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NATIONS UNIES A Assemblée générale Distr. GÉNÉRALE A/C.3/49/5 18 octobre 1994 FRANÇAIS ORIGINAL : ANGLAIS Quarante-neuvième session TROISIÈME COMMISSION Points 100 a), b) et d) de l’ordre du jour QUESTIONS RELATIVES AUX DROITS DE L’HOMME : APPLICATION DES INSTRUMENTS RELATIFS AUX DROITS DE L’HOMME; QUESTIONS RELATIVES AUX DROITS DE L’HOMME, Y COMPRIS LES DIVERS MOYENS QUI S’OFFRENT DE MIEUX ASSURER L’EXERCICE EFFECTIF DES DROITS DE L’HOMME ET DES LIBERTÉS FONDAMENTALES; APPLICATION ET SUIVI MÉTHODIQUES DE LA DÉCLARATION ET DU PROGRAMME D’ACTION DE VIENNE Lettre datée du 10 octobre 1994, adressée au Secrétaire général par le Représentant permanent de la Grèce auprès de l’Organisation des Nations Unies Comme suite à notre correspondance sur la question, j’ai l’honneur de vous faire tenir ci-joint le texte intégral du rapport de M. Andrzey Rzeplinski, représentant du Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (BIDDH/CSCE), qui a assisté, en qualité d’observateur, au récent procès de cinq membres de la minorité grecque en Albanie. Le rapport du professeur Rzeplinski, daté du 6 septembre 1994, et intitulé "Rapport du Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe sur le procès tenu à Tirana (Albanie)", a déjà été diffusé au sein de la CSCE par la délégation grecque et, comme vous le constaterez, prouve de façon irréfutable que le Gouvernement albanais a organisé un procès qui est loin de correspondre aux principes et aux normes internationalement reconnus pour l’administration de la justice. Je vous serais reconnaissant de bien vouloir distribuer la présente lettre et son annexe comme document de l’Assemblée générale, au titre des points 100 a), b) et d) de l’ordre du jour. L’Ambassadeur, Représentant permanent de la Grèce auprès de l’Organisation des Nations Unies (Signé) Christos ZACHARAKIS 94-40512 (F) 311094 311094 /... A/C.3/49/5 Français Page 2 Annexe RAPPORT DU BIDDH/CSCE, EN DATE DU 6 SEPTEMBRE 1994, SUR LE PROCÈS TENU À TIRANA (ALBANIE) 1. Objectif de la mission L’objectif de cette mission était de surveiller le déroulement du procès de cinq citoyens albanais d’origine grecque, accusés de trahison, d’espionnage et de détention illicite d’armes, et de faire rapport à ce sujet au Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (BIDDH/CSCE). L’accent était mis sur le respect des normes de procédure régulière internationalement reconnues. Le 11 août 1994, j’ai rencontré l’Ambassadeur d’Albanie en Pologne, M. Enver Abdyi Faja, qui m’a exposé la version albanaise de l’affaire et m’a communiqué des éléments sur le différend qui oppose son pays à la Grèce au sujet de la minorité grecque en Albanie. Par ailleurs, l’ambassade de Grèce en Pologne m’a communiqué le texte de l’acte d’accusation et les dispositions pertinentes du Code pénal albanais de 1977 traduits en anglais, ainsi que plusieurs déclarations officielles grecques concernant le procès. Je suis arrivé à Tirana le 13 août et j’en suis parti le 20 août 1994. Pendant ce séjour, j’ai rencontré tous les avocats de la défense et quatre des accusés dans la prison de la police, le vendredi 19 août dans la soirée. J’ai assisté à toutes les audiences entre le lundi 15 août, date de l’ouverture du procès, et le samedi 20 août. J’ai enregistré sur bande magnétique tous mes entretiens avec les participants aux procédures du Tribunal. J’ai étudié les dispositions constitutionnelles albanaises concernant les garanties d’une procédure régulière, certaines lois connexes et le texte du projet de nouveau code pénal qui sera peut-être adopté prochainement. Chaque jour, j’ai analysé trois journaux albanais et suivi la façon dont le procès était couvert par la télévision albanaise. Des rencontres ont été organisées avec plusieurs journalistes albanais et grecs et avec des observateurs assistant au procès. Une réunion prévue avec le ministère public n’a pu avoir lieu. Pendant mon séjour à Tirana, j’ai reçu l’assistance de fonctionnaires de l’ambassade d’Italie, représentant le Président en exercice de la CSCE, et du Ministère des affaires étrangères albanais. Les deux parties m’ont apporté toute l’aide voulue. 