Les infractions toujours punies de la peine de mort

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Les infractions toujours punies de la peine de mort
AMNESTY INTERNATIONAL
ÉFAI
Index AI: ASA 41/001/00
ÉFAI 00 RN 39
DOCUMENT PUBLIC
Londres, mars 2000
RÉPUBLIQUE SOCIALISTE
DU VIÊT-NAM
La peine de mort : situation actuelle
En décembre 1999, l’Assemblée nationale a adopté des amendements au Code
pénal dont certains ont diminué le nombre d’infractions punissables de la peine de
mort, le portant de 44 à 29. Ces nouvelles dispositions n’entreront en vigueur
qu’en juillet 2000, mais une directive de janvier, d’application immédiate, prescrit
aux juges de s’abstenir de prononcer ou de confirmer des peines capitales dans les
affaires concernant des accusés reconnus coupables d’une ou plusieurs des 15
infractions qui ne sont plus sanctionnées par ce châtiment. Amnesty International
considère comme positive cette mesure qui va dans le sens d’une réduction du
nombre des exécutions au Viêt-Nam. Toutefois, l’Organisation demeure
préoccupée par le nombre encore très important d’infractions qui sont toujours
sanctionnées par la peine capitale. Des statistiques récentes montrent que
l’application de cette sentence reste fréquente : 194 condamnations pour la seule
année 1999. Autre sujet de préoccupation : sauf circonstances exceptionnelles, les
autorités ne font jamais savoir si les condamnations prononcées sont suivies
d’exécutions. Amnesty International estime cependant qu’en règle générale les
personnes condamnées sont exécutées.
Le Code pénal révisé, adopté par l’Assemblée nationale le 21 décembre 1999, a
été promulgué par le Président Tran Duc Luong le 4 janvier 2000. Outre la
diminution du nombre d’infractions sanctionnées par la peine de mort, il comporte
un certains nombre d’amendements et d’additions dont on ne connaît pas encore
le détail. Selon les indications données par l’organe officiel en langue anglaise
Viêt Nam News dans son édition du 25 janvier 2000, les infractions suivantes ne
figurent plus parmi les crimes punis de mort :
« Violation de la sécurité territoriale de la nation, actes de vandalisme dans les
prisons, fabrication, détention, utilisation, vol ou vente d’armes, d’équipement ou
de technologie militaires, contrebande de marchandises ou de monnaie,
destruction de billets de banque, vol, destruction de biens ou dommages
délibérément causés à ceux-ci, vol de biens privés par personne investie d’une
autorité publique, altération de denrées et distribution de denrées altérées,
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utilisation de la force ou de la séduction pour amener autrui à consommer
illégalement des stupéfiants, servir d’intermédiaire dans un acte de corruption,
abandon de poste devant l’ennemi, recrutement de mercenaires ou engagement en
qualité de mercenaire. »
Les infractions toujours punies de la peine de mort
Vingt-neuf infractions sont toujours punies de mort par le nouveau Code pénal.
Ce sont, en particulier, celles qui portent atteinte à la sécurité nationale, comme la
trahison, la tentative de renversement du gouvernement, l’espionnage, la rébellion,
le banditisme, le terrorisme, le sabotage, le détournement d’avion, la destruction
d’installations utiles à la sécurité nationale. Font également partie de cette
catégorie d’infractions les actes portant atteinte à la paix, les crimes de guerre et
les crimes contre l’humanité, ainsi que la fabrication, le recel et le trafic de
stupéfiants, le meurtre, le viol, le vol qualifié, le détournement de fonds et
l’escroquerie.
Un amendement au Code pénal, annoncé en décembre 1999, prévoit qu’un haut
fonctionnaire accusé d’actes de corruption portant sur des sommes de l’ordre de
300 millions de dongs (environ 21 340 dollars, soit près de 18 992 euros) ou
davantage, encourt la peine capitale. La sanction précédente était une peine de
prison pouvant aller de vingt ans à la perpétuité.
Condamnations et exécutions en 1999
Selon un membre de la Cour populaire suprême, 194 condamnations à mort ont
été prononcées l’an dernier. Aucune précision n’a été donnée au sujet de ces
condamnations. On sait seulement que 82 d’entre elles ont été appliquées à des
auteurs d’infractions liées à la législation sur les stupéfiants et huit autres à des
personnes impliquées dans des affaires de fraude et de corruption. À la
connaissance d’Amnesty International, il s’agit du plus grand nombre de
condamnations à la peine capitale enregistré depuis des décennies.
