit n’est souvent pas négligeable. Ce
seuil semble donc avoir été fixé arbitrairement par un législateur manquant d’indicateurs esthétiques.
Pourquoi par exemple ne pas exprimer ce seuil en hauteur ou en volume ?
De même, comment justifier du bien-fondé du seuil de 20 m² au-delà duquel le permis de construire est
obligatoire ?
La SHON et la SHOB sont eux-mêmes parfois ardues à calculer et font l’objet de litiges, de même que
les calculs de Coefficient d’occupation du sol (COS), les distances aux limites séparatives avec les
hauteurs autorisées.
1.2.2. Quelques cas tirés du POS de la communauté urbaine de Lille
Le POS de la Communauté urbaine de Lille (CUDL) offre un autre exemple d’indication de tolérance
délicate à manier pour les architectes.
Article UB10 du POS de la CUDL : « la différence de niveau entre tout point de la façade d’un bâtiment et
tout point de l’alignement opposé ne doit pas excéder la distance comptée horizontalement entre ces
deux points. Pour le calcul de cette distance, il est tenu compte de la largeur d’emprise de la voie
existante ou de la largeur de la voie prévue au POS, et du retrait de la construction par rapport à
l’alignement. Un dépassement égal au dixième de la largeur de la voie et au maximum d’un mètre
est admis lorsque la hauteur calculée comme il est indiqué ci-dessus ne permet pas d’édifier un nombre
entier d’étages droits. La même tolérance est admise pour les murs pignons, les cheminées, les saillies et
autres éléments de construction ».
Cette tolérance engendre nécessairement un débat sur la possibilité de dépasser ou pas le dièdre que les
constructeurs sont censés respecter.
Ailleurs, le POS exige le respect d’un angle de 60° (pour un élément d’ouvrage particulier). Que se
passe-t-il si dans une construction donnée, l’angle en question est de 63° mais s’intègre mieux du
point de vue architectural ? Et si l’ouvrage est accepté, n’y a-t-il pas risque de contentieux avec un
riverain qui s’est vu imposer cet angle de 60° sans tolérance ?
L’article R111-21 du code de l’urbanisme précise que « le permis de construire peut être refusé ou n'être
accordé que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales si les constructions, par leur
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situation, leur architecture, leurs dimensions ou l'aspect extérieur des bâtiments ou ouvrages à édifier ou
à modifier, sont de nature à porter atteinte au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux
paysages naturels ou urbains ainsi qu'à la conservation des perspectives monumentales. »
Qui aura le courage d’écrire un article qui autoriserait une construction ne respectant pas certaines règles
d’urbanisme mais magnifiant le caractère architectural et urbain de son environnement ?
1.2.3. Monuments historiques, loi Carrez et loi SRU
Les règles correspondant aux monuments historiques sont une autre source de « flou ».
Un « périmètre de sécurité de 500 mètres de rayon » protège chaque monument historique, mais le
centre du périmètre n’est pas explicite : faut-il considérer le centre de gravité du monument ou la
périmétrie du bâtiment ?
La loi Carrez autorise une marge de 5% pour l’appréciation de la surface habitable. Une fois les
travaux réalisés, les matériaux utilisés (isolants, placoplâtres…) réduisent l’habitabilité des pièces, et
notamment en dessous des combles : la variation de la surface totale peut ne pas excéder 5%, mais avec
une variation de 10% pour l’une des pièces. Est-ce acceptable ?
La loi SRU introduit la notion de logement décent et exige le respect de surfaces, des niveaux de
ventilation et de salubrité, une bonne habitabilité…
1.3.
Echanges avec la salle
1.3.1. Le juge et l’esthétique
De la salle (LEROY)
Porter un jugement de valeur sur l’esthétique d’un bâtiment peut-il faire partie d’une lettre de mission pour
un expert architecte ?
Alain DELCOURT
Au cours d’une expertise, j’ai rencontré le cas d’un maître d’ouvrage dont le préjudice était le non respect
d’éléments contractuels concernant sa maison, et en particulier la qualité de son intégration à
l’environnement. C’est pourquoi l’expertise demandait d’estimer l’intégration du bâtiment à
l’environnement.