2. Règles juridiques s’appliquant à l’affaire Le 4 octobre 1991, l’Albanie a ratifié le Pacte international relatif aux droits civils et politiquesa. Le texte de l’article 4 de la Loi constitutionnelle sur les principales dispositions constitutionnelles, adoptée le 29 avril 1991, est le suivant : "La République d’Albanie reconnaît et garantit les droits de l’homme et les libertés fondamentales des minorités ethniques qui sont énoncés dans les instruments internationaux pertinents". L’article 8 de la Loi se lit ainsi : "La législation de la République d’Albanie /... A/C.3/49/5 Français Page 3 prend en compte, reconnaît et respecte les principes généralement acceptés des règles du droit international". Une autre loi constitutionnelle albanaise, adoptée le 31 mars 1993 et intitulée "Charte des droits", garantit formellement aux habitants du pays les droits et libertés fondamentales énoncés dans la Charte internationale des droits de l’homme. Toutefois, la Charte des droits albanaise n’est pas une loi exécutoire. Par ailleurs, le Code pénal albanais, adopté en juin 1977 sous le régime communiste et légèrement modifié en mai 1990, conserve un caractère fortement autoritaire. C’est également l’avis du Ministère public albanais; le premier jour du procès, le procureur a renoncé à l’inculpation de trahison car, a-t-il expliqué, "elle est fondée sur les dispositions très staliniennes du Code pénal". Ce code est toujours en vigueur, mais on m’a dit que le Parlement était en train de débattre d’un nouveau texte de code pénal. L’héritage communiste ayant fortement marqué le domaine judiciaire, cette enquête et les autres enquêtes et procès criminels en Albanie devraient, selon les lois constitutionnelles albanaises et les obligations internationales de ce pays, se dérouler conformément aux articles 9 (Droits des personnes arrêtées ou détenues) et 14 (Garantie d’une procédure régulière pour une personne accusée d’un crime) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, malgré le contenu du Code de procédure pénale actuel. Les observations concernant cette affaire sont donc fondées sur l’article 9 et les commentaires sur l’article 14 du Pacte, ainsi que sur les engagements envers le processus de la CSCE; sur le paragraphe 13.9 (Droit à un procès équitable) du Document de clôture de la Réunion de Vienne, les paragraphes 5.2 (Devoir des autorités publiques de se conformer à la Constitution), 5.5, 5.12 et 5.16 (Activités des autorités judiciaires), 5.15 et 5.17 (Droits des personnes arrêtées ou détenues), 5.19 (Présomption d’innocence) du Document de la Réunion de Copenhague. J’ai également tenu compte du fait que, selon le paragraphe 24 de la Déclaration de la Réunion de Copenhague, "toute restriction à des droits et libertés doit, dans une société démocratique, correspondre à l’un des objectifs de la loi et être strictement proportionnée à l’objet de celle-ci". Tenant compte de la teneur des principales accusations dans cette affaire (trahison et espionnage), je me suis également référé au chapitre IV, paragraphes 30 à 38, du Document de Copenhague (Droits des minorités nationales). Le présent rapport est exclusivement centré sur les faits qui, de l’avis de l’observateur, peuvent être considérés comme des vices de procédure manifestes dans cette affaire. Il n’évoque pas le problème de la minorité grecque-albanaise, ni les problèmes généraux du système de justice criminelle en Albanie. Il est indubitable cependant, à la lumière des rapports rédigés par des observateurs indépendants et de mon expérience personnelle de conférencier qui s’est adressé au nom du Conseil de l’Europe à des juristes et des officiers de police albanais en avril 1993 et février 1994, que depuis quatre ans, les conditions se sont beaucoup améliorées dans ces deux domaines et que les autorités démocratiques albanaises sont prêtes à continuer dans cette voie. 3. Noms des participants au procès Accusés et leurs avocats Vangelis Papachristos (en albanais : Vangiel Papakristo) dont la défense est assurée par Pajrim Moxha; /... A/C.3/49/5 Français Page 4 Theodoros Vezians (en albanais : Theodhorj Bezhani) dont la défense est assurée par Kujtim Puto; Panagiotis Martos (en albanais : Panajot Marto) dont la défense est assurée par Vladimir Bineri; Kostas Kyriakou (en albanais : Kosta Qirjako) dont la défense est assurée par Kristaq Ngjsia; Iraclis Syrmos (en albanais : Irakli Sirmo) dont la défense est assurée par Arqile Lole. Procureurs appartenant au Ministère public de la ville de Tirana : Arben Qeleshi et Gane Gjokutaj. Jury constitué de trois juges : Le jury du tribunal de la ville de Tirana était présidé par Martin Deda (je n’ai pas pu avoir connaissance du nom des deux autres juges qui ont instruit le procès). 