En ce qui concerne le nombre total d’exécutions pour l’année 1999, aucune
information officielle n’a été publiée. Amnesty International a eu connaissance,
par les médias, des huit exécutions suivantes :
- Semaine du 4 janvier 1999
Tran Van Thuan et Huyn Te Cam
ont été exécutés à Hanoï devant
des milliers de personnes après
avoir été déclarés coupables
d’activités
subversives,
en
particulier d’avoir lancé une
grenade dans un jardin public,
blessant 18 personnes.
- 23 janvier 1999
Tan Kwa Eng, 32 ans,
Singapourien, exécuté pour trafic
d’héroïne.
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- 4 mai 1999
Le Thi Thuy, 22 ans, exécutée en
public sur le site réservé aux
exécutions de Cau Nga, dans le
district deTu Liem à Hanoï, pour
le meurtre d’un enfant.
- 17 août 1999
Do Thuong, ancien professeur,
exécuté sur le site réservé aux
exécutions de Thu Duc à Hanoï,
pour le meurtre d’un universitaire
renommé.
- 17 août 1999
Le Van Be, exécuté en même
temps que Do Thuong pour avoir
violé sa soeur âgée de 14 ans.
- 17 août 1999
Vo Van Hung, exécuté en même
temps que Do Thuong pour le
meurtre de son père.
- 28 septembre 1999
Le Van Minh, 30 ans, exécuté sur
le site de Cau Nga à Hanoï,
district de Tu Liem, pour trafic
de stupéfiants
Les autorités vietnamiennes poursuivent la mise en application d’une politique
nationale dont le but est de combattre les maux qu’engendrent dans le pays le
trafic de drogue et la corruption. Cette politique les a conduites à recourir de plus
en plus à la peine capitale pour sanctionner ces infractions. Sans méconnaître la
légitimité de leurs préoccupations, Amnesty International juge nécessaire de
réitérer les observations suivantes :
- il n’est nullement établi que la peine de mort ait un effet dissuasif perceptible sur
les auteurs de crimes graves ;
- quand, d’une manière habituelle, le déroulement des procès ne respecte pas les
normes internationales d’équité, l’application de la peine de mort peut mener à
des erreurs judiciaires irréversibles ;
- la peine de mort porte atteinte à la dignité de tous ceux qui sont impliqués dans
le processus de sa mise en œuvre ;
- le recours à la peine de mort contrevient aux normes internationales en matière
de droits humains et va à l’encontre des recommandations des Nations unies qui
préconisent de s’orienter vers l’abolition de cette peine.
Amnesty International est opposée inconditionnellement et en toutes circonstances
à la peine de mort, considérant qu’elle constitue la forme la plus extrême de
traitement cruel, inhumain et dégradant et une violation du droit à la vie reconnu
par la Déclaration universelle des droits de l’homme (articles 3 et 5) et par le
Pacte3 international relatif aux droits civils et politiques (articles 6 et 7) qui a été
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ratifié par le Viêt-Nam
.
Affaires récentes - Décisions d’appel
Les condamnations à mort prononcées contre Tran Dam et Phung Long That en
avril 1999 pour leur participation à une opération de contrebande portant sur des
marchandises d’une valeur de 83 millions de dollars (soit environ 74 millions
d’euros), ont été confirmées par la Cour d’appel le 12 novembre 1999. On ignore
la situation actuelle de ces condamnés.
Le 12 janvier 2000, le juge de la Cour populaire suprême a rendu sa décision sur
les recours formés par six hommes condamnés à mort après avoir été déclarés
coupables de « fraude et détournement de biens socialistes » en août 1999. Cette
affaire de fraude et de corruption, connue sous le nom d’affaire EPCO-Minh
Phung concernait 71 suspects. Elle a été décrite par le juge d’appel comme « la
plus énorme affaire de fraude et de détournement de biens socialistes qu’on ait
jamais connue, une affaire qui porte sur des milliers de milliards de dongs »1 . La
peine de mort a été confirmée pour quatre des condamnés : Tang Minh Phung et
Lien Khui Thin, tous deux directeurs de sociétés, Nguyen Tan Phuc, cadre
d’EPCO, et Pham Nhat Hong, directeur adjoint de la Banque industrielle et
commerciale du Viêt-Nam. Nguyen Ngoc Bich, directeur adjoint de la Banque du
Viêt-Nam pour le commerce extérieur, et Nguyen Xuan Phong, directeur de
société, ont, quant à eux, bénéficié d’une commutation de peine, la sentence de
mort ayant été transformée en réclusion à perpétuité. Les attendus des décisions de
la Cour d’appel n’ont pas été rendus publics.