Fabrice JACOMET
L’architecte peut en effet fournir des éléments de fait (garage, hangars…) se rapportant à l’intégration
dans le site, que le juge appréciera. La dimension esthétique d’un bâtiment n’est pas exclue de
l’impropriété à la destination.
1.3.2. Tolérance zéro
De la salle (CONSTANTINOVITCH)
L’architecte n’est pas maître du devenir du bâtiment. Aussi, il est impensable par exemple de remplacer à
l’arrière d’un ouvrage les matériaux nobles (prévus pour la façade) par des matériaux « pauvres » : c’est
un gain d’argent mineur, une incohérence pour le bâtiment, un recul de l’architecture et même une faute.
Dans ces cas, les magistrats ne doivent pas tolérer de compromis.
1.3.3. Tolérance et seuil
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De la salle (Pierre BONNAUD)
Les tolérances s’appliquent aux matériaux, aux éléments fabriqués et à leur mise en œuvre, alors que les
seuils sont des dimensions à ne pas dépasser. La vente d’un bâtiment, par exemple, ne supportera pas
de dépassement de seuil : un garde-corps par exemple se doit de respecter strictement la cote minimale.
L’appréciation ne porte que sur les conséquences de l’erreur, pas sur l’erreur elle-même, que l’analyse
met immédiatement en évidence ou pas.
Jean-Xavier LOURDEAU
La mesure même d’un gabarit se fait aussi avec une zone de tolérance, de même que la mesure d’un
terrain (cas d’un terrain naturel en pente, qui a « bougé »).
De la salle (Pierre BONNAUD)
L’informatique permet désormais d’apprécier la tolérance (exemple : mesures à deux décimales), mais la
reprise de plans de géomètres réserve encore bien des surprises. Par exemple, les indications de surface
correspondent-elles à une surface au sol projetée ? D’ailleurs, chaque logiciel est réglé selon une
tolérance qui lui est propre.
De la salle (CONSTANTINOVITCH)
Les limites de construction sont précises et les disquettes permettent maintenant une approche « au
millimètre ». Il n’y a pas de tolérance possible dans ce cas.
1.3.4. Garde-corps
De la salle (architecte à la retraite)
Le code de la construction et de l’habitat évoque le cas des garde-corps (article R111-15) en précisant
que les dispositions sont aux constructions neuves, aux extensions et aux surélévations. Qu’advient-il
des gardes corps existant ? Un ravalement de façade implique-t-il de les mettre aux normes ?
Dans l’hôtel de Chaulnes par exemple, l’ajout d’un chauffage central et d’un appui a rendu le garde-corps
plus dangereux (bien que l’usage d’habitation ait disparu il y a très longtemps).
Alain DELCOURT
La norme s’applique « aux garde-corps et aux rampes d’escaliers de caractère définitif rencontrés dans
les bâtiments d’habitation, de bureaux, scolaires, commerciaux, industriels et agricoles, les lieux publics
avec accès ainsi qu’aux abords de ces bâtiments ».
La norme ne porte pas sur « les garde-corps à l’intérieur des logements et ne donnant pas sur l’extérieur
si le maître d’ouvrage le notifie, les garde-corps situés dans les locaux techniques et passages réservés
au personnel technique et d’entretien, ni aux garde-corps des échafaudages à caractère provisoire, les
balcons de salles de cinéma et théâtres si le maître d’ouvrage le notifie [la notification par le maître
d’ouvrage est bien peu probable], les tribunes de stades, les monuments historiques ».
Un remplacement à l’équivalent de garde-corps est effectué lors de ravalement de bâtiments anciens ou
d’adjonctions de parties de bâtiment de même style.
C’est d’ailleurs l’esprit de la circulaire du 13 décembre 1982 : « la situation ne doit pas être pire qu’avant
les travaux ». Ces aménagements feront ensuite l’objet de négociation avec les services de sécurité.
1.4.
Règlements et normes particulières à certains types d’ouvrage
Ces règlements imposent aussi des seuils et permettent des tolérances.