4. Enquête préliminaire Pour des raisons évidentes, je n’ai pas eu accès au dossier pendant le procès. Mes commentaires reposent donc sur des observations, sur l’étude de documents juridiques et sur des entretiens. Lorsque j’ai rencontré les accusés, ils se sont plaints des perquisitions effectuées à leurs domiciles et de la violation de leurs droits après leur arrestation (ils ont également évoqué ces questions au cours de l’audience) : — Les accusés ont déclaré qu’ils avaient été emmenés sans qu’un mandat d’arrêt ait été délivré contre eux; — Les quatre accusés à qui j’ai parlé se sont plaints d’avoir été interrogés pendant plus de 72 heures d’affiliée. Les noms des officiers de police qui les ont interrogés et ont assisté aux premiers interrogatoires ne sont pas tous indiqués dans le dossier de l’affaire. M. Kiriakou a protesté contre cet abus de pouvoir en faisant une grève de la faim pendant deux jours. — L’un des accusés, M. Syrmos, a déclaré qu’il avait été frappé par trois policiers puis examiné par un médecin. Les autres m’ont rapporté que les enquêteurs avaient usé de termes hostiles à leur encontre. — Tous les accusés ont signalé qu’ils n’avaient pu voir d’avocat pendant les premiers jours de l’enquête préliminaire. Le premier accusé, M. Vezians, a la double nationalité albanaise et américaine; après l’intervention de diplomates américains, M. Vezians a reçu l’assistance d’un avocat cinq jours après son arrestation. M. Martos voulait disposer d’un avocat de son choix dès le début du procès, mais il a dû attendre près de quatre mois après le début de l’enquête /... A/C.3/49/5 Français Page 5 officielle. M. Papachristos n’a obtenu l’aide d’un défenseur que sept jours avant l’ouverture du procès. Les accusés et leurs avocats ont indiqué à plusieurs reprises pendant les audiences du tribunal que la police avait refusé leurs demandes d’assistance juridique. Les enquêteurs ont prétendu que si les accusés ne demandaient pas un avocat spécifique, cela signifiait qu’ils ne voulaient aucune assistance. — Les accusés ont été arrêtés aux termes de l’article 48 du Code pénal, qui s’applique aux étrangers et aux apatrides. Les accusés étant tous citoyens albanais, cela signifie que, d’un point de vue formel, l’arrestation et les premiers jours de détention étaient illégaux; — Les accusations n’ont pas été formulées par un fonctionnaire habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires. Le fonctionnaire responsable de l’enquête préliminaire ne s’est jamais fait connaître des accusés. Toutes ces plaintes des accusés constituent une violation des dispositions énoncées dans les paragraphes 1, 2 et 3 de l’article 9 du Protocole international, qui garantissent le droit à la liberté et à la sécurité de la personne et qui énumèrent les droits spéciaux en cas d’arrestation ou de détention. Le Ministère public a réfuté toutes ces plaintes dans une déclaration spéciale publiée par l’agence télégraphique albanaise le 18 août. Il a déclaré qu’"aucune violence, physique ou psychologique, n’a été exercée à aucun moment ni en aucun cas contre les accusés...". Les éléments mentionnés ci-dessus devraient cependant être considérés comme faisant partie de la conduite d’un procès équitable par le tribunal avant qu’il rende son verdict ou ensuite par une cour d’appel. Les avocats de la défense n’ont évoqué aucun de ces éléments, peut-être parce qu’ils ne connaissent pas les normes internationales concernant ces règles. Interrogés à propos des plaintes de leurs clients, les avocats de la défense ont déclaré qu’ils étaient au courant de ces plaintes (certaines d’entre elles ont été formulées par les accusés devant le tribunal). Ils ont cependant refusé de demander au tribunal de mener une enquête sur ces allégations pendant le procès. L’un des avocats a déclaré : "Même si je demandais au tribunal d’examiner cette information, c’est-à-dire de demander aux policiers de témoigner sur leur comportement pendant les interrogatoires préliminaires, le tribunal n’accepterait pas une telle requête. Je suis avocat depuis deux ans, mais je connais nos tribunaux depuis plus de 32 ans car j’ai été juge et je suis convaincu qu’une telle motion serait inutile". Il convient d’ajouter que la plupart des renseignements que les accusés m’ont donnés en prison avaient déjà été mentionnés précédemment au cours des explications données devant le tribunal. Le Ministère public a bien entendu choisi une approche différente et a réfuté ces accusations. /... A/C.3/49/5 Français Page 6 À l’issue de l’enquête préliminaire, avant la préparation de l’acte d’accusation, les accusés se sont vu refuser le droit de consulter le dossier et de prendre des notes. Quatre volumes (environ 1 200 pages) ont dû être "lus" en une demi-heure. Ce vice de procédure constitue une violation manifeste des droits à une procédure régulière prévus aux alinéas a) et c) du paragraphe 3 de l’article 14 du Pacte international. 