Quatre autres personnes ont été condamnées à mort en janvier 2000 pour des
infractions liées à la législation sur les stupéfiants. Quang Van Tinh a été
condamné dans la province de Lai Chau, et Tran Van Nghia, Nguyen Phouc Duc
et Nguyen Than Hai à Ho Chi Minh-ville.
Aspects judiciaires et cas particuliers
Le Code de procédure pénale contient des dispositions relatives à l’application de
la peine de mort. Les accusés condamnés par un tribunal municipal ou provincial
ont la possibilité de faire appel devant la Cour populaire suprême. Le délai
d’appel est de deux mois. En cas de confirmation de la condamnation, le
condamné dispose de sept jours pour adresser au Président une demande de grâce.
Les condamnés dont les recours ont été rejetés sont fusillés par un peloton
d’exécution composé de cinq personnes. L’exécution est souvent publique et
l’inhumation a lieu très peu de temps après. Les familles ne sont pas informées à
l’avance. Deux ou trois jours après l’exécution, elles sont invitées à venir prendre
possession des affaires du condamné. Il semble que le public soit encouragé à
assister aux exécutions. Selon certains comptes rendus, les condamnés sont
amenés sur le lieu de leur exécution les yeux bandés et bâillonnés, avec un citron
dans la bouche.
1
Voice of Viet nam, Hanoï, 12 janvier 2000
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Les commutations de peine sont rares. On en a signalé deux en 1999. Il s’agissait
dans un de ces cas de Nguyen Khanh Loc qui avait été condamné à mort pour
contrebande de stupéfiants. Il était sur le point d’être exécuté en 1997, lorsqu’il a
proposé de révéler aux autorités les noms d’autres personnes impliquées dans les
activités d’une bande organisée de trafiquants de drogue. Il a, par la suite,
témoigné dans le procès de six accusés pour des infractions liées à la législation
sur les stupéfiants, dont trois ont été condamnés à la peine capitale en septembre
1998. La peine de Nguyen Khanh Loc a été officiellement commuée par le
président en juin 1999.
Dans une autre affaire, c’est Visanu Chokethaweesap, de nationalité thaïlandaise,
qui a bénéficié d’une commutation de peine en octobre 1999. Il avait été
condamné à mort en juillet 1998 pour « escroquerie portant sur des biens publics
et privés ». Sa famille avait organisé une campagne en sa faveur et le
gouvernement thaïlandais était intervenu auprès des autorités vietnamiennes.
« Amnistie spéciale 2000 »
Les autorités ont annoncé une « amnistie spéciale 2000 » en faveur des
prisonniers du Viêt-Nam pour marquer, outre l’an 2000, le 25e anniversaire de la
libération du Sud (30 avril) et le 55e anniversaire de l’institution de la fête
nationale (2 septembre). Des milliers de prisonniers devraient être libérés.
Amnesty International demande instamment aux autorités d’élargir cette mesure
de clémence en commuant toutes les peines capitales.
Recommandations
Amnesty International a accueilli avec satisfaction les récentes dispositions
réduisant le nombre d’infractions sanctionnées par la peine de mort. Toutefois,
l’Organisation adresse au gouvernement les recommandations suivantes et l’invite
à adopter d’autres mesures visant à l’abolition de la peine capitale au Viêt-Nam :
- instituer un moratoire sur les exécutions, conformément à la résolution adoptée
en avril 1999 par la Commission des droits de l’homme des Nations unies au sujet
de la question de la peine de mort ;
- encourager l’instauration d’un débat entre les membres de l’Assemblée nationale
et les institutions compétentes, en vue de l’ abolition totale de la peine de mort ;
- prononcer la commutation de toutes les peines capitales qui n’ont pas encore été
appliquées ;
- ratifier le deuxième protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, qui vise à abolir la peine de mort dans le
monde entier ;
- rendre publiques toutes les informations relatives à l’application de la peine de
mort au Viêt-Nam et sur les exécutions qui ont effectivement eu lieu ;
- par extension des mesures de clémence prises dans le cadre de l’« amnistie
spéciale 2000 », procéder à la commutation de toutes les peines capitales dont
l’application effective est prévue pour cette année.
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La version originale en langue anglaise de ce document a été publiée par Amnesty International,
Secrétariat international, 1 Easton Street, Londres WC1X 0DW, Royaume-Uni, sous le titre
SOCIALIST REPUBLIC OF VIET NAM: The Death Penalty - Recent developpements (Index AI.
ASA 41/001/00). Seule la version anglaise fait foi. La version française a été traduite et diffusée
aux sections francophones et au Secrétariat international par Êdittions francophones d’Amnesty
International. Vous pouvez également consulter le site ÉFAI sur internet : http://efai.i-france.com
Pour toute information complémentaire veuillez vous adresser à :
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