On peut citer :
- les normes scolaires
- la norme P01-101 sur les dimensions de coordination des ouvrages et des éléments de construction
(dont les équations mathématiques sur la coordination modulaire sont absconses
- les normes hospitalières
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- les règles régissant les installations classées (règles environnementales)
- les règles des services distributeurs (EDF, France Télécom, Gaz de France)
- les règles de distance entre courants faibles et courants forts
- les règles de distance par rapport aux conduites du métro
NOTA : il arrive que l’architecte et le maître d’ouvrage, pour éviter de dépasser un seuil de déclaration,
décident de limiter l’ouvrage (effet de seuil)
1.5.
Règles juridiques
Le délai de parachèvement ne dépasse pas 1 an. La garantie décennale dure 10 ans plus un jour.
La tolérance existe aussi dans les sanctions, la même infraction pouvant être sanctionnée à l’intérieur
d’une fourchette assez large.
1.6.
Règles de sécurité
Le problème se pose dans les magasins où l’agencement des caisses et des présentoirs réduit
progressivement les couloirs au détriment de la sécurité, d’autant plus que le magasin change de main ou
même d’activité.
La circulaire de décembre 1982 évoque la négociation avec les services de prévention sur les
adaptations à réaliser en cas de rénovation pour mettre en l’immeuble « en sécurité » (et pas forcément
« aux normes »).
1.7.
Matériaux naturels et tolérance
La dureté, la porosité des pierres, et la propagation de sons à travers ce matériau font l’objet d’équations
complexes. Une série de normes encadre de même les caractéristiques du bois (densité de nœuds…).
Dans tous les cas, l’architecte doit prendre en compte les tolérances dimensionnelles des produits livrés
et vérifier l’aptitude des produits à être utilisés pour un autre usage que celui qui a été prévu : peut-il
tolérer par exemple qu’une pierre d’intérieur se retrouve en bordure de piscine ?
1.8.
Règles de construction
Les règles de construction sont les règles de fabrication des ouvrages ou des éléments d’ouvrages en
usines ou en ateliers, de mise en œuvre sur les chantiers, d’acceptation des ouvrages en fonction de leur
conformité au projet, au contrat et aux règles d’urbanisme. Elles sont contenues dans trois supports :
- DTU1 qui gère les ouvrages traditionnels (90 DTU)
- les règles professionnelles en l’absence de DTU
- les différents avis techniques2 (plus ou moins spécifiques)
1
Les DTU ou Documents techniques unifiés sont des documents qui contiennent les règles techniques relatives à
l'exécution des travaux de bâtiment au moyen de techniques dites traditionnelles. Ils sont reconnus et approuvés par
les professionnels de la construction. Ils servent également de référence aux experts des assurances et des tribunaux.
Leur non-respect peut entraîner l'exclusion des garanties offertes par les polices individuelles de base. Les DTU
constituent des cahiers des charges types des règles de l'art pour la construction traditionnelle et sont l'exemple
même des textes de référence. Ils s'adressent aux corps d'état concernés ainsi qu'aux maîtres d'oeuvre (architecte ou
entreprise générale), aux maîtres d'ouvrage et aux experts. Ils sont établis par le groupe de coordination des textes
techniques.
2
Les avis techniques sont les avis rendus par les commissions interprofessionnelles d'experts sur l'aptitude à l'emploi
et sur le comportement prévisible en oeuvre de matériaux, composants ou procédés nouveaux. Ils définissent les
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Le DTU est muet, par exemple, sur le cas des « carreaux qui sonnent creux » (ceux qui ne sont pas bien
scellés). Il revient donc à l’architecte d’apprécier la proportion de ces carreaux creux, leur répartition, les
conséquences possibles selon l’usage, etc.
1.9.
Règles de réception
L’ouvrage est-il conforme aux règles de l’art ?
A ce stade, l’architecte se doit d’insister sur l’aspect de l’ouvrage. Il arrive par exemple qu’un parement
fasse apparaître deux zones très différentes d’aspect (le constructeur n’ayant pas pris le soin de marier
les briques de deux lots différents par exemple). Le mur demeure solide et imperméable. L’expert doit-il
alors mentionner ce problème d’aspect et prendre en compte une moins-value ?
Les jugements sur l’aspect sont toutefois délicats : deux huissiers peuvent observer pour les mêmes
fissures dans un mur de « vastes lézardes » et l’autre « des microfissures ».