5. Acte d’accusation Il est difficile de considérer ce long document décousu comme un acte d’accusation. Le ministère public n’a pas fait preuve de clarté car il n’a pas précisé qui avait fait quoi, quand et comment; il n’a pas indiqué non plus le mobile auquel avaient obéi les différents accusés censés avoir commis des actes contraires au droit pénal. Si l’acte d’accusation était aussi mal rédigé, cela était peut-être dû au manque d’expérience du procureur et à une mauvaise connaissance des règles de rédaction juridique internationalement reconnues. Tant pendant la lecture de l’acte d’accusation que pendant les réquisitoires oraux du ministère public, un temps disproportionné a été consacré à la discussion des activités des Grecs et de la minorité grecque en Albanie, questions qui ne faisaient pas partie de l’acte d’accusation lui-même. Une grande partie du procès a été occupée par ces problèmes. Le ministère public a accusé les cinq prévenus d’avoir organisé une conspiration au sein d’une organisation autorisée par la loi. L’article 13 du Code pénal albanais précise que "la collaboration est l’exécution d’un acte punissable par deux ou plusieurs personnes liées par un accord, par un groupe organisé, par un groupe armé...". L’impression très nette qui se dégage de ces accusations est qu’elles pourraient facilement s’adresser à un groupe d’autres accusés potentiels, quel que soit leur nombre. Le seul lien vérifiable existant entre les accusés est qu’il s’agit d’activistes appartenant à la même minorité ethnique. Le premier jour du procès, le ministère public a renoncé à l’inculpation de trahison et retenu les inculpations d’espionnage (art. 47 g) du Code pénal) et de possession illicite d’armes (art. 224.1 du Code pénal). Signalons au passage que le présent rapport ne traite pas l’accusation de possession d’armes. Les prévenus n’ont pas réfuté cette accusation. Il s’agit toutefois d’une question secondaire car presque tous les Albanais possèdent une arme de chasse; c’est là une tradition culturelle séculaire. 6. Avocats de la défense Il y a deux ans, l’Albanie ne comptait aucun avocat de la défense. Cela signifie que tous les avocats indépendants sont relativement nouveaux dans la profession et s’efforcent de faire de leur mieux. Les avocats de ce procès ont donné l’impression qu’ils ne comprenaient pas pleinement le rôle de l’avocat de la défense. Après les avoir observés et leur avoir parlé à plusieurs reprises, il est apparu qu’ils ne connaissaient pas pleinement les droits civiques constitutionnels de leurs clients, qu’ils ne connaissaient pas non plus les règles internationales relatives aux droits de l’homme et à la régularité de la procédure, pas plus qu’ils ne comprenaient l’applicabilité de ces règles à leurs clients. Ils ne pensaient pas qu’ils se trouvaient sur un pied d’égalité avec /... A/C.3/49/5 Français Page 7 l’accusation, si bien qu’ils n’ont pas joué un rôle actif pendant les premiers jours pour soutenir leurs clients et n’ont pas non plus formulé d’objections à l’encontre de positions douteuses prises par la partie adverse. 7. Le ministère public Durant les sept jours au cours desquels ce procès a été observé, le ministère public s’est rarement référé de façon directe à l’acte d’accusation. Il n’a pas été en mesure de prouver que "les cinq" étaient coupables de conspiration et d’association de malfaiteurs. Il n’a pas prouvé que les accusés avaient perpétré les actes précis qui leur étaient reprochés. Le réquisitoire, tant écrit qu’oral, était dépourvu de spécificité, de thème central et d’orientation générale. Le samedi, le ministère public, sans que le tribunal s’y oppose, a enfreint les droits des témoins en leur posant exactement la même question qu’aux accusés, sans les prévenir des conséquences juridiques que pourrait entraîner leur réponse, alors que l’alinéa 3 g) de l’article 14 du Pacte international garantit à chaque personne le droit de "ne pas être forcée de témoigner contre elle-même ou de s’avouer coupable". Le ministère public a interrogé à plusieurs reprises les accusés et les témoins sur la façon dont les autorités grecques finançaient les campagnes électorales des organisations de la minorité albanaise de souche grecque. Le problème est que cette question n’a pas été mentionnée dans l’acte d’accusation comme faisant partie des charges retenues contre les accusés. 