Les seuils de tolérance concernent aussi les délais et les coûts de réalisation. Sont-ils
contractuels ? Des pénalités de retard ou des dates de livraison sont-elles prévues ? Les coûts de
réalisation prévoyaient-ils une marge ? Les travaux supplémentaires ont-ils été commandés verbalement
ou par écrit ?...
1.10. Quatre catégories de règles
Ces considérations amènent à classer les règles en quatre catégories au regard de la tolérance :
- les règles strictes sans conséquences
- les règles strictes avec conséquences (cas des garde-corps)
- les règles adaptables sans conséquence (cas du proportion de nœuds dans le bois)
- les règles adaptables avec conséquence
Restent finalement des questions : est-ce à l’expert d’apprécier si un seuil est dépassable ? (un seuil estil d’ailleurs dépassable ?) Le juge pondérera-t-il sa sanction en fonction de la gravité des effets du
dépassement de cette tolérance ?
[NOTA : le Centre d’assistance technique et de documentation (CATED) a publié un document compilant
les différentes tolérances dimensionnelles (disponible pour 64 € par le biais du CNEAF) : www.cated.fr]
caractéristiques des matériaux, composants ou procédés concernés, donnent une appréciation sur leur durabilité et
leur aptitude à l'emploi et les situent par rapport à leur capacité à respecter la réglementation.
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2. Le droit face aux notions de tolérances
FABRICE JACOMET
PRESIDENT DE CHAMBRE A LA COUR D’APPEL DE PARIS ET PRESIDENT DE L’ASSOCIATION JUSTICE CONSTRUCTION
2.1.
Préalable
L’avis d’expert sert à discerner une solution évitant le contentieux. Le juge lui-même propose de plus
en plus une médiation judiciaire en cours de procès.
Les limites du litige présenté au juge sont du ressort des parties. En effet, le juge ne pourra pas
échapper à la manière dont elles veulent aborder le litige : responsabilité contractuelle, responsabilité
délictuelle ou garantie décennale/biennale. Pour chaque cas, le regard porté sur le litige est différent au
regard des tolérances :
- dans le cadre de la responsabilité contractuelle, la partie peut demander la mise en conformité à
laquelle elle a droit indépendamment du dommage qui résulterait
- dans le cadre de la recherche de la responsabilité sur le fondement d’un vice caché, la recherche du
dommage guide le juge
Le juge peut toutefois demander aux parties d’orienter autrement leur demande. Si les parties n’ont
pas donné de fondement, le juge peut y substituer (une réforme en 1998 insiste sur la nécessite pour les
parties de préciser leur fondement, mais l’absence de fondement est encore fréquente). Enfin, le juge
peut aussi changer le fondement proposé.
Le juge ne peut soulever une question de prescription : même si la garantie décennale a expiré, il doit
tout de même statuer. (Si une seule partie invoque la prescription, la situation est encore plus complexe
car le juge doit rendre deux jugements, l’exception de prescription ne profitant qu’à une partie). Mais le
juge s’efforcera d’éviter cette situation incohérente.
Ainsi, le juge n’a pas une liberté totale de traitement du dossier. A trop l’oublier, bien des décisions
paraissent inexplicables.
2.2.
Délais et règles de procédure
Les règles de procédure excluent toute tolérance et marge d’appréciation (10 ans et un jour
maximum pour la garantie décennale). Les atténuations ne sont qu’apparentes (c’est le cas lorsqu’un un
délai d’action décennale peut être suspendu par une action en justice ou en raison de désordres
successifs).
2.3.
Les appréciations laissées au juge
Parfois, la loi ne donne pas de règles strictes : c’est le cas du vice caché à soulever dans de « brefs
délais ». Il appartient alors au juge d’apprécier.
Certaines dispositions laissent au juge du fond une appréciation large sous contrôle de la Cour de
cassation. La garantie décennale peut (selon les juges) s’appliquer à des « éléments d’ouvrage » et plus
seulement à l’ouvrage lui-même. Un garage, une véranda et même une dalle de piscine ont ainsi déjà été
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pris en compte en garantie décennale. Dans tous ces cas, le juge est souverain, au détriment de l’unité
jurisprudentielle.
La notion de dommage est elle aussi très large : le critère est que le dommage ne doit pas être
apparent à la réception et ne pas faire l’objet de réserves à la réception. Il faut que même un particulier
non compétent puisse apprécier le dommage dans sa manifestation, sa cause et ses conséquences.
Le dommage peut être évolutif, mais la cour de cassation a précisé que le désordre (et pas seulement les
symptômes) devait apparaître au cours du délai de garantie décennale.
Les critères sont l’atteinte à la solidité et l’impropriété à la destination que le juge doit caractériser (règles
de sécurité, implantation, accès au garage, isolation thermique, questions de santé publique).
L’impropriété de destination offre donc une grande liberté : le juge ne doit pas en abuser mais bien tenir
compte de l’usage prévu de l’immeuble. Des portes qui ferment mal ne rendent pas un ouvrage impropre,
sauf s’il s’agit d’un hôtel. De même, un préjudice esthétique peut être considéré comme une
impropriété de destination si la volonté du maître d’ouvrage était de rechercher le caractère
esthétique de l’ouvrage. A titre d’illustration, si l’un des quatre bâtiments du siège social d’une
entreprise n’est pas similaire aux autres, l’unité esthétique (légitimement recherché par l’entreprise pour
son image) n’est pas respectée et l’impropriété de destination peut être constatée.
2.4.
Le juge est souverain
Pour établir les responsabilités, le droit français cherche à définir le préjudice, la faute et le lien de
causalité entre préjudice et faute. Mais ce n’est pas parce que toutes les règles de la construction ont été
respectées que la responsabilité ne peut être recherchée, en particulier s’il y a dommage. La mission de
l’architecte reste une obligation de moyens.
A l’inverse, le non respect d’une norme n’entraînant pas de dommage ne permettra pas de rechercher
une responsabilité : seule la mise en conformité pourra être demandée. Si cette dernière est impossible,
un préjudice de principe sera établi. Pour le juge, l’angle d’attaque n’est pas le respect ou non de la
norme, mais l’existence ou non d’un dommage (dans le cas classique de la recherche de la
responsabilité en garantie décennale) : il y aura réparation du préjudice, rien que le préjudice et tout le
préjudice.
Le juge est libre dévaluer le préjudice subi comme les modalités réparatoires.
Si le juge ne suit pas les conclusions de l’expert, il doit s’en expliquer : si l’expert indique qu’un sol carrelé
est à refaire, et que le juge réclame seulement le remplacement de quelques carrelages, il devra le
justifier.
Par conséquent, la résolution de toutes les questions techniques dès l’expertise est primordiale.
Ainsi, sur le partage de responsabilité, le préjudice, l’appréciation du respect des normes, le juge est
souverain pourvu qu’il motive sa décision.
2.5.
Qu’attend le juge ?
Le juge attend de l’expert des éléments sur la vision du dommage et sur les éventuelles erreurs
techniques commises. Si un nouveau désordre apparaît après une première procédure, en quoi est-il
nouveau ?
3. Echanges avec la salle
3.1.
Parking
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De la salle
Quelles sont les tolérances applicables aux dimensions d’un parking ? En effet, la commodité peut
dépendre de l’embonpoint du conducteur…
Fabrice JACOMET
Le bon sens exige qu’un parking ne puisse pas n’accepter que les petites voitures. Sinon, le constructeur
doit indiquer que l’immeuble n’acceptera que les petites voitures. De même, de l’eau stagnant dans un
parking ne peut être un préjudice, sauf si des bottes sont nécessaires pour accéder à son véhicule. Le
contentieux lourd à certaines époques s’atténue aujourd’hui avec ces règles de bon sens.
Jean-Xavier LOURDEAU
Par ailleurs, des normes existent pour les dimensions de parking.
3.2.
Non conformité de l’existant
De la salle (MARTI)
Que faire en cas de non-conformité de l’existant ? (cas d’un référé préventif) Quelles sont les mesures de
précaution à prendre ? Faut-il faire le tour de l’existant ?