8. Le tribunal L’un des juges était âgé de 25 à 27 ans environ. Il est évident que dans une telle affaire (un cas de trahison où la peine capitale peut être prononcée), un juge de cet âge ne possède pas l’expérience nécessaire pour traiter un sujet aussi grave. Le tribunal a parfois semblé peu au fait des questions de procédure. Après avoir donné leur version des faits, trois accusés ont été interrogés en premier lieu par leurs propres avocats, puis par les avocats des deux autres accusés, et enfin par le ministère public. C’est l’inverse de la procédure normale et une telle mesure favorise nettement l’accusation. Devant le comportement passif des avocats de la défense, le tribunal aurait dû, pour garantir un procès équilibré, réagir à l’interrogatoire trop "musclé" que le ministère public a fait subir aux témoins. En outre, le Président du jury n’a pas tenu compte des observations des accusés concernant les mauvais traitements qu’ils auraient subis pendant les interrogatoires préliminaires, ni des références à des éléments positifs de leur passé, déclarant qu’une telle information n’avait "pas de lien direct avec l’accusation". Pendant les premiers jours du procès, les avocats étaient assis trop loin des accusés, d’où l’impossibilité d’assurer convenablement leur défense. Cette /... A/C.3/49/5 Français Page 8 situation s’est améliorée par la suite, mais il était toujours difficile pour les accusés et leurs avocats de maintenir le contact entre eux pendant le procès. 9. Observateurs Environ 90 à 100 observateurs assistaient chaque jour aux audiences. Il s’agissait de membres des familles, de diplomates, de parlementaires grecs, d’observateurs indépendants ou de journalistes. Le procès était filmé par la télévision albanaise. Ceux qui le désiraient pouvaient enregistrer les débats sur bande magnétique. Chaque observateur devaient être en possession d’un laissez-passer. Le deuxième jour, il était difficile de savoir si le laissez-passer du premier jour était encore valable. C’est pour cela que la police a arrêté un des journalistes grecs. Environ 20 autres journalistes grecs n’ont pas été autorisés à suivre le procès, en raison du manque de place dans la salle d’audience. 10. Conditions en prison Les accusés ne se sont pas plaints de leurs gardiens mais trois d’entre eux se sont plaints de l’exiguïté des cellules. J’ai visité quatre de ces cellules. L’une avait une superficie d’environ 3,5 mètres carrés et n’avait pas de fenêtre, ce qui empêchait pratiquement toute circulation d’air. Deux cellules étaient encore plus exiguës (1,20 m x 2,20 m) mais il y avait un tout petit orifice dans le mur. L’état des cellules ne peut être considéré comme discriminatoire : j’ai appris que la situation était la même dans les autres cellules. 11. Recommandations Il est difficile de formuler des recommandations sur un procès en cours, mais plusieurs vices de procédure sérieux sont déjà évidents dans la conduite de ce procès, comme indiqué ci-dessus. Le procès n’étant pas terminé, le tribunal dispose encore d’un temps suffisant pour étudier toutes les erreurs judiciaires commises pendant l’enquête préliminaire et en tenir compte dans le verdict. La "culpabilité criminelle" des accusés devrait être strictement séparée des activités politiques présumées des organisations autorisées par la loi auxquelles ils appartiennent. Une équipe internationale d’experts médicaux devrait examiner les accusés le plus tôt possible pour déterminer s’ils ont fait l’objet de mauvais traitements pendant la phase initiale de l’enquête préliminaire. Les juristes albanais devraient pouvoir bénéficier d’une formation juridique complémentaire, de préférence dans la République tchèque, en Hongrie, en Pologne ou Slovaquie, pays qui ont un passé similaire et qui comptent en même temps parmi les plus avancés pour ce qui est de l’adaptation de leur système judiciaire aux normes occidentales. /... A/C.3/49/5 Français Page 9 Note a Résolution 2200 A (XXI), annexe). -----