Fabrice JACOMET
Le référé préventif est utilisé abusivement pour se garantir alors qu’il devrait seulement servir à identifier
l’état des existant pour déterminer les techniques de construction à utiliser (pour limiter les dommages ou
les éviter).
L’expert désigné dans un référé préventif doit estimer l’état du bâtiment, constater les problèmes et
prévoir les évolutions. Il doit mettre les parties autour d’une table pour obtenir des garanties pour le futur
ouvrage. Les référés doivent donc avoir lieu avant l’opération et non après comme on le voit souvent.
3.3.
L’expert pédagogue ?
Alain DELCOURT
L’expert a un rôle d’arbitre qui huile les rouages entre les parties. Il est d’ailleurs parfois sollicité par
l’architecte pour être conforté dans ses positions et surtout être pédagogique avec les parties. Un chantier
crée des nuisances : si l’expert l’explique, l’information sera mieux perçue.
De la salle
Le juge nous demande de l’expertise et pas de la pédagogie : cette fonction ne rentre pas dans notre
mission.
Fabrice JACOMET
Cela dépend de l’objet du référé préventif. En général, il s’agit d’éviter un litige et une solution amiable
doit être recherchée avec les parties. Parfois, on peut même reprocher au constructeur de n’avoir pas
prévu un référé préventif.
Je pense qu’il faut que se développe le conseil technique des parties (avec l’accord des assureurs) plutôt
que le recours aux avocats.
Certains magistrats sont en effet très stricts et imposent à l’expert de ne pas sortir de sa mission.
Cependant, cela dépend du climat de l’opération : en général, l’expert du référé préventif sait assez bien
jusqu’où il peut aller comme pédagogue.
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3.4.
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Acoustique et tolérance
De la salle
Peut-on dépasser les 3 dB de tolérance en matière acoustique ? Y a-t-il un contentieux ?
De la salle
Incertitude et tolérance sont à distinguer : la loi précise que le seuil suppose une tolérance car la
mesure est imprécise. Un arrêté fixe ces seuils et un autre rappelle les tolérances. Les tolérances ne se
discutent donc pas, tandis que l’incertitude (scientifique) se discute.
En matière acoustique, le fait que les seuils d’infraction constituent des objectifs à atteindre pose
problème.
Fabrice JACOMET
Le dépassement du seuil aboutit à une recherche de responsabilité. Mais quel est le fondement ? Le
cadre contractuel avec le maître d’ouvrage ? Un trouble anormal de voisinage (un tiers se plaignant de
nuisances) ? Dans le premier cas, un seuil est à respecter sans tolérance possible. Dans le deuxième, le
dépassement devra être apprécié.
La construction aussi est confrontée aux normes européennes. La multiplication des normes va parfois à
l’encontre du but recherché, mais c’est bien le but qui doit être privilégié, et non la norme, qui n’est qu’un
guide. Un bâtiment ne répondant pas aux normes d’accès pour les handicapés ne sera évidemment pas
rasé : la réparation sera limitée au préjudice. Le juge recherche une position médiane et pas stricte. Pour
lui, seules comptent les incertitudes, et pas les tolérances.
[NOTA : cf. sur le même sujet les conférences de l’académie d’architecture sur www.acadarch.fr
La prochaine table ronde (mars 2003) aura pour thème « le diagnostic obligatoire dans le cadre de la
vente »]
Paris – 21 novembre 2003
112e table ronde nationale jurisprudentielle - CNEAF
SIGLES
CATED : centre d’assistance technique et de documentation
COS : coefficient d’occupation des sols
CUDL : communauté urbaine de Lille
DTU : documents techniques unifiés
POS : plan d’occupation des sols
SHOB : surface hors œuvre brute
SHON : surface hors œuvre nette
SRU : solidarité renouvellement urbain
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112e table ronde nationale jurisprudentielle - CNEAF
Synthèse de la 112e table ronde nationale jurisprudentielle
Paris – 21 novembre 2003
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Contact : Jean-Xavier LOURDEAU
e-mail : [email protected]
Téléphone : 01. 40. 59. 41. 96
48, avenue Marceau
75 008 PARIS
Réalisation de la synthèse :
AVERTI, la rédaction par des experts
e-mail : [email protected]
téléphone : 03. 20. 13. 02. 02
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